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Une médaille commémorant la prise de la Bastille issue des collections des Musées de Lons-le-Saunier (Jura) Zoé COURDIER Master 2 « Archéologie et Patrimoine » Université Jean Moulin Lyon III Serge DAVID Professeur Service éducatif des musées de Lons-le-Saunier Musées de Lons-le-Saunier 2015

Dossier médaille prise de la Bastille def - CNDP

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Une médail le commémorant la prise de la

Basti l le issue des collections des Musées de

Lons-le-Saunier (Jura)

Zoé COURDIER Master 2 « Archéologie et Patrimoine »

Université Jean Moulin Lyon III

Serge DAVID Professeur

Service éducatif des musées de Lons-le-Saunier

Musées de Lons-le-Saunier 2015

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Cette médaille (f ig. 1, et 2) conservée par les Musées de Lons-le-Saunier, provient probablement des collections de la Société d’émulation du Jura transférées en 1857 à la ville de Lons-le-Saunier. Il s’agit d’une médaille en or des Gardes françaises ayant pris la Bastille le 14 juillet 1789. Délivrée au jurassien Jean Augustin Sassard le 15 septembre de la même année, elle est accompagnée du brevet signé par le maire de Paris, Bailly, et le commandant-général des Gardes françaises, le marquis de la Fayette (f ig.3). Elle permet d’aborder de façon originale cet événement emblématique de la Révolution française qu’est le 14 juillet 1789 :

- par l’étude des couleurs du ruban; - par l’étude de la symbolique très forte du combat pour la liberté portée par la

médaille elle-même ; - par le titulaire lui-même, modeste travailleur agricole devenu grenadier, qui

illustre à la fois l’engagement populaire et celui de troupes passées dans le camp de la Révolution.

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Figure 1 : Avers de la médaille en or des Gardes françaises ayant pris la Bastille le 14 juillet 1789 accompagnée de son ruban.

Cliché Zoé Courdier. © Musées de Lons-le-Saunier.

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Figure 2 : Revers de la médaille en or des Gardes françaises ayant pris la Bastille le 14 juillet 1789. Cliché Zoé Courdier. © Musées de Lons-le-Saunier.

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Figure 3 : Brevet accompagnant la médaille, délivré en l'honneur de Jean Augustin Sassard le 15 septembre 1789 à Paris. Echelle 1/2. Cl. Zoé Courdier / © Musées de Lons-le-Saunier.

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Le rôle des Gardes françaises le 14 juillet 1789 et la naissance de la médaille Le régiment des Gardes françaises est une unité chargée du maintien de la police de Paris. Cependant, dès le 23 juin 1789, une compagnie refuse d’obéir aux ordres du roi. En juillet, le régiment bascule en bloc du côté des émeutiers, et c’est l’intervention des Gardes françaises qui permet la prise de la Bastille le 14. L’unité sera ensuite intégrée à la Garde nationale. D'après les sources d'archives, six cents soixante et onze soldats ont participé à la prise de la Bastille. A la fin du mois de juillet une motion proposant de donner une médaille en or à chaque membre des Gardes françaises ayant pris la forteresse est soumise au marquis de La Fayette. Ce dernier adresse ensuite la demande de création d'une telle marque distinctive pour les héros de la Révolution en séance du 5 août 1789 aux représentants de la Commune. La forme et les légendes définitives sont finalement arrêtées le 1er septembre 1789. Le graveur Francastel est désigné pour réaliser cette matrice en or. Le recueil des procès verbaux de l'Assemblée générale des représentants de la Commune de Paris de la séance du 4 septembre 1789 précise que cette distinction est offerte aux sous-officiers et soldats du régiment des Gardes françaises ayant participé au siège de la Bastille, ainsi qu'à quelques officiers de l'état-major. Le maire de Paris, Bailly, le président de l'Assemblée des représentants de la Commune, de Vauvilliers, les commissaires d'Espagnac et de Sémouville ainsi que le maréchal des logis des Gardes françaises Dumas sont aussi désignés pour recevoir cette décoration. Seuls deux cents quatorze soldats bénéficient d'une médaille en or. En effet, tous n'ont pas droit à une médaille et beaucoup reçoivent quelques pièces ou le secours en récompense. On peut supposer que l’attribution de la décoration dépend du poste occupé par les soldats au moment du siège. Né le 8 mars 1763 à Thoiria, Jean Augustin Sassard est un des soldats désignés pour la médaille. Il occupe le poste de grenadier lors de la journée du 14 juillet 1789. Âgé de 26 ans au moment de cet événement, les archives nous indiquent son statut de manouvrier (ouvrier agricole). Quarante-deux ans plus tard, par l'ordonnance royale du 1er novembre 1831, lui est accordée à compter du 1er janvier 1832 une pension de cinq cents francs par an en tant qu'un des quatre cents un vainqueurs de la Bastille survivants. Jean Augustin Sassard décède le 22 mai 1833 dans sa commune de naissance. Engagement d’un homme et d’un régiment On explique traditionnellement l’engagement des Gardes françaises aux côtés des révolutionnaires par leur proximité avec la population parisienne. C’est, au milieu du XVIIIème siècle, une troupe bien intégrée dans la population : il y a peu de casernement, beaucoup de soldats ont un logement en ville et exercent un emploi. Les officiers agissent avec prudence, sur ordre du roi, ne s’engageant que s’ils sont sûrs d’être suivis par leurs hommes (Corvisier, 1982). L’intégration à la société civile est cependant moins prononcée à l’approche de la Révolution en raison des progrès du casernement et de la limitation du nombre de soldats travailleurs. Les raisons de l’attitude des Gardes françaises en juillet 1789 sont plutôt internes au corps, largement pénétré par le message révolutionnaire. Il semble même que les cadres aient assimilé ce message bien avant leurs subordonnés, puisqu’on constate que l’entourage du duc d’Orléans, Grand-Maître de la Franc-Maçonnerie, exerce une influence sur bien des officiers. En 1787 est créée une loge maçonnique de sergents aux Gardes. L’esprit de corps a sans doute beaucoup joué dans l’attitude de la troupe, mais une autre explication est à rechercher dans l’origine sociale des soldats. Les Gardes françaises recrutent beaucoup dans la province (55% des hommes entrés au régiment en 1783), en particulier dans le Nord-Est de la France (14% des recrues viennent de Besançon en 1783). Les recrues sont jeunes (l’âge moyen est de 19 ans 10 mois en 1783) et pauvres. Elles ont des origines souvent paysannes, mais elles viennent aussi de l’artisanat, de la

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domesticité, de familles de soldats… («Il fallait être seul et miséreux pour chercher dans l’armée un moyen d’existence » : Corvisier, 1982). Il ne fait guère de doute que ces origines modestes aient rendu la troupe très sensible au discours révolutionnaire porté par l’encadrement. L’engagement de Jean Augustin Sassard, simple ouvrier agricole, probablement en première ligne au moment de la prise de la Bastille, pourrait en être l’illustration. Etude de la médail le Les couleurs du ruban ( f ig. 1, et 2) Le bleu et le rouge sont les couleurs de la ville de Paris. Comme le mentionne le diplôme, c’est en effet la Commune de Paris, gouvernement révolutionnaire formé après la prise de la Bastille, qui délivre la médaille. Emblème de la monarchie, le blanc apparaît également. Le marquis de la Fayette raconte dans ses mémoires que, trois jours après la prise de la Bastille, il obligea Louis XVI se rendant à l’hôtel de ville de Paris à porter la cocarde tricolore, le blanc représentant la monarchie, le bleu et le rouge, la ville de Paris, signe de « l’alliance(…) entre le monarque et le peuple. »

Une médail le trè s symbolique (f ig.4)

Figure 4 Avers. Echelle 2/1. Revers. Echelle 1/1 Cl. Zoé Courdier / © Musées de Lons-le-Saunier Cl. Zoé Courdier / © Musées de Lons-le-Saunier Cette médaille on or de 20 carats, et de 16 carats pour l'anneau, mesure sans la bélière 35,51 mm de hauteur pour 25,64 mm de largeur. Elle pèse 6,12 grammes. Œuvre du graveur Francastel, elle est en forme de losange à pointes pommelées. Nous remarquons au droit un faisceau de chaînes brisées reliées à un cadenas ouvert gisant sur le sol aux côtés de boulets et de balles. Au dessus, nous observons la seconde partie de la chaine brisée, suspendue à un anneau. Le tout est représenté dans un cadre losange, autour duquel est inscrite la légende suivante : « LA-LIBERTE / CONQUISE / LE / 14-JUILLET / 1789 ». Les chaînes et le cadenas brisés par les

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canons et les balles qui les accompagnent symbolisent ainsi le rôle des Gardes françaises dans la victoire militaire contre la servitude des populations soumises au pouvoir royal absolu. Au revers, est figurée une épée en pal traversant une couronne de chêne ou de laurier. Le tout est également représenté dans un cadre losange encadré de la légende suivante : « IGNORANT-NE / DATOS-NE / QUISQUAM / SERVIAT-ENSES ». Proposée par le marquis de La Fayette aux représentants de la Commune, elle est tirée de l’épopée Pharsale écrite par Lucain. Toutefois, la phrase originale : Ignorant que datos, ne quisquam serviat, enses est légèrement modifiée. Nous pouvons la traduire de deux manières : Ignorent-ils que les armes ont été données contre la servitude ? ou bien Ignorent-ils que chacun n’a reçu un glaive que pour se défendre contre l’esclavage ? Nous constatons ici la symbolique de la légende choisie. Encensant la bravoure et l'héroïsme des soldats libérateurs du peuple, ce vers est également gravé sur les sabres des Gardes françaises. Il est aussi inscrit sur les ruines de la forteresse et correspond au cachet de l'association des Vainqueurs de la Bastille. Enfin, l'insertion d'une couronne de laurier ou de chêne est un attribut fort dans le contexte révolutionnaire. Le laurier représente la gloire. Il est cher à Apollon qui donne à ses feuilles l'immortalité et la beauté dans le mythe de Daphné. Il est aussi pour Tite-Live l'ornement du succès remporté par une tactique exacte, et en couronne, il érige au rang de Jupiter Victor le chef de guerre le jour de son triomphe. Le chêne renvoie quant à lui au pouvoir, à l'endurance et à la longévité. La couronne civique des romains est faite de ses feuilles. Elle représente la plus illustre décoration du courage militaire et l'emblème de la clémence impériale. Au regard des divers éléments représentés et des légendes, la médaille insiste sur le glorieux triomphe des Gardes françaises. Cette décoration illustre la victoire des soldats et avec eux du peuple tout entier sur l'obscurantisme de la monarchie.

Pédagogie Après une description des deux faces de la médaille, on montre à quel événement elle se réfère. Le diplôme et les couleurs du ruban permettent de découvrir qui la décerne. Le titulaire de la médaille est présenté, ainsi que les Gardes françaises. Leur rôle dans les évènements du 14 juillet aux côtés des émeutiers est expliqué. On insiste ensuite sur la force des symboles utilisés sur la médaille. A l’avers, le cadenas et les chaînes symbolisent la servitude imposée par le pouvoir absolu. Ils sont brisés par les boulets et les balles des Gardes françaises qui jouent le rôle de libérateurs du peuple. Au revers, l’épée, la couronne de laurier et les vers symbolisent la gloire des armes qui combattent pour la liberté..

Bibliographie CORVISIER A. 1982. Paris et l’armée au XVIIIème siècle. Etude politique et sociale. Journal des Savants, n°3-4, p.343-367. COURDIER Zoé. A paraître. Un jurassien a pris la Bastille. Société d’Emulation du Jura.