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GALERIE D'EXPOSITION DU THÉÂTRE DE PRIVAS ESPACE D’ART CONTEMPORAIN
Dossier pédagogique
Dans ce dossier vous trouverez des éléments d'informations pour une meilleure connaissance et compréhension de la démarche de l'artiste Alexandre Périgot ainsi qu’une aide à la préparation de votre visite, des analyses thématiques en relation avec l’exposition et des pistes pédagogiques.
Alexandre Périgot Quelques fadas et autres objets sentiment
1 Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. 2 Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l'unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-‐monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'image autonomisé, où le mensonger s'est menti à lui même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-‐vivant.
Guy Debord, La société du spectacle
Du 28 septembre au 7 décembre 2013
Exposition en résonance avec la Biennale de Lyon 2013
Commissaire d’exposition : Jean-‐Luc Gerhardt, chargé de mission pour la galerie
Cette exposition bénéficie du soutien du Rectorat de Grenoble, de la DSDEN de l’Ardèche et du Centre de documentation pédagogique 07.
Au plaisir de vous retrouver à la galerie
Lydia Coessens et Léandre Pillot, professeurs relais
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Portraits de fadas 2011 – 2013 Portrait Gallery of 40 actors photo dibond 50 x 40 cm each
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Partie 1 : PRÉSENTATION DE L’ARTISTE ET DE L’EXPOSITION : Par Lydia Coessens Pour avoir une vue de l’étendue de son travail : http://www.alexandreperigot.com/
Alexandre Périgot est né en 1959, vit et travaille partout. Son travail se développe à partir d’une observation aiguë des relations entre les formes de la culture populaire et celles de l’art. À travers différents médiums (vidéos, installations, photographies, musique, danse...), ses œuvres mettent en évidence la spectacularisation de notre société et l’émergence de nouveaux modèles de représentation qu’elle véhicule pour construire une identité. Pour son exposition personnelle à la galerie d’exposition du Théâtre de Privas – Espace d’art contemporain, A. Perigot revisite une architecture moderne et se demande si elle pourrait rendre fou ? Lors de l'élaboration du projet et avant l'érection du bâtiment de la cité radieuse de Le Corbusier à Marseille, ses détracteurs firent faire une étude par des psychiatres pour démontrer que les futurs résidents de ce bâtiment pourraient sombrer dans la folie. C'est de cet épisode que la cité radieuse de Marseille tire son surnom de maison du fada. Un fada est celui qui est habité par les fées, il peut-‐être sujet à tous les différents symptômes identifiés par la médecine psychiatrique : syndrome d'Asperger, schizophrénie, paranoïa, narcissisme aigu, le fada a envahi très récemment les écrans de télévision, dans une grande tradition initiée au cinéma, les nouvelles séries télé semblent ne plus pouvoir se passer de leur fada, avec une amplitude et une intensité de diagnostiques pouvant aller d'un léger trouble obsessionnel du comportement jusqu'à voir se manifester un état de crise extrême propre au psychopathe. L’exposition « Fadas et autres objets sentiment » emprunte son titre à une conférence inventée par A. Perigot ou il aborde la question de la folie dans l'art et plus particulièrement la question de la fin des utopies dans l'architecture. Reconstituée à l’échelle 1, la coupe d’une unité d’habitation de la cité radieuse abritera ce que Le Corbusier préconisait d’en chasser et qu’il nommait « les objets sentiment », à savoir des objets qui n’ont aucune utilité. Quelques-‐uns des 120 portraits peints de fadas du cinéma et de la télévision, collectionnés par A. Perigot accompagneront ses films vidéo qui tous invitent à déjouer « le principe de modélisation. » L’exposition, par le choix des œuvres et leur exposition joue sur le rapport que nous entretenons avec la dimension théâtrale de l’œuvre. Faisant écho aux pratiques théâtrales qui investissent la grande scène du théâtre qui jouxte la galerie d’art, l’exposition invitera le spectateur à interroger l’envers du décor, les œuvres ayant toutes en commun de s’intéresser aux constructions mentales et physiques en croisant différents champs de représentations : la danse avec la mort: « Kill Kill Chorégraphie », du mime avec la finance : « Krach Audition », du jeu vidéo avec la violence « Synopsis Catharsis », de la modélisation de nos gestes au quotidien : « Réanimation ». L’exposition d’Alexandre Perigot sera l’occasion de réactiver deux performances conférences intitulées « Les pieds dans le rideau » et « La maison du fada et autres objets de sentiment ». Jean-‐Luc Gerhardt, Commissaire de l’exposition et chargé de mission pour la galerie d’art contemporain du théâtre de Privas.
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Ces flux d’images qui nous traversent et nous constituent ; ces habitats qui nous façonnent ; ces classifications psychiatriques qui prolifèrent et dont s’emparent les films et séries et qui disent en partie quelque chose de nous, voilà quelques uns des pôles de la réflexion et du travail d’Alexandre Périgot.
http://p4.storage.canalblog.com/41/14/606255/85755383_o.jpg En présentation de la maison du fada dont Alexandre Périgot nous rappelle l’origine-‐ disons poétique-‐ du terme de fada à savoir « celui qui est habité par les fées », celui qui est traversé de voix, de propos qu’il ne maîtrise pas. La maison du fada, à Marseille, c’est la Cité radieuse ; pour certains comme pour Périgot, le fada c’est celui qui habite cette maison et qui, l’habitant, en est devenu fou ; pour d’autres c’est celui qui a conçu une telle maison. Nous exposons plus loin, de façon détaillée, ce en quoi consiste l’architecture et les pensées directrices de l’architecte Le Corbusier, mais indiquons que ce qui est visé, lorsqu’il s’agit de contester ce dernier, c’est l’approche fonctionnaliste, rationaliste et minimaliste de l’architecte : exploiter l’espace au maximum en écartant tout ce qui est superflu ou qui semble l’être ; Rompre avec les traditions, ne pas s’encombrer de tous les signes d’appartenance sociale, culturelle qui encombrent appartements et maisons. À vivre dans cette « machine à habiter », dans une « unité d’habitation » voire dans une « cellule d’habitation » (Le Corbusier pensait à la cellule du monastère), ne risque-‐t-‐on pas de se retrouver dans une cellule d’isolement d’un hôpital psychiatrique ? En quoi les lieux que nous habitons exercent-‐ils une influence sur ce que nous devenons ? À sa manière, Alexandre Périgot reprend le questionnement qui a notamment été mené par les situationnistes ; ce que l’on trouve de façon exemplaire dans le terme de psychogéographie. (Voir lexique). La critique situationniste de l’urbanisme contemporain tient en trois notions qui sont aussi des attitudes : la psychogéographie, la dérive et l’urbanisme unitaire. Ces trois thèmes sont élaborés dès les années cinquante. Ils sont présentés dans des écrits antérieurs au lancement de la revue de l’Internationale Situationniste qui se contentera de les reproduire. L’Internationale lettriste1, créée en 1952, qui vise à transformer la vie en œuvre d’art, à émanciper l’individu simultanément de la spécialisation (division du travail) et de la banalisation (massification) qui aliène totalement, considère l’architecture et l’urbanisme comme des instruments qu’il convient de connaître afin de les détourner de leur finalité disciplinaire, sachant toutefois que changer la ville ne suffit pas pour changer la vie… En octobre 1953, Ivan Chtcheglov rédige Formulaire pour un urbanisme nouveau qui est adopté par l’Internationaliste lettriste. L’ennui de la ville contemporaine y est dénoncé et l’auteur propose « d’avant thé de nouveaux décors mouvants » qui faciliteront « l’activité principale des habitants qui sera la dérive continue » Guy Debord précise ce qu’est cette dérive dans la Théorie de la dérive, les lèvres nues, n° 9, 1956 : il s’agit d’une « technique du passage actif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance
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d’effets de nature psychogéographique, et à l’affirmation d’un comportement ludique – constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyages et de promenade ». Cette psychogéographie et cette dérive sont inspirées par le surréalisme qui invitait à des errances urbaines où le hasard jouait le rôle de guide. Fondé en 1945 par Isidore Isou (1925-‐2007), le lettrisme s'est imposé dans un moment de l'histoire universelle comme le seul mouvement révolutionnaire après le dadaïsme et le surréalisme. Ami de Tristan Tzara, père spirituel de Guy Debord, Isidore Isou proclame la destruction de la poésie à mot au profit d'une esthétique basée sur la lettre et le signe.
Au-‐delà de la poésie, le lettrisme développe une œuvre protéiforme et souvent méconnue, visant, grâce au concept de création généralisée, à transformer l'ensemble des branches du savoir : de la théorie de l'art au bouleversement de la société et de la vie.
Le lettrisme ne cesse pas, encore aujourd'hui, de faire débat même quand sonne l'heure de sa réévaluation historique. D'ailleurs le monde contemporain paraît de plus de plus donner raison aux prophéties lettristes soit pour les réaliser soit pour les combattre.
Le site lelettrisme.com s'est donc fixé 3 objectifs :
-‐ constituer une introduction au lettrisme, -‐ permettre l'accès aux œuvres et à des documents rares ou inédits, -‐ montrer la persistance de ce mouvement qui continue à créer.
Source : site officiel de lettrisme : http://www.lelettrisme.com/pages/01_accueil.php La critique de l’impératif de la vitesse, de la standardisation des modes de vie se retrouve dans le travail d’Alexandre Périgot qui, avec ses structures tubulaires, nous renvoie aux circulations multiples de paroles, d’images, de fluides, d’argent, (et l’on pense aux codes, presque assimilables à des tics, aux gestes énigmatiques des agents de change chargés de passer les ordres d’achat ou de vente dans les salles boursières. Avant l’informatique, à la bourse de Paris, par exemple, c’était le Parquet, la Corbeille, la Criée ; des gestes codés accompagnaient cette Criée : bras levés et paumes en dedans signifiait « j’achète », tandis que la paume tournée vers l’extérieur signifiait « je vends ». Aujourd’hui ce sont des ordinateurs hyper performants que partent, s’enregistrent, se diffusent tous ces ordres ; manipulation virtuelle mais aux effets réels : des pertes colossales peuvent avoir lieu en quelques secondes (on songe, en France, à Jérôme Kerviel et au fait qu’il serait responsable de pertes de la banque Société générale (environ cinq milliards d’euros) ; l’on songe aussi au fait, qu’il y a cinq ans, la banque d’investissement multinationale Lehman Brothers faisait faillite à la suite de la crise financière mondiale née de la crise dite des subprimes . Ce sont ces excès, ses affolements qui précipitent des millions de personnes dans le trouble et la pauvreté qu’évoque Alexandre Périgot notamment dans la vidéo Krach audition, videostill, 2013) au déplacement incessant qui créent des sonorités plus ou moins harmonieuses…
©Alexandre Périgot, video Krach Audition, 4’20, 2013. Réalisation : Alexandre Perigot / Acteur : Yves-‐Noel Genod / Image : Steve Calvo / Montage : Thomas Zoritchak / Musique : Emmanuel Charlier La nouvelle mise en scène du drame est économiquement dirigée ; des craintes, des effondrements de tendances ou de courbes et c’est dans le corps que s’inscrivent ces variations. Le corps et ses attitudes, le visage et ses rictus, expriment la dramaturgie d’une réalité financière.
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Les mains se font aussi manipulatrices d’objets mais de façon mécanique : automatismes , gestes répétitifs totalement induits par une notice, un mode d’emploi donnant lieu à la standardisation des mains (et, au-‐delà, des corps , des êtres). C’est ce que l’on peut notamment voir dans la video Réanimation
Vue de Réanimation video (1'40"), 1993. Photgraphie©Lydia Coessens Il y a quelque chose de la possible vanité, vacuité de nos existences, de nos relations dans ses structures tubulaires vides ; mais celles-‐ci peuvent se mettre à danser, à s’agiter nous renvoyant à cette marche, à ce déplacement permanent fait de déséquilibre rattrapés. Nous sommes un peu ces machines, ces tubes à mouvance, à résonance, à échos multiples ; nous présentons une plasticité (comme celle du cerveau) qui nous rend capables de mimer nos héros de séries télévisées, de nous balader tranquillement dans les troubles classés psychiatriquement de ces personnages à la manière d’un Monk qui multiplie les toc, d’un Docteur House dépendant à la Vicodin, ou encore le caractère ou bien psychopathe ou bien sociopathe de Tony Soprano ,-‐tous personnages de ces Portraits de fadas qui nous font face dans la galerie. Si l’on se réfère au D SM – IV (Diagnostic and statistic Manuel of Mental Disorders) la sociopathie – appelée également trouble de la personnalité antisociale – peut-‐être d diagnostiquée à partir des critères suivants : – incapacité à se conformer aux normes sociales quant au comportement licite, avec des arrestations
répétées, – impulsivité, ou incapacité à prévoir,
– irritabilité et agressivité, indiquée par des conflits et agressions physiques,
– dédain complet pour la sécurité de soi ou des autres,
– irresponsabilité chronique, indiquée par l’incapacité à tenir des engagements soutenus ou d’honorer
des obligations financières,
– absence de remords ou de culpabilité, indiquée par l’indifférence ou la recherche systématique d’excuse plausible pour avoir blessé, maître maltraité, tromper ou voler autrui.
Nous retrouvons bien là notre Tony ! Il faut dire que sa mère est une perverse narcissique : (toujours selon le DSM) -‐ le sujet a un sens grandiose de sa propre importance (par exemple, surestiment ses réalisations
et ses capacités, s’attend à être reconnu comme supérieur sans avoir accompli quelque chose en rapport),
-‐ est absorbé par des fantaisies de succès illimités, de pouvoir, de splendeur, de beauté, de perfection, ou d’amour idéal,
-‐ pense être « spécial » et unique et ne pouvant être admis ou compris que par des institutions ou des gens spéciaux et de haut niveau,
-‐ montre un besoin excessif d’être admiré, -‐ pense que tout lui est dû : s’attend, sans raison à bénéficier d’un traitement particulièrement
favorable et à ce que ses désirs soient automatiquement satisfaits,
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-‐ exploite l’autre dans les relations interpersonnelles : utilise autrui pour parvenir à ses propres fins (mensonges, chantage, violence verbale,…),
-‐ Manque d’empathie : n’est pas disposé à reconnaître ou à partager les sentiments et les besoins d’autrui,
-‐ Envie souvent les autres, et croit que les autres l’envient, -‐ Fait preuve d’attitude de comportement arrogant et hautain. -‐
Telle est la cruelle Livia Soprano ! Mais il se trouve que nous partageons tous quelque chose de ces monstres ! Ces personnages de séries peuvent être conçus comme étant de véritables expositions et matérialisation des classifications psychiatriques ; ils sont dans l’excès de pathologie mais cet excès même nous fait songer aux figures excessives des personnages de la tragédie antique : de là à penser à un effet cathartique (voir Catharsis dans le lexique), purgatif, du spectacle télévisuel… En même temps, loin d’être à distance, nous incorporons, nous ingérons, nous intégrons les postures, les attitudes, les réactions de ces personnages et nous nous trouvons capables de jouer, de mimer (Cf. le concept de mimèsis dans le glossaire), devant la caméra d’Alexandre Perigot, les différentes figures de la mise à mort après un coup de feu ! Soit Kill, kill Chorégraphie, video de 1996. Jouant notre mort, nous jouons la mort du tout autre que soi, manière de ne pas jouer sa mort… Il se dit aussi peut-‐être que la mort ne peut venir que du dehors, de manière accidentelle ou violente (un coup de feu) et non de nous, de notre corps.. et nous dansons…
Kill, kill choregraphie (1996) Le travail d’Alexandre Périgot manifeste une attention soutenue aux spectacles des hommes, à la réalité sociale, financière et politique. En contrepoids, en contrepoint de ces effarants égarements, le doux délire de ceux qui accumulent, qui collectionnent toutes sortes d’objets, heureuse économie non pas de l’accumulation, non pas de l’investissement, mais de la pure défense, « part maudite » aurait dit Georges Bataille ; magnificence du collectionneur, sans souci de rentabilité, de productivité ; il est pris dans une espèce de débauche, une débauche d’énergie qui se perd sans compter, sans contrepartie il est dans une effervescence, dans une affirmation joyeuse peut-‐être de l’existence ; il n’est pas dans la consommation mais dans la consumation : logique du don, de la dépense, du gaspillage, de la générosité, de la prodigalité, de dilapidation, de la perte, il est dans l’hubris, dans la démesure, dans l’excès. Relisons Georges Bataille !!! (La Part maudite (1949) :
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« La vie humaine, distincte de l’existence juridique et telle qu’elle a lieu en fait sur un globe isolé dans l’espace céleste du jour à la nuit, d’une contrée à l’autre, la vie humaine ne peut en aucun cas être limitée aux systèmes fermés qui lui sont assignés dans des conceptions raisonnables. L’immense travail d’abandon, d’écoulement et d’orage qui la constitue, pourrait être exprimé en disant qu’elle ne commence qu’avec le déficit de ses systèmes : du moins ce qu’elle admet d’ordre et de réserve n’a-‐t-‐il de sens qu’à partir du moment où les forces ordonnées et réservées se libèrent et se perdent pour des fins qui ne peuvent être assujettis à rien dont il soit possible de rendre des comptes. C’est seulement pour une telle insubordination, même misérable, que l’espèce humaine cesse d’être isolée dans la splendeur sans condition des choses matérielles »
Georges Bataille et allons contempler, nous amuser des objets sentiments de Périgot et, pourquoi pas, donnons à voir quelques-‐uns des nôtres…
Lydia Coessens
« Les objets sentiment » "Objets-‐outil" vs "décor de la vie" Avec le terme d’«objets-‐sentiment», Le Corbusier stigmatisait l’ensemble de ces meubles, ustensiles et bibelots domestiques dont la forme et la présence sont en majeure partie tributaires de valeurs idéologiques de représentation, valeurs morales ou liées au souvenir. «Anthropomorphiques, ces dieux lares que sont les objets (...) incarnent dans l’espace les liens affectifs et la permanence du groupe» écrira Jean Baudrillard dans son essai sur «la consommation des signes.» De l’avis de Le Corbusier, l’Exposition des Arts Décoratifs de 1925 à Paris marquait le sacre des «objets sentiment » – jugement que partagent du reste les commentateurs qui, pourtant, en étaient revenus avec une impression globalement positive. L’architecte s’insurge et déplore qu’à l’objet-‐outil, à l’objet-‐membre, conforme aux besoins-‐type de l’homme, l’«art décoratif» oppose l’objet-‐sentiment, l’objet-‐vie indéfiniment différencié: «Récemment, l’un des hauts personnages dirigeant les destinées de l’Exposition de 1925 s’insurgeait violemment; l’esprit attaché à la multiple poésie, il réclamait pour chaque individu un objet différent, prétendant à des cas chaque fois particuliers (...) Il voit le caractère de l’individu dicter tous ses actes, et par un raisonnement vivement bouclé, façonner son outillage, un outillage qui lui est propre, particulier, individuel, n’ayant rien de commun avec celui du voisin. »La vie, c’est la vie, je ne crois qu’à la vie. Vous tuez l’individu !» (...) Serait-‐ce là, enfin, par miracle, la définition tant cherchée du terme : "art décoratif" ? A l’objet-‐membre, on nous oppose l’objet-‐sentiment, l’objet-‐vie.» … Si l’on suit la pensée de Jean Baudrillard, le décorum comme le mobilier obéissent encore, dans l’intérieur bourgeois, à «toute une vision du monde où chaque être est conçu comme un « vase d’intériorité», et les relations comme corrélations transcendantes des substances ». Par contre: «Le projet vécu d’une société technique (...), c’est l’omission des origines du sens donné et des « essences» dont les bons vieux meubles furent encore les symboles concrets – c’est une computation et une conceptualisation pratiques sur la base d’une abstraction totale, c’est l’idée d’un monde non plus donné, mais produit – maîtrisé, manipulé, inventorié et contrôlé: acquis.» Extraits de La révocation de l'intérieur traditionnel
extrait de "Le Corbusier -‐ Corseaux" texte de Bruno Reichlin
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• SOLANG PRODUCTION Paris Brussels directeur Gregory Lang, toutes les pièces récentes sont une co-production avec solang production.
Une proposition d’empreintes d’une vie bousculée.
Depuis 1994, le travail d'Alexandre Perigot consiste essentiellement en des installations et des vidéos qui ont pour caractéristique de créer une forte interaction avec le public. Ainsi, avec « Réanimations » (1993), il propose une nouvelle signalétique fondée sur des pictogrammes expliquant l'utilisation de différents produits industriels (enfiler un préservatif, boucler une ceinture de sécurité, manipuler un vaporisateur nasal, etc.).
« On Tour » qu'il présente successivement à Marseille et Nice en 1994, puis à Montpellier et Pougues-‐les-‐Eaux en 1995, et finalement à Bourges en 1996 est un chapiteau circulaire itinérant d'un diamètre de neuf mètres et d'une hauteur de cinq dont il dit que c'est « un espace vide et clos qui sera à la fois le lieu et l'objet d'une hypothétique représentation », et que son intention est d'« allégoriser la dimension spectaculaire de l'œuvre ».
"Les pieds dans le rideau" Une lecture illustrée.
Une histoire impossible de l’art racontée par celle des rideaux, une divagation pour raconter la migration du rideau de scène vers le champ des arts visuels. Comment le rideau a scandé les moments clés de l’histoire de l’art, du rideau qui cachait l’origine du monde de Courbet à celui qui est à l’origine du manifeste de Malevitch, du célèbre Parade de Picasso au rideau de scène du Living Theater qui allait frapper les trois coups de l’art minimal. Un commentaire, un inventaire mais pas un abécédaire de rideaux pour revisiter ce qui a conduit à faire tomber le rideau de scène au théâtre dans les années 60 alors que paradoxalement il se relevait sur la scène de l’art contemporain. Un diaporama de plus de deux cent images de peintures, films, scénographies, actualité, œuvres contemporaines, accompagné de références littéraires, philosophiques, politiques, etc. Inviter le public à vivre l’expérience d’une ivresse du rideau du plus célèbre au plus inattendu. (Extrait de la performance à L’ESBA, Tours, Angers, Le Mans)
Pour prolonger cette réflexion il propose également à des spectateurs de se faire tirer le portrait devant une photographie du chapiteau (« Les Figurants », 1996). Avec « Partie gratuite » (1996, repris au Mamco en juin-‐juillet 1998), il invite le spectateur à jouer au football dans un espace fermé dont les murs recouverts de papier carbone retiendront la trace de chaque tir. Précédemment, A. Perigot avait déjà utilisé du papier carbone posé au sol de façon à enregistrer des empreintes de pas (« Recto verso », Villa Arson, Nice, 1993). Parallèlement, il entreprend une réflexion sur le cinéma et sur la manière dont ses codes conditionnent la vie quotidienne. En témoigne « Double double » (1994) – des photographies pour lesquelles il a demandé à sept comédiens de mimer la pose qu'inspire à chacun la star américaine qu'il est chargé de doubler en français.
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Double Double, 1995 ensemble de 7 photographies contrecollées sur PVC rigide ; 110 X 80 cm coll. de l'artiste Les Figurants, On tour, Villa Arson, 1995 photographie ; 250 X 360 cm coll. de l'artiste
« Kill kill chorégraphie » (1996) participe de cette réflexion sur le cinéma. Pour tourner cette vidéo, A. Perigot a demandé à une vingtaine de personnes de jouer leur propre mort devant la caméra : une mort violente due à l’impact d’une balle. Leurs attitudes sont en général fortement théâtralisées et issues des modèles largement diffusés par l'industrie cinématographique. La scène nue, le comique de répétition, les effets de chorégraphie et le montage dense réalisé par A. Perigot mettent en relief le jeu de l'identification et l'absurde des situations.
Les titres de ces expositions l’indiquent, il y est toujours fait référence aux tuyaux qui permettent l’échange d’énergie, de fluides et de biens matériels entre les pays et qui depuis presque un siècle, redessinent sans cesse les états. Ce sont ces enjeux de flux et de frontières mouvantes qu’Alexandre Périgot questionne en associant à ses installations des performances musicales qui brassent elles aussi les limites des territoires, mêlant le plus souvent musique savante et populaire. Dans une démarche d’échanges, il emprunte cette fois une vidéo intitulée BELLY DANCER à un artiste viennois RICHARD HOECK. Cette vidéo fait contrepoint à la présentation des étagères dansantes. Construites à base de structures tubulaires et de tablettes en aluminium, elles sont mues par un système mécanique. L’entraînement du moteur produit un mouvement de vacillement ou d’ondulation qui fait osciller ces objets fous entre ivresse et danse lancinante du ventre.
Pour voir la « danse des tuyaux » et écouter A. Périgot sur son travail :
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http://www.telefigeac.com/fr/musicvideo.php?vid=tfxi54185
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Le projet « Dumbodélire » consacre le retour d'un art total. Rien d'étonnant de la part d'Alexandre Perigot, ayant vécu plusieurs vies d'artiste à la fois par le théâtre, la danse, le cinéma et les arts visuels. En prenant comme objet le rideau, il s'empare d'un dispositif dont l'histoire est aussi longue que celle de l'art, à la fois tapisserie, tapis, paravent, le rideau fut la peau protectrice des abris des princes nomades. De cet usage intime, le rideau est avec l'avènement du théâtre un tableau écran, point focal du désir tout autant que le métronome du récit, plan de montage de la fiction qui se joue sur scène, mais aussi allégorie de la séparation des mondes, celui du spectateur et celui des artistes, celui de l'espace public et de l'espace autonome de l'œuvre. Le rideau fascine par sa matérialité : rideau de fer ou rideau de fumée, d'un état solide à l'état gazeux, il dispose d'un vaste mode d'apparition et la brillante histoire de l'art à travers le rideau sur laquelle travaille depuis quelques années A. Perigot, nous en dresse l'histoire multiple et controversée. Prêt à disparaître des théâtres révolutionnaires du XVIIIème siècle afin de ne plus séparer le comédien, le metteur en scène du spectateur, il rejaillit avec le développement de la question contemporaine des comportements du spectateur de l'art dans l'espace de l'œuvre. Il est le sujet de nombreux artistes, Felix Gonzales Torres expérimente son rideau de perles rouges, Pina Bausch et le scénographe Peter Babst nous proposent en guise de rideau de scène un mur de parpaings, le rideau safran de Cristo dans une vallée du Colorado, nous révèle en les cachant des emplacements grandioses, « la feuille » de la chorégraphe Emmanuelle Huyhn et de l'artiste Nicola Floc'h reconfigure la scène devenue une longue vague ininterrompue, vaste rideau horizontal. La fonction première d'un rideau est à la fois d'inviter et de refermer, d'isoler, de prescrire un mode d'accès au rectangle de la scène. Le plateau scénique
http://galeria-‐arsenal.pl/images/2012/04/22/tm_alexandre-‐perigot-‐dom-‐wariatow-‐2-‐34.jpg
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voit se succéder toute une série de lieux qui sont étrangers les uns les autres nous dit M. Foucault qui définit ainsi l'hétérotopie « plusieurs espaces plusieurs emplacements incompatibles… C'est ainsi que le cinéma est une très curieuse salle rectangulaire, au fond de laquelle, sur un écran à deux dimensions, on voit se projeter un espace en trois dimensions » les hétérotopies supposent toujours un système de fermeture et d'ouverture. Le Dumbo rideau est un dispositif spatial hétérotopique qui produit une série de relations entre le lieu d'exposition, le rideau et le spectateur. Il juxtapose les points de vue et invite à une pratique de l'espace qui est une expérience unique de la vision. Fréderick Kiesler utilisait cet aphorisme « la forme ne suit pas la fonction, la fonction suit la vision, la vision suit la réalité ». Cet architecte fantasque, rejeté par ses pairs, dans son projet de l'« endless house » expérimente l'espace infini, mais aussi élabore une théorie de l'environnement, une architecture « corréaliste », ovoïde et sphérique. Comme souvent chez Kiesler, les espaces intérieurs sont délimités et composés de rideaux de caoutchouc. Qui n'a pas visité le sanctuaire des livres à Jérusalem ne sait rien de cette expérience d'une architecture en spirale et d'une architecture de la vision associant l'œil et l'œuf. Les hallucinations de Dumbo l'éléphant dessinées sous forme de motifs de camouflage indifféremment imprimés sur les 52 m du rideau, nous invite à pénétrer et parcourir une installation qui est un vaste ruban continu. Cette tentative d'une unité des arts conduit chaque spectateur à vivre une performance (expérience) entre théâtre, cinéma (il recourt aux images de Disney, cite l'ivresse de Dumbo …), arts plastiques et arts visuels. Alexandre Perigot nous conduit vers une pratique de l'œuvre aux points de vues et aux perceptions multiples. Artiste conceptuel, il interroge aussi sa propre place d'artiste dans une pratique constructive toujours très élaborée de l'espace d'exposition (cf Polka Palace autre dispositif d'exposition récent), reconnaissant ainsi le primat de l'espace sur toutes autres tentatives d'inscription.
Christian DAUTEL
© Antoine Avignon
En savoir plus sur http://53.agendaculturel.fr/exposition/chateau-‐gontier/chapelle-‐du-‐geneteil-‐centre-‐d-‐art-‐contemporain-‐le-‐carre-‐scene-‐nationale/dumbodelire-‐d-‐alexandre-‐perigot.html#EPZTPmPrByjCeqqv.99
Conférence d'Alexandre Périgot « La maison du fada » donnée à Angoulême : L’architecture moderne peut-‐elle rendre fou ? Lors de l’élaboration du projet et avant l’érection du bâtiment de la cité radieuse à Marseille, les détracteurs de Le Corbusier firent faire une étude par des psychiatres pour démonter que les futurs résidents de ce bâtiment pourraient devenir fous. C’est de cet épisode que la cité radieuse de Marseille tire son surnom de maison du fada. Un fada est celui qui est habité par les fées, il peut-‐être sujet à tous les différents symptômes identifiés par la médecine psychiatrique : syndrome d’Asperger, schizophrénie, paranoïa, narcissisme aigu, le fada a envahi très récemment les écrans de télévision, dans une grande tradition initiée au cinéma, les nouvelles séries télé semblent ne plus pouvoir se passer de leur fada, avec une amplitude et une intensité de diagnostiques pouvant aller d’un léger trouble obsessionnel du comportement jusqu’à voir se manifester un état de crise extrême propre au psychopathe.
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La conférence abordera la question de la folie dans l’art et plus particulièrement la question de la fin des utopies dans l’architecture et de la folie comme désordre confronté à l’ordre moderniste. Une partie de l’intervention sera consacrée à la projection de portraits des 120 malades mentaux du cinéma et de la télévision, collectionnés par Alexandre Perigot.
Le podcast de la conférence : http://www.eesi.eu/site/spip.php?article795
Partie 2: ARCHITECTURE ET URBANISME, LA PLACE DE L’HOMME 1) Le Corbusier Lydia Coessens
a) Le Corbusier en très synthétique
Charles-‐Édouard Jeanneret-‐Gris, plus connu sous son pseudonyme de Le Corbusier est né le 6 octobre 1887 à La Chaux-‐de-‐Fonds en Suisse. Il sera naturalisé français en 1930. Il meurt le 27 août 1965 à Roquebrune-‐Cap-‐Martin. Le Corbusier est architecte, urbaniste, décorateur, peintre, mais aussi homme de lettres.
C’est l’un des principaux représentants du mouvement moderne de l’architecture, ou Modernisme, qui apparaît dans la première moitié du XXème siècle. Ce mouvement se caractérise par un retour au décor minimal et aux lignes géométriques pures, mettant en avant la rationalité, grâce notamment au déploiement de techniques et de matériaux nouveaux.
Le Corbusier est connu pour être l’inventeur de ce qu’il nommera « l’unité d’habitation ». Ce concept est l’expression d’une réflexion théorique sur le logement collectif. « L’unité d’habitation de grandeur conforme » comme la nomme Le Corbusier ne prendra forme qu’au moment de la reconstruction qui suit la Seconde Guerre mondiale, moment auquel elle prendra valeur de solution aux problèmes de logements. Sa conception envisage dans un même bâtiment tous les équipements collectifs nécessaires à la vie dans un même lieu.
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Amédée Ozenfant
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre français (Saint-‐Quentin 1886 – Cannes 1966).
Après des études classiques, il élabore les fondements de son art au cours de la Première Guerre mondiale, en publiant notamment la
revue l'Élan (1915-‐1917). Sa carrière commence véritablement en 1917 avec sa rencontre, dans l'atelier d'Auguste Perret, de l'architecte
Charles Édouard Jeanneret (Le Corbusier), qui pratiquait depuis peu la peinture. Dès 1918, ces deux artistes se manifestent sur la scène
artistique en exposant des tableaux représentant des paysages et surtout des natures mortes, groupant des objets ordinaires, dessinés
d'une manière simple, dans une gamme sombre et avec une composition dense (Sisteron ; Violons jaunes, Paris, M. N. A. M.). Les deux
artistes publient à Paris en 1918 un manifeste : Après le cubisme, qui fonde le Purisme, qu'ils veulent faire succéder au Cubisme. Ils
reprochent à ce dernier d'être décoratif et surtout de ne pas être en accord avec l'" esprit moderne ", assimilé à la civilisation industrielle
caractérisé selon eux par l'utilisation des machines et le progrès de la science. Ils veulent trouver dans l'art des " invariants " comme il y a
des lois dans les sciences. Le Purisme va se révéler un art intellectuel, excluant le hasard et utilisant des formes géométriques parce
qu'elles sont lisibles. Ozenfant et Jeanneret s'inspirent des méthodes de construction, de la finalité et de l'esthétique des machines
industrielles et établissent " une grammaire générale de la sensibilité ". Les formes et les couleurs sont simplifiées, les structures fondées
sur l'angle droit et les " tracés régulateurs ". Le sujet reste présent sinon primordial et va surtout être constitué de natures mortes
réunissant des objets usuels, assiettes, verres, carafes, pipes, bouteilles, qui sont fonctionnels et produits en série de façon économique.
Leurs formes simples et standardisées peuvent s'assembler facilement et rester lisibles. Ces objets sont représentés selon des méthodes
empruntées au dessin industriel, en utilisant le plan, l'élévation, la perspective cavalière, avec les ombres projetées suivant les règles de
la perspective. Leur agencement organique va produire des générations de formes. " On peut créer le tableau comme une machine. Le
tableau est un dispositif à émouvoir. " Cette théorie a été développée et précisée par la pratique picturale au fur et à mesure et
notamment par écrit dans une suite d'articles parus dans la revue l'Esprit nouveau, fondée par le poète Paul Dermée, Ozenfant et
Jeanneret en 1920 : textes repris dans le livre la Peinture moderne (Paris, 1925), qu'ils publient ensemble et qui connaîtra un grand
retentissement dans les milieux qui ont tenté de comprendre la nature de la création artistique, de la rationaliser et de lui trouver une
justification (Grande Nature morte, 1926, Paris, M. A. M. de la Ville). Les carrières d'Ozenfant et de Jeanneret se séparent après 1925. À
partir de 1927, l'œuvre d'Ozenfant change de direction : il réintroduit la figure humaine et recherche des effets de peinture murale (la
Grotte aux baigneurs, 1990-‐31). Il répond à sa manière à la sollicitation du Surréalisme avec des images parfois étranges, mais qui restent
parfaitement rationalistes. Il expérimente ensuite des compositions très ambitieuses sur des thèmes allégoriques, qui apportent
malheureusement moins de satisfaction (Vie, 1931-‐1938, Paris, M. N. A. M., en dépôt au musée de Saint-‐Quentin). Il donnera, après
1940, quelques œuvres encore attachantes telles que le Canon endormi (Minneapolis, Walker Art Center) ou le Gratte-‐ciel éclairé (Paris,
M. N. A. M.), fruits de son expérience américaine. Ozenfant a exercé son influence sur de nombreux artistes, et non des moindres, tels
que Fernand Léger et Willi Baumeister. Pédagogue, il a formé dans les différents lieux où il a enseigné, à Paris à l'Académie moderne, à
Londres, puis aux États-‐Unis, de nombreux disciples, de la Française Marcelle Cahn à l'Américain Gerald Murphy et, au début des
années 50, Roy Lichtenstein.
Ses écrits ont eu un retentissement très important et, en particulier, son livre Art, publié en 1928 qui fut aussitôt traduit en allemand puis
en anglais. Ses Mémoires 1886-‐1962 ont été publiés après sa mort. Amédée Ozenfant est représenté en particulier au musée de Bâle, à
New York (M. O. M. A. et Guggenheim Museum), à Paris (M. N. A. M.). Une exposition rétrospective de son œuvre a été organisée au
musée de Saint-‐Quentin en 1985.
b) Le Corbusier exposé synthétiquement Habiter, comme nous l’apprend Heidegger (Cf. page ) est un acte fondateur, une manière d’appréhender la place de l’homme, de se situer dans le tout. La conception que l’on se fait de l’habiter implique une conception de l’homme, de ce qu’est la « vie bonne », une approche politique ; ce que l’on trouve dans les utopies que ce soit l’utopia de Moore, les phalanstères de Fourier, la cité du Soleil de Campanella ou l’Icarie de Cabet, tous proposent une conception de l’habitation qui accompagne et soutient leur projet d’amélioration de la vie humaine.
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En France, avec la crise du logement de l’entre-‐deux –guerres, des solutions efficaces, au moindre coût, modernes sont exigées. A Paris, l’architecte Henri Sauvage conçoit des immeubles à gradins, HBM : immeuble d’habitation à bon marché.
http://lartnouveau.com/artistes/sauvage/mini/amir.jpg
De son côté, Le Corbusier écrit :
« Esthétique de l’ingénieur, Architecture, de choses solidaires, consécutives, l’une en plein épanouissement, l’autre en pénible régression. L’ingénieur, inspiré par la loi d’économie et conduit par le calcul, nous met en accord avec les lois de l’univers. Il atteint l’harmonie. L’architecte, par l’ordonnance des formes, réalise un ordre qui est une pure création de son esprit ; par les formes, il affecte intensivement nos sens, provoquant des émotions plastiques ; par les rapports qu’il crée, il éveille en nous des résonances profondes, ils nous donnent la mesure d’un ordre consentent en accord avec celui du monde, il détermine des mouvements divers de notre esprit et de notre cœur ; c’est alors que nous ressentons la beauté. » Le Corbusier, Vers une architecture, « esthétique de l’ingénieur architecture », Flammarion, champs arts, 1995 p. 3. « Une grande époque vient de commencer. Il existe un esprit nouveau. L’industrie, envahissante comme un fleuve qui roule à sa destinée, nous apporte les outils neufs adaptés à cette époque nouvelle animée d’esprit nouveau. La loi D’Économie gère impérativement nos actes et nos conceptions ne sont viables que par elle.
Frédéric-‐Henri Sauvage, dit Henri Sauvage, (né le 10 mai 1873 à Rouen, mort le 21 mars 1932 à Paris), est un architecte et un décorateur français.
Concepteur prolifique, zélateur de la notion d’œuvre d’art totale telle que la reformula l’architecte belge Henry Van de Velde, Henri Sauvage est considéré comme l’un des principaux architectes français du premier tiers du XXe siècle. De l’Art nouveau à l’Art déco, Sauvage est l’un des rares créateurs de sa génération à avoir constamment et méthodiquement renouvelé ses repères formels et ses références techniques1. La villa de Louis Majorelle à Nancy (1898-‐1902), les immeubles d’habitation à bon marché construits de 1903 à 1912, les immeubles à gradins du 26, rue Vavin (1912-‐1913) et du 13, rue des Amiraux (1913-‐1930), enfin les magasins 2 et 3 de la Samaritaine à Paris (1925-‐1930) et les magasins Decré à Nantes (1931) jalonnent une œuvre très diverse qui commença par les tentures décoratives et le mobilier, pour aboutir aux immeubles à gradins et à la préfabrication. La rigueur constructive, la hardiesse des partis et la qualité des détails servent un rationalisme pragmatique. Les exigences esthétiques, techniques, urbanistiques et sociales d’Henri Sauvage ont préparé les expériences menées par plusieurs générations d’architectes : en premier lieu ceux qui se firent connaître dans les années 1920, comme Le Corbusier ou Robert Mallet-‐Stevens, qui considérèrent Sauvage comme un précurseur de l’architecture dite moderne, à l’instar d’Auguste Perret ou de Tony Garnier2. Source : wikipedia
Henri Sauvage, 1922-‐1927, logements sociaux et piscine au 13, rue des Amiraux à Paris
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Le problème de la maison est un problème d’époque. L’équilibre des sociétés en dépend aujourd’hui. L’architecture a pour premier devoir, dans une époque de renouvellement, d’opérer la revision des valeurs, la revision des éléments constitutifs de la maison. La série est basée sur l’analyse et l’expérimentation. La grande industrie doit s’occuper du bâtiment et établir en série les éléments de la maison. Il faut créer l’état d’esprit de la série, L’état d’esprit de construire des maisons en série, L’état d’esprit d’habiter des maisons en série, L’état d’esprit de concevoir des maisons en série. Si l’on arrache de son cœur et de son esprit les concepts immobiles de la maison et qu’on envisage la question d’un point de vue critique et objectif, on arrivera à la maison – outil, maison en série, saine (et moralement aussi) et belles de l’esthétique des outils de travail qui accompagnent notre existence. Belle aussi de l’animation que le sens artiste peut apporter assez stricts et purs organes. » Le Corbusier, Vers une architecture, « maisons en série », Flammarion, champs arts, 1995, page. 187)
Il développe un esthétique de lignes pures : “Seules les formes pures et simples sont source des sensations premières” ; la rationalisation de l’espace est primordiale, e le crée un ordre qui produit l’harmonie sensée être ressentie par celui qui habite la cellule d’habitation. Son inspiration se situe dans le monde d l’industrie, des machines, des outils. Il adopte une visée fonctionnelle. La question est alors de savoir si l’on peut s’y trouver bien ; d’emblée les réticences se sont manifestées mais aussi l’enthousiasme.
« Une maison est une machine à habiter. Bains, soleil, eau chaude, eau froide, température à volonté, conservation des mets, hygiène, beauté par proportion. Un fauteuil est une machine à s’asseoir, etc. » (Op. Cit.p. 73. « Si l’on oublie un instant qu’un paquebot est un outil de transport et qu’on le regarde avec des yeux neufs, on se sentira en face d’une manifestation importante de témérité, de discipline, d’harmonie, de beauté calme, nerveuse et forte. Un architecte sérieux qui regarde en architecte (créateur d’organismes) trouvera dans un paquebot la libération des servitudes séculaires maudites. Il préféra, au respect paresseux des traditions, le respect des forces de la nature ; à la petitesse des conceptions médiocres, la majesté des solutions découlant d’un problème bien posé et requises par ce siècle de grand effort qui vient de faire un pas de géant. La maison des terriens est l’expression d’un monde périmé à petites dimensions. Le paquebot est la première étape dans la réalisation d’un monde organisé selon l’esprit nouveau. » (Op.cit., p. 80)
La villa Savoye à Poissy. Baptisée les “Heures Claires” et construite de 1928 à 1931 sur un terrain de sept hectares, la villa Savoye termine le cycle des villas blanches de l’architecte Le Corbusier.
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http://www.monuments-‐nationaux.fr/fichier/m_docvisite/79/docvisite_fichier_12A.villa.savoye.F.pdf
http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=7380&sysLanguage=fr-‐fr&itemPos=73&itemSort=fr-‐fr_sort_string1%20&itemCount=78&sysParentName=&sysParentId=64
Afin d’établir la “machine à habiter”, le système DOM-‐INO (1914) (structure dessinée par Le Corbusier en 1914; cette ossature en béton permet de construire autrement et plus rapidement un bâtiment; les murs porteurs ne sont plus nécessaires. Ce système permet de privilégier la multiplication des ouvertures)
, que l’on trouve appliqué à la Villa Savoye, à la villa citrohan (http://fr.wikiarquitectura.com/index.php/Maison_Citr%C3%B6han), au lotissement Frugès à Pessac et à la cite radieuse Marseille (http://www.clg-‐monod.ac-‐aix-‐marseille.fr/spip/IMG/pdf/La_cite_radieuse_internet.pdf)
Quartiers Modernes Frugès, Pessac. Photo : Paul Koslowski 1995 © FLC/ADAGP
Maison Citrohan, not located © FLC/ADAGP
A lire et à voir : http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=5972&sysLanguage=en-‐en&itemPos=103&itemSort=en-‐en_sort_string1%20&itemCount=215&sysParentName=&sysParentId=65
L’on trouve ainsi déclinés les cinq points de l’Architecture nouvelle :
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• Les pilotis • Le plan libre • La façade libre • Le toit-‐terrasse • La fenêtre en bandeau
liant les principes essentiels, qui pour Le Corbusier conditionnent l’architecture – la mise en ordre, à savoir : l’espace, le soleil et la verdure : http://www.youtube.com/watch?v=vMHhqF00JLU
« Pour la cité radieuse de Marseille (1959) le système constructif retenu, dit « du casier à bouteilles, consiste à construire des appartements à l’intérieur d’une ossature de poteaux et de poutres en béton armé ». En d’autres termes, il s’agit de glisser des appartements semblables aux maisons Citrohan ou au pavillon de l’Esprit nouveau dans une ossature de type DOM-‐INO à l’échelle d’une barre d’habitation de 135 même de longueur et de 56 mètres de hauteur. Répartis en vingt-‐trois types, les appartements en duplex de la Cité radieuse, d’une surface supérieure de 40 à 50 % à celle des H.L.M, bénéficie de la double orientation. Les habitants disposent de nombreux équipements collectifs, dont une rue commerçante en étage et, sur la terrasse, une école maternelle et des équipements sportifs. Comme son nom l’indique, l’ « unité d’habitation » n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste élaboré à l’échelle d’une ville. L’ossature des unités d’habitation, comme celle de la Villa Savoye, repose sur un sol artificiel, réservant ainsi le sol naturel aux espaces verts, à la circulation, aux équipements sociaux, collectifs et sportifs. » (Encyclopaedia Universalis article « Le Corbusier » Gilles Ragot, Volume 13, 1994, p. 558) Les innovations :
– sur le plan de l’urbanisme : abandon de la rue corridor et la cour intérieure. Importance du soleil de la verdure pour tous.
– Il propose une cellule sur deux niveaux avec terrasse loggia et cuisine communicante, avec le séjour à double hauteur. Chaque appartement bénéficie d’une double orientation est-‐ ouest.
– Sur le plan social : nouvelle forme de socialisation des habitants à travers les équipements collectifs : la rue intérieure et ses locaux commerciaux, les toits terrassent et ses équipements pour une école maternelle ainsi qu’un gymnase, une piste de course à pied, des collines artificielles, un petit théâtre à gradins etc.
– Sur le plan technique : très haut niveau d’isolation acoustique, cuisine équipée dotée die ration active, broyage de déchets, armoires réfrigérantes, casiers de rangement, cuisinière électrique etc. Les proportions sont calculées grâce Modulor
– Sur les plans plastique et architectural : utilisation du béton armé de décoffrage, la polychromie qui définit les espaces remplace le ripolin blanc et hygiénique. La terrasse avec ses cheminées de ventilation et des collines artificielles est une constituent un ensemble de courbes.
Le modulor : « Le Modulor est une notion architecturale inventée par Le Corbusier en 1945. Silhouette humaine standardisée servant à
concevoir la structure et la taille des unités d'habitation dessinées par l'architecte, comme la Cité radieuse de Marseille, la Maison
Radieuse de Rezé ou l'Unité d'habitation de Firminy-‐Vert. Elle devait permettre, selon lui, un confort maximal dans les relations entre
l'homme et son espace vital. Ainsi, Le Corbusier pense créer un système plus adapté que le système métrique, car il est directement lié à la
morphologie humaine, et espère voir un jour le remplacement de ce dernier.
« Modulor » est un mot-‐valise composé sur « module » et « nombre d'or » car les proportions fixées par le modulor sont directement liées
au nombre d'or. Par exemple, le rapport entre la taille (1,83 m) et la hauteur moyenne du nombril (1,13 m) est égal à 1,619, soit le nombre
d'or à un millième près. La taille humaine standard d'1,83 mètre est basée sur l'observation de l'architecture traditionnelle européenne et
de l'utilisation des proportions de cette unité pour élaborer l'harmonie d'une architecture. » Source : wikipedia
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Le Modulor, sans lieu © FLC/ADAG c) Le Corbusier : analyses approfondies
Au campo Santo de Pise, Jeanneret a la révélation de ce qu’est, à l’échelle d’une composition monumentale d’une ampleur à surpasser, le « jeu savant, correct et magnifique de formes sous la lumière », et comment une seule oblique imprévue peut faire naître une tension dramatique intense de l’ordonnance la plus équilibrée. C’est à Pise que Le Corbusier pensera lorsque, 25 ans plus tard, il organisera son projet de palais des soviets sur le rapprochement de volumes fortement contrastés.
État actuel du Campo Santo
Source : http://affresco.canalblog.com/archives/2006/09/16/2689261.html
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Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Brogi,_Giacomo_%281822-‐1881%29_-‐_n._3393a_-‐_Pisa_-‐_Arcate_del_portico_del_Campo_Santo.jpg Quant au Parthénon, Jeanneret passe en 1911, à le contempler et à le conquérir, trois semaines qui furent, de son propre aveu, tourmentées de difficultés et d’échecs avant qu’il ne parvienne à reconnaître en lui – pour toujours – le chef-‐d’œuvre absolu de l’architecture « pure création de l’esprit ». C’est du Parthénon que Jeanneret apprit comment un édifice peut ordonner tout un paysage, comment les lois d’harmonie et les corrections optiques peuvent jouer pour magnifier la forme, et quelle leçon morale se dégage du fonctionnement implacable de la « machine à émouvoir » Au Parthénon il consacrera le dernier chapitre de son premier livre, Vers une architecture : « on a dressé sur l’acropole des temples qui sont une seule pensée et qui ont ramassé autour d’eux le paysage désolé et l’ont assujetti à la composition. Alors, de tous les bords de l’horizon, la pensée et unique. C’est pour cela qu’il n’existe pas d’autres œuvres de l’architecture qui ait cette ampleur. On peut parler « dorique » lorsque l’homme, par la hauteur de ses vues et par le sacrifice complet de l’accident, a atteint la région supérieure de l’esprit : l’austérité. »
http://www.goldennumber.net/parthenon-‐phi-‐golden-‐ratio/
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Reconstruction of the Acropolis of Athens from NW The entrance (Propylaia) to the Acropolis is at the bottom right. So the first side of the Parthenon to be seen is the West side, the rear side. Source : http://www.goddess-‐athena.org/Museum/Temples/Parthenon/Parthenon_NW_from_NW_rec.html Jeanneret et Ozenfant y souligne la valeur éthique dans leur manifeste des principes posés par les initiateurs du cubisme. En réduisant la forme à ces éléments géométriques, donc intelligible, en revalorisant la notion de composition, c’est-‐à-‐dire de construction, le cubisme a remis la peinture sur la voie de sa véritable vocation. Mais la méthode d’analyse qu’il a adoptée aboutit un émiettement de la forme auquel, malgré ses efforts, il n’a pu remédier. Chose plus grave encore à leurs yeux, le cubisme a manqué de rigueur dans l’application du principe constructif. Sous l’apparence de l’austérité, il permet toutes les facilités décoratives. Les temps nouveaux exigent un esprit d’exactitude dont le cubisme s’est relevé incapable.
L'Esprit nouveau est une revue d'architecture fondée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant en 1920. Elle paraîtra jusqu'à la démission
d'Ozenfant en 1925.
« Après le Cubisme, ils dirigent la revue L'Esprit nouveau, la grande revue internationale qui permet au Purismede jouer, à partir
de la scène parisienne, un rôle majeur entre 1920 et 1925 avec diverses contributions à la théorie de l'art. Les chapitres de Vers
une architecture, sont ainsi parus dans L'Esprit nouveau avant d'être édités en 1923. Le Corbusier et Ozenfant ont très
régulièrement publiés dans leur revue avec de nombreux autres collaborateurs, en recherchant une transdisciplinarité. »
Source : Wikipédia Ozenfant et Jeanneret furent parmi les premiers à souligner, Dans L’Esprit Nouveau, l’immense intérêt de la nouvelle sculpture de Lipchitz, Laurens, Archipenko, qui, au lieu de procéder par combinaison de masses, multipliaient les volumes négatifs, en creux, et pratiquaient même des ajours.
Jacques Lipchitz, La joie de vivre (1927), Musée d'Israël à Jérusalem
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Jeanneret en particulier en saisit d’emblée l’importance du point de vue du nouvel espace architectural. En 1936 encore, Le Corbusier relève qu’on n’a pas tiré de cette tentative toutes les conséquences qu’elle comportait (et qui ne devaient en effet être pleinement développées qu’après la deuxième guerre mondiale) : «… On a vu, à la suite de la révolte et révolution cubiste, des statuaires créer la « sculpture à ajours », parce qu’ils discernaient que celle-‐ci s’incorpore aurait plus multiplement encore au site, à tout le paysage, à toute la chambre. Ces lieux mathématiques sont l’intégral à même de l’architecture des temps nouveaux, dont la loi essentielle est d’être des organismes palpitants, exacts, efficaces, simples, harmonieux, à effluves lointains, à ondes irradiantes. On devine bien que l’aventure de cette statuaire est inédite et que encore du neuf en surgira. » (Page 38) il ne semblait pas, a priori, que le système cubiste de construction d’espace pu être appliqué à d’autres domaines que celui de la peinture. Le problème que s’étaient posés les cubistes n’est-‐il pas précisément celui de l’intégration totale des formes à trois dimensions de l’expérience sensible, à l’univers à deux dimensions de la toile ? Leur système de figuration de l’objet par projections partielles sur un jeu de plans superposés ne marquent-‐ils pas la tentative la plus radicale qui entreprise la peinture occidentale dans son effort pour réduire le volume à la surface ? Et pourtant, malgré l’orientation purement picturale de ces préoccupations, le cubisme apportait d’importantes suggestions pour l’organisation de l’espace architectural. En premier lieu, la représentation simultanée de l’objet sous plusieurs sangles impliquait une mobilité, tout au moins virtuelle, du spectateur invité désormais à abandonner le point de vue unique auquel le liait une tradition séculaire, et à se déplacer librement, ne fût-‐ce qu’en pensée autour de l’objet. Transposée au plan de l’espace praticable de l’architecture, cette mobilité permettait de rompre avec le système classique des ordonnances statiques, purement visuelles, composées en fonction des axes et des symétries, et de tenter de réintégrer dans l’architecture la totalité de l’expérience complexe du mouvement. Seul Frank Lloyd Wright a fait, jusqu’alors, mais en partant de prémisses tout différentes, conçu ainsi d’architecture en fonction des déplacements de l’occupant.
The American System-‐Built Homes, Burnham Street District, Milwaukee. NRHP, designed by Frank Lloyd Wright. Taken on April 24, 2009. The picture shows three of the four model F duplexes, with the model B1 bungalow (on the far right) undergoing renovation, and covered by plastic. Attribute to Kevin S. Hansen. Original uploader was Freekee at en.wikipedia CC-‐BY-‐SA-‐3.0. Sur Frank Lloyd Wright : http://www.orgone-‐design.com/blog/histoire-‐du-‐design/naissance-‐du-‐modernisme/frank-‐lloyd-‐wright-‐architecte/
La simplicité, c’est l’harmonie parfaite entre le beau, l’utile et le juste
BIOGRAPHIE FRANK LLOYD WRIGHT
Architecte de formation, Frank Lloyd Wright rejette le néo-‐académisme pour penser ses architectures suivant une orientation
"organique" des volumes. Ancien employé d'un des représentants de l'école de Chicago, il est licencié lorsque son patron découvre qu'il
consacre son temps libre à des travaux d'architecture. Quelques semaines plus tard, Frank Lloyd Wright signe son premier contrat. Son
style s'affirme dès 1897, en particulier dans la somptueuse demeure qu'il construit à Oak Park, puis dans la série des Prairie House. Ces
réalisations démontrent ses qualités de constructeur. Les nouveaux modes de vie et les nouveaux matériaux inspirent ses recherches : il
s'attache à intégrer harmonieusement les bâtiments dans le paysage, s'emploie à régler les problèmes relatifs à l'éclairage et à la
ventilation en apportant des solutions nouvelles. Considérant les pièces d'un bâtiment comme des organes autonomes constituant un
corps cohérent, l'architecte pousse l'analogie jusqu'à prétendre qu'une construction doit représenter la croissance d'un être vivant. En
1909, il quitte femme et enfants pour s'installer en Europe. Il y fréquente des architectes avant-‐gardistes. Malgré les controverses, il
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prouve une fois encore sa maîtrise en édifiant l'audacieuse Kaufmann House, à Bear Run en Pennsylvanie. On lui doit également le
célèbre bâtiment du Guggenheim Museum de New York, belle étude en forme de spirale d'escargot, contenue dans une structure
presque ronde. Associant de nouvelles formes et de nouveaux matériaux, Frank Lloyd Wright a, à sa manière, révolutionné le monde de
l'architecture. http://www.evene.fr/celebre/biographie/frank-‐lloyd-‐wright-‐2885.php
En multipliant, pour acquérir de l’objet une connaissance plus complète, les vues qu’il en prend, le cubisme en relativise d’autre part l’apparence. La superposition d’images non concordantes, discontinues, fait perdre à l’objet son opacité, sa densité, le rend à la fois transparent et perméable au milieu qui l’entoure et avec lequel il entretient désormais un jeu de relations instables et mouvantes. On a depuis longtemps relevé que cet éclatement de l’enveloppe jusqu’alors impénétrable des choses, cette réduction de l’objet à un schème transparent, cette compénétration du dedans et du dehors correspondent très exactement à l’expérience de l’espace que des constructions modernes proposaient alors depuis plusieurs dizaines d’années déjà. Aux masses compactes, aux volumes stables de la maçonnerie traditionnelle, elle avait en effet substitué des structures linéaires dans lesquelles est pratiquement réalisée la compénétration de l’intérieur et de l’extérieur. Enfin, en réduisant la complexité des formes de l’expérience sensible à un nombre restreint d’éléments géométriques, le cubisme avait facilité l’assimilation du langage formel, dépouillé de tout détail accidentel, spécifique de cette construction. Entre néoplasticisme et suprématisme d’une part, constructivisme de l’autre la position de Le Corbusier dans le débat est originale et – malgré une diction péremptoire – très nuancée. Avec Mondrian et Malevitch, comme aussi avec Gleizes et Juan Gris, il partage en effet l’exigence de rigueur dans l’organisation de l’espace, le souci de ne retenir, au-‐delà de l’accidentel, que le mathématique, et affirme la vocation purement spirituelle de l’art : « la peinture moderne à quitter le mur, la tapisserie ou l’urne décorative et elle se renferme dans un cadre…, éloignée de la figuration qui distrait, elle se prête à la méditation. L’art ne raconte plus des histoires, il fait méditer. »
Juan Gris, Vue sur la baie, 1921, huile sur toile, 65X100 cm, Muée national d’art moderne de Paris Source : Mais, si Le http://www.the-‐athenaeum.org/art/detail.php?ID=7845 Le Corbusier a eu apparemment de bons rapports avec Mondrian et surtout van Doesburg. La maison atelier de van Doesburg :
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Theo van Doesburg. Vue de derrière de La Maison Van Doesburg, 29 rue Charles Infroit, Meudon-‐Val-‐Fleury. 1930. Photo. The Netherlands Institute for Cultural Heritage (inv.nr. AB5388). D’Apollinaire à Maïakovski, de Léger à Marcel Duchamp, de Le Corbusier à Moholy-‐Nagy, de Gropius à Max Ernst, voire à Paul Klee (Die Zwitschermaschine) (la machine à gazouiller), l’accord se fait de façon quasi unanime, parmi les avant-‐gardes européennes, sur le fait que l’art ne peut désormais négliger ni exclure la réalité omniprésente de la machine et du mouvement mécanique dans le monde moderne.
Paul Klee, La Machine à gazouiller 1922, 41 X 30,6 cm, du Museum of Modern Art, New York http://www.waggish.org/2010/paul-‐klee-‐twittering-‐machine/ Pour Le Corbusier, la machine reste essentiellement leçon de méthode et productrice de nouveaux « standard » : le « lyrisme des temps nouveaux » n’a rien à voir avec le romantisme mécanicien : «… On a fait de la machine un dieu nouveau, alors qu’il convient de n’y voir qu’un produit fatal de l’activité humaine réalisant son outillage. Nous l’avons montré : c’est un produit obéissant plus exactement aux lois de la nature que ne le faisaient ceux créés par l’artisan… » Dans une série d’articles de L’Esprit Nouveau, dans lesquels il déclare l’architecture « pure création de l’esprit », Le Corbusier exalte en termes lyriques la moralité, la santé, la joie des ingénieurs. « Machine à voler », l’avion lui fournit l’exemple d’un « problème bien posé », c’est-‐à-‐dire posé en termes radicalement neufs, ainsi qu’il voudrait voir poser le problème de la maison, « machine à habiter ». Il confronte des images des Loges de Bramante et d’usines américaines, du Parthénon et d’automobiles de sport. Mais, si provoquant que veuillent être ces rapprochements, il ne s’agit pas pour Le Corbusier, dans l’esprit du futurisme, d’accuser l’opposition des
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formes (« ceci tuera cela »), mais d’affirmer la continuité d’un esprit qui a déserté l’architecture et qu’assume aujourd’hui l’art de l’ingénieur. À propos des formes nouvelles créées par la machine (il s’agit en l’occurrence de la cabine d’un des premiers avions de transport de passagers), il note que « ceci n’est pas une grammaire de formes, mais simplement, dans un autre domaine que celui de l’architecture, un état de concordance harmonieuse entre la nature et la création humaine ». Remarque qui permet de mieux comprendre la phrase célèbre de Vers une Architecture : « L’architecture est dans l’appareil téléphonique et dans le Parthénon, comme elle serait à l’aise dans nos maisons ! » Le Parthénon et l’appareil téléphonique ne sont ni antinomiques, ni interchangeables ; ils sont, comme références de la recherche qui doit mener « vers une architecture », complémentaires. Les problèmes spécifiques de l’architecture, que l’exemple du mode de pensée des ingénieurs doit permettre de formuler en termes conformes aux exigences de l’esprit nouveau, se posent au-‐delà de la construction. Pas plus qu’il ne rejette en bloc, avec les futuristes, l’héritage du passé, Le Corbusier n’assimile, avec un certain rationalisme, l’architecture à la construction. Après avoir donné les ingénieurs en exemple, il prend brutalement ses distances par rapport à eux : « l’art n’a que faire de ressembler à une machine… » S’il retient l’analogie machiniste à laquelle, par le mot et par l’image, il donnera une énorme diffusion – et cette attitude sera toujours la source de malentendus sans nombre – il maintient, face aux exigences de la raison qui gère seule la construction, les droits de la « passion » dont naît l’architecture, « pure création de l’esprit ». MACHINES À HABITER « Je dis, en raccourci, ceci : il nous faut un bel espace pour vivre à la pleine lumière, pour que notre « animal » puisse ne pas se sentir en cage, qu’il puisse remuer, avoir de l’espace autour de lui, devant lui… » TECHNIQUE LIBÉRATRICE Plus encore que l’exemple de l’immeuble 25 bis, rue Franklin, dans lequel l’agence Perret était installée lors du séjour qui lui fit en 1908,
Immeuble d’habitation, 25 bis, rue Franklin, Paris 16e (1903). Façade sur la rue Franklin. Cliché anonyme. Il semble que ce soit celui de constructions purement industrielles qui ait suggérée à Le Corbusier le principe du système « Dom-‐ino » de 1914, dont il fait symboliquement dater le début de sa recherche architecturale. Dans l’industrie en effet, l’ossature de béton armé avait commencé dès avant la première guerre à concurrencer sérieusement la charpente métallique. Toutefois, étendre l’emploi de ce système à la construction de maisons individuelles (le système « Dom-‐ino » et conçu en vue d’une reconstruction rapide de la Flandre envahie) ne pouvait se justifier économiquement que dans la perspective d’une production en très grande série, d’une préfabrication vraiment industrielle des éléments. Aussi est-‐ce bien un système de préfabrication que Le Corbusier propose, tant des éléments d’ossature que des éléments d’équipement. Certes, l’idée de préfabrication était depuis plusieurs années dans l’air, en Allemagne comme en France, où Le Cœur, Sauvage, et surtout Perret avaient poussé très loin l’étude de procédés de constructions dits « universels ». Mais on avait
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envisagé jusque-‐là la préfabrication, et on ne l’envisagera longtemps encore, que comme un procédé permettant d’abaisser le coût de la construction ; Le Corbusier, au contraire, en tirent d’emblée des conséquences architecturales et sociales, voire urbanistiques, d’une vaste portée. La première est paradoxale : pour lui, en effet, l’industrialisation du bâtiment doit permettre de faire participer activement les futurs usagers, non seulement à la conception, mais aussi à la construction de leur maison. Le recours aux méthodes modernes d’organisation de la production n’a en effet rien à voir pour lui avec le perfectionnisme technologique. La technique n’a de valeur que dans la mesure où, loin d’imposer à l’homme de nouvelles servitudes de le condamner à la passivité, elle favorise ces initiatives et se fait libératrice. La libération de l’initiative individuelle est, dans le système « Dom-‐ino », rendue possible par la rupture du lien millénaire existant entre construction et architecture. Le système poteau –dalle assure en effet l’indépendance de l’architecture par rapport à la structure ; les cloisons intérieures, non porteuses, ne doivent plus nécessairement être superposées d’étage à l’étage, mais peuvent être disposées à volonté. L’éternel conflit du mur et de la fenêtre est lui aussi résolu. Mais autant que sur cette liberté, c’est sur l’unité, sur la « certitude architecturale » créée par le système, qu’insiste Le Corbusier : « malgré l’individualisme des initiatives, le procédé technique lui-‐même apportait une unité fondamentale et assurée au village ainsi reconstruit une certitude architecturale… » Cette certitude, cette unité, il les envisage sous deux aspects : d’une part, le même procédé de construction est applicable à tous les types de maisons, luxueuses ou non, et leur assure la même liberté fondamentale ; d’autre part, il fournit une base solide pour traiter le problème des groupements, des ordonnances urbaines : « l’unité des éléments constructifs est une garantie de beauté, la diversité architecturale est fournie par le lotissement qui conduit aux grandes ordonnances, aux véritables rythmes de l’architecture. » Loin d’éliminer l’architecture, l’industrialisation du bâtiment fournit à celle-‐ci l’instrument dont elle a besoin pour qu’elle puisse se consacrer entièrement à sa véritable vocation : la satisfaction des besoins de l’usager, l’ordonnance des groupements urbains. « L’avion nous montre qu’un problème bien posé trouve sa solution. Désirer voler comme un oiseau, c’était mal poser le problème, et la chauve-‐souris d’Ader n’a pas quitté le sol. Inventer une machine à voler sans souvenirs accordés à quoi que ce soit d’étranger à la pure mécanique, c’est-‐à-‐dire rechercher un plan sustentateur et une propulsion, c’était bien poser le problème : en moins de dix ans tout le monde pouvait voler » (Vers une architecture, p. 89) « Machine à habiter » : lancée en 1921 dans l’Esprit Nouveau, la formule prenait brutalement le contre-‐pied des clichés sentimentaux concernant la « maison, symbole de l’immobilité, maison natale, berceau de famille », et provoqua le scandale que l’on sait. Le scandale était que, tel l’avion, la maison fut traitée comme un problème entièrement neuf, fut réinventée en fonction des seules données d’une civilisation que la plus grande partie de l’opinion refusait encore de reconnaître : possibilités techniques, d’une part, tels que les offre la construction de béton armé ; impératifs économiques, de l’autre, car l’espace est devenu denrée rare et coûteuse. « Il faut agir contre l’ancienne maison qui mésusait de l’espace… Le prix du bâtiment ayant quadruplé, il faut réduire de moitié les anciennes prétentions architecturales et de moitié au moins le cube des maisons… Une maison comme une auto, conçue et agencée comme un omnibus ou une cabine de navires… Les wagons, les limousines nous ont prouvé… Que l’on peut calculer la place au centimètre cube. » On notera que, systématiquement, les références sont données à des machines mobiles, jamais à des précédents architecturaux. Ce qui ne s’agit pas tant de rectifier les dimensions et de revoir les dispositions des locaux en fonction des besoins réels de l’homme d’aujourd’hui, que d’adopter, en face du problème de la maison, un « esprit nouveau ». Des maisons transportables, produites en série par le constructeur d’avion Gabriel Voisin, Le Corbusier écrit que pour habiter de telles maisons, « il faut avoir l’esprit d’un sage et être animé d’un esprit nouveau ». Et, à propos de ses propres maisons de Weissenhof, il notera encore que : « à cette manifestation s’attache une attitude morale, aussi les protestations furent-‐elles innombrables et violentes. » Dans l’atelier de Perret, au rez-‐de-‐chaussée entièrement vitré de la rue Franklin, Le Corbusier avait pu observer que l’emploi de l’ossature de béton armé permettait de relever au-‐dessus du niveau du sol le centre de gravité optique d’un bâtiment de plusieurs étages. La Cité Industrielle de Tony Garnier, d’autre part, l’avait fait rêver d’une libération totale du sol, permettant aux piétons de circuler à travers toute la ville à l’écart des rues.
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http://www.aria.archi.fr/index.php/productions/la-‐cite-‐industrielle/ On a surtout retenu des pilotis que, en détachant nettement la maison du sol, ils permettent de faire l’économie des fouilles et de disposer de façon plus salubre les locaux d’habitation. En réalité, les pilotis – en créant de zones superposées, continues : au sol la circulation, qui n’est plus désormais canalisée par l’alignement des maisons, et, dans les niveaux supérieurs, l’habitat – pose le principe d’une redistribution dans les trois dimensions de l’espace architectural et de l’espace urbain. La « machine à habiter » s’affirme ainsi d’emblée comme une machine à faire circuler, voire, pour employer une expression dont Le Corbusier se servira plus tard, comme « instrument de rénovation urbaine ». À l’opposition traditionnelle du « devant » (façade), battu par la circulation, et du « derrière », resserré dans l’étroitesse d’une cour, elle substituait en effet, avec la division en un « au-‐dessous » et un « au-‐dessus », une claire distinction entre les deux fonctions majeures de la cité : l’habitat et les échanges. « Le plan est retourné, on fuit la rue, on va vers la lumière. » Ce retournement du plan ne serait pas complet si, détachée du sol, la maison n’était pas en même temps libérée de la pesée qu’exerce sur elle la lourde charge du toit ; le système ossature et dalles de béton armé offrent précisément, avec le toit -‐terrasse, la possibilité de reconquérir « l’espace le plus précieux, l’espace sous le soleil ». Justifier tout d’abord, à la maison Schwob (http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=5496&sysLanguage=fr-‐fr&itemPos=74&itemSort=fr-‐fr_sort_string1%20&itemCount=78&sysParentName=&sysParentId=64 ), par des raisons pratiques : l’écoulement vers l’intérieur des eaux de pluie et de fonte, le toit – terrasse devient, dès 1922, praticable ; il offre, au plus loin de la circulation, le lieu idéal des jeux, de la détente et de la méditation ; traiter en toit – jardin, il permet de réintroduire, avec le soleil, la nature entière dans la vie quotidienne du citadin . Dégagée de l’étau sol – toit, la machine à habiter peut donc être placée librement dans l’espace. Autant que le gain brut d’espace (espace au sol plus espace au toit), l’indépendance acquise par rapport à la rue est pour Le Corbusier une conquête essentielle. Elle permet en effet de redéfinir les rapports de la cellule avec le milieu extérieur, l’architecture se prolonge naturellement en urbanisme, et en un urbanisme, comme on la plaît depuis, à trois dimensions. Mais la « technique libératrice » fournit encore d’autres dispositifs qui permettent, eux, d’assurer la libre organisation de l’espace intérieur, de faire de l’urbanisme au sein même de l’architecture. Le Corbusier n’a pas découvert du premier coup toutes les possibilités offertes par le plan libre ; elles ne se sont révélées à lui que progressivement, au fur et à mesure des découvertes que suscite, à partir de 1922, l’expérience concrète des maisons qu’il construit. Dans une première phase (système « Dom-‐ino », maison Schwob), le remplacement des murs portants par des poteaux formant appui ponctuel n’est encore envisagé que sous l’angle de l’économie. Les poteaux restent inclus dans les cloisons désormais non porteuses, réalisées en matériaux bon marché. Dans une deuxième étape « les poteaux ont quitté les angles et sont demeurés tranquillement au milieu des pièces ». Ensuite « les canaux de fumée ont quitté les murs ». La recherche s’achemine vers une redistribution libre de tous les « organes » de la machine, en vue d’une amélioration de leur rendement. L’exploration des possibilités du plan libre est achevée lorsque « les escaliers sont devenus des organes libres… Partout les organes se sont caractérisés, sont devenus libres les uns à l’égard des autres… Les locaux, les salles, les chambres ? On les disposera à volonté, suivant les contiguïtés utiles, suivant une organisation propre ». Deux organes en particulier se détacheront des murs et surtout des façades :
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les escaliers, auxquels s’ajoutent les plans inclinés, et les sanitaires ; ils viennent se placer là où ils sont le plus utiles et sont traités en objets plastiques indépendants. Dans cette exploration méthodique, à la fois inspirée et circonspecte, du plan libre, considérations économiques et motivations plastiques se conjuguent avec la volonté de définir un cadre de vie quotidienne conforme à l’esprit nouveau. La même référence mécanicienne qui dicte toute la conception de la machine à habiter suggère le principe d’une approche nouvelle de l’espace à trois dimensions. « Un jour, nous avons remarqué que la maison pouvait être comme l’auto, une enveloppe simple, contenant à l’état de liberté des organes multiples » (lettre à Madame Meyer, 1925). Nous sommes ici aussi loin de Perret et de Frank Lloyd Wright, les deux initiateurs du plan libre, que des constructivistes russes. Rien, dans le contrepoint que Le Corbusier esquisse de l’ « enveloppe » et des « organes », nous rappelle le rationalisme étroit d’Auguste Perret, dont l’ambition d’aller guère au-‐delà de « donner ses lettres de noblesse » au béton armé ; ni le romantisme archaïque d’un Wright, pour lequel la libre expansion du plan manifeste la liberté de l’individu, maître du sol dont il a pris possession ; ni le mimétisme mécanicien des Russes, aussi littéral que l’était celui, naturaliste, de l’Art Nouveau. Frank Lloyd Wright, au Larkin Building, aux Midway Gardens et dans plusieurs de ces grandes maisons individuelles, J. Hoffmann au Palais Stoclet à Bruxelles, avaient, dès avant la guerre, joué en virtuose des différences de hauteur sous plafond, et fait un grand vide central, sur lequel ouvrent des loggias, le motif dominant d’ordonnances architecturales très libres. De son côté, Perret, dès le garage Ponthieu et, de façon plus spectaculaire encore, au théâtre des Champs-‐Élysées, avait tiré de l’ossature de béton armé un parti analogue, étageant librement les niveaux dans l’espace. Le Corbusier s’était inspiré de ces exemples dans la maison Schwob. Cependant dans celle-‐ci, comme dans les maisons de Wright et de Hoffmann, la composition reste à dominante horizontale, le volume à double hauteur formant seulement contraste avec d’autres volumes de hauteur simple, disposés alentour. Dans les « machines à habiter » des années 20 à 30, c’est le séjour à double hauteur, dans lequel « l’animal humain peut s’ébrouer à l’aise », qui donne la véritable mesure de la cellule. De la Villa Savoye, Le Corbusier écrira que « elle n’est pas une composition de cellules isolées, mais un volume unique divisé en deux par un plancher » : chambres et locaux de services, dont les dimensions, à l’exemple des wagons-‐lits ou des paquebots, ont été ramenés au minimum rationnel, ils sont introduits en tant qu’ »organes » intégrés. L’ossature de béton armé permet ainsi de faire déboucher le plan libre sur une prise de possession complète des trois dimensions de l’espace. Elle permet aussi d’agencer librement l’enveloppe à l’intérieur de laquelle vient de se placer des organes : en même temps que le plan libre, elle donne en effet la façade libre. Surface de contact entre le volume intérieur et l’espace extérieur, écran percé d’ouvertures pour le passage de la lumière, la façade, déchargée de toute fonction porteuse, peut désormais être traitée exclusivement en vue de son double rôle spécifique de membrane protectrice et d’enveloppe. Les organes dont elle est faite, parois et fenêtres, se disposent eux aussi en liberté ; la fenêtre peut jouer pleinement le rôle qui lui revient dans la modulation de l’espace intérieur par la lumière. L’emploi des « tracé régulateur » permet d’autre part de donner à la répartition des ouvertures un équilibre dynamique aussi rigoureux que celui qui détermine la composition des toiles de Mondrian.
Tableau No. I, 1921/1925 huile sur toile, 75,5 x 65,5 cm Photo: Robert Bayer, Basel
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A simplement passer en revue les cinq points de l’architecture nouvelle : pilotis, toit-‐terrasse, plan libre, facettes libres, fenêtres en bandeau, on a le sentiment que Le Corbusier ne fait que combiner et développer de façon systématique des dispositions éparses chez ses devanciers. Les pilotis ne dérivent-‐ils pas directement de l’ossature Perret, le plan libre ne se trouvent-‐ils pas bien avant la première guerre chez Wright, le mur lisse chez Loos, le toit – terrasse chez Tony Garnier, la fenêtre en bandeau chez Loos et chez les hollandais ? Le séjour à double hauteur avec loggia n’était-‐il pas courant à Paris, dans les ateliers d’artistes, dès le second empire ? Ils sautent cependant aux yeux que de ces dispositions Le Corbusier fait tout autre chose que la somme ou même la synthèse. Chacune d’entre elle est repensée en tant qu’organe d’une machine conçue d’emblée comme une unité à la fois fonctionnelle et spatiale. À la méthode additive, procédant par composition plus ou moins libre de volumes déterminés dans une large mesure par des contraintes structurales, Le Corbusier substitue une approche diamétralement opposée, qui ne veut connaître qu’une enveloppe indépendante du sol et contenant des organes libres, définis en vertu des seules exigences de l’organisation et de la plastique. Or, penser ainsi l’édifice, non plus en termes de composition, mais comme un organisme ou comme une machine, équivalait à rompre avec toutes les habitudes, introduire dans la pensée architecturale des notions nouvelles, voire scandaleuse, comme celle d’apesanteur et de mobilité. Il semblait, de plus, y avoir contradiction dans l’équilibre que Le Corbusier prétendait établir entre l’expansion des organes créant librement leur espace et la rigueur de l’unité spatiale définie par l’enveloppe. Dans une petite phrase de Vers une architecture qu’on trouve l’indication décisive : « l’œil du spectateur se promène dans un site… » et voit, en se mouvant, naître l’architecture. Le plan n’est pas une donnée abstraite, mais le schéma d’organisation d’une expérience vite visuelle vécue dans le mouvement et se déroulant dans la durée, le scénario d’une « promenade architecturale ». De la maison La Roche, Le Corbusier dit : « On entre. Le spectacle architectural s’offre de suite au regard. On suit un itinéraire et des perspectives se développent avec une grande variété. On joue avec l’afflux de la lumière éclairant les murs ou créant des pénombres. Les baies ouvrent des perspectives sur l’extérieur où (par suite de la disposition en retour d’équerre de la maison et des redents formés par l’enveloppe) on retrouve l’unité architecturale. » D’abord donc, le mouvement et puis, aussitôt, la lumière, que réfléchissent les murs ou absorbent les vides modulant l’espace. Lumière et mouvement sont les moyens par lesquels l’édifice « dit ce qu’il a à dire ». C’est parce qu’il ne voit pas dans le mur un obstacle à la lumière, mais un réflecteur de lumière, que Le Corbusier écrit dans Vers une architecture cette phrase à première vue singulière : « ayez le respect du mur. Le pompéien ne troue pas ses murs ; il a la dévotion des murs, l’amour de la lumière. » La couleur prolonge, parfois même corrige l’action de la lumière : « les premiers essais de polychromie (à la maison La Roche), basés sur les réactions spécifiques des couleurs, permettent le camouflage architectural, c’est-‐à-‐dire l’affirmation de certains volumes ou au contraire leur effacement. » Cette polychromie ne se justifie au reste que par le blanc ; la couleur ne doit jamais brouiller les formes, ni les situations : « l’intérieur de la maison doit être blanc, mais, pour que le blanc soit appréciable, il faut la présence d’une polychromie bien réglée. » À Pessac Le Corbusier l’étend à l’extérieur pour « supprimer les volumes (poids) et amplifier le développement des surfaces (extension) » ; le principe est toujours de « considérer la couleur comme apporteuse d’espace »
Quartiers Modernes Frugès, Pessac Photo : Paul Koslowski 1995 © FLC/ADAGP
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Cette interprétation dynamique, rythmique, du plan libre, cet emploi non plus décoratif, mais constructif de la couleur, présentent d’évidentes affinités avec d’autres expériences contemporaines. Si le primat que Le Corbusier donnait la lumière, ou plus exactement au jeu des lumières réfléchies sur des surfaces lisses, suffit pour le situer très loin de Frank Lloyd Wright, le souci d’assurer, d’une part, un enchaînement souple des situations spatiales successives et, d’autre part, de supprimer les volumes pour amplifier le développement de l’espace, se manifeste à divers degrés chez tous les représentants du mouvement moderne des années 20, sans susciter toutefois chez aucun d’eux, si ce n’est chez Mies van der Rohe, un lyrisme d’une intensité comparable. Quant à la polychromie architecturale, elle avait été étudiée par De Stijl dès 1917.
Mies, The Farnsworth House Le Corbusier avait eu, sans doute, connaissance des 1900 faire des recherches hollandaises par van Doesburg-‐ en tout cas, au plus tard en 1923, lors de l’exposition de projets d’architecture néoplasticiste à la galerie Rosenberg.
http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-‐64b0c353c06f6b17bbe0879a57a724a¶m.idSource=FR_P-‐64b0c353c06f6b17bbe0879a57a724a
En 1958, Mies construit ce qui est considéré comme l'ultime expression de l'« International Style » en architecture : le Seagram Building à New York. C'est une large réalisation en verre, à laquelle Mies a adjoint une grande place, avec une fontaine en face de la structure, créant un espace ouvert sur la Park Avenue.
Theo Van Doesburg (1883 -‐ 1931)
L'Aubette : projet de composition pour le plafond du café-‐ brasserie 1927
Gouache et encre de Chine sur carton mis au carreau à la mine graphite
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Toutefois, si l’on doit admettre que c’est l’exemple de De Stijl, qui a provoqué la cristallisation d’observations faites dès le voyage d’Orient de 1910, c’est bien de l’expérience spécifique du purisme que dérive la polychromie de la maison Laroche ou de Pessac. Non seulement elle en garde le chromatisme assourdi, mais également le souci de préserver, malgré l’accusation de la surface, la densité, la réalité physique des éléments de la composition ; souci qui fera toujours refuser par Le Corbusier l’abstraction en peinture. Le contrepoint qui s’établit, dès les premières maisons puristes, entre des écrans plats ou incurvés s’articulant librement les uns aux autres, et des objets plastiques fortement individualisés, et du reste ce qui caractérise le plus nettement l’espace architectural de Le Corbusier par rapport à celui de Mies van der Rohe. Au pavillon allemand de l’exposition de Barcelone (http://archive.chez.com/musee/pavillon.htm), par exemple, seules des écrans disposés librement interviennent pour marquer les temps essentiels du déroulement de la promenade architecturale, plus fluide encore, mais moins animé, moins riches d’inventions et de surprises qu’à la Villa Savoye. Cette promenade, d’autre part, ne se développe chez Mies que sur un seul niveau et ne débouche pas sur cette prise de possession totale de l’espace à trois dimensions qui caractérisent les projets de Le Corbusier, des plus simples plus complexes. Cependant, si originale que soi, chez Le Corbusier, la manifestation plastique de l’intention motrice, elle compte moins en définitive, pour l’intelligence de sa démarche, que sa volonté tenace et passionnée de discipliner cette richesse, de classer avec clarté et simplicité les « événements architecturaux » qui surgissent à chaque instant de la promenade, d’en ramener la complexité à une unité qui fasse de la maison, elle-‐même simple événement architecturale dans un site toujours infiniment complexe (« le dehors est toujours un dedans »), un facteur d’ordre et de sérénité. Dans la lettre déjà cité à Madame Meyer, Le Corbusier exprime avec force cette volonté classique d’unité : « nous avons rêvé de vous faire une maison qui fût lisse et unie comme un coffre de belle proportion et qui ne fût pas offensée d’accidents multiples, qui créent un pittoresque artificiel illusoire, qui sonnent mal sous la lumière et ne font qu’ajouter au tumulte d’alentour… Ne croyez pas que le lisse soit l’effet de la paresse, il est au contraire le résultat de plans longuement mûris, le simple n’est pas le facile… À vrai dire, c’est là la plus grande difficulté de l’architecture, faire rentrer dans le rang. » Mais : « nous pensons que l’unité est plus forte que les parties. » Le fameux dessin des quatre compositions et le commentaire lapidaire qui l’accompagne retrace les principales péripéties de cette lutte pour la maîtrise de l’unité. Pour Le Corbusier, la maison, cellule d’habitat individuel, doit toujours rester virtuellement combinables ; elle doit être capable de s’intégrer un groupement plus complexe, dans lequel elle se trouvera sur un pied d’égalité avec d’autres. Dans ce sens encore, la « machine à habiter » reste « produits de série ». « Nous irons chercher les peintres pour faire sauter les murs qui nous gênent, dit Le Corbusier. La polychromie architecturale… S’empare du mur entier le qualifie avec la puissance du sang, où la fraîcheur de la prairie, où l’éclat du soleil, ou la profondeur du ciel et de la mer. Quelles forces disponibles ! C’est de la dynamique comme je pourrais écrire : de la dynamite, tout aussi bien, avec mon peintre introduit dans la maison. Si tel mur est bleu, il fuit ; s’il est rouge, il tient le plan, ou brun ; je peux le peindre noir, ou jaune… La polychromie architecturale ne tue pas les murs, mais elle peut les déplacer en profondeur et les classer en importance. Avec habileté, l’architecte a devant lui des ressources d’une santé, d’une puissance totales. La polychromie appartient à la grande architecture vivante de toujours et de demain. Le papier peint un permis d’y voir clair, de répudier ces jeux malhonnêtes et d’offrir toute porte aux grands éclats de la polychromie, dispensatrice d’espace, classificatrice des choses essentielles et des choses accessoires. La polychromie, aussi puissant moyen de l’architecture que le plan et la coupe. Mieux que cela : la polychromie, élément même du plan et de la coupe. » Source : Maurice Besset, Le Corbusier, SKIRA , 1987 2) Un contemporain d’Alexandre Périgot, dont le travail a été présenté, lui aussi, à Marseille, et en référence à la Cité radieuse: ESHEL MEIR dit ABSALON (décédé en 1993)2 Absalon Eshel Meir, dit (1964, Tel Aviv -‐ 1993, Paris) Artiste israëlien. Trop tôt interrompue par une mort précoce, l’œuvre d’Absalon s’avère identifiable par ses récurrences : la tridimensionnalité, de rares formes élues (maquette d’architecture, cellule d’habitat), un blanc mat
2 Je tiens particulièrement à remercier Elfi Exertier qui, tout à sa finesse et à sa culture, m’a communiqué ces références et indiqué des pistes de réflexion.
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omniprésent, une obsession du contenant, du rangement et de l’organisation. Cette simplicité lexicale, en dépit de son apparence minimaliste, ne vise pas la pureté formaliste. Toujours évocatrice de lieux de vie ou d’objets liés au quotidien, chaque œuvre est une méditation inspirée sur la présence du corps au monde. Lors de l’exposition Compartiments (Nice, 1989), les objets mis en dépôt dans le sous-‐sol de la Villa Arson sont simplement reclassés en fonction de leur forme puis, recouverts de plâtre blanc, laissés tels dans un lieu qui acquiert pour le spectateur une aura inattendue. La recherche d’Absalon porte, plus que sur toute autre, sur la question de l’habitat, signe de l’organisation sociale en même temps que cadre privilégié de l’intimité. Rappelant les architectones de Malevitch, cet urbanisme symbolique, débarrassé de la convention d’usage, s’élève au rang d’une métaphysique de l’espace -‐ beaucoup plus en somme qu’une simple rêverie sur l’architecture. (Source Dictionnaire de l’art moderne et contemporain, Éd. Hazan, 1992)
Kazimir Severinovitch Malevitch1923-‐1927 [?]. Plâtre, 61 éléments originaux, 53 éléments reconstitués
Cellule n° 3, Absalon, 1992, Musée d’art moderne de Saint-‐Etienne-‐Métropole
http://www.marseilleexpos.com/?p=17438 ABSALON – HABITER LA CONTRAINTE
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Du 17/05/2013 au 20/09/2013 | Cellule 516
copyright (c) FLC -‐ Crédit photo : Caroline Pelletti
Par sa manière de se saisir de l’habitat et des questions inhérentes à la notion « d’habiter » un espace, une temporalité, une vie, pour en faire œuvre, Absalon a embrassé toutes les problématiques que la cellule516 souhaite mettre au travail. Cette première édition entame un cycle de réflexion sur le lien entre l’œuvre d’art contemporaine et son contexte –quand celui-‐ci n’est pas un white cube – et sur les modalités par lesquelles l’œuvre d’art impacte la vie quotidienne, les déplacements et habitudes corporelles au sein du logis, les pensées et les vécus subjectifs de ses résidents.
Nous vous invitons à venir vivre « 45 minutes en 516″₺, et à participer vous aussi à cette expérience unique !
VISITER LA CELLULE 516
45 minutes en 516
Du lundi au vendredi, de 10h à 17H, des visiteurs, par groupes de 8 personnes maximum, deviennent résidents de la cellule516 pendant 45 minutes. Ils peuvent cheminer librement à travers les œuvres et profiter d’une cellule d’habitation conçue par Le Corbusier en hôtes privilégiés : bouquiner sur un lit de repos Jean Prouvé, méditer sur une LC4, se faire un thé, prendre un repas face à la mer…
ABSALON – HABITER LA CONTRAINTE
Commissariat : Audrey Koulinsky
En 1993, à l’occasion d’une conférence donnée devant les étudiants de l’École des Beaux Arts de Paris, Absalon, artiste franco-‐israélien, explique qu’ « il ne peut exister de vie sans structure »1, c’est-‐à-‐dire sans contrainte. Échapper aux règles imposées par l’extérieur, par la culture et les standards sociaux, requiert alors de créer de nouvelles règles, de choisir de nouvelles contraintes, d’inventer un espace propre à soi et de lui donner un ordre.
Ce rapport entre contenant et contenu, il va le manipuler physiquement, le faire varier, en jouer, notamment dans des œuvres qu’il nomme Ordre (1988), Disposition (1988), Cellules (1988, 1991), Compartiments (1991). Avec un vocabulaire sculptural délibérément limité, il va chercher les différentes modalités d’occupation de volumes abstraits, qui peu à peu vont prendre la forme d’habitacles. Ces propositions d’occupation vont être déclinées en propositions d’habitation, et vont servir de matrices pour la réalisation d’espaces potentiellement vivables.
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Et puisque le logement figure au rang des premières sources de conditionnement de nos modes de vie, Absalon va faire du projet de se le réapproprier, un acte de refus du conformisme, et le plus court chemin vers « un ailleurs, quelque chose de plus fort et de plus intense »1 qui aurait à voir avec la joie de l’homme libre, celle des interstices, celle des « lucioles en survivance »2.
Ce projet, qu’Absalon présente aux étudiants des Beaux Arts de Paris en 1993, il l’a intitulé « Cellules » : il s’agit de six habitations de 9m2, totalement blanches, à l’architecture et aux aménagements intérieurs minimalistes, inspirés du Bauhaus et du modernisme. Conçues pour lui-‐même – et pour lui seul, telles des peaux « cousues à [ses] dimensions »1 – il projette de les implanter dans six villes du monde (Paris, Francfort, New-‐York, Tel-‐Aviv, Zurich et Tokyo), comme autant de dispositifs de résistance aux formatages socio-‐culturels, autant de « virus dans la ville »1.
Cinq des cellules ne sont alors qu’à l’état de prototypes, simples emboîtements de formes géométriques dont la valeur d’usage semble secondaire mais dans lesquelles, en dépit des apparences, chaque espace est alloué à une fonction de la vie quotidienne. La cellule numéro 1, prévue pour être positionnée dans le 13e arrondissement de Paris, est quant à elle d’ores et déjà habitable. Mobilier et équipements d’intérieur ont été intégrés et sont prêts à l’emploi. L’expérience va pouvoir avoir lieu. Le décès prématuré de l’artiste, cette même année, à l’âge de 29 ans, ne lui permettra pas de mener à bien ce projet.
Bien qu’inachevé, ce projet d’habitat singulier constitue indubitablement la clef de voûte de l’œuvre d’Absalon, où art et vie s’entremêlent jusqu’à l’indistinction, créant in fine un dispositif propre à « fabriquer » du changement. Et c’est bien là que se trouve le désir de cet artiste : organiser le changement pour le changement, sans y adjoindre l’idée de progrès.
Les vidéos produites dans le même temps – et l’on pense en particulier à Solution, Proposition d’habitation, et Monsieur Leloup vie privée, Monsieur Leloup vie sociale –, viennent l’attester. Elles présentent des saynètes de vie filmées dans des boîtes blanches, qui ne manquent pas d’évoquer l’univers neutralisé des «cellules » de l’artiste, saynètes au cours desquelles le protagoniste s’affaire à des tâches stéréotypées, dans une gestuelle artificielle et mécanique. Ce pourrait être l’homme moderne dans une de ces « machines à habiter »3 issues des grandes utopies de l’architecture industrialisée des années 50 et 60. Ce pourrait être dans l’une des cellules d’habitation édifiées par Le Corbusier, si ces cellules ne s’étaient pas chargées, au fil du temps et des résidents successifs, d’histoire, de psychologie, de souvenirs et de traces d’utilisation quotidienne, seules capables de transformer un espace de contraintes vide et hostile, en un lieu d’existence, une zone habitée.
Absalon voulait confronter ses architectures précaires aux autres architectures dont recèlent les villes. Pour cette première édition de la Cellule 516, nous l’invitons à travers ses œuvres, à « prendre position »4 dans l’un des appartements de l’Unité d’Habitation Le Corbusier à Marseille. Prendre position : ce ne serait « pas prendre parti comme on peut le voir dans les expositions les plus caricaturales de l’art dit engagé »4, mais bien peut-‐être déplacer le regard en déplaçant les corps. Qu’en sera-‐t-‐il alors de l’impact entre œuvres et contexte ? Qu’en sera-‐t-‐il de notre perception, de notre connaissance des unes comme de l’autre ? Nous vous proposons d’entrer dans la Cellule 516 pour en faire vous-‐même l’expérience.
1. 1-‐ Propos extraits de la conférence donnée par Absalon à l’École des Beaux-‐Arts de Paris en 1993, transcrite par Cédric Venail.
2. 2-‐ Survivance des lucioles, Georges Didi-‐Huberman, Paris, Editions de Minuit, 2009. 3. 3-‐ Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Crès, 1925, p. 219. 4. 4-‐ Selon le propos de Georges Didi-‐Huberman, in Quand les images prennent position. L’œil de
l’histoire, 1, Paris, Éditions de Minuit, coll. “Paradoxe”, 2009, 269 p.
vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=ync5Qv1uay4 3) Une architecture tout en rondeurs, celle de Frederick Kiesler Artiste, architecte, théoricien de l’architecture austro-‐américain, Frederick Kiesler (1890-‐1965) développe et prône entre les deux guerres -‐ en pleine période fonctionnaliste, une architecture suspendue, courbe,
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sensuelle, mobile, face à la suprématie de l’angle droit. Il fut l'incontestable pionnier d’une architecture des spirales, de la continuité. « C'est durant les années 24-‐25 que je supprimais le séparatisme dans la construction de la maison, c'est-‐à-‐dire la distinction entre le plancher, les murs et le plafond, et créais avec le plancher, les murs et le plafond un continuum unique ». Selon cette théorie de la continuité, il développe son projet d’une « Endless House ». Le projet se transforme, grandit, évolue, au fil des années. Dessins, photographies, maquettes, poèmes et peintures évoquent cette recherche menée pendant quarante ans, depuis les premiers dessins à la fin des années 1920 aux dernières maquettes au début des années 1960, et sont pour certains rassemblés dans l’exposition Erre, variations labyrinthiques. Si cette recherche n’aura jamais connu de réalisation concrète et aboutie, certaines notions pionnières lancées par Kiesler, rencontreront un écho auprès de générations d’architectes suivantes, pour donner naissance aux théories de l’architecture mobile et de l’architecture-‐scultpure. http://carlymmoore.files.wordpress.com/2010/12/endless-‐house-‐final.pdf
Frederick Kiesler: la maison sans fin
Entre les deux guerres, en pleine période fonctionnaliste, Kiesler ne cessa de prôner une architecture courbe et sensuelle, une architecture mobile, une architecture suspendue, toutes notions que l'on découvrit ensuite avec l'enthousiasme de la nouveauté.
On loue communément l'aérogare de la TWA de Saarinen et le Musée Guggenheim de Wright, et l'on ignore que ces deux architectures spectaculaires sont directement inspirées des idées et des dessins de Kiesler.
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En 1924, en pleine période de ce que Kiesler appelle "le cube-‐prison", il concevait deux maisons sphéroïdales. Il définissait aussi le principe de la maison sans fin:
C'est durant les années 24-‐25 que je supprimai le séparatisme dans la construction de la maison, c'est-‐à-‐dire la distinction entra le plancher, les murs et le plafond, et créai avec le plancher, les murs et le plafond un continuum unique.
Kiesler vint en France en 1918 pour y réaliser un projet de ville spatiale. Celui-‐ci fut exposé en 1925 au Grand Palais. L'idée d'une ville suspendue, couramment reprise ensuite par les architectes prospectifs, paraissait à l'époque absolument folle. La Cité dans l'Espace de Kiesler s'élevait à des niveaux différents, réservant le sol naturel aux parcs, aux prairies et aux canaux. Chaque élément d'un bâtiment ou de la ville était envisagé non pas comme l'expression exclusive d'une seule fonction mais comme un noyau de possibles que la coordination avec les autres éléments peut développer.
Parmi les notions neuves soutenues par Kiesler dans les années 25, on trouve encore la théorie de l'architecture mobile, de l'architecture-‐sculpture et de l'abolition de la division actuelle entre la ville et la campagne. Frederick Kiesler fut l'incontestable pionnier de cette architecture des courbes, des spirales, de l'oeuf, de la continuité qui marque actuellement une réaction contre l'architecture fonctionnaliste de l'angle droit.
14:00 Écrit par Luckybiker dans 08 Formes nouvelles |
http://utopies.skynetblogs.be/archive/2009/02/10/frederick-kiesler-la-maison-sans-fin.html
4) Rachel Witheread
Née en 1963, l'artiste Rachel Whiteread reçoit le très médiatique Turner Prize quelques mois seulement avant la destruction retentissante de son œuvre House en 1994. L'une des sculptures les plus marquantes de la fin du xxe siècle n'aura existé qu'à peine plus de deux mois. Officiellement inaugurée le 25 octobre 1993, House de Rachel Whiteread fut en effet détruite le 11 janvier 1994, après qu'une vague de débats eut secoué l'opinion comme rarement l'art contemporain avait pu le faire en Grande-‐Bretagne. Elle a étudié la peinture à Brighton Polytechnic (1982-‐1985), puis la sculpture à Slade School of Arts, University College London (1985-‐1987). Elle expose depuis 1988.
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Rachel Whiteread "House”, 1993 concrete, (destroyed) http://www.damonart.com/myth_uncanny.html
Une conférence sur cette oeuvre avec Rachel Whiteread
http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-‐cb391992c5b9fafbd9f666185366518f¶m.idSource=FR_E-‐195c5d44ce1fe1f53cbfe9d4ab88b85a
Rachel Whiteread Comment la notion de mémoire évolue dans les sculptures à caractère monumentales de Rachel Whiteread? (src : http://www.er.uqam.ca/merlin/ge291221/textefam1501.html ) Née à Londres en 1963, Rachel Whiteread est maintenant une jeune sculptrice de premier plan de la Grande -‐ Bretagne. Suites à ses études à la Brighton Polytechnic et à la London’s Slade School of Fine Art, elle débute sa carrière en pratiquant des moulages d’objets tirés du quotidien et de parties de son corps: ear 1986. Attirée par les notions de mémoire et de relations que l’homme entretient avec les objets et l’espace, elle effectue, en 1990, un virage important dans sa carrière. La conceptualisation d’un corpus d’œuvres de plus en plus monumentales lui permit d’obtenir une reconnaissance importante au niveau international. Rachel Whiteread commence sa pratique dans une époque de grands changements en art. Dans les années 1980, l’idéologie du postmodernisme remet en question l’aspect linéaire de l’histoire de l’art comme il était connu auparavant. Au moment où Rachel Whiteread commence à se faire connaître, en 1990, plusieurs mouvements artistiques émergent: Bio art, Web art, Art numérique, Art en ligne. Ceux -‐ ci témoignent tous de la montée incroyable des avancés technologique et surtout de l’impressionnant système de communication qui s’est installé récemment. Internet est un bon exemple. De plus, l’art se démocratise et les tensions augmentent entre toutes les sphères de la communauté artistique créant d’innombrables débats. Parallèlement à ces innovations et ces brusques changements culturels, la pratique de Whiteread reste apparemment plus traditionnelle dans le sens qu’il est un travail de la matière. Le corpus d’œuvres a été sélectionné par rapport au côté monumental qui émane de leur aspect mémoriel. En effet, les œuvres témoignent du passé qui cherche à se matérialiser dans une œuvre du présent et ainsi s’immortaliser. Ghost est un imprimé du salon d’une maison victorienne qui est présenté sous forme d’une sculpture en plâtre de couleur brut. Le même procédé est appliqué en ciment dans House, mais cette fois -‐ ci, à partir de l’intérieur d’une maison qui a dû être démoli afin que l’oeuvre soit visible in situ. Water Tower se veut une commande publique utilisant un procédé similaire. Seulement, c’est de la résine qui a été utilisée comme médium transparent afin de rappeler l’eau qui occupait le même espace auparavant. Finalement, le principe est réutilisé à partir du ciment dans Holocaust Memorial A. K. A. nameless library. Il s’agit d’une commande de la ville de Vienne qui se veut un véritable monument à la mémoire des juifs qui trouvèrent la mort durant la Shoah. La mémoire est l’un des fondements mêmes de tout art. Que ce soit l’acte de peindre par mimésis jusqu’à l’archivage de vidéo de performance. Elle est une fonction, l’écrit des faits, des idées. Elle est l’histoire. C’est parfois par une expérience esthétique qui nous marque ou par répétition qu’elle se crée. C’est elle qui forge les souvenirs culturels de la mémoire collective. La notion de mémoire est donc multi aspectuel. L’art est un langage qui utilise cette mémoire, personnelle et/ou collective, dans le but de communiquer un ou des sujets. L’artiste qui la manipule le fait à l’aide de médiums quelconque afin d’élaborer ce langage, que ses idées soient
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purement personnelles ou pas. Dali utilisait celle -‐ci en y puisant de l’imagerie afin de faire ressurgir certain traits de sa personnalité. Dans le texte La Conquête de l’irrationnel, il explique son importance dans les phases du rêve qu’il voit comme une analogie du processus créateur. Certains artistes, comme Rachel Whiteread, utilisent la notion de mémoire en avant-‐ plan. Cette à dire que son travail parle directement de celle-‐ci. Étant donné que dans une approche de l’art des notions précises ressurgissent et évoluent durant la carrière d’un artiste, la question suivante se pose : comment la notion de mémoire évolue dans les sculptures à caractère monumentales de Rachel Whiteread ? Visible du coin West Broadway et Grand Street à New York, Water Tower est la première sculpture publique de Rachel Whiteread en Amérique. Décrite par l’artiste comme étant un « Joyau dans l’horizon de Manhattan » 9, cette œuvre fut inaugurée en juin 1998 et aura été visible jusqu’en 2000. Inspirée par le flux constant du mouvement urbain de la ville de New York, l’artiste part à la recherche d’un lieu d’intégration plus approprié allant au-‐delà des endroits communs aux œuvres publiques. Malgré les contraintes physiques de cet environnement citadin, elle trouve quelques réservoirs d’eau déposés sur une haute structure métallique situés près du Manhattan Bridge, au côté de Brooklyn. Intéressé par le côté anonyme de ces structures industrielles, l’artiste entreprend la rédaction de plans techniques pour mouler l’intérieur de l’un de ces réservoirs. Sculpture commémorative à une certaine architecture, elle laisse voir le contenu du contenant, faisant ainsi référence à sa fonction antérieure. Dû à son apparence translucide, l ’œuvre finale, réalisée en résine, donne l’impression que l’eau est restée figée malgré l’absence de structure. Ce projet fait maintenant partie de la collection permanente du musée d’art moderne de New York. Amorcé en 1996 et ralenti sur quatre ans d’attente, Holocaust Memorial A.K.A. (Nameless Library) de Rachel Whiteread voit finalement le jour en 2000. Spécialement conçue pour la Judenplatz de Vienne, cette oeuvre publique est dédiée à la mémoire des millions de juifs qui sont décédés durant l’ Holocauste nazi. Dans le même esprit que ses projets antérieurs, Ghost 1990 et House 1993, l’artiste procède par remplissage d’un vide pour créer du sens. Seulement, ce n’est pas par empreinte que la notion de mémoire se manifeste. Contrairement à Untitled (paperbacks) 1997, où le spectateur est invité à entrer dans la librairie et à observer les moulages en négatif des rangés de livres, laissant voir que l’espace entre ceux-‐ ci, le visiteur se heurte aux portes inversées, ne pouvant que contempler le bâtiment et les livres moulés en positif sortant des murs, cachant la reliure de ces derniers et gardant ainsi leur anonymat. L’observateur est donc systématiquement gardé en dehors de la librairie, en dehors de l’événement qu’il mémorise. En général, les travaux de Rachel Whiteread rappellent, par leur forme et leur couleur neutre, certaines œuvres minimales des années 1960. Par exemple, Ghost, par sa matérialité et sa forme, se rapproche beaucoup de Sans titre 1975 de Donald Judd. Par contre, les œuvres de Whiteread opèrent toute une relation avec leur référent (Objet moulé) et s’ajoutent aux aspects théoriques des minimalistes. Réaction au débordement subjectif de l’expressionnisme abstrait et de la figuration du pop art, ce courant porte sur la perception des objets et leur rapport à l’espace. Les œuvres minimales sont révélatrices de l’environnement du spectateur . Comme l’artiste Eva Hesse, les travaux de Rachel Whiteread sont plus qu’une réflexion à l’espace de l’œuvre et du spectateur. Ils sont une empreinte commémorant l’histoire de son référent. Hesse questionne aussi l’espace, mais elle apporte une autre dimension à son travail en fabriquant ses sculptures à la main. Ceci témoigne donc d’un rapport anthropologique face à l’œuvre. Leur travail s’inscrit plus particulièrement dans un courant postminimaliste, plus communément appelé process art. Ce nom est attribué par l’importance accordée au processus qui reste palpable dans l’œuvre une fois réalisée. C’est ce processus qui apporte la dimension symbolique en plus des rapports à l’espace.
5) Un artiste, lecteur des situationnistes : Gordon Matta-‐Clark
Anarchitecture et détournement, à propos de Gordon Matta-Clark - par Olivier Lussac
La beauté des espaces engendrés par les perforations de Gordon Matta-‐Clark ne doit pas faire oublier la dimension critique de son entreprise, erreur commise par tous les étudiants en
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architecture pour qui il est aujourd’hui une sorte de culte. Matta-‐Clark considérait l’architecture comme une entreprise prétentieuse, qu’il a sans cesse détournée. Car l’architecte, s’il se prétend sculpteur, se masque son propre rôle dans la société capitaliste, qui est de construire des clapiers sous les ordres d’un entrepreneur. 3Il y a un souverain mépris dans l’attitude de Matta-‐Clark à l’égard de l’architecte : ce que je fais, tu ne pourras jamais y atteindre car cela suppose d’accepter l’entropie, l’éphémère, alors que toi, architecte, tu crois construire quelque chose pour l’éternité. L’architecture n’a donc qu’un seul destin : celui de passer un jour ou l’autre à la trappe.
Gordon Matta-‐Clark (1943-‐1978) a possédé une double nationalité franco-‐américaine. Il a travaillé à New York et à Paris. Comme son travail a eu affaire avec les monuments et les ruines, ses œuvres doivent être placées aux termes d’une pratique artistique, qui évolue à l’encontre des pratiques déconstructives et anti-‐historiques de l’art conceptuel, fort répandues à l’époque. Il procède dès l’origine à un découpage et à une transformation des immeubles, en tranchant littéralement dans les murs, les cloisons ou les sols. Il ne travaille que sur des bâtiments destinés à être démolis. Il s’attaque une seule fois à un bâtiment en usage : il s’agit du célèbre Institute for Urban Studies de New York où travaillaient ses professeurs en architecture. Cette intervention est immédiatement interdite. Car, invité à une exposition organisée par l’institut, il supprime toutes les fenêtres et les remplace par des photographies montrant des bâtiments du Bronx dont toutes les fenêtres ont été brisées. Fils de l’artiste surréaliste Roberto Matta, Gordon (qui prend le nom de sa mère en 1971) est diplomé en architecture de la Cornell University en 1968 et a une brève et influente carrière, comme son aîné et ami Robert Smithson qu’il rencontre en 1969, lors de l’exposition Earth Art. La même année, il assiste Dennis Oppenheim à la création de deux projets, toujours pour l’exposition Earth Art (Andrew Dickson White Museum of Art). Il s’installe à New York. Ses premiers projets sont d’ordre culinaire et alchimique. Dans Photo-‐Fry, il laisse frire des clichés photographiques dans de la graisse. Il les offre à Smithson pour son Noël. Avec Glass Plant, 1971, il utilise le principe de la fusion, magnifiant l’action de la montagne Pelée, en transformant des bouteilles de bière ou de soda en un lingot répugnant et solidifié, certains à base de agar-‐agar (gélatine que l’on extrait des algues) qu’il fait cuire dans de larges plateaux avec les substances les plus diverses : levure, sucre, lait concentré, jus de légumes, bouillon de poule, vaseline..., et avec parfois des détritus récupérés dans les rues. De cette série des déchets, il ne reste que Land of Milk and Honey (nom donné au pays de Canaan de la Genèse, 1969), faux relief d’agar-‐agar, en état de mutation organique avec de la moisissure. Cette œuvre rappelle les autoportraits en gelée moulée de Claes Oldenburg, 1966, ou les sculptures en porridge rassis de Kurt Schwitters. En 1970, il expose dans un lieu alternatif fondé par Jeffrey Lew. Il considère le déchet en architecture et construit un mur de plâtre et de goudron, Garbage Wall, qui sert de décor à une performance, avant d’être jeté. Un autre mur est érigé en 1971 et filmé dans Fire Boy, avec des débris ramassés sous le pont de Brooklyn et retenus par un grillage de fer. Puis vient l’Open House (1972), une benne à ordures transformée en espace de vie. Le concept d’« anarchitecture » que propose alors Matta-‐Clark consiste en une équation simple et efficace pour juger du bien fondé de l’architecture : architecture = déchet. « Ce serait intéressant de transformer un endroit où des gens vivraient encore... de prendre, peut-‐être, un espace de vie très conventionnel et de le transformer jusqu’à le rendre inutilisable. » (Matta-‐Clark) Il crée aussi une série d’œuvres dont Cherry Tree dans la galerie. Dans les sous-‐sols, il creuse un trou et plante un arbre. L’exposition dure jusqu’au moment où l’arbre meurt (environ trois mois). Dans Winter Garden : Mushroom and Waisbottle Recycloning, il cultive des champignons. Dans Time Well, il ensevelit une jarre remplie de fruits fermentés et de noyaux de cerise dans le trou laissé vacant de l’arbre mort. Il fonde encore un restaurant-‐coopérative intitulé Food, à Soho, avec Carol Godden, Suzanne Harris, Tina Girouard et Rachel Lew. Les artistes sont invités en qualité de chefs cuisiniers. C’est dans ce lieu que se réunit le groupe Anarchitecture, avec Laurie Anderson, Tina Girouard, Suzanne
3 Nous soulignons (L.C)
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Harris, Jene Highstein, Jeffrey Lew, Ree Morton, Richard Nonas et George Trakas. La notion d’Anarchitecture a été décrite par Mary Jane Jacob comme « une approche anarchique de l’architecture, marquée physiquement comme un effondrement des conventions à travers une méthode de "déconstruction" ou de "déstructuration" au lieu de créer une structure architecturale et philosophiquement comme une approche révolutionnaire qui cherchait à révéler, grâce à l’art, les problèmes sociaux. » Les découpages d’immeubles abandonnés commencent en 1972-‐73 avec les Bronx-‐Floors. Matta-‐Clark se focalise sur l’architecture ordinaire. Sa première œuvre anarchitecturale consacre, à partir d’un jeu de mots, la relation entre l’architecture et le déchet. Threshole (1973) désigne un certain nombre de découpes sur des seuils d’appartement et à tous les étages. Ce geste est fort risqué. Threshold signifie seuil et hole trou, threshole est donc un seuil en trou, une entaille à ordures, comme les égouts que Matta-‐Clark filme en 1977 dans Sous-‐sol de Paris, ou bien dans les travaux concernant le trou des Halles et la destruction du quartier pour le futur Beaubourg. Il ne souhaite pas seulement découper des espaces intérieurs invisibles à l’œil et de la rue. Il va aussi s’attaquer au bâtiment dans son ensemble, obtenant au passage tout permis de démolir. L’architecture devient pour lui de plus en plus un objet de crise, de Conical Intersect, 1975, où il creuse un cône dans deux bâtiments mitoyens au centre de Paris et observant le futur quartier de Beaubourg, jusqu’aux dernières découpes pratiquées à Anvers, avec Office Baroque, en 1977, ou dans des maisons mitoyennes de Chicago, Circus-‐Caribbean Orange, 1978. Le projet le plus ambitieux est Splitting, 1974, où l’artiste utilise une maison de bois à Englewood, New Jersey, maison destinée à la destruction par ses propriétaires, Horace et Holly Solomon. Pour ce projet, il divise la maison en son milieu et incise deux parallèles d’un pouce chacune. Puis il supprime la bande entre les deux saignées. La maison se fend littéralement, lorsqu’il enlève une partie des fondations. Puis il découpe les quatre coins de l’édifice et ceux-‐ci sont exposés à la Holly Solomon Gallery (Splitting : Four corners).
http://artsdocuments.blogspot.fr/2010/10/gordon-‐matta-‐clark.html
À New York, au début des années 70, la négligence de Nixon en matière de logements publics et les problèmes urbains, ont conduit à la création de lieux d’expositions socialement engagés. Matta-‐Clark laisse fonctionner les œuvres dans l’environnement urbain réel. On ne peut donc pas, pour lui, s’affranchir des contraintes politiques inhérentes à l’espace d’exposition, de la galerie. Il ne faut pas nier les contradictions politiques et culturelles. En présentant des "trous", catégorie d’œuvres anti-‐artistiques, il soumet des découpes, le spectacle d’une démolition. Il permet ainsi à l’œuvre de fonctionner comme une sorte d’ « Agit-‐Prop » dans le tissu urbain, démarche à rapprocher des actions menées par les situationnistes parisiens en 1968. Il considère les actes dans la ville comme des intrusions publiques ou des "coupes" dans l’uniformité du tissu de la ville. L’idée est de mettre un terme au conditionnement des masses urbaines qui, libérées, peuvent exprimer certaines
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réalités refoulées. Matta-‐Clark voit ses découpes comme « des sondes qui révélaient des domaines... cachés (dévoilant des informations dissimulées par la société) et pénétraient en profondeur... pour créer des répercussions sur tout ce qu’elles pouvaient influencer... » Il tente donc d’établir un dialogue entre art et architecture sur le terrain précieux de la seconde. Car, selon Dan Graham, « elle ne traite pas nécessairement de la galerie comme lieu d’une architecture répressive, identifiée aux institutions, mais se rattache à l’environnement urbain sur la base d’une expérience politique, urbanistique et historique, intégrant son propre réseau de relations réciproques et fonctionnant comme mémoire de l’archétype architectural. » En effet, pour Manfredo Tafuri, l’architecture moderne détruit la ville en tant que contexte : « La primauté semble y être donnée à l’invention formelle, mais la répétition obsédante de ces inventions transforme l’organisme urbain tout entier en une gigantesque "machine inutile". » En fait, « se libérer de la valeur, c’est se mettre en condition d’agir dans ce réel, ce champ de forces indéterminé, mouvant et ambigu. [... ] La destruction des valeurs inaugure les nouvelles manières d’être d’une rationalité capable de se confronter avec le négatif, et d’en faire le ressort des potentialités illimitées ». L’art « peut alors s’engloutir silencieusement dans les structures de la ville, tout en idéalisant ses contradictions, ou bien, il peut introduire violemment, à l’intérieur des structures de la communication artistique, un irrationnel tout aussi idéalisé, l’irrationnel que la ville elle-‐même produit ». Tout dans l’architecture s’est fait selon Tafuri au détriment de la cohésion structurale de la ville puisque des quartiers urbains sont constamment rasés, puis reconstruits, dans le but d’alimenter une économie en pleine expansion. « Nous vivons tous dans une ville..., dit Matta-‐Clark, dont le tissu est architectural... où la propriété est omniprésente. [... ] En déconstruisant un édifice... j’ouvre un espace clos, préconditionné non seulement par nécessité physique mais aussi par l’industrie qui inonde les villes et les banlieues de boîtes habitacles dans le but inavoué de s’assurer le concours d’un consommateur passif et isolé. » Paradoxalement, ces déconstructions peuvent constituer une forme d’architecture. Ainsi il note à propos de Splitting : « Les découpes, rappelle Graham, articulent davantage l’espace, mais l’identité de l’édifice en tant que site est rigoureusement préservée. [... ] Le fait de dépouiller, évider ou déconstruire un édifice constitue une dénonciation de la pratique architecturale professionnelle. Détruire et non construire (ou reconstruire) un édifice revient à inverser la doctrine fonctionnaliste. [... ] Matta-‐Clark recherche donc les vides déjà existants et qui n’ont pas été exploités. Ils n’ont pas de réalité dans l’architecture moderne qu’en terme de négation. » Les découpes montrent la manière dont les habitants occupent l’espace compartimenté. Les locataires se plient donc à l’espace imposé par l’architecte et par le promoteur, donc à la structure sociale existante. C’est une "sculpture" qui révèle finalement la contrainte de l’individu, ou cette mémoire subversive que cachent les façades sociales et architecturales et leur fausse image d’intégrité. Ce que l’artiste a tenté de faire, et ce que les architectes modernes évitent par toutes sortes de stratagèmes, c’est de révéler au public les lois de la propriété et le processus général de la containérisation auquel est soumis l’espace urbain, et qu’en général la conception de l’architecte dissimule.
6)L’approche situationniste
a) Guy Debord :Introduction à une critique de la géographie urbaine
De tant d’histoires auxquelles nous participons, avec ou sans intérêt, la recherche fragmentaire d’un nouveau mode de vie reste le seul côté passionnant. Le plus grand détachement va de soi envers quelques disciplines, esthétiques ou autres, dont l’insuffisance à cet égard est promptement vérifiable. Il faudrait définir quelques
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terrains d’observation provisoires. Et parmi eux l’observation de certains processus du hasard et du prévisible, dans les rues.
Le mot psychogéographie, proposé par un Kabyle illettré pour désigner l’ensemble des phénomènes dont nous étions quelques-‐uns à nous préoccuper vers l’été de 1953, ne se justifie pas trop mal. Ceci ne sort pas de la perspective matérialiste du conditionnement de la vie et de la pensée par la nature objective. La géographie, par exemple, rend compte de l’action déterminante de forces naturelles générales, comme la composition des sols ou les régimes climatiques, sur les formations économiques d’une société et, par là, sur la conception qu’elle peut se faire du monde. La psychogéographie se proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. L’adjectif psychogéographique, conservant un assez plaisant vague, peut donc s’appliquer aux données établies par ce genre d’investigation, aux résultats de leur influence sur les sentiments humains, et même plus généralement à toute situation ou toute conduite qui paraissent relever du même esprit de découverte.4
Le désert est monothéiste, a-‐t-‐on pu dire il y a longtemps. Trouvera-‐t-‐on illogique, ou dépourvue d’intérêt, cette constatation que le quartier qui s’étend, à Paris, entre la place de la Contrescarpe et la rue de l’Arbalète incline plutôt à l’athéisme, à l’oubli, et à la désorientation des réflexes habituels ?
Il est bon d’avoir de l’utilitaire une notion historiquement relative. Le souci de disposer d’espaces libres permettant la circulation rapide de troupes et l’emploi de l’artillerie contre les insurrections était à l’origine du plan d’embellissement urbain adopté par le Second Empire. Mais de tout point de vue autre que policier, le Paris d’Haussmann est une ville bâtie par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien. Aujourd’hui, le principal problème que doit résoudre l’urbanisme est celui de la bonne circulation d’une quantité croissante de véhicules automobiles. Il n’est pas interdit de penser qu’un urbanisme à venir s’appliquera à des constructions, également utilitaires, tenant le plus large compte des possibilités psychogéographiques.
Aussi bien l’actuelle abondance des voitures particulières n’est rien d’autre que le résultat de la propagande permanente par laquelle la production capitaliste persuade les foules -‐ et ce cas est une de ses réussites les plus confondantes -‐ que la possession d’une voiture est précisément un des privilèges que notre société réserve à ses privilégiés. (Le progrès anarchique se niant lui-‐même, on peut d’ailleurs goûter le spectacle d’un préfet de police invitant par voie de film-‐annonce les parisiens propriétaires d’automobiles à utiliser les transports en commun.)
Puisque l’on rencontre, même à de si minces propos, l’idée de privilège, et que l’on sait avec quelle aveugle fureur tant de gens -‐ si peu privilégiés pourtant -‐ sont disposés à défendre leurs médiocres avantages, force est de constater que tous ces détails participent d’une idée du bonheur, idée reçue dans la bourgeoisie maintenue par un système de publicité qui englobe aussi bien l’esthétique de Malraux que les impératifs du Coca-‐Cola, et dont il s’agit de provoquer la crise en toute occasion, par tous les moyens.
Les premiers de ces moyens sont sans doute la diffusion, dans un but de provocation systématique, d’une foule de propositions tendant à faire de la vie un jeu intégral passionnant, et la dépréciation continuelle de tous les divertissements en usage, dans la mesure naturellement où ils ne peuvent être détournés pour servir à des constructions d’ambiances plus intéressantes. Il est vrai que la plus grande difficulté d’une telle entreprise est de faire passer dans ces propositions apparemment délirantes une quantité suffisante de séduction sérieuse. Pour obtenir ce résultat une pratique habile des moyens de communication prisés actuellement peut se concevoir. Mais aussi bien une sorte d’abstention tapageuse, ou des manifestations visant à la déception radicale de ces mêmes moyens de communication, entretiennent indéniablement, à peu de frais, une atmosphère de gêne extrêmement favorable à l’introduction de quelques nouvelles notions de plaisir.
Cette idée que la réalisation d’une situation affective choisie dépend seulement de la connaissance rigoureuse et de l’application délibérée d’un certain nombre de mécanismes concrets, inspirait ce "Jeu
4 Nous soulignons (L.C)
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psychogéographique de la semaine" publié, avec tout de même quelque humour, dans le numéro 1 de Potlatch :
"En fonction de ce que vous cherchez, choisissez une contrée, une ville de peuplement plus ou moins dense, une rue plus ou moins animée. Construisez une maison. Meublez-‐la. Tirez le meilleur parti de sa décoration et de ses alentours. Choisissez la saison et l’heure. Réunissez les personnes les plus aptes, les disques et les alcools qui conviennent. L’éclairage et la conversation devront être évidemment de circonstance, comme le climat extérieur ou vos souvenirs.
S’il n’y a pas eu d’erreur dans vos calculs, la réponse doit vous satisfaire."
Il faut s’employer à jeter sur le marché, ne serait-‐ce même pour le moment que le marché intellectuel, une masse de désirs dont la richesse ne dépassera pas les actuels moyens d’action de l’homme sur le monde matériel, mais la vieille organisation sociale. Il n’est même pas dépourvu d’intérêt politique d’opposer publiquement de tels désirs aux désirs primaires qu’il ne faut pas s’étonner de voir moudre sans fin dans l’industrie cinématographique ou les romans psychologiques, comme ceux de la vieille charogne de Mauriac. ( "Dans une société fondée sur la misère, les produits les plus misérables ont la prérogative fatale de servir à l’usage du plus grand nombre", expliquait Marx au pauvre Proudhon.)
La transformation révolutionnaire du monde, de tous les aspects du monde, donnera raison à toutes les idées d’abondance.
Le brusque changement d’ambiance dans une rue, à quelques mètres près ; la division patente d’une ville en zones de climats psychiques tranchés ; la ligne de plus forte pente -‐ sans rapport avec la dénivellation -‐ que doivent suivre les promenades qui n’ont pas de but ; le caractère prenant ou repoussant de certains lieux ; tout cela semble être négligé. En tout cas, n’est jamais envisagé comme dépendant de causes que l’on peut mettre au jour par une analyse approfondie, et dont on peut tirer parti. Les gens savent bien qu’il y a des quartiers tristes, et d’autres agréables. Mais ils se persuadent généralement que les rues élégantes donnent un sentiment de satisfaction et que les rues pauvres sont déprimantes, presque sans plus de nuances. En fait, la variété des combinaisons possibles d’ambiances, analogue à la dissolution des corps chimiques dans le nombre infini des mélanges, entraîne des sentiments aussi différenciés et aussi complexes que ceux que peut susciter tout autre forme de spectacle. Et la moindre prospection démystifiée fait apparaître qu’aucune distinction, qualitative ou quantitative, des influences des divers décors construits dans une ville ne peut se formuler à partir d’une époque ou d’un style d’architecture, encore moins à partir des conditions d’habitat.
Les recherches que l’on est ainsi appelé à mener sur la disposition des éléments du cadre urbaniste, en liaison étroite avec les sensations qu’ils provoquent, ne vont pas sans passer par des hypothèses hardies qu’il convient de corriger constamment à la lumière de l’expérience, par la critique et l’autocritique.
Certaines toiles de Chirico, qui sont manifestement provoquées par des sensations d’origine architecturale, peuvent exercer une action en retour sur leur base objective, jusqu’à la transformer : elles tendent à devenir elles-‐mêmes des maquettes. D’inquiétants quartiers d’arcades pourraient un jour continuer, et accomplir l’attirance de cette oeuvre.
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« L’Énigme d’un jour II. » Giorgio de Chirico, 1914. Museu de Arte contemporanea da Universidade de São Paulo. © ADAGP Paris, 2009
Je ne vois guère que ces deux ports à la tombée du jour peints par Claude Lorrain, qui sont au Louvre, et qui présentent la frontière même de deux ambiances urbaines les plus diverses qui soient, rivaliser en beauté avec les plans du métro affichés dans Paris. On entend bien qu’en parlant ici de beauté je n’ai pas en vue la beauté plastique -‐ la beauté nouvelle ne peut être qu’une beauté de situation -‐ mais seulement la présentation particulièrement émouvante, dans l’un et l’autre cas, d’une somme de possibilités. Entre divers moyens d’interventions plus difficiles, une cartographie rénovée paraît propre à l’exploitation immédiate.
Port de mer au soleil couchant (1639), par Claude Lorrain. Peinture à l'huile. (Musée du Louvre, Paris.)
Ph. H. Josse © Archives Larbor
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Exceptionnellement, Abbesses laisse voir ses dessous comme ce plan du métro de 1959, sur lequel l’ensemble des stations est représenté, même celles fermées -‐ par exemple Arsenal et Bel-‐Air.
La fabrication de cartes psychogéographiques, voir même divers truquages comme l’équation, tant soit peu fondée ou complètement arbitraire, posée entre deux représentations topographiques, peuvent contribuer à éclairer certains déplacements d’un caractère non certes de gratuité, mais de parfaite insoumission aux sollicitations habituelles. -‐ Les sollicitations de cette série étant cataloguées sous le terme de tourisme, drogue populaire aussi répugnante que le sport ou le crédit à l’achat. Un ami, récemment, me disait qu’il venait de parcourir la région de Hartz, en Allemagne, à l’aide d’un plan de la ville de Londres dont il avait suivi aveuglément les indications. Cette espèce de jeu n’est évidemment qu’un médiocre début en regard d’une construction complète de l’architecture et de l’urbanisme, construction dont le pouvoir sera quelque jour donné à tous. En attendant, on peut distinguer plusieurs stades de réalisations partielles, moins malaisées, à commencer par le simple déplacement des éléments de décoration que nous sommes accoutumés de trouver sur des positions préparées à l’avance. Ainsi Mariën, dans le précédent numéro de cette revue, proposait de rassembler en désordre, quand les ressources mondiales auront cessé d’être gaspillées dans les entreprises irrationnelles que l’on nous impose aujourd’hui, toutes les statues équestres de toutes les villes dans une seule plaine désertique. Ce qui offrirait aux passants -‐ l’avenir leur appartient -‐ le spectacle d’une charge synthétique de cavalerie, que l’on pourrait même dédier au souvenir des plus grands massacreurs de l’histoire, de Tamerlan à Ridgway. On voit ressurgir ici une des principales exigences de cette génération : la valeur éducative.
De fait, il n’y a rien à attendre que de la prise de conscience, par des masses agissantes, des conditions de vie qui leur sont faites dans tous les domaines, et des moyens pratiques de les changer.
"L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel", a pu écrire un auteur dont, en raison de son inconduite notoire sur le plan de l’esprit, j’ai depuis oublié le nom. Une telle affirmation, par ce qu’elle a d’involontairement restrictif, peut servir de pierre de touche, et faire justice de quelques parodies de révolution littéraire : ce qui tend à rester irréel, c’est le bavardage.
La vie, dont nous sommes responsables, rencontre, en même temps que de grands motifs de découragement, une infinité de diversions et de compensations plus ou moins vulgaires. Il n’est pas d’année où des gens que nous aimions ne passent, faute d’avoir clairement compris les possibilités en présence, à quelque capitulation voyante. Mais ils ne renforcent pas le camp ennemi qui comptait déjà des millions d’imbéciles, et où l’on est objectivement condamné à être imbécile. La première déficience morale reste l’indulgence, sous toutes ses formes.
Guy-‐Ernest Debord
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Publié dans Les lèvres nues n° 6, Bruxelles, 1955.
Psychogéographie
Guy Debord Introduction à une critique de la géographie urbaine Les Lèvres nues, n°6 Mai 1955, Bruxelles. Les plans psychogéographiques de Guy Debord
Croquis, 9 janvier 1957
[Au crayon en haut à gauche : «Unités d’ambiance à Paris 9.1.57», et en bas à droite : «Mettre en rouge les
liaisons sûres, en pointillé, les prévues» (15,5 cm en hauteur sur 17,7 cm).
Dans le centre historique de Paris, sont relevés : la pointe du Vert-‐Galant, le Palais-‐Royal, le Louvre et les Halles,
le plateau Beaubourg, les Enfants-‐Rouges, le Marais, la place des Vosges, Saint-‐Gervais et la rue François-‐Miron,
les rues Beautreillis et du Petit-‐Musc, l’Arsenal, l’île Saint-‐Louis, Saint-‐Séverin et Saint-‐Julien-‐le-‐Pauvre, Saint-‐
Germain-‐des-‐Prés et Buci, le Continent Contrescarpe.
Puis à partir du sud et en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre : la Butte-‐aux-‐Cailles, les quartiers de
Grenelle, Saint-‐Lambert et Necker, l’allée des Cygnes, la place de l’Europe, la place du Marché-‐Saint-‐Honoré, le
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boulevard de la Villette, la rotonde de Ledoux, la rue d’Aubervilliers, Aubervilliers ; et au sud-‐est : l’îlot Chalon,
les entrepôts de Bercy et la rue Sauvage (rive gauche).]
Axe d’exploration et échec dans la recherche
d’un Grand Passage situationniste, 1957
[Un des cinq plans psychogéographiques réalisés pour l’exposition à la galerie Taptoe en février 1957. Il retrace,
à travers quatre unités d’ambiance découpées dans une photo aérienne, une des premières expériences de
dérives menées à Paris en 1953 avec Gilles Ivain (en photo en haut, avec cette légende : «La Contrescarpe notre
promenade»).
Les dériveurs explorent le «Continent Contrescarpe» en direction du sud, prennent la rue de la Clef vers la
Boulangerie des hôpitaux et le square Scipion, sont repoussés vers le nord-‐est, continuent par la rue Poliveau,
puis aboutissent à la Sapêtrière et, franchissant la Seine, atteignent le port et le quai de la Rapée, puis l’Institut
médico-‐légal où finalement la dérive cesse en s’infléchissant vers le nord. L’évocation de cet échec dans la
recherche d’un passage au sud-‐est se clôt par un tableau de Claude Gellée, dit le Lorrain, représentant une
scène légendaire dans un port de mer, L’Embarquement de sainte Ursule, de l’Angleterre vers le Continent
(1641).]
Quatrième expérience du M.I.B.I. (plans psychogéographiques de Guy Debord)
L’expérience psychogéographique fut le dernier mot d’ordre adopté par le M.I.B.I. pour la période de transition
à l’issue de laquelle — à la conférence de Cosio d’Arroscia, le 28 juillet 1957 — devait être fondée
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l’Internationale situationniste, intégrant outre ce Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste,
l’Internationale lettriste et un Comité psychogéographique de Londres.
La recherche psychogéographique envisage l’interaction de l’urbanisme et du comportement et la perspective
des changements révolutionnaires de ce système.
Sur les plans de Paris édités en mai 1957 par le M.I.B.I. les flèches représentent des pentes qui relient
naturellement les différentes unités d’ambiance ; c’est-‐à-‐dire les tendances spontanées d’orientation d’un sujet
qui traverse ce milieu sans tenir compte des enchaînements pratiques — à des fins de travail ou de distraction
— qui conditionnent habituellement sa conduite.
[Note ajoutée au verso de la plus grande partie du tirage de The Naked City(Illustration de l’hypothèse des
plaques tournantes en psychogéographie) incorporée dans le livre d’Asger Jorn, Pour la forme, édité par
l’Internationale situationniste à Paris en 1958.
Les trois précédentes expériences du M.I.B.I. avaient été des céramiques réalisées à Albisola en 1954, la
décoration libre d’une centaine de pièces de vaisselle blanche par un groupe d’enfants en 1955 et des
tapisseries d’Asger Jorn et Pierre Wemaëre.Pour la forme a été réédité aux Éditions Allia en 2001.]
[The Naked City, imprimé à Copenhague (33 cm × 48 cm), réalisé en découpant les plans d’un Guide Taride de Paris. Le titre est détourné du film réalisé par Jules Dassin en 1948, repris de l’album du photographe new-‐yorkais Weegee publié en 1945.]
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Discours sur les passions de l’amour
[Pour son Guide psychogéographique de Paris. Discours sur les passions de l’amour (Pentes
psychogéographiques de la dérive et localisation d’unités d’ambiances), imprimé aussi en mai 1957 à
Copenhague (dépliant 60 cm × 73,5 cm), Guy Debord avait découpé un Plan de Paris à vol d’oiseau dessiné par
Georges Peltier et édité par Blondel La Rougery en 1951.]
http://infokiosques.net/IMG/pdf/Theorie_de_la_Derive.pdf
b) Une autre ville pour une autre vie. Henri Lefebvre et les situationnistes par Philippe Simay
Résumé
L’un des traits distinctifs du mouvement situationniste est de s’être constamment préoccupé de la question urbaine. Conçue comme l’espace de production de la société du spectacle mais aussi comme un terrain de lutte et d’expérimentation, la ville a représenté pour ce mouvement estudiantin, proche d’Henri Lefebvre, le lieu d’une réinvention radicale de la vie quotidienne. Cet article revient sur la critique situationniste de l’urbanisme de l’après-‐guerre ainsi que sur les pratiques auxquelles elle a donné lieu (détournement, dérive, cartes psychogéographiques, construction de situations éphémères). Celles-‐ci peuvent être regardées comme la première expression d’un « droit à la ville », tel que l’entendait Lefebvre. Reste à savoir si le groupe de Guy Debord souhaitait véritablement « changer la ville pour changer la vie » ou si la ville n’était que le théâtre d’une révolution à venir.
Texte intégral : http://metropoles.revues.org/2902
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7) Heidegger, « Bâtir, habiter, penser »
Au sens où l’habitation, l’habiter, ce n’est rien d’autre que la manière d’être au monde de l’homme. Habiter, c’est être homme. L’homme est, dans son être même, un habitant.
Le texte : http://www.ac-‐grenoble.fr/lycee/vaucanson/philosophie/bhp.xml
Habiter la terre, la maison, l’appartement. Une lecture de Heidegger et Bachelard par Stéphane Vial
Aujourd’hui, dans le cadre du projet de logement social et durable de mes étudiants de DSAA Architecture intérieure, en partenariat avec l’école Boulle, l’école nationale supérieure d’architecture de Versailles (ENSAV) et EDF R&D, j’ai donné une conférence à Versailles intitulée « Habiter la terre, la maison, l’appartement ». Plus qu’un apport théorique personnel et original, il s’agit d’une lecture de Heidegger sur le sens de « habiter » et « bâtir », enrichie de réflexions psychologiques sur les usages et l’imaginaire de la maison à partir de Bachelard.
Il est assez rare de trouver chez les philosophes des considérations sur « l’habitat » ou « l’habiter », tant ce sujet de préoccupation pratique est peu conforme à leur pulsion spéculative. Le 5 août 1951, pourtant, dans le cadre d’un colloque sur « L’Homme et l’Espace », Martin Heidegger prononce une conférence intitulée « Bâtir, habiter, penser ». Quelques mois plus tard, le 6 octobre de la même année, il en prononce une autre qui lui fait directement écho et dont le titre, tiré d’un poème de Hölderlin, laisse songeur : « … L’homme habite en poète… » (1). Qu’est-‐ce qu’un philosophe comme Heidegger, dont l’oeuvre est consacrée à la question du sens de l’être et du dépassement de la métaphysique, peut bien nous apprendre sur l’habitat, l’habitation, l’habiter ? C’est précisément ce que l’on va chercher à comprendre, grâce à une lecture croisée de ces deux textes au cours de laquelle nous suivrons pas à pas les mots de Heidegger.
Le propos de Heidegger n’est pas de « découvrir des idées de constructions, encore moins de prescrire des règles à la construction » (p. 170). Ne nous attendons donc pas à prélever dans ces textes des directives architecturales. En effet, il s’agit de réfléchir au « bâtir » non pas « du point de vue de l’architecture et de la technique » mais du point de vue de « tout ce qui est », c’est-‐à-‐dire du point de vue ontologique, ce qui devrait être singulièrement édifiant, si je puis dire, pour de futurs architectes et concepteurs d’espaces. La question posée est donc la suivante :
« Qu’est-‐ce que l’habitation ? » (p. 170).
Mais il ne faut pas entendre par là la forme architecturale habitée, le local habité, bref le logement. « Habitation » signifie ici action et façon d’habiter, ou condition habitante. Ce qui revient à demander : « Qu’est-‐ce qu’habiter ? »
Habiter et loger
La première idée importante à relever, c’est que l’habitation n’a rien à voir avec le logement. Entendez : le fait d’habiter n’a rien à voir avec le fait d’être logé. Occuper un logis, ce n’est pas habiter :5
« Les bâtiments donnent une demeure à l’homme. Il les habite et pourtant il n’y habite pas, si habiter veut dire seulement que nous occupons un logis. À vrai dire, dans la crise présente du logement, il est déjà rassurant et réjouissant d’en occuper un ; des bâtiments à usage d’habitation fournissent sans doute des logements, aujourd’hui les demeures peuvent même être bien comprises, faciliter la vie pratique, être d’un prix accessible, ouvertes à l’air, à la lumière et au soleil : mais ont-‐elles en elles-‐mêmes de quoi nous garantir qu’une habitation a lieu ? » (p. 171).
5 Ici et par la suite, c’est nous qui soulignons (L.C)
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Habiter ne veut pas dire « avoir un logement » (p. 226). Un logement, à proprement parler, ce n’est rien d’autre qu’un local, c’est-‐à-‐dire une boîte dans laquelle on peut insérer des objets et des corps. Ainsi, en langue française, on peut dire « loger une balle dans la tête » pour signifier précisément l’acte de faire entrer ou pénétrer à l’intérieur. Par où l’on voit que le terme « loger » signifie uniquement contenir. En ce sens, il n’est pas faux de dire qu’un appartement est un logement puisque c’est une boîte, aussi décomposée soit-‐elle, capable de contenir un ou plusieurs corps humains. Mais, de ce point de vue, un cercueil est lui aussi un logement.
Habiter et être
Cependant, pour Heidegger, si on ne peut se satisfaire de cette « représentation courante de l’habitation » comme « possession d’un logement » (p. 226), c’est parce qu’elle présuppose que le fait d’habiter, l’habitation, est un comportement de l’homme parmi d’autres comportements :
« D’ordinaire, quand il est question d’habiter, nous nous représentons un comportement que l’homme adopte à côté de beaucoup d’autres. Nous travaillons ici et nous habitons là. Nous n’habitons pas seulement, ce serait presque de l’oisiveté, nous sommes engagés dans une profession, nous faisons des affaires, nous voyageons et, une fois en route, nous habitons tantôt ici, tantôt là. » (p. 173). « Nous travaillons à la ville, mais habitons en banlieue. Nous sommes en voyage et habitons tantôt ici, tantôt là. » (p. 226).
Or, l’habitation ce n’est pas un comportement qu’on peut prélever au sein d’une série de comportements possibles qui seraient égaux entre eux. Sur ce point, délibérément ou non , Heidegger est en rupture radicale avec les théories fonctionnalistes du mouvement moderne, et en particulier avec la théorie des quatre fonctions urbaines proposée par Le Corbusier quelques années plus tôt, en 1943, dans La Charte d’Athènes :
« Les clefs de l’urbanisme sont dans les quatre fonctions : habiter, travailler, se recréer (dans les heures libres), circuler. »
Pour Heidegger, un tel principe est une négation pure et simple de l’essence même de « l’habitation ». L’habitation n’est pas un comportement que l’on cumule avec d’autres comportements qui seraient sur le même plan ou à l’intérieur d’une même série, fût-‐ce celle de la « ville fonctionnelle » corbuséenne. L’habitation, ce n’est pas un comportement parmi d’autres mais c’est ce qui préside à tout comportement possible, c’est le socle fondateur de tous les comportements. Parce qu’habiter, ce n’est pas une fonction, c’est une condition. C’est même « le trait fondamental de la condition humaine » (p. 226). En quel sens ? Au sens où l’habitation, l’habiter, ce n’est rien d’autre que la manière d’être au monde de l’homme. Habiter, c’est être homme. L’homme est, dans son être même, un habitant.
« La façon dont tu es et dont je suis, la manière dont nous autres hommes sommes sur terre est le buan, l’habitation. Être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-‐à-‐dire : habiter. […] L’homme est pour autant qu’il habite. » (p. 173). « Habiter est la manière dont les mortels sont sur terre » (p. 175). « Habiter désigne déjà le séjour de l’homme sur la terre, sur “cette” terre, à laquelle tout mortel se sait confié et livré » (p. 230).
Mais c’est seulement là le premier aspect. En effet, pour Heidegger, habiter, ce n’est pas uniquement être sur la terre ou séjourner sur la terre ; c’est plus encore ménager le faire d’être sur la terre, ou ménager le séjour terrestre, c’est-‐à-‐dire l’épargner et en prendre soin. « Le trait fondamental de l’habitation est [le] ménagement » (p. 176). « Il a lieu quand nous laissons dès le début quelque chose dans son être, quand nous ramenons quelque chose à son être et l’y mettons en sûreté, quand nous l’entourons d’une protection » (p. 175). Ainsi : « Habiter, être mis en sûreté, veut dire : rester enclos dans ce qui nous est parent, c’est-‐à-‐dire dans ce qui est libre et qui ménage toute chose dans son être » (p. 176).
En ce sens, l’habitation, c’est le « séjour sur terre des mortels » (p. 176) en tant que séjour qui ménage l’homme dans son être, qui met l’être de l’homme en sûreté, en lui permettant de rester inscrit (« enclos ») sur la terre dont il est l’enfant (« ce qui nous est parent »). Il y a peut-‐être, dans ce propos de Heidegger, une position pré-‐écologique consistant à soutenir que l’habitation, c’est le fait d’être sur la terre en protégeant le fait d’être sur la terre.
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« L’homme habite la terre et, en habitant, laisse la terre être comme terre » (p. 242)
Un peu plus loin, il précise ce qu’il entend par là. Exister ou habiter la terre veut dire tout à la fois, dans une même unité et simplicité originelles, quatre choses : être sur la terre, vivre sous le ciel, demeurer devant les divins et appartenir à la communauté des hommes. C’est ce qu’il appelle « Les Quatre » ou le « Quadriparti ». Dès lors, habiter c’est être dans le Quadriparti (être sur terre, être sous le ciel, demeurer devant les divins, appartenir à la communauté des hommes) et l’habitation c’est le ménagement du Quadriparti, c’est-‐à-‐dire le fait de ménager les quatre éléments du Quadriparti, à savoir :
• sauver la terre : non pas seulement l’arracher à un danger, mais la libérer, la laisser revenir à son être propre, et non en tirer profit pour l’épuiser ; « Sauver la terre est plus qu’en tirer profit, à plus forte raison que l’épuiser. Qui sauve la terre ne s’en rend pas maître, il ne fait pas d’elle sa sujette »
• accueillir le ciel : laisser les rythmes célestes et naturels accomplir leur oeuvre et ne pas les modifier ; « Au soleil et à la lune ils laissent leurs cours, aux astres leur route, aux saisons de l’année leurs bénédictions et leurs rigueurs, ils ne font pas de la nuit le jour ni du jour une course sans répit »
• attendre les divins : espérer qu’un divin donne un sens à l’existence et en même temps constater l’absence de sens donné ; être homme, c’est prendre parti sur la question du rapport au divin, soit en méconnaissant le divin soit en l’appelant. « Ils attendent les signes de leur arrivée et ne méconnaissent pas
• aller vers la mort : non pas faire de la mort un but ni même assombrir l’existence par l’effet d’un regard aveuglément fixé sur la fin, mais simplement accomplir son destin d’être mortel en appartenant à la communauté des hommes : « Les mortels habitent alors qu’ils conduisent leur être propre – pouvoir la mort comme mort »
Ainsi, l’habitation, c’est le fait de se maintenir dans l’unité originelle des quatre composantes de l’existence :
« Dans la libération de la terre, dans l’accueil du ciel, dans l’attente des divins, dans la conduite des mortels, l’habitation se révèle comme ménagement quadruple du Quadriparti »
Habiter, c’est ménager le Quadriparti. Habiter, c’est être mortel entre le ciel et la terre, et ménager le fait d’être mortel entre le ciel et la terre. Cela va donc bien au-‐delà de la simple question du logement et de la seule construction de bâtiments. Habiter, c’est fondamentalement beaucoup plus large et essentiel que simplement loger. L’archéologie et l’anthropologie donnent d’ailleurs en grande partie raison à Heidegger : les hommes ont habité la terre bien avant qu’ils ne construisent des maisons ou des « habitats ». Ainsi les chasseurs-‐cueilleurs du Paléolithique, pendant des milliers d’année, habitaient la terre mais n’avaient pas de maison ou logement. Leur habitat privilégié, mais non exclusif, était les grottes. Celles-‐ci ont commencé à être délaissées au profit d’installations en plein air seulement avec le Néolithique, il y a 10 000 ans. C’étaient d’abord des maisons rondes, creusées dans le sol, avant de devenir des constructions avec de vrais murs en pierre, bâties sur le sol, et bientôt rectangulaires. Le logement n’est donc qu’une forme contingente et historiquement tardive de l’habitation comme mode d’existence fondamental de l’homme sur la terre.
Habiter et bâtir
La question est maintenant de savoir comment les hommes font pour ménager leur séjour sur terre. « Comment les mortels accomplissent-‐ils l’habitation au sens d’un tel ménagement ? » (p. 179), demande Heidegger. Réponse : en intervenant sur les choses car « habiter, c’est toujours séjourner déjà parmi les choses » (p. 179). C’est-‐à-‐dire : en bâtissant.
« De cette manière, que les mortels protègent et soignent les choses qui croissent et qu’ils édifient spécialement celles qui ne croissent pas. Soigner et construire, tel est le “bâtir” (bauen) au sens étroit. L’habitation, pour autant qu’elle préserve le Quadriparti en le faisant entrer dans les choses, est un bauen au sens d’une telle préservation ». (p. 179)
Nous voilà au terme du propos heideggerien : habiter, c’est bâtir ; et bâtir, c’est à la fois préserver les choses naturelles et construire des choses non-‐naturelles, par quoi le séjour sur terre peut être ménagé et le
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Quadriparti préservé. Par où il apparaît au passage que le bâtir fait partie de l’habitation ou que l’habitation précède le bâtir. C’est pourquoi il faut cesser de penser « habiter et bâtir comme deux activités séparées » : [DIAPO] « Bâtir est déjà, de lui-‐même, habiter » (p. 171) « Nous n’habitons pas parce que nous avons “bâti”, mais nous bâtissons et avons bâti pour autant que nous habitons » (p. 175). Bâtir, c’est déjà habiter, dans la mesure où c’est préserver l’habitation qui est déjà là.
Dès lors, bâtir c’est « édifier des choses » (p. 180). Mais qu’est-‐ce qu’une chose construite ? L’exemple du pont. Le pont réalise les 4 exigences du Quadriparti :
• « Le pont rassemble autour du fleuve la terre comme région » (p. 180) • « Là même où le pont couvre le fleuve, il tient son courant tourné vers le ciel, en ce qu’il le reçoit pour
quelques instants sous son porche, puis l’en délivre à nouveau » • « Le pont laisse au fleuve son cours et en même temps il accorde aux mortels un chemin, afin qu’à pied
ou en voiture, ils aillent de pays en pays » (que ce soit le pont qui relie le quartier du château à la place de la cathédrale, le pont sur le fleuve devant le chef-‐lieu, le vieux pont de pierre au-‐dessus du petit cours d’eau…)
• « il est l’élan qui donne un passage vers la présence des divins : que cette présence soit spécialement prise en considération et visiblement remerciée comme dans la figure du saint protecteur du pont, ou qu’elle demeure méconnaissable, ou qu’elle soit même repoussée et écartée »
« Le pont, à sa manière, rassemble auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels » (p. 181)
Le pont fait donc partie de ces choses construites, de ces choses édifiées, qui accomplissent le ménagement du Quadriparti, qui permettent de ménager le séjour sur terre, en tant que séjour des mortels entre le ciel et la terre. En tant que tel, le pont n’est pas un simple pont. Il est une chose, mais une chose d’une espèce particulière : une chose qui a la capacité d’offrir au Quadriparti une place, c’est-‐à-‐dire de lui assigner un emplacement et par conséquent de le mettre en « espace ». Cela est possible parce que le pont fait advenir un lieu : « Le lieu n’existe pas avant le pont » (p. 182). Beaucoup d’endroits, le long du fleuve, peuvent être occupés par une chose ou une autre. Si l’un de ces endroits peut devenir un lieu, c’est grâce au pont qui introduit le Quadriparti, c’est-‐à-‐dire qui installe un séjour pour les mortels entre le ciel et la terre : « Ainsi ce n’est pas le pont qui d’abord prend place en un lieu pour s’y tenir, mais c’est seulement à partir du pont lui-‐même que naît un lieu » (p. 183). Un lieu est donc une chose qui permet de donner un emplacement au Quadriparti. Un lieu est une chose qui « met en place un espace, dans lequel sont admis la terre et le ciel, les divins et les mortels » (p. 184). Bref, un lieu est un emplacement qui offre un espace pour exister en tant qu’homme.
« Il s’ensuit que les espaces reçoivent leur être des lieux et non de « l’ » espace » (p. 183)
Ce sont les lieux qui font les espaces, définis précisément comme des emplacements qui ménagent le Quadriparti, qui ménagent le séjour des mortels entre le ciel et la terre. Ce sont les lieux qui aménagent des « espaces ». Un lieu est un emplacement qui ménage un espace.
« Les choses qui en tant que lieux « ménagent » une place, nous les appelons maintenant par anticipation des bâtiments » (p. 184)
Mais qu’est-‐ce exactement qu’un bâtiment ainsi entendu ? Pour cela, il faut tenter de comprendre « la relation qui unit l’homme et l’espace » (p. 186).
L’espace installé par le pont renferme une variété de places ou emplacements plus ou moins proches les uns des autres. Entre eux, subsiste une distance, un intervalle, qu’on appelle « l’espace » de manière générale, au sens de spatium. Et à l’intérieur de cet espace comme intervalle, se trouve l’espace comme extension calculable en trois dimensions, au sens de extensio (étendue). On peut donc mesurer au sein des espaces des quantités d’espace, des distances, des trajets, des directions… Mais ces mesures n’ont rien à voir avec « le fondement de l’être des espaces ». Autrement dit l’espace abstrait et générique de la physique, comme espace calculable et mesurable, n’a rien à voir avec « les espaces que nous parcourons journellement » et qui sont
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« ménagés par des lieux ». Il faut donc distinguer « entre le lieu et les espaces » mais aussi entre « les espaces et l’espace ».
« L’espace n’est pas pour l’homme un vis-‐à-‐vis. Il n’est ni un objet extérieur ni une expérience intérieure. Il n’y a pas les hommes, et en plus de l’espace ; car si je dis “un homme” et que par ce mot je pense un être qui ait manière humaine, c’est-‐à-‐dire qui habite, alors, en disant “un homme”, je désigne déjà le séjour dans le Quadriparti auprès des choses. » (p. 186)
Ce qui signifie que l’homme est, par essence, un être spatial, un être d’espace, dans la mesure où sa condition ontologique même est une condition habitante. C’est pourquoi cela n’a aucun sens de parler de l’homme et de l’espace comme de deux choses séparées. L’homme est un être spatialisé, il est par essence un-‐être-‐dans-‐l’espace au sens où c’est un être-‐qui-‐séjourne. L’homme est en tant qu’il se tient dans l’espace.
« Les mortels sont, cela veut dire : habitant, ils se tiennent d’un bout à l’autre des espaces, du fait qu’ils séjournent parmi les choses et les lieux » (p. 187). « La relation de l’homme et de l’espace n’est rien d’autre que l’habitation pensée dans son être » (p. 188)
Maintenant peut donc s’éclairer « l’être des choses qui sont des lieux et que nous appelons des bâtiments » (p. 188), comme le pont. « Le lieu donne une place au Quadriparti en un double sens. Il l’admet et il l’installe. […] En tant qu’il est la double mise en place, le lieu est une garde du Quadriparti ou, comme le dit le même mot, une demeure pour lui. » Un lieu est ce qui veille sur le Quadriparti, c’est-‐à-‐dire ce qui veille sur le séjour des hommes sur terre et le préserve. « Les choses qui sont du genre de pareils lieux donnent une demeure au séjour des hommes. Les choses de cette sorte sont des demeures, mais non pas nécessairement des logements au sens étroit. Pro-‐duire de telles choses, c’est bâtir. » (p. 189)
Par conséquent, construire, c’est créer des lieux qui veillent sur le séjour des hommes sur terre et le préservent, c’est-‐à-‐dire « des lieux qui mettent en place des espaces » (p. 189). Un espace est un lieu qui veille sur le séjour des hommes sur terre et le préserve. « Ainsi, puisque bâtir est édifier des lieux, c’est également fonder et assembler des espaces »(p. 189). Dès lors, « le bâtir, puisqu’il produit des choses comme lieux, est plus proche de l’être des espaces et de l’origine de “l”’espace que toute la géométrie et toutes les mathématiques » (p. 189)
Ainsi, bâtir ne peut seulement être « construire des bâtiments et les munir d’installations » (p. 242) : ça, c’est seulement créer des logements. Bâtir, c’est édifier des lieux, c’est-‐à-‐dire des espaces qui ménagent le séjour des hommes sur terre. Toute construction qui ne ménage pas le séjour des hommes sur terre, qui ne veille pas sur lui et ne le préserve pas, n’est pas un bâtiment et est contraire à l’être-‐même de l’homme. Et c’est pourquoi, disions-‐nous plus haut, on ne peut penser le bâtir et l’habiter comme deux choses séparées. Le bâtir fait partie de l’habiter et reçoit de lui son être. C’est l’habitation, en tant que séjour sur terre des mortels, qui donne au bâtir son sens.
« Bâtir est, dans son être, faire habiter » (p. 191)
Heidegger voit même dans le bâtir ainsi entendu un acte poétique :
« C’est la poésie qui, en tout premier lieu, amène l’habitation de l’homme à son être. La poésie est le “faire habiter” originel » (p. 242). « Le vrai habiter a lieu là où sont des poètes » (p. 243)
Habiter aujourd’hui
Le problème est qu’à notre époque « on n’appréhende plus l’habitation comme étant l’être de l’homme : encore moins l’habitation est-‐elle jamais pensée comme le trait fondamental de la condition humaine. » (p. 174).
« Qu’en est-‐il de l’habitation à notre époque qui donne à réfléchir ? Partout on parle, et avec raison, de la crise du logement. On n’en parle pas seulement, on met la main à la tâche. On tente de remédier à la crise en créant
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de nouveaux logements, en encourageant la construction d’habitations, en organisant l’ensemble de la construction. Si dur et si pénible que soit le manque d’habitations, si sérieux qu’il soit comme entrave et comme menace, la véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le manque de logements. La vraie crise de l’habitation, d’ailleurs, remonte dans le passé plus haut que les guerres mondiales et que les destructions, plus haut que l’accroissement de la population terrestre et que la situation de l’ouvrier d’industrie. La véritable crise de l’habitation réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter. » (p. 193)
Habiter la maison
Les hommes habitent la terre depuis plusieurs dizaines de milliers d’années, mais ils ne construisent des maisons que depuis dix mille ans. En dix mille ans, la maison est devenu l’archétype de l’habitat humain. D’abord, parce qu’elle a longtemps été la seule forme construite capable d’abriter les hommes ; ensuite, parce qu’elle est inscrite dans notre imaginaire de manière extrêmement prégnante plus que toute autre forme construite. Si nous quittons les terres de l’ontologie pour rejoindre celles de la psychologie, et ainsi nous rapprocher des usages plus contemporains de l’habitation, nous découvrons que nous sommes tous façonnés psychiquement par un modèle de maison. Comme le montre le pédopsychiatre Jean-‐Louis Le Run, dans son article « L’enfant et l’espace de la maison » (2), auquel je me référerai plusieurs fois, on la voit en général comme « la maison bourgeoise avec sa cave, son grenier, son toit pentu et son jardin plein de charme, ses volets comme des paupières, maison idéale, maison rêvée, mais finalement assez éloignée de l’expérience la plus courante ».
En effet, la maison a beaucoup évolué : « De la grotte qui abritait nos ancêtres préhistoriques ou de la simple hutte à la maison d’aujourd’hui, c’est toute une culture de l’habitat qui s’est élaborée avec ses nécessités, ses modes et ses canons, en lien avec l’évolution de la société et de la famille nucléaire. Du Moyen Âge au XVII siècle, la maison est, le plus souvent, aussi le lieu du travail : ferme, boutique, atelier, château, etc., et, à ce titre, elle est largement fréquentée et abrite souvent la maisonnée (maîtres, apprentis, domestiques, plusieurs générations familiales), bien plus large que la famille nucléaire contemporaine ». (Jean-‐Louis Le Run). Sans distinction entre le public et le privé, la promiscuité est très importante et l’on ne connaît pas la solitude.
Vient ensuite « l’organisation de la maison qui prévaut, aujourd’hui, en occident et qui distingue, de plus en plus, les espaces d’intimité et d’hygiène (chambres, salle de bain, toilettes), les espaces de sociabilité et de réception (salon, salle à manger, cuisine), les espaces de relégation et d’entrepôt (cave, grenier, placards) et les espaces de circulation et de communication (couloirs, escaliers, portes). Le seuil, l’entrée sont le cadre de cette fonction fondamentale qui consiste à laisser entrer et sortir de chez soi. Ils donnent lieu à toutes sortes d’usages, de rituels et de codes selon qu’il s’agit d’une visite de familiers, d’amis, de relations, de visiteurs fonctionnels ou d’importuns. » (Jean-‐Louis Le Run)
« Ce schéma, déjà classique, évolue avec la société et l’exacerbation de l’individualisme et du célibat, et, combiné à l’étroitesse des logements en ville, amène un retour au décloisonnement sous la forme d’open spaces, de cuisines américaines, de lofts, de cloisons modulables et la recherche d’une évolutivité de l’espace. L’arrivée de l’ordinateur dans une majorité de foyers impose de lui trouver une place, imprévue dans les canons habituels. » (Jean-‐Louis Le Run)
Même si tout le monde n’a pas grandi ni même connu l’espace d’une maison, la maison est à considérer en fait comme le symbole de l’habitat dans l’imaginaire occidental. Comme le montre l’architecte M.-‐C. Duriez dans des entretiens menés à la fin des années 1980 avec des enfants sur l’architecture (3) : « faire parler de la maison, c’est aussi faire parler de l’appartement ». En effet, « la description du plan de la maison par les enfants, dans un premier temps, correspond à la transposition du plan de l’appartement dans un volume différent ». Par conséquent, c’est toujours sur le modèle archétypal de la maison que nous reportons nos manières de penser et de rêver l’habitat. Dès lors, il faut se demander : qu’est-‐ce qu’une maison du point de vue psychique ?
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La maison onirique
Selon Jean-‐Louis Le Run, la maison est l’espace qui a le plus d’influence sur la construction de nos repères spatiaux et affectifs. « La maison est un abri, elle est ce corps enveloppant et protecteur qui vient redoubler, de l’extérieur, l’enveloppe maternelle »,. Du point de vue psychique, en effet, le corps de la mère est le premier abri. Celui qui, avant tout autre, préserve des agressions extérieures. L’espace de la maison est donc au départ pour l’enfant l’extension du corps maternel et, à ce tire, devient l’espace de l’intimité familiale, plus ou moins variable selon les époques et les cultures. C’est pourquoi je prendrai désormais le terme de « maison » au sens du « chez soi », du home anglais, qu’il s’agisse, sur le plan architectural, d’une maison proprement dite ou d’un appartement.
Dès lors, si l’on se réfère maintenant à Bachelard, dans La poétique de l’espace, on observe que nous sommes tous habités par notre « maison natale », par notre « home » originel :
« La maison natale est plus qu’un corps de logis, elle est un corps de songes. »
C’est-‐à-‐dire que nous sommes remplis des souvenirs de notre première maison et des premières expériences que nous y avons fait du monde :
Jean-‐Louis Le Run :
« C’est un terrain d’expériences sensorielles avec des murs, des portes qui s’ouvrent et se ferment, des fenêtres, des cloisons, un plafond, un sol en bois, en pierre ou en moquette, des meubles durs ou mœlleux, profonds ou non, des odeurs et des bruits, des coins chauds ou froids. La maison est peuplée de bruits : tic tac de la pendule, ronron du réfrigérateur, grincements du parquet, claquements de porte, bruit de fond de la télé… et d’odeurs : des plats qui se préparent à la cuisine, du gâteau qui brûle, de l’encaustique autrefois et des parfums chimiques aujourd’hui, du chien les jours de pluie, des fleurs qui pourrissent dans le vase. »
De même :
« Elle est le premier terrain de jeu : les obstacles, les escaliers, les objets et les meubles sont autant de matériel d’exercices ludiques où s’entraîne la motricité de l’enfant et se construit son schéma corporel. Sauter sur les lits, grimper sur les chaises, dévaler les escaliers, se suspendre à la rampe, grimper sur le rebord des fenêtres, se cacher sous la table ou derrière un fauteuil, dans un placard, faire tomber une armoire, autant d’expériences qu’autorise la maison et que défendent les parents ! » (Jean-‐Louis Le Run)
Pour Bachelard, c’est surtout un lieu de rêverie :
« La maison natale est plus qu’un corps de logis, elle est un corps de songes. Chacun de ses réduits fut un gîte de rêverie. Et le gîte a souvent particularisé la rêverie. Nous y avons pris des habitudes de rêverie particulière. La maison, la chambre, le grenier où l’on a été seul, donnent les cadres d’une rêverie interminable, d’une rêverie que la poésie pourrait seule, par une oeuvre, achever, accomplir. Si l’on donne à toutes ces retraites leur fonction qui fut d’abriter des songes, on peut dire, comme je l’indiquais dans un livre antérieur [La terre et les rêveries du repos, p. 98.], qu’il existe pour chacun de nous une maison onirique, une maison du souvenir-‐songe, perdue dans l’ombre d’un au-‐delà du passé vrai. »
Ainsi, dans la maison natale, nous avons appris à rêver à et à habiter d’une certaine manière. Et cette manière d’habiter, à travers nos rêveries, ne nous quitte jamais. C’est pourquoi il y a en nous une sorte de maison onirique, un fantasme de maison, qui nous accompagne et que nous transportons dans nos autres habitats, au fil des âges de la vie : Michel de Certeau note la même chose dans L’invention du quotidien : « Nos habitats successifs ne disparaissent jamais totalement, nous les quittons sans les quitter, car ils habitent à leur tour, invisibles et présents, dans nos mémoires et nos rêves » (vol. 2, p. 210).
Mais Bachelard montre que cela va au-‐delà de la seule rêverie. Notre corps lui-‐même est porteur de nos habitudes d’habiter notre maison natale : « la maison natale est physiquement inscrite en nous. Elle est un
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groupe d’habitudes organiques. À vingt ans d’intervalle, malgré tous les escaliers anonymes, nous retrouverions les réflexes du « premier escalier », nous ne buterions pas sur telle marche un peu haute. Tout l’être de la maison se déploierait, fidèle à notre être. Nous pousserions la porte qui grince du même geste, nous irions sans lumière dans le lointain grenier. La moindre des clenchettes est restée en nos mains. »
Dès lors, nous transportons avec nous dans toutes non seulement nos rêveries mais nos habitudes corporelles, celles que nous avons apprises dans notre maison natale. Avant même d’emménager dans un appartement, nous introduisons en lui une foule de pratiques qui sont indépendantes de lui :
« Les maisons successives où nous avons habité plus tard ont sans doute banalisé nos gestes. Mais nous sommes très surpris si nous rentrons dans la vieille maison, après des décades d’odyssée, que les gestes les plus fins, les gestes premiers soient soudain vivants, toujours parfaits. En somme, la maison natale a inscrit en nous la hiérarchie des diverses fonctions d’habiter. Nous sommes le diagramme des fonctions d’habiter cette maison-‐là et toutes les autres maisons ne sont que des variations d’un thème fondamental. »
De ce point de vue, la maison apparaît non pas comme une « machine à habiter », comme le dit Le Corbusier, mais plutôt comme une machine à apprendre à habiter. Dans la maison natale, nous avons appris une manière de séjourner sur terre, d’être dans le Quadriparti, en incorporant des habitudes d’habitation. Peut-‐être alors que nous recherchons dans nos logements d’adulte à recréer le même séjour sur terre que celui dans lequel nous avons grandi.
De ce parcours, il ressort en tout cas que l’habitat n’est pas seulement un logement : c’est un lieu dans lequel il est fait une place à l’homme en tant qu’être mortel séjournant entre la terre et le ciel et en tant qu’être qui rêve. En cela, Heidegger a raison de dire, en reprenant le vers de Hölderlin, que « l’homme habite en poète ».
Notes
1. Les deux conférences ont été recueillies et publiées en 1954, avec d’autres textes de Heidegger, dans Essais et conférences, ouvrage traduit en français aux éditions Gallimard en 1958 dans la collection « Les Essais » (et repris dans la collection « TEL » en 1980, à laquelle je me réfère ici) 2. J.-‐L. Le Run, « L’enfant et l’espace de la maison », in Enfance et psy, éd. Érès, n°33, 2006/4 3. M.-‐C. Duriez, « L’enfant et l’architecture », in L’enfant et sa maison, éd. ESF, 1988.
Partie 3 : LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE Lydia Coessens a) Le normal et la pathologique : les apports de Canguilhem
La restitution de la personne dans la médecine: le primat du vécu du patient dans la démarche thérapeutique En médecin-‐ philosophe, Canguilhem va tenter de réintégrer la notion de personne au sein de la démarche scientifique et thérapeutique, il va réinvestir de vie le vivant humain à travers une pensée sur le normal, le sain, le pathologique et le malade. Canguilhem va redonner à la personne sa capacité de s'exprimer, et parallèlement il va demander à la science de la réécouter. Le normal c'est la normativité Le normal est le concept clé de toute la philosophie de Canguilhem, il est le fruit de la remise en question de la conception objectiviste de la médecine. Le Normal et le pathologique va faire basculer le concept de normal de l'objectivité à la subjectivité comme point de référence.
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Pour Canguilhem, il n'y a pas de "normal et de pathologique en-‐soi", ce qui implique une réfutation de l'objectivité de la norme concernant le vivant, et le refus d'une essence de la santé parfaite. Si on ne peut penser objectivement le normal (de la santé) et le pathologique, on se trouve devant une impasse pour les traiter d'un point de vue philosophique et scientifique: comment traiter des données sans référence objective ? Canguilhem aborde la question du point de vue opposé: le normal et le pathologique ne peuvent être pensés que par rapport à une autre conception de la nature humaine. Comme il n'y a pas de normal, ni de pathologique en-‐soi, il n'y a pas non plus de Nature humaine universelle, sa caractéristique réside, au contraire, dans sa normativité. Pour Canguilhem, le normal c'est le normatif. La normativité peut se définir comme des "autres normes de vie possibles". Etre normatif, c'est pouvoir s'adapter, se donner de nouvelles normes d'existence, "l'homme normal, c'est l'homme normatif, l'être capable d'instituer de nouvelles normes, même organiques"[6] . La normativité ne peut être comprise que par référence à l'individu qui juge des nouvelles normes de vie dont il fera l'expérience. Cette notion implique deux idées essentielles : La première est que le vivant humain a la capacité d'être infiniment autre, de se modifier devant les sollicitations extérieures. La seconde implication est qu'il n'y a de norme que subjective, c'est à dire vis-‐à-‐vis de l'individu qui évalue son mode d'existence modifié. La normativité permet de comprendre qu'il n'y ait ni normal, ni pathologique en-‐soi. Nier l'objectivité, c'est redonner voix à la subjectivité qui se sent normale, ou qui se sent malade. C'est réhabiliter la place centrale du vécu du patient dans la relation soignant –soigné. N'est normal que celui qui se sent normal : la question de l'anomalie. Dire que l'homme normal est celui qui éprouve son existence, qui jauge sa normativité, implique que l'on pense la frontière entre le normal et le pathologique sur fond de subjectivité. L'anomalie est l'illustration de ce seuil: "Etre normal, c'est s'éloigner par son organisation de la grande majorité des êtres auxquels on doit être comparé(…). L'anomalie prise en général est un concept purement empirique ou descriptif; elle est un écart statistique"[7]. Considérer l'anomalie comme écart statistique, c'est la faire entrer dans une classification, et de ce fait, comparer les variations relativement à une norme. Dans cette perspective, l'anomalie est donc nécessairement pathologique. Alors, la norme sera une moyenne statistique. Canguilhem réfute cette définition. L'anomalie n'est pathologique que si elle est sentie comme telle: "L'anomalie est ignorée dans la mesure où elle est sans expression dans l'ordre des valeurs vitales (…), elle n'est connue de la science que si elle a d'abord été sentie dans la conscience, sous forme d'obstacle à l'exercice des fonctions"[8]. Le pathologique n'est tel que par rapport à la conscience qui sent, qui évalue la réduction de la normativité, qui vit d'une vie plus moins libre. Si l'anomalie ne réduit en rien les possibilités du vivant, elle sera une différence mais non une anormalité. C'est le sujet qui détermine la frontière entre le normal et le pathologique dès lors qu'il éprouve un pathos, c'est à dire un sentiment d'anormalité, la sensation d'un écart à ses normes habituelles. L'expérience de la subjectivité devient fondamentale dans la pratique médicale, qui se voit dès lors obligée d'écouter l'homme qui se sent autre, et qui n'assume pas ce nouvel état. La maladie est précisément ce sentiment, cette intuition de ne plus pouvoir répondre soi-‐même aux sollicitations du milieu, c'est l'expérience de la perte d'autonomie. Le pathologique est diminution des forces, moindre résistance de l'homme au milieu; le normal est à l'opposé possibilité de résistance vitale: "L'homme normatif est l'homme créateur de ses valeurs vitales et sociales"[9]. De la normativité prise comme caractéristique du vivant humain, il s'en suit que: "La vie d'un vivant ne reconnaît les catégories de la santé que sur le plan de l'expérience, qui est d'abord son épreuve au sens affectif du terme, et non sur le plan de la science"[10]. Il n'y a donc de normal et de pathologique que pour-‐soi, que pour l'être qui a conscience de son existence, qui se représente à lui-‐même sa vie dans la continuité et surtout à travers les changements. Le pathologique est sentiment de diminution « Pathologique implique un pathos, sentiment direct et concret de souffrance et d'impuissance, sentiment de vie contrariée »[11]. Le pathologique naît donc d'un sentiment de pathos, de la conscience d'une diminution de soi issue d'une réduction de la normativité. On peut expliquer ce point à la lumière de Kant. « On appelle la capacité d'avoir du plaisir ou de la peine en raison d'une représentation : sentiment, parce que ces deux états ne contiennent que ce qui est le subjectif simple dans son rapport avec notre représentation et n'ont aucune relation à un objet en vue de la connaissance possible »[12]. Le pathologique conçu comme sentiment est
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donc un regard porté sur soi, une considération de sa propre histoire normative, le sujet éprouve une diminution qu'il affirme en référence à la représentation qu'il se fait de sa propre santé. L'idée, fondamentale pour la problématique de la douleur, qui apparaît ici est que la conscience et donc le vécu fournit une information essentielle sur la maladie. Celle-‐ci est appréhendée d'abord subjectivement par le malade qui éprouve un écart à son état normal, la connaissance du pathologique est originairement moins scientifique qu'intuitive, l'homme se rapporte immédiatement à ce que lui disent ses sens, il se fie à la connaissance qu'il a l'expérience de sa normalité ; en bref, il connaît son état en l'éprouvant. L'importance de l'intuition du patient Deux implications découlent de la définition de la maladie qui vient d'être donnée:
-‐ La première est philosophique: elle redonne de l'influence à la connaissance intuitive, d'ailleurs longtemps laissées de coté par une tradition rationaliste. -‐ La seconde implication concerne la relation médecin – patient : le premier se doit de considérer la conscience du patient, d'écouter ce que lui délivre son intuition : « C'est le pathos qui conditionne le logos ».
"Chercher la maladie au niveau de la cellule, c'est confondre le plan de la vie concrète, où la polarité dynamique fait la différence entre santé et maladie, et le plan de la science abstraite."[13] En mettant en avant la confusion, Canguilhem va montrer que le médecin doit tenir compte de la dimension individuelle et subjective de la maladie, de la conscience et de la sensation du malade, par là, il va restituer la personne dans sa propre expérience pathologique, dans ses trois dimensions constitutives, à savoir organique, sensible et intelligente, trois aspects de l'homme que la médecine ne peut traiter séparément. En redonnant valeur à l'intuition, Canguilhem va insister sur une écoute différente du malade et une compréhension plus riche et plus complète de la maladie. L'enjeu ultime réside dans le fait que l'individu pensé comme subjectivité, est replacé au centre d'une pensée du normal et du pathologique, c'est à partir de lui seul que peut être défini un critère du normal, non à partir d'une moyenne théorique. La normalité est l'activation de la normativité permettant à l'organisme de faire varier ses normes de vie, la pathologie est une diminution de cette même normativité, mais c'est l'individu qui en prend conscience, qui se juge déficient, et en appelle à la médecine: «C'est la vie elle-‐même et non le jugement médical qui fait du normal biologique un concept de valeur non un concept de réalité statistique»[14]
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] Canguilhem, Georges, Le normal et le pathologique, Paris, PUF "Quadrige" [2] Ibid. p.11 [3] Ibid. p.74 [4] Ibid. p.14 [5] Ibid. p.34 [6] Ibid. p.87 [7] Ibid. p.82 [8] Ibid. p.84 [9] Le Blanc, Guillaume, Canguilhem et les normes, Paris, PUF "Philosophies", 1998, p70 [10] Canguilhem, Opus cité, p. 131 [11] Ibid. P 87 [12] Kant, Doctrine du droit, Métaphysique du droit, I, paris, Vrin, p.85 [13] Canguilhem, opus cité p.85 [14] Ibid. p. 87 [15] Ibid. P 87
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b) Critiques du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) http://www.infirmiers.com/actualites/actualites/psychiatrie-‐mobilisation-‐francaise-‐contre-‐dsm-‐v.html Article du journal La Croix du 15/5/13 : « Les psychiatres se divisent face au DSM-‐5, nouveau guide des maladies mentales » http://www.la-‐croix.com/Actualite/France/Les-‐psychiatres-‐se-‐divisent-‐face-‐au-‐DSM-‐5-‐nouveau-‐guide-‐des-‐maladies-‐mentales-‐2013-‐05-‐15-‐960374
Le congrès de l’Association américaine de psychiatrie s’ouvre samedi 18 mai à San Francisco dans un climat tendu. Cette association a rédigé le DSM5, un nouveau manuel qui classifie les diagnostics des maladies mentales.
Cet ouvrage est critiqué par une partie des psychiatres qui dénoncent le risque de « psychiatriser » et de « médicaliser » certains comportements normaux, comme la tristesse après un deuil.6
La planète « psy » est de nouveau en ébullition. Et c’est sur un ton solennel que plusieurs de ses représentants dénoncent un mouvement, venu des États-‐Unis, qui risque selon eux de « psychiatriser » divers comportements relevant de la plus parfaite normalité. Avec pour principale réponse thérapeutique la délivrance de médicaments psychotropes plutôt que l’écoute de la personne.
« Ce n’est pas une querelle d’experts. L’enjeu est de savoir si nous voulons une société qui “fabrique” des fous et étiquette comme maladies mentales certaines réactions normales comme la tristesse après un deuil », affirme le docteur Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, à la pointe de ce mouvement de contestation.
« Cette inquiétude se fonde sur des constats souvent fallacieux et surfe sur la théorie très en vogue du grand complot de l’industrie pharmaceutique qui inventerait de nouvelles maladies pour vendre des médicaments », répond Pascal Diethelm, un ancien fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« permettre à la psychiatrie mondiale d’avoir un langage commun «
Ce débat se cristallise autour du DSM-‐5, la nouvelle version d’un manuel rédigé par l’Association américaine de psychiatrie (APA) qui ouvre son congrès samedi 18 mai à San Francisco. Parfois présenté comme la « référence » de la psychiatrie mondiale, ce Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, qui en est à sa cinquième version, doit sortir le 22 mai. Édité pour la première fois en 1952, son objectif était au départ d’harmoniser les diagnostics à l’échelle de la planète.
« Certains travaux avaient montré que le diagnostic de schizophrénie en Angleterre n’avait rien à voir avec celui en vigueur aux États-‐Unis. On ne parlait pas toujours des mêmes malades », explique le professeur Viviane Kovess-‐Masfety, psychiatre, épidémiologiste et enseignante à l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
« L’avantage de ces classifications, c’est de permettre à la psychiatrie mondiale d’avoir un langage commun », souligne Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’hôpital Tarnier à Paris. « Mais le DSM a un inconvénient, celui de faire entrer les sujets dans des cases et, parfois, d’entraîner des diagnostics figés à un moment donné, sans tenir suffisamment compte de l’histoire et de l’environnement du patient », ajoute-‐t-‐il.
6 C’est nous qui soulignons (L.C)
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un risque de « déshumanisation » de l’homme et de la médecine
Dans sa première version, le DSM répertoriait 60 troubles mentaux. « Aujourd’hui, le DSM-‐5 en recense plus de 350 », constate le docteur Landman, qui considère que cette inflation risque d’entraîner des diagnostics erronés. « On peut citer le cas des personnes qui vivent un deuil, explique ce médecin. Certaines peuvent présenter divers symptômes : tristesse, perte d’appétit, troubles du sommeil, sentiment de culpabilité… La version 4 du DSM estimait que ces symptômes devenaient pathologiques s’ils se prolongeaient au-‐delà de deux mois. Désormais, avec le DSM-‐5, le délai est juste de 15 jours. Une personne qui a perdu un être cher pourra donc être considérée comme faisant un épisode dépressif majeur si elle continue à être triste au bout de deux semaines. Alors qu’elle est juste normalement endeuillée. »
Le docteur Landman cite d’autres exemples. « Le DSM-‐5 crée un nouveau trouble du comportement alimentaire : l’hyperphagie, que l’on pourra diagnostiquer chez toute personne ayant un accès de gourmandise par semaine. De la même manière, on pourra ranger dans les troubles mentaux le fait pour un enfant d’avoir trois crises de colère par semaine ou, pour une personne âgée, d’avoir de temps à autre des petits oublis de mémoire. »
Une inquiétude partagée par le professeur Maurice Corcos, chef du département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut mutualiste Montsouris. « En voulant délimiter le normal et le pathologique, on ne cesse d’élargir les catégories de la maladie mentale », estime ce spécialiste, qui dénonce un risque de « déshumanisation » de l’homme et de la médecine.
le DSM-‐5 ne recommande pas de traitements
De leur côté, les défenseurs du DSM-‐5 réfutent l’idée d’une hégémonie de la psychiatrie américaine sur le reste du monde. « Tous les comités ayant travaillé sur le manuel comprenaient un expert international », explique le professeur Kovess-‐Masfety, tout en dénonçant certaines « contre-‐vérités » avancées par les opposants. « Il peut arriver que des personnes développent d’authentiques dépressions après la perte d’un proche, dit-‐elle. Et dans ce nouveau manuel, il y a en fait tout un chapitre qui explique précisément la différence entre les symptômes normaux du deuil et ceux d’un épisode dépressif majeur. Le but est bien d’éviter de faire la confusion. »
Le professeur Kovess-‐Masfety met aussi en avant le fait que le DSM-‐5 ne recommande pas de traitements. « C’est juste un outil de diagnostic qui n’empêche pas le médecin de garder son libre arbitre et de ne pas prescrire un médicament s’il estime que cela n’est pas justifié. »
Un argument qui ne convainc pas le professeur Corcos. « En France, la formation initiale des médecins à la psychiatrie reste largement sous l’influence du DSM, affirme-‐t-‐il. Et il ne faut pas oublier que 80 % des psychotropes sont prescrits par des généralistes qui sont très sollicités par les laboratoires pharmaceutiques dont les études sont faites avec les classifications issues de ce manuel. »
les laboratoires utilisent ce manuel pour s’adresser aux consommateurs
Dans leur combat, les « anti » ont trouvé un allié de poids en la personne du docteur Allen Frances, un psychiatre américain qui a dirigé les travaux ayant abouti, en 1994, à la publication du DSM-‐4. Aujourd’hui, ce spécialiste multiplie les mises en garde, insistant notamment sur l’utilisation faite de ce manuel par les laboratoires. Il rappelle que, trois ans après sa sortie, l’industrie pharmaceutique a eu l’autorisation d’adresser des messages directs aux consommateurs américains.
« Cela a été une catastrophe », explique le docteur Frances dans un entretien publié l’an passé dans la revue PSN. « Sous l’effet combiné d’une publicité omniprésente et d’une agressivité commerciale à l’égard des médecins (…), nous avons assisté à l’invention de maladies, vu poser des diagnostics flous, publier de fausses statistiques totalement exagérées et se répandre des prescriptions sans limite », ajoute ce psychiatre.
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Avant de préciser que, au cours des vingt dernières années, aux États-‐Unis, le taux de troubles bipolaires chez l’enfant a été multiplié par 40 et ceux de l’autisme par 20. Autre chiffre cité par ce médecin : depuis la publication du DSM-‐4, le marché des médicaments contre les troubles de l’attention est passé de 15 millions de dollars (11,5 millions d’euros) à 7 milliards aujourd’hui (5,5 milliards d’euros).
attention à la stigmatisation, notamment chez les sujets jeunes
Enfin, le docteur Frances souligne un autre risque du DSM-‐5 : celui de favoriser des diagnostics rapides et pas forcément pertinents chez des sujets jeunes. En leur collant une étiquette dont ils auront ensuite du mal à se débarrasser.
« C’est parfois très difficile de poser un diagnostic de maladie mentale chez un enfant, note le professeur Kovess-‐Masfety. Certaines situations peuvent être évolutives. Il faudrait, idéalement, que le médecin dise aux parents : “Voilà, aujourd’hui, je pense à tel diagnostic. Mais il est possible que d’ici un ou deux ans, son état évolue, s’améliore…” Il faudrait pouvoir faire un diagnostic qui n’enferme pas la personne à vie. Mais pour cela, il faudrait changer les représentations de la maladie mentale, encore très stigmatisantes, dans notre société. »
PIERRE BIENVAULT (Vidéo PAULA PINTO GOMES ) Articles du journal Le Monde : CONTRE : http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2013/05/13/on-‐assiste-‐a-‐une-‐medicalisation-‐de-‐l-‐existence_3176453_1650684.html POUR : http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2013/05/13/une-‐certaine-‐mauvaise-‐foi-‐dans-‐les-‐critiques_3176455_1650684.html Partie 4 : LE RIDEAU a) « Derrière le Rideau… » : Les Figures de l'art contemporain Est-‐Européen après 1989 (2004) mercredi 21 avril 2004
Communément, on définit le rideau comme une pièce d'étoffe destinée à tamiser la lumière, à abriter ou décorer tout objet -‐ capable d'arrêter la vue, de faire écran. Le rideau reste là, imperméable à toute curiosité, figé, dans sa définition théâtrale, dans l'attente du changement. Pouvant le considérer tel un ouvrage hermétique, on lui confère, du fait de sa forme, de ses fonctions physiques intrinsèques [isoler/abriter/séparer/arrêter/protéger…] et de l'absence de facultés propres à éprouver des impressions ou un environnement, des significations portant un grand nombre de qualités des limites humaines [surdité/cécité/privation de l'usage de la parole] -‐ comme pour mieux personnifier le mur à combattre ou à éviter. Le rideau laisse les dire et les bruits, les cris et les rires, glissés et ricochés le long des creux et des bosses qui agrémentent ses parois. Seules quelques secousses -‐ annonçant le commencement de la pièce mais aussi la levée de son existence -‐ viennent briser, tels des coups de tonnerre, la monotonie de l'immobilisme dont fait état la substance du rideau.
Autre forme : le « Rideau de Fer », évoqué, à la suite de mouvements politiques d'après guerre, pour la première fois par Winston Churchill en 1947. Le Rideau de Fer s'institua comme la ligne -‐ qui de 1947 à 1989 -‐ isola en Europe les pays communistes (Front Est) des pays non-‐communistes (Front Ouest) ; mais aussi, -‐ et il est nécessaire aujourd'hui de le reconnaître -‐, les pays non-‐communistes des pays communistes. Renversement ou inversement de circonstance peu soutenu ou reconnu de l'ancien front Ouest et source possible, à cet égard, d'amertumes et de controverses. L'expression que l'on attribue à ce terme, associe, à cette brève introduction du mot rideau, -‐ que l'on pourrait considérer comme fondation de sa construction sémantique -‐, l'idée d'un corps simple, d'une consistance métallique dure, solide et résistante, maillant les nœuds de l'hermétisme et de l'inertie.
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Le découpage politique de l'Europe à Téhéran (1944) puis à Yalta (1945) fractura le « Vieux Continent » et le Monde en deux parties géopolitiques composées d'un Bloc Ouest (régime de type démocratique capitaliste) et d'un Bloc Est (régime de type autoritaire communiste). Si cette déchirure du tissu européen -‐ au sens le plus global du terme -‐ offrit à Staline et au Parti de plus grandes ambitions géographiques quant au développement de leur politique, elle abandonna nos frères Est-‐européen à un devenir sombre et incertain assorti d'une séparation non-‐voulu de l'ouest du continent. Dans son célèbre essai sur la tragédie de l'Europe centrale, Milan Kundera démontra, à cet égard, que la division du continent après la guerre avait provoqué une crise des valeurs européennes. C'est pourquoi, expliquait l'écrivain tchèque, l'appel dramatique -‐ « Nous mourons pour l'Europe » -‐ que le directeur de l'agence de presse hongroise avait lancé au moment où les chars soviétiques arrivaient dans les rues de Budapest, à l'automne 1956, était resté sans écho. Selon Kundera, l'Europe, au sens d'ensemble de valeurs, n'existait déjà plus. En Europe de l'Est, Centrale et Orientale, l'Ouest ne voyait plus qu'en l'Est, un territoire sous contrôle soviétique. Tout le problème est là : bien que sa culture « ne soit pas encore morte », elle « a cessé d'exister aux yeux de ceux que nous aimons », « aux yeux de notre Europe bien-‐aimée » (1). Marina Grzinic -‐ grande philosophe et critique d'art slovène -‐ écrira, plus tard, à propos de ce comportement géopolitique : « L'interprétation de l'Est par l'Ouest est et a été caractérisé par une absence de communication et une attitude consistant à « regarder mais ne pas voir, entendre mais ne pas écouter » […] L'Est est un étranger pour l'Europe de l'Ouest, quelque chose qui nous (et vous) spolie de la substance nationale de l'Europe unie émergente ou met en danger celle-‐ci … » (2). Elle émet, à cet égard trois conclusions intermédiaires à propos de la région des Balkans (la concernant) et de l'Est de l'Europe, trois axiomes issus de la théorie et qui appréhendent précisément la condition de ce qu'elle a appelé l'art et la culture de l'ex-‐Europe de l'Est :
1. Lorsque Jacques Lacan, le théoricien français de la psychanalyse, soutient que la vérité a la structure de la fiction et qu'elle est un « non-‐tout » car il lui manque une structure de totalité, il souligne le fait que c'est à travers ces deux moments (fiction et manque de totalité) que la vérité rejoint le réel. L'Europe de l'Est a un statut qui est un « non-‐tout » et une structure de fiction faisant partie de l'ordre du réel. Il n'est donc pas surprenant que des théoriciens (comme Peter Weibel) aient parlé de l'Europe de l'Est comme d'un générateur de concept lié au réel traumatique dans le domaine de l'art et de la culture ou des historiens de l'art (comme Feliks Szyszko) évoqués l'idée de l'impact de l'histoire dans l'art et la culture.
2. Ce que nous pouvons apprendre du positionnement des deux matrices, semblablement aux formules de différence sexuelle, est qu'une sorte de réalité traumatique est en train d'émerger des œuvres de l'époque postcommuniste.
3. « Ce n'est pas rouge, c'est du sang » est un reliquat postcommuniste indivisible qui ne peut pas (encore ?) Etre réintégré dans l'immatériel global et le monde médiatique virtuel.
Amertumes et propos, qu'il serait bon d'en partager et d'en assumer les responsabilités. Dans un de ses nombreux écrits, Marina Grzinic évoque un autre fait -‐ venant nourrir, à cet égard, le fondement de ses propos -‐ et dont chacun peut en vérifier l'existence, avec l'absence inouïe de toute trace historique et esthétique Est-‐Européenne dans tout ouvrage d'histoire de l'art (Européen ou Occidental). Si la chance vous sourit, vous pourriez rencontrer -‐ à l'exception de deux ou trois ouvrages généraux et catalogues d'exposition (3) -‐, au détour d'une page, une ou deux ligne(s) sur l'art de cette région par l'intermédiaire d'un artiste -‐ comme Ilya Kabakov (Ukr.), Magdalena Abakanowicz (Pl) ou Krzysztof Wodiczko (Pl). Comment pouvons-‐nous expliquer cela (près de quinze plus tard) ?
Si le paupérisme théorique de l'art de cette région s'avère -‐ vérifiable au vue de ces propos saisissants -‐ conséquent et lourd à soulever, la richesse -‐ qualitative et quantitative -‐ artistique qui y subsiste n'en demeure pas pour autant relative. Recensant, pour information, à l'heure actuelle, près d'un milliers d'artistes contemporains (4), l'art de l'Est-‐Européen expose, de par un atypisme relatif à l'impact de l'histoire et à la partition culturelle qu'il subit depuis 1947 ainsi que de l'existence d'une « géographie artistique » (5), une création et une vision plastique affranchies, affirmées -‐ au sens identitaire du terme -‐, et en quête de réhabilitation.
L'art Est-‐Européen fut et demeure encore lié (de par des spectres), -‐ beaucoup plus étroitement qu'à l'Ouest -‐, à des questions idéologiques et politiques. Que l'on veuille en parler globalement ou sous ses divers aspects, il
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faut prendre en considération ce contexte particulier qu'est la division culturelle autant que politique de l'Europe. Le simple emploi de termes esthétiques comme « constructivisme » ou « art conceptuel » ne joue pas le même rôle, ni n'a la même signification, pour une œuvre d'un côté ou de l'autre. Même le plus universel et le plus autonome des langages visuels prend à l'Est une signification particulière au vue du contexte -‐ les œuvres ne pouvant être réellement comprises sans en tenir compte.
Il [l'art] propose, de l'Estonie à la Bulgarie en passant par l'Ukraine, la Hongrie ou la Pologne, une création, une pratique plastique et esthétique pensées autour d'un langage et d'un discours artistique que l'on pourrait qualifier, après celui du Post Socialisme [employé par M. Grzinic pour nommer les pratiques et les œuvres d'après 1989], de Post Utopique. De la photographie iconoclaste de Zofia Kulik (Pl) aux « frasques nucléaires » d'Ilya Chichkan (Ukr.) et de Piotr Wyrzykowski (Pl) en passant par les « visages et la mémoire existentielles » de Eglé Rakauskaité (Lit.) ou les instabilités des représentations des normes du monde réel de Luchezar Boyadjiev (Bul.), les artistes et leurs œuvres (y) exposent des résurgences traumatiques du socialisme, mais aussi et surtout, une désagrégation sauvage de l'illusion, de l'utopie, quant à l'idée de démocratisation et de réalité sociale [capitaliste], qu'a pu nourrir tout un peuple.
Une désillusion que tâchera d'abroger un projet d'Union Européenne -‐ inscrit en partie, comme l'évoque Igor Zabel dans « Un monde nouveau en construction » (2000) (6), dans le sillage de l'utopisme et du rationalisme européen. Il faudra compter, en ce sens, en l'Elargissement Européen du mois de mai [porté par une ferveur transnationale, et une volonté de coopération politique culturelle commune] et ses effets prolifiques, pour gommer définitivement ou du moins en grande partie le spectre de ce Rideau que l'on regardait mais que l'on ne voyait, que l'on entendait mais que l'on n'écoutait.
Notes
(1) Kundera (M.). (1984). L'Ouest enlevé ou la tragédie de l'Europe Centrale [traduction du Tchèque]. Revue Zycie Literackie, n°5, hiver 1984. Repris dans une article de Piotr Piotrowski : « L'autre Europe » (2000). p.19 Catalogue d'exposition « L'Autre moitié de l'Europe ». Editions du Jeu de Paume/Réunion des Musées nationaux de Paris.
(2) Article extrait de « Art en Europe 1990-‐2000 » sous la direction de Gianfranco Marianello.(2002). Milano, Skira Editore. Grzinic (M.). Rencontre avec les Balkans. La radicalisation des positions.
(3) Je fais référence à l'ouvrage Art en Europe 1990-‐2000 (cf. réf. note 2) ; aux catalogues d'exposition L'Autre moitié de l'Europe (cf. réf. note 1) ; After the wall. Art and Culture in Post-‐Communist Europe. (1999). Edition Pejic et D. Elliot, Stockholm, Moderna Museet (Sue.) ; The Beauty and the East. (1998). Lubljana (Slovénie)
(4) Vargin Olivier. (2003). Mémoire de recherche (I) : L'Art contemporain en Europe de l'Est, Centrale et orientale après 1989.
(5) Terme utilisé par la critique et philosophe roumaine Magda Carneci dans un de ses articles : « Another Image of Eastern Europe ». (1993). Revue roumaine d'histoire de l'art, vol. XXX, p.43
(6) Cf. réf. Note 1 (l'Autre moitié de l'Europe). p.99
Olivier Vargin, doctorant à l'Université de Provence
b) Le rideau de scène « Parade » Le rideau de scène de "Parade" a été réalisé par Picasso pour le ballet "Parade", à la demande de Serge de Diaghilev, directeur des Ballets russes. Avec un argument de Jean Cocteau et une musique d’Erik Satie, ce ballet est l’un des premiers exemples de collaboration entre des artistes d’avant-‐garde de différents domaines. Comme l’affirme le poète Guillaume Apollinaire dans sa préface au programme, on découvre « pour la première
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fois cette alliance de la peinture et de la danse, de la plastique et de la mimique qui est le signe de l’avènement d’un art plus complet ». Le spectacle a pour thème la vie de saltimbanques qui tentent désespérément de devenir célèbres. Picasso conçoit un rideau qui dépeint des scènes poétiques où figurent des Arlequins, des forains, une fée… Il revient ainsi à la figuration (après la période cubiste) et à un thème qui lui est cher : le cirque, thème qu'il avait déjà abordé pendant sa période rose. Picasso fait aussi appel au cubisme pour les costumes des personnages qu’il ajoute lui-‐même à la pièce : des managers américains qui prennent l’allure d’automates, à la fois inhumains et maladroits. En étudiant les mouvements des danseurs pour proposer des costumes adaptés, Picasso renoue aussi avec l’étude du corps humain qu’il n’abandonnera plus. Le ballet, créé au Théâtre du Châtelet le 18 mai 1917, fit scandale. Accablé par la presse, il fut néanmoins reconnu comme chef-‐d’œuvre par le milieu artistique et, plus tard, suivi d’expériences similaires comme, au début des années 60, l’étroite collaboration des artistes Robert Rauschenberg, Jasper Johns et Nam June Paik, avec le musicien John Cage et le chorégraphe Merce Cunningham.
Rideau de scène pour Parade 1917 -‐ 10,6x17,25 m http://www.faisceau.com/photogallery/picasso/parade%20res/rideau.jpg
ARTS, RUPTURES ET CONTINUITES : Qu’est-‐ce qui fait la modernité du ballet « Parade »?
CONTEXTE Représenté au théâtre du Chatelet en 1917, ce ballet est l’un des premiers exemples de collaboration entre des artistes d’avant-‐garde de différents domaines : danse (Serge Diaghilev et la Compagnie des ballets russes), arts plastiques (Pablo Picasso), musique (Erik Satie) et écriture (Jean Cocteau). Le spectacle met en scène une parade foraine au cours de laquelle des managers essaient d’attirer les spectateurs à l’intérieur d’un théâtre. Ils présentent ainsi trois numéros : un prestidigitateur chinois, une petite danseuse américaine et deux acrobates. Mais aucun numéro ne séduit assez les spectateurs pour leur donner envie d’entrer. A la fin, les directeurs et les artistes s’écroulent de fatigue. DESCRIPTION Le rideau représente une scène théâtrale entourée de lourdes tentures rouges s’ouvrant sur un repas partagé par sept personnages : deux arlequins, un marin, un torero une guitare à la main, deux femmes et un serviteur noir. Ce groupe semble surpris par l’arrivée d’une fée chevauchant une jument aillée qui allaite son poulain. La fée avance la main pour saisir un singe en haut d’une échelle bleu, blanc, rouge. INTERPRETATIONS L’œuvre fonctionne sur un principe d’oppositions : Les vêtements des Managers et les décors cubistes tranchent avec les costumes des artistes et le rideau de scène plus classiques. Les bruitages viennent recouvrir la musique, notamment lors des interventions des Managers, personnages géants qui semblent être des éléments échappés du décor, évoquant à la fois la fantaisie et le caractère marginal du théâtre forain, le bruit,
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l’agitation et la confusion de la ville moderne. Le rideau, évoque également cet univers, mais de manière plus poétique et symbolique. RUPTURES ET CONTINUITES Le ballet fit scandale car le public ne comprenait pas que des danseurs hors pair, se conduisent comme des clowns et des acrobates quelconques, par ailleurs, la musique, composée de bruitages fut accablé par la presse. Parade est, sous plusieurs aspects, le premier ballet moderne. Il ouvrit de nouvelles perspectives aux arts de la scène : Picasso montra qu’il était possible de porter un autre regard sur les décors et les costumes d’un spectacle. La musique incorporait des bruits d’hélices d’avion, des sonneries de téléphone et autres machines. La chorégraphie s’est inspirée de Charlie Chaplin, des comédies modernes, et de l’oscillement des images de cinéma.
Mme Valente, professeur d’arts plastiques
http://books.google.fr/books?id=n2NPAAAAcAAJ&pg=PA613&lpg=PA613&dq=histoire+de+l%27art+histoire+du+rideau+dans+l%27art&source=bl&ots=DbdsprCbnU&sig=EPe4zCDso-EqUvvWm-7osrbiuWs&hl=fr&sa=X&ei=AL49UpKnMa-20QXy7oDwDA&ved=0CGUQ6AEwBjge#v=onepage&q&f=false
c)Le Rideau dans la psychanalyse de Lacan :
http://www.louka.eu/SEM%205%20bis%2004%20f%E9vrier%202009.pdf http://blogdecat.over-‐blog.com/article-‐seminaire-‐livre-‐iv-‐la-‐relation-‐d-‐objet-‐114401778.html d) Un exemple : la place du rideau dans l’œuvre de Claude Simon :
Claude Simon aurait eu 100 ans en 2013. Traduit et commenté dans le monde entier, l’un des plus grands romanciers français du siècle passé est resté longtemps méconnu et considéré comme illisible dans son propre pays, en raison de sa grande discrétion médiatique tout autant que de son appartenance à l’école du Nouveau Roman. Même son Prix Nobel en 1985 a été accueilli avec une pointe d’hostilité.
Claude Simon est pourtant tout le contraire de l’écrivain froid et abstrait qu’on a voulu faire de lui. Tout comme celui de Marcel Proust, dont il se réclamait souvent, son travail acharné d’écriture et de composition n’est nullement gratuit, mais animé par le désir de restituer les mouvements de la conscience et les transports de la mémoire. Ses romans « à base de vécu » rendent compte de manière poignante et lyrique, à partir de son expérience familiale et personnelle au sein d’un siècle agité, de la violence du rapport de l’homme à la réalité.
Le motif du rideau mérite une lecture symbolique particulière car il est à double titre signifiant, d’une part comme « métaphore emblématique d’un livre hanté par le dé-‐voilement », il nous engage sur la voie de l’interprétation ainsi que l’a pointé Lucien Dällenbach 7, d’autre part sa fréquence et son association avec des thèmes majeurs des œuvres le rende spécialement fertile pour la saisie du monde simonien. Les textes proposent quelques emplois dénotatif du terme « rideau » : des « rideaux de toile blanche pendant à des tringles » (A, 13), le « rideau du magasin » dans une gare (A, 201) et aussi « un rideau ou une courte-‐pointe rose à dessins verts» (H, 232). On trouve également des emplois métaphoriques du mot, « un rideau de lauriers » (A, 123), « un rideau d’arbres » (A, 200 ). Mais le plus souvent la référence au rideau est révélatrice, il ne s’agit pas de planter un décor. Le rideau comme matière, comme objet, est toujours investi dans un rôle de représentation est dans un système de deuxième sens à rapporter aux problématiques fondamentales des œuvres. Ainsi les rideaux, simples témoins du suicide de l’ancêtre dans sa chambre, parce qu’on les retrouve, « les mêmes rideaux à rayures passées » (RF, 76), dans la pièce où dorment les parents de Georges, portent dans leur pli l’empreinte du suicide, la trace de la débâcle domestique et symbolise la perpétuation généalogique du destin familial. Il faut qu’un rideau soit ouvert ou fermé, et précisément dans les deux cas le symbolisme 7 L. Dällenbach, « Le tissu de mémoire », postface à La Route des Flandres, Editions de Minuit, « Double », 1984, p.306.
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diffère. Le rideau écarté, c’est la possibilité de voir le monde à travers la fenêtre ou l’objectif de l’appareil photo (H, 67) : « Il alla à une fenêtre écarta de rideau Regardez voir » ( H, 218). Parallèlement le rideau comme le cadre de la fenêtre opère un cadrage de la réalité, il représente une conquête sur le chaos du monde, ce que montre le dessin à la plume de Claude Simon reproduit dans Orion aveugle où le rideau reprend les lignes verticales des immeubles qui composent le paysage urbain extérieur. Sur ce même dessin figure une main en train d’écrire : manifestement, l’ouverture du rideau et de la fenêtre est associée à la création, comme si la possible lecture des signes du monde, grâce à l’irruption du visible, favorisait en conséquence la production de signes individuels. L’ouverture sur le monde engendre une lecture – bilan de l’extérieur et des expériences qu’il suscite, fondatrice d’écriture. Mais le rideau et parfois aussi fermé ou se referme. Si le rideau clos et vu de l’intérieur, il représente le lieu du caché, de la vision transgressive : dans le domaine privé, c’est Batti qui, « cachée par le rideau de sa fenêtre », observe secrètement la rencontre nocturne entre les deux frères, en « froissant le pan du rideau devant sa bouche, en faisant une boule, l’enfonçant entre ses lèvres, mordant dedans » (G, 434/435 ». Le rideau dessine donc un espace d’interdits, de silence et de répression des émotions. Dans le domaine public, il symbolise le pouvoir secret, les arcanes obscurs de l’Histoire : les manipulations et les tractations des apparatchiks communistes, « se déplaçant discrètement dans des voitures aux rideaux tirés » (G, 339) et réels détenteurs du pouvoir dans la Barcelone en guerre ; les conciliabules et les décisions dans l’urgence des membres du Comité de Salut Public qui observe près du rideau la foule affamée des femmes (G, 394). Le rideau dévoile alors le problème de la légitimité du pouvoir, pouvoir occulte qui tire sa force de son mystère et impose sa tyrannie par les « rideaux de fer baissés », transformant les magasins de Barcelone en prison (G, 64). Symbole de l’oppression, de la répression, le rideau permet de voir sans être vu, il est le truchement d’une politique opaque. Mais il est aussi le moyen de se protéger contre l’agression extérieure, qu’il s’agisse de la vindicte populaire, en se tenant « à l’abri des embrasures de fenêtres » (G, 339) ou de la vision du nazisme en marche, sur un quai de gare en « abaissant le rideau » du compartiment (A, 228). Car le rideau est aussi un symbole de séparation comme le sentent particulièrement ceux qui l’observent de l’extérieur. Le rideau fermé renvoie alors à la problématique de l’individu face à son désir. Le rideau met en scène un montré/caché de la chair, « d’une étroite bande de chair nue entre les pans du peignoir glissant à la façon d’un rideau de théâtre » (A, 367), dans l’interstice duquel se glisse le désir. Le rideau au paon (RF, 27,100 12,2 142,248/249,253) promesse de jouissance, devant lequel Georges extravague, matérialise la relation d’interposition entre le sujet et l’objet de son désir.8 Il exacerbe même ce dernier dans le retardement ou même l’impossibilité de la satisfaction qu’il représente. Mais en oblitérant la vision de la chair convoitée, il ouvre la porte à une fantasmatisation discursive chez Georges et chez Charles, un phénomène hallucinatoire ou le rideau se mêle amoureusement au corps de désir : « chevelure, épaules, seins, hanches, ventre, cuisse, le vieux rideau drapé contre le mur en guise de fond et la couverture tunisienne » deviennent « une combinaison, d’un ombreux et fulgurant enchevêtrement de lumières et de lignes où les éléments éclatés, dissociées se regroupent » (H, 273). Mais le texte propose des rideaux d’un troisième type, des rideaux fermés qui s’ouvrent sur du fermé, les rideaux du cinéma et de l’opéra qui expose l’univers de la représentation du monde. Le rideau de cinéma, « divisait en cases violemment coloriées où s’inscrivaient les mérites des principaux magasins de la ville et leurs raisons sociales »(G, 206) propose une figuration parodique d’un monde soudain très structuré et ramené à la trivialité de ses affaires commerciales, avant de s’ouvrir sur des « visions »(G, 206), c’est-‐à-‐dire sur les artifices d’une fausse réalité. Le rideau de théâtre, lui-‐même en « trompe-‐l’œil » (G, 27, 31,221) s’écarte sur un faux monde de décors (G, 31) et sur des « personnages réels et sans pourtant plus rien d’humain, vêtus de péplums ou d’armures, leurs visages violemment maquillés »(G, 228). Et même si les rideaux s’inscrivent dans une axiologie9 divergente, celui du cinéma symbolisant la vie bariolée, celui du théâtre, « misérablement fastueux », évoquant la déliquescence de la mort et des vieillards qui le regardent (G, 221), tous deux sont investis d’une « fonction magique »(G, 206) et inaugure « un de ces rituels à la fois sacrés et barbares » (G, 224). Le rideau qui se soulève, comme un rite d’initiation, marque l’entrée dans le monde symbolique de la représentation est symboliquement, pour le narrateur des Géorgiques, l’entrée dans l’âge où l’on est toléré parmi les spectateurs du cinéma et de l’opéra. Le motif du rideau pose symboliquement les problèmes de la jouissance du désir, de l’Histoire et du pouvoir, de la représentation et de la réalité, qui constitue la matière essentielle de notre relation au monde. Structurellement répétitives par le principe de
8 Pour Jacques Lacan, « le voile, le rideau devant quelque chose, et encore ce qui permet le mieux d’imaginer la situation fondamentale de l’amour » car le rideau « prend sa valeur, son être et sa consistance, d’être justement ce sur quoi se projette et s’imagine l’absence ». Le rideau dit que l’objet est au-‐delà et « l’objet peut alors prendre la place du manque, et être aussi comme tel le support de l’amour, mais c’est en tant qu’il n’est justement pas le point où s’attache le désir ». Le séminaire, livre IV, « la fonction du voile », Paris, seuil, 1994, PP. 151/164, PP. 155/156. 9 Axiologie : du grec axios, « digne » et de logos « discours » : Terme forgé par Kant(1724-‐1804) partie de la philosophie qui traite des valeurs (les trois valeurs classiques sont le vrai, le bien et le beau)
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constance qu’il établit entre symbolise et symbolisé, fondamentalement interprétatif par l’essence qui libère, le symbole apparaît comme un moteur déterminant pour la saisie du monde, dans une démarche herméneutique. In Claire Guizard, Claude Simon. la répétition à l’œuvre. Bis repetita , L’Harmattan, 2005, pages 78/80. G= Les Géorgiques, H=Histoire A=L’Acacia RF=La Route des Flandres
« Main écrivant ». Dessin de Claude Simon publié dans Orion aveugle (Skira, 1970)
ANNEXES Lydia Coessens
SITOGRAPHIE Sur Walter Benjamin La reproductibilité technique chez Walter Benjamin par Anne Boissière, philosophe. : http://demeter.revue.univ-‐lille3.fr/copie/boissiere.pdf Sur Tania Mouraud : http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-‐d7db1a8b849ed6a2bfe1444e6ef48590¶m.idSource=FR_P-‐9a43365f808395b63db72d1b497360 Sur Guy Debord : http://www.philomag.com/lepoque/dossiers-‐web/guy-‐debord-‐un-‐art-‐de-‐la-‐guerre-‐visite-‐de-‐lexposition-‐7675 http://www.philomag.com/lepoque/la-‐ville-‐et-‐le-‐loisir-‐7672 dossier pédagogique sur l’architecte Auguste Perret : http://www.citechaillot.fr/data/groupes_77ffd/categorie/269/perret_b9205.pdf une conférence sur Perret : Mercredi 28 novembre 2007 « Auguste Perret, un intellectuel constructeur » Joseph ABRAM,
69
Professeur à l’école d’architecture de Nancy : http://arts-plastiques.ac-rouen.fr/grp/perret/joseph_abram.pdf Les realisations de Frank Lloyd Wright : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9alisations_de_Frank_Lloyd_Wright Sur Juan Gris : http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-‐f4301594cbb643a92d1055fbeb17abbc¶m.idSource=FR_P-‐f4301594cbb643a92d1055fbeb17abbc Sur theo van Doesburg : http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-‐64b0c353c06f6b17bbe0879a57a724a¶m.idSource=FR_P-‐64b0c353c06f6b17bbe0879a57a724a
Paul Klee Die Zwitschermaschine -‐ twittering machine : http://www.youtube.com/watch?v=ks0pEUH6k5o Sur Le Corbusier , le modulor (module et or pour nombre d’or), et sur ses bureaux et casiers pour chambres d’enfants : http://www.arte.tv/fr/design-‐bureau-‐et-‐casiers-‐le-‐corbusier/2151166,CmC=6385544.html La mechanique de sombres La Mécanique des Ombres est le premier film de La Machine à Habiter. Réalisé sur la cité Frugès, il fait écho a cette citation de Le Corbusier : "L'architecture est le jeu, savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière.": http://creative.arte.tv/fr/community/la-‐mechanique-‐des-‐ombres Située à Corseaux au bord du Lac Léman, la villa le lac a été construite en 1923. Cette villa, conçue par Le Corbusier pour abriter les vieux jours de ses parents, est composée d’un seul niveau de 64 m2, et d’une façade de 16 mètres dans laquelle se loge une fenêtre de 11 mètres faisant face au Lac Léman. Cette petite villa est aussi pour Le Corbusier l’occasion de mettre an application trois de ses cinq points de l’architecture moderne : le plan libre, la fenêtre en bandeau et le toit terrasse. -‐ See more at: http://lamachineahabiter.com/villa-lac-bonne-fte-maman/#sthash.pa2mvzj7.dpuf : http://lamachineahabiter.com/villa-‐lac-‐bonne-‐fte-‐maman/ sur la villa citrohan et DOM-‐INO : http://ltha.epfl.ch/enseignement_lth/theorie/illustrations_cours_TH_IV/TH_IV_02_Weissenhof.pdf
L’inauguration de la Cité radieuse : http://www.erealecorbusier.com/spip.php?article266 http://www.erealecorbusier.com/spip.php?article130 http://www.erealecorbusier.com/spip.php?article132
une présentation (de ceux qui y adhèrent) : http://lagrette.free.fr/citeradieuse.html à écouter sur France.culture.fr : http://www.franceculture.fr/emission-‐sur-‐la-‐route-‐sur-‐la-‐route-‐de-‐la-‐cite-‐
radieuse-‐a-‐marseille-‐capitale-‐europeenne-‐de-‐la-‐culture sur Mies van der Rohe : http://fr.barcelona.com/annuaire_barcelone/musees_barcelone/fondation_mies_van_der_rohe
DVD série ARCHITECTURES en 5 volumes chez ARTE VIDEO
GLOSSAIRE
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Catharsis : (du grec katharsis, purification) 1. Désigne d’abord (chez le médecin Hippocrate (Vème–IVè siècle avant J.-‐C.) la purgation, l’évacuation
des humeurs morbides du corps. 2. L’activité qui, selon l’antique tradition de leur fils et du pythagorisme reprise par Platon (428– 347 av.
J.-‐C.) puis plus tard par Plotin (204 – 270), consiste à arracher l’âme au corps pour accéder à la contemplation du Bien et de l’Un.
3. Mot utilisé par Aristote (384-‐322) pour désigner l’effet de purgation ou de purification des passions (terreur et pitié) produit sur les spectateurs par une représentation tragique.
4. Au repris par Breuer (1842 – 1925) et par Freud (1856-‐1939)pour désigner les faits de libération produit par la cure est ressentie par le sujet lorsque celui-‐ci se remémore des représentations psychiques dont le refoulement avait causé des troubles.
Définitions tirées du Dictionnaire de philosophie de Christian Godin (fayard, 2004) Mimèsis Cf. le très bon article : http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/MIMESIS.HTM Du grec mimêsis, « imitation » : terme utilisé pour désigner la conception grecque de limitation, spécialement chez Platon et Aristote, le premier la condamnant comme trompeuse parce que dérivée, le second la justifiant parce qu’ expressive. Si
Dictionnaire de philosophie de Christian Godin (fayard, 2004) Consumation : (du latin consumere, dépenser, dissiper, détruire) Notion introduite par Georges Bataille (1897 – 1962) et renvoyant, par opposition à la consommation utilitaire, à la dépense gratuite. D’origine nietzschéenne, elle redéfinit la souveraineté par la transgression (l’au-‐delà de l’utilité). « La psychogéographie se proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. L’adjectif psychogéographique, conservant un assez plaisant vague, peut donc s’appliquer aux données établies par ce genre d’investigation, aux résultats de leur influence sur les sentiments humains, et même plus généralement à toute situation ou toute conduite qui paraissent relever du même esprit de découverte. » Guy Debord Normal : (1753, attesté une première fois au XVe S ; du latin normalis »fait à l’équerre », puis, en bas latin, « conforme à la règle »
-‐ Qui sert de règle, de modèle, d’unité de mesure, de point de comparaison -‐ Etat normal : état d’un être vivant, d’un organe qui n’a subi aucune altération, qui n’est affecté
d’aucune modification pathologique ou tératologique (tératologie : science qui a pour objet d’étude des anomalies et des monstruosités des êtres vivants (du grec teras, teratos, « monstre »)
Norme : -‐ « Type concret ou formule abstraite de ce qui doit être, en tout ce qui admet un jugement de
valeur ; idéal, règle, but, modèle suivant les cas » (vocabulaire de Lalande) -‐ Etat habituel, ordinaire, régulier, conforme à la majorité des cas -‐ Ensemble de règles d’usage, de prescriptions techniques, relatives aux caractéristiques d’un
produit ou d’une méthode, dans le but de standardiser et de garantir les modes de fonctionnement, la sécurité et de prévenir les nuisances.
Pour Canguilhem (1904-‐1995), pathologique est le contraire de « sain » plutôt que celui de « normal », car il existe une normativité propre au pathologique. Le pathologique se définit par une diminution des capacités de vie et d’action Anormal : -‐ Contraire à une norme considérée comme le type moyen d’un genre donné de phénomènes. Face
au normal, commun et nécessaire, l’anormal est l’aléatoire, l’accidentel, le contingent. Sur le plan quantitatif, l’anormal est hors de la moyenne, soit en excès, soit en défaut.
-‐ Contraire à la norme considérée comme le type idéal d’un genre donné de phénomènes. Il est habituel en biologie que le normal s’éclaire par l’anormal, la règle par l’exception et que l’on
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dévoile les ressorts d’un fonctionnement en l’empêchant ou en le mettant en défaut. Le normal et l’anormal ne sont pas dans un rapport de contradiction et d’extériorité mais dans un rapport d’inversion et de polarité selon G. Canguilhem.
-‐ Chez Durkheim : manière de faire, de se comporter ou de penser, souvent majoritaire, socialement définie et sanctionnée, selon un système de référence implicite (une idéologie, les valeurs) ou explicite.
Dictionnaire de philosophie de Christian Godin (fayard, 2004)
Pathologique : (1552 ; empr. Au grec pathologikos « qui traite des passions, des maladies » -‐ XVIIIe S : relatif à l’état de maladie ; qui dénote un mauvais état de santé physique ou psychique.
Qui s’écarte du type normal d’un organe ou d’une fonction.
La science ne s’établissant que par voie de comparaison, la connaissance de l’état pathologique ou anormal ne saurait être obtenue sans connaissance de l’état normal […]
Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Introd.
Définitions tirées du Dictionnaire culturel en langue française (Le Robert, 2005) Utopie : de Utopia, Nom de l’île imaginée par Tomas M,ore du grec ou, « non »et topos, « lieu », c’est-‐à-‐dire « de nulle part »)
1. conception d’une société idéalement dirigée et organisée. K. Mannheim (1893-‐1947) Oppose l’utopie, espérance couverte de possibles, À l’idéologie conservatrice, soucieuse de légitimer un état de fait établi. L’utopie à une fonction critique, révolutionnaire. Nombres d’auteurs ont souligné la dimension totalitaire des utopies (et, inversement, la dimension utopique des totalitarismes) : on utopie, l’individu est sacrifié au profit du groupe, les valeurs d’égalité de sécurité anéantissent celles de liberté.
2. Par extension, projet dont la réalisation semble impossible.
Dictionnaire de philosophie de Christian Godin (fayard, 2004)
Architecture : L’architecture est l’art de concevoir, de combiner et de disposer -‐ par les techniques appropriées, des éléments pleins ou vides, fixes ou mobiles, opaques ou transparents, destinés à constituer les volumes protecteurs qui mettent l’homme, dans les divers aspects de sa vie, à l’abri de toutes les nuisances naturelles et artificielles. La combinatoire qui préside à l’élaboration de ces volumes s’applique aussi bien à leurs rapports de proportion qu’à leurs matériaux, leurs couleurs et leur situation dans un espace naturel ou dans un contexte environnemental, ensemble qui crée une unité homogène ou non, de dimensions variées, allant du simple abri à la métropole, et dont l’apparition provoque un effet esthétique ou non selon sa réussite. http://www.olats.org/schoffer/defarchi.htm urbanisme : Etymologie : du latin urbanus, de la ville. L'urbanisation est l'action d’urbaniser, c'est-‐à-‐dire de favoriser, de promouvoir le développement des villes par la transformation de l'espace rural en espace urbain. Le terme "urbanisation" désigne aussi le phénomène historique de transformation de la société qui se manifeste par une concentration croissante de la population dans des agglomérations urbaines. L'urbanisation se mesure par le nombre d'habitants dans les villes par rapport à l'ensemble de la population, la densité de population, l'extension territoriale des villes et ses conséquences sur le mode de vie. L'urbanisme est l'art de construire, de transformer, d’aménager les villes au mieux de la commodité, suivant les règles de l’esthétique et de l’hygiène. En tant que discipline et domaine professionnels, l'urbanisme recouvre l'étude du phénomène urbain, l'action d'urbanisation et l'organisation de la ville et de ses territoires. http://www.toupie.org/Dictionnaire/Urbanisation.htm
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minimalisme caractérisé, entre autres, par un souci d’économie de moyens. Il hérite du célèbre principe de
l’architecte Mies Van der Rohe « Less is more », des œuvres de Malevitch, et reconnaît le peintre abstrait Ad
Reinhardt comme l’un de ses pionniers. Le Minimalisme regroupe des artistes tels que Frank Stella, Donald
Judd, Carl Andre, ainsi que Robert Morris et Sol Le Witt, mais qui vont s’en détacher rapidement (1).
Si la sobriété extrême est bien l’une des qualités communes à l’œuvre de ces artistes, elle ne constitue pas,
selon eux, un but en elle-même. L’insistance sur cette caractéristique, qui présente leurs œuvres sous l’angle
de la pauvreté, leur paraît un jugement réducteur au point qu’ils rejetteront l’appellation de Minimalisme ou
d’Art minimal.
Leur travail et leur réflexion portent avant tout sur la perception des objets et leur rapport à l’espace.
Leurs œuvres sont des révélateurs de l’espace environnant qu’elles incluent comme un élément
déterminant. Ainsi, si Donald Judd et Carl Andre réalisent des pièces qui matérialisent cet espace, c’est en le
teintant de lumière que Dan Flavin lui procure une consistance. Ne faisant qu’un avec l’espace - comme le dit
Judd, « les trois dimensions sont l’espace réel » -, ces œuvres insistent sur la globalité des perceptions. Elles
rejoignent par là certaines thèses de la philosophie et de la psychologie modernes.
Le Minimalisme a profondément marqué l’évolution de l’art contemporain. Incarnant la tendance américaine
dominante à la fin des années 60, il a suscité de nombreuses réactions.
Ainsi, dès sa naissance, le mouvement Arte Povera – qui se fonde sur la conscience politique de l’artiste et
une idée de la « pauvreté » de l’art dans le sens d’une précarité nécessaire – s’est opposé directement à la
sophistication volontairement froide et neutre du Minimalisme (2).
Mais le Minimalisme est aussi à l’origine d’une part importante de la sculpture contemporaine et de l’Art
conceptuel – lequel prolonge le souci d’économie de moyens jusqu’à privilégier l’idée sur la réalisation. Son in fluence se retrouve jusque dans le design actuel, par exemple dans les créations des frères Bouroullec.
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ens-minimalisme/ens-minimalisme.htm
ajour : en architecture : petite ouverture laissant passer le jour.
Source : le Petit Robert 2011
Cubisme : http://www.grandpalais.fr/fr/article/le-‐cubisme-‐0
L'inspiration première vient de l’œuvre de Cézanne qui transforme la vision en volumétrie concrète. Braque et Picasso en créant le courant cubisme abolissent la perspective, principe fondamental de la peinture depuis la renaissance. Dès lors le spectateur est confronté à une image dont il peut faire le tour sans avoir à se déplacer : la troisième dimension entre dans l'espace bidimensionnel. http://www.histoiredelart.net/courants/le-‐cubisme-‐12.html
néo plasticisme : Né vers 1920, de la volonté d’un seul peintre, le Néerlandais Piet Mondrian, l’appellation « néoplasticisme » signifie « la nouvelle image du monde ». Pour Mondrian, elle permet de tendre à la matérialisation de l’Absolu, du Vrai Universel par la forme idéale. Il élabore son art, qui s’inscrit dans l’abstraction géométrique, entre 1920 et 942, avec le soutien de la recue et du groupe DE STIJL fondés par le peintre et théoricien Théo Van Doesburg. Mondrian est contemporain de l’avant garde Russe qui s’impose après la Révolution. A Paris, il découvre le cubisme. A New York, il est fasciné par l’absolue rectilinéarité de la ville qui domine la nature.
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Son objectif consiste à élaborer « un nouvel accomplissement de la forme », une perfection formelle au delà de la simple représentation de la nature. http://www.artimes.fr/galerie/neoplasticisme.php
suprématisme : Le suprématisme, fondé par Kazimir Malevitch, est un courant qui participe au mouvement plus large de l'Avant-‐garde russe en nous plongeant dans une abstraction absolue. C’est une peinture libérée de toute représentation. Dans une recherche de sensibilité picturale pure, la couleur n’est travaillée que pour elle-‐même.
L’emblème le plus représentatif de ce mouvement est sans doute le fameux carré blanc sur fond blanc de Malevitch. Il tente de donner à la
peinture une autonomie, tant spirituelle que sensible, par rapport au monde et à la réalité extérieure. Il y a une volonté de vivre la peinture
pour ce qu’elle est et rien d’autre. En adaptant la philosophie nihiliste russe à l'art il rejette la peinture qui existant jusqu'alors et entame
une recherche à partir de rien, comme si l'art n'avait jamais existé. Il veut faire une peinture qui ne soit que pure sensation, pure sensibilité
picturale. C’est dans cet esprit de recherche de pureté en tant que telle, qu'il la dépouille de tout ce qui n’est pas son essence même, afin
de pouvoir exprimer et ressentir ce qu’elle est pleinement.
Ainsi ses œuvres présentent une forme d’abstraction totale, qui va encore beaucoup plus loin que l’art abstrait des débuts dans lequel on
pouvait encore y lire une certaine référence à la réalité. Cette fois, la peinture n’a plus besoin de la réalité extérieure pour exister.
Dégagée de toute représentation figurative, l'image n’est plus que surface colorée. Elle n’est plus que sensation, pure sensibilité picturale
et devient un art autonome, détaché de son environnement, de la réalité extérieure.
Malevitch travaille la couleur pour elle-‐même, si bien qu’elle prend presque pour lui une allure d’icône. C’est d’ailleurs de cette manière
qu’il présente certaines de ses œuvres, exaltant son côté presque mystique. Par ses recherches, il tente de trouver un état d’équilibre total.
À travers des formes géométriques simples et des couleurs sobres, il joue avec le poids des couleurs et des formes, pour tenter de traduire
dans ses compositions cet état d’équilibre total et parfait.
Les compositions et couleurs sont de plus en plus épurées. Si bien que Malevitch passe du carré noir sur fond blanc à un carré blanc sur
fond blanc. Le monochrome ne semble plus très loin. À partir de cette période, comme il n’y a plus d’éléments concrets auxquels se
rattacher, les œuvres semblent mystérieuses et opaques à la compréhension du public. Comprendre une œuvre devient plus complexe.
Apparaît alors la distinction entre la notion d’Oeuvre (à comprendre comme la globalité du travail de l’artiste) par rapport à l’œuvre (à
saisir comme une réalisation isolée), ce qui permet de saisir déjà mieux le sens de la recherche du peintre. Au-‐delà d’une émotivité directe
au contact d’une toile en particulier, il n’est pas rare que celle-‐ci ne prenne que plus de sens et de profondeur, lorsqu’elle s’inscrit dans le
Grand Œuvre de l’artiste.
Les recherches Malevitch seront poursuivies par des peintres tels que Piet Mondrian, Mark Rothko, Yves Klein et bien d'autres à travers des
biais très variés que ce soit du monochrome sur toile, ou bien du pigment pur pose au sol. http://www.histoiredelart.net/courants/le-‐suprematisme-‐15.html
futurisme : Ce Mouvement est né avant la Première Guerre mondiale en Italie. IL tenta, vers 1910, de créer un art qui sublime la vitesse de la machine, son mouvement et sa violence. (l'age nouveau a cette époque). Il voulait révolutionner le monde. Filippo Tommaso Marinetti anima ce mouvement qui, à ses débuts, était un mouvement littéraire d'où une profusion de textes théoriques. Le futurisme fut reconnu internationalement à travers ses sculpture, sa peinture et même sa musique. Un groupe futuriste se forme en Russie, avec à sa tête, le poète Maïakowski . Ce dernier publie son Manifeste du Futurisme russe, La Gifle au goût du public. La peinture futuriste est caractérisée par la multiplication d'objets (figures) en mouvement. Cette peinture rejette les formes et les sujets traditionnels. Elle proclame sa foi en une beauté moderne, en se voulant une peinture dynamique. Ce mouvement n'a vécu que quelques années et disparut vers 1915.
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http://discipline.free.fr/futurisme.htm
purisme : Le purisme s’attache à la représentation des objets de la vie quotidienne. Au début des années vingt,
Léger, Le Corbusier et Ozenfant développent une nouvelle formule picturale. Ils en exposent leurs théories dans
l’Esprit nouveau, revue publiée entre 1920 et 1925. En 1918, Le Corbusier associé à Ozenfant font paraître
Après le cubisme qui représente un véritable manifeste pour le purisme. Ce mouvement impose sobriété et
rigueur dans la peinture. Les formes synthétiques aux contours précis s’emboîtent les unes dans les autres, la
composition est le plus souvent frontale. On est parfois très proche de l’abstraction, notamment chez Ozenfant.
L’on affirme la surface plane par la couleur que l’on traite par aplats ; l’on recherche la neutralité, effet qui est
induit par l’absence totale de traces de pinceau.
http://www.mchampetier.com/art-mouvement-PURISME.html
Fonctionnalisme : Le fonctionnalisme est une tendance de l’architecture rationaliste moderne qui fait prévaloir
les éléments formels et pratiques. Elle porte aussi le nom d’école linguistique des fonctionnalistes.
De façon générale, on peut dire que le fonctionnalisme est un courant théorique des sciences sociales qui est
apparu dans les années 30 en Angleterre. La théorie est associée à des penseurs tels qu’Émile Durkheim,
Talcott Parsons et Robert Merton, parmi d’autres.
Le fonctionnalisme se caractérise par une approche empiriste qui envisage/étudie les avantages du travail de
terrain. Ceci dit, il est essentiel au développement de l’anthropologie scientifique, dont certains spécialistes
ayant déjà fait le tour du monde pour développer leur travail.
L’ethnographe Bronislaw Malinowski fut l’un des propulseurs de ce courant, lui qui a envisagé la culture en tant
qu’un tout intégré, fonctionnel et cohérent. De ce fait, chaque élément isolé d’une culture ne peut être analysé
que si les autres sont pris en compte, eux aussi.
D’après la théorie fonctionnaliste, qui se base sur la théorie des systèmes, la société est organisée comme un
système social où il faut résoudre quatre impératifs fondamentaux à la subsistance, à savoir : l’adaptation au
milieu environnant, la conservation du modèle et le contrôle des tensions, la poursuite de la finalité et
l’intégration des différentes classes sociales.
Dans les sciences de la communication, la théorie fonctionnaliste est apparue au début du XXe siècle. Selon
cette conception, les moyens de communication veillent toujours à provoquer un effet sur le récepteur et
d’obtenir une réaction de sa part (le but est de persuader/convaincre les spectateurs). Les récepteurs, pour
leur part, ont tout un ensemble de besoins et d’attentes auxquels les média doivent répondre. Lire tout: Définition de fonctionnalisme -‐ Concept et Sens http://lesdefinitions.fr/fonctionnalisme#ixzz2g7WpXCGw
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Partie 5 : PISTES PÉDAGOGIQUES. Léandre PILLOT
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«L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible », Paul KLEE.
« L'art est un mensonge qui dévoile la vérité ». Pablo PICASSO
« Heureux sont les félés, car ils laissent passer la lumière », Michel AUDIARD
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Contenu du dossier 1/ Aide à la visite / pistes pédagogiques pour expérimentations diverses Niveaux élémentaire, collège, lycée 73
1/ Que se passe t-‐il ?
Niveaux maternelles, élémentaire collège, lycée 74
2/ Qu'est-‐ce que je vois / qu'est-‐ce que j' imagine ?
Niveaux maternelle GS, élémentaire, collège, lycée. 75
3/ Observer -‐ Repérer-‐ Décrire
Niveaux élémentaire, collège, lycée 76
4/ La maison de mes rêves ! OU La maison idéale !
Niveaux, élémentaire, collège, lycée 77
5/ Qui suis-‐je ?
Niveaux, élémentaire, collège, lycée
6/ Je fais partie de l'histoire... 79
Niveaux, primaire, collège, lycée 80 7/ Chorégraphie / Corps et Graphie 2/ De retour en classe : incitations possibles Niveaux maternelle MS, GS, élémentaire, collège, lycée. 81
A/ Pistes sur la dimension théâtrale de l'œuvre. Du corps à l'objet.
Niveaux collège, lycée. 82
B/ Pistes relatives aux questions sur l'architecture.
3/ Modalités d' accueil du public scolaire 83
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Objectifs, perspectives
Cette partie du dossier s'articule en deux étapes. La première est de permettre aux élèves et à leurs professeurs de se mettre devant les œuvres exposées à la galerie et de mieux circonscrire la démarche de l'artiste à travers des questions simples et d'entrer via quelques expérimentations au cœur même de la pratique artistique.
La seconde étape propose des pistes à exploiter de retour en classe.
Les deux étapes permettent :
> de lancer la visite de l'exposition sous la forme ludique.
> de faire une lecture d'image ( description...), utiliser un vocabulaire spécifique.
> d'analyser le dispositif scénographique qui permet d'entrer dans la spécificité du travail de l'artiste (démarche), d'une œuvre.
> de donner son point de vue et écouter la parole de l'autre
1/ Aide à la visite / pistes pédagogiques pour expérimentations diverses. Quelques activités envisageables lors de votre visite avec la classe et adaptables selon les niveaux, le programmes , l'enseignement de l'histoire des arts.
(A organiser avec la médiatrice ou les professeurs relais en amont de votre venue ou à votre arrivée).
Niveaux : maternelle, élémentaire, collège, lycée
1/ Que se passe t-‐il ?
En guise d'introduction, d'entrée en matière... Une manière d'entrer dans le vif du sujet, d'envisager le traitement et le comportement qui est fait ici du corps via les vidéos, photos et la reconstitution architecturale.
Proposer aux élèves de découvrir l'exposition par étapes et par groupes et de mettre en commun ce qui a été vu à l'issue de celle-‐ci.
Qu'avez-‐vous vu ?
De quoi parle l'exposition ? Quel est son sujet principal ?
Cette exposition ressemble t-‐elle à une exposition que vous avez déjà pu voir ?
Notions et mots clé envisageables : portrait, figure, modèle, cadrage, plan, représentation réaliste, dispositif scénographique, accrochage, installation, in situ, théâtralisation, architecture et utopie, architecture moderne, habiter un espace, nombre d'or, proportions, comportements, identité, la place de l'objet dans l'oeuvre, chaos, désordre, accumulation, surcharge, fiction / réel, protéiforme, surface, matière, lumière, naturel et artificiel, artistique, point de vue, perception, posture du corps, participation du spectateur, espace immersif, statut de l'oeuvre, statut de l'artiste, univers sonore.
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Niveaux maternelles, élémentaire collège, lycée
2/ Qu'est-‐ce que je vois / qu'est-‐ce que j' imagine ?
Cette piste peut permettre de se familiariser avec le travail sur l'image (cadrage, plan...) Dans un premier temps, il peut être demandé aux élèves de dire ce qu'ils voient dans l'ensemble des vidéos (salle 1), de décrire les images. Dans un second temps, ils seraient amenés à recontextualiser l'image en dessinant le personnage ou les personnages dans un décor de leur choix. Ce petit travail d'observation et de description peut se faire lors de la visite commune avec le médiateur /rice autour d'images choisies pour leurs cadrages différents.
L'objectif est de comprendre que le cadrage d'une image (vidéographique ou photographique) dépend de la position de l'artiste lors de la prise de vue.
Notions et mots clés envisageables : cadrage, plan (les différents types de plan) Liens avec les programmes :
> Maternelle : « Découvrir le monde » : -‐ décrire des positions relatives ou des déplacements à l'aide d'indicateurs spatiaux et en se référant à des repères stables variés. « Le regard et le geste » : -‐ identifier les principaux constituants d'un objet plastique (image, œuvre d'art...) . > Elémentaire : Histoire des arts, « Les arts du visuel » : les œuvres sont analysées d'après leurs formes, leurs techniques, leurs significations, leurs usages. > Collège : classe de cinquième arts plastiques (images, œuvre et fiction), quatrième arts plastiques (images, œuvre et réalité (compétence en fin d'année) élaborer des plans). > Lycée : classe de première L arts plastiques (la Figuration et la relation au référent).
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Niveaux élémentaire cycle 3, collège, lycée
3/ Observer -‐ Repérer-‐ Décrire
Objectifs : Afin de mieux circonscrire les différents modes de présentation des œuvres en présence, il peut être demandé aux élèves d'en réaliser un inventaire. > Proposer aux élèves de découvrir l'exposition seul ou par petits groupes. > Une mise en commun rapide permettra de comprendre les enjeux des différents types de présentation, de ce que cela induit chez le spectateur. En quoi l'accrochage modifie la perception physique et psychique du spectateur ? Notions et mots clés envisageables : médium, support, format, écart, expressivité, dispositif de présentation, représentation, ressemblance, artistique, place du spectateur, espace du spectateur / espace de l'oeuvre, immersion, point de vue, immersion, œuvre d'art total...
Liens avec les programmes : > CE2, CM1, CM2 : Pratiques artistiques et histoire des arts : « … cerner la notion d'oeuvre d'art et à distinguer la valeur d'usage et la valeur esthétique des objets étudiés ». > Histoire des arts : élémentaire et collège : domaine artistique d'études « Les arts du visuel ». > Collège : Classe cinquième et quatrième arts plastiques (image et fiction, image et réalité). En quatrième : saisir les enjeux des dispositifs de présentation, diffusion et perception des images. Classe de troisième : L'espace, l'oeuvre et le spectateur (prise en compte de l'espace de l'oeuvre). > Lycée général . Terminale option facultative arts plastiques : la présentation (dispositifs de présentation et stratégie de présentation). En philosophie : la perception,. Histoire des arts : Champ anthropologique, thématique « Arts, réalités , imaginaires ».
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Niveaux, maternelle MS-‐ PS, élémentaire, collège,
4/ La maison de mes rêves ! OU La maison idéale !
En lien avec la reconstitution à l'échelle 1 d'une coupe d'une unité d' habitation de la cité radieuse. Dans cet atelier découverte, il est demandé aux élèves de réaliser le plan (au sol avec des craies, sur une feuille avec des crayons, au sol avec des petits morceaux de bois) de la maison de leur rêve.
Notions et mots clés envisageables : plan, ligne, circulation, maquette, échelle1, module, espace ouvert, espace fermé, plan libre, proportion, surface, perspective, architecture moderne, architecture et utopie, espace à habiter, comportement du corps...
Liens avec les programmes : > maternelle : Découvrir le monde, réaliser des jeux de construction simples, construire des maquettes simples ; Le regard et le geste : Le dessin (fonction de langage)...dessiner pour inventer, dessiner pour imaginer des univers, des personnages, des histoires. > élémentaire : histoire des arts (les « arts de l'espace »). > collège : classe de troisième arts plastiques : L'espace, l'Oeuvre et le spectateur : expérimentation sensible de l'espace. > lycée : classe de seconde option facultative arts plastiques : Le dessin de l'espace et l'espace du dessin. Classe de première option facultative arts plastiques : les procédés et les codes de représentation .
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Niveaux : maternelle GS, primaire, collège, lycée
5/ Qui suis-‐je ? > Seul ou par équipe de deux, formuler et noter sur cette même feuille quelques indices (5 par œuvre maximum) afin de faire deviner aux autres groupes les deux œuvres choisies. Vous pourrez vous servir de la fiche distribuée (constituants plastiques d'une oeuvre). Cette fiche est à adapter selon les niveaux de compréhension de la langue. > Insister sur la mise en scène de l'expo, le dispositif, l'ambiance, cela peut permettre de faire une lecture des œuvres en présence. Notions et mots clés envisageables : portrait, figure, modèle, cadrage, plan, représentation réaliste, dispositif scénographique, accrochage, installation, in situ, théâtralisation, architecture et utopie, architecture moderne, habiter un espace, nombre d'or, proportions, comportements, identité, la place de l'objet dans l'oeuvre, chaos, désordre, accumulation, fiction / réel, protéiforme, surface, matière, lumière, naturel et artificiel, artistique, point de vue, perception, posture du corps, participation du spectateur, espace immersif, statut de l'oeuvre, statut de l'artiste, univers sonore
Liens avec les programmes : > Maternelle : La sensibilité, l'imagination, la création : l'observation et la transformation des images > collège : classe de sixième arts plastiques : compétences culturelles (reconnaître, distinguer, nommer, décrire avec un un vocabulaire approprié différentes formes de productions plastiques, identifier modalités de présentation de l'objet). Cinquième : discriminer différents sstatuts de l'image > lycée : histoire des arts : « Arts et idéologies » (L'art et la contestation sociale et culturelle).
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Niveaux élémentaire, collège, lycée 6/ Je fais partie de l'histoire... Chaque œuvre raconte son histoire à sa manière.
Devant l'oeuvre de ton choix, imagine, invente quelle petite histoire elle peut bien cacher...Avec tes camarades, essaye de mettre en scène cette histoire.
Une photographie numérique garde les traces de votre mise en scène.
Par équipe de deux ou plus.
Notions et mots clé envisageables : cadrage, plan, angle de vue, point de vue, mise en scène, réel / fiction, représentation, statut des images, médium...
Liens avec les programmes : > CE2, ,CM1, CM2 : Culture humaniste Les élèves doivent être capables : de lire et utiliser différents langages, en particulier les images (différents types de textes, tableaux et graphiques, schémas, représentations cartographiques, représentations d'oeuvres d'art, photographies, images de synthèse) ; Histoire des arts, « Les arts du visuel »...accéder progressivement au rang « d'amateurs éclairés »...mariant vocabulaire sensible et technique.
> Collège : classe de cinquième arts plastiques (images, œuvre et fiction) = fabriquer des images de fiction : en quatrième : décrypter les codes des différentes images et s'en servir pour argumenter . > Lycée : classe de première L arts plastiques (la Figuration et la relation au référent).
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Niveaux primaire, collège, lycée
7/ Chorégraphie / Corps et graphies Lecture d'images...A partir de la vidéo Kill Kill Chorégraphie de A. Périgot, un parcours du corps d'un élève avec enregistrement de ses points d'appuis sur un papier disposé au sol pourra permettre dans un second temps à d'autres élèves de déchiffrer puis de rejouer, de mimer le parcours initial.
Notions et mots clés envisageables : corps, mouvement, espace, surface, chorégraphie, graphisme, écriture du corps expression du corps, perception, sensation, émotion, matière, support, geste, outil, rythme, instrument, posture, modèle...
Liens avec les programmes :
> Maternelle : Découvrir le monde (décrire des positions relatives ou des déplacements à l'aide d'indicateurs spatiaux et en se référant à des repères stables variés. Suivre un parcours décrit oralement (pas à pas), décrire ou représenter un parcours simple.
> Elémentaire : Histoire des arts, les « arts de spectacle vivant ».
> Collège : Histoire des arts, les « arts du spectacle vivant », les « arts du visuel ».
> Lycée : Histoire des arts, thématique : « Arts, corps, expressions »...Le corps et l'expression créatrice
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3/ De retour en classe : incitations possibles
Niveaux, primaire, collège, lycée.
A/ Pistes sur la dimension théâtrale de l'oeuvre. Du corps à l'objet. > « Coucou, c'est moi ! » En une seule image photographique, mettez-‐vous en scène dans l'espace de l'école ou du collège ou du lycée. > Mon quotidien en spectacle > Le banal devient extraordinaire > Magnifier un objet quotidien > Totem contemporain > Corps décor > Montrez-‐le, montrez-‐le ! > Corps et collection > Corps / Lumière / Théâtralisation > Je est un autre > Reprendre la pose > C'est moi / C'est pas moi > Autofiction L'ensemble de ces propositions est à concevoir en choisissant les médiums de votre choix (peinture, graphisme, construction, sculpture, assemblage, photographie, vidéographie, installation, performance...).
Notions et mots clé envisageables: cadrage, plan, mise en scène, fond/forme, présentation / représentation, codes de représentation, mise en scène, assemblage, posture du corps, réel / fiction, chaos, surcharge,accumulation, présenter, focaliser, art et média...
Liens avec les programmes et l'Histoire des arts : > élémentaire: Les « arts du spectacle vivant », Les « arts du visuel ». > collège : Les « arts du spectacle vivant », Les « arts du visuel ».Un thématique : « Arts, ruptures, continuités » > > lycée -‐ voies générale, technologique, professionnelle, Les « arts du spectacle vivant », Les « arts du visuel », une thématique « Arts, corps, expressions ».
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Niveaux maternelles, élémentaires, collège, lycée.
B/ Pistes relatives aux questions d'architecture. > Plus de vide que de plein ! > Deux espaces habitables, mais différents > ….........PASSAGE.............. > Espaces ouverts... > La maison de mes rêves > la maison imaginaire > Ouvrir un espace sur un autre > Tout en courbes ! > Machine à habiter > Maison en coupe
Ces pistes sont à creuser, exploiter selon les niveaux, les programmes. Notions et mots clés envisageables : plan, ligne, forme, circulation, maquette, module, espace ouvert, espace fermé, plan libre, proportion, surface, perspective, architecture moderne, architecture et utopie, espace à habiter, comportement du corps...
Liens dans les programmes avec l'Histoire des arts : > élémentaire, « Les arts de l'espace », une thématique : Le XX° siècle et notre époque. > collège, « Les arts de l'espace »,une thématique : « Arts, techniques, expressions » (l'oeuvre d'art et l'influence des techniques. > lycée -‐ voies générale, technologique, professionnelle, « Les arts de l'espace », une thématique : « Arts, réalités, imaginaires ».
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3/ Modalités d'accueil du public scolaire
Votre visite pourra s’effectuer du lundi au vendredi entre 9h et 12h et de 13h30 à 18h Sur réservation uniquement et selon les disponibilités. Entrée et médiation gratuites. Réservations obligatoires auprès de Elfi Exertier 09 70 65 01 15 Médiation et encadrement par Elfi Exertier. [email protected] Nous offrons pour toute visite avec votre classe un encadrement rapproché et des petites animations adaptées à chaque niveau de classe (Maternelle dès la MS/GS, primaire, collège et lycée)
• Pour une visite avec petit atelier il faut compter 1h 15 (40 mn visite+30mn expérimentations diverses)
• Pour une visite sans atelier 45 mn (1er degré) 60mn (2e degré) Voici quelques règles à bien suivre, merci
• Au moment de votre inscription auprès de Elfi il convient de bien préciser votre choix de visite.( avec ou sans petit atelier)
• Nous conseillons vivement de prendre contact avec la médiatrice si vous souhaitez préparer les contenus de votre visite. Marina se chargera de vous mettre transmettre ses coordonnées.
• Concernant une visite avec petit atelier (1h30 maxi)
Nous vous proposons des expérimentations de courte durée,( 30mn environ,) comme autant de pistes de sensibilisation qui pourront se prolonger dans vos classes . Nous mettons gratuitement à votre disposition, sur place, papiers, crayons divers et petit matériel. Si vous avez des besoins particuliers, et en accord avec la médiatrice, vous pourrez apportez du matériel complémentaire. Mais attention ! Il ne peut en aucun cas s’agir d’une action avec un dispositif matériel lourd. La galerie n’est pas le lieu adapté pour des procédures plastiques exigeantes, salissantes et d’envergure. • Chaque visite se fera avec un groupe maximum de 25 élèves, pour le 1er degré et 35 élèves pour les
classes de collèges et de lycées • Pour les classes maternelles et primaires des dédoublements se feront lorsque l’effectif de la classe sera supérieur à 20 élèves. Dans la mesure du possible l’espace du bar sera mis à la disposition du groupe en attente, sous la responsabilité d’un adulte minimum. Une sélection de livres sur l’art sera à votre disposition (prêt CDDP et BDP). Le coin vidéo dans le couloir également • Pour 1er degré principalement : Il est nécessaire que 2 accompagnateurs encadrent la classe, l’enseignant et une autre personne adulte de son choix. Pour les collèges et lycées, c’est également préférable mais nous savons qu’il est parfois difficile d’y parvenir…nous restons donc plus souples dans la limite d’un effectif ne dépassant pas 30 Important ! • Il convient de nous prévenir la veille si vous annulez une visite, par respect pour les médiatrices. Les annulations de dernière minute nous sont très dommageables. Il faut savoir que même si la gratuité vous est proposée, et nous y tenons, tout cela représente un coût pour le Théâtre…Merci pour votre compréhension.
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Fiche : Organisons votre visite avec la classe
Si vous souhaitez construire le contenu de votre visite, merci de faire parvenir cette fiche en amont à Marina Elle nous aidera à répondre au mieux à vos attentes Eléments d’information à fournir à Marina lors de l’inscription :
Ecole : n°tel : Nom du professeur responsable : email : Niveau (x): Nombre d’élèves : Nombre d’accompagnateurs : ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… Après avoir pris connaissance de l’exposition et des œuvres (visite spéciale/ enseignants, dossier pédagogique….) Quels sont vos sentiments, sensations et questions ? Quelles œuvres souhaitez-‐vous voir en priorité ?... …et pourquoi ? Quelles sont d’après vous les contraintes du niveau de classe ? Sur quoi aimeriez vous que l’animatrice insiste particulièrement? Et éventuellement : Quel type d’activité pédagogique envisagez-‐vous de prolonger à l’issue de la visite ? (Nous pouvons vous aider à en mettre en forme) Autres remarques
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SOMMAIRE Partie 1 : PRÉSENTATION DE L’ARTISTE ET DE L’EXPOSITION : 3 Partie 2: ARCHITECTURE ET URBANISME, LA PLACE DE L’HOMME 12 1) Le Corbusier 12 a)Le Corbusier en très synthétique
b) Le Corbusier exposé synthétiquement 13 c) Le Corbusier : analyses approfondies 18 2) Un contemporain d’Alexandre Périgot, dont le travail a été présenté , lui aussi, à Marseille ,et en référence à la Cité radieuse 30 : ESHEL MEIR dit ABSALON (décédé en 1993) 3) Une architecture tout en rondeurs, celle de Frederick Kiesler 33
4) Rachel Witheread 35
5) Un artiste, lecteur des situationnistes : Gordon Matta-‐Clark 37
6) L’approche situationniste 40
a) Guy Debord : Introduction à une critique de la géographie urbaine 40
b) Une autre ville pour une autre vie. Henri Lefebvre et les situationnistes 48
7) Heidegger, « Bâtir, habiter, penser » 49
Partie 3 : LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE 56 a) Le normal et la pathologique : les apports de Canguilhem 56
b) Critiques du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) 59 Partie 4 : LE RIDEAU 62
a) « Derrière le Rideau… » : Les Figures de l'art contemporain Est-‐Européen après 1989 (2004) 62 b) Le rideau de scène « Parade » 65
c)Le Rideau dans la psychanalyse de Lacan : 66
d) Un exemple : la place du rideau dans l’œuvre de Claude Simon : 66
ANNEXES 68
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Sitographie 68 Glossaire 70 Partie 5 : PISTES PÉDAGOGIQUES. 58
Contenu du dossier 72
Fiche : Organisation de la visite 84