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652 18 DÉCEMBRE 1917 369 E 2300 Wien, Archiv-Nr. 32 Le Ministre de Suisse à Vienne, Ch.Bourcart, au Chef du Département politique, G.Ador RP n° 33 Vienne, les 18 et 20 décembre 1917 La convention d’armistice signée samedi dernier1 et dont, à toutes fins utiles, je joins le texte à ce pli, éveille naturellement ici la plus grande satisfaction. Je n'ai évi demment pas besoin de commenter en détail cet arrangement que vous aurez déjà examiné de près, mais je tiens cependant à relever un ou deux points spéciaux. En première ligne je crois devoir vous signaler le texte de l'article II relatif aux mouvements de troupes pendant la durée de la trêve. Les hautes parties contractan tes s’interdisent entre autres tous déplacements de troupes dans un but opératif (operative Truppenverschiebungen) entre la Mer Baltique et la Mer Noire à l’excep tion des déplacements déjà commencés (eingeleitet) au moment de la signature de l’armistice. Or, non seulement cette disposition est assez vague pour permettre tous les transports de troupes que l’on voudra du front est au front ouest et sud-ouest, mais encore il n’impose aucune restriction au déplacement et à l’emploi contre l’En tente des troupes turques et autres qui ont jusqu’ici combattu les Russes en Asie. Comme les Russes et les Turcs se retirent du territoire persan (Art. X), un contin gent important de troupes ottomanes se trouvera complètement disponible de ce côté-là. Les dispositons de l’Art. II ont probablement la prétention de sauvegarder les intérêts de l’Entente, mais en fait ils abandonnent celle-ci à ses ennemis. Un géné ral qui a commandé une armée pendant cette guerre, auquel je demandais ce que l’on pouvait entendre par «eingeleitete Truppenverschiebungen», me dit: «Admet tez que je sois décidé à envoyer le corps d’armée X du front est au front ouest et qu’un seul bataillon soit mis en marche, je pourrais d’après l’armistice, transférer le corps entier d’un front à l’autre.» D’après ce que me dit mon collègue de Perse, des négociations avaient été enta mées par le Gouvernement du Chah il y a quelques mois déjà avec les différents bel ligérants en vue de la libération du territoire persan; les parties intéressées se décla raient prêtes à se retirer pourvu que leur adversaire voulût bien commencer par en faire autant, mais personne ne voulait s’en aller le premier. Sous ce rapport la Perse peut donc considérer la révolution russe comme un bienfait. D’autre part le Ministre de Perse ne se dissimule pas que cette révolution aura son contrecoup dans son pays où il existe un parti démocratique; mais il ne croit pas à un mouvement socialiste ni républicain. D’autres stipulations de la plus haute importance peuvent avoir un inté rêt majeur pour nous. Ce sont les dispositions de l’Art. IV chiffre 2 in fine qui permet un échange de marchandises par les points de transit de la zone neutre désignés d’un commun accord et de l’Art. V chiffre 5 permettant le commerce et la navigation commerciale dans la Mer Baltique et la Mer Noire. 1. La convention d ’armistice entre le Conseil des Commissaires du Peuple et les Puissances Centrales a été signée le 15 décembre. dodis.ch/37210 dodis.ch/37210

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  • 652 18 D C E M B R E 1917

    369E 2300 Wien, Archiv-Nr. 32

    L e Ministre de Suisse Vienne, Ch.Bourcart, au Chef du Dpartement politique, G.Ador

    R P n 33 Vienne, les 18 et 20 dcembre 1917

    La convention darmistice signe samedi dernier1 et dont, toutes fins utiles, je joins le texte ce pli, veille naturellement ici la plus grande satisfaction. Je n'ai videmment pas besoin de commenter en dtail cet arrangement que vous aurez dj examin de prs, mais je tiens cependant relever un ou deux points spciaux.

    En premire ligne je crois devoir vous signaler le texte de l'article II relatif aux mouvements de troupes pendant la dure de la trve. Les hautes parties contractantes sinterdisent entre autres tous dplacements de troupes dans un but opratif (operative Truppenverschiebungen) entre la Mer Baltique et la M er Noire lexception des dplacements dj commencs (eingeleitet) au moment de la signature de larmistice. Or, non seulement cette disposition est assez vague pour permettre tous les transports de troupes que lon voudra du front est au front ouest et sud-ouest, mais encore il nimpose aucune restriction au dplacement et lemploi contre lEntente des troupes turques et autres qui ont jusquici combattu les Russes en Asie. Comme les Russes et les Turcs se retirent du territoire persan (Art. X), un contingent important de troupes ottomanes se trouvera compltement disponible de ce ct-l. Les dispositons de lArt. II ont probablement la prtention de sauvegarder les intrts de lEntente, mais en fait ils abandonnent celle-ci ses ennemis. Un gnral qui a command une arme pendant cette guerre, auquel je demandais ce que lon pouvait entendre par eingeleitete Truppenverschiebungen, me dit: Admettez que je sois dcid envoyer le corps darme X du front est au front ouest et quun seul bataillon soit mis en marche, je pourrais daprs larmistice, transfrer le corps entier dun front lautre.

    D aprs ce que me dit mon collgue de Perse, des ngociations avaient t entames par le Gouvernement du Chah il y a quelques mois dj avec les diffrents belligrants en vue de la libration du territoire persan; les parties intresses se dclaraient prtes se retirer pourvu que leur adversaire voult bien commencer par en faire autant, mais personne ne voulait sen aller le premier. Sous ce rapport la Perse peut donc considrer la rvolution russe comme un bienfait. D autre part le Ministre de Perse ne se dissimule pas que cette rvolution aura son contrecoup dans son pays o il existe un parti dmocratique; mais il ne croit pas un mouvement socialiste ni rpublicain. D autres stipulations de la plus haute importance peuvent avoir un intrt majeur pour nous. Ce sont les dispositions de lArt. IV chiffre 2 in fine qui permet un change de marchandises par les points de transit de la zone neutre dsigns dun commun accord et de lArt. V chiffre 5 permettant le commerce et la navigation commerciale dans la Mer Baltique et la Mer Noire.

    1. La convention d armistice entre le Conseil des Commissaires du Peuple et les Puissances Centrales a t signe le 15 dcembre.

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    Mon collgue de Perse me dit que, sa connaissance, il existe de grandes quantits de marchandises accumules dans les ports de la Mer Noire qui, dans l'origine, taient destines lAngleterre aprs louverture des Dardanelles; l'opration de Gallipoli ayant manqu, beaucoup de ces marchandises, notamment des millions de quintaux de bl, auraient, il est vrai, pourri sur place, mais il doit exister encore de grands approvisionnements qui pourront profiter maintenant aux Puissances centrales.

    Or, vous vous rappelez que (voir mon rapport n 29 du 25 novembre2) on mavait dj rendu attentif la possibilit de tirer de Russie des crales pour la Suisse. A ce moment le commerce avec la Russie ntait pas encore ouvert; la question pourrait tre dautant plus intressante maintenant que la navigation ne rencontrera plus dobstacles dans la Mer Noire. Je sais bien que maintenant aussi il nous faudra compter avec la concurrence allemande et austro-hongroise dont il ne pouvait pas tre question avant larmistice; mais je crois que la question mriterait dtre examine. Le fait que lAmrique se dclare prte nous livrer du bl rend, il est vrai, notre situation moins prcaire, mais nous navons pas encore ces grains et Dieu sait quand ils arriveront! Peu importe, me semble-t-il, que les quantits reues de Russie soient dduites du contingent recevoir dAmrique: un tiens vaut mieux que deux tu lauras.

    20 dcembre

    Le baron Flotow que j ai vu hier au Ministre des Affaires Etrangres, n f a donn quelques dtails sur les ngociations de Brest-Litovsk o son Dpartement tait reprsent par M. de Merey, lancien ambassadeur Rome. Les dlgus russes nont, parat-il, pas fait une mauvaise impression; ils ont montr du tact et un certain sa- voir-vivre, malgr toute leur simplicit (la dlgue fminine navait aucun bagage avec elle, pas mme un sac main!); au moins lun des commissaires, dont les noms mchappent, est certainement juif; la femme doit avoir commis un assassinat politique; il y avait, en outre, un caporal, un matelot et un paysan faisant partie de la dlgation qui tous sigeaient au haut de la table tandis que les gnraux et les officiers suprieurs qui les accompagnaient, considrs comme de simples experts techniques, taient relgus au bas de la table. Ces derniers taient, parat-il trs dprims; vous savez que lun deux sest suicid.

    En arrivant Brest-Litovsk les dlgus russes simaginaient qu'ils allaient immdiatement signer la paix et ont t assez dus quand on leur a expliqu la diffrence qui existe entre un armistice et un trait de paix. Leur inexprience est naturellement trs grande et ils sen rendent compte; ils sont en consquence trs mfiants et craignent constamment dtre rouls par la partie adverse. Leur navet nest pas moindre. Lorsquon leur demanda pourquoi ils rclamaient lvacuation des les du golfe de Riga, ils rpondirent que ctait parce que la position menaait Ptrograd. Ils eurent beaucoup de peine comprendre que ceci tait loin dtre une raison pour les Allemands dabandonner ces les. Maintenant encore le gouvernement des Bolcheviks est trs press de conclure la paix; il a tout fait pour activer larrive des pl-

    2 . Non reproduit.

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    nipotentiaires des Puissances centrales Brest-Litovsk. Ceci na rien de surprenant, tant donn que Lnine a tout intrt sattribuer le rle de pacificateur et profiter du prestige quil en retirera indubitablement. De leur ct les Puissances centrales sont trs disposes en finir et profiter des concessions que leur fera certainement Lnine rien que pour conclure avant que son rgime ne soit renvers.

    Je demandai M. de Flotow sil ne craignait pas quune paix conclue avec un gouvernement aussi instable risqut dtre dsavoue le jour o quelquautre parti arriverait au pouvoir. Mais le chef de la section politique na pas de semblables apprhensions. Il estime que la paix sera reconnue par toute la Russie tout comme Ta t larmistice. En effet un gouvernement qui ne reconnatrait pas celui de Lnine comme ayant qualit de reprsenter la Russie et considrerait le trait de paix comme nul et non avenu serait forc de recommencer immdiatement la guerre, car lAllemagne et lAutriche-Hongrie ne renieront naturellement pas leur signature ni celle de Lnine. Or, quel est le gouvernement russe qui pourrait ou oserait recommencer la guerre? Le baron de Flotow ne craint pas davantage les difficults que pourraient susciter les gouvernements soi-disant indpendants comme celui de lUkraine et dautres.

    Mon interlocuteur a bon espoir que la reprise des relations commerciales amnera une amlioration des conditions de la vie en Autriche, mais il n'est cependant pas aussi optimiste que certains journaux, comme par exemple la Neue Freie Presse qui voit dj toute la Russie ouverte ds maintenant et en quelque sorte rserve lavenir au commerce austro-allemand.

    Une autre personne tenant au Ballhausplatz nous dit quon a recommand tous les dlgus partis hier avec le comte Czernin pour Brest-Litovsk d'tre excessivement aimables et avenants lgard des dlgus de Lnine; on aurait, dessein, choisi parmi le personnel du Ministre de prfrence des fonctionnaires ayant une origine ou des relations juives. Vous savez que Trotski est isralite et sappelait autrefois Braunstein je crois; cest lui quon compte trouver Brest-Litovsk comme plnipotentiaire russe et on pense que ses corrligionnaires seront nombreux dans son entourage; le choix de dlgus accointances juives est donc un compliment Trotski.

    Je nai naturellement pas pu demander M. de Flotow de minitier aux conditions de paix quon va offrir la Russie, mais j ai pu comprendre quon s'attend fermement ce que Lnine laisse la Pologne, la Courlande et la Lithuanie disposer librement de leur sort futur.

    A titre de curiosit je joins ce pli une brochure Denkschrift ber Albanien als Manuskript gedruckt! Nicht fr die ffentlichkeit dans laquelle le prince dAlbanie et de Wied revendique ses droits tout en se montrant prt accepter une sorte de protectorat autrichien, mais se plaint en attendant de ce que ses futurs protecteurs lempchent de recevoir les visites de ses fidles sujets ou de correspondre avec eux.

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