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dit Fra DELRICO EARLY WORKS - PREMIERES ŒUVRES L’AMOUR DE LA TRADITION CLASSIQUE Propos recueillis par Fanny Pauthier --------------------------------- F. P. : Comme la plupart des artistes d’esprit classique, tu as d’abord travaillé sur la ressemblance ou sur des sujets allégoriques, mythologiques et bibliques en te confrontant à l’art des grands maîtres (Picasso, De Vinci, Rodin, Michel-Ange, De La Tour, Chardin…). Fra : C’est vrai que ce passage a été essentiel pour avoir confiance en moi et tester mes aptitudes d’artiste. Mon frère David était également dans cette dynamique et nous étudions ensemble et sculptions souvent à 4 mains. De nos jours, ce n’est plus une étape fondamentale et beaucoup de très bons artistes n’ont plus ni l’envie ni la nécessité de se confronter à la tradition par ce type d’étude pour atteindre leurs objectifs. Ce serait presque avoir une vision passéiste que de penser qu’il faut apprendre le métier ! (Rires) Je crois que c’est parce que j’étais à l’écart du monde contemporain et des préoccupations actuelles de l’art que je suis passé par cette étape indispensable à ma construction personnelle d’artiste

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  • dit Fra DELRICO

    EARLY WORKS - PREMIERES ŒUVRES

    L’AMOUR DE LA TRADITION CLASSIQUE

    Propos recueillis par Fanny Pauthier

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    F. P. : Comme la plupart des artistes d’esprit classique, tu as d’abord travaillé sur la ressemblance ou sur des sujets allégoriques, mythologiques et bibliques en te confrontant à l’art des grands maîtres (Picasso, De Vinci, Rodin, Michel-Ange, De La Tour, Chardin…). Fra : C’est vrai que ce passage a été essentiel pour avoir confiance en moi et tester mes aptitudes d’artiste. Mon frère David était également dans cette dynamique et nous étudions ensemble et sculptions souvent à 4 mains. De nos jours, ce n’est plus une étape fondamentale et beaucoup de très bons artistes n’ont plus ni l’envie ni la nécessité de se confronter à la tradition par ce type d’étude pour atteindre leurs objectifs. Ce serait presque avoir une vision passéiste que de penser qu’il faut apprendre le métier ! (Rires) Je crois que c’est parce que j’étais à l’écart du monde contemporain et des préoccupations actuelles de l’art que je suis passé par cette étape indispensable à ma construction personnelle d’artiste

  • contemporain issu de la tradition. Mon admiration pour les maîtres anciens était telle que leur art me semblait inaccessible ! Bref, quand on atteint ce niveau de vénération, il devient difficile d’imaginer pouvoir se défaire des « idoles » : leur vie, leur histoire et leurs œuvres ont une incidence sur votre esthétique et votre goût. Il faut pourtant savoir rester ouvert à la surprise, à l’inattendu, pour enfin trouver sa propre voie et intégrer une nouvelle esthétique qui est de ce fait souvent longue à assumer et digérer.

  • F. P. : Quel a été le déclic qui t’a permis de trouver ta propre voie ? Fra : C’était à mon avis en germe depuis le départ. J’ai toujours eu de l’ego et je l’exaltais par le tag et le graffiti, mais lorsque j’ai compris le chemin qu’il me restait à parcourir pour avoir le niveau des grands maîtres, que je commençais tout juste à découvrir et étudier, je me suis remis en question. Je suis sorti de ma période tag et graffiti avec le désir d’apprivoiser un maximum de techniques pour ensuite m’en défaire voire les transcender : peinture à l’huile, préparation des toiles à la colle de peau, encaustique, sculpture en argile, en cire, en bronze, en fer soudé, bois tronçonné, béton, etc.

  • Explorer les arts et les techniques infinies qui s’offrent à la recherche artistique c’est passionnant : il y a tant de possibilités que je ne pourrai jamais en faire le tour ! Mes premières ambitions étaient donc à la fois très prétentieuses et très simples ; elles correspondaient à un effacement de ma personnalité. Je souhaitais maîtriser le métier à un degré tel que j’aurais pu accrocher au Louvre l’une de mes toiles peintes dans un style classique sans que les visiteurs ne s’aperçoivent qu’ils regardaient l’œuvre d’un tout jeune artiste. On a de ces idées à 20 ans ! Ç’aurait été mon sésame… (Rires) J’avais un respect profond pour la tradition.

  • Néanmoins, je constate avec le recul que dans ma façon d’interpréter les sujets classiques je prenais toujours une certaine distance vis-à-vis de l’iconographie conventionnelle (peut-être à cause de mon travail de metteur en scène, que je pratiquais en parallèle, et d’un désir féroce de ne pas être enfermé dans une case). Autre signe d’indépendance dû à l’apprentissage en autodidacte : je n’ai jamais fait de copie. Je réinterprétais les sujets classiques pour apporter une lecture singulière des thèmes mythologiques, sacrés, profanes et historiques. Humilité ou arrogance ? Je ne sais pas car c’était plutôt osé que de vouloir se confronter aux maîtres sur leur terrain.

  • F. P. : Quand as-tu donc pris conscience de tes capacités à t’exprimer d’une façon personnelle ? Fra : Dès le début, j’ai atteint ce que je visais, donc je m’auto-stimulais. Plus mes entreprises picturales, graphiques ou sculpturales étaient couronnées de succès, plus j’avais envie d’avancer sur de nouveaux terrains. Plus je perçais les mystères du métier, plus je me sentais entraîné vers une voie personnelle libérée du classicisme : c’est souvent ce qui nous échappe qui nous fait courir après la chose désirée, n’est-ce pas ?

    D’expériences en expériences, je ressentais le besoin d’aller vers l’inconnu et mes goûts esthétiques changeaient car je m’ouvrais peu à peu à la

  • création contemporaine à travers les livres que je dévorais par dizaines, avec un bagage technique de plus en plus large et solide. Je tentais des choses que je ne parvenais pas forcément à décrypter : par exemple des sculptures abstraites à base de plastiques brûlés et fils de fer, que je n’ai jamais exposées parce que je ne savais pas comment les assumer ou les défendre à ce moment-là. Leur portée esthétique et conceptuelle m’attirait et me dépassait. Je me sentais si isolé dans ma pratique artistique (pas dans ma vie qui, elle, était très riche et mouvementée) que personne autour de moi ne m’encourageait dans ces créations-là. Je les ai presque toutes détruites, sauf une ou deux dont je n’arrivais pas à me séparer (aujourd’hui, je comprends pourquoi j’y tenais). Ces œuvres, tout à fait uniques et personnelles, j’aurais pu les exposer et les développer si j’avais été plus lucide vis-à-vis du monde actuel… Mais j’avais encore des expériences à vivre.

    F. P. : Tu parles beaucoup de réflexion, mais la notion de plaisir ne semble pas faire partie de ton vocabulaire. Est-ce que je me trompe ? Fra : C’est vrai qu’à cette époque trop de choses me résistaient. J’avais une telle ambition créatrice que je ne me sentais jamais assez prêt, assez

  • légitime, jamais totalement stabilisé ni prompt à m’engager dans une seule voie. Mes réussites me stimulaient, mais ne me satisfaisaient pas pour autant. Qui me connaît sait que, derrière mes lâcher-prises et rigolades permanentes, je suis très exigeant et que je lutte contre ce perfectionnisme qui m’épuiserait et m’épuise encore quand il prend le dessus sur moi aujourd’hui encore. Mais à présent, oui, je prends aussi du plaisir avec mes Bimbolino par exemple mais aussi parce que j’assume mon tempérament d’explorateur des arts. Comme le disait Picasso : « Pour quelqu’un qui a beaucoup travaillé, tout finit par venir tout seul, comme la mort ! » (Rires)

    F. P. : Qu’est-ce qui te motivait malgré cette frustration de ne pas pouvoir maîtriser complètement ton art ? Fra : Eh bien une fois que s’est confirmé mon choix d’une vie entièrement dédiée à l’art, j’ai eu envie d’ajouter ma pierre à l’édifice. C’est un plaisir un peu narcissique que de savoir que tu apportes au monde une graine qui germera peut-être chez d’autres et que d’offrir une image ou un « objet » qui n’aurait jamais vu le jour sans ton intervention. Lorsque j’ai peint une

  • poussette ou que j’ai inventé le thème du marchand de pantin qui a trouvé un écho très fort chez mon public, et que j’ai décliné en plusieurs compositions, j’ai ressenti la satisfaction particulière d’avoir fait éclore des « inédits ». Trouver des sujets qui n’existaient pas dans l’histoire de l’art est à la fois enivrant artistiquement et encourageant. J’ai déjà dit que je conçois l’art comme un sacerdoce, comme un don que l’on fait aux autres. Je suis heureux quand je parviens à ce truc-là. C’est ma récompense suprême !

  • F. P. : Comment appréhendes-tu la partie commerciale du métier ? Fra : Au stade de la création, les questions financières ne comptent pas. Les réalités du terrain apparaissent seulement ensuite car la vie et la création ont un coût : il faut donc penser à vendre. On retombe sur terre,

  • on organise des expositions, on cherche à convaincre les marchands, à séduire le public et soi-même parfois, et ce n’est pas une mince affaire. Pour beaucoup, cette facette est prioritaire, et ils n’ont peut-être pas tort : vendre, avoir une cote, se faire une place dans le top 10 des artistes les plus connus… Savoir promouvoir son œuvre nécessite plus que du talent ! Pourtant, on aura beau essayer tout les artifices de la promotion, en art, c’est le temps qui fera le tri : la fortune est aveugle mais l’art ne l’est pas et bien malin qui peut parier sur ceux qui seront les maîtres de demain. Quand on pense qu’un génie comme Le Gréco peut tomber dans l’oubli avant que d’être redécouvert il n’y a pas si longtemps ! On peut se poser des questions… qui mettrait sa tête à couper pour prédire ce qui sera ? (rires)

    Du vivant d’un artiste, le travail et le talent ne compte pas pour seul : Sa personnalité, son charisme, son physique, son intelligence, les rencontres, les calculs stratégiques, le marketing, les réseaux, etc. il y a des centaines de paramètres qui ont toutes leur importance. Les rouages de la notoriété

  • sont complexes, mais que veut le public en grande majorité ? Il veut rêver et espérer : la partie purement logistique et commerciale ne l’intéresse pas vraiment, seules les sommes astronomiques atteintes par certains artistes et annoncées à grand renfort de médias le fascinent. Généralement, l’argent donne sa valeur aux choses… Les métiers d’art sont très fantasmés précisément parce que les difficultés sont volontairement passées sous silence pour préserver les rêves et l’espoir du public. Seuls la réussite, la gloire, la vie facile et les millions générés dans les ventes record sont des moteurs et des facteurs de reconnaissance pour le public et le marché de l’art. Si tu n’entres pas dans ces cases-là, ton travail a peu de visibilité, hormis chez les quelques vrais passionnés qu’un artiste peut rencontrer sur son chemin tu peux vivre dans ton atelier comme St Antoine dans le désert et peut être même vivre les mêmes tentations !

  • Je connais et admire beaucoup d’artistes très talentueux dont on n’entend jamais parler dans les médias simplement parce qu’ils préfèrent ne pas jouer le jeu du marketing ou soumettre leurs œuvres aux besoins d’une mode ou d’une clientèle. Jean Rustin que j’avais rencontré était de ceux là, un peu hors circuit mais dans un circuit quand même, il avait sa fondation de son vivant. Je suis allé à son enterrement au père Lachaise, il y avait peu de monde quand je pense à la place qui est la sienne dans le monde de la peinture figurative aujourd’hui… mais il était peut être trop discret et concentré sur son travail en atelier pour jouer le jeu du vedettariat, je ne sais pas…

  • Je sais aussi que ce n’est pas facile de jouer le jeu du vedettariat en permanence quand on n’est pas fait pour cela, c’est même carrément prise de tête (rires) : ça demande un déploiement d’effort et une énergie incroyable sans oublier ce que coûtent dans une vie humaine les nombreux sacrifices que cette vie exige en contrepartie de la renommé, et je parle d’expérience pour l’avoir vu de très près…

  • Après il reste le mythe tenace des artistes maudits dont le public est friand pour le drame et l’aspect romanesque/cinématographique de leurs vies marginales : ils nourrissent le goût collectif pour la dramaturgie passionnelle, mais c’est anecdotique. On se contrefiche par exemple de savoir que Modigliani était alcoolique ou que Bacon était masochiste ; c’est la puissance de leurs œuvres qui a donné une portée à leur vie, non l’inverse. Néanmoins, lorsque la vie de l’artiste est plus riche que son œuvre, il a tout intérêt à mettre cette facette-là en avant s’il veut vivre et développer son business ! (rires) Quoi qu’il en soit, il est très difficile d’avoir suffisamment de recul pour savoir à quelle catégorie d’artiste on appartient soi-même dans cette grande comédie humaine… Mystère ou manque de lucidité ?

  • F. P. : Quelle place donnes-tu à l’art dans le quotidien de chacun d’entre nous ? Fra : Tu sais, l’art aide beaucoup de gens à vivre, et pas seulement du point de vue portefeuille. Il a une importance considérable dans la vie de l’individu qui possède ce type de sensibilité naturellement, mais également dans la vie de celui qui doit s’entourer d’art, parfois même de manière compulsive, ou même de celui qui ressent uniquement le besoin de simplement se distraire et se divertir, un soir, après une journée de travail, en allant voir une exposition, en se déplaçant au théâtre, au cinéma, ou en choisissant un film à la télévision. À mes yeux, l’art a le pouvoir de nous connecter à nos origines. S’il n’avait pas été essentiel depuis l’homme des cavernes, il aurait disparu. Or il est toujours là, et il le sera tant que l’humanité existera car il nous apporte l’assurance concrète du pouvoir de l’imagination, l’une des rares activités humaines gratuite. On peut en effet exprimer son génie autant par des moyens pharamineux que par des moyens très simples : avec quelques couleurs, du charbon sur du papier, du carton ou un morceau de terre comme dans l’art des cavernes.

  • Picasso aurait dit : « Si je n’ai pas de rouge, je mets du bleu ; si je n’ai pas de pinceau, je peins avec les doigts ; si je n’avais pas de toile, je peindrais sur les murs et si je n’avais plus de peinture, je peindrais même avec de la merde ! » Voilà, je crois qu’il est très sincère en disant ça, au delà du côté frappant dans la façon de le formuler ! Créer est une nécessité vitale : c’est l’idée traduite qui importe, bien plus que le moyen employé. Pour ma part, j’espère pouvoir rendre à l’art le centuple de ce qu’il m’a donné. L’Art, les arts, ont véritablement contribué à ma construction d’homme adulte, sensible et conscient, ancré dans la réalité et dans de lucidité rêvasseries de sage ou d’enragé… selon l’inspiration, les humeurs et les bons vœux de la fortune…

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    (Entretien relu et corrigé par Fanny Pauthier - Paris 2017 - Fra copyrights)