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1 Dossier pédagogique Petit pays Gaël Faye Le Livre de Poche, n° 34618, 224 pages. Dossier réalisé par Muriel Blanc, Claude Boutin, Bénédicte Gilardi, Dominique Lechifflart et Floriana Mauny. 286256LKA_FAYE_cs6_pc.indd 1 26/07/2017 11:22:51

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1Dossier pédagogiquePetit paysGaël Faye

Le Livre de Poche, n° 34618, 224 pages.

Dossier réalisé par Muriel Blanc, Claude Boutin, Bénédicte Gilardi, Dominique Lechifflart et Floriana Mauny.

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4Biographie de Gaël Faye

Gaël Faye est né en 1982 à Bujumbura au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français, arrivé en vélo dans ce pays depuis la ville de Lyon (France) après un périple de cinq ans. Sa mère part vivre en France et il reste au pays avec son père, dans une maison où vivent beaucoup d’animaux. Il est proche de la nature, aime la chasse aux serpents, va se baigner dans l’énorme lac Tanganyika, une sorte de mer intérieure.Le Burundi est un petit pays enclavé mais très ouvert sur le monde et marqué par plusieurs influences culturelles. Bujumbura est une ville où on aime faire la fête à l’époque, animée, pleine d’ambiance, avec de la musique zaïroise, mais on y connaît aussi Francis Cabrel et même Mike Brant.Gaël Faye va à l’école française. Il commence à écrire, la première fois comme un soula-gement à la peur pendant les hostilités à Bujumbura. En 1995, après le déclenchement de la guerre civile et le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, il arrive en France, dans une première famille d’accueil, près d’Oyonnax, dans le département de l’Ain.Ensuite, Gaël Faye rejoint sa mère à Versailles et y passe une partie de son adolescence. Il découvre une façon de vivre qui ne lui est pas familière, dans un appartement au sein d’un immeuble, où on ne connaît pas son voisin de palier. Il ne peut pas sortir le soir pour discuter avec des amis, il fait froid. Il est très solitaire.L’été, il retourne au Burundi pour les vacances. Il retrouve son père dans ce pays en guerre.À partir de la Seconde, il rencontre des jeunes qui ont, comme lui, une double culture. À la MJC de Voisins-le-Bretonneux, il fait partie d’un atelier et découvre le rap et le hip-hop.Gaël Faye étudie dans une école de commerce, obtient un master de finance et travaille à Londres durant deux ans pour un fonds d’investissement. Il quitte la City pour se lancer dans l’écriture et la musique.Il forme le groupe Milk Coffee and Sugar avec Edgar Sekloka. Le duo sort un album en 2010 et est nommé « découverte » du Printemps de Bourges en 2011. Edgar Sekloka décide de quitter le duo en 2015.Pili Pili sur un croissant au beurre, son premier album solo, sort en 2013. Il reçoit le prix Charles-Cros des lycéens (2014) de la nouvelle chanson francophone.La rencontre avec une éditrice le décide à se mettre à l’écriture de Petit pays. Une fois son manuscrit terminé, il emmène sa femme et leurs deux filles au Rwanda en 2015. Le Rwanda, c’est le pays où sa mère est née en 1959, dans un camp de réfugiés. Elle est déplacée en 1962 au Burundi, lors des premiers massacres des Tutsi. À partir de ce moment-là, elle ressentira l’impression d’être apatride.En août 2016, il publie chez Grasset son premier roman, Petit pays, qui remporte un grand succès et plusieurs prix littéraires, dont le prix Goncourt des lycéens en 2016.Un documentaire, diffusé par France Ô, intitulé Quand deux fleuves se rencontrent, réalisé par Nicolas Bozino et Toumani Sangaré, retrace son parcours.

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5Contexte géopolitique

Petit pays se déroule au Burundi mais, dans le cadre des programmes d’histoire, nous avons axé le contexte géopolitique sur le Rwanda où s’est déroulé le génocide des Tutsi. Bien évidemment, les événements du Burundi (coup d’État, accords de paix d’Arusha, mort du président lors de l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana du Rwanda...) sont en lien direct avec ceux du pays frontalier : le Rwanda.

Le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, est un crime planifié, préparé, organisé par l’État.Le Rwanda – partie de l’Afrique des Grands Lacs – est un petit pays, vingt fois plus petit que la France métropolitaine (26 338 km2), au relief montagneux. Ce pays des mille collines, au relief doux et humide, est souvent appelé la petite Suisse africaine. Les paysages et les cultures sont variés : riziculture, plantations de thé, forêts d’eucalyptus, savanes, marécages.Avant la colonisation, le Rwanda se divisait en trois groupes sociaux : les Hutu, agricul-teurs, les Tutsi, éleveurs, les Twa, artisans. L’entreprise de colonisation a transformé ces catégories en ethnies en radicalisant la population, ce qui a eu pour conséquence de créer un antagonisme hutu-tutsi. Les mariages mixtes sont fréquents. La population est jeune : plus de la moitié de la population du Rwanda a moins de 20 ans en 1991. La population est majoritairement chrétienne. 60 % des Rwandais sont convertis au catholicisme. Prêtres, religieux et religieuses sont majoritairement tutsis mais les évêques sont majoritairement hutus. Cette répartition expliquera, en partie, les massacres commis dans les églises.

Dans les années 1990, la situation économique se dégrade et les inégalités sociales se creusent. 90 % de la population vit de l’agriculture. En raison d’une forte pression démographique, la population manque de terre. La majorité de la population cultive des petits lopins de terre de moins d’un hectare. La production de manioc et de patate douce diminue à cause de la sécheresse dans le sud du pays. La population est en majorité pauvre et vit de l’aide alimentaire. Le Rwanda est endetté et connaît une forte inflation. L’État trouve un bouc émissaire à tous ces maux : les Tutsi. Cette situation économique n’explique pas à elle seule le génocide.

Le Rwanda a été colonisé par les Allemands et les Belges en 1918. La Belgique, dans un pre-mier temps, s’est appuyée sur les Tutsi pour administrer le pays, les considérant comme des Africains « non nègres », supérieurs aux Hutu. À partir de 1931, l’administration belge décide d’apposer sur les cartes d’identité, l’appartenance ethnique : Tutsi, Hutu, Twa. Cette carte d’identité facilitera le génocide. À partir des années 1950, la Belgique favorise les Hutu en raison d’une volonté d’indépendance de la part des Tutsi. À partir de cette date se développe une idéologie raciste où seuls les Hutu ont le droit de vivre au Rwanda. En 1962, le Rwanda obtient son indépendance, une république hutue se met en place, avec un parti unique hutu. La population est surveillée et est obligée de participer à des séances de propagande. Cette république hutue est raciste et, dès son arrivée au pouvoir, elle procède à des discriminations, des massacres perpétrés contre les Tutsi, au nord du Rwanda. D’autres pogroms auront lieu, en particulier en 1973. Les Tutsi qui se réfugient à cette époque dans des écoles et dans des bâtiments sacrés sont épargnés. Certains fuient dans les pays voisins : Burundi, Ouganda, Zaïre, Tanzanie. C’est le cas d’Yvonne, un des personnages de Petit pays, qui s’exile en 1963 au Burundi. Dans les années 1970, le président Habyarimana crée une milice, les interahamwe, et développe une propagande raciste, antitutsie, dans les médias (à la Radio des Mille Collines et dans certains journaux comme le Kangura). Les Tutsi sont animalisés, comparés à « des Inyenzi, des cafards, des cancrelats, des insectes qui se déplacent la nuit ». Selon cette propagande, la minorité tutsie serait « riche, fourbe, manipulatrice, voleuse et complotiste ». Les médias hutus déshumanisent les Tutsi et développent l’idée qu’il faut les tuer avant qu’ils ne tuent. En 1990 sont publiés Les Dix Commandements qui ordonnent aux Hutu de s’allier contre les Tutsi. C’est dans ce contexte que naît la guerre civile entre le gouvernement hutu et le Front patriotique rwandais (FPR) composé de Tutsi exilés en Ouganda et de Hutu modérés. Cette guerre civile va alimenter la propagande, la peur des Tutsi. Ils sont considérés comme des traîtres. Les Tutsi peuvent cacher des membres du FPR. Pendant la guerre civile, en 1992, les Tutsi du

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Bugesera sont massacrés par les interahamwe. Parallèlement, le Burundi connaît ses premières élections démocratiques en juin 1993 et Melchior Ndadaye, un Hutu, est élu président. En octobre 1993, ce président est assassiné et une guerre civile éclate jusqu’aux accords d’Arusha. Des massacres de Tutsi ont lieu. Le Burundi est le laboratoire du génocide au Rwanda.En 1993, les accords d’Arusha doivent mettre fin au conflit. Ces accords prévoient le partage du pouvoir entre les Tutsi et les Hutu, l’organisation d’élections libres, la fin des massacres. Ces accords ne seront jamais appliqués.Le génocide débute le 6 avril 1994, lorsque l’avion présidentiel est abattu – probablement par les extrémistes hutus –, où les présidents du Rwanda et du Burundi trouvent la mort. Les Hutu extrémistes prennent le pouvoir et désignent les Tutsi comme coupables. Le génocide commence dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 à Kigali. La Radio des Mille Collines appelle aux meurtres et encourage les Hutu à « travailler », c’est-à-dire à exterminer les Tutsi.La garde présidentielle et les interahamwe installent des barrages sur les routes à Kigali. Ils vont tuer les Tutsi, avec le renfort des voisins et des paysans.Chaque matin, les Hutu partent « au travail ». Le travail consiste à tuer – de manière méthodique sous l’ordre des autorités locales, avec l’aide de la milice – tous les Tutsi. Les Tutsi seront assassinés avec des objets rudimentaires, en particulier des machettes. L’assas-sinat planifié des Tutsi s’est déroulé dans leurs maisons, au coin des rues, aux barrages, dans des lieux familiers comme les écoles, les hôpitaux, et jusque dans des espaces sacrés, les églises, jusque-là synonymes de refuge, d’asile. Les Tutsi sont mis à mort sur l’ensemble du territoire rwandais. Il n’a pas été utile, dans ce génocide, de déporter, d’enfermer, la population à exterminer, en raison de la petitesse du territoire et par le fait que c’est un génocide « des voisins ».

Le génocide a fait un million de morts en cent jours.

Après le génocide, en novembre 1994, le conseil de sécurité instaure le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Ce tribunal est appelé à juger les personnes accusées de géno-cide, de crime contre l’humanité. Ce tribunal siégera à Arusha. Mais, devant l’impossibilité matérielle de juger autant de génocidaires, les dirigeants rwandais instaurent, à partir de 2001, des tribunaux populaires, les gacaca. Ces tribunaux sur l’herbe ont instruit, en dix ans, près de deux millions de dossiers et condamné 800 000 personnes pour meurtre ou viol.Le génocide des Tutsi est nié par les assassins eux-mêmes, mais aussi par le gouvernement français qui préfère parler de double génocide. L’utilisation des termes « génocide rwandais » est une forme de déni du génocide des Tutsi.

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7Résumés par chapitres

PrologueLe père du jeune narrateur explique à ses enfants quelles sont les différentes ethnies qui peuplent le Rwanda. Il tente de donner des réponses aux questions, naïves mais sensées, de son fils, qui ressent une atmosphère de tension autour de lui, même à l’école.Passage en italique qui nous ramène au temps du narrateur adulte, le jour de ses trente-trois ans. Il vit en France mais connaît une grande nostalgie, au point que l’idée du retour au pays l’obsède.

Chapitre 1Le mariage des parents, un Occidental et une Rwandaise, beaux et insouciants. C’est le temps du bonheur, le temps d’avant… Un couple rattrapé par les soucis du quotidien et l’annonce d’une catastrophe.

Chapitre 2Visite de la famille de Gaby, le narrateur de dix ans, chez Jacques, un vieux colon qui vit à la frontière du Zaïre depuis toujours. Personnage écœurant aux yeux de Gaby. Il fait entendre des propos racistes et misogynes mi-figue mi-raisin. Les parents de Gaby se dis-putent à cause d’une incompréhension entre la vision d’un Occidental installé au Burundi et le malaise d’une Rwandaise réfugiée au Burundi.

Chapitre 3Visite familiale au bord d’un lac pour apaiser l’atmosphère tendue qui s’est installée entre les parents. Mais les disputes redoublent et s’amplifient au point qu’Yvonne quitte le domicile conjugal.

Chapitre 4Pour les fêtes de fin d’année, Ana, la petite sœur, part au Rwanda avec sa mère pour rendre visite à Eusébie, une tante qui vit là-bas avec ses enfants. Gaby reste avec son père. Il reçoit un superbe vélo comme cadeau. Ils partent tous les deux en séjour chez les Pygmées dans la montagne, mais à leur retour, ils apprennent que le gardien Calixte a disparu avec le vélo tout neuf.

Chapitre 5Les jumeaux, voisins de Gaby, métis eux aussi, racontent leurs vacances au village, confiés par leurs parents à la grand-mère maternelle. Elle a découvert que les enfants n’étaient pas circoncis et elle a demandé à ses fils, les oncles des jumeaux, de « réparer » cela. Les jumeaux précisent qu’ils ont vu, au village, le vélo de Gaby.

Chapitre 6Tous les matins, aux préparatifs avant d’aller à l’école, on voit Prothé le boy qui prépare le petit-déjeuner, puis Donatien, venu du Zaïre, le contremaître très pieux avec une bible sur lui en permanence, et enfin Innocent, le chauffeur et homme à tout faire. Il est très antipa-thique, hautain et se donne de l’importance, mais il a ses entrées partout et il est très utile.

Chapitre 7À l’école, Gaby reçoit la première lettre de sa correspondante, Laure, ce qui lui fait vivre une grande émotion. Sa réponse à Laure exprime son opinion de la vie qu’il mène.

Chapitre 8Gaby part avec Donatien et Innocent au village de la grand-mère des jumeaux, pour retrou-ver le vélo volé. Ils retrouvent Calixte mais celui-ci a vendu le vélo à un pauvre agriculteur. Lorsqu’ils se rendent chez cet homme, ils voient le fils de la maison jouer avec le vélo et Gaby s’en empare. Mais l’agriculteur explique qu’il a sacrifié toutes ses économies pour faire ce cadeau. Gaby est pris entre Innocent, qui considère que cela ne les regarde pas, et

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Donatien, qui explique que ce petit garçon n’aura plus jamais la chance d’avoir un vélo. Innocent tranche et s’en saisit, mais au retour Donatien lit sa bible pour faire prendre conscience du tort causé. Gaby se sent envahi par la honte.

Chapitre 9Visite chez la mamie de Gaby et son arrière-grand-mère Rosalie. Elle a presque cent ans et raconte inlassablement des histoires de son Rwanda d’antan. Elles vivent dans un quartier de réfugiés dans la capitale avec Pacifique, l’oncle maternel, qui veut intégrer le Front patrio-tique rwandais pour reconquérir le pays. Dans cette famille règne le souvenir d’Alphonse, le grand-frère de Pacifique, un homme brillant et joyeux qui a perdu la vie dans l’armée que Pacifique veut rejoindre.

Chapitre 10La maison de Gaby se trouve dans une impasse où vivent des camarades de jeu : les jumeaux, métis de père français et de mère burundaise ; Armand, un Burundais, le seul tout noir de la bande, dont le père est diplomate et la famille nombreuse très bigote ; Gino, le plus âgé du groupe, son père est belge, professeur à l’université et sa mère est rwandaise mais personne ne la voit jamais. Ils s’aiment comme des frères et se retrouvent dans un vieux combi Volkswagen au milieu d’un terrain vague pour discuter, rêver, plaisanter, décider. Ils s’amusent à cueillir des mangues chez les voisins, les Von Gotzen, un couple de colons allemands racistes et Mme Economopoulos, une vieille dame qui vit avec ses teckels. Ils vont également au bord de la rivière, au centre nautique. Ils ont un rival, Francis, un vieux de quatorze ans, très fort, qui connaît les gangs peu fréquentables, c’est le pire ennemi de Gino. L’impasse est un lieu de camaraderie, de jeu et d’insouciance qui ne va pas le rester.

Chapitre 11Gino est très informé de la situation politique de la région, car il en parle librement avec son père qui passe beaucoup de temps à rédiger des livres et des cours sur sa machine à écrire. Son passe-temps favori est la photographie. Sa maison sent les produits de développement des négatifs et le chlore, car il est très maniaque. Gino et Gaby préfèrent passer des soirées au cabaret de l’impasse pour écouter parler les gens, à la faveur de la nuit, sur la politique, les élections prochaines, la démocratie, la paix et les massacres.

Chapitre 12Les élections se préparent dans un air de fête en ville. Les formations politiques de l’Uprona, au pouvoir depuis trente ans, et de Frodebu, partisane de la démocratie, s’affrontent. Chez Gaby, Prothé porte un grand espoir dans une démocratie alors qu’Innocent préfère l’Uprona. Tous deux s’affrontent par des gestes et des regards tendus.

Chapitre 13La journée du vote se déroule dans une ville en liesse, car les gens votent pour la première fois de leur vie et y voient un espoir de connaître la fin d’un parti unique et des coups d’État. Mais le résultat du parti démocrate provoque un silence réservé et inquiet chez le père de Gaby. Le jeune garçon envoie une lettre à Laure, sa correspondante, pour lui parler du nouveau président, avec le regard naïf d’un enfant de cet âge que le père éloigne systématiquement de toute conversation sur la politique.

Chapitre 14C’est l’anniversaire de Gaby, on fête ses onze ans, tout le quartier est invité. Jacques a ramené le crocodile qu’il avait tué avec une équipe de chasseurs pour le dépecer et en griller des steaks. Tout va pour le mieux pour Gaby : Laure lui a écrit, il passe en sixième, ses parents l’ont félicité et se parlent à cette occasion, on a reçu de bonnes nouvelles de Pacifique qui se fiance au Rwanda. Mais voilà qu’arrive Francis en tant que voisin, il parle avec tout le monde, observé par les regards noirs des copains de l’impasse. Il pactise avec Innocent et vient

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provoquer Gino, ils se battent et le père de Gaby l’éjecte de la fête. L’orage arrive, l’électricité est coupée et la musique cesse, mais chacun va chercher un instrument de musique qu’il possède ou de quoi faire des percussions et les danses reprennent en même temps qu’une grosse pluie d’orage sous les yeux de Gaby heureux qui ne pense pas oublier cela un jour.

Chapitre 15Gaby va maintenant au collège avec les grands. Il découvre le grand attrait pour les marques et la mode, et se trouve influencé lui aussi à un point que Donatien lui reproche. Gino rêve d’un retour au Rwanda avec ses parents, le même rêve que celui de la famille réfugiée de Gaby. Lui, ne souhaite que rester où il est avec les gens qu’il aime, que rien ne change. La terre tremble et le garage de Gino se fissure. Gaby compare les hommes à cette terre qui parfois semble calme et d’autres fois se déchaîne. La violence couve et réapparaît pério-diquement sous la forme de massacres.

Chapitre 16Ana réveille son frère dans la nuit car elle entend des coups de feu. Ils sont seuls dans la maison et restent prostrés jusqu’au matin. Aucun employé n’apparaît, Prothé et le gardien ne sont pas là. Quand le père revient, il fait installer des lits dans le couloir pour éviter d’éventuelles balles perdues. La radio diffuse de la musique classique comme à chaque fois que s’est produit un coup d’État. Gino, bien informé vient donner des précisions à Gaby. La radio annonce le couvre-feu.

Chapitre 17Les gens sont confinés dans leurs maisons. La mère de Gaby appelle ses enfants pour avoir des nouvelles et elle leur apprend que des massacres ont eu lieu au centre du pays. L’école reprend et chacun raconte comment il a vécu cet événement. La vie des habitants du centre-ville et des quartiers résidentiels reste privilégiée, les enfants n’ont pas peur mais dans les zones périphériques, les villages et les banlieues sont ravagés et incendiés. La vie de la bande de copains ne change pas. Gino veut aller piquer des mangues chez Francis. Ils y vont tous ensemble et font tomber les fruits jusqu’au moment où Francis attrape Gino et Gaby, les traîne vers la rivière et frappe leur visage contre les cailloux du fond pour les assommer et les noyer. Gino se rebiffe et Francis relâche son étreinte sur Gaby pour s’acharner sur Gino et lui faire avouer où est sa mère que personne n’a jamais vue. Il avoue sous les coups que sa mère est morte. Francis les abandonne. Gino part en courant et Gaby est envahi par la colère.

Chapitre 18Les habitants de la ville sont sommés de ne pas sortir de chez eux certains jours précis appelés « ville morte ». Ces jours-là, des bandes de jeunes font des barrages et agressent les récalcitrants. On vit dans la peur, tout est fermé, et les lendemains quand tout redevient « normal », on trouve des cadavres dans les rues. Le père de Gaby doit faire des licencie-ments et son affaire tourne au ralenti. Une dispute a éclaté entre Prothé et Innocent qui a été renvoyé faute de faire des excuses. Tout le monde vit dans la méfiance et la tension, aux aguets. Des disputes éclatent à l’école entre Hutu et Tutsi, on découvre une rivalité qui n’existait pas. Gaby se voit obligé d’appartenir à un camp sans jamais avoir choisi cela.

Chapitre 19Gaby part à Kigali avec sa sœur Ana et sa mère pour assister au mariage de son oncle Pacifique. Ils sont accueillis par Eusébie, la tante d’Yvonne à peine plus âgée qu’elle, une grande sœur presque, et les quatre enfants : Christelle, Christiane, Christian et Christine. Les trois filles dorlotent Ana. Christian et Gaby sont presque du même âge, Christian est fan de foot et présente ses idoles. Le soir Pacifique rend visite en cachette car les soldats du FPR sont recherchés. On ferme la porte à double tour, on éteint les lumières, on tire les rideaux. Pacifique annonce qu’il doit se marier au village de Jeanne, elle est enceinte et ses parents sont très croyants. Il explique également que la situation est grave d’après leurs

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services de renseignement. De grandes tueries sont à craindre, on a distribué un grand nombre de machettes dans le pays. Il demande à Yvonne d’accueillir les enfants d’Eusébie chez elle, au Burundi ainsi que Jeanne sa future femme et le bébé, aux vacances de Pâques pour ne pas éveiller les soupçons. Eusébie restera à Kigali, il faut qu’elle travaille et elle connaît une personne des Nations unies en cas d’urgence. Pacifique repart dans la nuit.

Chapitre 20Gaby, sa sœur, sa mère et toute la famille d’Eusébie partent en voiture au village de Jeanne à cinquante kilomètres de Kigali pour assister au mariage de Pacifique. Les vêtements de cérémonie sont cachés dans des valises pour rester discrets. Dans la voiture, la radio diffuse la musique de Papa Wemba et tout le monde est joyeux. Mais soudain Gaby remarque une grande gêne et Eusébie éteint la radio. Christian informe que le speaker a dit que « tous les cafards doivent périr » les cafards étant les Tutsi. La voiture est arrêtée à un barrage militaire avec des soldats arborant des kalachnikovs. On contrôle les papiers d’identité. Yvonne a un passeport français, mais le soldat ironise et lui passe la main dans le cou. Tous les passagers ont peur. On leur dit de dégager, mais en donnant un coup de pied dans la carrosserie et une crosse d’arme casse la vitre arrière. À l’arrivée au village, on ne parle de rien. L’accueil de la famille de Jeanne est très chaleureux. Les invités sont vite habillés, la cérémonie de mariage se fait devant peu de monde et Eusébie veut repartir vite avant la nuit. On se promet une plus grosse fête plus tard.

Chapitre 21Gaby trouve Gino et Francis tranquillement installés dans le combi. Il se sent trahi et furieux et s’enfuit. Gino le rattrape et lui explique que Francis n’est pas si mauvais qu’on le pense et que lui aussi a perdu sa mère. Gaby s’attendrit, il n’a pas eu l’occasion d’en parler avec Gino depuis qu’il a appris ce deuil. Il veut savoir s’ils sont toujours amis. Gino fait couler leur sang avec une épine pour établir un pacte d’amitié en guise de réponse. Francis emmène la bande de copains, dans un taxi qu’il paie d’un billet, pour les conduire sur les hauteurs de la ville dans la piscine d’un collège. Gino propose à Francis de sauter du plongeoir. Francis refuse, il ne veut pas se tuer. Gaby relève le défi pour épater Gino et se sentir supérieur à Francis. Il réussit malgré sa peur, et c’est son triomphe. Ils repartent à la nuit, tout joyeux dans le taxi, vers leur impasse. Le chauffeur pile, tétanisé par la frayeur : il a vu le diable, c’est l’ombre d’un cheval noir.

Chapitre 22La mère de Gaby vient annoncer que les présidents du Burundi et du Rwanda ont été tués. Elle demande de l’aide à son mari pour venir au secours de sa famille. Au téléphone, Eusébie raconte qu’elle a entendu l’explosion de l’avion et l’appel des Hutu à prendre les armes. Ils ont barré les routes, procédé à des massacres. La voisine d’Eusébie et ses enfants ont été tués. Elle veut cacher les siens dans le faux plafond et prier, mais pour l’heure, elle n’a plus qu’à dire adieu à « sa sœur ». Les parents de Gaby téléphonent à tous ceux qui pourraient leur venir en aide, aux Nations unies, aux ambassades de France et de Belgique, mais ils ne veulent évacuer que des Occidentaux. Les jours qui suivent confirment les massacres prédits par Pacifique. La mère de Gaby se sent loin, impuissante, rongée par le désespoir. Elle vit le génocide via la radio qui multiplie les appels de détresse. Le FPR finit par gagner du terrain, les bourreaux sont en déroute et quand Kigali est délivrée, Mamie et Rosalie peuvent revenir dans leur pays après trente ans d’exil.

Chapitre 23Après les événements, les jumeaux quittent l’impasse pour aller vivre en France. Dans le combi, Francis se prend de plus en plus pour un chef. Il veut former un gang, ami des autres gangs de l’opération « ville morte » pour protéger le quartier, avec l’assentiment total de Gino qui souhaite se protéger des Hutu. Ce climat de violence répugne à Gaby. Un jour, Mme Economopoulos l’invite, et il découvre sa bibliothèque avec fascination. Elle

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lui prête un livre, qu’il dévore en une nuit, puis un autre, et encore un autre. Il discute avec elle de ses impressions de lecture et va la voir chaque jour. L’univers de la littérature lui donne une bouffée d’oxygène au moment opportun, il n’a plus envie d’aller voir les copains et découvre en lui des choses ignorées jusqu’alors.

Chapitre 24Bujumbura est une ville ravagée, pleine de carcasses de voitures calcinées, des cadavres au sol. L’insécurité y règne et les habitants craignent le même désastre qu’au Rwanda. Gaby a vu le lynchage d’un homme en plein jour dans l’indifférence générale. Jacques a retrouvé la mère de Gaby par hasard près de chez lui à Bukaru, frontière zaïroise où se mêle une foule de réfugiés dans une pagaille monstrueuse. Yvonne est très amaigrie, sale, méconnaissable. Elle raconte son arrivée à Kigali le 5 juillet dans un spectacle de désolation, de cadavres et l’omniprésence d’une odeur épouvantable. Chez Eusébie, elle a vu le corps de trois enfants dans le salon, et plus loin celui de Christian qu’elle n’a reconnu qu’à son maillot de foot. Eusébie étant introuvable, elle est partie au village de Jeanne, mais la maison était pillée et déserte. Pacifique a été fusillé après un passage en cour martiale car il a tiré sur les gens qui portaient le chapeau de son beau-père et la robe de fiançailles de Jeanne. Yvonne est partie vers le Zaïre à la recherche d’Eusébie, c’est là que Jacques l’a retrouvée, par hasard.

Chapitre 25Donatien raconte ses nuits dans le quartier de Kamenge où il habite, il entend les coups de feu et voit les flammes des maisons brûlées. Cependant il garde sa foi en Dieu et dans la vie. Gino tout excité vient chercher Gaby pour lui montrer les deux grenades qu’il a cachées dans son congélateur. Il les a eues à un bon prix grâce à Francis et ses relations avec le gang des « sans défaite » qui participe aux opérations « ville morte ». Armand proteste, Gaby n’est pas d’accord mais Francis et Gino sont déterminés. Ils vont tous cacher les grenades dans le combi et Gaby aperçoit le télescope de Mme Economopoulos, volé, caché dans le combi pour l’échanger contre une kalachnikov. Gaby proteste violemment et veut le rendre mais Francis lui fait une clé de bras. Gino ne le défend pas, au contraire, il veut protéger son impasse, se défendre contre les Hutu. Gaby ne reconnaît plus son ami, et il ne se sent pas concerné par cette haine.

Chapitre 26Depuis son retour de l’enfer, la mère de Gaby est revenue vivre avec eux. Elle est choquée, prostrée, immobile, avec un regard absent et vide qui effraie Gaby. Une nuit, elle réveille Ana et lui raconte en détail la découverte des cadavres de ses cousines, comment elle les a enterrées dans le jardin et comment elle a voulu laver, effacer les taches de sang sur le sol, avec acharnement, sans jamais y parvenir, pour que leur mère, si elle revenait ne les voie pas. La nuit suivante, elle recommence, raconte, secoue Ana si elle ne répond pas, puis chaque nuit, elle lui répète son récit. Gaby voyant que sa sœur va mal, veut la sauver et explique le problème à son père. Lorsque son mari vient lui demander des explications, Yvonne se transforme en furie, elle délire, insulte, se jette sur Ana et la blesse. Le père de Gaby emmène sa sœur aux urgences, et Gaby court se réfugier dans le combi. Lorsqu’ils reviennent à la maison, la mère a disparu et Gaby se sent envahi d’un sentiment de culpabilité.

Chapitre 27Une lettre de Gaby à Christian, qu’il ne reverra plus jamais. Il lui confie ce qu’il ne peut dire à personne : son amour pour Laure, une correspondante qu’il n’a jamais vue, la distance qui s’installe avec des copains qu’il ne comprend plus, et toutes les voix des personnes de son entourage qui se cognent en écho dans son esprit.

Chapitre 28Alors qu’Ana dessinait les horreurs de la guerre, que Prothé faisait des crêpes et que Gaby lisait, cinq hommes s’introduisent dans l’allée, armés de kalachnikovs. Ils font sortir tout le

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monde et mettent les enfants à genoux. Ils somment Prothé de ne pas dormir là la nuit, même si sa maison est détruite, parce qu’il est hutu, et lui introduisent le canon de l’arme dans la bouche pour le persuader. Ils réclament le patron en disant qu’ils ne veulent pas de Français dans cette parcelle car ce sont les Français qui ont tué les Tutsi au Rwanda. Les opérations « ville morte » se multiplient, la peur s’intensifie. Gaby trouve du réconfort dans les livres, mais il sait que le bonheur d’avant n’est plus qu’un rêve et que son impasse a perdu son aspect protecteur.

Chapitre 29Dans un contexte de plus en plus tendu après des violences répétées, les gens se calfeutrent chez eux et personne ne sort. Gino vient chercher Gaby pour lui montrer Armand, en larmes dans le combi, parce que son père a été assassiné dans l’impasse par des Hutu déguisés en marchands de légumes. Pour Gaby, c’est le dernier rempart qui saute puisque, même dans l’impasse, la violence est désormais présente. Francis vient les chercher en taxi, ils passent les barrages du gang des « sans défaite » parce que Francis connaît l’un d’eux : l’homme à la kalachnikov venu menacer Prothé, il s’appelle Clapton. Il monte dans le taxi et ils partent ensemble vers la rivière. Les spectacles de violences jalonnent le trajet. Quand ils arrivent, ils découvrent un homme capturé et battu par des jeunes que Gaby croyait de bonne famille. C’est un des assassins du père d’Armand. Il est placé dans le taxi qu’on arrose d’essence. Arrive un homme casqué, en moto, sous l’admiration de tous, c’est le chef. Gaby découvre qu’il s’agit d’Innocent. Il allume un briquet : le zippo volé à Jacques le jour de son anni-versaire et le tend à Armand pour qu’il venge son père. Armand recule. Clapton veut que ce soit Gaby qui incendie le taxi pour prouver qu’il est bien de leur côté. Gaby désemparé voit le sourire d’Innocent, le visage fermé de Gino, le regard du supplicié, et il entend les cris haineux de tous ceux qui assistent à la scène. Innocent menace de s’en prendre à Ana et à son père. Gaby lance le briquet.

Chapitre 30Une lettre à Laure qui évoque le désespoir par le spectacle de désolation de Bujumbura, et la vie des gens dans une description visionnaire recouverte de la couleur blanche du deuil.

Chapitre 31La guerre s’est intensifiée au Burundi, au point d’être à la une des actualités. Prothé a été retrouvé mort devant chez Francis. Donatien a disparu après l’anéantissement de son quartier. Les Occidentaux sont rapatriés. Ana et Gaby quittent le sol africain sans avoir de temps pour les adieux. Mme Economopoulos déchire une page d’un livre qu’elle confie à Gaby comme fil conducteur de sa vie future. Il reste l’image de la main du père qui salue depuis l’aéroport.

ÉpilogueBien des années plus tard, en France, un pays aussi sûr qu’une impasse, et pourtant un grand sentiment de vide où se perdent quelques photos et des objets du passé. La douleur existe par la distance entre ici et là-bas mais aussi entre avant et maintenant. Lorsque Gaby revient dans son impasse, pour récupérer un héritage : les livres de Mme Economopoulos (mais est-ce bien pour cela ?), il constate que la nature est moins présente et que les habitants sont des inconnus, sauf Armand, qui l’emmène au cabaret, comme avant. Ils parlent à peine des copains d’antan, et pas du tout des malheurs subis comme la mort du père de Gaby. Il retrouve une ambiance, des conversations à peine changées, une impression chaleureuse de retour chez soi. Dans un coin, il entend une voix, un murmure qui parle de taches au sol, celui de sa mère qui vient là chaque soir depuis vingt ans. Le temps l’a marquée, c’est une très vieille femme qui le reconnaît quand il s’approche, qui a un geste tendre pour lui et même qui lui parle, mais c’est à Christian qu’elle s’adresse.

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13Étude des personnages

La famille

Gaby : le narrateur, il a dix ans lorsque commence l’histoire. Il s’appelle Gabriel – mais veut choisir la façon dont on le nomme –, il vit dans une famille heureuse avec sa sœur Ana, un père français et une mère rwandaise tutsie, jusqu’au début du récit. Les choses se compliquent quand il voit ses parents se déchirer pour des raisons qu’il comprend mal et lorsque la situation politique se dégrade. Il accorde une grande importance aux copains qui vivent dans son impasse : ils se retrouvent dans un vieux combi pour discuter du choix des activités communes. Cette impasse est un lieu protecteur et bienfaisant et il aura beaucoup de mal à accepter que change cet état de choses.Michel : le père de Gaby, est originaire du Jura. Il est venu en Afrique pour son service militaire, et il y vit depuis vingt ans. Il a une stature de Viking. On le devine architecte puisqu’il supervise des chantiers dans le roman. Il est très amoureux de sa femme, mais ne comprend pas toujours sa souffrance d’apatride.Yvonne : la mère de Gaby, est très belle. Elle a quitté le Rwanda en 1963 à quatre ans, pendant une nuit de massacre. Elle tient une boutique à Bujumbura. Elle se sent isolée dans une famille qui ne partage pas ses souffrances, non par indifférence, mais par incapacité de les mesurer. Elle n’a jamais voulu enseigner sa langue à ses enfants parce qu’elle les considère comme des Français et ne veut pas les ennuyer avec des conflits rwandais.Ana : la petite sœur, a sept ans au début du roman. Elle est très sérieuse et raisonnable. Gaby a parfois l’impression que l’aînée, c’est elle. Elle est victime de la dépression de sa mère et fait sa vie d’adulte en Occident, dans les affaires. Elle ne voudra plus jamais entendre parler du Burundi.Mamie et Rosalie : la grand-mère infirmière, et l’arrière grand-mère de Gaby. Elles habitent dans une cité de Bujumbura qui héberge les réfugiés rwandais. Elles ont la nostalgie de leur pays d’origine. Rosalie, presque cent ans, raconte des histoires de là-bas. Elles rêvent d’y finir leurs jours. Elles regrettent que Gaby ne soit pas initié à leur culture.Pacifique : le frère d’Yvonne, l’oncle de Gaby, est un homme jovial et beau qui aime la guitare et les chansons, il est bercé par les récits de sa grand-mère et va entrer dans le Front Patriotique Rwandais pour délivrer son pays du joug des Hutu et pouvoir retourner y vivre. Son frère aîné, Alphonse, un ingénieur en physique-chimie brillant, avait les mêmes rêves, mais il est mort au combat dans les premières attaques du FPR.Eusébie : la tante d’Yvonne, à peine plus âgée qu’elle. Elles se considèrent d’ailleurs comme des sœurs. Elle est veuve et a quatre enfants de cinq à seize ans qu’elle élève seule : Chris-telle, Christiane, Christian (le seul garçon, fan de foot) et Christine. Elle vit à Kigali, c’est la seule de la famille à être restée au Rwanda.Jeanne : la jeune fille que Pacifique rencontre au Rwanda et dont il tombe amoureux. Ils doivent se marier très vite car Jeanne est enceinte et sa famille, très croyante, ne le sait pas.

Les domestiques de la maison

Donatien : le contremaître de l’entreprise du père de Gaby depuis vingt ans, est un homme fidèle. Il vient du Zaïre, il a quarante ans, est marié, et a trois fils. Il vit dans un quartier périphérique de Bujumbura. Il est catholique et très pieux, il porte constamment une bible sur lui et ne manque pas de la relire quand les événements lui paraissent appropriés.Prothé : le boy cuisinier, il vient du Zaïre, il est hutu. Il est très prévenant avec les enfants de la maison.Innocent : un jeune burundais tutsi d’à peine vingt ans, est le chauffeur de l’entreprise et l’homme à tout faire. Il connaît tout le monde en ville et a ses entrées partout. Il est hautain avec les autres employés, se donne un genre et son attitude est détestable.

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Les copains de l’impasse

Gino : est l’aîné du groupe, au début du roman. Il a un an et neuf mois de plus que les autres. Il vit avec son père, un Belge, professeur d’université et une mère rwandaise que personne n’a jamais vue. Son père passe beaucoup de temps à taper sur une machine à écrire, des cours, des livres. Il est passionné de photo et c’est un maniaque de la propreté, si bien que Gino n’aime pas que ses copains soient chez lui.Armand : vit au fond de l’impasse dans une grande maison. Ses parents sont burundais, c’est d’ailleurs le seul tout noir du groupe. Son père est diplomate, il est très souvent en voyage. Sa mère et ses sœurs sont des bigotes aigries. C’est une famille coincée. Mais Armand est très drôle et il sait faire des trucs incroyables.Les jumeaux : habitent en face de chez Gaby. Ils sont métis de père français et de mère burundaise. Leurs parents tiennent une boutique de location de cassettes vidéo, aussi les copains se retrouvent souvent chez eux pour regarder des films.Francis : un « vieux » de quatorze ans, pire ennemi de Gino et de la bande, au départ. Il est très fort et résistant. Il vit avec un vieil oncle, non pas dans l’impasse mais à une rue et demie de là. Au départ il déteste la bande des « gosses de riches ». Il se dit Zaïrois tutsi. Il va être intégré dan le groupe malgré l’avis de Gaby, quand Gino va avoir besoin de sa force et de ses entrées partout pour défendre une impasse qu’il sent menacée.

Les autres habitants de l’impasse

Les Von Gotzen : un vieil allemand un peu fou, collectionneur d’arbalètes, raciste. Sa femme, encore plus raciste, ne jure que par le golf et le club hippique. Elle possède un cheval dont elle est folle. Leur maison est la plus grande, la plus belle, la seule à être dotée d’une piscine. (Voir ci-dessous)Mme Economopoulos : une vieille femme grecque, sans enfants, qui vit avec une dizaine de teckels. Son jardin est magnifique, et sa bibliothèque impressionnante. C’est elle qui va initier Gaby à la littérature. Elle est très gentille et accepte d’acheter à la bande les mangues qu’ils ont pillées dans son jardin.

Les colons racistes

Jacques : un ami qui habite au Zaïre, près de la frontière burundaise, à qui la famille rend visite chaque mois. Son comportement avec les domestiques est parfois choquant, il traite son cuisinier de macaque et de chimpanzé, l’appelle en faisant tinter une cloche, parle de son « espèce ». Il vit comme un pacha depuis très longtemps au Zaïre et serait incapable de retourner vivre en Europe. Il fait le fier lorsqu’il va à la chasse au crocodile avec une équipe armée, pose devant son trophée, exhibe son briquet en or et se montre misogyne à l’occasion.M. Von Gotzen : a fait de la prison, une première fois pour avoir uriné dans le repas de son jardinier qui avait osé demander une augmentation et une seconde fois pour avoir enfermé son boy dans le congélateur parce qu’il avait carbonisé ses bananes flambées.Mme Von Gotzen : ne vit que pour son cheval noir, Attila. Pendant les événements, un obus est tombé près des écuries et son cheval s’est enfui. Elle veut que le père de Gino use de ses relations diplomatiques pour contacter les Nations unies et la Maison Blanche afin de retrouver son animal.

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15Étude des thèmes récurrents

L’amitié

La bande des cinq copains a une importance considérable dans la vie de Gaby. Ils partagent un espace capital, celui de l’impasse, celui du vieux combi Volkswagen, (« la planque »), des lieux fermés, protecteurs. C’est là qu’Armand vient se réfugier juste après la mort de son père, un « havre de paix », où la végétation est dense, comme dans tous les lieux du roman où se déroulent des événements heureux. Ils appartiennent au même milieu social d’expatriés, de mariages mixtes. Ils sont tous métis, sauf Armand, « le seul noir de la bande », fils de diplomate burundais, mais tous les cinq, « s’aim[ent] comme des frères » (p. 75). Ils partagent les mêmes intérêts pour la maraude des mangues, les barrages dans la rivière Muha, les bières, les cigarettes fumées en cachette, les vidéos chez les jumeaux… Ils ont le même ennemi commun, Francis, un « vieux » de quatorze ans qui habite deux rues plus loin. C’est avec Gino que Gaby a le plus d’affinités : « Je me sentais si proche de lui, je ne voulais pas perdre Gino. Mon frère, mon ami, mon double positif. Il était celui que j’aurais voulu être. Il avait la force et le courage qui me manquaient » (p. 154) Ils ont le même âge, leur père est français et leur mère rwandaise. Ils ont procédé à un pacte de sang très émouvant pour sceller leur amitié : « On évitait de se regarder, on aurait pu pleurer » (p. 155). Lorsque Gino est malheureux, Gaby est sincèrement compatissant : « les larmes de Gino m’obsédaient toujours » (p. 134). Pour son ami, Gaby est capable de se surpasser et d’affronter ses peurs : il défie Francis pour le secourir ; de toute la bande, il est le seul à braver le danger en sautant du plongeoir de la piscine pour qu’il soit fier de lui sinon il pense que : « Gino serait déçu […] oublierait notre amitié et notre pacte de sang » (p. 158) et ce partage avec les copains suscite de grands moments de bonheur et de partage : « à l’unisson, reliés entre nous par les mêmes veines, irrigués du même fluide voluptueux » (p. 159). Aussi, lorsque Gaby découvre que Gino pactise avec le grand ennemi Francis, c’est un véritable traumatisme pour lui. « Je me sentais trahi » (p. 153). À partir de là, tout bascule, en même temps que la vie des adultes puisque c’est le début du génocide. Gaby est pacifique, il ne comprend pas la haine et les conflits, il se sent protégé dans l’impasse avec ses amis, rien ne peut lui arriver dans ce refuge écarté, alors que Gino veut participer au conflit, soit parce qu’il ressent un réel danger, soit parce que les tensions l’excitent et qu’avec Francis dans son camp, il se sent invincible. Gaby ne veut pas intégrer « leur délire guerrier », les disputes se multiplient, il se sent incompris : « Vous êtes mes amis parce que je vous aime et pas parce que vous êtes de telle ou telle ethnie » (p. 187), mais il n’est pas entendu. Alors, « j’ai commencé à éviter les copains » (p. 171). Mais la rupture est tellement profonde que dans le pire moment de son existence, embarqué dans une spirale de violence, il est sommé par un gang tutsi de jeter un briquet sur un homme enfermé dans une voiture arrosée d’essence, il ne trouve aucun soutien de son ami : « J’entendais les voix lointaines de Gino et Francis, des cris de fauves » (p. 209), « J’ai lancé le zippo », « J’ai vomi sur mes chaussures et entendu Gino et Francis me féliciter en me tapotant le dos » (p. 210), et dès lors, il ne pourra plus communiquer qu’avec le fantôme de son cousin Christian, victime du génocide, ou Laure, sa correspondante française qui ne sait rien de sa vie, de ses peurs et de sa tragédie.Que reste-t-il de cette amitié ? Une profonde nostalgie amère qui traverse les années et hante de nombreuses nuits : « Depuis vingt ans je reviens ; la nuit en rêve, le jour en songe ; dans mon quartier, dans cette impasse où je vivais heureux avec ma famille et mes amis » (p. 15), « La nuit me revient le parfum des rues de mon enfance » (p. 215), avec la pleine conscience douloureuse qu’une page est définitivement tournée parce que la violence a tout changé, les années se sont écoulées et il fait un constat en retrouvant Armand : « Les jumeaux et Gino ? Ils sont quelque part en Europe, mais il ne cherche pas à les retrouver. Moi non plus. À quoi bon ? » (p. 217).

La littérature

Au départ, Gaby ne semble pas précisément intéressé par la lecture, l’écriture ou même l’usage des langues. Pourtant le jour où il va rechercher son vélo au village, il remarque la richesse du kirundi que l’on parle au Burundi et qu’il ne connaît pas. Il ne l’a pas appris

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parce qu’à Bujumbura, tout le monde parle français (p. 56). Quand il va voir sa grand-mère, il découvre les BD de Pacifique qui traînent sous le lit : Alain Chevallier, le journal de Spirou, Tintin, Rahan (p. 69) et la fascination de son oncle qui écoute pendant des heures sa grand-mère lui raconter la poésie pastorale et les poèmes panégyriques du Rwanda ancien (p. 71). Quand les tensions commencent à se faire sentir à l’école, il se souvient que les élèves disent de Cyrano de Bergerac que c’est un Tutsi, car il a un grand nez (p. 11). Le père de son meilleur ami passe sa vie à écrire sur sa machine Olivetti et chaque fois que Gaby va chez Gino pour un événement marquant, il entend, lié à son émotion « l’éternel cliquetis de la machine » (p. 86-184-203). Mais c’est surtout Mme Economopoulos qui va initier Gaby à la littérature et ceci à un moment de sa vie où les copains sont deve-nus source de soucis plus que d’amusements. Le premier contact avec le livre est plutôt physique car l’enfant est fasciné par la grandeur de la bibliothèque lambrissée qui va du sol au plafond et la sensation du toucher des reliures (p. 172). L’expérience de la lecture donne immédiatement une impression de liberté parce que Gaby est capable de se plonger littéralement dans le monde de l’imaginaire, quand il dévore ce qu’on devine être Le vieil homme et la mer, il sent que « [s]on lit se transformait en bateau ». Dès lors, les livres, il les « savoure » (p. 173) parce qu’il peut grâce à eux dépasser les querelles et les tensions qui règnent désormais autour de lui « Grâce à mes lectures, j’avais aboli les limites de l’impasse, je respirais à nouveau » (p. 173). Au-delà des tensions, c’est la peur qu’il réussit à vaincre quand le monde autour de lui se déchire, en se réfugiant dans ce qu’il nomme « le bunker de mon imaginaire » (p. 200) « je cherchais d’autres réels plus supportables », on retrouve l’idée récurrente selon laquelle les fictions sont plus vraies que la réalité elle-même, et d’ailleurs, dans sa lettre à un Christian qui n’est plus de ce monde, Gaby évoque une phrase de Mme Economopoulos qui « disait que les mots sont plus vrais que la réalité » (p. 196). C’est au cours des conversations avec elle, dans son fabuleux jardin qu’il va se sentir capable de parler de choses « tapies au fond » de lui (p. 174). C’est cette foi dans le pouvoir des livres qui lui donne l’idée de retrouver un lien avec l’esprit perturbé de sa mère en lui faisant la lecture (p. 189). Mais sa mère est trop ravagée pour y être sensible. Malgré tout c’est quand même grâce à son intérêt pour la littérature qu’il va la retrouver, sa mère disparue après des années. Car Mme Economopoulos lui a donné tous ses livres en héritage (p. 219), et c’est le « prétexte » qui le ramène dans son impasse après un exil douloureux en France.

Un enfant malheureux

Même si Gaby dit qu’il ne connaît pas la véritable raison de la séparation de ses parents (p. 19), il sait très bien situer dans le temps les phénomènes qui ont accompagné la rupture avec le « bonheur au temps d’avant » (p. 21), et même le « début de la fin du bonheur » chez Jacques (p. 22). La crise du couple met à jour l’incompréhension du père quant au malaise de la mère. Celui d’une exilée, nostalgique de ses racines mais aussi pleine d’angoisses au sujet de l’avenir puisque les causes des massacres qui l’ont fait fuir de son pays sont toujours présentes, au point même qu’elle a désiré couper complètement ses enfants de son pays en refusant par exemple de leur apprendre sa langue maternelle : le kinyarwanda, pour qu’ils soient « des petits blancs » (p. 71). Mais son mari ne comprend pas ce malaise dans la mesure où elle est au Burundi et qu’elle possède un passeport français, il trouve qu’elle exagère (p. 29-30). Dès lors le jeune garçon supporte très difficilement l’ambiance lourde qui règne entre deux parents qu’il aime (p. 34) et compte parfois désespérément sur une lueur d’espoir « Je m’accrochais une dernière fois à mon bonheur mais j’avais beau le serrer pour ne pas qu’il m’échappe […] il me glissait des mains » (p. 37). Il souffre de la rupture mais aussi de l’éloignement de sa mère à son égard notamment le jour où elle vient déposer Ana et part en oubliant de l’embrasser « Je suis resté planté sur les marches de l’entrée pendant un long moment » (p. 43). Quelquefois, il se prend à rêver que cela s’arrange, le jour de son anniversaire quand ils le félicitent « Nous sommes fiers de toi », le pronom le réjouit : « Un

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“nous” de couple, de réunification. Tous les espoirs étaient permis ! » (p. 104), mais malgré ces petits moments de réconciliation, il constate que son père découche parce qu’il a une relation avec une jeune femme du quartier et cela le rend très triste (p. 120). Au moment où le génocide a lieu au Rwanda, la mère de Gaby revient au foyer pour demander de l’aide à son mari pour secourir la famille restée là-bas en faisant appel aux autorités françaises. Ils vivent ensemble l’angoisse de ne pas savoir ce qui arrive à la famille éloignée dans un pays à feu et à sang. Gaby constate qu’ils sont de nouveau réunis tous les quatre, « mais un immense trou noir nous a engloutis » (p. 166). Et lorsqu’elle est de retour après la découverte du massacre de sa famille, choquée, prostrée, Gaby remarque les petites attentions de son père à son égard. Elles lui « mettaient du baume au cœur. Il l’aimait toujours » (p. 192).Tout cela n’est pas sans conséquences sur l’équilibre du jeune garçon. Il envie son ami Gino qui, comme lui, a une mère rwandaise et un père belge, mais il sait parler kinyarwanda et par conséquent, « savait exactement qui il était » alors que lui se sent perdu (p. 84). La parole ne circule pas dans cette famille, le père reste silencieux devant les interrogations muettes des enfants quels que soient les sujets (p. 97), et cela génère un état de peur que Gaby réussit à révéler uniquement à Laure, sa correspondante française, (p. 104) ou qu’il ne parvient à vaincre que quand la colère le fait sortir de lui-même comme après la bagarre avec Francis : « Cette peur qui me faisait renoncer à trop de choses » (p. 133), ou qu’au prix de grands efforts sur lui-même, comme quand il relève le défi de sauter du plongeoir pour épater Gino : « J’avais vaincu cette maudite peur. Je finirais bien par me dépouiller de cette grotesque carapace » (p. 159).Mais le fossé déchirant qui s’est creusé vis-à-vis de sa mère ne peut pas se combler car la distance s’est accrue après le choc du génocide, malgré les tentatives de renouer un semblant de dialogue. Elle est revenue vivre avec sa famille mais elle est ravagée psychiquement par les atrocités qu’elle a vues au Rwanda. Le renoncement est douloureux : « J’ai fini par accepter son état, par ne plus chercher en elle la mère que j’avais eue » (p. 188), les dernières tentatives pour trouver un semblant de communication à travers des moments de lecture se soldent par un échec douloureux : « J’étais devenu un étranger » (pour elle), « Alors, je fuyais […] terrifié par ce vide au fond de ses yeux » (p. 189). Mais le plus cruel peut-être, c’est lorsque après vingt ans d’exil, croyant sa mère disparue, il la retrouve par hasard et qu’elle paraît le reconnaître, elle a un geste tendre vers son visage, on devine un élan de joie en lui, qui s’effondre quand elle lui parle, croyant s’adresser à son cousin disparu.

La loi du silence

L’interdiction de parler apparaît tout au long du roman. En règle générale les enfants sont tenus de se taire quand ils sont dans un groupe où les adultes échangent comme chez Jacques à Bukaru : « nous avions interdiction formelle de parler, à moins que l’on s’adresse à nous » (p. 25). La censure concerne les enfants surtout dans le domaine de la politique, comme si on cherchait à les protéger de quelque chose, pour ne pas les effrayer. Le père de Gaby est formel, dès le début du roman : « Pour lui, les enfants ne devaient pas se mêler de politique » (p. 10-11). D’ailleurs, il est très choqué de constater que le père de Gino, professeur d’université, ne partage pas du tout cette conception de l’éducation, il invite son fils à lire les journaux et à commenter l’actualité. « Papa s’énervait de voir un gamin de douze ans prendre part aux conversations d’adultes » (p. 84). C’est d’ailleurs par Gino que Gaby va obtenir les réponses aux multiples questions qu’il se pose. Lorsque arrive le temps des élections présidentielles au Burundi, Gaby constate une liesse qui s’empare de la ville et ne comprend pas pourquoi on le prive de ce bonheur (p. 92-93). Mais la plupart du temps le silence du père est anxiogène et génère des questions sans réponses. Pourquoi n’a-t-il pas l’air content, et s’enferme-t-il dans sa chambre alors que c’est le parti démocrate qui a remporté les élections ? (p. 97). Lorsque le président est assassiné et qu’il faut camper dans le couloir pour éviter les balles perdues, il n’y a pas plus d’explications : « Comme d’habitude, Papa s’est enfermé dans sa chambre pour passer des appels » (p. 121).

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Le silence existe aussi dans la famille de la mère, surtout pour évincer des questions dou-loureuses. C’est le cas chez la grand-mère quand Pacifique parle de rejoindre le FPR et que tout le monde pense au frère, Alphonse, qui a trouvé la mort en allant se battre dans le même combat : « Les vieilles ne disaient rien. Maman avait les yeux fermés […] et je devinais ce qui ne se disait pas autour de la table » (p. 67). Chez Eusébie au Rwanda, Gaby est prié de se retirer quand arrive Pacifique : « ils devaient maintenant parler entre adultes » (p. 140). D’ailleurs, pour éviter que ses enfants ne comprennent, la mère ne leur a pas appris sa langue, « Mamie en voulait à Maman de ne pas nous parler kinyarwanda » (p. 71), elle ne veut même pas que l’enfant connaisse la culture de son pays, quand Rosa-lie raconte des histoires du Rwanda, « Maman lui rétorquait […] qu’il ne fallait pas nous ennuyer avec leurs histoires de Rwandais » (p. 70). Lorsque l’histoire tragique du Rwanda se répercute au Burundi, Gaby ne comprend pas tout, et là encore se sent entouré de rumeurs sibyllines notamment à l’école : « Il y avait beaucoup d’allusions mystérieuses, de propos implicites » (p. 136), et pendant la période du couvre-feu à Bujumbura, « Je commençais à me questionner sur les silences et les non-dits des uns, les sous-entendus et les prédictions des autres. Ce pays était fait de chuchotements et d’énigmes » (p. 127) puis quand les mots « tutsi » et « hutu » sont prononcés, alors, « j’ai alors commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui m’échappaient depuis toujours » (p. 136). Quand la parole se libère, elle est déchaînée, débridée, envahissante, insupportable, c’est celle de la mère qui vient raconter à Ana toutes les nuits les horreurs qu’elle a trouvées chez sa tante. La logorrhée vient de celle-là même qui voulait protéger ses enfants par le silence, à travers la folie de son esprit dévasté par des visions insoutenables. Gaby ne peut pas le supporter : « Je ne voulais pas savoir. Je ne voulais rien entendre » (p. 191).En conséquence, Gaby lui-même a des difficultés pour libérer sa parole, surtout quand l’émotion se fait sentir, notamment quand il veut réconforter Gino après la bagarre avec Francis pendant laquelle il a appris la mort de sa mère. « J’avais envie […] de lui dire des mots réconfortants, mais je ne savais pas comment m’y prendre, je ne savais pas quoi dire. Je n’ai jamais su » (p. 154). Quand la douleur est trop présente, il faut se taire, c’est en tout cas la position de Gaby devenu adulte quand il retrouve son ami Armand : « …on évite certains sujets. Comme la mort de mon père […] On ne parle pas non plus de l’assassinat du sien […] Certaines blessures ne guérissent pas » (p. 218).

Le regard des autres quand on n’est pas pareil

Être métis chez les blancs suscite des questions telles que « De quelle origine es-tu ? » (p. 14) d’où la sensation de devoir « montrer patte blanche » (p. 14), d’être de passage, de ne pas vouloir vraiment se poser : « Je n’habite nulle part » (p. 13). Mais être métis chez les Africains n’est pas plus confortable : les jumeaux sont pourchassés jusque sous la douche par les enfants au village qui les appellent « Petits culs blancs » (p. 44). À l’école, lorsque les enfants grandissent et qu’émergent les regards d’adolescents, Gaby se plaint auprès de Gino que : « personne ne (les) calcule » (p. 116). Mais c’est surtout très violent au moment de l’altercation avec Francis qui les déteste : « des gosses de riches […] et le petit goûter à quatre heures » (p. 81). Quand ils sont allés cueillir des mangues dans son jardin, celui-ci chez lui, se sent en droit de leur crier tout ce qu’il pense d’eux : « Vos mères sont les putes des blancs ! » (p. 130). Sa haine le pousse quasiment à des envies de tuer Gino qu’il insulte : « Ta mère la catin » (p. 131). Et dans les moments les plus graves quand les gangs de Tutsi font justice dans les rues les soirs de « ville morte », et que Gino et Gaby veulent passer un barrage ils sont stigmatisés : « Qu’est-ce qu’ils foutent là, ces deux blancs ? » (p. 206). Mais, chez les blancs, Gaby devenu adulte se sent déchiré : « Je tangue entre deux rives » (p. 216).

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La religion

La famille de Gaby est pratiquante, elle va à la messe le dimanche (p. 66). Pourtant le père de Gaby regrette la disparition du monde des Pygmées à cause « de la modernité, du progrès et de l’évangélisation » (p. 40). Dans l’impasse, on partage cette religion car on entend la radio des voisins qui diffuse des chants liturgiques (p. 67). Les jumeaux, voisins de Gaby, sont circoncis à l’insu de leurs parents qui les avaient confiés à la grand-mère, au village. Les domestiques également : Prothé chante des chants religieux en lavant le linge (p. 93) et Donatien qui ne quitte pas sa bible a une grande influence sur Gaby pour faire le bien notamment en laissant son vélo volé au nouveau propriétaire. Il provoque chez Gaby un énorme sentiment de culpabilité, de honte. Pour lui, l’envie est un péché capital, quand la mode des marques taraude le jeune garçon, il ne manque jamais de dire à Gaby quand il fait un péché, et lorsqu’il est victime de violences au moment du génocide, il ne faiblit pas : « plus Dieu nous abandonnait, et plus j’avais foi en sa force » (p. 183).Dans la famille de la mère on est très croyant également. La photo de Jean-Paul II est affichée au mur dans la chambre de jeune fille (p. 69). Pacifique veut se marier très vite parce que Jeanne est enceinte et sa famille très croyante. Eusébie, quand elle se sait en grand danger, pense avant tout à prier avec ses enfants avant de les cacher dans le faux plafond (p. 164).Globalement on ressent la présence de la religion dans la ville à travers l’existence d’écoles catholiques (collège Saint-Esprit où les garçons vont à la piscine) et une femme qui arbore un tee-shirt à l’effigie de Jean-Paul II le jour des élections.Pourtant l’image est parfois écornée par des échos qui suscitent la réflexion, comme ce portrait du pasteur zaïrois qui annonce la fin du monde debout sur le capot de sa voiture, une bible en cuir de python à la main. À la fin du roman, on apprend que Francis, après les tueries, est devenu pasteur, lui qui avait persécuté Gino et Gaby en leur cognant la tête sur les pierres de la rivière, essayant de les noyer, lui qui fréquente des gangs meurtriers, et qui poussait des cris de haine pour encourager Gaby à jeter un briquet pour brûler vif un Hutu, voilà qu’il prêche la bonne parole ! Et dans le cabaret le soir, s’élève une voix anonyme : « Les blancs auront réussi leur plan machiavélique. Ils nous ont refilé leur Dieu, leur langue, leur démocratie » (p. 90), et Rosalie, l’arrière-grand-mère, aime raconter cette histoire du roi qui s’est rebellé contre les colons allemands puis belges et qu’on a exilé parce qu’il refusait de se convertir au christianisme (p. 70).

La mentalité colonialiste

Certains personnages blancs issus de la colonisation ont toujours un comportement de supériorité au regard des Africains.Le portrait le plus détaillé est celui de Jacques, un ami proche du père de Gaby « Jacques, qui était comme un second père pour lui » (p. 25). Le narrateur en fait un portrait physique assez écœurant (p. 27). C’est un homme riche, il a une belle maison, un jardin magnifique et bien entretenu par un vieux jardinier, il est entouré de domestiques qu’il maltraite, en plaisantant, mais ses mots sont quand même très durs et révèlent un sentiment de supério-rité. Il les appelle avec une clochette, leur donne des ordres sans ménagement « débarrasse un peu ce foutoir ! » (p. 26), il appelle son vieux cuisinier « macaque » ou « chimpanzé » (p. 26) et se soucie peu de respecter leur travail, il fait tomber ses cendres sur le parquet. Il critique leur façon de faire la cuisine ainsi que les plats qui sont servis dans ce pays : « Je ne sais même plus ce que c’est qu’un bon steak saignant » (p. 24). Il regrette le bon vieux temps, celui de son père, « à l’époque de Léopold II ! » (p. 27) quand ils ont construit la ligne de chemin de fer (qui a coûté la vie à ceux qui devaient supporter des conditions de travail inhumaines). C’est la nostalgie du passé, quand les blancs avaient la toute-puissance, il est convaincu que sans eux les autochtones ne s’en sortiraient pas : « Ça va parce qu’il reste encore quelques blancs […] pour faire tourner la boutique » (p. 26), et d’ailleurs, la ligne de chemin de fer ne fonctionne plus, « comme tout le reste dans ce foutu pays. Quel bordel ! » (p. 27-28) (depuis que les Belges ne sont plus les maîtres). Il regrette le « bon

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vieux temps où Bujumbura s’appelait encore Usumbura » (p. 105), le temps doré des colons dominateurs, quand la ville était sous la tutelle de Léopoldville au Congo belge. Jacques a une sœur en Belgique, persuadée qu’« Avec les Zaïrois, ça finit toujours par des pillages et des lynchages de blancs » (p. 28), caricature vivante de préjugés, qui prie son frère de revenir en Occident. Mais malgré ces plaintes, il est bien content d’être là, car il vit comme un vrai pacha, dans un environnement luxueux, il a toujours connu ce pays : « Je suis plus zaïrois que les nègres, moi » et il mène sa barque comme il l’entend « Un matabish-bakchich, et c’est reparti ! » (p. 28).Jacques est un homme à la vision exacerbée sur sa supériorité virile et il méprise les femmes, il vit seul, sans « bonne femme » (p. 26) et lorsque la mère de Gaby s’adresse à lui, il répond sans la regarder, il regarde le père de Gaby, « comme si Maman n’était pas là » (p. 27) et lui conseille de ne pas chercher à comprendre quand ils se querellent : « Laisse tomber […], les bonnes femmes… » (p. 31). D’ailleurs son attitude est caractéristique lorsqu’il ramène chez elle la mère de Gaby, retrouvée par hasard parmi les réfugiés du Zaïre, il n’est pas compatissant, ce génocide le dérange : « Le Rwanda nous dégouline dessus » (p. 178) et cette femme qu’il connaît ne lui fait ressentir que du dégoût, il « n’osait pas la regarder. Comme si elle le répugnait » (p. 177). Sa réaction consiste à multiplier les verres de whisky qu’il avale en commentant : « L’Afrique, quel gâchis ! » (p. 181) c’est tout ce qu’il trouve à dire, l’« Afrique » une généralisation pour parler de ce territoire envahit par les Occidentaux qui ne sont pas étrangers à tout ce « gâchis », mais qui ne manifestent aucun sentiment de responsabilité.Il aime retrouver des blancs comme lui pour partager des activités viriles de chasseurs, c’est un prédateur qui aime dominer au milieu de ses semblables. La mort du crocodile est orga-nisée comme une opération punitive, parce qu’une femme avait été attaquée, mais l’animal en plein bain de soleil ne montrait aucune défense dangereuse. Pourtant Jacques s’en fait toute une gloire « à une assistance médusée […] Il roulait des mécaniques, gonflait le torse, accentuait les r de son accent wallon » (p. 105), comme si la langue de son pays d’origine devait être mise en valeur. « Avec les gestes d’un acteur de cinéma, il sortait son Zippo en argent de sa poche comme on dégaine le revolver d’un holster » (p. 105), c’est un vantard qui en rajoute, comme s’il avait couru de grands dangers.Les Von Gotzen sont pires encore, et d’ailleurs leur nom est emprunté au comte von Götzen, envoyé par l’empereur d’Allemagne pour explorer le territoire du Rwanda, c’est le premier Occidental qui foule le sol de ce pays de part en part et en devient le premier gouverneur à la fin du xixe siècle. M. Von Gotzen est très imbu de son importance, il manifeste un profond mépris pour son personnel qui « ose » lui demander de l’argent ou brûler son repas, et il peut même se montrer violent : il est capable d’« enferm[er] son boy dans le congéla-teur » (p. 77), parce qu’il considère que les autochtones lui sont inférieurs, qu’il peut en faire ce qu’il veut et les punitions qu’il inflige sont disproportionnées et humiliantes au regard des « fautes » commises par ses domestiques. Sa femme « plus raciste encore » (p. 77), est le type même de la bourgeoise blanche qui fréquente un club d’initiés fermé où l’on reste entre soi. Elle profite des avantages que lui offre sa condition d’immigrée de luxe : « tous les jours au golf sur le terrain de l’hôtel Méridien » (p. 77), elle est « présidente du cercle hippique », elle ne connaît sans doute rien de la ville ou du pays, en dehors de sa belle maison « la plus belle de l’impasse » et les personnes qu’elle fréquente sont certainement aussi ignorantes des préoccupations des Burundais, qui d’ailleurs l’indiffèrent complètement. Elle profite des avantages de sa condition sans aucune considération humaniste pour son entourage. Elle n’aime que son cheval à qui elle consacre tout son temps « un magnifique pur-sang à la robe noire luisante » (p. 77). Quand les massacres commencent et que des gens meurent autour d’elle, elle est de glace, mais quand son cheval disparaît, elle n’a plus aucune notion de l’échelle des valeurs et va harceler son voisin diplomate pour qu’il fasse pression auprès des « Nations unies ! La Maison-Blanche ! Le Kremlin ! » (p. 123), alors que la ville brûle, elle manifeste des caprices d’enfant gâtée, tout le monde doit se plier à ses désirs, elle ne peut pas être contrariée « cette vieille peau raciste » (p. 123).

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29Glossaire

P. 66. Cantiques de Syméon : prière chrétienne également appelée nunc dimittis (« maintenant laisse partir ton serviteur »), prononcée dans l’office divin des complies qui précède le silence de la nuit. La prière de la fin du jour symbolise celle de la fin de la vie. On avait prédit à Syméon qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Christ. Dans un passage de l’Évangile selon saint Luc, Syméon reconnaît en l’enfant Jésus le Messie et annonce à Marie, dans les versets suivants, la souffrance qu’elle devra endurer.P. 69. Fred Rwigema : de son vrai nom, Emmanuel Gisa, 1957-1990, un des fondateurs du Front Patriotique Rwandais, héros de l’histoire du Rwanda.P. 71. Intore : c’est le nom d’un danseur guerrier de l’Afrique des Grands Lacs avant l’ère coloniale. On parle de « danses Intore » aujourd’hui, qui font partie de la tradition culturelle.P. 79. Kata : terme japonais qui désigne une gestuelle codifiée des arts martiaux.P. 81. Gavial : une espèce de crocodile.P. 87. Grevillea : plante vivace au feuillage persistant.P. 93. Vers de cayor : larve de mouche qui s’introduit sous la peau.P. 98. Scolopendre : animal carnassier et venimeux qui ressemble à un gros mille pattes.P. 102. Dendrocygne : oiseau qui ressemble à un canard et qui vit près des lacs.P. 106. Soukouss : une danse africaine.P. 106. Grand Kallé : orchestre Grand Kallé, groupe de Joseph Kabasélé (1930-1983) dit grand Kallé, pionnier de la musique moderne africaine.P. 112. Brakka music : musique urbaine des années 1940, inspirée de la musique ancestrale. (bra : commencement, ka : infini)P. 114. Varan : gros lézard.P. 118. Lycaon : mammifère carnivore qui ressemble à la fois à un chien et à une hyène.P. 128. Calao : une espèce d’oiseau africain.P. 158. Drache : une pluie battante, terme originaire de la Belgique.P. 160. Sheitani : le diable, un mot arabe venant d’Éthiopie.P. 161. Barza : terrasse couverte.P. 171. Barbadine : le plus gros des fruits de la passion.P. 174. Jacaranda mimosa : arbre aux fleurs bleues.P. 174. Souimanga : oiseau très coloré qui se nourrit de nectar, il ne craint pas de fréquenter des zones habitées par l’homme.P. 183. Milan noir : rapace qui aime habiter près des lacs.P. 204. Tupac Shakur : rappeur américain aux textes engagés, issu des ghettos, assassiné en 1996.

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30Élargissements : chansons et clips de Gaël Faye

Chanson « Petit pays 1 » in Pili pili sur un croissant au beurre

1 Une feuille et un stylo apaisent mes délires d’insomniaqueLoin dans mon exil, petit pays d’Afrique des Grands LacsRemémorer ma vie naguère avant la guerreTrimant pour me rappeler mes sensations sans rapatriementPetit pays je t’envoie cette carte postaleMa rose, mon pétale, mon cristal, ma terre nataleÇa fait longtemps les jardins de bougainvilliersSouvenirs renfermés dans la poussière d’un bouquin pliéSous le soleil les toits de tôle scintillentLes paysans défrichent la terre en mettant l’feu sur des brindillesVoyez mon existence avait bien commencéJ’aimerais recommencer depuis l’début, mais tu sais comment c’estEt nous voilà perdus dans les rues de Saint-DenisAvant qu’on soit séniles on ira vivre à GisenyiOn fera trembler le sol comme les grondements de nos volcansAlors petit pays, loin de la guerre on s’envole quand ?

Petit bout d’Afrique perché en altitudeJe doute de mes amours, tu resteras ma certitudeRéputation recouverte d’un linceulPetit pays, pendant trois mois, tout l’monde t’a laissé seulJ’avoue, j’ai plaidé coupable de vous haïrQuand tous les projecteurs étaient tournés vers le ZaïreIl fallait reconstruire mon p’tit pays sur des ossementsDes fosses communes et puis nos cauchemars incessantsPetit pays : te faire sourire sera ma rédemptionJe t’offrirai ma vie, à commencer par cette chansonL’écriture m’a soigné quand je partais en vrilleSeulement laisse-moi pleurer quand arrivera ce maudit mois d’avrilTu m’as appris le pardon pour que je fasse peau neuvePetit pays dans l’ombre le diable continue ses manœuvresTu veux vivre malgré les cauchemars qui te hantentJe suis semence d’exil d’un résidu d’étoile filante

Un soir d’amertume, entre le suicide et le meurtreJ’ai gribouillé ces quelques phrases de la pointe neutre de mon feutreJ’ai passé l’âge des pamphlets quand on s’encanailleJ’connais qu’l’amour et la crainte que celui-ci s’en ailleJ’ai rêvé trop longtemps d’silence et d’aurore boréaleÀ force d’être trop sage j’me suis pendu avec mon auréoleJ’ai gribouillé des textes pour m’expliquer mes peinesBujumbura, t’es ma luciole dans mon errance européenneJe suis né y a longtemps un mois d’aoûtEt depuis dans ma tête c’est tous les jours la saison des doutesJe me navre et je cherche un havre de paixQuand l’Afrique se transforme en cadavreLes époques ça meurt comme les amoursMan j’ai plus sommeil et je veille comme un zamu

1. Paroles : Gaël Faye/Francis Muhire. Musique : Francis Muhire. Arrangement : Guillaume Poncelet. © 2012 Universal Music Publishing/6D Production.

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Laissez-moi vivre, parole de misanthropeCitez m’en un seul rêve qui soit allé jusqu’au bout du sien proprePetit paysQuand tu pleures, je pleureQuand tu ris, je risQuand tu meurs, je meursQuand tu vis, je visPetit pays je saigne de tes blessuresPetit pays, je t’aime, ça j’en suis sûr.

Refrain :Gahugu gatoyiGahugu kaniniyaWarapfuywe ntiwapfuyeWaragowe ntiwagokaGahugu gatoyiGahugu kaniniya

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Lecture analytique de la chanson Petit paysIntroductionChercher la biographie, expliquer le contexte politique, géographique et culturel.Expliquer le titre, présenter la forme  : nombre de couplets, combien de vers, nombre de syllabes dans les vers, ressemble ou pas à une chanson ou un poème traditionnel ? Présenter le style de musique de cette chanson.

I.  Le petit pays

DescriptionL’auteur s’adresse à lui, lui parle, comme si c’était une personne, le tutoie, comme quelqu’un de sa famille.Chercher des ex  : 5-16-25-50-52-54, personnifications récurrentes.Que sait-on de ce pays ? On peut le situer géographiquement « Afrique des Grands Lacs », vers 2-17-44, on parle de pays voisins « Zaïre », de villes « Gisenyi » « Bujumbura », on sait que s’y trouvent des « volcans », on parle d’« altitude », donc un pays de montagnes, 17.Le refrain fait entendre une langue africaine et on nous donne un vocabulaire spécifique comme « zamu », 46  : un veilleur de nuit.Les plaintes évoquent également cet endroit  : les « bougainvilliers » sont des plantes originaires des forêts tropicales, on évoque le « soleil », des « toits de tôle » vers 9, et des zones de culture, 10.LocalisationMais ce petit pays est loin de celui qui parle et cela semble être douloureux. On parle « d’exil » deux fois, 2-32, « sans rapatriement » 4, on lui envoie des « cartes postales », 5, comme à quelqu’un qu’on aime mais dont on est éloigné.On comprend que l’auteur vit à « Saint-Denis », 13, dans la banlieue parisienne « mon errance européenne », 40. Le mot errance est péjoratif et témoigne d’un certain égarement.« Et nous voilà perdus », 13  : douleur de l’éloignement, sentiment de déracinement.On note la nostalgie d’un bonheur passé  : « mon existence avait bien commencé », 11, « remémorer ma vie naguère », 3, la poésie vient aux lèvres au moment d’évoquer ce qu’il représente pour lui  : « ma rose, mon pétale, mon cristal, ma terre natale », 6  : énumération de trois éléments précieux et gradation en nombre de syllabes, mais aussi le dernier élément  : terre natale résume en lui-même tout ce qui est beau + rime interne en [al] pour marquer que ces mots vont ensemble.Nostalgie  : « j’aimerais recommencer depuis l’début », 12.

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Volonté de revenir un jour  : verbes au futur, « avant qu’on soit riche on ira vivre à Gisenyi », « on fera trembler… », parce que, ce pays, c’est une raison de vivre, un ancrage, une racine « tu resteras ma certitude », 18, « je t’offrirai ma vie », 27, d’ailleurs tout à la fin de la chanson, il met en évidence l’état fusionnel qui les relie  : parallélismes répétés 4 fois « Quand tu… Je… », lyrisme (évocation des sentiments à la 1re personne, il ne peut pas vivre heureux si son pays ne l’est pas. « JE saigne de TES blessures », 54.

II. Les causes du déracinement

Les indices d’une catastropheChamp lexical de la mort : « linceul », 19, « des ossements », 23, « des fosses communes », 24, « cadavre », 44. Le génocide n’est jamais nommé explicitement mais les images sont fortes, 44 « l’Afrique se transforme en cadavre », le Rwanda est la synecdoque de tout le continent, et la personnification fait penser à l’allégorie de la mort. Au vers 19 l’évo-cation de ce pays reste à jamais associée à la tragédie qui s’y est déroulée.La date aussi est évoquée, vers 28, « ce maudit mois d’avril ».Vers 23-24 : idée selon laquelle la terre est recouverte de morts et en même temps, idée selon laquelle tout ce qui va être reconstruit porte la marque des victimes assassinées.

Les précisons temporellesCelui qui parle évoque une guerre passée, aux vers 3-20-28, on peut alors reconstituer le schéma chronologique  :3-10-11  : bonheur passé, avant la guerre ;4-8-13-40  : l’exil vers l’Occident ;30-31-42  : le présent qui n’a pas réglé tous les problèmes ;14-15-25  : l’espoir de retrouver le petit pays.

Les reproches adressés à l’indifférence du monde20, « tout l’monde t’a laissé seul »  : une impression d’abandon du pays au moment où tout le monde se faisait tuer, ce n’est qu’après, quand les gens se sont réfugiés dans les pays voisins, qu’on a vu arriver la horde des journalistes qui venaient couvrir l’événe-ment quand il était trop tard : « tous les projecteurs étaient tournés vers le Zaïre », 22.La réaction du jeune homme est aussi celle d’un abandon de la confiance en l’être humain  : il est devenu « misanthrope », 47, face à l’indifférence du monde « j’ai plaidé coupable de vous haïr », 21, l’expression est forte car elle est présentée comme si c’était lui qui était coupable.Le dernier couplet est une prière, prière de le laisser tranquille, 47-48, car il est conscient que l’histoire funeste n’est peut-être pas terminée  : « Petit pays dans l’ombre le diable continue ses manœuvres », 30.

III. L’expression de la souffrance du poète

Les causes de souffrance sont multiples  :1. Difficulté de vivre loin de son pays natal, de sa culture, sentiment de déracinement  : « exil » 2 fois. Nostalgie de ce qui n’existe plus au quotidien : le soleil, les fleurs, l’habitat, les paysages, les odeurs, 10.Perte de toutes les sensations liées à l’enfance.2. Difficulté d’échapper aux traumatismes laissés par le génocide.Angoisse  : 36-43, insomnie  : 1-46, cauchemars  : 24-31, douleur  : 28-39-27.Impossible de trouver la paix, il reste en perpétuelle situation de veille, 46, comme si quelque chose allait encore se produire et qu’il faut être prêt (faire le lien avec la nouvelle de Béata  : même sensation de danger, elle a toujours son sac prêt…) parce que vers 30  : « dans l’ombre le diable continue ses manœuvres » et donc le repos de l’esprit est impossible, 42, « dans ma tête, c’est tous les jours la saison des doutes ».

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Vers 3 difficulté de trouver une sortie de crise, une bouée de sauvetage, 43 : « je cherche un havre de paix » (havre  : petit port bien abrité qui sert de refuge aux petits navires) sens figuré et métaphore, la tempête dont il veut se protéger, c’est la menace du génocide.

IV. L’écriture comme remède à la souffrance

Antidote contre la douleurDès le premier vers, il précise les vertus de l’écriture « apaisent », grâce aux calmants : « une feuille », « un stylo », l’idée est clairement exprimée au vers 27  : « l’écriture m’a soigné ».L’envie d’écrire apparaît surtout dans les moments où la déchirure avec le pays fait sentir un traumatisme trop fort pour rester enfoui dans son esprit. La chanson est une partie de lui-même et c’est un cadeau qu’il offre, vers 26, et c’est aussi une volonté d’« expliquer », vers 39.Les traumatismes  : 1 « délires d’insomniaque », 27 « quand je partais en vrille », 39 « mes peines ».Pour y remédier, il ressent le besoin de passer par l’écriture pour reconstruire son pays et faire connaître sa douleur à tous ceux qui entendront sa chanson.Il ne voit pas cela comme un reproche, un règlement de compte à l’égard des hommes « j’ai passé l’âge des pamphlets quand on s’encanaille », 35, allusion à ce que dirait un adolescent révolté, lui veut écrire  : « de la pointe neutre de mon feutre », 34. L’expé-rience reste marquée de modestie « j’ai gribouillé » en anaphore, 34 et 39, il ne prétend pas changer le monde, son but est avant tout individuel « m’expliquer mes peines »  : chercher à comprendre, trouver la lumière (on y revient plus loin).L’écriture c’est aussi le moyen de retrouver le lien avec le petit pays, on le voit dans l’image de la « carte postale », les souvenirs sont reliés aussi à l’écriture mais, cette fois, celle que l’on trouve dans les livres vers 8  : « souvenirs renfermés dans la poussière d’un bouquin plié » (à relier avec sa biographie puisqu’il parle d’un souvenir où il revoit son père tapant à la machine à écrire).

Une lueur d’espoirLe champ lexical de la lumière apparaît parfois comme seul point positif.Dans le souvenir du petit pays il y a le « soleil », 9, le « feu » des cultures, 10, Bujumbura est associé à une luciole, 40, comme une étoile du berger dans son « errance euro-péenne », une image qui le rattache à sa terre, son enfance et ses racines, et qui le guide.L’évocation de la lumière est à chaque fois associée, en sous-entendu, à celle de la nuit. Une lumière faible et hésitante « étoile filante », « luciole », on peut dire que l’« aurore boréale » est plus lumineuse mais elle n’existe que dans ses rêves, 37. C’est comme s’il attendait que la nuit s’efface pour profiter de la lumière, on peut y voir des symboles de la guerre et de la paix, du tourment et de l’apaisement. On remarque aussi que les occurrences sont absentes au 1er couplet, une seule au 2e couplet, deux au 3e couplet, une progression timide mais crescendo.Une idée de renaissance, vers 25, aussi exprime un peu d’espoir « rédemption » (déli-vrance, libération), le terme est d’origine religieuse, c’est le pardon des péchés à l’origine.La renaissance du petit pays passe par sa renaissance à lui « peau neuve » à condition de pardonner, 29, quel péché a-t-il commis ? vers 21 haïr l’occident ? qui est « vous » ? l’interlocuteur des vers 47-48 « laissez-moi vivre ».L’espoir est fragile, les remèdes se cherchent encore, la douleur est encore trop grande, reste la volonté de se délivrer de ces obsessions.

ConclusionFaire un bilan de ce qui est dit sur le génocide. Montrer que la poésie sait évoquer des faits réels sans utiliser des précisions et que son objectif est de faire naître des images et des émotions. Expliquer le pouvoir de l’écriture sur le poète et sur l’auditeur, surtout avec le support de la musique puisque c’est une chanson. Ouverture sur le roman de Gaël Faye Petit pays, son besoin d’écrire s’est accru  : qu’en déduisez-vous ?

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Chanson « TV 1 »

Même au fin fond de mon petit pays je regardais ma lucarneLes convulsions du monde nous parvenaient comme un lointain vacarmeSouvent la télé s’partageait avec l’ensemble du voisinageLa mondovision canapé transforme le globe en un villageLes fractions d’imaginaires partageant tous la même doxaRoger Milla en coupe du monde et le monde danse le makossaLa guerre du golfe de Mister Bush, avant fiston y avait papaEt j’matais le pillage des pipelines en bouffant mes papayesNous étions tous les mêmes gamins rêvant d’entrer dans la dream teamMalgré l’arceau dans mon jardin j’ai jamais vu Patrick EwingJ’me suis accroché à des rêves souvent très loin d’mon quotidienJ’connaissais bien moins ma culture que le western hollywoodienOn pensait tenir aucun rôle dans le programme de leurs feuilletonsMais un jour en Gaule à La Baule y’a eu le discours de tontonDémocratie multipartisme, il fallait ranger les pistolets,Comme rien n’est simple la guerre a éclaté, j’ai éteint ma télé.

(Refrain)C’est cool… C’est cool…Ma jeunesse s’écouleC’est cool…Entre un mur qui tombe et deux tours qui s’écroulent.

Pendant qu’on s’débattait dans une fournaiseLes autres nous regardaient assis en charentaisesÀ s’demander : « y’a quoi à la télé ? »« C’est quoi ces peuples qui crient à l’aide ? » entre le fromage et le dessertL’humanité est plus fragile qu’une orchidée dans le désertEt quand le drame est bien trop grand, il se transforme en statistiquesEt lady Di a plus de poids qu’un million de morts en AfriqueL’ignorance est moins mortelle que l’indifférence aux sanglotsLes hommes sont des hommes pour les hommes et les loups ne sont que des chiotsAlors on agonise en silence dans un cri sans échoEt même si la technique avance, elle ne changera pas la déco.On a grandi avec le poids de nos démons sur le roc des coteauxAlors donnez-nous des mots pour qu’on vous change la photoPour qu’on écrive à hauteur d’homme ce que la télé ne montre pasLes battements du cœur de mon âme est une info qui ne ment pasJ’venais d’Afrique mais sans connaître Kouchner et puis son sac de rizJ’ai débarqué un soir d’hiver ici avec mon sac de rimes.

(Refrain)

J’ai perdu mon jardin d’Éden où je me nourrissais de manguesJe suis prisonnier de mes chaînes vu qu’ici, la télé commandeJ’lai rallumée dans un trois pièces de cet immeuble surchaufféJ’lai entretenue comme le feu parce que dehors j’me les congelaisLoin dans mon exil, je zappe ceux qui ont pris ma placeEt quand on joue sur leur terrain, c’est souvent rare qu’on te remplaceJ’fais une pause le temps d’une pub coca-colaInsérée entre un mur qui tombe et la sortie de MandelaOn a vécu en continu comme un flot d’informations

1. Paroles : Gaël Faye. Musique : Guillaume Poncelet. © 2014 Universal Music Publishing/6D Production.

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Et j’me suis perdu dans ma rue sous un amas de bétonLes souvenirs de ma vie s’mélangent à toutes ces images diffuséesVivre hors champ d’la caméra c’est souvent ne pas existerOn nous gave d’images à satiété, de sexe, de fric et de faucheuseAlors j’écris des textes comme un écho de nos vies silencieusesSur leur écran on est des bouts d’pixels perdus dans la fouleEt nos vies s’écoulent, coulent pendant qu’le monde s’écroule.

(Refrain)

50.

Lecture analytique de la chanson « TV »I. La chanson « TV » reprend des éléments de sa biographie : (« les souvenirs de ma vie » vers 48)

A. Une enfance en AfriqueIl parle souvent dans cette chanson mais aussi dans son roman et son clip intitulés tous  les deux Petit pays, de manger les fruits de là-bas, ici on a « bouffant mes papayes » et « je me nourrissais de mangues ». Ce pays, il l’aime « mon petit pays », c’était son « jardin d’Éden » (métaphore) référence à la bible pour évoquer un paradis. La végétation y prend une large place. On l’appelle le pays des mille collines, le paysage est évoqué vers 32 « le roc des coteaux ».B. Le récit d’une migrationDans le clip, c’est un petit garçon qui chante au début.Il évoque surtout son enfance dans les deux premiers couplets et son arrivée en France à la fin du deuxième couplet. Le refrain précise que ce sont surtout les années entre 7  ans et 19  ans qu’il évoque puisque le mur de Berlin est tombé en 1989 et les tours jumelles sont détruites en 2001.Il regardait souvent la télévision quand il était petit, surtout le sport et les fictions  : « nous étions tous les mêmes gamins rêvant d’entrer dans la dream team » vers 9 ; on sait aussi qu’il aimait le basket, vers 10. Sa vie en France n’a pas l’air heureuse, puisque le premier vers du troisième couplet évoque une perte, il est en « exil » vers 42, il se sent « prisonnier » des images, trop chaud dedans au vers 40, trop froid dehors au vers  41, dans un univers de « béton » au vers 47.C. Le génocide du RwandaIl est évoqué sous forme implicite. On a l’impression que tout commence comme dans les histoires : rupture de la situation initiale (« on pensait tenir aucun rôle », vers 13, = on ne pensait pas qu’on passerait aussi à la télé) par un élément perturbateur  : avec « Mais un jour… », vers 14, et c’est à partir de là que tout bascule, vers 16, « la guerre a éclaté ».Le discours de La Baule (ville de Bretagne) de tonton (= François Mitterrand). Ce jour-là ce président s’adresse aux dirigeants africains pour dire que les aides financières de la France se feront à condition que les États acceptent le multipartisme. Dès lors les Hutu et les Tutsi ont renforcé leurs oppositions.Il donne très peu d’informations sur ce qui a été vécu là-bas, mais les expressions sont très fortes  : « on s’débattait dans une fournaise », vers 21, « ces peuples qui crient à l’aide », vers 24, « un million de morts en Afrique », vers 27. Parce qu’il ne veut pas raconter le génocide, il veut dénoncer ce que faisait la télé pendant ce temps.

II. Un média largement critiqué

A. La métaphore du gavageVers 50, on nous donne à voir et à revoir sans arrêt, même quand on n’en a plus envie « à satiété » (plus faim), et on a même l’impression qu’on n’est pas capable de réagir pour refuser ce « flot d’informations », vers 46, métaphore de la mer qui engloutit. On est « prisonnier », vers 39, impression renforcée par deux jeux de mots : le télé commande et mes chaînes (de télé) sont des chaînes de prison. On énumère tous les sujets qui

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sont susceptibles de passer à la télé  : sexe, fric, faucheuse (allégorie de la mort), vers 50, mais aussi pubs, vers 44, sport  : foot, basket, politique internationale, people, cinéma, hommes politiques, danse, musique. Les images sont multipliées parce qu’elles viennent du monde entier : « du monde », vers 2, « mondovision », vers 4, mais on montre trop et on ne s’intéresse finalement à rien en particulier. Les vers 44 et 45 indiquent qu’on attache autant d’importance à la chute du mur de Berlin (des gens prisonniers qui vont pouvoir retrouver leur famille dont ils sont séparés depuis 45 ans), une pub pour Coca-Cola et la sortie de prison (Mandela) après 27  ans derrière les barreaux pour avoir lutté contre le racisme et la ségrégation raciale en Afrique du Sud. Tout est mélangé : les catastrophes et les sujets légers, le futile et le tragique, si bien que le téléspectateur gobe tout sans réfléchir.

B. Un texte qui dénonce

Gaël Faye fait une critique virulente de la télévision.Il y a ceux qui profitent de la télé pour se faire bien voir, comme Bernard Kouchner ministre de la santé en 1992, à l’occasion d’une famine en Somalie, qui se fait photo-graphier avec un sac de riz sur l’épaule lors de sa visite sur les lieux, montrant qu’il est l’homme de la situation.Il y a les journalistes qui cherchent à faire de l’argent avec le scoop qui intéressera le plus le public, c’est le cas de la mort accidentelle de la princesse Diana qui a fait la Une de toutes les télés mondiales pendant très longtemps, notamment à cause des rebondissements de l’enquête policière.Et pendant ce temps-là, pendant que la planète se passionne pour cette princesse, un million de personnes meurent en Afrique dans l’indifférence générale. « Lady Di a plus de poids qu’un million de morts en Afrique », vers 27. Des familles entières se faisaient massacrer, couper en morceaux à la machette, même les femmes, même les bébés, et tout le monde reste indifférent  : « sans écho », vers 30. « Vivre hors champ d’la caméra c’est souvent ne pas exister », vers 49, c’est une phrase terrible qui voudrait dire que les images ont plus d’importance que la réalité elle-même.La télé nous transforme en monstres car à force de voir des choses graves ou superfi-cielles mises sur le même plan, on peut être capable de regarder des images de personnes réelles en train de mourir sans avoir aucune compassion  : vers 21, 22 et 24, un gros contraste entre les charentaises (pantoufles bien chaudes et confortables) le fromage, le dessert de ceux qui voient des victimes en grande souffrance « on s’débattait dans une fournaise » « peuples qui crient à l’aide », et qui regardent cela comme si c’était le dernier feuilleton à la mode « y’a quoi à la télé ? ». La télé rend les hommes inhumains « indifférence aux sanglots », vers 28, et l’auteur les trouve pires que les animaux, en comparaison  : « les loups ne sont que des chiots », vers 29.

III. Une chanson pour faire passer un message

A. Le pouvoir de l’écritureGaël Faye aborde l’écriture comme un antidote au poison du silence et de l’indiffé-rence. Il parle à la deuxième personne du pluriel « donnez-nous des mots », parce qu’il considère que les mots ne sont pas aussi menteurs que les images, qu’avec les mots on est sincère, vers 35. Il fait rimer « sac de riz » avec « sac de rimes », pour opposer les deux expressions, car le sac de riz c’est une image qui fait passer de la poudre aux yeux, qui fait croire que…, tandis que, ce que l’auteur exprime avec des rimes et des vers, c’est ce qu’il a au fond du cœur. Il ne le fait pas pour lui-même, il parle toujours au pluriel  : « pour qu’on écrive » 34, « j’écris des textes comme un écho de nos vies silencieuses », vers 51. Antithèses entre « écho » et « silencieuses », il est le porte-parole de tous ceux qui ont été massacrés. Le silence est un mot qui revient souvent dans la bouche de ceux qui sont allés au Rwanda après le génocide et qui le connaissaient avant. Le silence frappe parce que trop de gens sont morts et ne font plus retentir leur voix.

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B. Le Memento MoriIl existe un thème récurrent dans la littérature, le thème du temps qui passe, le thème du « souviens-toi que tu es mortel » (memento mori, en latin). On le retrouve ici dans la façon de présenter la critique sous forme d’une autobiographie (partielle), la vie qui se déroule, et la rime en « oule » dans le refrain. On peut penser que le « c’est cool » est une antiphrase, dans la mesure où dans cette chanson, il n’y a rien de cool du tout, une espèce d’ironie tragique qui constate que le temps passe et on voit se succéder des événements heureux (« un mur qui tombe ») mais surtout des catastrophes (« deux tours qui s’écroulent »).

C. La revancheGaël Faye est connu pour sa capacité d’écriture, il vient d’obtenir un prix pour son roman Petit pays, mais il a commencé par être chanteur de rap. Ses qualités d’écriture sont de plus en plus reconnues à tel point qu’il est très souvent invité… à la télévision…

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