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Dossier pédagogique
Notre besoin de consolation
mise en scène Julie Bérès
Représentations du 10 au 12 mai 2011
Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, service éducatif de la Comédie de Reims : [email protected]
Contacts relations publiques : Margot Linard : [email protected] Jérôme Pique : [email protected]
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Mise en scène Julie Bérès
Scénario, dramaturgie, textes Julie Bérès, Elsa Dourdet, Nicolas Richard et David Wahl
Interprété et créé par Virginie Frémaux, Eric Laguigné, Mike Hayford et Agnès Joëssel-
Görgen
Création sonore David Ségalen
Création lumières Hugo Oudin
Création vidéo Christian Archambeau
Scénographie Mathias Baudry assisté de Camille Riquier
Plasticienne Juliette Barbier
Chorégraphie Lucas Manganelli
Costumes Aurore Thibout
Perruques Nathalie Régior
Sculptures, peintures clones Alain Fenet, Marguerite Bordat
Régie générale et régie lumières Jean-Marc Ségalen
Régie son Roland Auffret
Régie vidéo Loïc Le Cadre
Régie plateau Stéphane Lemarié, Aude Legrand, François Rault
Avec l’aimable participation de comédiennes et comédiens amateurs.
Production Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône
Coproduction Compagnie Les Cambrioleurs - Le Quartz, Scène Nationale de Brest - Le Maillon, Théâtre de
Strasbourg - La Brèche, Centre des Arts du Cirque de Cherbourg-Octeville - Le Théâtre de l’Onde, Espace
Culturel de Vélizy-Villacoublay - Théâtre Romain Roland, Villejuif / Avec l’aide à la création du Conseil général du
Finistère / Avec le soutien du Granit, Scène Nationale de Belfort, de l’Hexagone, Scène nationale de Meylan et
de l’EPPGHV, Parc de la Villette.
La compagnie Les Cambrioleurs est conventionnée par la DRAC Bretagne et est soutenue par la Région
Bretagne et le Conseil général du Finistère pour ses projets. Julie Bérès est artiste associée au Quartz, Scène
nationale de Brest.
Page 3
Notre besoin de consolation
dossier pédagogique
sommaire
LE PROJET ARTISTIQUE
Entretien avec Julie BERES page 4
Note d’intention page 6
Le « scénario » page 8
La création du spectacle page 11
Tenter un théâtre débat page 15
Photographies du spectacle page 17
STIG DAGERMAN,
NOTRE BESOIN DE CONSOLATION EST IMPOSSIBLE A RASSASIER
Extraits de Notre besoin de consolation est difficile à rassasier
de Stig Dagerman
page 20
Biographie de Stig Dagerman page 22
HISTOIRE DES ARTS : Jérôme BOSCH, en contre-point page 24
ÉCHOS DANS LA PRESSE page 26
L’EQUIPE ARTISTIQUE page 29
Bibliographie, vidéographie, sitographie page 33
Page 4
LLEE PPRROOJJEETT AARRTTIISSTTIIQQUUEE
EEnnttrreettiieenn aavveecc JJuulliiee BBEERREESS
La jeunesse est-elle le point de perfection humaine ?
Chacun de vos projets s'articule autour d'un sujet fort - social ou politique - pour déboucher
sur un théâtre qui est tout autre chose que documentaire : plutôt onirique, visuel, voire
surréaliste ... Pourquoi?
Mon travail est ancré dans le réel, mon urgence est de parler du présent, d'essayer de comprendre et
d'interroger le monde dans lequel nous vivons. Dans les « sujets » que je choisis d'aborder, je lente
de déceler el de « représenter » l'épaisseur de ce réel, d'en faire surgir la dimension épique, parfois
burlesque, parfois tragique… Je pars donc de situations prélevées dans le réel, et qui deviennent
dans le jeu du plateau, une sorte de fiction fantasmagorique. Pour moi, le théâtre se situe à cet
endroit du rassemblement où des êtres se retrouvent pour confronter des points de vue. Je ne suis
pas sûre que le théâtre puisse à lui seul transformer le spectateur (le citoyen) en délivrant un
« message » sur l'état du monde. Je crois en revanche que le théâtre peut déplacer notre regard : ce
n'est pas seulement un processus intellectuel, mais aussi un plaisir qui implique le corps. Voilà
pourquoi je cherche à faire vivre un théâtre « suggestif », « onirique » ou encore « surréaliste ». Je
crois à une certaine « magie » du théâtre, à sa capacité à créer de l'illusion et le trouble.
Qu'est-ce que vous souhaitiez questionner avec Notre besoin de consolation ?
Nous nous sommes beaucoup documentés sur le paysage d'une « humanité mutante », telle que la
science commence à en dessiner les contours : les manipulations génétiques, le clonage, la
fécondation in vitro, et les recherches sur le vieillissement des cellules qui laissent entrevoir l'horizon
d'une humanité immortelle ! Mais que serait la vie sans l'horizon de la mort ? La jeunesse est-elle le
point de perfection humaine, et aime-t-on seulement ce qui est « parfait » ? Ces questions
éminemment philosophiques sont traduites dans un « scénario » où des personnages sont
susceptibles de les incarner jusqu'à une certaine absurdité.
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Quel serait aujourd'hui, votre rapport au texte sur une scène ? Votre intérêt pour cela ? Avez-
vous déjà eu l'envie de partir d'une dramaturgie existante, d'un texte écrit pour la scène?
Je n'éprouve pas la nécessité, pour le moment, de partir d'un texte préexistant. L'écriture de mes
spectacles vient d'un travail d'immersion documentaire, je considère que l'écriture textuelle participe
à un processus scénique global. Lorsque j'imagine un spectacle, j'ai toujours besoin, en amont des
répétitions, de collecter des images, des sons, des témoignages, de rencontrer des chercheurs
(philosophes, scientifiques, sociologues) spécialisés dans le sujet que j'ai choisi. Je m'entoure d'une
scénariste, Elsa Dourdet, et d'auteurs (Nicolas Richard et David Wahl) avec qui nous « distillons » et
transformons au fur et à mesure de nos recherches les matériaux glanés pour nourrir le scénario. Le
processus suppose une nécessaire élasticité de l'écriture et une porosité des différents ingrédients
scéniques.
Comment passe-t-on d'une formation de comédienne au Conservatoire national d'art
dramatique à un travail la direction de projets que vous qualifiez « d'écriture de plateau » ?
Au Conservatoire, j'étais un peu considérée comme un cancre… Mais une formation, ne sert pas
forcément à reproduire ce qui existe déjà, mais aussi à pouvoir se situer, à forger sa propre voie. J'ai
éprouvé très vite, dans ma formation de comédienne comme avec certains metteurs en scène avec
qui j'ai joué (JeanYves Ruf, Jean-François Peyret), le goût des situations de plateau et cela est resté
très présent dans mon travail de création.
Ma formation de comédienne s'est doublée, si je peux le dire ainsi, d'une formation de spectatrice.
La découverte de l'univers de Tadeusz Kantor, Christoph Marthaler, Heiner Goebbels, Frank Castorf
a été fondamentale… Et aujourd'hui, il y a dans des formes issues du « nouveau cirque » comme
dans la danse contemporaine des dramaturgies extrêmement inventives : Josef Nadj (que j'ai eu la
chance de rencontrer dans le travail), Alain Platel ou Meg Stuart. Maguy Marin, Pina Bausch sont des
artistes que j'admire et qui m'importent énormément... Depuis la création de ma compagnie, je
m'entoure de créateurs (d'artistes interprètes, danseurs, circassiens, vidéastes, plasticiens,
scénographe) pratiquant différentes disciplines, désireux d'affirmer leurs propres langages et au
croisement de ceux-ci, d'aboutir à une écriture scénique.
Propos recueillis par Christophe Lemaire
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NNoottee dd’’iinntteennttiioonn
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QQuu’’yy aa--tt--iill ppoosstt--mmoorrtteemm ??
La question semble vieille comme le monde. Les croyances y ont répondu comme elles le pouvaient :
réincarnations successives, paradis pour les uns, enfer pour les autres.
Sur un marché encore balbutiant mais dont les débouchés semblent aussi exponentiels que
l’angoisse de la mort, les sociétés post-industrielles commencent à offrir de nouvelles réponses.
Parfois réfrigérantes, comme la cryogénisation, cette technique développée aux États-Unis, qui
consiste à congeler les corps peu après la mort, dans l’espoir que ceux-ci puissent un jour être
réanimés. Pourquoi pas ?
La création de Notre besoin de consolation part d’une recherche sur les enjeux contemporains de la
bioéthique ; il s’agit de questionner le paysage d’une « humanité mutante », telle que la science
commence à en dessiner les contours.
Les manipulations génétiques, le clonage, la fécondation in-vitro, sont d’ores et déjà à portée de
main pour promettre une reproduction contrôlée, calibrée sur mesure ; tandis que des recherches
déjà fort avancées sur le vieillissement des cellules et la façon d’en stopper le mécanisme laissent
entrevoir l’horizon d’une humanité immortelle ! Mais que serait la vie sans l’horizon de la mort ? La
jeunesse est-elle le point de perfection humaine, et aime-t-on seulement ce qui est « parfait » ?
L’homme dégagé de toute contrainte serait-il le stade final de l’intelligence humaine ? Ces questions
éminemment philosophiques sont traduites dans un « scénario » où des personnages seront
susceptibles de les incarner jusqu’à une certaine absurdité. Ce sera l’occasion de questionner le
corps comme réceptacle de notre époque. En quoi le corps « à la carte », que l’on peut améliorer,
transformer, louer, acheter, fabriquer, porte en lui la réalité d’un temps marqué par l’obsession néo-
libérale du « toujours-plus »? Le corps est-il devenu le marqueur indubitable du progrès, et la science
le nouveau graal ? Une existence dont le temps serait illimité, ou pré-destiné, aurait-elle encore un
quelconque sens ? C’est pourtant cet horizon que promet une société post-humaine, ou, comme on
dit déjà, « trans-humaine ». La hantise de la mort, telle qu’elle s’exprime aujourd’hui, en rêves
d’immortalité comme en addictions technologiques, ne reflète-t-elle pas une peur de la vie ?
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UUnn tthhééââttrree qquuii ss’’iinnssppiirree dduu rrééeell
Suite à un travail documentaire, nous avons collecté des informations historiques, juridiques,
scientifiques ainsi que des faits-divers et des témoignages. Ce que nous avons découvert nous a
profondément surpris : ce qui n’était encore que fantasme hier peut se réaliser aujourd’hui, comme
l’histoire, par exemple, d’une citoyenne américaine qui a peur de perdre sa chienne Mody, et la clone
en cinq exemplaires. Ces matériaux documentaires nous ont décomplexé et nous ont inspiré des
personnages que nous n’aurions pas osé dessiner.
À partir de ce glanage, nous avons écrit plusieurs histoires inspirées de ces faits réels. Certaines
nous parlent de ce qui est déjà possible, et d’autres de ce qui ne l’est pas encore. Toutes témoignent
d’un espoir en la science comme remède à une souffrance ; toutes racontent une contre-partie à
offrir au progrès : toutes ces histoires nous parlent d’une humanité qui peu à peu transforme son
corps en marchandise.
Pour témoigner de l’ampleur de ce phénomène de société, dans notre « scénario », nous avons
choisi d’entrecouper et d’entrecroiser des histoires autour de K, protagoniste emblématique de la
pièce. K est un enfant né sous X qui ne peut connaître l’identité de son père, protégée par l’anonymat
d’une banque de sperme. C’est cette difficulté d’exister sans connaître une partie de ses origines qui
fonde sa recherche journalistique : il semble en effet que K mène une enquête qui interroge les
possibilités nouvelles qu’offre la génétique. Son questionnement sur les avancées scientifiques et
leurs dérives est le fil conducteur de notre spectacle.
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LLee «« sscceennaarriioo »» UUnnee rrééaalliittéé qquuii ddééppaassssee llaa ffiiccttiioonn
K s’intéresse à des personnalités issues de l’actualité, telles que Linda Avay, fondatrice de
l’entreprise américaine 23 & me, une société de décodage génétique, basée dans la Silicon Valley ;
Raymond Martinot, ancien chargé de cours à la Faculté de médecine de Paris, un pionnier de la
cryogénisation ; Ole Schou, directeur de Cryos, la première banque de sperme au monde basée au
Danemark ; Jaime Wallace, citoyenne américaine, qui milite pour l’autorisation du clonage reproductif
; le docteur Pathel, directrice d’une clinique indienne basée à Anan, spécialisée dans les mères
porteuses. K convoque ces personnalités dans son espace mental. Il invente des situations et des
dialogues, rencontre ceux qui deviennent ainsi ses « personnages » et les met en relation. Nous
circulons, durant la pièce, entre des faits réels et les fantasmes qu’inspire cette réalité à K.
Jaime Wallace, Clonage et deuil
Nous sommes partis d’une interview parue en 2007 dans Le Monde. Jaime Wallace y explique, après
le suicide de sa fille de 27 ans, Carrie, avoir « décidé de tout mettre en œuvre pour la ressusciter » :
« Plus précisément, j’espère faire naître un jour un enfant qui sera la réplique exacte de Carrie, son
clone. Pour cela, j’ai demandé au médecin légiste de conserver les fragments de foie de ma fille
prélevés lors de l'autopsie, dont on a extrait le noyau d'une cellule contenant son ADN ».
À la lecture de cette interview, nous avons imaginé, avec un sculpteur plasticien, « cloner » sept fois
en grandeur nature l’interprète circassienne qui « incarne » la figure de Carrie. Jaime Wallace a-t-elle
le droit de vouloir cloner sa fille qui a choisi de se suicider ? Le clonage nous donne t-il la possibilité
de devenir propriétaire de l’apparence des autres ? Un corps et son visage suffisent-ils à remplacer
une personne ? Le clonage rend-il le deuil plus supportable ?
Le Docteur Martinot, Rêve de l’immortalité
Le docteur Raymond Martinot, médecin français pionnier de la cryogénisation, a congelé sa femme
après sa mort. Quelques années plus tard, à la demande de son père, le fils du docteur Martinot l’a à
son tour « enterré » dans le congélateur, à côté de sa femme. Après plusieurs années de poursuites
judiciaires concernant ce mode de sépulture, une panne d’électricité (endommageant les corps
congelés) a mis fin au rêve du Docteur Martinot. Pour aborder cette histoire, nous avons pris comme
canevas la transcription d’un entretien avec Raymond Martinot réalisé au milieu des années 80 par
Miriam Stoppard ; diffusé à l’époque par la télévision anglaise dans le cadre d’une série d’émissions
médicales appelée « Where There’s Life » [Tant qu’il y a de la vie]. Le docteur Martinot y confie son
rêve de voir un jour une humanité définitivement débarrassée de la mort…
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Le Business de l’ADN
Un article du Monde publié en juin 2008 présente une société américaine, 23 & me, qui propose de
décoder notre ADN pour 399 dollars. Plus d’une trentaine de maladies héréditaires peuvent ainsi être
génétiquement dépistées. On peut également y lire ses prédispositions comportementales. Les
services de cette société sont accessibles à tous, via Internet. 23 & me est une société privée dont
les ambitions et l’évolution sont en plein essor. Nous sommes partis d’une interview de Linda Avey,
une des fondatrices de 23 & me, jeune femme décomplexée qui rêve des possibilités offertes par sa
société au monde du travail : « On le sait, beaucoup d’entreprises recrutent avec des tests de Q.I….
Alors pourquoi cela ne se ferait-il pas avec la génétique ? ».
Les mères porteuses, un métier d’avenir
Nous sommes entrés avec 23 & me dans le monde de l’entreprise. Nous avons décidé de poursuivre
l’exploration des implications économiques de ces avancées biologiques et scientifiques. Nous nous
sommes rendus dans la clinique du Docteur Patel à Anan, en Inde où la « gestation pour autrui » est
rémunérée. Pour 7500 euros, soit l’équivalent de 15 ans de salaire, des femmes indiennes portent
des enfants d’occidentales, qui, pour des raisons médicales mais parfois aussi par convenances
personnelles ne peuvent le faire. Un véritable commerce se met en place, épousant les contours de
la fracture Nord/ Sud. Nous nous sommes procuré un contrat que ces cliniques privées proposent à
leurs futures mères porteuses. Nous donnerons également à entendre les paroles de ces femmes qui
enchaînent plusieurs grossesses bien souvent pour subvenir aux besoins de leur famille, et
transforment leur ventre en véritable outil de travail.
Cryos, l’eugenisme discret
Cryos, entreprise située à Aarhus au Danemark, est par son chiffre d’affaire la première banque de
sperme au monde. Une de ses particularités est de mettre en ligne et à disposition du public un
catalogue réputé de donneurs anonymes en majorité blonds aux yeux bleus. Nous avons rencontré
Ole Schou le directeur de Cryos, homme fier d’être à l’origine d’un véritable engouement mondial
pour le sperme scandinave. Qui paie peut se procurer du sperme « viking ». Le fantasme d’une race
aryenne est-il encore d’actualité ? Le choix de l’origine de son enfant est-il une pratique pleine
d’avenir ?
Le bébé parfait, une anticipation ?
Nous supposons une humanité totalement encadrée par le génie génétique où l’on n’aurait plus
besoin de rapports physiques pour concevoir un enfant, et où le hasard, qui préside à toute
naissance, n’aurait plus aucune place. Nous avons imaginé un homme et une femme devant un écran
d’ordinateur. Ils choisissent les critères en amont de la conception de leur futur enfant (le sexe, le
niveau d’intelligence, l’option adolescence tranquille)… Peut-être pas si lointaine et absurde que ça,
cette marchandisation extrême du vivant, cette maîtrise absolue de la science sur la conception, où
toute chose, y compris la naissance, auraient un coût de fabrication. « L’enfant qui rembourse lui-
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même l’emprunt quand il sera grand… L’enfant qui se rembourse ? Pourquoi pas ? C’est peut-être
un moyen d’avoir conscience de la valeur de la vie… »
Depuis longtemps déjà
Afin de donner à ressentir l’évolution vertigineuse de la recherche de ces dernières années et
l’impression d’irréalité de certaines de ces avancées, nous avons collecté des faits, sous forme d’une
énumération, témoignant des progrès technologiques et scientifiques de nos sociétés. Puis nous
avons choisi de remonter dans le temps et de faire de cette énumération une « déchronologie », pour
donner à entendre en quoi la situation actuelle pouvait être l’héritière d’une certaine tradition
occidentale.
La parole de Stig Dagerman en contre point
Face aux propos de ceux qui espèrent en ces progrès génétiques, comme un remède à leur
souffrance, je chercherai à faire entendre des fragments du texte de Stig Dagerman, Notre besoin de
consolation est impossible à rassasier. Il naît en effet un ressenti particulier au frottement entre nos
matériaux documentaires et la pensée de Dagerman, qui écrit : « Ma vie n’est pas quelque chose que
l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie
humaine n’est pas non plus une performance. ». Stig Dagerman a 30 ans quand il écrit Notre besoin
de consolation est impossible à rassasier, texte « testamentaire » d’une douzaine de pages qui
transporte la fulgurance de son suicide proche.
Dans ce texte, j’entends que les limites de l’homme et ses fragilités témoignent de son identité, ses
pertes de son histoire.
J’entends un refus de la satisfaction immédiate comme référent absolu à notre bonheur. J’entends
que l’impossibilité n’est pas forcément une injustice.
J’entends surtout la vigueur du combat que livre l’homme, qui ne pourra jamais maîtriser totalement
le vivant.
Étoile filante de la jeune littérature suédoise des années quarante, Stig Dagerman peut être considéré
comme l’un des écrivains majeurs du XXe siècle, dont la production littéraire fut d'une incroyable
fécondité. Bien au delà de la figure du poète maudit, romantique, les mots et l’écriture de Stig
Dagerman se sont enracinés dans des luttes politiques majeures qui traversent toute son œuvre : il
fut de tous les combats pour l’anarcho-syndicalisme, et la proximité du courant littéraire prolétarien
suédois ont constamment enrichi sa pensée et son univers romanesque. "Politicien de l'impossible",
comme il se définissait lui-même ; davantage idéaliste qu'activiste, Dagerman voulait mettre un peu
de justice et d'équilibre dans ce bas monde. Porte-parole des idées existentialistes, il incarnait cette
jeunesse de l'après-guerre, arrogante, lucide, en quête d'un vaste idéal de fraternité.
Julie Bérès
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LLaa ccrrééaattiioonn dduu ssppeeccttaaccllee
Comment en faire spectacle ?
Dans la lignée de mes précédentes mises en scène, j’imagine une sorte de fiction onirique dont la
trame permettra d’évoquer, à la façon d’une ligne de tension souterraine, certaines des questions
bioéthiques. Je m’efforce de donner forme à un théâtre sensoriel et suggestif. Il s’agit pour moi
d’élaborer une composition où l’imaginaire des interprètes entre en interaction avec l’émotion
qu’offrent la création sonore, les trouvailles scénographiques, les distorsions que permettent les
projections de la vidéo et de la lumière.
Nos coulisses et répétitions ressemblent à un vaste atelier. Pour nous, tout est « matériau », les
objets, la lumière, l’image, les corps, les matières. Chaque élément est passé au tamis du sens.
Comme des « indices », qui pointent en justesse et discrétion. Je crois profondément à
l’expérimentation du plateau pour dégager une forme poétique et sensible.
Un théâtre suggestif
Nous voulons explorer les fantasmes qu’induit cette humanité rêvant de mutation. J’imagine une
scène peuplée de corps stigmatisés soumis aux caprices d’individus transformés, améliorés. Un
défilé de prothèses, des visages statufiés, des générations de vieillards à visages et corps juvéniles.
Un monde d’enfants centenaires, où l’apparence ne permet pas de dissocier le père du fils, des
femmes nonagénaires qui ressemblent à des poupées barbies… un monde de métamorphoses.
L’état des lieux des pratiques scientifiques, commerciales, culturelles liées à la bioéthique nous
emmène vers un premier constat : tout semble lointain, irréel, démesuré. Comment lutter contre cette
esthétique futuriste, froide, technologique ? Comment montrer cette valse vertigineuse du vivant et
du mort ? Comment montrer du corps, du corps reproduit, du corps déchu, du corps parfait,
efficace… en conservant une certaine poésie et un certain humour ?
Nous cherchons des matériaux proches de ce corps manipulé à loisir et à délire : des matériaux qui
respirent, vibrent, s’étirent, se rident, se déchirent, s’« orificent », mentent et se reproduisent ; des
lycras semblables à des peaux, des ouates nerveuses, des latex translucides, du film étirable si
brillant qu’il semble mouillé, de la maïzena – pâte malléable et cartilagineuse. Nous interrogeons des
objets, des surfaces, des matières qui racontent cette folie de transformation, de perfection et qui
s’apparentent aussi à leur manière au corps du dedans ou du dehors : des éléments qui ont
« qualité » de corps (corps prothèse, corps image, corps vêtement…).
Dans ce « théâtre suggestif », nous accompagnons le spectateur dans une quasi-rêverie, sans trop
en dire. Nous jouons des miroirs aux rayons X, des poupées qui poussent, d’un foie qui se caresse
comme un enfant, d’une enfant démultipliée, d’une mère à vif comme écorchée, d’une amante
congelée. Nous restons toutefois vigilants à ne pas créer un monde peuplé de chimères ou de
créatures à la Jérôme Bosch…
Page 12
L’usage de la vidéo, loin d’être « décoratif », participe pleinement à la dramaturgie sensible de cette
pièce. Elle intervient pour « figurer » les métamorphoses des « personnages », leurs fantasmes et le
« floutage » de leurs perceptions : projections d’yeux géants sur des ballons qui envahissent l’espace
et observent, visage projeté qui s’évapore sur un écran de fumée, cœur projeté à la place d’un
visage…
Nous tentons aussi de mettre le spectateur à l’expérience du trouble du vrai et du faux.… Pour ce
faire, nous flirtons avec la limite précaire qui existe entre les deux. Du vrai qui ne s’assume pas
comme tel et du faux plutôt trompeur, du vrai qui dissimule sa vie, du vrai qui se maquille… des
grappes de seins et des membres en cire par exemple, ou des organes gelés dans de la glace… Et
un sculpteur nous a aidés, à « cloner » la circassienne Virginie Frémaux, en sept exemplaires. Pour
réussir à créer ce trouble, nous allons contre la fonction première, déterminée et connue d’un
matériau, contre son usage normal, unique. Nous cherchons sa « polyphonie ».
Une scénographie en perpétuel mouvement
Le travail scénographique dessine un espace à plusieurs peaux, qui se transforme. En premier lieu,
l’évolution et les mouvements de la scénographie déplacent nos interprètes et nos « clones » : les
corps y sont en lévitation, glissants, fragmentés, en mouvement permanent ou en immobilité trop
longue. Naît alors un espace qui parle d’instabilité, de déséquilibre, ou encore nous offre des points
de vue presque « cubistes » : simultanément dedans et dehors, de face et de profil, en haut et en
bas, etc. Cet espace paradoxal n’offre pas de repos. Espace de jeu, boîtes à agencement variable,
volume permettant la multiplicité et l’entrecroisement des plans, plan incliné offrant une frontalité à
plusieurs niveaux, dans la verticalité et la profondeur, permettant le surgissement et le dévoilement.
Plan sur plan, l’écriture du spectacle va ainsi résulter d’une dynamique de montage, avec des images
simultanées, des fondus-enchaînés, des effets d’optique et une sorte de cinéma monstrueux où
l’imaginaire du spectateur sera assidûment sollicité.
Le travail sonore
Nous accordons une grande importance aux techniques sonores. Qui nous parle ? D'où nous parle-t-
on ? Sommes-nous dans le temps réel de l'acteur qui semble nous adresser la parole, ou dans un jeu
d'illusions sonores ? (voix transformées, voix off, voix synthétisées, voix enregistrées...). Nous
superposons des temporalités, en juxtaposant des espaces spatio-temporels a priori incohérents.
Nous ouvrons avec cette création une nouvelle recherche autour du play back, du pré-enregistré,
toujours avec ce souci de perdre le spectateur entre le vrai et le faux, de l’inciter à croire au vrai pour
s’apercevoir que c’est en réalité du faux. Nous imaginons une post-humanité sonore où les émotions
seraient préenregistrées, où les corps mannequins, « nos » clones, seraient des sources sonores, le
son donnant ainsi vie à un corps figé. Nous associons des troubles visuels et auditifs pour déréaliser
ou "sur-réaliser" une situation de théâtre, allant jusqu’à imaginer un « opéra cyborg » où la voix et le
chant pourraient naître d’êtres qui ne sont « ni choses ni personnes ».
Page 13
Une expérience partagée avec des amateurs
La révision des lois bioéthiques prévue pour cette année déchire déjà l’opinion publique. Ces
interrogations engagent notre avenir à tous. Avec mon équipe, nous voulons que ce spectacle puisse
prolonger ce débat citoyen. Permettre à des hommes et des femmes, qui ne viennent pas du théâtre,
de partager avec nous cette réflexion sur le plateau.
La constitution de notre équipe se fera donc en résonance avec notre sujet. Notre théâtre puisant en
effet sa source dans le réel, dans notre collecte de matériaux ; il nous semble pertinent de faire une
place au plateau à des gens qui ne sont pas des « spécialistes » du théâtre.
Nous voudrions ainsi partager l’expérience du plateau avec un groupe d’amateurs qui aurait le désir
de participer au spectacle.
Pour Notre besoin de consolation nous proposons une approche théâtrale et chorégraphique du
corps à travers la question de la bioéthique. Nous voulons travailler sur cette « humanité mutante ».
En quelle mesure nous appartient-il dans son intégrité s’il devient monnayable, échangeable,
morcelable ?
Nous voulons confronter le spectateur à une multiplicité de corps qui se fondent en un chœur. Nous
travaillerons le jeu de chacun en partant de sa mémoire, de son histoire, et revisiterons ensemble les
moments charnières qui modèlent chaque existence, naissances, maladies, mariage, décès. Nous
souhaitons que chacun explore la perception qu’il peut avoir de son propre corps.
C’est ce chœur de corps, ce cœur et ce corps en mouvement, animé par une respiration commune,
que nous proposons de partager et d’expérimenter avec un public amateur, qui seront intégrés à
l’écriture de la pièce sur quelques séquences.
Une partition sera écrite en amont et transmise à chaque groupe d’amateurs par Julie Bérès metteur
en scène et Lucas Manganelli, chorégraphe.
Il sera question de trouver ensemble un état de corps, un rythme commun.
Dans tout ce qui le compose, Notre besoin de consolation vibre du trouble que l’on ressent devant
une humanité qui se transforme sous nos yeux, résonne de l’abîme que la science ouvre aujourd’hui
devant nous.
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Voir ou Imaginer ?
« Ne pas montrer les choses, mais ce que sont les choses » (Joseph Beuys)
Nous voulons explorer les fantasmes qu’induit cette humanité rêvant de mutation et donnerons à voir
ce qui peut-être sera demain une réalité. J’imagine une scène peuplée de corps stigmatisés soumis
aux caprices d’individus transformés, améliorée. Un défilé de prothèses, des visages statufiés, des
générations de vieillards à visages et corps juvéniles. Un monde d’enfants centenaires, où
l’apparence ne permet pas de dissocier le père du fils, des femmes nonagénaires qui ressemblent à
des poupées barbies… un monde de métamorphose
Et pour donner à entendre « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » il faut me
semble t-il, suggérer l’espace mental, poétique, qu’ouvre ce texte. Il faudrait parler en termes de
béance, d’abîme, tant Stig Dagerman y dénude les profondeurs et paradoxes de l’être. Je rêve d’un
dispositif qui puisse, paradoxalement, mettre à distance l’incarnation physique de la parole, la faire
vibrer dans des diffractions de temps et d’espaces. Concrètement, j’envisage de tendre entre les
acteurs et le public un écran flexible et en partie translucide qui permette de « flouter » les corps et,
pour le dire autrement, de « ralentir l’image ». Présence / absence. L’acteur comme spectre d’une
parole dont seul l’écho nous parviendrait. Trace. Peinture rupestre. Invitation au plaisir qu’il y a à
déchiffrer plutôt qu’à reconnaître.
En ceci, je rejoins une préoccupation présente dans mes précédents spectacles. En travaillant sur
des effets de distorsion, des ellipses de sens ou des surprises visuelles, je cherche à activer chez le
spectateur une capacité accrue de perception. En laissant un intervalle entre ce qu’il voit et ce qu’il
peut imaginer, je lui propose de fabriquer ses propres connexions, d’achever l’image qu’il a devant
lui.
Page 15
TTeenntteerr uunn tthhééââttrree ddéébbaatt
Notre désir est de trouver une forme théâtrale qui puisse provoquer ou stimuler le débat : Quelle sera
l’humanité de demain ?
Nous voulons ouvrir un espace de réflexion et de discussion chez les spectateurs autour de
questions bioéthiques qui déchirent en ce moment le monde philosophique, la communauté
scientifique et l’opinion publique : allongement artificiel de la durée de la vie, séquençage du
génome, alimentation transgénique, fécondation in vitro, chirurgie esthétique, pilules du bonheur…
Les transhumanistes rêvent de débarrasser définitivement l’homme de toute limite et pensent que
prochainement la science pourra remédier par la génétique à ce qui, jusqu’à présent, semblait
incontournable pour la condition humaine : la souffrance, le vieillissement et le terme de la mort…
Ce que nous avons appris pendant notre immersion documentaire nous a profondément interpellés.
Très vite nous sont venues des questions dont nous n’entrevoyons les réponses qu’avec un grand
vertige : le clonage, les nanotechnologies, la maîtrise absolue de la jeunesse, la cryogénisation sont-
elles l’ultime conquête de la liberté humaine ? Ou le résultat d’un culte de la performance poussé à
son extrême ? N’est-on pas face à la première utopie individualiste de l’Histoire ?
Ces questions nous voulons à notre tour les transmettre au public. Nous imaginons les intégrer au
déroulement de la pièce et les adresser directement au spectateur.
Et à l’issue des représentations nous voudrions que des débats soient organisés en présence de
différents spécialistes (généticiens, scientifiques, philosophes… ) autour de cette actualité brûlante
qui, en cette année précédant la révision de la loi de la bioéthique, déchaîne les passions.
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En quoi le corps est-il le réceptacle d’une époque ?
La vieillesse est-elle un accident ?
Réaliser ses fantasmes ne fait-il pas mourir ses désirs ?
Peut-on sauver les gens de la mort ? et de quoi les sauve t on alors ?
Sans la peur de la mort, de la maladie, des accidents ou des conséquences d’une vie excessive, qu’est-ce qui
garde l’homme de la modération, de l’humilité, du doute, de la cohésion de la raison ?
Les limites imposées à l’homme ne le garde-t-il pas de la folie ?
Sans la mort y a t’il encore une liberté ? si l’on peut tout faire, tout vivre, que devient le choix ?
Si l’on choisit de rendre l’homme physiologiquement parfait, pourra-t-on encore aimer ceux qui ne le sont pas ?
Aime-t-on seulement ce qui est parfait ?
Que serait la définition de la liberté ?
Le sens d’une vie n’est-il pas donné par le temps de son existence ?
La mort est-elle une injustice ? ou au contraire est-elle ce qui fait que tous les hommes sont égaux ?
Qu’est-ce qui est « naturel » chez l’homme ? Ce qui le rend commun à tout autre organisme vivant (vie, mort,
maladie, faim) ? ou au contraire ce qui lui a été donné et qui le distingue des autres animaux, l’intelligence.
Auquel cas, en quoi l’application de l’intelligence, c’est-à-dire les fruits de la science, ne serait-elle pas
naturelle ?
L’intelligence de l’homme ne viserait-elle pas depuis toujours à s’affranchir de ce qui est dit « naturel » ?
Le bonheur n’est-il pas dans la réconciliation avec soi-même ?
Ne plus avoir peur rend-il plus fort, ou plus insensible ?
La peur ne stimule-t-elle pas l’intelligence ?
La génétique n’est-elle pas la première utopie individualiste de l’Histoire ?
Si l’on pouvait choisir sa longévité, combien de temps voudrais-tu vivre ?
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rraassssaassiieerr ddee SSttiigg DDaaggeerrmmaann11
Traduit du suédois par Philippe Bouquet
Publié chez Actes Sud
Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie
ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni
dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué
la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de
l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute,
ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette
pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que
connaît l’être humain est impossible à rassasier.
En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier.Partout où je
crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en
temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un
souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.
Qu’ai-je alors entre mes bras ?
Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis
poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l’effroi à bander. Puisque je suis prisonnier : un
aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud, un
cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer ; un récif de granit bien dur.
Mais il y a aussi des consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma
chambre de chuchotements odieux : Je suis ton plaisir – aime-les tous ! Je suis ton talent – fais-en
aussi mauvais usage que de toi-même ! Je suis ton désir de jouissance- seuls vivent les gourmets !
Je suis ta solitude – méprise les hommes ! Je suis ton aspiration à la mort – alors tranche !
1 Le texte intégral peut être consulté sur Internet à l’adresse suivante :
http://chabrieres.pagesperso-orange.fr/texts/consolation.htmln
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Le fil du rasoir est bien étroit. Je vois ma vie menacée par deux périls : d’un côté par les bouches
avides de la gourmandise, de l’autre par l’amertume de l’avarice qui se nourrit d’elle-même. Mais je
tiens à refuser de choisir entre l’orgie et l’ascèse, même si je dois pour cela subir le supplice du gril
de mes désirs. Pour moi, il ne suffit pas de savoir que, puisque nous ne sommes pas libres de nos
actes, tout est excusable. Ce que je cherche, ce n’est pas une excuse à ma vie mais exactement le
contraire d’une excuse : le pardon. L’idée me vient finalement que toute consolation ne prenant pas
en compte ma liberté est trompeuse, qu’elle n’est que l’image réfléchie de mon désespoir. En effet,
lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance, car chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits,
la fausse consolation me crie : Espère, car chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours.
Mais l’humanité n’a que faire d’une consolation en forme de mot d’esprit : elle a besoin d’une
consolation qui illumine. Et celui qui souhaite devenir mauvais, c’est-à-dire devenir un homme qui
agisse comme si toutes les actions étaient défendables, doit au moins avoir la bonté de le remarquer
lorsqu’il y parvient.
Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand
tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par
l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Je
peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l’éternité lance
à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que
devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure –
et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses !
Je peux rester assis devant un feu dans la pièce la moins exposée de toutes au danger et sentir
soudain la mort me cerner. Elle se trouve dans le feu, dans tous les objets pointus qui m’entourent,
dans le poids du toit et dans la masse des murs, elle se trouve dans l’eau, dans la neige, dans la
chaleur et dans mon sang.
Que devient alors le sentiment humain de sécurité si ce n’est une consolation pour le fait que la mort
est ce qu’il y a de plus proche de la vie – et quelle misérable consolation, qui ne fait que nous
rappeler ce qu’elle veut nous faire oublier ! […]
Stig Dagerman, 1952
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SSttiigg DDaaggeerrmmaann ((11992233--11995544))
« Ce n’est pas non plus une raison pour penser que tout cela n’a pas de sens, parce qu’il n’est jamais
absurde de préférer l’impossible au possible. La seule chose qui est insensée est d’accepter le
possible ».
Etoile filante de la jeune littérature suédoise des années quarante, Stig Dagerman peut être considéré
comme l’un des écrivains majeurs du XXème siècle. Pareil à ces jeunes fous qui ont brûlé rapidement leur
vie (Kleist, Rimbaud, Sa-Carneiro...) sa production littéraire fut d'une incroyable fécondité.
Enfant naturel d'un père ouvrier, il est élevé par ses grands-parents à la campagne, et arrive à Stockholm
en 1932 pour vivre avec son père et finir ses études. A 22 ans, en même temps qu’il est nommé directeur
de la rubrique culturelle du quotidien anarcho-syndicaliste suédois Arbateren (Le Travailleur), il écrit son
premier roman, Le Serpent. Suivront trois autres (L'Ile des condamnés, L'Enfant brûlé et Ennuis de noce),
un recueil de nouvelles, des pièces de théâtre, des scénarios de films, des poèmes satiriques, des
reportages, et une kyrielle d'articles, de critiques…
En 1946-1947, Dagerman est envoyé par son journal en Allemagne pour constater les dégâts des
bombardements et témoigner de la misère et de la pauvreté qui y règne. Stig Dagerman ne se lance pas
dans des discours moralisateurs contre le nazisme. Il rentre dans les caves inondées dans lesquelles
vivent les rescapés de la tragédie nazie, témoigne des conditions infernales, de la famine, de la haine et
de la souffrance sans pour autant oublier l’horreur d’hier.
Après 1949, suit une longue période de silence. La peur de décevoir, la faillite de ses convictions, se
muent en une détresse inhibitive- jusqu’à son suicide en 1954. Il a 30 ans quand il écrit à la première
personne Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Dans ce texte « testamentaire » d’une
douzaine de pages, chaque parole arrache une parcelle vivante au désespoir et transporte, colporte la
fulgurance de ce départ. La parole fait briller la mort comme une naissance et anéantit pour toujours la
non-vie. Le désespoir est pris dans cette parole comme poisson au filet. Etranglé, le désespoir grandit
jusqu’à ce que le filet soit plein et que le mur d’écaille, trop lourd sur l’amarre, aille par le fond. Alors
seulement, réconcilié avec celui qu’il emporte, le désespoir est pardonné. C’est enfin la liberté qui vient
de la capacité de posséder son propre élément.
Publié en France aux éditions Actes Sud, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, écrit
peu avant sa mort, a contribué à faire connaître en France Stig Dagerman, tout en lui donnant, de façon
très parcellaire, l’image d’un poète romantique. Réduire Stig Dagerman à cette image ne permet pas de
comprendre une œuvre « privée de sa complétude ». En effet, les mots et l’écriture de Stig Dagerman se
sont enracinés dans des combats politiques majeurs qui traversent toute son œuvre : il fut de tous les
combats pour l’anarcho-syndicalisme, dans son pays d’origine, la Suède, et la proximité du courant
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littéraire prolétarien suédois ont constamment enrichi sa pensée et son univers romanesque. "Politicien
de l'impossible", comme il se définissait lui-même ; davantage idéaliste qu'activiste, Dagerman voulait
mettre un peu de justice et d'équilibre dans ce bas monde, lui qui rendait l'Etat responsable de la
névrose du peuple et qui attribuait à l'écrivain "le rôle modeste du ver de terre dans l'humus culturel."
On a souvent rangé Dagerman parmi les écrivains maudits. A tort : il jouissait d'une grande popularité,
son éditeur lui assurait de généreuses avances sur recettes, son œuvre était même lue à la radio. A
l'image de Camus ou de Sartre en France, Dagerman était la conscience de toute une génération.
Porte-parole des idées existentialistes, il incarnait cette jeunesse de l'après-guerre, arrogante, lucide, en
quête d'un vaste idéal de fraternité.
Malgré son incurable timidité (il prit des cours de danse pour la vaincre), Dagerman était la représentation
de l'homme nouveau : il aimait les belles voitures, adorait le cinéma (particulièrement Fritz Lang), les
voyages en bateau, ainsi que le football, le jeu à la roulette... Difficile ne pas voir dans ces symboles
d'évasion, une recherche de la transcendance, de l'intensité dramatique que le travail artistique ou
l'idéalisme révolutionnaire (à ses débuts) lui procurait.
En 1949, dans une lettre qu'il envoie au directeur du théâtre d'Hambourg, Dagerman se présente ainsi :
"Le thème central de mon œuvre est l'angoisse de l'homme moderne face à une conception du monde
qui s'écroule (...) et je crois qu'une des possibilités de salut consiste à ne pas se laisser vaincre par son
angoisse, ni à fuir devant soi-même, mais à affronter le danger les yeux ouverts."
La rencontre de Kafka en 1945 (comme celle de Faulkner ou Hermann Hesse) avait été déterminante
pour lui. Il y a découvert certes son double, mais également le trouble, face à ses convictions.
L'engagement politique est-il vraiment la réponse au problème de l'existence? Y a-t-il du reste une
réponse? Pour Dagerman, la littérature est alors un refuge -le silence face au monde- où la quête
rédemptrice est possible: "Puisque je doute toujours de moi-même, de l'originalité de mon talent, de la
légitimité de mes opinions, je suis constamment obligé de chercher une confirmation ailleurs..." Cette
recherche de la vérité - supporter l'idée que cette vie est vide" -, corroborée par cette incapacité à
concilier sa conscience sociale à celle d'écrivain, prendra la forme d'un duel sans merci que l'écrivain
mènera jusqu'à sa mort. « Si seulement nous avions une lumière pour nous y cacher », écrit-il dans une
lettre en 1954.
Cette notice sur Stig Dagerman est notamment inspirée d’un article de Philippe Savary dans la revue
Le Matricule des Anges, n° 19, mars-avril 1997
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HHIISSTTOOIIRREE DDEESS AARRTTSS
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EECCHHOOSS DDAANNSS LLAA PPRREESSSSEE
Notre besoin de consolation
Mis en scène par Julie Bérès, l'inventaire des fantasmes que suscite la science donne le vertige.
Un homme semble réfléchir : assis à sa table, face à l'écran allumé, il écoute et regarde. Bientôt
debout, il danse et fait basculer une femme dont le modèle semble reproduit sur scène à l'infini :
l'Eve rêvée ou la fille tant attendue ? Nul ne sait. La seule certitude du spectateur à cet instant est
d'assister au drôle de ballet d'un homme démuni - certes en veston, mais en caleçon - dont les
jambes nues paraissent de fragiles et ridicules guibolles... D'ailleurs, le voilà bientôt avalé par le pan
incliné de la scène. A sa place, surgissent de l'ombre d'autres figures et des témoins qui évoquent
leurs propres expériences : une mère américaine veut cloner sa fille suicidée, un mari conserve sa
femme dans la glace en vue de jours meilleurs, une femme vante le diagnostic ADN via Internet afin
de planifier son avenir médical...
Après s'être interrogée, dans ses précédents spectacles, sur la désintégration de la mémoire et la
perte des repères (On n'est pas seul dans sa peau, en 2006), ou sur les stigmates de la précarité
dans la vie d'une jeune femme (Sous les visages, créé en 2008), l'auteur-metteur en scène Julie
Bérès, fine observatrice des mutations du corps social, met en relief ce Besoin de consolation - titre
emprunté à l'écrivain Stig Dagerman - qui pousse l'homme contemporain à nier sa finitude, à refuser
toute imperfection dans le cycle de la vie...
Cet inventaire, dont la source est documentée (les témoins qui apparaissent en vidéo ont été filmés
par la compagnie, telles ces mères porteuses indiennes), ressemble parfois à un catalogue. C'est la
faiblesse du spectacle que de coller des situations sans les tramer vraiment. Mais, souvent, le vertige
est grand : quand une scène de comédie lugubre montre deux ectoplasmes - futurs parents - en train
d'établir le « devis » de l'embryon à venir ; ou lorsque, après une remontée fulgurante de l'histoire
humaine, on quitte l'homme en caleçon et ses angoisses généalogiques pour buter sur l'origine du
monde, magma cellulaire traduit sur scène par des gouttes de lumière ! Dans l'art de Julie Bérès, tout
(lumière, sons, mots, corps) est langage, même si les correspondances, au sens baudelairien, ne
s'établissent pas toujours.
Emmanuelle BOUCHEZ, article paru le 6 novembre 2010 sur http://www.telerama.fr
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Julie Bérès et la bioéthique
Julie Bérès nous convie avec Notre besoin de consolation à un voyage scientifique autour de la
bioéthique. A coup de manipulations génétiques, de fécondation in-vitro, le spectacle nous
questionne sur des enjeux de société. Sommes-nous prêts à autoriser le clonage humain ? Doit-on
pouvoir choisir sur catalogue son futur enfant ? Son spectacle est en fait un documentaire, un collage
de textes philosophiques, d’émissions de radio de France Culture et d’interviews vidéo. Elle s’est
rendue notamment en Inde pour interroger une jeune femme, mère porteuse attirée par l’appât du
gain pour améliorer son ordinaire. Elle a aussi rencontré au Danemark le patron de l’une des plus
grandes banques du sperme du Monde : Cyros (qui a ouvert des succursales en Inde et aux Etats-
Unis parce que tout le monde ne souhaite pas un enfant grand blond aux yeux bleus !). Tout cela
donne un spectacle dense, qui pose beaucoup de questions. A chacun de se faire son idée sur ces
questionnements philosophiques. Julie Bérès ne prétend pas donner son point de vue.
Le dispositif scénique est astucieux. Plongé dans l’obscurité, un plateau noir s’incline sur plusieurs
niveaux (coup de chapeau aux assistants sur le plateau qui ne chôment pas pendant une heure).
Entre vidéo et installation plastique, le spectacle de Julie Bérès traverse plusieurs esthétismes. L’on
sent qu’elle se nourrit de beaucoup d’influences, avec des images pour certaines déjà vues chez
Philippe Genty, ou carrément empruntées comme les projections d’yeux sur des sphères qui sont la
marque de fabrique du vidéaste américain Tony Oursler, ou d’autres plus personnelles comme
l’histoire tendre de ce mari qui a congelé sa femme et qui s’immisce dans l’espace givré pour
continuer de vivre à ses côtés.
Stéphane CAPRON, article paru le 10 novembre 2010 sur www.sceneweb.fr
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La bioéthique illustrée
Photo : Alain Monot
Si le talent du metteur en scène consiste à savoir fédérer
autour de son projet des artistes qui en ont et à faire de la
scène le carrefour où s’imbriquent les formes et les
disciplines, Julie Bérès, c’est évident, a du talent. Pour elle,
en effet, le texte dramatique ne saurait être le joyau à partir
duquel tout s’organise. Non. Doutant que « le théâtre puisse à lui seul transformer le spectateur (le
citoyen) en délivrant un « message » sur l’état du monde » , elle se veut semeuse de trouble et
artisane d’un « théâtre suggestif » écrit à cru sur le plateau en mixant tout ensemble, corps, paroles,
lumière, son, chant, danse, images. Pour Julie Bérès, qui a fondé sa compagnie Les Cambrioleurs en
2001, jouer de l’illusion, voire du surréel, emmêler le virtuel et le concret, la brutalité des faits et les
splendeurs de l’imaginaire est la meilleure des voies pour interroger les réalités du monde et de notre
société. Ses spectacles sont autant de questions posées à partir « d’un travail d’immersion
documentaire ».
Après On n’est pas seul dans sa peau qui explorait la vieillesse, cette maladie incurable qui avachit
les corps et pervertit la mémoire, et Sous les visages qui racontait l’enfer moderne de la précarité et
l’irrépressible tentation de rêver sa vie plutôt que de la vivre, Notre Besoin de consolation est une
plongée dans un futur immédiat apte à bricoler le formatage des corps et la marchandisation de la vie
et de la mort. « La science peut-elle combler notre besoin de consolation ? » s’interroge K né sous X
et décidé à enquêter sur sa généalogie en même temps que sur tous les possibles qu’offre la
génétique.
Images et mirages
A sa suite, de cryogénie - avec un mari qui conserve sa femme morte dans un congélateur -, en
clonage, - une mère veut cloner sa fille qui s’est suicidée -, de mère porteuse en décryptage ADN, de
transformations en avatars, nous plongeons dans les eaux égoïstes des mutations humaines que
fomente la bioéthique.
Avec une science rare de l’espace et une fantastique maîtrise scénique, Julie Bérès joue des
réverbérations sonores et visuelles, multiplie – clone en somme - les personnages, abolit les
frontières entre le vrai et l’artificiel pour mieux « modifier notre regard ». Et pour tout dire, elle nous en
met plein la vue ! Mais ses images et ses mirages, dont certains pâturent sur les terres de Philippe
Genty, ne suggèrent, hélas, pas de point de vue susceptible de nourrir une réflexion ou un débat.
Faute d’une véritable écriture dramaturgique, la recherche formelle occultant le fond, ce qui devrait
ouvrir des abîmes et susciter l’effroi, s’avère le simple catalogue de faits scientifiques
magnifiquement illustré.
Dominique DARZA, article paru le 13 novembre 2010 sur http://www.webthea.com
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L’EQUIPE ARTISTIQUE
Julie Bérès
Née en 1972, Julie Bérès se forme au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris
(Promotion 1997). En tant que comédienne, elle rencontre Ariane Mouchkine et travaille avec Stuart
Seide, Jacques Lassalle, Philippe Adrien, elle joue dans les mises en scènes de Jean-François Peyret
(Turing Machine, MC 93 Bobigny), de Jean-Yves Ruf (Chaux Vive, Théâtre des Amandiers, Nanterre),
de Marc Betton (La Mouette de Tchekhov, MC 93 Bobigny), de Christophe Rauck (Le Cercle de craie
caucasien de Brecht, Théâtre du Soleil et Comme il vous plaira de Shakespeare, L’Arc en Ciel-
Théâtre de Rungis, Charlie Windelschmidt (19001, L’Ange de la mort de Jan Fabre, Le Quartz, Scène
Nationale de Brest…). Elle fonde en 2001 la compagnie Les Cambrioleurs, réunissant sous sa
direction artistique des créateurs issus de différentes disciplines (interprètes, vidéastes, plasticiens,
circassiens, marionnettistes), désireux d’affirmer leurs propres langages et au croisement de ceux-ci
d’aboutir à une écriture scénique. Elle crée les spectacles Poudre ! (2001), Ou le lapin me tuera au
théâtre Paris Villette en 2003, e muet (2005) au Théâtre national de Chaillot, On n’est pas seul dans
sa peau (2006) à l’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône, et Sous les visages (2008)
au Quartz, Scène nationale de Brest. Lors de l’édition 2005 du festival Frictions à Dijon elle crée un
banquet-Spectacle, célébration du cinquantenaire des Centres Dramatiques Nationaux. Elle participe
également, au sein d’un collectif de metteurs en scène (Alexis Fichet, Annie Lucas, Madeleine
Louarn, Charlie Windelschmidt), à la mise en scène collective du spectacle Grand-Mère Quéquette,
de Christian Prigent, créé en mars 2006 au CDBB, Centre Dramatique National de Bretagne. Les
Cambrioleurs est une compagnie conventionnée par le Ministère de la Culture et de la
Communication / DRAC Bretagne. Julie Bérès est artiste associée au Quartz, Scène nationale de
Brest.
Elsa Dourdet
Dans la continuité de ses études de philosophie et de sa formation de comédienne au Conservatoire
National d’Art Dramatique de Région du Limousin, Elsa Dourdet est diplômée de la FEMIS,
département scénario. En tant qu’auteur, elle écrit Poisson d’avril (moyen métrage qui reçoit le prix
du scénario au Festival de Clermont-Ferrand), Petite Miss (long métrage sélectionné au 8e Festival
International des Scénaristes). En tant que scénariste, Chicanes (long métrage de Lucia Sanchez),
Darling (long métrage de Christine Carrière). Comme comédienne, elle a joué sous la direction de
Xavier Durringer, Silviu Purcarete, Philippe Awat, Michel Bruzat, Christine Carrière. Avec Julie Bérès,
elle a participé à la création de Poudre !, e-muet, On n’est pas seul dans sa peau et Sous les Visages.
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David Wahl
Auteur, ses textes sont publiés aux Éditions Archimbaud. Au sein de l’agence Art Public
Contemporain, il a été conseiller artistique pour le projet Nice 2013 capitale culturelle auprès de
Bernard Faivre d’Arcier. Dramaturge de Caterina Gozzi au sein de la Compagnie des Orties, il est
également membre du collectif La Scène au vert, festival des arts de la scène, dans le Lot, en charge
de la programmation. Pendant cinq ans, il a travaillé au Théâtre du Rond-Point, au sein de l’équipe
des relations extérieures, à la mise en place notamment des actions artistiques auprès des élèves
d’art dramatique, et a collaboré au catalogue dirigé par Jean-Michel Ribes Anthologie du rire de
résistance (partie Antiquité grecque et romaine). Avec Julie Bérès il a précédemment collaboré en
2008 à la création de Sous les Visages.
Virginie Frémaux
Issue d’une formation en arts plastiques et en arts du cirque (corde et portées aériennes), Virginie
Fremaux cherche à traduire par le corps son rapport à l’espace, à la couleur, à la matière et aux
objets insolites. Son parcours croise aussi bien celui d’acrobates que de chorégraphes et metteurs
en scène. Elle a notamment travaillé avec Pénélope Hausermann (Trapezi, butterfly, chair - 2006),
Giorgio Barberio Corsetti (Il colore bianco, 2006 / Paradiso, 2004) et Kitsou Dubois (A contrepoids,
2006). Elle a créé en 2005 son propre spectacle : Corrid’Am Callichrom. En 2008 elle crée et
interprète avec Julie Bérès Sous les Visages.
Éric Laguigné
Né en 1967. Après un diplôme d’ingénieur agronome, Éric Laguigné choisit le théâtre et entre en
1990 à Théâtre en Actes. Il quitte l'école dès 1991 pour travailler avec Stanislas Nordey avec lequel il
bâtit un long compagnonnage (La dispute de Marivaux ; La vraie vie d’Hector F ; Le songe d’une nuit
d’été de Shakespeare ; La noce de Wyspianski ; Porcherie de Pasolini ; Violences de Gabily ; La puce
à l’oreille de Feydeau ; Electre de Von Hofmannsthal). Dès ses débuts, il rencontre également Olivier
Py (La farce des dindons ; La femme canon ; La jeune fille, le diable et le moulin).
Il a aussi travaillé avec Pierre Guillois (Les affreuses de Guillois, Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ;
Roméo et Juliette de Shakespeare ; Minna Von Barnheim de Lessing), Bruno Meyssat (Pièces
courtes de Beckett ; Imentet de Meyssat), Nadia Xerri-L. (Désert ; Paroles de chercheurs), Antoine
Caubet (Les fusils de la mère Carrar de Brecht), Jacques Falguières (Mademoiselle Julie de
Strindberg), Serge Tranvouez (Katherine Barker et Hélène de Audureau), Anne-Laure Liégeois
(Edouard II de Marlowe) et avec Christian Esnay (Hélène d’Euripide, Les Européens et Tableau d’une
exécution de Barker.).
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Mike Hayford
Iron Mike est danseur hip hop depuis plus de 10 ans. Il apprend d’abord la break dance et se
spécialise ensuite en popping en 2001. À partir de cet instant, il commence à danser pour de
célèbres artistes, tel que inspectah deck du Wu Tang Clan et il remporte de nombreux grands
battles. Désormais, il travaille pour plusieurs compagnies de danse tout au long de l’année. Il
parcourt également le monde en tant que juge, pour des compétitions internationales de danse et
enseigne son art dans le monde.
Lucas Manganelli
Passé par le cirque et le théâtre avant de rencontrer la danse contemporaine, il est interprète pendant
trois ans dans la compagnie d’Olivia Grandville, et danse également pour Christian Bourigault, Clara
Cornil, la compagnie synalèphe… Il est aussi interprète pour Radhoune El Medeb, et présente un
solo d’1 h 30 huwà. Diplômé de la FNMTC, il développe en parallèle une pratique de la médecine
chinoise et de la psychanalyse transgénérationelle. Il a été interprète dans On n’est pas seul dans sa
peau et a travaillé avec Julie Bérès pour les chorégraphies de Sous les visages.
David Segalen
Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon dans la section
régie son, il a créé les espaces sonores et musicaux de spectacles de théâtre (Madeleine Louarn,
Benoît Gasnier, Charlie Wildenschmidt, Alexis Forestier) et de danse (Jean-François Duroure). Avec
Julie Bérès, il a créé l’environnement sonore des spectacles Ou le lapin me tuera…, e muet et On
n’est pas seul dans sa peau, Sous les visages.
Aurore Thibout
Issue des Arts Décoratifs et de l’École Duperré, Aurore Thibout construit son travail autour du
vêtement et du textile dans un esprit de recherche et d’expérimentation où la démarche artistique
côtoie celle de la Mode. Installations, performances (Fondation Cartier « les soirées nomades »,
Palais de Tokyo 2002), mais aussi création de costumes pour les arts de la scène : Théâtre Gérard
Philippe Mille et Une Nuits (marionnettes), Théâtre National de Chaillot e-muet (Julie Bérès 2004),
Théâtre Romain Rolland On est pas seul dans sa peau (Julie Bérès 2006), Théâtre du Prato 3,4
petites pièces pour vélo (Vincent Warrin, Pierre-Jean Carrus 2007), Espace des Arts, Scène nationale
de Chalon-sur-Saône Sous les Visages (Julie Bérès, 2008). Elle envisage le vêtement comme moyen
d’expression poétique où se rencontrent constamment matières et savoir-faire dans un univers à
l’attrait particulier pour l’empreinte du passage du temps, le lien entre le corps, la trace et l’espace.
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Christian Archambeau
Vidéaste (réalisation d’un long-métrage et de plusieurs courts), illustrateur et typographe de presse, il
est issu de formations d'arts plastiques. En tant créateur vidéo, il a collaboré avec Julie Bérès sur les
spectacles : Ou le lapin me tuera, e muet, On n’est pas seul dans sa peau et Sous les Visages...
Hugo Oudin
Hugo Oudin étudie aux Beaux-Arts de Toulouse (1999/Diplôme National d'Arts Plastiques),
parallèlement il est régisseur en tournée de la compagnie Des Pas en Rond (+ de 200
représentations). Il se perfectionne à l'éclairage scènique et participe depuis 1996 à la création d'une
dizaine de spectacles dans les domaines de la danse contemporaine, du théâtre de rue, du cirque,
de la chanson, de la marionnette, des arts multimédias. Il travaille notamment avec les Compagnies
« vendaval », « Maria Dolores y los crucificados », « La Cie du vide », « K.Danse », « la Lloba ».
Mathias Baudry
Diplômé de scénographie à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg en 2002, il assiste
le décorateur Pierre-André Weitz au théâtre et à l’opéra. Depuis 2003, il réalise les décors et
costumes pour W. Arbach (Le Château de Cène ), Sophie Rousseau (Médée Matériau, C’est trop
délicieux, ou La voix du sang en 2009), Jean Depange (opéras The Fairy Queen en 2008 et Pelléas et
Mélisande en 2009). Il rencontre Julie Bérès en 2007 et signe le décor de On n’est pas seul dans sa
peau.
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BIBLIOGRAPHIE
Stig Dagerman, Le Serpent (Ormen, 1945), roman ;
Stig Dagerman, L’ïle des condamnés (De dömdas ö, 1946), Le Condamné à mort (Den dödsdömde,
1946) ;
Stig Dagerman, Automne allemand (Tysk host, 1947), essai ;
Stig Dagerman, Jeux de la nuit (Nattens lekar, 1948), nouvelles ;
Stig Dagerman, L’enfant brûlé (Bränt Barn, 1948), roman ;
Stig Dagerman, L’Ombre de Mart (1948), théâtre publié en France aux Presses universitaires de
Caen ;
Stig Dagerman, Ennuis de noces (Bröllopsbesvär, 1949) ;
Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Värt behov av tröst, 1952)
Une biographie : Stig Dagerman ou l’innocence préservée, de Georges Ueberschlag, aux éditions
L’Elan ;
Une revue : Marginales, N°6 (mars 2007) : Stig Dagerman, la littérature et la conscience.
VIDEOGRAPHIE
Stig Dagerman, réalisation Pierre Beuchot (vidéo 26’), Production : La Sept, Archipel 33, avec la
participation de la Direction du livre et de la lecture, 1989.
SITOGRAPHIE
Le site de la Compagnie Les Cambrioleurs :
http://www.lescambrioleurs.fr/Videos.html ;
L’émission Le Rendez-Vous sur France Culture avec Julie Bérès parmi les invités :
http://www.franceculture.com/emission-le-rendez-vous-emission-du-vendredi-12-novembre-avec-
julie-beres-tran-arnault-la-chronique-
Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagermarn lu et mis en musique par
Les Têtes raides :
http://www.youtube.com/watch?v=cgSD1VzEgGI.
LA COMEDIE DE REIMS Centre dramatique national Direction : Ludovic Lagarde 3 chaussée Bocquaine 51100 Reims Tél : 03.26.48.49.00 www.lacomediedereims.fr