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retenus ceux de niveau IV, afin de compenser leur manque dexpérience. De telles caractéristi- ques garantissent à elles seules un bon taux de placement. De manière générale, ce taux de placement na en lui-même pas une grande signification puisquil nest jamais comparé, toutes choses égales par ailleurs, à dautres taux. Aucune attention nest en outre portée à la dimen- sion qualitative des emplois occupés par les sortants des EEP, seule prévaut lefficacité pro- ductive de lEEP et une pure logique demploi. Ces orientations sappuient sur une gestion des stagiaires par les compétences, tout en donnant toujours la priorité aux qualifications ou diplômes. Faisant référence aux travaux de Claude Dubar, lauteur conclut que la formation professionnelle noffre plus, depuis les années 1990, une seconde chance à ceux qui sont fai- blement dotés en capital scolaire. Elle répond désormais à des urgences immédiates et a été mise au service de la lutte contre lexclusion dans une conjoncture marquée par un taux de chômage élevé et persistant. Ce rapide compte rendu ne rend pas justice à louvrage de C. Frétigné. Il laisse, en effet, dans lombre toute la finesse de description de lobjet détude dont lauteur a une véritable connaissance. Ce texte, bien structuré, entraîne le lecteur au cœur des questions essentielles qui traversent aujourdhui le monde de la formation et de lemploi. Dans la lignée des travaux de Lucie Tanguy, lanalyse livrée ici démontre à quel point la gestion par les compétences prend de lenvergure, sans pour autant alléger le poids des qualifications. Plus largement encore, on constate que le chômage « profite » à des organismes de formation et dinsertion, tels que les EEP qui ont toute latitude pour sélectionner les stagiaires les plus proches de lem- ploi et, ce faisant, légitimer leur activité grâce à leur efficacité de placement. Sophie Divay Université de RouenIRED, CA-Céreq de Rouen, 76821 Mont Saint Aignan cedex, France Adresse e-mail : [email protected] (S. Divay). 0038-0296/$ - see front matter © Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2006.04.011 Dominique Glaymann, La vie en intérim, Fayard, Paris, 2005 (355 p.) Deux millions de personnes passent chaque année par lintérim. Loin dêtre larbre qui cache la forêt, le travail intérimaire est étudié dans cet ouvrage comme un analyseur pertinent de lévolution du système demploi depuis la fin des trente glorieuses en France. Lambition de cet ouvrage est de rendre compte de la vie en intérim par une approche qui se veut « dialec- tique », dune part, telle quelle est vécue et pensée par les intérimaires et, dautre part, telle quelle est dominée par un discours entrepreneurial. Dans le premier chapitre, après avoir présenté les changements majeurs du passage de la régulation fordiste à la régulation actuelle, lauteur réfute le concept de marché du travail, point de rencontre unique entre loffre et la demande de travail où lemploi serait une mar- chandise comme une autre, pour lui préférer celui de système demploi, plus complexe et mul- tiforme, structuré par une pluralité doffres et de demandes. Le nouveau système demploi est caractérisé par un chômage massif, un sous-emploi (tant qualitatif que quantitatif) ainsi quune paupérisation du salariat. Lévolution de lintérim français est emblématique de cette précarisa- tion et louvrage cherche alors à mettre en miroir lévolution de lintérim et celle du système demploi. Comptes rendus / Sociologie du travail 48 (2006) 257277 262

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Comptes rendus / Sociologie du travail 48 (2006) 257–277262

retenus ceux de niveau IV, afin de compenser leur manque d’expérience. De telles caractéristi-ques garantissent à elles seules un bon taux de placement. De manière générale, ce taux deplacement n’a en lui-même pas une grande signification puisqu’il n’est jamais comparé, touteschoses égales par ailleurs, à d’autres taux. Aucune attention n’est en outre portée à la dimen-sion qualitative des emplois occupés par les sortants des EEP, seule prévaut l’efficacité pro-ductive de l’EEP et une pure logique d’emploi. Ces orientations s’appuient sur une gestiondes stagiaires par les compétences, tout en donnant toujours la priorité aux qualifications oudiplômes. Faisant référence aux travaux de Claude Dubar, l’auteur conclut que la formationprofessionnelle n’offre plus, depuis les années 1990, une seconde chance à ceux qui sont fai-blement dotés en capital scolaire. Elle répond désormais à des urgences immédiates et a étémise au service de la lutte contre l’exclusion dans une conjoncture marquée par un taux dechômage élevé et persistant.

Ce rapide compte rendu ne rend pas justice à l’ouvrage de C. Frétigné. Il laisse, en effet,dans l’ombre toute la finesse de description de l’objet d’étude dont l’auteur a une véritableconnaissance. Ce texte, bien structuré, entraîne le lecteur au cœur des questions essentiellesqui traversent aujourd’hui le monde de la formation et de l’emploi. Dans la lignée des travauxde Lucie Tanguy, l’analyse livrée ici démontre à quel point la gestion par les compétencesprend de l’envergure, sans pour autant alléger le poids des qualifications. Plus largementencore, on constate que le chômage « profite » à des organismes de formation et d’insertion,tels que les EEP qui ont toute latitude pour sélectionner les stagiaires les plus proches de l’em-ploi et, ce faisant, légitimer leur activité grâce à leur efficacité de placement.

Sophie DivayUniversité de Rouen–IRED, CA-Céreq de Rouen, 76821 Mont Saint Aignan cedex, France

Adresse e-mail : [email protected] (S. Divay).

0038-0296/$ - see front matter © Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.soctra.2006.04.011

Dominique Glaymann, La vie en intérim, Fayard, Paris, 2005 (355 p.)

Deux millions de personnes passent chaque année par l’intérim. Loin d’être l’arbre quicache la forêt, le travail intérimaire est étudié dans cet ouvrage comme un analyseur pertinentde l’évolution du système d’emploi depuis la fin des trente glorieuses en France. L’ambitionde cet ouvrage est de rendre compte de la vie en intérim par une approche qui se veut « dialec-tique », d’une part, telle qu’elle est vécue et pensée par les intérimaires et, d’autre part, tellequ’elle est dominée par un discours entrepreneurial.

Dans le premier chapitre, après avoir présenté les changements majeurs du passage de larégulation fordiste à la régulation actuelle, l’auteur réfute le concept de marché du travail,point de rencontre unique entre l’offre et la demande de travail où l’emploi serait une mar-chandise comme une autre, pour lui préférer celui de système d’emploi, plus complexe et mul-tiforme, structuré par une pluralité d’offres et de demandes. Le nouveau système d’emploi estcaractérisé par un chômage massif, un sous-emploi (tant qualitatif que quantitatif) ainsi qu’unepaupérisation du salariat. L’évolution de l’intérim français est emblématique de cette précarisa-tion et l’ouvrage cherche alors à mettre en miroir l’évolution de l’intérim et celle du systèmed’emploi.

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Le deuxième chapitre présente alors l’extraordinaire essor du travail temporaire de la fin dela première guerre mondiale au début du XXIe siècle. Suivant la conjoncture économique audébut des années 1970, la courbe de croissance du travail temporaire pose rapidement la ques-tion d’un changement structurel de mode de gestion de la main-d’œuvre. S’en suit alors untravail de légitimation et de normalisation du travail temporaire à travers le lobbying des entre-prises de travail temporaire, dans un secteur où le syndicalisme salarié a peu de pouvoir histo-riquement.

Le chapitre trois démontre comment des années 1970 aux années 1990, les entreprises detravail temporaire (ETT) ont réussi à occuper une place importante d’intermédiaire de l’emploi,puis comment elles ont diversifié leurs fonctions dans les années 1990 pour s’ouvrir à la ges-tion des ressources humaines et enfin légitimer au début des années 2000 leur rôle de gestiondes transitions professionnelles.

Mais pourquoi est-on intérimaire ? Qui sont les salariés concernés ? Le chapitre quatreéclaire tout d’abord le lecteur par un bref descriptif sociodémographique. Les intérimairessont très majoritairement de jeunes hommes (moins de 30 ans), peu qualifiés, occupant despostes d’ouvriers. C’est donc le bas de l’échelle socioprofessionnelle qui est touché. Souventfragilisés par le sous emploi, les intérimaires viennent à l’intérim pour échapper au chômage(deux tiers des intérimaires étaient au chômage au moment de l’entrée dans l’intérim), ce quipousse l’auteur à étudier les raisons de l’entrée dans l’intérim dans une approche dialectiquechoix/contrainte. Dominique Glaymann propose une typologie des choix en quatre postes :les choix faibles (ex : avoir un emploi), les choix contingents (ex : reprise d’activité ou démé-nagement à venir), les choix utilitaristes (ex : tremplin vers un emploi stable) et les choix auto-nomes (ex : préférer l’intérim). Quel que soit le degré de la contrainte impliqué dans le choix,le vécu des intérimaires diffère ensuite quant aux objectifs qu’ils se donnent. Quatre typesd’objectifs sont déclinés, allant du simple fait d’avoir un emploi (objectif non stratégique) jus-qu’à la fuite du salariat (objectif stratégique). Là encore, l’auteur rappelle combien ces objec-tifs sont en réalité empreints d’une subjectivité influencée par le discours ambiant (manipula-tion idéologique des entreprises de travail temporaire notamment).

La domination est au cœur de l’ouvrage. Quels que soient les vécus de l’intérim, aucunintérimaire n’a de certitude quant à son avenir professionnel, ce qui génère de nombreusessouffrances. Le chapitre cinq décline les multiples facettes de la précarité au quotidien, freinconsidérable à une possible intégration professionnelle. L’auteur conclut alors à une intégrationdéficiente des intérimaires et à l’accroissement des inégalités entre eux.

Toujours dans ce travail de mise en miroir, le dernier chapitre présente le travail intérimairecomme un « symptôme de changement social » reflétant les tendances observables dans lepaysage de l’emploi français : précarisation de l’emploi et du travail, « marchéisation » del’emploi, individualisation, privatisation de l’intermédiation, etc. Précaire, l’intérim n’est pour-tant pas décrié explicitement par les intérimaires, à l’image des bouleversements qui opèrentdans le champ de l’emploi sans que les salariés n’arrivent à stopper ce mouvement. L’intério-risation des contraintes et le lobbying exercé par le patronat en faveur du mythe de la mobilitéet de la réussite individuelle expliquent pour partie, selon l’auteur, cette absence de revendica-tion. Le diagnostic final est sans appel : les forces du marché sont impénétrables et si la frag-mentation et la précarisation de l’emploi tout comme l’accroissement des inégalités ne sont pasun aboutissement mais une phase intermédiaire de changements, l’auteur conclut in fine que cemouvement semble irréversible.

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Ce livre s’appuie sur une recherche de terrain fouillée, faite d’observations, d’entretiensavec les différents acteurs du travail temporaire notamment et d’un questionnaire postal. Onregrettera pourtant l’absence de dialogue avec les travaux de sociologie du travail intérimaireexistants (Catherine Faure-Guichard notamment) et la tonalité trop souvent normative de celivre. L’apport important de cet ouvrage est de démontrer combien l’intérim, derrière sonvisage unique de précarité, dissimule de véritables inégalités entre insiders et outsiders, refletde la montée des inégalités du système d’emploi actuel.

Cathel KornigLast, 35, avenue Jules-Ferry, 13626 Aix-en-Provence, France

Adresse e-mail : [email protected] (C. Kornig).

0038-0296/$ - see front matter © Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.soctra.2006.04.013

Christian Bessy, François Eymard-Duvernay, Guillemette de Larquier,Emmanuelle Marchal (Eds.), Des marchés du travail équitables ? Approche comparativeFrance/Royaume-Uni, PIE-Peter Lang, Bruxelles, 2001 (308 p.)

La thèse principale du livre se résume vers la fin par la phrase : « Une société équitable, quisuit le principe « d’égalité démocratique », adopte des règles de comportement qui réduisenteffectivement le chômage d’exclusion » (p. 294). Ce constat s’oppose à la thèse néolibéraleselon laquelle favoriser la flexibilité salariale devrait contribuer à une réduction du chômageen Europe. Les premières pages font état des critiques de nombre d’économistes à l’encontrede la thèse néolibérale, et le lecteur pourrait s’attendre soit à une analyse alternative desniveaux du chômage global dans les deux pays, soit à une démonstration des erreurs demesure dont la correction ramènerait le niveau britannique au niveau français. Le contenu del’ouvrage n’est pourtant pas celui-ci mais il n’en est pour autant pas moins intéressant.

La première partie de ce livre collectif conteste la thèse « mi-atlantique » selon laquelle lacompression des inégalités salariales empêcherait le marché du travail de résorber le chômageet le fait sur la base d’une analyse des cadres institutionnels des inégalités du chômage. Lesauteurs se focalisent sur une analyse comparée du chômage en France et au Royaume-Uni(Larquier), de la place des femmes dans l’emploi dans les deux pays (Thévenon), sur la cons-truction des statistiques mesurant le chômage (Rebérioux), et sur l’action publique en directiondes jeunes (Lefresne). Cette série d’études cherche à mettre en lumière deux modes opposéesde fonctionnement des marchés du travail (logique marchande d’un côté, et organisationnelleou civique de l’autre) afin de mieux expliquer le comportement et la distribution du chômagedans les deux pays.

Dans la deuxième partie, les auteurs construisent leur démonstration sur la présence demodes de régulation opposés dans les deux pays à travers une série d’études qui opposentune logique de coordination par le marché en Grande-Bretagne à une logique de coordinationpar l’entreprise en France. Ces études se rapportent aux classements opérés par les acteurs dumarché du travail dont : l’organisation du placement (Bessy/Larquier) ; les méthodes de recru-tement (Marchal/Renard-Bodinier) ; et les petites annonces d’offre d’emploi (Bessy/Larquier).Le livre se termine par une réflexion théorique sur l’apport de l’économie des conventions et