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E n petits ouvriers que nous sommes, le combat valait la peine. Nous gardons la tête haute, défendons nos emplois et avons la confir- mation que les salariés d’Auneau ne méritent pas d’être sacrifiés ». C’est avec sobriété que Kerstin Jardé, secrétaire Force Ouvrière du CE d’Ethicon à Auneau (Eure-et-Loir), tire la leçon de la bataille juridique qu’ils viennent de remporter. En juin 2010, la direction d’Ethicon, usine de fabrication de matériel médico-chirurgical du groupe Johnson & Johnson, annonçait la fermeture du site, mettant ses 365 salariés sur le carreau, et la délocalisa- tion de la production vers les États- Unis et le Mexique. En octobre 2011, le TGI de Nanterre, en s’appuyant sur le rapport d’expert du cabinet Syncea mandaté par le CE, jugeait infondées les motivations économiques de ces licenciements*. Victoire juridique des Ethicon Pour l’expert du CE, Ethicon ne ren- contre aucune difficulté économique et fait partie d’un groupe florissant dont les bénéfices ne cessent de croître depuis des années. La nécessité de sauvegarder la compétitivité en raison de l’évolution du marché (premier argument avancé par le groupe) n’est pas un argument pertinent, car la production n’est pas supprimée, mais délocalisée. L’évolution du marché (second argument) n’est pas directe- ment liée à la politique des prix et des investissements qu’il appartient à l’entreprise d’ajuster. Bref, rien ne justifie le licenciement de 365 salariés. Le CE, associé à la fédération nationale de la Pharmacie FO et au syndicat Unsa Chimie, a demandé l’annulation pure et simple de la procédure sur deux registres : l’absence évidente de motif économique, mais aussi l’insuf- Par Ronan Darchen Social CE n°56 Janvier-Février 2012 39 38 Janvier-Février 2012 SocialCE n°56 © iStockphoto/ Fotolia/ Rafa Irusta t t DOSSIER DOSSIER Pas de motif économique ? Pas de licenciement ! Des juges se sont enfin mouillés pour mettre fin aux licenciements économiques et boursiers infondés en donnant raison au CE d’Ethicon, qui contestait la fermeture de son site. Cette victoire juridique est un nouvel espoir pour de nombreux salariés et leurs représentants. fisance du plan social compte tenu des moyens du groupe. Il n’en fallait pas tant pour les juges : la justifica- tion économique est une condition nécessaire à la mise en œuvre du plan de licenciements, il n’y a donc même pas lieu de se prononcer sur la consistance du PSE. Ce résultat est le fruit d’un travail collectif entre les membres du CE, les syndicats, leurs experts (cf. interview) et leur avocat Maître Philippe Brun. La stratégie des représentants du personnel d’Ethicon est couronnée de succès, même si ce n’est qu’un premier round, car la direction fera appel de la décision. Armand Djiré, délégué FO, le syndicat majoritaire du site, témoigne : « On a le sentiment d’un travail bien fait. S’il fallait recommen- cer, je recommencerais, mais je suis amer, car Ethicon a annoncé un nou- veau PSE qui vise cette fois-ci une quarantaine de salariés. Le combat continue. » La force de la solidarité Unanimement, les représentants du personnel expliquent que le plus difficile à gérer est la pression, exa- cerbée par l’inquiétude des salariés. Il y a aussi la minorité qui veut partir et pour qui le PSE est une opportunité. La majorité voulait se battre, mais avait peur d’un jugement défavora- ble, d’une clôture de la consultation sans avoir négocié la moindre mesure d’accompagnement. « Il a fallu les rassurer et leur expliquer nos démar- ches pour garder leur soutien », explique Armand Djiré. Mais les représentants admettent aussi que les salariés étaient leur force. « Dans les moments de découragement, il y avait toujours quelqu’un pour nous dire : Faut se battre, faut pas lâcher. » La force de la solidarité, quelles que soient la conviction syndicale ou les pressions subies, a servi et devra encore suivre les Ethicon, comme le souligne Fernando Pinto Da Silva, délégué syndical UNSA : « Finale- ment, peut-être que les juges de ce pays vont changer les choses. Espérons qu’il y a une justice en France et que les salariés vont l’em- porter. Ce qui est sûr, c’est que les combats qu’on ne mène pas sont perdus d’avance. J’espère que notre exemple sera suivi par d’autres. » Sur les traces d’Ethicon Aujourd’hui, ce sont les salariés de Still qui se battent pour leur usine de chariots de Montataire (Oise), puis- que le groupe Kion auquel ils appar- tiennent a décidé de fermer le site. L’annonce de sa fermeture en juillet 2011 a eu l’effet d’une bombe. En Les juges bougent enfin ! Licenciements économiques

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En petits ouvriers que noussommes, le combat valaitla peine. Nous gardons latête haute, défendons nosemplois et avons la confir-mation que les salariésd’Auneau ne méritent pas

d’être sacrifiés ». C’est avec sobriétéque Kerstin Jardé, secrétaire ForceOuvrière du CE d’Ethicon à Auneau(Eure-et-Loir), tire la leçon de labataille juridique qu’ils viennent deremporter. En juin 2010, la directiond’Ethicon, usine de fabrication dematériel médico-chirurgical du groupeJohnson & Johnson, annonçait lafermeture du site, mettant ses 365salariés sur le carreau, et la délocalisa-tion de la production vers les États-Unis et le Mexique. En octobre 2011, leTGI de Nanterre, en s’appuyant sur lerapport d’expert du cabinet Synceamandaté par le CE, jugeait infondéesles motivations économiques de ceslicenciements*.

Victoire juridique des EthiconPour l’expert du CE, Ethicon ne ren-contre aucune difficulté économiqueet fait partie d’un groupe florissantdont les bénéfices ne cessent de croîtredepuis des années. La nécessité desauvegarder la compétitivité en raisonde l’évolution du marché (premierargument avancé par le groupe) n’estpas un argument pertinent, car laproduction n’est pas supprimée, maisdélocalisée. L’évolution du marché(second argument) n’est pas directe-ment liée à la politique des prix etdes investissements qu’il appartientà l’entreprise d’ajuster. Bref, rienne justifie le licenciement de 365salariés. Le CE, associé à la fédération nationalede la Pharmacie FO et au syndicatUnsa Chimie, a demandé l’annulationpure et simple de la procédure surdeux registres : l’absence évidente demotif économique, mais aussi l’insuf-

Par Ronan Darchen

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Pas de motif économique ? Pas de licenciement ! Des juges se sont enfin mouillés pour mettre fin aux

licenciements économiques et boursiers infondés en donnant raison au CE d’Ethicon, qui contestait

la fermeture de son site. Cette victoire juridique est un nouvel espoir pour de nombreux salariés

et leurs représentants.

fisance du plan social compte tenudes moyens du groupe. Il n’en fallaitpas tant pour les juges : la justifica-tion économique est une conditionnécessaire à la mise en œuvre duplan de licenciements, il n’y a doncmême pas lieu de se prononcer sur laconsistance du PSE. Ce résultat est lefruit d’un travail collectif entre lesmembres du CE, les syndicats, leursexperts (cf. interview) et leur avocatMaître Philippe Brun. La stratégiedes représentants du personneld’Ethicon est couronnée de succès,même si ce n’est qu’un premierround, car la direction fera appel dela décision. Armand Djiré, déléguéFO, le syndicat majoritaire du site,témoigne : « On a le sentiment d’untravail bien fait. S’il fallait recommen-cer, je recommencerais, mais je suisamer, car Ethicon a annoncé un nou-veau PSE qui vise cette fois-ci unequarantaine de salariés. Le combatcontinue. »

La force de la solidaritéUnanimement, les représentants dupersonnel expliquent que le plusdifficile à gérer est la pression, exa-cerbée par l’inquiétude des salariés.Il y a aussi la minorité qui veut partiret pour qui le PSE est une opportunité.La majorité voulait se battre, maisavait peur d’un jugement défavora-ble, d’une clôture de la consultationsans avoir négocié la moindre mesured’accompagnement. « Il a fallu lesrassurer et leur expliquer nos démar-ches pour garder leur soutien »,explique Armand Djiré. Mais lesreprésentants admettent aussi queles salariés étaient leur force. « Dansles moments de découragement, il yavait toujours quelqu’un pour nousdire : Faut se battre, faut pas lâcher. »La force de la solidarité, quelles quesoient la conviction syndicale ou lespressions subies, a servi et devraencore suivre les Ethicon, comme lesouligne Fernando Pinto Da Silva,délégué syndical UNSA : « Finale -ment, peut-être que les juges de cepays vont changer les choses.Espérons qu’il y a une justice enFrance et que les salariés vont l’em-porter. Ce qui est sûr, c’est que lescombats qu’on ne mène pas sontperdus d’avance. J’espère que notreexemple sera suivi par d’autres. »

Sur les traces d’EthiconAujourd’hui, ce sont les salariés deStill qui se battent pour leur usine dechariots de Montataire (Oise), puis -que le groupe Kion auquel ils appar-tiennent a décidé de fermer le site.L’annonce de sa fermeture en juillet2011 a eu l’effet d’une bombe. En

Les jugesbougent enfin !

Licenciementséconomiques

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40 Janvier-Février 2012 SocialCE n°56

INTERVIEW

« Même lorsque la procédureest lancée, rien n'est perdu »

Syncea intervient souvent sur des projets de licenciements

économiques. Le cas d’Ethicon est-il particulier?

Pas spécialement. Il s’agit d’un établissement confronté à

la fermeture du site. Avec l’accord du CCE, notre désigna-

tion a été au niveau du comité d’établissement pour être

au plus près des salariés. Précisons qu’un PSE portant sur

40 postes avait été suspendu par la direction en 2008

suite au refus des élus de rendre un avis faute d’informa-

tions suffisantes. Intéressant, non ?

Le TGI s’est appuyé sur votre rapport pour rendre sa

décision, mais tous les CE tirent-ils le meilleur profit des

experts auxquels ils ont recours ? Comment les aidez-

vous ?

Notre rôle ne se limite pas à l’élaboration d’un rapport.

Nous défendons notre diagnostic devant l’employeur, avec

beaucoup de pédagogie pour que les élus comprennent

toutes les problématiques et s’approprient une réalité

qui leur appartient. Surtout, nous sommes présents en

permanence à leurs côtés tout au long de la procédure.

Constatez-vous que les CE se battent sur le motif écono-

mique ou se focalisent davantage sur l’accompagnement

social des salariés ?

Souvent, les élus prennent les projets avec fatalité, ou au

moins avec découragement. Ils cherchent en effet à amé-

Frédéric Gérard, directeurassocié du cabinet Syncea, aété l’expert qui a accompa-gné le CE Ethicon dans salutte contre la fermeture dusite et le licenciement des365 salariés de l’usine. Ilrevient sur cette expérience.

2006, les salariés avaient accepté une augmenta-tion de leur temps de travail de 3 h 30 par semainesans rémunération supplémentaire, pour éviterla délocalisation. Mais cinq ans plus tard, le groupeocculte ce sacrifice social collectif et veut rapa-trier les productions sur deux usines du groupeen Allemagne et en Italie. 255 emplois sont enjeu dans un bassin industriel en perte de vitesse,où le taux de chômage est élevé. « Le plan socialsera en partie payé par les salariés qui ont faitl’effort de travailler plus pour gagner moins »,souligne Jean-Michel Mlynarczyk, secrétaire duCE et élu CGT. « Au-delà de l’injustice, pourquoicette décision alors que l’usine tourne bien ? »,s’interroge-t-il.

Le groupe est endetté, car l’entreprise a étérachetée par recours à l’emprunt et rembourseaujourd’hui, ce qui pèse sur les résultats, maisl’exploitation n’est pas en difficulté. Les chiffresprésentés au CE dans la note économique nedémontrent rien. « Les performances sont dans ledomaine industriel très liées aux investissementset aux capacités de production, mais le groupeoriente ses productions sur différentes usines »,explique l’expert du CE (cabinet Ethix).Le constat se re-trouve dans nombrede dossiers : les ar -gumentaires écono-miques sont souventun exercice de styleet des doutes sérieuxexistent, non seule-ment sur la justifica-tion juridique deslicenciements, maismême sur leur perti-nence. Le débat tourne en rond, la directiondonne le moins d’informations possible, car ils’agit de légitimer la décision souvent priseailleurs et ne pas donner prise aux contentieuxjudiciaires futurs. « C’est une réelle difficulté pourles représentants du personnel. Qu’on ne nousendorme pas avec une cellule de reclassement… Onn’y croit pas ! Notre avenir, nous le voyons dans untravail ! », clame Jean-Marc Coache, membre duCE. « La direction est incapable de démontrer unejustification cohérente à la fermeture de l’usine eton ne veut pas payer pour des choix du groupe quin’ont rien à voir avec nous. Si le groupe nouslâche, ce sera après avoir trouvé une solution pourles salariés, mais pas avant, c’est-à-dire aprèsavoir réindustrialisé le site. »

L’obligation de revitalisationQu’attendre des politiques ? Les représentantsdu personnel se tournent vers ceux qui ponc-tuent leurs discours en condamnant les pra-tiques immorales des groupes en matière delicenciement. De plus en plus, les politiquess’emparent de ce thème et rendent visite auxsalariés en lutte. « Nous avons vu les Verts, lessocialistes, le front de gauche, mais les autres sontbien discrets.», précise Jean-Marc Coache. Le pré-sident de la République lui-même intervient surle sujet. Par exemple quand après l’annonce dugroupe Peugeot de supprimer 5 000 postes en2012, il assure qu’il n’y aura pas de licencie- t t

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« Les argumentaireséconomiques sontsouvent un exercicede style visant à nepas donner priseaux contentieuxjudiciaires futurs. »

L’équipe du CE d’Ethicon.

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ments… Promesse qui fait sourire, car pas delicenciements ne veut pas dire pas de suppressiond’emplois. Aujourd’hui, les ressorts politiquespour lutter contre les licenciements sont limités.La loi exige pourtant un effort de revitalisationpour les grands groupes, c’est-à-dire contribuerà maintenir ou à implanter une activité sur lebassin d’emplois qu’ils détériorent.Pour les salariés deStill, l’espoir n’exclutpas la mobilisation,car il a fallu lutterpour que le ministèrede l’Industrie accepte,à la demande desélus locaux, du CEet des syndicats leprincipe d’une tableronde pour travaillerà la recherche d’unrepreneur pour le site. La direction de l’entreprise et du groupe y estattendue. Jean-Marc Coache et Jean-MichelMlynarczyk parlent de concert : « Depuis l’annoncede la fermeture, le ministère de l’Industrie a reçudes représentants du groupe et proposé de sus-pendre le projet le temps d’engager une vraieréindustrialisation (plus qu’une simple revitalisa-tion) où représentants du personnel et syndicatsseraient associés. Il s’agirait de rechercher unrepreneur au site, mais qu’attendons-nous pournous y mettre ? Est-ce si compliqué d’être respon-sables ? Nous déplorons qu’il puisse s’écoulerautant de temps entre les paroles et les actes, et àce jour nous doutons d’une réelle volonté de notregroupe de rechercher de vraies solutions. Côtépolitique, nous ne sommes pas naïfs, car nousbénéficions en quelque sorte du contexte électoral.Maintenant nous nous battrons jusqu’au bout. »

Les juges vont enfin plus loinIl peut y avoir débat sur la justification de licen-ciements, car ces derniers doivent reposer surune cause réelle et sérieuse. Le Code du travailaccepte les difficultés économiques et lesmutations technologiques. Les juges ont validéla cessation d’activité et la nécessité de sauve-garder la compétitivité. Ce dernier motif pose néanmoins des difficultésd’appréciation quand des groupes solides finan-cièrement, voire largement bénéficiaires, s’yengouffrent pour justifier des licenciementsd’ampleur et destructeurs d’emplois en France,comme l’illustrent l’affaire Ethicon ou la situationvécue à l’usine Still de Montataire.Sur quels éléments objectifs peut-on affirmer quela compétitivité est menacée ? À quelle échéancela menace peut-elle être admise ? Comment fairela différence entre l’amélioration de la compéti-tivité et donc des résultats – ce que recherchetoute entreprise - et une nécessaire sauvegarde ?Est-il raisonnable d’engager des licenciementsaux effets immédiats pour les salariés, alors quela menace est lointaine, voire hypothétique ?Toutes les décisions de délocalisation vers despays à bas coût de main-d’œuvre justifient-ellesdes licenciements économiques en France ? Lerôle du CE est ici puissant.

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liorer les mesures d’accompagnement en délaissant

l’analyse du motif économique. Cela fait partie de notre

rôle de rappeler aux élus que même si le combat est

inégal, rien n’est perdu lorsque la procédure est lancée…

Comment réagissent les directions d’entreprise à vos

conclusions ? Quelle a été la réaction de la direction

d’Ethicon?

Dans des contextes de PSE, les directions sont rarement

d’accord avec nos analyses lorsque le motif économique

est contesté. Chez Ethicon en particulier, la direction

considérant son projet comme inattaquable et la ferme-

ture comme inéluctable, les réunions de restitution ont

été houleuses. Le CE et le juge semblent avoir apprécié

différemment.

Dans les situations où le motif économique existe,

travaillez-vous différemment ?

Si le motif économique est peu contestable, nous avons

d’autres approches : le dimensionnement du projet et sa

capacité à redresser durablement la situation. N’y a-t-il

pas des solutions alternatives viables non étudiées, qui

épargneraient les emplois ? Et enfin seulement, l’accom-

pagnement social est-il pertinent et proportionné aux

moyens du groupe ?

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans

vos missions d’accompagnement sur les PSE ?

Outre les délais courts, l’obtention des données

économiques futures et celles du groupe pose souvent

problème. Mais nos difficultés sont peu de chose au

regard des drames humains d’un PSE.

Vous avez du recul après plus de dix ans auprès des CE

sur ce type de mission. Voyez-vous une évolution sur la

période récente ?

En dépit d’outils du type GPEC, nous constatons que

la situation économique de l’entreprise est souvent

découverte lorsqu’un PSE est annoncé, ce qui amène

plus de colère et de tensions. n

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« Les salariés de Still ont dû lutter pour que le ministère del'Industrie acceptede participer à une table ronde. »

Les salariés de STILL à Montataire (60).

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Contester le motif économiqueBien sûr, il y a le rapport de force né du débatparfois appuyé de mobilisations, grèves et lobbyingvisant à faire renoncer l’entreprise ou le groupe à« sa » décision. Souvent, cette nécessaire énergiene suffit pas et l’épreuve du temps crée l’essouf-flement. Petit à petit, les salariés intériorisentla décision, même s’ils ne l’acceptent pas ; à laréaction à chaud se substitue une projectionailleurs, un calcul des indemnités, une estimationdes allocations chômage le temps de retrouverun emploi. Difficile pour les élus et les syndicatsd’entretenir la flamme.Si tout salarié licencié peut contester son licen-ciement devant le conseil des prud’hommes, unobstacle de taille a longtemps existé pour le CE.Impossible – bien qu’il soit consulté sur le sujet –de contester la validité du motif économique : auCE les discussions, mais aux salariés la contesta-tion pour une simple réparation. Néanmoins, larecrudescence de fermetures de sites et de délo-calisations aux justifications légères fait bougerles lignes. Pleurs sur une compétitivité menacéeface au CE, démonstration de confiance et annoncede bénéfices et distribution de dividendes auxactionnaires : les dimensions, politique et morale,sont là et certains tribunaux sortent du rang avecdes décisions remarquées qui confèrent, indirec-tement, davantage de contre-pouvoir au CE.Comme quoi la ténacité des élus de comitésd’entreprise et des syndicats peut faire bougerles lignes.

Des juges pour défaire plus que pour réparer Mouvement de fond ? L’affaire Ethicon n’est passi isolée. En février 2011, le TGI de Troyes adécidé dans l’affaire Sodimédical (fabricant dematériel médical du groupe Lohmann &Rauscher) qu’« un plan de sauvegarde de l’emploicontenant des mesures suffisantes ne saurait êtrevalidé alors que le motif économique qui le sous-tend serait inexistant ou injustifié. » (TGI Troyes, 4fév. 2011). Cette décision a été rapidement suivie par la Courd’appel de Paris dans l’arrêt Vivéo (éditeur delogiciels bancaires), qui juge que le défaut demotif économique rend sans objet la consultationdu CE et l’ensemble de la procédure. La Courajoute qu’ « il entre dans les pouvoirs du TGI, jugenaturel des conflits collectifs du travail, de tirer lesconséquences de cette illégalité. En contrôlant laréalité du motif économique, il ne s’agit nullementpour lui de s’immiscer dans la gestion del’entreprise et de porter atteinte à la libertéd’entreprendre, mais seulement de contrôler lalégalité de la procédure suivie. » (CA Paris, 12 mai2011). L’affaire n’en restera pas là puisque lejuge de cassation a été saisi.Un revirement de jurisprudence sur l’apprécia-tion du motif économique avant la notificationdu licenciement serait une avancée majeure.Comme les salariés d’Ethicon, les Still ont aussiengagé le contentieux. Nos encouragements lesaccompagnent. n

* Pour plus d’informations sur la lutte des salariésd’Ethicon, on peut consulter le site du CE sur www.ce-ethicon-auneau.fr.

Identifier chaque procédure du CELe CE est consulté deux fois quand au moins 10 licenciementssont envisagés.La première consultation porte sur la teneur de la réorga-nisation qui répond au problème économique exposé parl’employeur. La seconde, dite de PSE (Plan de Sauvegarde del’Emploi) vise l’analyse du motif économique qui justifierait delicencier, les postes et catégories professionnelles concernés,le détail de l’accompagnement social. Les entreprises peuvent séparer les consultations ou lesengager en parallèle. Si cette dernière option est choisie, l’em-ployeur ne peut imposer les deux consultations dans les seulsdélais légaux prévus pour le PSE. Au-delà du choix unilatéralde l’employeur, la loi permet aussi d’organiser les procédurespar accord avec les organisations syndicales. Ces accords, dits« de méthode », définissent en amont l’ordonnancement desconsultations, le nombre et le calendrier des réunions, lesthèmes à débattre, les moyens spécifiques donnés aux élus dupersonnel. Ils anticipent parfois le contenu du PSE. L’objectifaffiché est d’apaiser le déroulement des procédures et desécuriser l’entreprise.

Conclure un accord de méthode ?Cette négociation est complexe, car placée en amont, et biensouvent les délégués syndicaux n’ont pas de visibilité sur leprojet, ses impacts et les alternatives possibles. Le risque seraitde valider le principe de la réorganisation alors que le motiféconomique n’est encore ni démontré, ni même discuté.

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Un PSE est annoncé… C’est l’émotion chez lessalariés et la panique chez les élus, qui n’ont niexpérience ni formation spécifique. En plus denotre premier conseil, qui est de bien vousentourer, voici quelques repères pour faire face àla situation.

Faire faceà un PSE

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PUBLIRÉDACTIONNEL

PSE : les réflexes nécessaires

La période de tension écono-

mique actuelle conduit certaines

entreprises à procéder à des

réorganisations ayant parfois des

conséquences directes sur l’emploi.

Dès lors que le projet de licenciement

pour motif économique concerne au

moins 10 salariés, la présentation

d’un plan de sauvegarde de l’emploi

(PSE) au CE ou au CCE s’impose.

Pour vous éviter d’être vite

débordés, voici ce qu’il convient

entre autres de garder à l’esprit.

Anticiper, organiser

et maîtriser la procédure

S’il en est encore temps, la conclusion

d’un accord de méthode aura le

mérite de permettre à chacun d’avoir

une visibilité sur le déroulement

futur de la procédure. Il faudra par

la suite dissocier ce qui concerne le

projet de réorganisation en tant que

tel du projet de PSE. Même menées

de manière concomitante, les deux

procédures doivent être distinguées,

au risque de cantonner les échanges

sur les seules mesures du PSE.

S’entourer de spécialistes

Le contenu d’un PSE peut vite s’avérer

complexe. L’intervention d’un expert

permettra au CE de préparer sa

stratégie, d’optimiser les mesures

du plan et de pointer du doigt les

insuffisances de celui-ci. C’est aussi

préparer les arguments d’une éven-

tuelle contestation.

Gérer la communication

Si l’initiative de la communication

du projet reste à la direction, il n’en

demeure pas moins que les élus

doivent pouvoir échanger avec les

salariés. Cela aura pour mérite de

fédérer la collectivité des salariés.

Cela permettra par ailleurs de prendre

en compte les aspirations des salariés

directement concernés par le PSE,

tout en intégrant les interrogations

de ceux qui resteront dans l’entreprise

une fois la réorganisation effective.

Olivier Cadic, directeur Juridique

AuServiceduCE - Groupe Alpha

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Beaucoup de directions exigent dansces accords des dates de fin pour lesconsultations, ce qui limite les repré-sentants du personnel : les représen-tants pourront se battre sur le principedes décisions de l’entreprise, mais nepourront agir que sur le temps défini.L’exercice de cette négociation,parfois opportun, est particulière-ment périlleux.

L’action en justiceLes procédures de PSE génèrent,parce que le sujet n’est pas neutre, denombreux contentieux. Le patronats’en plaint régulièrement et a obtenudu législateur une certaine sécurisa-tion pour éviter que des contentieuxsoient engagés tardivement par lesreprésentants du personnel. La loidite de cohésion sociale de janvier2005 a fixé des délais pour agir selonl’objet du contentieux (contestationde la procédure, de la validité du PSE,du motif économique…). Cette loi aaussi pérennisé la pratique desaccords de méthode, autorisée depuis2003 à titre expérimental. Vigilance,donc !

Procédure en désordreL’absence de consultation, le non-respect des délais, la remise tardivedes documents polluent les débats.Manœuvres ou manque de maîtrisedu processus légal ? Quelle qu’en soitla raison, les élus ne sont pas dému-nis. L’irrégularité de procédure n’en-traîne pas sa nullité, mais le CE peutobtenir le respect des obligations,voire la suspension de la mise enœuvre du PSE. En cas d’irrégularitéde procédure, les salariés licenciéspeuvent obtenir un dédommage-ment, mais le licenciement n’est pasannulé.La nullité de la procédure sera acquiseen cas d’absence de consultation ou sile CE n’a pas été valablement saisi.L’intervention de l’inspecteur dutravail peut suffire, mais souvent lasaisine du juge sera indispensable.Après avoir mandaté un élu pour lereprésenter, le CE saisit le juge desréférés du Tribunal de grande ins-tance (TGI).

PSE insuffisantsL’administration du travail disposede 8 jours pour contrôler le PSE etprononcer une carence qui constituepour l’employeur une invitation forteà revoir sa copie. Ce délai est court etl’administration est parfois débordéepour accorder son attention à chaquedossier (notamment en 2009, où lenombre de PSE a explosé). Le recoursau juge, y compris en l’absenced’intervention administrative, reste

possible. Cette action peut conduire àla nullité du plan, donc de la procédureet des licenciements, ouvrant alorspour les salariés un droit à réinté-gration.Le plan de reclassement interne faitl’objet de toute l’attention du juge.Les offres de reclassement sont-ellesrecensées ? Donne-t-on aux salariésla possibilité de les accepter ? Le PSEmobilise-t-il des moyens pour desalternatives de reclassement externe ?Autre point important : le juge vérifiela proportionnalité des moyensmobilisés à ceux de l’entreprise ou dugroupe. C’est ainsi l’insuffisance du PSE quiest reprochée à l’entreprise Fralibappartenant au groupe Unilever. LaCour d’appel d’Aix-en-Provence adans son arrêt du 17/11/2011 cons-taté la faiblesse des possibilités dereclassement interne, mais aussi lemanque de moyens mobilisés parUnilever. Conclusion : le PSE Fralibjugé sans valeur, donc nul, a pourconséquence la nullité de tout licen-ciement qui pourrait être prononcé.n

FAUT-IL CRAINDREune recrudescencedes PSE ?Entre janvier et juin 2011,

507 plans de sauvegarde

de l’emploi (PSE) ont été déposés

(25 000 emplois impactés).

C’est 30% de moins que

sur la même période de 2010

(35000 emplois touchés)

et 60% de moins qu’au premier

semestre de 2009.

Cette accalmie risque d’être

de courte durée au regard

de la situation économique

actuelle, même si les employeurs

usent des ruptures convention-

nelles et des départs dits volontaires

pour échapper à des procédures

et surtout à des justifications

exigeantes.