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BIBEBOOK ROGER DOMBRE FOLLA

Dombre Roger - Folla

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  • BIBEBOOK

    ROGER DOMBRE

    FOLLA

  • ROGER DOMBRE

    FOLLA

    1889

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1351-9

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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  • Credits

    Sources : Bibliothque lectronique dubec

    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

  • LicenceLe texte suivant est une uvre du domaine public ditsous la licence Creatives Commons BY-SA

    Except where otherwise noted, this work is licensed under http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/

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  • CHAPITRE I

    En veine de paresse

    V lindicatif prsent : Je marches Tu marche Ilparle Nous marchons Vous marchent Ils marchez.Imparfait : Je marches Il marchat Nous marchons Vous mar-chiez Ils marchent.

    Le reste de la page tait lavenant ; vous jugez par cet chantillon delapplication de llve. Elle trempait cependant sa plume jusquau fondde lencrier, ce qui rendait ses petits doigts bien noirs, et elle soupiraitbien fort. Or il est de foi que les soupirs navancent pas les devoirs, aucontraire.

    Et si vous aviez vu ce cahier satur de taches, de ratures et de correc-tions !

    Lasse davoir crit jusquau futur tant bien que mal, la llee posason porte-plume et leva le nez, un joli petit nez, ni rond ni pointu, souslequel souriaient une bouche rose et de petites dents de nacre.

    Elle sappelait Sophie, notre paresseuse ; mais elle portait si mal son

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  • Folla Chapitre I

    nom (car vous nignorez pas que Sophie veut dire sagesse), quon la sur-nommait Folla, ce qui lui seyait inniment mieux.

    Folla avait, outre sa bouche rose qui riait toujours, une chevelure fon-ce et boucle en constante rbellion, un menton fossee et de grandsyeux noirs, vifs et ptillants, qui devenaient doux comme une caresse lors-quelle tait srieuse un instant.

    Folla avait neuf ans ; la vie ne pesait gure ses mignonnes petitespaules, par consquent ; elle jouait sans cesse, et elle avait bien mal em-ploy ces quelques annes, ce quelle regreera plus tard, vous le verrez.

    Au jour o nous la trouvons la salle dtude, billant sur sa page chif-fonne, elle ne savait pas encore crire correctement un temps de verbe ;les quatre rgles de larithmtique se brouillaient dans sa petite tte delinoe, et les leons quotidiennes taient gnralement reprendre larcration. Aussi les livres, passablement corns, avaient-ils reu da-bondantes averses de larmes sur leurs pages ramollies.

    Et pourtant, sans son incurable paresse, Folla et t une adorableenfant, non par sa beaut et son espiglerie, dons, comme vous le savez,purement accessoires, mais cause de son cur dor et de sa franchiseexcessive.

    Tout le monde laimait la Seille, non seulement les matres de lamaison, mais les domestiques, les gens de la ferme, mme les animaux, etles pauvres qui passaient, qutant un morceau de pain ou un sou.

    Mais revenons la peu studieuse colire, qui avait dpos sa plumesur le bord du bureau, comme si elle et t bout de forces pour avoirbarbouill une page.

    Sauter de sa chaise la fentre (en passant par la table, bien entendu)fut laaire dune seconde.

    Folla pencha sa tte brune au dehors, dans un rayon de soleil qui len-veloppait dune lumire blouissante.

    Sapho ! ici, Sapho ! cria-t-elle un beau chien bondissant qui vintsarc-bouter des deux paes sur le rebord de la croise ouverte. Et les deuxamis rent dincroyables eorts, lune pour tendre sa joue ronde, lautrepour allonger sa grande langue rose.

    Sapho, veux-tu achever mon verbe ? Tu serais bien gentil ! La brave bte ne rpondit quen remuant la queue.

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  • Folla Chapitre I

    Cest heureux, les chiens ! pensa la llee soudain songeuse ; anapprend rien, ni lhistoire, ni la grammaire, ni surtout le calcul. Oui,cest bien heureux, les chiens ! ajouta-t-elle dans un soupir, en jetantun regard denvie sur la pelouse veloute o Sapho retournait stendre,puis sur les beaux arbres du parc tout verts et touus depuis quelques se-maines, et sur la pice deau o naviguaient les cygnes orgueilleux, leurslongs cous onduleux blancs comme la neige, plongeant gracieusement parintervalle dans leau bleue.

    Tout coup, sous le balcon de la salle dtude, qui tait au rez-de-chausse, apparut le bonnet de dentelle noire de M Milane :

    Arthur ! cria-t-elle en levant sa tte rouge et anime vers les croisesdu premier.

    est-ce, ma bonne amie ? rpondit une voix masculine. Du vermicelle ou du riz ? Ah ! cest le jour du bouillon ? Eh bien, va pour le vermicelle, voil

    deux fois quon nous sert le potage au riz ; et puis la petite laime mieux. Bien ! Et le front de la vieille dame sabaissa et disparut bientt

    dans les sous-sols, o M Milane laborait avec sa cuisinire un dnersoign.

    Bon, se dit Folla, qui avait clips sa mignonne personne derrirela persienne pendant ce court colloque, voil quon parle de bouillon : aprouve que six heures approchent. Fralen va ramener Juliee de sa leonde piano, et je serai gronde ; aussi il ny a pas de bon sens de me donner faire un verbe tout entier en une fois. Et mon thme anglais, qui nestmme pas commenc. Voil quon va encore me punir, et cest demaindimanche ! Je nai jamais de chance, moi. Si Juliee pouvait revenir sansFralen, elle maiderait ; mais elles rentreront ensemble. Si mademoisellepouvait avoir la migraine !. . .

    Folla rougit aussitt de sa mauvais pense : Voil que je deviens mchante, maintenant ! Souhaiter du mal ma

    matresse ! Je laime pourtant bien. . ., surtout quand elle ne gronde pas.Voyons, crivons vite.

    Futur antrieur :Jaurai march Tu seras march Nous aurions mar-ch. . .

    Moi, jaimerais mieux du riz ; le vermicelle, a nen nit plus. . .

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  • Folla Chapitre I

    Vous auriez march. . . Bien ! jentends la voix de Fralen ! Mon Dieu, mon Dieu ! que va-

    t-elle dire ! Elle me privera de ma leon de musique de mardi, et jai djmanqu celle daujourdhui ; moi qui aime tant la musique et M. Walter !Dire quon na pas plutt lide de me priver de dessert !

    Au mme instant, comme Folla, rouge et confuse, baissait le nez surson cahier, une autre llee du mme ge environ entrait dans la salledtude.

    Juliee tait plus grande et plus lance que Folla. Ctait une fortjolie enfant, aussi blonde, dun blond fonc, avec un teint blond et rose,des traits ns et de beaux yeux noisee au regard tranquille et un peu er.Seulement il manquait sa gure lexpression de bont et de franchiseinnie qui se lisait sur celle de sa campagne.

    Les deux petites lles ne se ressemblaient aucunement ; ce qui navaitrien dtonnant, puisque nul lien de parent ne les unissait, quoiquellesfussent persuades du contraire.

    Elles taient unies comme deux surs et se croyaient cousines.Juliee tait la petite-lle de M. et M Milane ; son pre et sa mre

    taient morts depuis quelques annes, et, sous la douce tutelle de sesgrands-parents, elle slevait, excessivement gte, choye et adule.

    Aussi ntait-elle pas loigne de se croire une petite perfection mo-rale et physique. Son naturel, bon et doux au fond, saltrait progressive-ment sous la perptuelle admiration dont elle tait lobjet.

    Il ny avait gure dans la maison que son institutrice, M Cayer, quinen ft pas son idole et ne lui pargnt point les remontrances, en dpitdes grands-parents, qui nadmeaient pas cela.

    En vrit cependant, sauf ceux-ci, on prfrait Folla ; seulement onadulait la petite Kernor pour complaire aux matres, chose assurmentblmable, qui rendait un bien mauvais service la petite goste.

    Et Folla, qui donc tait-elle, si elle ntait ni la petite-lle ni mme lapetite-nice des chtelains de la Seille ?

    Mon Dieu, tout simplement une enfant adopte, une sur de lait deJuliee, pas autre chose.

    Il y avait environ neuf ans de cela : Gervaise, la nourrice de ceedernire, partageait ses soins et son lait entre la petite Kernor et sa propre

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  • Folla Chapitre I

    lle.Gervaise habitait avec son mari une ferme aux environs dAvignon.Le mdecin de M Kernor ordonna pour leur bb, qui tait ne frle

    et maladive, lair pur de la campagne et le soleil. Voil pourquoi, malgrles larmes de la jeune mre, on cona la petite lle Gervaise.

    Lexcellente femme prodiguait si bien ses soins ses deux nourrissons,quon ne savait laquelle elle montrait le plus damour.

    Sophie et Juliee ttrent, vagirent, jourent et grandirent donc deconcert.

    Toutes deux mignonnes et gentilles, elles se ressemblaient beaucoup ;dailleurs, cet ge, tous les bbs sont semblables ou peu prs ; ellesavaient galement un teint clair, une bouche rose, des yeux foncs et unevoix argentine. On les et confondues certainement sans le costume quidirait, riche chez lune, pauvre mais propre chez lautre. la longue,les cheveux blonds de lenfant de Gervaise brunirent progressivement,tandis que Juliee garda ses boucles mordores.

    Pendant que leur lle prosprait chez sa nourrice, M. et M Kernorvoyageaient en Italie. leur retour ils sarrtrent Avignon pour re-prendre leur trsor, alors g dune quinzaine de mois.

    Ils trouvrent la petite ferme en grand moi ; il courait dans le paysune vague rumeur : un crime avait t commis.

    La Gervaise pleurait, la tte cache dans son tablier, tandis que lesbbs criaient, demandant vainement leur soupe.

    La Gervaise tait bien malheureuse ; son homme avait disparu de-puis la veille, et des langues malveillantes disaient que le coup pouvaitbien venir de lui.

    M. et M Kernor la consolrent de leur mieux, mais ce ntait pointtche facile.

    En mme temps ils caressaient les deux mignonnes, surtout la petiteSophie, qui avait les yeux noirs de M Kernor et le sourire de son mari.

    andGervaise fut apaise et capable de parler et dentendre, la jeunefemme lui montra Sophie :

    Cest la mienne, nest-ce pas, nounou ? Dire quil y a plus dun anque jai qui mon enfant, et que jhsite la reconnatre.

    La vtre, madame, cest celle-ci , t Gervaise en dsignant Juliee.

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  • Folla Chapitre I

    Et elle se couvrit de nouveau le visage pour sangloter de plus belle.Vraiment, lide quon lui enlevait son nourrisson ntait point faite

    pour tarir ses larmes.M Kernor lcha la petite Sophie pour presser Juliee contre son

    cur. Celle-ci navait rien des Kernor, ctait vrai ; mais elle tait plusfrle, plus blanche, et enn, dans la suite, on retrouverait mieux chez elleles traits de la famille ; mme, en la bien considrant, on lui dcouvraitune vague ressemblance avec un aeul de M. Kernor.

    Gervaise fut comble de prsents et de bonnes paroles : elle avaitsi bien soign Juliee ! Mais tout cela parut redoubler son chagrin, aucontraire, et le soir la trouva seule la mme place, pleurant toujours,sans que les cris suppliants de Sophie parvinssent larracher sa dou-leur.

    Et son homme ne revint jamais.

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  • CHAPITRE II

    Lenfant de Gervaise

    E aprs, le grand-pre et la grand-mre Milane ve-naient mlancoliquement sinstaller la Seille, jolie propritquils possdaient en Dauphin.Ils taient tristes, car ils adoraient les enfants et ne pouvaient jouir deleur petite-lle ; leur gendre, dun caractre un peu entier, ne sympathi-sait pas avec eux, et aprs quelques discussions pnibles la brouille staitmise entre les deux mnages.

    M Kernor en sourit beaucoup, mais elle ne put dcider son mari oublier sa rancune.

    Si du moins ils nous envoyaient la petite de temps en temps ! soupiraient les Milane.

    Voil pourquoi leur riche appartement de la rue Lafayee Paris etleur gentil chteau de la Seille leur paraissaient vides et froids.

    Il arriva quun jour M Milane, qui tait une matresse de maisonaccomplie, pesait le sucre destin ses contures dans la cuisine de la

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  • Folla Chapitre II

    Seille, lorsquon vint la prvenir quune vieille femme demandait luiparler.

    and M Milane eut quilibr les deux plateaux de la balance etrecommand sa cuisinire de ne pas laisser saacher la gele au fonddu chaudron, la bonne dame alla au vestibule, o laendait la visiteuse.

    Ctait une villageoise avignonnaise, tenant dans ses bras une petitelle brune et jolie, mais chtive, qui ouvrait de grands yeux ears.

    Madame, dit la paysanne avec une brusque franchise, vous souvenez-vous de la Gervaise, qui a nourri votre petite-lle ?

    Certainement. Comment va-t-elle, cee bonne Gervaise ?Ah !madame, faut-y quy ait des gensmalheureux dans cemonde !. . .

    La pauvre femme nest plus de cee vie lheure quil est. Vl sa ptioune,quest orpheline, pchre ; la Gervaise ma dit comme a de vous lame-ner, que vous tiez bonne, que vous lui donneriez pt-tre bien une placedans votre maison jusqu ce quelle soit en tat de gagner son pain.

    MMilane fut mue de cee conance nave. Elle aira elle lenfant,qui lui passa immdiatement ses petits bras autour du cou. Cee marquede tendresse spontane mit des larmes dans les yeux de la bonne dame,qui songea soudain aux caresses de la petite Juliee, dont elle tait prive.

    Elle alla trouver son mari, lui montra Sophie, lui conta laaire, et il setrouva que le mme soir lAvignonnaise quiait le chteau, bien reposeet restaure, laissant en bonnes mains la llee qui lui avait cone.

    Cest ainsi que, par une sorte dadoption qui devint plus srieuse mesure quon saacha davantage elle, Sophie, autrement t Folla ouFollee, devint lenfant de la maison.

    and on la vit bien peigne, bien lave et gentiment habille, on latrouva ravissante.

    Elle recouvra bien vite la gaiet de son ge ; elle avait des mines ado-rables, des rexions amusantes ; elle remplissait de rires et de gazouille-ments joyeux tour tour le chteau dauphinois ou lappartement pari-sien, selon la saison, et M. et M Milane songrent moins regreer leurpetite-lle loigne deux.

    and Folla eut aeint une sizaine dannes, un nouvel vnementsurvint chez ses parents adoptifs : M. Kernor mourut presque subitement,

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  • Folla Chapitre II

    et sa femme ne tarda pas steindre, mine par le chagrin, et malgr lessoins de son pre et de sa mre.

    La petite Juliee se trouvait orpheline son tour, sous la tutelle de sesgrands-parents, quelle connaissait peine.

    Les Milane taient donc en possession de deux llees, dont une seuleleur appartenait par les liens du sang.

    Maintenant quils avaient recouvr leur trsor si longtemps convoiten vain, que faire de Folla ? Certes, il et t cruel de la renvoyer, dur dela faire descendre au rang de paysanne, prsent quelle avait reu uneducation soigne et vcu dune vie luxueuse. M. et M Milane avaient lesens trop droit et le cur trop bon pour agir ainsi ; ils la gardrent commejadis.

    Folla se croyait leur petite-nice et la cousine de Juliee, quelle ado-rait, et elle appelait M. et M Milane bon papa et bonne maman, commeJuliee.

    Elle ne jalousait point sa sur de lait, quoiquelle st parfaitement quecelle-ci tait lunique enfant de la maison et lunique hritire des Kernoret des Milane.

    Ceux-ci, malgr leur bont, et perdus quils taient dans leur idol-trie, parlaient souvent leur petite-lle de choses de lavenir quil ne luitait pas utile de connatre encore ; mais cela ne faisait pas une ombre aubonheur de Folla ; elle ntait pas mme ariste de la prfrence quellevoyait accorder Juliee. Presque leur insu, les grands-parents mani-festaient beaucoup plus de tendresse lenfant de leur lle, ce qui taitassez naturel en somme, et toutes les gteries taient pour elle. Folla sen-tait dinstinct quelle leur tait plus indirente que par le pass, maiselle nen chrissait pas moins ses bienfaiteurs, et trouvait tout simple quesa petite compagne airt elle toutes les louanges et les caresses. Ellese croyait bien infrieure Juliee ; elle la voyait plus belle, plus intelli-gente, plus raisonnable quelle, et cependant, nous lavons dj dit, JulieeKernor avait une petite dose dgosme et de susance qui la meait enralit au-dessous de lenfant de Gervaise.

    Elle aimait certainement beaucoup Folla, mais par un sentiment per-sonnel ; Folla jouait avec elle, se prtait tous ses caprices, faisait sescommissions ; puis la paresse de lune meait en relief les capacits de

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  • Folla Chapitre II

    lautre.Sans Folla, Juliee se ft ennuye srement, surtout lt, entre M

    Cayer et ces deux vieillards qui la choyaient qui mieux mieux, mais nelgayaient pas.

    Revenons au fameux samedi o la paresseuse, fort penaude, vit entrer la salle dtude son amie Juliee, par bonheur sans Fralen.

    Dis donc, Lili, t-elle en bondissant, jai dcouvert un endroit duparc, du ct de la glacire, o nous pourrons btir notre maison sanstre dranges, et bon papa ne dira plus que nous abmons le terrain.

    Allons-y tout de suite ! Tiens, aide-moi enler mon tablier. Cest que. . . je nai pas ni mes devoirs, rpondit Folla en baissant

    la tte. Pas ni ? Fralen va te gronder. Les petits bras nus de la coupable retombrent le long de son sarreau

    de toile. Oh ! que je suis malheureuse ! Et lon te privera encore de rcration, et nous ne pourrons pas

    nous amuser. Tu es bte, aussi. Sais-tu que M. Walter ntait pas contentde ne pas te voir arriver ? Il a dit que, si tu continues, tu ne seras jamaiscapable de jouer convenablement un morceau de piano, et que tu perdrastes excellentes dispositions.

    Folla clata en sanglots. Et si lon menlve ma leon de musique de mardi ! Jaimerais mieux

    navoir point de rcrations jusqu aprs-demain.Merci ! t Juliee en faisant la moue ; et moi donc, avec qui jouerai-

    je ? Tu sais bien que je naime pas mamuser seule. coute : Fralen seralongue se dshabiller, car il fait trs chaud ; je vais un peu voir tes devoirset te dicter la suite. Passe-moi ton verbe dabord. Mais il y a des fautes toutes les personnes, ma pauvre Folla ! Fralen va tre en colre. Corrigetoi-mme, on reconnatrait mon criture.

    Les petites lles se mirent louvrage, et tout tait peu prs terminet passablement fait quand leur institutrice parut.

    La cloche du dner les t senvoler comme deux hirondelles, et ellesallrent en gazouillant se laver les mains et se faire recoier.

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  • Folla Chapitre II

    table Juliee mangea si peu, que M Milane salarma. M Cayer larassura.

    Madame, cest bien sa faute ; Juliee a mang une demi-douzainede gteaux chez le ptissier aprs sa leon. Je lui ai bien dit que a luienlverait lapptit pour dner ; mais elle na pas voulu mcouter.

    Oh ! t la grand-mre, elle a au moins mang ce qui lui plaisait,nest-ce pas, mignonne ? Elle se rarapera demain sur les choses solides.

    Et tu nas pas pens rapporter Folla quelques friandises ? de-manda M. Milane Juliee, qui rougit.

    Si, bon papa, jy avais pens, rpondit-elle, et jemporterais des bis-cuits pour elle, seulement. . . javais faim encore en chemin, et je les aicroqus dans la voiture pour moccuper.

    Voyez-vous la petite gourmande ! dit M Milane en embrassant lallee, toujours place sa droite.

    Nest-ce pas un peu le fait dune goste ? t observer M Cayer. Ma foi ! oui, dit M. Milane. Bah ! reprit la grand-mre, tous les enfants sont ainsi. Dailleurs,

    Folla nen mourra pas pour se passer de biscuits, elle a tout ce quil fautici ; si elle ne stait pas fait priver de sa course en ville, cela ne serait pasarriv.

    Bien sr que je nen mourrai pas, dit gaiement Folla ; Lili a bien faitde manger ces gteaux, si a lui faisait plaisir.

    Le repas sacheva sans autre incident. M Milane soccupait exclusi-vement de sa petite-lle, la servant avant tout le monde et lui choisissantles meilleurs morceaux.

    Aprs le dessert, les llees coururent au jardin, o les jours, trslongs ce moment, leur permeaient de jouer le soir ; elles dbairent laquestion de lemplacement de leur construction ; comme toujours, Julieeimposa sa volont, et Folla cda.

    huit heures et demie, on les appela au salon. Juliee, qui aimait lalecture, prit un livre amusant, un livre trs beau, prsent de son bon papa,fournisseur habituel de sa bibliothque enfantine.

    Folla prfrait la musique ; elle ouvrit le piano et joua en sourdine,pour ne point fatiguer ses grands-parents, tout son petit rpertoire.

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  • Folla Chapitre II

    neuf heures il fallait se coucher sans rcriminer. Folla y alla aprsavoir embrass tout le monde la ronde. Juliee, elle, ne prit son bougeoirquaprs avoir galop un grand moment sur le genou de M. Milane, etaprs avoir reu les interminables caresses de sa grand-mre.

    Les deux jeunes lles semirent genoux pour faire leur prire. Julieela rcitait machinalement, mais correctement.

    Folla tait distraite par unemouche qui bourdonnait en cherchant seposer le long des murs ; mais elle pensa tout coup de pauvres enfantsaams et demi nus quelle avait vus dans la journe, et qui lui avaientfait grand-piti ; elle se rappela combien elle stait trouve heureuse encomparant son sort au leur, et elle remercia le bon Dieu de ses bienfaits.

    Elle fut bientt endormie, de sorte quelle ne vit pasMMilane appor-ter sa petite compagne un verre de sirop, puis ramener le couvre-piedssur son petit corps, et embrasser encore maintes fois la jolie blondine,quoique celle-ci murmurt avec fatigue : Assez, bonne maman, assez !je veux dormir.

    Juliee ne se levait pas avant huit heures, moins quelle ne sveilltplus tt ; ce qui arrivait quelquefois en t, jamais en hiver.

    Folla, au contraire, tait toujours sur pied avant sept heures ; alors ellepassait son petit peignoir et ses pantoues, et, schappant sans bruit dela chambre, elle allait jouer de la guitare sous les arbres silencieux du parc.

    Musicienne dans lme, elle avait la voix et loreille dune justesseadmirable et cherchait, soit sur le clavier, soit sur les cordes, tous les airsquelle avait entendus.

    Malgr son trs jeune ge, M. Walter la considrait comme llve quilui donnait le plus de satisfaction, et la n de la leon de piano il y avaittoujours un quart dheure pour la guitare. Ce qui explique pourquoi laplus grande punition quon pt iniger la petite lle paresseuse tait delui enlever son heure de musique.

    Folla ntait paresseuse que pour ses tudes de franais et de langues,jamais pour tre matinale, sauf peut-tre quand il gelait fort, lhiver ; ja-mais non plus quand il sagissait de rendre un service, de courir chercherles lunees de bonne maman, lventail de mademoiselle, tandis que Ju-liee faisait la sourde oreille quand on disait : i est-ce qui va me faireune commission ?

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  • Folla Chapitre II

    Or le matin du dimanche o nous retrouvons les deux petites lles,elles taient habilles pour aller la messe. Leur costume tait le mmequant la couleur et la forme des vtements, mais la robe de Folla taitun simple lainage garni de dentelles communes ; celle de Juliee tait enfoulard et garnie de nes guipures.

    Pour expliquer cee dirence, on disait que Folla tait une lutine quiportait constamment le dsordre sur elle et autour delle, et par cons-quent ne pouvait avoir de riches vtements.

    En cela on avait raison ; mais Juliee, quoique moins vive, navaitgure plus de soin.

    Or, ce dimanche, comme la chaleur tait supportable, on permit auxdeux petites lles daller la messe pied, tandis que les grands-parentssy rendaient en voiture. Elles samusaient gambader, leurs petitesjambes nues dans leurs chaussees roses, ou cueillaient les eurs tiolesdes haies, tandis que M Cayer troait dlibrment dans la poussire encausant avec la femme du maire, quon avait rencontre.

    Au milieu de leurs bats, les llees se trouvrent face face avecun vieux pauvre qui leur demanda laumne en balbutiant des parolesbizarres.

    Sauvons-nous, il est fou, murmura Juliee loreille de sa sur delait.

    Eh ! non, il est inrme seulement, rpondit Folla, et il nest pas dupays.

    Juliee avait dans sa poche une petite bourse bien garnie ; mais elle nesongea mme pas lallger en faveur du mendiant, tandis que Follee,qui navait pour tout bien que onze sous, vida son porte-monnaie dans lamain du pauvre homme.

    Celui-ci, au milieu de ses bndictions, laissa tomber son bton ; il secourba en gmissant pour le relever, car il tait perclus de rhumatismes,mais Folla le prvint et le ramassa prestement.

    Comment as-tu os toucher cee areuse canne toute noire ? nas-tu pas vu que cet homme a les mains trs sales ? disait la petite Kernor sacousine comme elles couraient sur la route, les cloches sonnant grandevole. Moi, je ne laurais pas touche pour un empire !

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  • Folla Chapitre II

    Mais, Lili, il naurait jamais pu relever sa canne tout seul, ou bienil y aurait mis un quart dheure, et en se faisant mal, encore.

    Tu lui as donn tout ton argent ? Oh ! il ny en avait pas beaucoup. Heureusement que cest demain

    lundi.as-tu donc fait de ta semaine ? Moi, jai mes dix francs presque

    intacts. Comment ty prends-tu donc ? t son tour Folla, navement ad-

    mirative. Je garde mon argent, voil tout. Eh bien, moi, je ne sais pas comment je marrange, mais il sen va

    toujours trop vite. Cest bien simple, dit alors M Cayer, que les enfants avaient re-

    jointe et qui les entendait causer ; Follee dpense son argent non pourson propre agrment, mais parce quelle nest point avare et quelle a lecur gnreux. Je sais o passe sa semaine, qui dailleurs nest que decinq francs, et dautres pourraient le dire avec moi. Demandez la mreRabu comment elle a pu acheter des remdes pour sa douloureuse mala-die. Demandez la petite Mlie pourquoi elle ne marche plus nu-piedslorsquelle va lglise, ou dans les champs quand il a beaucoup plu. Etqui est-ce qui a pay laccordon du petit garon inrme qui aime tant lamusique, et le chle de la brave Tevr, dont la lle est poitrinaire ?

    Folla tait toute rose de confusion et de plaisir, et Juliee baissait hon-teusement la tte : elle avait compris la leon.

    De fait, celle-ci ntait point gnreuse, non peut-tre par lamour delor, mais parce quelle tait goste, tenait son bien, et ne se meaitjamais la place des autres pour songer leurs besoins.

    Paris, chaque hiver, on qutait auprs des enfants riches les vieuxjouets et les vtements hors de service ; il fallait arrter Folla, qui voulaitdonner tout ce quelle avait, mme ses poupes neuves et ses livres lesplus beaux.

    Juliee ne se sparait quavec regret de quelques vieilleries dont onne pouvait plus rien faire et de quelques joujoux dteints et abms donton pouvait peine se servir.

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  • Folla Chapitre II

    Voil donc nos llees lglise, priant tantt avec distraction, tanttavec pit. Juliee tait coquee : elle se savait jolie et admire, cela nelui dplaisait point.ant Folla, elle ne sinquitait gure de ces choses-l ; ce qui venait la distraire ntait pas la pense que sa robe seyait bien son petit visage, le ruban rose ses boucles brunes, mais plutt une grossemouche remuante qui entrait dans le bonnet tuyaut dune paysanne, oubien les maladresses de lenfant de chur ; rien nchappait son ilespigle. Mais, ds quelle pensait quon se trouvait lglise, vite ellereprenait son livre et sa gravit.

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  • CHAPITRE III

    Poulets perdus

    L, lles jouaient dehors, le temps tantfort beau. Un peu avant le dner, elles obtinrent la permissionde samuser au bout du parc.Or, de lautre ct de la haie, slevait une petite ferme appartenant unpauvre mnage dont les enfants, pour tre moins nombreux la niche ,taient serviteurs ou bergers dans de plus grandes mtairies des environs.

    Ce jour-l, la mre Serriau et son homme taient en violent moi :un oiseau de proie, buse ou corbeau, on ne savait, avait jet le dsar-roi dans la basse-cour ; les volailles, eares, fuyaient de tous cts avecdes piaillements de dsespoir. Cela durait depuis une heure environ. Surles vingt-deux poulets qui composaient la basse-cour, on navait pu enrunir quune dizaine. Les autres piaulaient dans la campagne, perdus,pouvants.

    Combien en restaient-ils de vivants ? car le pre Serriau avait recueillidans un buisson le cadavre ensanglant dune poussin demi rong.

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  • Folla Chapitre III

    Le couple infortun geignait fendre lme ; comment raraper lesfuyards prsent ? Voil que la nuit allait tomber, et ceux qui se cachaientsous les buissons se garderaient bien de se montrer.

    En coutant le rcit de ce dsastre, Folla nhsita pas venir en aideaux pauvres gens, tandis que Juliee demeurait immobile, regardant lesalles et venues des Serriau.

    Le pre Serriau gardait, en les appelant doucement, une grosse pouleet ses petits. Follee semit louvrage ; petite et lgre, elle se glissait dansles trous des haies, enjambait les fosss, grimpait au fate des buissonsdpines sans souci de ses mollets et de ses mains, qui sy dchiraientcruellement.

    Tenez, madame Serriau, en voil un, deux ! Prenez garde ce petitnoir qui se sauve de votre ct, arapez-le au passage ; et celui-ci, quatre !Ne les laissez pas chapper. Portez-les vers la mre. Il nen reste plus quesept retrouver, puisque le vingt-deuxime est mort. Encore un, voyez ;il est bless laile, il ne peut pas courir. Ma foi ! je ne sais gure o secachent les autres.

    La mignonne parvint cependant les raraper tous et aida la mreSerriau, peu experte en calcul, compter les btes runies : il y avait bienle compte.

    La cloche du dner ayant sonn depuis quelques minutes, les petiteslles, en se tenant par la main, coururent la maison.

    Elles entrrent rouges et essoues la salle manger, o lon com-menait sinquiter de ne pas les voir.

    Juliee avait conserv sa petite robe intacte et presque propre sous letablier blanc ; mais Folla, grand Dieu ! en quel tat elle se prsentait ! Sesjambes nues taient ensanglantes, ses mains gratignes, ses vtementssouills et dchirs, ses cheveux embroussaills.

    Folla fut vertement gronde et dut aller rparer le dsordre de sa toi-lee. Juliee essaya de la dfendre en racontant lincident des poulets eten disant comment la petite lle avait rendu service aux Serriau ; mais onne comprit rien cee histoire, trop prcipitamment narre, et, pour prixde sa bonne action, Folla ne reut que des admonestations.

    Le lendemain cependant, en se promenant avec Fralen, on rencontrala mre Serriau.

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  • Folla Chapitre III

    Ah ! mademoiselle, dit-elle linstitutrice dans son patois peinecomprhensible en sa bouche dente, la bonne petite lle que mamzelleSophie !Mes poulardes tions tous perdus sans elle. Elleme les a retrouvsles uns aprs les autres, mme que les buissons lui zont tout pin lesjambes et les doigts. Sans a mon homme et moi tions bien empchs,que a faisait ben une pice de six francs perdue par bte, puisque je leslevons pour les engraisser.

    Justice fut donc rendue lenfant complaisante, et on ne lui reprochaplus sa robe fripe. Mais, hlas ! les gronderies nen pleuvaient pas moinschaque jour sur la paresseuse, dont les devoirs taient cribls de fautes, etlt ne scoula point sans que les leons de piano et de guitare fussentsouvent remplaces par un pensum.

    Une autre fois on fut en plus grand moi encore au chteau, M Follastant fait chercher pendant trois quarts dheure.

    Voil ce qui tait advenu.En poursuivant un beau papillon-sphinx, la petite tait sortie de la

    cour ; il ny avait personne dans le chemin ; aprs y avoir couru lespacede quelques mtres, elle aeignit le joli insecte, quelle rendit la libertaprs lavoir examin de prs, car elle avait trop bon cur pour lui fairedu mal, et sapprta revenir sur ses pas.

    Mais elle entendit des cris areux qui partaient dune chaumire si-tue non loin de l sur la route.

    Bon, pensa-t-elle, que se passe-t-il chez les Moussard ? Ce sont desgens qui ont toujours du malheur : si jallais voir ? Elle secoua la pous-sire brillante que le papillon avait laisse ses doigts, et courut la ma-sure ; ce ntait pas une ferme, mais plutt un btiment triste et noir, en-tour dun jardinet moisi o picoraient quelques poules sur un fumiernausabond.

    Un roquet aboyait avec frnsie ; par terre, assise sur le sol nu, unepetite crature de quatre cinq ans, vtue seulement dune chemise etdune jupe, mal peigne et trs barbouille, tenait sur ses genoux un bbde six huit mois dj en robe, et qui se tordait en poussant des crisdaigle.

    Un peu plus loin, une autre llee, de deux ans peu prs, jouait avecdes morceaux de bois.

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  • Folla Chapitre III

    Celle qui faisait la maman ne savait gure remplir son rle et nenavait gure la force non plus ; ses bras, trop faibles, tenaient le bb toutde travers, ou le secouaient par moments, sans quelle et lintention delui faire du mal. Le pauvre petit geignait fendre lme, et pleurait en setordant convulsivement.

    Mais tu vas le blesser ? cria Folla, qui accourait ; aends, je vais temontrer le porter comme il faut.

    Et, enjambant sans faon la mince barrire qui dfendait lentre dujardinet, elle enleva lane des enfants le poupon, qui cessa de crier dsquil se sentit dans des bras plus vigoureux et surtout plus adroits. Follasassit sur une pierre, tandis que le petit garon la contemplait de ses yeuxbleus tonns, en suant consciencieusement son pouce.

    Il est bien plot, ton frre ; quel ge a-t-il ? demanda-t-elle la llee. Je ne sais pas. Et toi, quel ge as-tu ?atre ans, je crois. Et on te donne le petit garder ? Faut bien, la mre lave. Par bonheur, Folla avait des drages dans sa poche ; elle les distribua

    aux deux anes, qui se jetrent dessus, et elle t jouer le tout petit, quise mit rire.

    Est-elle alle bien loin, ta maman ? reprit-elle.e non ! elle va revenir. La pauvre femme disait bien toujours : Je vais revenir, soyez sages ,

    pour faire prendre patience aux marmots ; mais il fallait du temps poursavonner le misrable linge de la famille.

    Elle ne reparut quau bout de vingt minutes et t de grands remercie-ments la petite demoiselle du chteau.

    Votre lle est trop jeune pour soigner un bb de cet ge, lui ditFolla.

    Eh ! mademoiselle, il le faut pourtant ben ; mais je ne mabsentejamais longtemps. Faut ben que les mioches shabituent de bonne heure se rendre utiles, mais une autre fois jemporterai le petit et ltendrai surune couverture terre, prs de moi, pendant que je laverai.

    Il na pas bonne mine.

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  • Folla Chapitre III

    Ma foi non, le pauvret ! Pensez donc, un enfant que jai d sevrer quatre mois.

    Sitt, comment le nourrissez-vous ? Je lui donne le biberon, et puis la soupe quand il en veut, et des

    tisanes. Folla fut prise de piti pour le malheureux tre : coutez, madame

    Moussard, t-elle, je dirai bonne maman de vous donner nos anciensvtements pour vos enfants, puis de meilleures choses boire pour cepetit malade.

    Vous tes ben aimable, mademoiselle, et a ne sera pas de refus :on a ben de la misre chez nous, et ce sera ben de la charit que de nousvenir en aide.

    son retour, quoiquelle et couru toutes jambes, Folla fut encoregronde ; car elle arrivait trs en retard pour ltude, et lon se tourmentait son sujet.

    Elle ne raconta ce qui avait caus sa fugue qu sa cousine, la rcra-tion suivante (rcration corne pour elle), et lui t part de son projet dedemander leurs anciens vtements bonne maman pour les petits Mous-sard.

    Cest que, rpondit Juliee, je comptais quils serviraient nos pou-pes ; il y a des robes de piqu et de anelle qui iraient si bien Lydie, magrande blonde.

    Mais les petits Moussard en ont bien plus besoin que nos poupes. Oui, mais cet hiver bonne maman leur en coudra ou tricotera elle-

    mme de moins jolies. Et ils aendront tout ce temps ? Non, par exemple ; garde tes af-

    faires, toi, pour ta Lydie, si tu veux ; moi, je demanderai les miennes bonne maman pour les pauvres. Bonne maman a assez travailler pourles malheureux de Paris dans son hiver.

    Et tu as os tenir sur tes genoux ce baby malpropre ? Tiens ! lautre lui faisait mal. Et tu tes assise dans cee cour sale, peut-tre pleine de puces et de

    btes ? Je ne pouvais pas leur demander de la balayer pour moi, bien sr !

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  • Folla Chapitre III

    Dailleurs je me suis lav les mains. Laisse-moi aller trouver bonne ma-man.

    Non seulement M Milane consentit ce que Folla portt aux Mous-sard un gros paquet de vtements encore trs bons, mais elle y joignit unpeu dargent, et plusieurs botes de farine lacte pour le dernier petit.

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  • CHAPITRE IV

    En mer

    O aux bains de mer : Juliee grandissait beaucoup,tait ploe ; bref, on partit. Comme M. et M Milane crai-gnaient lair frais du Nord, on stablit Montpellier, en dehorsde la ville, sur la route de Pallavas, an de se rendre facilement au bainchaque jour. On samusa beaucoup sur cee bonne petite plage mditer-ranenne, assez frquente et cependant paisible.

    Ctait si divertissant de courir dans leau sale, vtu seulement dunsimple costume de bain, les cheveux oant au vent du large, de sbaredans la vague bleue qui vous roulait, vous emportait et vous rapportait aurivage ; puis dapprendre nager avec le baigneur, ce vieux marin qui ai-mait tant les enfants et qui leur jouait des tours, en les plongeant jusquaufond quand ils faisaient la grimace londe froide.

    Et ce beau soleil qui dorait les ots ou les rougissait lheure du cou-chant, qui brunissait la peau et fortiait le corps !

    Et les bonnes parties quon faisait en bateau, quand la mer ntait pas

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  • Folla Chapitre IV

    grosse ! et les moules que lon cueillait dans les rochers, et les promenadesaux environs de Montpellier !

    Folla eut pourtant un jour une grande dception : M Cayer, qui avaitdes amis voir Cee, avait obtenu dy emmener les deux petites lles.Celles-ci se faisaient une joie de ce voyage ; on devait partir le jeudi matin,pour ne revenir que par le train du soir.

    elle fte ! et comme on allait samuser ! Mais voil que la veille,donc le mercredi, les enfants, aprs avoir beaucoup jou la mer et prisleur bain, gotrent chez le meilleur ptissier de la ville.

    Nous avons dit que Juliee Kernor tait goste et coquee, nousavons oubli dajouter un troisime dfaut : la gourmandise.

    Lorsque Juliee aimait quelque chose, elle ne sen privait jamais ; maiselle net pas touch pour un empire ce qui ntait pas de son got.

    Aussi quarriva-t-il ce jour-l pour leur malheur toutes les deux ?cest quelle dvalisa si bien la boutique du marchand, quelle dut senrepentir cruellement.

    Les llees se couchrent le soir en admirant la srnit du ciel, quipromeait pour le lendemain une journe magnique.

    Mais les petites lles proposent, et Dieu dispose, surtout quand il a punir.

    Au milieu de la nuit, Juliee se rveilla fort malade, et Folla courutchercher sa grand-mre ; la pauvre Folla seulement se demandait avec in-quitude ce quil allait advenir de la partie projete. Toute la maison futbientt sur pied, car Juliee tait prise dune formidable indigestion etsourait rellement beaucoup. Aprs les premiers soins donns la ma-lade, bonnemaman, dsole, la transporta chez elle pour lamieux dorloteret pour que Folla pt se rendormir en paix.

    Et voil que, le matin, M Cayer vint faire lever la seule de ses lvesqui ft capable de laccompagner. Folla fut bientt prte et alla frapper la porte de M Milane pour avoir des nouvelles de sa cousine et faire sesadieux.

    Ah ! tu pars ? t languissamment Juliee en rouvrant les yeux aubruit de la porte. Comme je vais mennuyer, moi, toute seule, prsentque je nai plus mal !

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  • Folla Chapitre IV

    Aussi M Milane dcida-t-elle que Folla resterait la maison pouramuser la malade.

    Mais, madame, dit alors M Cayer outre, il me semble que si Ju-liee est sourante, cest bien par sa faute ; ni vous ni moi navons pulempcher de goter aussi copieusement hier. La petite Folla, qui a tplus raisonnable, ne doit pas tre prive dun plaisir si longtemps dsir.

    Mon Dieu ! chre mademoiselle, je ne dis pas ; mais Juliee sen-nuiera horriblement sans sa cousine, et, vous comprenez, si elle reprendla vre, Folla lamusera, la distraira, lui fera la lecture.

    Cependant, madame. . . Je vous ferai observer, mademoiselle, que si je garde Folla la mai-

    son, je ne la condamnerai pas travailler ; elle aura cong et jouera avecJuliee : donc elle nest pas plaindre.

    Il ny avait plus discuter. Lexcellente M Cayer embrassa tendre-ment Folla et partit sans adresser un regard Juliee.

    Juliee, terriblement goste, nintercda pas en faveur de la pauvreFolla, prive cause delle de la partie de plaisir, ni ne sexcusa auprs dela pauvre petite de lui avoir caus cee dception.

    Mais Folla tait si bonne, quelle ne songea pas une minute lui repro-cher son gosme. Elle enleva tristement ses vtements de sortie, et se miten devoir de rassembler les livres et les jouets que rclamait sa cousine.

    De fait, Juliee allait beaucoup mieux, mais elle tait capricieuse etgte, et garda Folla auprs delle presque toute la journe, ce pauvre petitfeu follet dont les jambes avaient tant besoin de danser et de courir !

    Folla ne se rappelait plus que, lhiver dernier, elle avait eu deux grosrhumes qui lavaient retenue bien des jours la maison ; mais jamais Ju-liee navait sacri pour elle la moindre promenade, le plus petit plaisir.

    La pauvre victime eut cependant une compensation son infortune.M Milane fora la convalescente sommeiller un peu laprs-midi

    pour remplacer sa nuit blanche, et M. Milane emmena Folla gambaderune heure dans la campagne.

    Ils nallrent pas du ct de la mer, et, an de lire commodment sonjournal, le grand-pre sassit au pied dun arbre, sans sinquiter de sapetite-lle adoptive, qui courait comme une jeune poulain.

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  • Folla Chapitre IV

    Aumilieu de ses bats elle aperut un brave paysan quelle connaissaitpour lavoir vu apporter quelques fruits la maison quavait loue MMilane pour la saison.

    Bonjour, pre Limousin ! cria Folla de sa petite voix douce. Vousramassez de lherbe pour vos lapins ?

    Oui, mamzelle Sophie. a va bien ? Oui, merci. Et votre sur, la petite demoiselle blonde, elle nest pas avec vous ?

    (Il croyait Juliee la sur de Sophie.) Oh ! non, elle est malade. Malade, mamzelle Kernor ? Oui, dune indigestion terrible ; mais elle va mieux dj que cee

    nuit. Oh ! si a nest que a ! Les petites demoiselles sen donnent souvent

    trop croquer des sucreries. a nest pas comme ma pauvre femme, quisen va du mal de la mort.

    Comment ! pre Limousin ! elle est si mal que cela, votre femme ? Puis quelle soure rude, et que le docteur a dit comme a que cest

    inutile de lui donner des remdes, parce que a ny ferait rien. Comment ? il a os dire cela ?Mais oui, pourquoi pas ? Ce qui tourmente la pauvre vieille, a nest

    pas lide de mourir ; faut bien sen aller un jour, et nous autres gens mi-srables, a ne nous fait jamais peur ; mais cest la pense que jons toutlouvrage faire et que je serons tout seul aprs.

    Est-ce que je pourrais la voir, votre femme ? Mon Dieu ! oui, mademoiselle, que cest mme bien de la bont de

    votre part, et que a va lui faire un plaisir ! Cest cte maisonnee quevous voyez l, ct du guier.

    Folla courut, lgre comme son nom, la pauvre masure indique,bien indigente, en eet, et compose dune unique pice.

    Cee chambre renfermait la fois le four pain, le petit pole ocuisait le dner, une table, un banc, quelques chaises, deux armoires et unlit aux rideaux de serge.

    Dans un coin, quelques poules se bloissaient dans deux corbeilleschaudement couvertes.

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  • Folla Chapitre IV

    Un chatmaigre ronronnait sur le banc ; les meubles taient en ordre, lesol propre, sauf quelques brindilles de bois que le bonhomme navait paseu le temps de ramasser ; contre lemur, blanchi la chaux, pendaient deuxlets de pche, et devant la croise ouverte stendait la toile mtalliquequi, dans les maisons les plus pauvres du Midi, dfend des insectes quivoudraient sabriter lintrieur.

    ct, en dehors, ltable pourceaux, un rucher dabeilles et unepetite grange, puis le jardinet bien soign.

    Bonsoir, madame Limousin ! je viens vous voir , dit trs doucementFolla en entrant.

    Et elle ouvrit de grands yeux erays laspect de ce squelee devieille femme allong sous les draps de toile bise ; les bras, absolumentdcharns, sortaient du lit, et la tte maigre, troite, aux tempes enfon-ces, aux yeux caves, faisait un trou dans loreiller recouvert dune taiede couleur.

    Vous tes bien gentille, ma petite demoiselle, de visiter comme aune pauvre vieille qui sen va, mme que vous ne me connaissez que pourmavoir vue les quelques fois que jai port du poisson chez vous. a faitdu bien dapercevoir un jeune visage.

    Est-ce que vous sourez beaucoup ? Beaucoup ; cest la vre qui me mange ; je lons toujours, toujours.

    Je ne dormons plus ni le jour ni la nuit. Mangez-vous un peu ? e non ; y a ben des petites choses que je verrais sur lassiee

    avec plaisir, mais je ne pouvons les acheter, cest cher. Men faut pourtantpas gros, mais a ne me fait encore rien. Y a ben un autre souci qui metourmente.

    oi donc ? votre mal ? e non. a memmnera un de ces matins ; mais je vois mon

    pauvre homme quest plus vieux que moi, et qua tout louvrage faire, etqui se donne un tintouin ! Faut qui porte le manger aux btes, qui fassesa soupe, qui soigne la vache, les poules, le jardin et le cochon, qui ba-laye ; et quencore je me faisons un mauvais sang, parce que a nest pluspropre comme quand jtions sur pied.

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  • Folla Chapitre IV

    Mais cest encore trs propre ici, mre Limousin, et votre mari sentire trs bien.

    Vous croyez ? I fait bien ce qui peut, le pauvre. Ah ! cest que mamaison elle tait renomme dans le temps comme la plus nee du pays.Mais maintenant que je sommes malade. . .

    Vous gurirez, mre Limousin. e non, ma petite demoiselle ; je sommes asthme ; et jons at-

    trap un froid par-dessus. Sans mon homme que je laissons, je serionsben contente de men aller. Jons pein toute ma vie ; jons support lagne. On navait pas la misre, quoi ! mais on na jamais t riche ; on atravaill dur, et on ne doit rien personne. Le bon Dieu peut mappelerquand il voudra, je sommes prte.

    Folla sen alla toute pntre de cee grande pense de la mort quien pouvante tant dautres, et que le paysan, lhomme du travail et desprivations, souvent voit approcher avec un calme si rsign.

    Et cee vieille qui sourait tant, qui avait peine le ncessaire, tan-dis que Juliee, lenfant gte, pour avoir eu un peu mal au cur, taitcomble de soins et de remdes, et voyait satisfaire toutes ses fantaisies !

    Son grand-pre, la regardant sasseoir prs de lui toute songeuse, luidit soudain en caressant ses cheveux oants :

    Eh bien ! petite, te voil triste. Le fait est que tu as t prive de tonvoyage avec Fralen. Tiens, pour le remplacer, voil de quoi tacheter desjoujoux.

    Et il lui tendit une pice de vingt francs.Follee se jeta au cou de M. Milane ; vraiment cela ne pouvait mieux

    tomber. Et, tandis quil terminait son journal, elle courut toutes jambeschez les Limousin.

    Tenez, cria-t-elle tout essoue, mre Limousin, vous pourrez aveccela vous procurer quelques douceurs. Et elle senfuit radieuse. Ainsielle navait point perdu sa journe.

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  • CHAPITRE V

    Lhomme qui revient

    E partir de ce temps un vilain oiseau noir aux ailesdployes, qui a nom le malheur, plana sur la pauvre petiteFolla.Elle tait pourtant bien douce et bien gnreuse cee llee. Nest-ce pasque vous laimez bien, notre mignonne hrone, malgr sa paresse, quipeut-tre nest pas celui de ses dfauts qui vous ousque le plus ?

    Un matin, les deux enfants, sous un soleil magnique, jouaient aubord de la mer, abrites sous leurs grands chapeaux de jonc orns dunegaze blanche, leurs jambes nues hles par lair salin.

    M Cayer et M Milane causaient un peu plus loin lombre dunecabine roulante, et M. Milane fumait en lisant derrire une falaise en mi-niature.

    Ce ntait pas lheure du bain ; aussi la plage tait-elle peu prs d-serte.

    Deux hommes vinrent passer prs des petites lles ; ils avaient mau-

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  • Folla Chapitre V

    vaise mine sous le feutre larges bords qui cachait le haut de leurs vi-sages ; leurs vtements taient sales et uss, et ils marchaient en tranantla jambe dune faon bizarre.

    Lun deux poussa une exclamation soudaine : Tiens ! t-il dun tongouailleur en dvisageant Juliee Kernor, tout le portrait de la Gervaisequand elle tait jeune. Et que ctait un beau brin de lle quand je laipouse ! elle avait seize ans. Un peu plus luronne que a cependant ; maiselle portait ces yeux-l, ces cheveux-l tout en lair, et ce minois rose etblanc. Une blonde ambante ! quoi. Faut la voir maintenant ; ah ! ah ! ah !quelle dirence !

    Allons-nous-en, dit tout bas Juliee en tirant Folla par sa robe. Ceshommes me font peur.

    Mais lindividu de mauvaise mine se mit rire plus fort et murmuraquelques mots loreille de son compagnon.

    Allons donc ! cest vrai ? t lautre avec une stupfaction profonde.Mais alors, lami, tas de quoi faire chanter les parents.

    Pas encore, faut dabord que je rejoigne la Gervaise. Ah ! ah ! onne maend pas. Lhomme qui revient de la Nouvelle nest pas tout faittomb dans la dche.

    Il se rapprocha des deux enfants qui coutaient sans comprendre, etprit sans faon le menton dlicat de Juliee dans sa grosse pae noire etvelue.

    Dites-moi, ma belle petite, vous tes chez M Milane, nest-cepas ?

    Juliee se recula avec dgot et terreur. Laissez-moi, cria-t-elle, laissez-moi ! Lhomme clata de rire. Eh ! eh ! on est bien re. De mieux en mieux. Tout fait le regard

    de la Gervaise quand elle tait en colre, et, ma foi ! elle sy meait quel-quefois. Cr nom ! si lenfant est ce que je pense, elle ne peut pas renierson sang.

    Mais lautre, t le camarade en montrant Folla du doigt, quelle est-elle ?

    La petite Kernor, parbleu ! rpondit le premier avec un geste in-souciant.

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  • Folla Chapitre V

    Juliee avait pris la fuite ; Folla, plus brave, demeurait, ses grands yeuxnoirs xs sur linconnu, protgeant de ses petites mains le frle dicede sable quelle avait rig grand-peine.

    Pourquoi restez-vous l ? quest-ce que vous voulez ? dit-elle auxdeux individus.

    Vous tes bien la petite Kernor ? La dame qui est l-bas, et vers quivotre sur de lait se rfugie en ce moment, est bien M Milane, de laSeille ?

    Lenfant hsita, mais ces mots : Votre sur de lait , prouvaient quelhomme qui parlait ainsi les connaissait.

    Son petit cur naf et conant lui suggra lide que ces hommestaient deux malheureux qui voulaient implorer la gnrosit de M Mi-lane, et elle rpondit :

    e vous importe qui je suis, moi ? ant cee dame qui est l-bas, elle sappelle, en eet, M Milane. Si vous avez quelque chose luidemander, allez la trouver.

    Pas soe, celle-ci, ma foi ! scria linconnu en riant. Non, ma mi-gnonne, je nai rien lui dire aujourdhui. Plus tard je ne dis pas, il se peutquelle soit oblige de me donner gros.

    Et il entrana son compagnon, avec lequel il se mit causer et ges-ticuler vivement.

    Folla resta songeuse, regardant disparatre lhorizon la silhoueetranante des deux hommes. Juliee la rejoignit, et elles recommencrentleurs jeux.

    En septembre on retourna la Seille. Ctaient encore les vacances ;les vendanges et bien des plaisirs arrivrent, pauvres joies phmres quine devaient plus revenir.

    En causant avec sa cousine, comme elles le faisaient souvent avant desendormir le soir, Juliee posa cee question Folla :

    Dis donc, si tu devenais pauvre un jour, tu serais bien malheureuse,nest-ce pas ?

    a dpend, rpondit la llee avec son adorable spontanit, adpend ; si jtais avec quelquun qui maimt et que jaimasse, je ne seraispas plaindre.

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  • Folla Chapitre V

    Ah ! bien moi, reprit Juliee en roulant sa tte blonde sur loreillerbrod, je ne pourrais jamais me passer de toutes les belles choses aux-quelles je suis habitue, ni vivre dans une vilaine maison, ni manger dupain sec.

    a dpend , rpta encore Follee.Et les deux mignonnes sendormirent sans plus rver luxe ou misre.

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  • CHAPITRE VI

    Ce quentendit Folla endormant

    C dautomne, cee heure o, les jours dimi-nuant de plus en plus, le soleil dcline dans le ciel dj plus ple.Le chteau tait plong dans une douce et silencieuse paix. Lairtait un peu froid, mais pur et bon respirer ; le feuillage rougi, diversesnuances, sagitait au moindre soue et tombait feuille feuille avec unbruit sec.

    M. Milane tait all en ville ; M Cayer vpres, car ctait dimanche.Bonne maman gardait les petites lles tout en combinant un remdecontre les crampes destomac. Nous avons dj vu que bonnemaman taitune femme pratique. Les deux petites lles arrosaient darnica leur per-roquet, qui stait bless aux barreaux de sa cage. De temps en temps unrire frais et argentin coupait lair silencieux. Il faisait chaud dans la salle manger, o lon entretenait un bon feu de bois.

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  • Folla Chapitre VI

    Juliee billa. coute, dit-elle sa sur de lait, Coco est bien assez pans comme

    cela. Si nous jouions autre chose ? Si Fralen tait l, elle nous raconte-rait une histoire ; mais les vpres ne sont pas nies, et puis elle causeraavec grand-mre en revenant. Veux-tu jouer cache-cache ?

    Je veux bien, rpondit Folla, toujours complaisante. Tu commenceras chercher. Et, tu sais, on cherche jusqu ce quon

    trouve. Il ny a pas de camp. Follee se boucha consciencieusement les yeux et les oreilles, et aprs

    avoir compt cent elle fureta un peu partout, et nit par dcouvrir Julieeau haut dune armoire o bonne maman elle-mme lavait cache.

    Puis ce fut au tour de Folla. Je vais, se dit-elle, la bibliothque ; on ne louvre jamais que pour

    recevoir les gens et les fermiers qui veulent parler bon papa. Lili naurapas lide dy venir.

    Seulement il advint que Juliee, aprs avoir fouill toutes les chambressans succs, perdit patience : Bah ! quand elle sennuiera elle sortira deson trou , se dit-elle.

    Et elle se mit lire au coin du feu, tandis que Martine, la seule des do-mestiques qui ft reste la maison, prvenait M Milane quun hommedemandait lui parler.

    Notre Follee, qui naimait gure limmobilit, sassoupit tranquille-ment derrire le fauteuil qui la drobait aux regards, quoique sa positionne ft pas des plus commodes.

    Dans son assoupissement elle eut un rve bien pnible, si pnible,quelle ne put se secouer pour le chasser, bien quelle ne ft endormiequ moiti.

    Il lui semblait quelle avait les bras et les jambes lis, que sa languetait paralyse, et quelle ne pouvait sortir de son engourdissement.

    Il lui parut que bonne maman entrait la bibliothque, prcdant unhomme de mine quivoque, semblable celui quelle avait rencontr la grve de Palavas, sauf le chapeau crasseux, qui ne recouvrait plus sonfront et quil tenait la main.

    e dsirez-vous, mon ami ? dit M Milane avec complaisance, etcroyant avoir aaire un malheureux venant implorer des secours. Vous

    33

  • Folla Chapitre VI

    vouliez sans doute vous adresser mon mari, mais il est absent et nerentrera que pour dner.

    Ma foi, madame, je crois que vous ferez laaire aussi bien. Seule-ment javoue que ce que jai vous dire ne va pas vous causer grandplaisir.

    est-ce ? Est-il arriv malheur quelquun de nos amis ? Je ne les connais pas, vos amis. Je veux parler dune petite lle qui

    doit vivre chez vous, qui nest pas votre parente, que vous avez adopte. M Milane se troubla. Eh bien, en quoi ce sujet peut-il vous intresser ? Il y a que lenfant nest pas orpheline, comme on le croit. Comment ! cee bonne Gervaise, dont on ma appris la mort, est

    vivante ? Voil sept ans quon na entendu parler delle. Jai pass un jourdans son pays, on ma arm que la pauvre femme avait succomb uneviolente vre.

    La Gervaise vit encore, oui, madame. Elle a rsist au mal terriblequi a failli lemporter ; dans un accs violent elle sest sauve de chez elle,puis un jour elle est revenue, seulement. . .

    Seulement quoi ? Elle est reste folle, compltement folle. M Milane eut comme un soupir de soulagement. Pauvre Gervaise ! reprit-elle ; et vous venez sans doute me prier de

    lui venir en aide, car sa position doit tre bien misrable ? Cest juste.Alors, puisquelle a perdu la raison, elle ne se souvient probablement plusquelle a un enfant ?

    e si quelle sen souvient. Elle le pleure tous les jours. Elle doit tre bien abandonne. Je ferai des dmarches pour la faire

    entrer dans une maison de sant o elle sera bien soigne. Cest inutile, madame, la Gervaise nest plus seule depuis quelque

    temps : elle a retrouv son mari. M Milane sursauta sur son fauteuil. Son mari ? mais je la croyais veuve. Cest une erreur : elle na jamais t veuve, seulement elle a eu

    honte de son homme et la fait passer pour mort. Mais alors. . .

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  • Folla Chapitre VI

    Nest-ce pas que cest bizarre ? t lhomme en ricanant. Deux d-funts qui reparaissent !

    Est-ce que cet homme cest le pre. . . de. . . ? De sa lle, naturellement, madame, de lenfant que vous avez adop-

    te. Et croyez-vous, reprit M Milane, plus hsitante encore, croyez-

    vous quil me laissera lenfant ? Pour a, je ne puis rien vous en dire ; car cest un bon pre, rpliqua

    lhomme en ricanant. Cependant on ne sait pas. . . Il nest gure chanard,et on ne senrichit pas dans le pays do il revient.

    el pays, sil vous plat ? demanda la vieille dame en regardantxement son interlocuteur.

    Ma foi ! faut voyager longtemps avant dy arriver, mais cest auxfrais du gouvernement.

    M Milane se leva toute droite : Comment !. . . le mari de Gervaise ! revenir de. . . de Nouma !. . . Comme vous le dites. Il ne sest pas enfui. Sa peine est termine.

    Huit ans, Dieu merci ! cest bien assez, pour une mchante petite aaire. M Milane ne lcoutait plus. Folla ! ma pauvre petite Folla, la lle dun. . . a ne lui te rien de sa gentillesse, madame. Je lai aperue un jour,

    et je lai reconnue rien qu sa ressemblance avec sa mre. Sophie ne ressemble pas Gervaise. Pardon, elle est tout son portrait quand la pauvre femme tait jeune.

    Une jolie blondine, ma foi ! La lle de Gervaise est brune. Ah ! t lhomme interloqu, je me serais donc tromp. Enn, ma-

    dame, sagit pas de la couleur des cheveux de la petite.e comptez-vousfaire ?

    De quel droit cee question ? Avant dy rpondre, je veux savoirqui vous tes.

    Bien volontiers, madame. Je suis tout simplement Flix Marlioux,le mari de Gervaise et le pre de lenfant que vous avez adopte.

    M Milane tait devenue trs ple et trs agite.

    35

  • Folla Chapitre VI

    coutez, dit-elle lhomme, dont elle sloigna par un mouvementde rpulsion dont elle ne put tre matresse, coutez, je ne puis prendreaucun parti avant de mentretenir avec M. Milane

    Vous savez, reprit grossirement lancien forat, on sarrangeraitpeut-tre bien vous laisser lenfant pour de largent.

    Alors cest un march que vous proposez pour votre lle ? Ce nestpas lamour paternel qui vous a pouss venir me trouver, cest lpredsir davoir de lor en nous menaant de reprendre votre enfant ?

    Partez, t M Milane avec dgot, et revenez dans deux jours pourrecevoir la rponse. Je vous avoue quil mest pnible de penser que jaisous mon toit la lle dun. . . galrien ; mais je suis prte faire un sacricedargent, pourvu que ce soit raisonnable, an de la garder auprs de moi. aprs-demain donc. Veuillez seulement ne pas bruiter cee histoire,cela vous nuirait considrablement.

    Cest convenu. Faut pas vous fcher, ma petite dame, si lon a parlun peu rondement ; cest pas l-bas quon se forme aux belles manires.

    M Milane lui montra la porte. Flix Marlioux salua et sortit.La vieille dame, trs trouble, quia son tour la bibliothque.Le petite Folla, reste seule, se froa les yeux et se secoua. Jai rv dareuses choses, murmura-t-elle en sortant de sa ca-

    chee, toute ple et tremblante. elle mauvaise ide jai eue de venirici et de my assoupir !

    Soudain elle sarrta ; en traversant la chambre pour sy bloir der-rire le fauteuil, elle avait remarqu lordre parfait qui y rgnait, cet ap-partement nayant pas t ouvert depuis plusieurs jours ; et voil quemaintenant elle aperoit deux siges drangs, placs lun vis--vis delautre comme pour deux interlocuteurs ; puis sur le parquet, au-dessousdune de ces chaises, la trace poudreuse dune grosse chaussure ; enn,sur une table, les lunees de bonne maman. Elle les avait sur son nez tout lheure dans son boudoir, et elle ne sen spare quinvolontairement,dans les moments de trouble.

    est-ce que cela signie ? Est-ce que, par hasard, le songe de Follaserait une erayante ralit ?

    Je le saurai bien , se dit la llee.

    36

  • Folla Chapitre VI

    Et, prise dune rsolution subite, quoique ses petites jambes tremblentbien fort, elle court jusquau pavillon, au bout du jardin, do lon peutapercevoir la route bien dcouvert.

    Tout essoue, elle se penche par la fentre ouverte. Justement cetinstant passe un homme sur le chemin ; et cet homme, qui trane un peu lajambe en marchant, cest celui de Palavas, celui qui a parl tout lheure M Milane dans la bibliothque ; cest le forat. . ., le pre de Folla. MonDieu, mon Dieu !

    Il y avait l, dans ce pavillon rustique, mais gentiment install, undivan turc vaste et moelleux, o les llees se sont souvent roules dansleurs bats aux heures chaudes de lt. Folla sy jee, perdue, et, la tteenfouie dans les coussins, elle pleure amrement.

    Un certain temps scoula ainsi.Lenfant se souleva, faible et brise. Il faisait nuit dans la pavillon. Elle

    essuya ses grands yeux ruisselants et descendit dans le jardin.Lair froid scha les traces de ses larmes. Heureusement quon ne s-

    tait pas inquit de son absence.Bonne maman, enferme dans sa chambre avec bon papa, de retour

    de la ville, devait lentretenir de choses fort graves.M Cayer recevait une visite ; Juliee achevait un livre fort intres-

    sant.Folla se mit au piano et joua tous les airs tristes quelle connaissait.

    Nosant plus pleurer, elle faisait passer dans les notes chantantes du cla-vier toute lamertume dont sa pauvre me dbordait.

    dner, par bonheur il y avait du monde : deux ou trois convivesramens de la ville par M. Milane. On ne t donc pas aention Folla,qui avait le cur trop gros pour manger. Elle retenait ses pleurs grand-peine, la pauvremignonne, et se disait tout bas : Je ne suis quune enfantadopte par charit. Bonne maman, bon papa, que jai crus si longtempsmes parents, ne sont que mes bienfaiteurs. Je ne suis que la sur de lait deJuliee, et non sa cousine. e dira-t-elle, Juliee, lorsquelle apprendraque je suis la lle dun. . . forat et dune folle ? Elle ne voudra peut-treplus me toucher la main.

    Le soir, aprs dner, M Cayer raconta une histoire aux enfants. Follalcouta dabord distraitement, tout entire ses tristes penses ; mais le

    37

  • Folla Chapitre VI

    conte nit par lui frapper lesprit : il parlait dun petit garon trouv, quiavait plus tard t reconnu par sa famille, et qui de pauvre tait devenuriche, de malheureux bien heureux.

    Mademoiselle, demanda Folla dune voix trouble, si avait t lecontraire, est-ce que Pierre serait quand mme retourn ses parents, siceux-ci avaient t pauvres et misrables, au lieu de riches et considrs,est-ce quil aurait d quand mme changer de position ?

    Certainement, ma petite Folla, rpondit M Cayer, qui ne se doutaitde rien ; un enfant doit toujours suivre ses parents, aussi bien sils sontindigents et mpriss, et sans rougir deux, plus forte raison sils sont plaindre.

    and la nuit fut venue et que les llees stendirent dans leurs pe-tits lits blancs, sous les rideaux soyeux, Folla se releva doucement, et,sassurant que Juliee dormait profondment, elle soua la veilleuse etse recoucha toute frileuse.

    Alors elle enfouit sa tte brune dans loreiller et pleura de toutes sesforces, touant le plus quelle le pouvait le bruit de ses sanglots.

    Le lendemain matin elle se leva toute ple et trs grave. Elle embrassatendrement Juliee comme lordinaire ; mais elle eut beau faire, elle neput venir bout de rire avec elle.

    Jai encore deux jours pour rchir et pour aendre que mon prerevienne. e fera-t-on de moi ? pensait-elle ; que diront M. et M Mi-lane ?. . . Mon Dieu ! que je suis malheureuse ! Je suis sre quil ny a passur terre une petite lle plus triste que moi.

    On trouva, au djeuner, que Folla avait la mine tire et lair mlanco-lique.

    La pauvre enfant faillit fondre en larmes. On crut queM Cayer lavaitgronde.

    Et cependant Folla, malgr sa proccupation, stait montre dune sa-gesse exemplaire. Elle navait ni parl ni souri pendant la classe : elle avaitsu ses leons pour la premire fois depuis longtemps, et son institutricene savait quoi aribuer ce changement subit.

    n

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  • CHAPITRE VII

    Tes pre et mre honoreras

    I , lhomme de Pallavas, ce Flicien Marlioux qui r-clamait la petite Folla comme son bien lgitime, et qui cependant,pour un peu dor, let cde volontiers ceux qui lavaient adop-te.

    Cest quil ne demanda pas seulement un peu dor, le malheureux ! ilexigea une si forte somme que les Milane reculrent devant le sacrice faire, ne croyant pas devoir dtourner une telle part de lhritage futur deJuliee, leur idole.

    Leur intention, dailleurs, en gardant Folla, et t, non point de lle-ver comme par le pass, mais de la mere en pension jusqu sa majorit,et ensuite de ltablir selon son rang modeste, de la marier avec un hon-nte ouvrier. Aprs tout, la lle dun galrien ne pouvait plus dsormaisvivre sur un pied dgalit presque absolue avec la lle des Kernor ; celaporterait prjudice celle-ci plus tard ; on aurait pu jaser dans le mondesur cee intimit entre deux enfants si distinctes dorigine et de rang.

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  • Folla Chapitre VII

    Seulement les prtentions exorbitantes de Flix Marlioux rent avor-ter ce nouveau plan ; elles soulevrent lindignation du chtelain de laSeille.

    Cest alors que M Milane prit sur elle dannoncer Folla le secretde sa naissance, de lui apprendre le nom de son pre et de sa mre et lechangement qui allait avoir lieu dans sa vie.

    Ce ntait point tche facile, et la pauvre femme tremblait fort en at-tirant sur ses genoux lenfant quelle avait aime, caresse pendant septans, et laquelle elle allait porter un coup terrible.

    Mais, sa grande surprise, aux premiers mots quelle pronona, Follalinterrompit dun petit air tranquille qui ne lui tait pas habituel :

    Bonne maman. . . non, madame, t-elle en se reprenant tristement,je sais dj tout.

    Comment ! tu sais tout ?. . . Ce. . . cet homme ta donc parl ? Folla raconta simplement la scne de la grve Pallavas, puis celle

    de la bibliothque, dont elle avait t lauditrice inconsciente en jouant cache-cache.

    M Milane ne revenait pas de la force dme de cee enfant, qui s-tait tue pendant deux jours et navait rien montr de la peine cuisante quilui dchirait le cur.

    Jai pourtant bien du chagrin, bonne maman , conclut Folla en fon-dant en larmes et en cachant sa tte dsole sur lpaule de la vieille dame.

    Celle-ci fut mue de tant de dsespoir, et son cur se rouvrit lenfantquelle voyait si aimante et si malheureuse.

    Ma chrie, lui dit-elle, je te parle comme une grande personne ;je te le dis tout simplement, ton pre a des exigences folles. Cependantje causerai encore de tout cela avec bon papa ; nous trouverons peut-treun moyen de tout arranger.

    Et. . ., demanda lenfant en regardant xement M Milane, si vousne me rendez pas mon pre, que ferez-vous de moi ?

    M Milane parut embarrasse. Je ne sais pas encore. Tu auras besoin de beaucoup travailler, ma

    pauvre petite ; nous te merions dans une bonne pension o. . . Je ne serais plus avec Juliee ? plus avec vous ? plus la Seille ? plus

    Paris ?

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  • Folla Chapitre VII

    Mon Dieu, mon enfant, tu dois comprendre que tu ferais ton du-cation bien mieux la pension quau milieu de nous.

    Folla baissa la tte ; puis, la relevant dun air triste, mais dtermin : Bonne maman, ce nest pas cela quil faut faire. Je vous remercie

    beaucoup de vos gnreuses intentions pour la pauvre lle de GervaiseMarlioux ; je me souviendrai toute ma vie que vous avez longtemps rem-plac ma mre, que vous mavez leve, gte, soigne ; mais il ne fautpas que vous cdiez mon pre, il ne faut pas lui donner votre argent. Ilne faut pas non plus que jaille en pension ; jy serais trs malheureuse.Songez donc, si un jour on apprenait que je suis la lle de. . . (ici elle baissala tte confuse) dun homme qui revient de. . . l-bas, on me le ferait sentir.

    Mais alors tu retournerais donc volontiers chez ton pre ? Eh ! oui, madame, cest ce que je dois faire. Pensez donc que ma

    pauvre maman est prive de raison, dans la misre peut-tre ; qui est-cequi prend soin delle l-bas ? Personne souvent, ou bien des mains tran-gres qui ne font pas ce que ferait une parente, une lle surtout. Monpre enn nest pas heureux, puisquil est sans travail et probablementmpris. Vous voyez bien, madame, ma place est auprs deux.

    M Milane regardait Folla avec de grands yeux stupfaits. Mon enfant, qui donc ta appris ces choses-l ? Personne, bonnemaman ;mais jai beaucoup pens depuis quelques

    jours. Est-ce que je nai pas raison ? Certainement, mignonne, tu parles comme une femme ; mais si tu

    allais sourir loin de nous ? Folla rchit un peu. Bien sr, bonne maman, je sourirai, puisque je ne vous verrai plus,

    ni vous, ni bon papa, ni Juliee, ni M Cayer, ni la Seille. Mais si mapauvre maman venait gurir grce mes soins, et si mon papa maimeun peu, je serai bien paye.

    M Milane la regarda avec aendrissement et lembrassa. Promets-moi, si tu as trop de peine chez tes parents, si lon mcon-

    nat ton bon cur, si la vie ty est trop dure, promets-moi de nous appeler,et nous te secourrons.

    Oui , rpondit la petite lle. Et, ne pouvant plus retenir les sanglotsqui ltouaient, elle pleura avec abandon dans les bras de la vieille dame.

    41

  • Folla Chapitre VII

    M.Milane, qui sa femme raconta, tout mue, lentretien quelle avaiteu avec Folla, tenta vainement quelques eorts pour concilier les intrtsde Folla et ceux de Juliee ; il voulut mme prmunir la premire contrela dception qui laendait peut-tre, en lui traant un sombre tableau delexistence quil faudrait mener sous le toit de Marlioux.

    Lenfant soupira, mais elle tint bon ; elle voulait remplir son devoir.

    n

    42

  • CHAPITRE VIII

    La derniere nuit

    C , six heures du soir, que Folla devait quier laSeille.Flix Marlioux jura et tempta longuement lorsquil vit chouerson plan, quand M. Milane lui apprit quil ne pouvait accepter ses condi-tions, et que la petite Sophie tait toute dcide rentrer chez ses parents.

    Il ne saendait pas cela. Bah ! pensa-t-il la n, emmenons toujours lenfant, a ne durera

    pas longtemps ; elle aura vite assez de sa nouvelle vie, et elle manqueraici ; on me la redemandera, et jexigerai une plus forte somme encore.

    En aendant, il joua les sentiments paternels et feignit de prendre bra-vement son parti. Ctait pour le bien de sa lle uniquement quil avaitparl de la laisser la Seille ; car enn la pauvre petite, leve jusqualorsdans le duvet de cygne, allait se trouver bien dpayse soudainement.Mais quoi ! il tait pre avant tout, et bien trop heureux de retrouver sonenfant ; il allait enn avoir de la gaiet autour de lui, et une petite mna-

    43

  • Folla Chapitre VIII

    gre pour faire la soupe. Vous nallez pas la tuer de travail, au moins, demanda M Milane,

    que ces derniers mots inquitrent. Songez quelle ny est pas accoutu-me.

    Ah ! ma foi ! madame, riposta lhomme, faut bien quelle redescende son rang. Jai pas de quoi lui payer une servante.

    Le matin du jour x pour le dpart de Folla, Juliee et son institutricepartirent pour Paris. On prtexta quelles devaient sy rendre davancepour faire prparer lappartement de la rue Lafayee, M. Milane ayantencore aaire la Seille avec ses fermiers, M Milane restait avec lui etmme gardait Folla pour ne point trop sennuyer. Cee dernire clauset bouder Juliee.

    Je ne mamuserai gure toute seule ! murmura-t-elle.Mais on recommanda M Cayer de la conduire au cirque, la m-

    nagerie, au Luxembourg, bref partout o il lui plairait ; on promit tant deplaisirs la llee, quelle nit par se rjouir de retourner Paris, mmesans Folla.

    Il tait convenu quelle ignorerait lvnement qui la sparait de sasur de lait.and elle verrait arriver Paris M. et M Milane sans leurenfant adoptive, on lui expliquerait que des parents de Folla tant venusla chercher tout coup, on lavait laisse partir, mais quelle reviendraitun jour.

    On comptait sur le temps, sur les plaisirs de lhiver et sur dautrespetites amies pour lui faire oublier sa prtendue cousine, ou au moinspour la consoler de son absence.

    Juliee avait donc embrass Folla en lui disant : Tche que bon papatermine vite ses aaires pour venir me rejoindre au plus tt.

    La dernire nuit quelles passrent ensemble la Seille, elles cou-chrent dans le mme lit, comme cela arrivait quelquefois quand ellesvoulaient babiller longtemps le soir et quon les croyait sagement endor-mies.

    La veilleuse clairait faiblement les murs recouverts dune jolie ten-ture bleue.

    Sous les rideaux de mme teinte, deux petites ttes, lune blonde,lautre brune, agitaient sur loreiller leurs boucles confondues.

    44

  • Folla Chapitre VIII

    Folla tait grave, Juliee rieuse. Pourquoi ne ris-tu pas ? demanda cee dernire en examinant son

    amie la lueur ple de la veilleuse. Tu es toute drle, tu ne joues plusdepuis quelque temps. Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Tu nes pas amu-sante, sais-tu ?

    Folla ny put tenir et clata en sanglots : Cest que tu pars demain sans moi ! balbutia-t-elle dans ses larmes.tonne de cee soudaine explosion de pleurs, Juliee rpondit : Bah !moi aussi celamennuie, mais dans huit jours tume rejoindras ;

    nous allons bien nous divertir cet hiver, bonne maman ma promis tantde choses !

    Sophie ne rpondit que par un triste sourire, tandis que Juliee conti-nua babiller gaiement ; puis sa tte blonde reposa sur loreiller, et sesgrands cils sabaissrent sur ses yeux de rieuse. Elle dormait.

    Accroupie sur son sant, Folla put alors laisser couler librement seslarmes, sans bruit, doucement ; mais elles taient si amres, ces larmes !

    la n, sentant la fatigue la gagner, elle se glissa lentement dans lelit, ct de sa sur de lait, et son tour tomba dans un lourd sommeil.

    n

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  • CHAPITRE IX

    La dernire heure

    L S plonge dans la mlancolie et le silence. Dans la m-lancolie, parce que Juliee est partie avec M Cayer ; dans le si-lence, parce quon est lautomne, que les oiseaux ne chantentplus, et que le ciel est lugubre et lourd comme une vote de plomb.

    Il est lheure de la tombe du jour ; on aend larrive de Flix Mar-lioux, qui va emmener sa lle.

    Sa lle, elle erre, la pauvre enfant, travers ces lieux tant aims, dontle moindre recoin lui garde un souvenir.

    Elle a bais les murs de sa chambree, cee chambree claire qui aabrit ses rires joyeux et ses nuits calmes avec sa chre Lili. Elle a em-brass Sapho, qui a gmi en la regardant doucement ; puis ses tourterellesroses ; puis Marquise et Light, les chevaux, jusquau poulain, quon luidfendait de toucher. De lamain elle a envoy un baiser aux cygnes blancsde la pice deau, aux saules plors qui argentent de leurs feuilles tom-bes la surface de ltang ; elle a contempl leurs petits jardinets abrits

    46

  • Folla Chapitre IX

    contre un mur au midi, elle y cueille les dernires eurs ; elle a visitaussi le vieux chne dans le tronc duquel elles se faisaient un sige ; lespoules, dont elles mangeaient les ufs, quelles allaient quelquefois cher-cher elles-mmes la basse-cour ; enn chaque endroit familier lui rap-pelle une heure heureuse. L elles ont t prises dun fou rire la suitedune aventure plaisante ; ici elles ont pleur aprs une soise commise,de peur dtre grondes ; plus loin, en grimpant sur la mme branche ducerisier, elles sont tombes, sans se blesser, par bonheur.

    Et maintenant voil notre pauvre Folla debout, les bras pendants, de-vant le piano, cet ami que ses menoes agiles ont tourment si souvent ;elle esprait devenir une forte musicienne.

    Deux grosses larmes schappent de ses yeux : hlas ! il ny aura pointde piano l-bas, dans le logis de Gervaise.

    Heureusement cee excellente M Milane, qui pense tout, a glissdans la malle de lenfant la guitare, qui pourra au moins la rjouir ou laconsoler dans son exil.

    prsent, lheure de la sparation a sonn : Flix Marlioux est ici.Tandis quil parle, M. Milane regarde aentivement la petite Sophie etstonne de trouver ce visage enfantin, devenu grave en quelques jours,une vague ressemblance avec sa lle, M Kernor, ressemblance laquelleJuliee ne participe aucunement.

    Lui aussi soure de voir senvoler de sa maison cet oiseau enchanteurquil a caress si longtemps.

    Rendez-la heureuse, dit M Milane Marlioux ; souvenez-vous quedelle-mme elle a voulu aller avec vous, quoiquelle ait ici une secondemre, presque une sur et le bien-tre.

    M. Milane sest occup du pre de lenfant : il lui a dcouvert toutprs de Marseille, Endoume, une place lucrative dans une fabrique, o,sil se montre laborieux, louvrier gagne de six dix francs par jour. Ense montrant conome, Marlioux peut, tout en vivant bien, conomiser dequoi payer une femme pour faire chaque matin le plus gros du mnage,puisque Gervaise est incapable de rien faire, et aussi de quoi envoyer Folladans un modeste externat, o elle pourra au moins ne pas oublier le peuquelle a appris.

    Marlioux fait de belles promesses, remercie les bienfaiteurs de Sophie,

    47

  • Folla Chapitre IX

    et se montre bien dcid vivre en honnte homme, en bon pre de fa-mille ; il travaillera ferme et donnera de bons principes sa lle.

    M Milane prend Folla lcart et lembrasse fort, tout mue. Tiens, dit-elle en lui remeant une petite bote cachete, mets ceci

    dans ta poche et ne le montre personne, surtout ton pre ; conserve-lasoigneusement. Si quelque jour le travail lui manque, quil soit malade ouquil faille plus de soins ta mre ; bref, si tu te trouves dans lembarras,tu ouvriras ton petit trsor, et noublie pas non plus de nous appeler tonaide si tu es malheureuse.

    Folla cacha la bote dans sa poche ; elle est bien triste et promet de nejamais oublier ceux qui ont t si longtemps ses parents adoptifs, de resterune bonne petite lle et de ne jamais ngliger ses devoirs de chrtienne.Puis elle ajouta aprs un sanglot :

    Madame, vous maimerez bien encore un peu, quand mme je neserai plus l ?

    Mais certainement, mignonne, toujours. Et Juliee ? Juliee aussi, elle nest pas oublieuse. Vous ne lui direz jamais que. . .e. . . ?e je suis la lle de. . . de. . . Non, je te le promets , rpond M Milane, qui devine ce que la

    bouche de lenfant nose profrer.Et voil Folla troinant sur la route, tournant le dos au chteau et

    nosant plus le regarder, de peur dclater en sanglots.Lobscurit du soir descendait lentement sur la campagne ; le vent se-

    couait les arbres chevels.Lhomme et lenfant, quil tenait par la main, passrent devant une

    grande croix place langle du chemin.Le premier ny t point aention, mais la petite lle regarda ces

    grands bras du Christ ouverts sur la route et sur elle. Mon Dieu, ayez piti de moi, murmura-t-elle tout bas ; faites que

    mon papa maime un peu, et que maman ne soit plus folle. Est-ce que je te fais peur, petite ? demanda lancien forat dune

    voix presque douce.

    48

  • Folla Chapitre IX

    Folla releva sur lui ses grands yeux foncs brillants et tendres : Non, papa. Ah ! poursuivit-il, tu ne vas pas trouver l-bas le luxe que tu as

    connu jusquici. Je men passerai trs volontiers, papa ; mme je serai trs contente

    de me rendre utile ; vous verrez que je ferai une bonne petite mnagre. Marlioux glissa un coup dil malicieux sur la petite lle brune, frle

    et mince, qui troait ct de lui. Tu as les mains trop nes pour les mere la pte, ma petite, t-il,

    et cependant il faudra faire bien des choses par toi-mme. Je les ferai, papa ; je suis plus forte que je nen ai lair, et lon disait

    la Seille que je suis adroite. Ils se rendaient Avignon dabord, ne devant sinstaller Endoume

    que la semaine suivante.Il faisait nuit noire quand ils arrivrent destination.puise dmotions, Folla stait endormie en chemin de fer. Une voi-

    sine complaisante la prit des bras de son pre, la dshabilla et la coucha,sans lveiller, dans un lit de sangle install la hte dans un troit cabi-net.

    n

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  • CHAPITRE X

    La femme folle

    Q les yeux le matin suivant, la petite lle se lesfroa longuement, croyant rver. Mais le souvenir de la ralitlui revint. Elle ne pleura point en se trouvant transporte tout coup dun nid coquet entre les quatre murs blanchis la chaux dunrduit exigu, dans un lit maigre garni de draps grossiers.

    Elle se leva prestement, t sa toilee et sa prire, naa tant bien quemal sa chevelure prodigue et rebelle, et ouvrit la porte.

    La chambre voisine servait la fois de cuisine et de salle manger.La maisonnee ne se composait que de trois pices ; dans la troisime

    couchaient Flix Marlioux et sa femme.Folla saventura hors de chez elle avec un violent baement de cur :

    elle allait revoir sa mre, et cee mre tait une insense. i sait si lavue de son enfant aime, retrouve aprs tant dannes de sparation, nelui rendrait pas la raison !. . . Marlioux aussi pensait cela, debout au milieude la chambre carrele, prs du pole sur lequel bouillait une casserole de

    50

  • Folla Chapitre X

    lait.Folla vint prsenter son front son pre, puis ses yeux inspectrent

    curieusement autour delle.Ctait un triste logis froid et sombre ; la pice tait triste et nue. lentre, sur le seuil de la porte ouverte, une femme tait assise sur

    un escabeau grossier. Cee femme pouvait avoir de quarante cinquanteans ; ses cheveux taient dj tout gris et tombaient pars de sa pauvrette folle, qui ne pouvait supporter ni bonnet ni chapeau.

    Ses traits avaient d tre beaux, et Folla demeura toute surprise dytrouver comme une ressemblance avec ceux de Juliee, surtout dans lesyeux, de couleur claire et de forme parfaite ; seulement ceux de la petiteKernor avaient une expression tranquille ; ceux de Gervaise, brillants etfarouches, faisaient peur.

    Les vtements de cee femme taient en dsordre comme sa cheve-lure ; ses lvres, presque sans remuer, murmuraient une chanson mono-tone, et ses bras faisaient continuellement le geste de bercer un petit en-fant.

    Folla se rapprocha timidement de Flix Marlioux : Pre, dit-elle, ce quelle pleure, cest sa lle, nest-ce pas ? Oui, rpondit-il machinalement. Et. . . si elle me reconnat, cela peut la gurir, mme subitement. Peut-tre , t le pre en poussant doucement la llee du ct de

    la folle.Lui aussi pensait cela.Ma foi ! la femme et lenfant ne lui taient quun surcrot de dpense,

    une lourde charge ; si Gervaise recouvrait la raison, au moins il nauraitplus le souci du mnage.

    Aussi regardait-il avec une certaine anxit la petite Sophie sappro-cher de Gervaise.

    Mre , murmura-t-elle de sa douce voix, en tendant ses lvres roses la joue trie de la folle.

    Celle-ci tourna lentement sa tte vers elle. Il y eut un regard glacdans ses yeux dun bleu gris, comme ceux de Juliee Kernor.

    Mre, ne me reconnaissez-vous pas ? Je suis Sophie, votre lle, votreenfant que vous avez perdue depuis sept ans ; je vous aime beaucoup. Ne

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  • Folla Chapitre X

    voulez-vous pas membrasser ? Gervaise continua la considrer tranquillement, sans interrompre ni

    sa chanson ni son bercement monotone.Lhomme, qui aendait debout au fond de la chambre, poussa un blas-

    phme sourd.Folla retint un sanglot. Prenons patience, dit-elle son pre ; je la soignerai, je la caresserai

    si bien, quelle nira par me reconnatre, vous verrez. Flix Marlioux partit pour soccuper de son installation prochaine

    Marseille, et Folla demeura seule avec la pauvre insense. Elle sen erayaun peu dabord, puis elle reprit courage.

    Elle visita la maison pour en connatre tous les coins et recoins ; ce nefut pas long.

    and elle connut la place de chaque chose, elle retira du feu le lait quiavait bouilli. Son pre avait djeun avant de sortir ; elle en versa dans unbol de faence minutieusement lav, et coupa une tranche de pain ; puiselle apporta le tout devant Gervaise, qui la regarda xement, tonne.

    Mangez, mre , lui dit la petite lle.Gervaise obit et mangea assez avidement pour faire penser quon

    devait souvent la ngliger.and elle eut termin son repas, Folla djeuna son tour ; ensuite

    elle lava les bols et les cuillers, mit tout en ordre dans la chambre, et entradans son rduit, o sa malle tait dpose.

    Elle louvrit alors, et ses larmes coulrent amres et presses en re-trouvant tous ses chers souvenirs, qui gardaient comme un parfum de laSeille et de sa vie heureuse. Il y avait l sa guitare, ses cahiers et ses livresdcolire paresseuse, puis ses robes. M Milane avait eu le tact de nyplacer que les plus simples : deux costumes de laine sombre, un autre pluschaud, en drap, sans garniture.

    Celui que Folla avait sur elle en ce moment tait en anelle grise, orndun galon rouge. Elle mit soigneusement son tablier le plus grand, re-ferma la malle aprs avoir donn un baiser presque religieux la guitare.Il lui restait de louvrage faire : son petit ncessaire de toilee navaitpas t oubli par la main prvoyante de bonne maman. Folla y prit sabrosse, son peigne, et vint sa mre, toujours assise la mme place. Elle

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  • Folla Chapitre X

    peigna non sans peine les cheveux gris emmls de la pauvre femme, etles disposa assez adroitement en chignon au sommet de la tte.

    La folle se laissait faire, et mme avec une certaine satisfaction ; sipropre et si soigneuse autrefois, Gervaise devait sourir maintenant, in-consciemment peut-tre, du dsordre dans lequel elle vivait.

    Folla rajusta ensuite ses vtements, la lava, brossa ses souliers, puisremit tout en place ; et, nayant plus rien faire, elle vint sasseoir ctde sa mre.

    Elle nen avait plus peur. En soccupant laborieusement, elle avait re-pris courage. Seulement midi approchait, et Folla se demandait, inquite,comment on djeunerait, et si son pre allait revenir, comme il lavait dit.

    Il revint heureusement, un peu maussade, un peu de mauvaise hu-meur ; mais il donna une tape amicale la joue de sa lle, et apportait dela viande froide, des ufs et une bouteille de vin.

    Folla dressa promptement trois couverts, et t bouillir de leau. Aprsce frugal repas, FlixMarlioux bourra sa pipe ; Gervaise retourna sasseoir la porte comme lordinaire, en regardant la route.

    Petite, dit tout coup lhomme la llee, qui arrangeait la vaisselle,tu nes pas habitue faire si maigre chair ; tu nas pas eu de dessert.

    Cela ne fait rien, papa, rpondit-elle, et je men passe trs volon-tiers.

    Lancien forat la regardait aller et venir, adroite et lgre comme unpapillon.

    Laisse cela, dit-il encore, la Jantet sen chargera ; pour trois sous parjour que je lui donne, elle balaye la maison et lave les assiees.

    Folla soupira de soulagement ; elle se prtait bien volontiers toutessortes douvrages, mme grossiers, mais elle prouvait une rpugnanceextrme plonger ses mains dans leau grasse. Cee lle dvoue et cou-rageuse gardait certaines dlicatesses inhrentes sa nature.

    Laprs-midi, elle nosa se hasarder seule hors de la maisonnee ; sonpre tait reparti, la vieille Jantet aussi, aprs avoir accomp