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Éditorial Doit-on associer une fundoplicature à la myotomie de Heller ? Should fundoplication be added to Heller’s myotomy? Mots clés: Fundoplicature; Myotomie de Heller; Cardiospasme Keywords: Fundoplication; Heller’s myotomy; Achalasia La réalisation d’un geste antireflux après cardiomyoto- mie de Heller tient plus de l’habitude et d’une interprétation souvent personnelle de la physiologie de l’oesophage que des preuves scientifiques que requiert la chirurgie factuelle. La cardiomyotomie de Heller nécessite une dissection de l’oesophage abdominale avec une myotomie portant sur l’oesophage et le cardia. On peut imaginer qu’une telle intervention puisse générer un reflux gastro-oesophagien. La réalisation d’une fundoplicature préventive peut donc a priori se justifier. Cependant le caractère plus ou moins dysphagiant des différentes fundoplicatures ne peut être occulté. Associer un tel geste à des patients qui souhaitent bénéficier d’une intervention visant à supprimer une dysphagie invalidante peut paraître illogique. Après intervention de Heller la plupart des auteurs réalise une fundoplicature partielle qu’il s’agisse d’une fundopli- cature postérieure de Toupet ou antérieur de Dor. La fundoplicature partielle postérieure se veut efficace en tant que geste antireflux et sa fixation aux bords de l’oesophage ne ferait que maintenir ouverte la myotomie. La valve antérieure a pour avantage d’être peu dysphagiante, de pouvoir protéger la suture d’une éventuelle brèche mu- queuse et d’être de réalisation facile. Elle a contre elle de n’avoir jamais été scientifiquement validée comme geste antireflux. Quant à la fundoplicature totale dont l’efficacité contre le reflux n’est plus à prouver, elle a été rarement utilisée en association à une cardiomyotomie en raison de son caractère dysphagiant. Certaines publications font état de 30 % de réintervention pour dysphagie après Heller associé à un Nissen [1]. Des publications récentes préconisent l’abstention de tout geste antireflux après cardiomyotomie. L’expérience de Raiss et al. rapportée dans ce numéro des Annales, en est un bon exemple [2]. Ces publications rapportent un nombre équivalent de pHmetries pathologiques, 15 à 20 % [3,4], qu’il y ait eu ou non une fundoplicature partielle. Ces 15 à 20 % de reflux méritent-ils un geste antireflux préventif de principe ; geste qui n’est d’ailleurs pas toujours efficace à long terme ? C’est tout l’objet de la controverse. Autre argument pour ne pas réaliser de geste antireflux : l’efficacité croissante des inhibiteurs de la pompe à protons. Deux autres éléments doivent aussi être pris en compte dans la décision chirurgicale : la technique de la cardiomyo- tomie et la motricité oesophagienne. Si le Heller est réalisé tel que le préconisaient les anciens auteurs avec une dissection de l’oesophage abdominal et une myotomie descendant sur 3 cm d’estomac, un geste antire- flux semble souhaitable. Si au contraire la myotomie est réalisée sans disséquer les faces postérieure et latérales de l’oesophage, et qu’elle s’arrête au niveau de la ligne Z, quitte à s’aider pour cela d’une fibroscopie peropératoire [5], le risque de voir surve- nir un reflux postopératoire est probablement moindre. L’abstention de tout geste antireflux ou la réalisation d’une simple valve antérieure paraît justifiée. Concernant la motricité oesophagienne, une fundoplica- ture antérieure est sûrement préférable à une fundoplicature postérieure devant une « atonie » oesophagienne telle que l’on en rencontre dans les achalasies anciennes avec une dilatation importante de l’oesophage. En attendant les résultats d’une éventuelle étude contrô- lée, mais le jeu en vaut-il la chandelle ? une attitude pragmatique basée sur ces principes paraît raisonnable. Annales de Chirurgie 127 (2002) 743–744 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 3 9 4 4 ( 0 2 ) 0 0 8 9 2 - 1

Doit-on associer une fundoplicature à la myotomie de Heller ?

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Page 1: Doit-on associer une fundoplicature à la myotomie de Heller ?

Éditorial

Doit-on associer une fundoplicature à la myotomie de Heller ?

Should fundoplication be added to Heller’s myotomy?

Mots clés: Fundoplicature; Myotomie de Heller; Cardiospasme

Keywords: Fundoplication; Heller’s myotomy; Achalasia

La réalisation d’un geste antireflux après cardiomyoto-mie de Heller tient plus de l’habitude et d’une interprétationsouvent personnelle de la physiologie de l’œsophage quedes preuves scientifiques que requiert la chirurgie factuelle.

La cardiomyotomie de Heller nécessite une dissection del’œsophage abdominale avec une myotomie portant surl’œsophage et le cardia. On peut imaginer qu’une telleintervention puisse générer un reflux gastro-œsophagien. Laréalisation d’une fundoplicature préventive peut donc apriori se justifier.

Cependant le caractère plus ou moins dysphagiant desdifférentes fundoplicatures ne peut être occulté. Associer untel geste à des patients qui souhaitent bénéficier d’uneintervention visant à supprimer une dysphagie invalidantepeut paraître illogique.

Après intervention de Heller la plupart des auteurs réaliseune fundoplicature partielle qu’il s’agisse d’une fundopli-cature postérieure de Toupet ou antérieur de Dor. Lafundoplicature partielle postérieure se veut efficace en tantque geste antireflux et sa fixation aux bords de l’œsophagene ferait que maintenir ouverte la myotomie. La valveantérieure a pour avantage d’être peu dysphagiante, depouvoir protéger la suture d’une éventuelle brèche mu-queuse et d’être de réalisation facile. Elle a contre elle den’avoir jamais été scientifiquement validée comme gesteantireflux.

Quant à la fundoplicature totale dont l’efficacité contre lereflux n’est plus à prouver, elle a été rarement utilisée enassociation à une cardiomyotomie en raison de son caractèredysphagiant. Certaines publications font état de 30 % deréintervention pour dysphagie après Heller associé à unNissen[1].

Des publications récentes préconisent l’abstention de toutgeste antireflux après cardiomyotomie. L’expérience deRaiss et al. rapportée dans ce numéro desAnnales, en est unbon exemple[2]. Ces publications rapportent un nombreéquivalent de pHmetries pathologiques, 15 à 20 %[3,4],qu’il y ait eu ou non une fundoplicature partielle. Ces 15 à20 % de reflux méritent-ils un geste antireflux préventif deprincipe ; geste qui n’est d’ailleurs pas toujours efficace àlong terme ? C’est tout l’objet de la controverse.

Autre argument pour ne pas réaliser de geste antireflux :l’efficacité croissante des inhibiteurs de la pompe à protons.

Deux autres éléments doivent aussi être pris en comptedans la décision chirurgicale : la technique de la cardiomyo-tomie et la motricité œsophagienne.

Si le Heller est réalisé tel que le préconisaient les anciensauteurs avec une dissection de l’œsophage abdominal et unemyotomie descendant sur 3 cm d’estomac, un geste antire-flux semble souhaitable.

Si au contraire la myotomie est réalisée sans disséquer lesfaces postérieure et latérales de l’œsophage, et qu’elles’arrête au niveau de la ligne Z, quitte à s’aider pour celad’une fibroscopie peropératoire[5], le risque de voir surve-nir un reflux postopératoire est probablement moindre.L’abstention de tout geste antireflux ou la réalisation d’unesimple valve antérieure paraît justifiée.

Concernant la motricité œsophagienne, une fundoplica-ture antérieure est sûrement préférable à une fundoplicaturepostérieure devant une « atonie » œsophagienne telle quel’on en rencontre dans les achalasies anciennes avec unedilatation importante de l’œsophage.

En attendant les résultats d’une éventuelle étude contrô-lée, mais le jeu en vaut-il la chandelle ? une attitudepragmatique basée sur ces principes paraît raisonnable.

Annales de Chirurgie 127 (2002) 743–744

© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.PII: S 0 0 0 3 - 3 9 4 4 ( 0 2 ) 0 0 8 9 2 - 1

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Références

[1] Topart P, Deschamps C, Taillefer R, Duranceau A. Long-term effectof total fundoplication on the myotomized esophagus. Ann ThoracSurg 1992;54:1046–52.

[2] Raiss M, Hrora A, Menfaa M, Al Baroudi S, Ahallat M,Hosni K, et al. L’opération de Heller sans système antireflux. Àpropos de 123 cas. Ann Chir 2002;126:pages?.

[3] Richards WO, Sharp KW, Holzman MD. An antireflux procedureshould not be added to a Heller myotomy. J Gastrointest Surg2001;5:13–6.

[4] Kjellin AP, Granqvist S, Ramel S, Thor KB. Laparoscopic myotomywithout fundoplication in patients with achalasia. Eur J Surg1999;165:1162–6.

[5] Alves A, Perniceni T, Godeberge P, Mal F, Lévy P, Gayet B.Laparoscopic Heller’s cardiomyotomy in achalasia. Is intraoperativeendoscopy useful, and why? Surg Endosc 1999;13:600–3.

J. Chipponi*

Service de chirurgie générale et digestive, Hôtel-Dieu,boulevard Léon-Malfreyt, 63058 Clermont-Ferrand,

France

Adresse e-mail : [email protected]

* Auteur correspondant.

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