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Français Langue A MYP 10ème année Unité 2 Reportages & Commentaires Module de Cours G. Henchoz

Dossier Reportages & Commentaires

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Dossier servant de support à un module MYP Français Langue A 10ème année

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Page 1: Dossier Reportages & Commentaires

Français Langue A

MYP

10ème année

Unité 2

Reportages & Commentaires

Module de Cours

G. Henchoz

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Français Y10 avancé Guillaume Henchoz

Question directrice Comment changer le monde avec une plume (ou

depuis son clavier) ?

Aire d’interaction Ingénuité humaine

Présentation Ecrivains, intellectuels et journalistes sont parfois

parvenus à faire changer le monde grâce à un texte ou

une voix. Retour sur quelques grands moments de

l’histoire du XXème siècle à travers les œuvres

littéraires d’hommes et de femmes courageux qui ont

souvent pris des risques importants pour servir leur

cause.

Contenu J’accuse d’Emile Zola / Editoriaux d’Albert Camus

(Revue Combats) / Reportages de Jonathan Littell /

Articles de journaux rédigés par des journalistes / un

documentaire (à choix)

Evaluation rédaction d’un article (A, C) / rédaction d’un éditorial

(A, C) /Présentation orale (A, B, C) / Analyses

comparées (A, B)

Clavier rétro-futuriste, ©New Yorker

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Unité : Grands reportages Y10 Langue A / G. Henchoz

Par groupe de 3, vous présenterez un journal, un magazine ou une revue devant la classe. Prenez en compte les éléments mentionnés ci-dessous. Vous rédigerez ensuite une fiche d’identité de ce journal en tenant compte des remarques qui vous seront adressées durant votre présentation. Durée : 10 – 15 minutes

Le Journal

Quel est son format ? Quel est son tirage ? Qui le possède ? Qui sont les producteurs du journal ? A qui s’adresse ce journal ? Quel est son public cible ? Quel genre d’informations y trouve-t-on Quel rapport publicité /article trouve-t-on ? Quel est son rythme de parution ? Quel est son modèle économique ?

Analyse de la Une du Journal Quelles informations sont placées en Une et pourquoi ce choix ? Comment fonctionne le rapport entre le texte et l’image ?

Page 4: Dossier Reportages & Commentaires

Les différents genres journalistiques

Commentaires

L’éditorialMis en valeur à une place attitrée, le plus souvent en première page. Composé de caractères

spécifiques et encadré. Il se repère facilement et fait figure d’article leader de la publication : tout

le monde le voit mais tout le monde ne le lit pas. C’est l’article de commentaire pur, souvent signé

par le rédacteur en chef, voire le directeur de la publication. L’éditorial engage symboliquement le

journal et donne, en principe, un avis collectif. Le style n’en est pas moins personnel. Cependant,

les grandes diatribes (pamphlets) du début du siècle s’estompent. La question qui se pose est de

savoir si ce sont les éditorialistes qui mollissent ou si ce sont les lecteurs qui se fatiguent de la

polémique ? En fait, si l’éditorial livre la ligne du journal, il va surtout à la rencontre des pensées

du lecteur. L’idéal, c’est quand l’éditorial donne l’impression au lecteur d’exprimer sa propre

pensée, mieux qu’il ne le ferait lui-même. Il peut ainsi clarifier les idées de celui qui le lit.

Le commentaireIl poursuit les mêmes buts que l’éditorial : il n’expose pas les faits mais les interprète. Toutefois, il

n’a pas la même intention globalisante (ainsi, on peut en trouver plusieurs dans le même numéro

et concernant des événements différents). Il engage donc moins l’ensemble de la rédaction.

Commenter ne consiste pas forcément à distribuer bons et mauvais points. L’opinion personnelle,

le jugement peuvent faire place à un éclairage sur les faits, un exposé de leurs causes et de leurs

conséquences possibles. Un commentaire se veut souvent pédagogique. La Croix, Le Monde,

Libération et désormais les journaux télévisés le mettent volontiers en valeur. Il s’appuie souvent

sur un article qu’il accompagne et prolonge : article politique, compte-rendu de procès voire

compétition sportive. Un commentaire doit éclaircir et non obscurcir. Par souci de concision, il

dépasse de plus en plus rarement les deux feuillets.

La chroniqueC’est un article de commentaire plus ou moins spécialisé, publié à intervalles réguliers par une

même personne et sous une présentation spécifique. L’auteur peut être une personnalité

extérieure au journal, par exemple un spécialiste, un écrivain, etc. Dans tous les cas, le ton est

personnel, souvent empreint d’ironie, avec le souci d’une écriture soignée et recherchée.

Le billetIl tend à disparaître car c’est un exercice difficile. Il consiste à prendre un fait de l’actualité, à le

triturer, parfois à le regarder par le petit bout de la lorgnette ou encore à en associer deux d’une

manière paradoxale. Le ton ironique est de mise mais il peut, à l’occasion, se faire grave L’angle

d’attaque est toujours original et la chute, humoristique, inattendue, laisse au lecteur l’impression

que, décidément, rien n’est simple en ce bas monde. Ultime difficulté : comme le billet est

souvent quotidien, il faut tenir le rythme !

L’échoC’est un entrefilet de quelques lignes qui donne une information plus ou moins exclusive, plus ou

moins conditionnelle, pus ou moins vérifiable. Son objectif : en dire plus tout en donnant au

lecteur le sentiment d’être initié aux petits secrets. L’écho peut résoluemnt verser dans le

commentaire. Alimentées par des sources obscures, la rumeur peut être orientée, voire

totalement imaginaire.

La critiqueDans une critique se mêlent informations et commentaires. Dans tous les cas, l’honnêteté exige

des arguments étayés : beaucoup de personnes vont au cinéma par procuration ! Ereinter un film

qui le mérite ne dispense pas d’en préciser la nature. Les critiques actuels ont deux défauts

majeurs. D’une part, certains finissent assez vite par réagir en professionnels blasés perdant

Page 5: Dossier Reportages & Commentaires

ainsi une certaine spontanéité indispensable pour rester proches du lecteur. D’autre part, ils versent aussi dans la louange grandiloquente du style « Un style éblouissant », « Un pur chef d’œuvre », etc.

Factuels

La brèveC’est un texte très court (une dizaine de lignes au maximum) où la part de commentaire est nulle. Il livre l’essentiel de l’information sur un événement donné. La brève est le seul article à ne pas disposer d’un titre. Ces brèves peuvent rester isolées ou être regroupées dans une rubrique : on parle alors parfois de ‘rivières’ de brèves.

Le filetC’est une brève… un peu moins brève ! Dans le même esprit qu’elle, il peut comporter deux ou trois alinéas. Le ou les suivants développent des éléments de la brève pour entre plus avant dans les détails de l’événement, son explication, ses conséquences possibles. Un peu plus long encore, il peut prendre le nom d’entrefilet.

Le reportageIl se situe à la charnière de l’information et du commentaire. Le reportage montre. Il reste la meilleure école du journalisme : on y apprend la recherche des informations, la maîtrise de l’interview selon les interlocuteurs et l’apprentissage de l’écriture. Le journaliste rapporte ce qu’il voit et ce qu’il entend ; il agit en témoin : il regarde, il écoute, il se renseigne et tente de comprendre avant d’informer. On désigne du même mot, par extension, certains reportages spécialisés : les congrès de partis ou de syndicats, les matches, les procès, etc. Là encore le journaliste raconte ce à quoi il assiste, avec des faits mais aussi des éléments d’ambiance. Témoin scrupuleux, le journaliste pense à interroger tous ceux qui peuvent fournir des informations et ne néglige aucune source. Le ton d’un reportage gagne à être vif. Le lecteur doit découvrir l’événement comme s’il l’avait vécu lui-même. De là l’importance des petits détails, des petites touches qui font vrai et vivant.

L’enquêteElle se situe elle aussi à la charnière de l’information et du commentaire. Pour schématiser, on peut dire que si le reportage montre, l’enquête démontre. Elle démonte aussi, obligeant son auteur à analyser un phénomène en profondeur, au-delà de l’événement brut. Exemples : pourquoi les résultats électoraux de tel parti ne cessent de baisser ? Pourquoi la lutte contre la drogue se révèle-t-elle si difficile ? L’enquête demande beaucoup de temps : recouper des informations constitue la méthode de base. Le journaliste consulte une documentation complète puis affine ses investigations par des reportages et des interviews.

Et l’article ?Existe-t-il un type d’article qui s’appellerait out simplement article ? Assurément ! La grande majorité des papiers qu’on peut lire dans un quotidien ou un hebdomadaire ne répondent à aucune définition donnée jusqu’à présent. Nous sommes en présence d’un genre nouveau, le plus étendu dans son usage, le plus libre dans ses différentes applications et qui ne possède pas de nom précis. A strictement parler, tout article est compte-rendu. Un débat parlementaire, un conseil des Ministres, une conférence de presse, une manifestation, etc., donnent lieu à un compte-rendu, c’est-à-dire un exposé de ce qui s’est fait, de ce qui s’est dit.

Source : Didier Husson et Olivier Robert, Profession Journaliste, éd. Eyrolles, 1991.

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Y10 / Français Langue A / Unité : Les Grands reportages

Exercice formatif :  Rédaction  d’un  éditorial

Pour  le  compte  d’un  grand  journal,  tu  dois  écrire  un  éditorial afin de défendre ou d’attaquer le groupe Pussy Riot.

Les Pussy Riot par Igor Mkhin, 2011, DR

Rédige un texte de 2'500-3'000 signes environ, dans lequel tu traiteras les éléments suivants :

Un bref descriptif du groupe (qui sont-elles, quelles actions font-elles, pourquoi,  …  )

Un bref descriptif de leur dernier procès (pourquoi ont-elles été condamnées, quelle peine doivent-elles  purger,  …)

Ton éditorial doit indiquer ce que ton journal pense du groupe «Pussy Riot».

Ton  texte  est  composé  d’un  titre  qui  reflète  ta  position  et  d’un  texte  (pas  de  chapo  dans  un  édito)

Forza !

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Test : Expression écrite / Unité 1 / Y10 / Langue A / G. Henchoz

La Suppression des notes à l’école : Le Professeur de pédagogie Helmut Pangloss, un

chercheur à la renommée internationale, est venu donner une conférence à l’ISL sur la notation à l’école obligatoire. Tu as suivi son discours et tu as également recueilli les témoignages de plusieurs membres de la communauté ISL sur le système de notation.

Tu dois maintenant construire un article pour le journal de l’école (The High) en utilisant des citations extraites des différents témoignages et les informations que tu as réunies sur le sujet de la notation à l’école ou que tu tires indirectement des témoignages.

Rédige à la main ton article (350 mots min.) sur une feuille de papier en mentionnant le titre, le chapo, et la signature en fin d’article.

Aucune illustration n’accompagne ce texte. Utilise des citations issues de 4 témoignages différents au minimum

Helmut Pangloss, docteur en psycho-pédagogie

« La notation à l’école est une absurdité. J’étudie ce procédé depuis des années et je peux vous assurer que cela ne sert strictement à rien ! Nichts ! Au contraire : les étudiants sont beaucoup plus stressés et ils passent leur temps à se concurrencer au lieu de s’entraider. Tout le monde veut la meilleure note, mais secrètement les élèves espèrent aussi que leurs camarades vont échouer C’est malsain ! Maintenant, en Corée ou au Japon par exemple, des jeunes se suicident s’ils n’obtiennent pas la moyenne. Combien de temps faut-il encore pour que l’on assiste au même phénomène à Lausanne ? Il incombe aux écoles publiques et privées de s’affranchir de ce modèle. Nous ne sommes pas obligés de donner des notes aux élèves, on peut envisager d’autres systèmes d’évaluation plus qualitatifs. Par exemple, on peut penser à un conseil d’enseignants qui examine le cas de chaque élève et qui rédige un rapport très détaillé sur sa situation en mentionnant les points à améliorer et en soulignant les progrès effectués. Ce serait beaucoup plus constructif. Les professeurs sont toutefois très conservateurs et n’apprécient pas que l’on vienne changer tout leur système. Il faudra certainement encore attendre avant que ça commence à changer.»

Philipp Mondersay, professeur de Math

« Je n’ai pas été convaincu par les arguments de M. Pangloss. Contrairement à lui, j’estime que la concurrence entre les élèves est quelque chose de très positif. Cela pousse les filles et les garçons à se dépasser et cela permet d’améliorer le niveau général de la connaissance. Sans notes, les élèves sont un peu perdus. Il faut bien quelque chose qui leur permette de savoir s’ils sont meilleurs ou inférieurs à leurs camarades, non ? »

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Test : Expression écrite / Unité 1 / Y10 / Langue A / G. Henchoz

Willhelm Harchoz, professeur d’allemand

« Je trouve les théories du Professeur Pangloss très intéressantes quoiqu’inapplicables … hélas … Son idée est généreuse et je suis d’accord avec lui pour admettre qu’il n’est pas bon d’instaurer trop de concurrence entre les étudiants. Il y en aura bien suffisamment après, dans le monde du travail. L’école doit leur permettre d’acquérir des outils pour affronter le monde et, développer une bonne culture générale. En soi, les notes ne sont pas forcément nécessaires si on parvient bien à expliquer à chaque étudiant quelles sont ses forces et ses faiblesses. Toutefois je ne pense pas qu’on pourra supprimer toutes les notes d’un seul coup. Peut-être pourrait-on déjà commencer avec le primaire ?»

Evelyne Chitah, directrice de l’établissement (ISL)

« Nous avons invité Monsieur Pangloss à venir présenter ces idées dans le but de pouvoir discuter et entretenir notre réflexion sur l’évaluation et la notation. Le travail de Monsieur Pangloss est très intéressant mais je tiens à affirmer ici et à rassurer tous nos parents d’élèves : il est absolument hors de question que les notes disparaissent à l’ISL. Vous pouvez donc continuer à placer vos enfants dans notre établissement. Nous pensons qu’un peu de concurrence ne fait pas de mal aux élèves mais nous faisons attention pour que cela ne prenne pas des proportions trop importantes. Les notes sont pour l’instant nécessaires puisqu’elles permettent de situer au mieux les étudiants dans le parcours scolaire. De plus, nous sommes obligés de produire des résultats quantifiables pour que nos étudiants d’IB puissent postuler dans les Universités les plus prestigieuses du monde. Donc la suppression des notes n’est absolument pas au programme.»

Bruno Antiounes, (Y13) président du comité des étudiants

«Nous venons de discuter de ce sujet avec les membres du comité. Nous trouvons très intéressantes les idées du Professeur Pangloss et souhaitons les voir appliquées à l’ISL dans les plus brefs délais. A mort les notes ! Vive l’évaluation qualitative ! Ah et on veut aussi de la bière à la cafétéria et avoir le droit de fumer dans le student lounge. Tu notes tout ça, hein, mais tu ne balances pas mon nom. T’as qu’à dire qu’il s’agit d’un membre du comité sans me citer. Je passe mes examens finaux dans quelques mois et ce n’est pas le moment de se faire remarquer…»

Freya Frånfjörder, présidente de la commission des parents d’élèves

«Pour nous, parents d’élèves, supprimer ou laisser les notes n’est pas le vrai débât. On peut évidemment les supprimer à condition que nous enfants soient évalués d’une manière ou d’une autre. Notre principal problème c’est qu’on ne comprend à peu prêt rien au système de notation. L’autre jour ma fille m’annonce un 6. J’ai crû que c’était un 6 sur 6. En fait il s’agissait d’un 6 sur 8. Mais à la fin du semestre, son évaluation s’échelonne de 1 à 7. Comment voulez-vous donc qu’on s’y retrouve ?»

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Contexte de l’affaire

L’affaire Dreyfus est un conflit social et politique majeur de la Troisième République survenu à la fin du XIXe siècle, autour de l’accusation de trahison faite au capitaine Alfred Dreyfus, français d’origine alsacienne et de confession juive, qui sera finalement innocenté. Elle a bouleversé la société française pendant douze ans, de 1895 à 1906, la divisant profondément et durablement en deux camps opposés, les « dreyfusards » partisans de l’innocence de Dreyfus, et les « antidreyfusards » partisans de sa culpabilité.

La condamnation fin 1894 du capitaine Dreyfus — pour avoir prétendument livré des documents secrets français à l’Empire allemand — était une erreur judiciaire sur fond

d’espionnage et d’antisémitisme, dans un contexte social particulièrement propice à l’antisémitisme, et à la haine de l’Empire allemand suite à son annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine en 1871. La révélation de ce scandale en 1898, par Émile Zola dans l’article de presse intitulé « J’Accuse…! », provoqua une succession de crises politiques et sociales uniques en France. À son paroxysme en 1899, l’affaire révéla les clivages de la France de la Troisième République, où l’opposition entre le camp des dreyfusards et celui des anti-dreyfusards suscita de très violentes polémiques nationalistes et antisémites, diffusées par une presse influente. Elle ne s’acheva véritablement qu’en 1906, par un arrêt de la Cour de cassation qui innocenta et réhabilita définitivement Dreyfus.

Cette affaire est le symbole moderne et universel de l’iniquité au nom de la raison d’État, et reste l’un des exemples les plus marquants d’une erreur judiciaire difficilement réparée, avec un rôle majeur joué par la presse et l’opinion publique.

(source : wikipedia)

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Sommaire Chronologie de l’affaire Dreyfus

1859 : naissance d'Alfred Dreyfus à Mulhouse

1870 : occupation de l'Alsace-Lorraine

1894 : arrestation et condamnation d'Alfred Dreyfus

1895 : dégradation du capitaine Dreyfus à l'École militaire à Paris et déportation à l'île du Diable

1898 : publication dans l'Aurore de « J’accuse !... » d'Émile Zola

1899 : procès de Rennes

1903 : relance de la révision par Jean Jaurès

1906 : réhabilitation d'Alfred Dreyfus

1914-1918 : première guerre mondiale ; mobilisation d'Alfred Dreyfus

1935 : mort d'Alfred Dreyfus à Paris

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Les acteurs de l’affaire Dreyfus

NB : les textes de présentation viennent du site de l’assemblée nationale française (www.assemblee-nationale.fr). Les photos proviennent de Wikipedia et sont toutes disponibles en Creative Common) Alfred Dreyfus, officier de l’armée française, 1859-1935

En 1894, l'homme qui est arrêté est un jeune et brillant militaire. Né en 1859 dans une famille alsacienne de confession juive, ce patriote convaincu a choisi la nationalité française pour s'engager dans l'armée. Diplômé de l'Ecole polytechnique, il s'apprête à faire son entrée dans l'Etat major et vient également d'épouser la jeune et fortunée Lucie Hadamard. L'officier dont tous les professeurs vantent les qualités humaines et intellectuelles semble donc promis à un bel avenir. Mais dans un climat de nationalisme et d'antisémitisme grandissant, Dreyfus est aussi le coupable idéal : un officier juif qui a gravi au mérite les échelons, exemple dérangeant pour la

vieille garde traditionaliste de l'armée. Le 22 décembre 1894, à 35 ans, il est condamné arbitrairement pour espionnage et haute trahison. Envoyé au bagne à la place d'un autre, il y restera 5 ans. Auguste Mercier, Ministre de la Guerre et antidreyfusard, 1833-1921 Le général Auguste Mercier, ministre de la Guerre de 1893 à 1895, est le premier artisan de la conspiration dirigée contre Dreyfus. L'homme est un brillant militaire, sorti deuxième de l'Ecole polytechnique, réputé travailleur. Mais il se voit bientôt critiqué par la presse nationaliste et antisémite qui lui reproche son libéralisme. En faisant condamner Dreyfus, Mercier trouve un moyen d'affirmer son autorité et de se rallier l'opinion nationaliste. C'est lui qui demande à la Section de statistique, (ancien nom du service de contre-espionnage), et notamment au capitaine Henry, de monter un dossier composé de fausses preuves à charge contre Dreyfus. Il est élu sénateur en 1900.

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Bernard Lazare, Journaliste et écrivain dreyfusard, 1865-1903

Ecrivain, journaliste et anarchiste, Bernard Lazare est contacté en 1895 par le frère de Dreyfus et se laisse gagner à sa cause. Il est alors un des premiers à prendre la défense du capitaine aux côtés de sa famille et à s'élever contre l'antisémitisme ambiant. "Le premier juif qui se leva pour un juif" publie notamment une série de 5 articles dans le journalVoltaire en 1896 pour appeler les juifs à relever la tête face aux calomnies et violences dont ils sont victimes et n'aura de cesse de défendre Dreyfus. En novembre 1896, il publie également "Une erreur judiciaire, la vérité sur l'Affaire Dreyfus", qui relance la polémique.

Emile Zola, Ecrivain dreyfusard, 1840-1902 A la une de l'Aurore le 19 janvier 1898, le fameux "J'accuse" de l'écrivain, est une longue lettre adressée au président de la République, Felix Faure. Le romancier y dénonce la conspiration générale de l'Etat-major et de la presse contre Dreyfus. Cette prise de position publique va bouleverser la fin de sa vie. Zola est assigné pour diffamation. Son procès sera en fait le vrai procès de l'affaire Dreyfus. Son engagement marque aussi l'avènement de la figure de l'intellectuel moderne et encourage l'union des dreyfusards, qui créent alors la Ligue des Droits de l'Homme. Condamné à un an de prison, Zola s'exile jusqu'à la révision du procès de Dreyfus. Il meurt dans des conditions mystérieuses en 1902, peut-être assassiné, 4 ans avant la réhabilitation du capitaine. George Clémenceau, éditeur et homme politique dreyfusard, 1841-1929 Médecin de formation et ancien député, Georges Clemenceau dirige alors un nouveau quotidien, l'Aurore. Le journaliste de l'époque, comme la majorité des Français, penche d'abord pour la culpabilité de Dreyfus. Mais après enquête, il acquiert la certitude de son innocence et n'aura de cesse de le défendre pour devenir l'un de ses plus brillants avocats. En 1898, il publie notamment le fameux "J'accuse" de Zola en 6 colonnes à la une de son journal. Celui qu'on appelera plus tard "le Tigre" rédige lui-même de brillants articles en faveur de Dreyfus, véritables pamphlets contre l'antisémitisme et les mensonges de la raison d'Etat.

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Ferdinand Walsin Esterhazy, Militaire antidreyfusard, 1847-1923 Le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy est le véritable traître de l'Affaire. Endetté par une vie de débauche, cet agent des renseignements français propose ses services d'espion à un membre de l'Ambassade d'Allemagne à Paris. C'est donc lui et non Dreyfus qui fournit à Berlin des renseignements sur l'Armée française. En juillet 1895, sa culpabilité est découverte par le nouveau chef des renseignement français, Georges Picquart, qui intercepte un télégramme, un "petit bleu" que lui a envoyé

l'Ambassade d'Allemagne à Paris. Mais l''Etat-major de l'Armée couvre Esterhazy, acquitté le 11 janvier 1898, et limoge Picquart. Esterhazy s'exile un temps en Angleterre et travaille comme correspondant pour "La Libre Parole", journal nationaliste et antisémite. Il se dénoncera seulement à la veille du second procès de Dreyfus.

Albert Demange et Fernand Labori, avocats dreyfusards Albert Demange et Fernand Labori sont les deux avocats de Dreyfus lors du procès en révision de 1899. Demange est l'avocat de la première heure, il a déjà défendu Dreyfus en 1894. Le second a rejoint l'Affaire en cours de route mais s'est fortement impliqué dans le dossier ; il est aussi le défenseur de Zola en 1898. Lors du deuxième procès, Me Labori est victime d'une tentative de meurtre sur le chemin du tribunal. C'est finalement Me Demange, moins incisif et éloquent, qui plaidera seul. Au terme de ce semblant de procès, la déception est grande : Dreyfus est gracié par le Président de la République, mais son innocence n'est pas reconnue. Il devra attendre 1906 pour être réhabilité.

Manuel-Achille Baudoin, Magistrat dreyfusard En 1903, la Cour de cassation est enfin saisie de l'affaire, notamment après l'intervention politique de Jean Jaurès. Pendant 3 ans, les hauts magistrats vont enquêter et passer au peigne fin chaque élément de l'accusation. Manuel-Achille Baudoin, procureur général, démontre, comme d'autres magistrats, un engagement inébranlable pour la vérité. Il rédige un réquisitoire de 800 pages dans lequel il instruit la culpabilité des accusateurs de Dreyfus et prouve son innocence. Il obtient finalement la cassation, sans renvoi devant un troisième Conseil de guerre : le 12 juillet 1906, Dreyfus est réhabilité. La Cour de Cassation a fait triompher le droit sur la raison d'Etat.

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L’affaire Dreyfus, 100 plus tard

L’historien Vincent Duclert, grand spécialiste de Dreyfus, répond aux questions d’une classe de lycéens français à l’occasion du centenaire de la publication de J’accuse. (Source bnf.fr)

Ma question n'a rien d'agressif, mais y-a-t-il un intérêt à revenir sur cette affaire, alors que tout le monde est d'accord pour dire que c'est un scandale qui n'aurait jamais dû arriver ? Vincent Duclert : Très bonne question. D'abord, il y a toujours certaines personnes qui estiment que Dreyfus était coupable (les mêmes qui pensent que les chambres à gaz n'ont pas existé). Ensuite, il est intéressant de savoir comment la France en est arrivée à condamner un innocent et à le maintenir cinq années en prison et au bagne. Enfin, on peut s'interroger sur les enseignements que la France a tiré de cette affaire. Autant de raisons de rouvrir le dossier. Dreyfus, une victime ou un héros ? Mérite-t-il vraiment d'entrer au Panthéon comme l'a proposé Jack Lang ? D'abord, petite précision, c'est moi qui ai suggéré ce transfert au Panthéon au terme de ma biographie parue chez Fayard. Jack Lang m'a lu et a repris la proposition. Tant mieux. Dreyfus est certes une victime de la raison d'Etat. Mais il a affronté la conspiration, la prison, l'infamie, avec un exceptionnel courage. Il a voulu la justice, et il l'a eue, grâce à tous les dreyfusards (Zola, Jaurès..) unis pour le défendre et défendre la République contre les antisémites et les nationalistes. De ce point de vue, Dreyfus a été un héros puisqu'il a combattu l'écrasement, la tyrannie. Et il est resté fidèle à la France malgré tout. Transférer les cendres de Dreyfus au Panthéon, c'est rendre hommage à tous les innocents qui ont péri dans les camps, les prisons, et qui n'ont pas été réhabilités comme lui. Enfin, en ces temps de remontée de l'antisémitisme, il ne serait pas inutile d'honorer un juif qui a été un grand patriote. Maintenant, la décision appartient au Président de la République. Il m'a écrit aujourd'hui même et m'a dit qu'il étudiait la question.

Pourquoi un tel emballement contre un seul homme? Les raisons sont-elles avant tout politiques, militaires, ou religieuses ? Dreyfus était juif (peu pratiquant cependant, laïc), et visé en tant que tel par les antisémites, ulcérés de voir un juif à l'Etat major de l'armée. C'était un officier très brillant, sorti des grandes écoles. Cette voie moderniste, qu'il incarnait, menaçait la majorité traditionnaliste, ultra conservatrice, des officiers. Cette démocratisation de l'armée, dont les juifs étaient le symbole, fut combattue par la droite extrême et les nationalistes. La crise politique que traverse la France aujourd'hui a-t-elle à voir avec celle des années 1900 ?

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C'est toujours difficile, pour un historien, de répondre à cette question. Je ne pense pas qu'une affaire Dreyfus puisse se reproduire aujourd'hui, l'opinion publique est trop attachée à la vérité. Une fois qu'elle est établie, on ne va pas s'amuser à l'étouffer et à remettre une couche de mensonges comme cela a été le cas dans l'affaire Dreyfus, une affaire qui a duré douze ans. Mais c'est vrai qu'il y a aujourd'hui une défiance à l'égard de la politique, de la République, qui est inquiétante. Quels enseignements faut-il tirer de cette affaire ? Pensez-vous que les politiques du XXème et du XXIème siècle ont bien retenu la leçon ? Justement non, et c'est pour cela qu'il faut continuer à étudier l'affaire Dreyfus. C'est pour cela que la proposition de panthéonisation a été lancée : pour que les politiques, et aussi tous les citoyens aient toujours devant les yeux ce passé durant lequel la justice a été violée, la vérité niée et un innocent écrasé. Bref, il faut sans cesse rappeler des valeurs dans la société (pas seulement celles de l'argent ou de la force). Affaire Dreyfus, Affaire Clearstream, un parallèle, des leçons à tirer ? Le seul parallèle que l'on puisse établir entre les deux affaires, c'est l'opacité des services de l'Etat et l'obscurité des agissements politiques. L'affaire Dreyfus s'est également développée ainsi. L'important, c'est donc de contraindre à la légalité, et au besoin de condamner pénalement les acteurs de l'Etat ou les politiques qui auraient violé les procédures, elles-mêmes définies par la loi, la loi votée par les représentants du peuple. Que les juges agissent, mais aussi les parlementaires. Qui, au final a permis de faire éclater la vérité au grand jour ? Lui, Dreyfus, notamment parce qu'en survivant, il permettait à l'action publique (c'est-à-dire à la justice) de casser les jugements de condamnation. Les juges en second lieu, dont certains très courageux quand le pouvoir et l'opinion ont tenté de les abattre. Les dreyfusards, les intellectuels, les jeunes, la mobilisation du monde libéral, et enfin, l'arrivée de républicains décidés à vaincre les nationalistes, comme Waldeck-Rousseau soutenu par Jaurès, Clemenceau… Qu'est-ce qui vous fascine chez Dreyfus? Fasciner...Ce n'est pas tout à fait cela. Il m'intéresse en tant que personne luttant contre les ténèbres et sortant victorieux pour finir. Il permet de plonger au coeur de l'Etat, de voir le côté sombre de la République, mais aussi de suivre la marche de la justice et l'engagement des dreyfusards. Comme historien, j'ai constaté que l'on connaissait assez peu de choses sur Dreyfus, sur les services de l'Etat impliqués dans l'Affaire et sur le rôle de la justice. J'ai donc beaucoup travaillé avec les archives. Je pense qu'il y a un véritable intérêt civique à faire connaître cette histoire, notamment aux jeunes, en France comme dans le monde. Cette affaire a une portée

"Il est toujours intéressant de savoir comment la France est arrivée à condamner un innocent."

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internationale car le monde entier s'est mobilisé pour Dreyfus et continue de s'intéresser à la postérité de l'Affaire. Dreyfus a-t-il encore pour vous des zones d'ombres, des choses que vous aimeriez savoir et que vous ne trouvez pas ? Il n'y a pas beaucoup de zones d'ombres dans le dossier militaro-judiciaire. L'essentiel est connu grâce au recoupement d'une immense documentation. Les questions qui continuent à se poser, c'est pourquoi des généraux et des ministres ont fabriqué un coupable, pourquoi le chef du gouvernement et les parlementaires ont laissé faire et même applaudi, pourquoi la presse a multiplié les mensonges contre Dreyfus. Et de savoir aussi comment des intellectuels se sont engagés pour lutter contre la violence et la calomnie. L'analyse de l'Affaire reste ouverte. Cela sera ma dernière réponse, car que je dois partir préparer un grand colloque ouvert à tous le 19 juin 2006 à la Cour de Cassation pour commémorer la réhabilitation totale de Dreyfus par la Cour le 12 juillet 1906. A bientôt, et merci pour vos questions, très stimulantes.

Felix Vallotton, Gravure sur bois

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“J’accuse...”

Par Emile Zola

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TEXTE INTÉGRAL DE LA LETTRE D'ÉMILE ZOLA

À FÉLIX FAURE, PRÉSIDENT DE LA REPUBLIQUE

le 13 janvier 1898

Monsieur le Président,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous m'avez fait un jour, d'avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu'ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches ? Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l'apothéose de cette fête patriotique que l'alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté.

Mais quelle tache de boue sur votre nom - j'allais dire sur votre règne - que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre vient, par ordre d'oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c'est fini, la France a sur la joue cette souillure, l'histoire écrira que c'est sous votre présidence qu'un tel crime social a pu être commis. Puisqu'ils ont osé, j'oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j'ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas commis.

Et c'est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d'honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l'ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n'est à vous, le premier magistrat du pays ? La vérité d'abord sur le procès et sur la condamnation de Dreyfus. Un homme néfaste a tout mené, a tout fait, c'est le colonel du Paty de Clam, alors simple commandant. Il est l'affaire Dreyfus tout entière, on ne la connaîtra que lorsqu'une enquête loyale aura établi nettement ses actes et ses responsabilités. Il apparaît comme l'esprit le plus fumeux, le plus compliqué, hanté d'intrigues romanesques, se complaisant aux moyens des romans-feuilletons, les papiers volés, les lettres anonymes, les rendez-vous

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dans les endroits déserts, les femmes mystérieuses, qui colportent, la nuit, des preuves accablantes. C'est lui qui imagina de dicter le bordereau à Dreyfus ; c'est lui qui rêva de l'étudier dans une pièce entièrement revêtue de glaces ; c'est lui que le commandant Forzinetti nous représente armé d'une lanterne sourde, voulant se faire introduire près de l'accusé endormi, pour projeter sur son visage un brusque flot de lumière et surprendre ainsi son crime, dans l'émoi du réveil. Et je n'ai pas à tout dire, qu'on cherche, on trouvera. Je déclare simplement que le commandant du Paty de Clam, chargé d'instruire l'affaire Dreyfus, comme officier judiciaire, est, dans l'ordre des dates et des responsabilités, le premier coupable de l'effroyable erreur judiciaire qui a été commise. Le bordereau était depuis quelque temps déjà entre les mains du colonel Sandherr, directeur du bureau des renseignements, mort depuis de paralysie générale. Des " fuites " avaient lieu, des papiers disparaissaient, comme il en disparaît aujourd'hui encore; et l'auteur du bordereau était recherché lorsqu'un a priori se fit peu à peu que cet auteur ne pouvait être qu'un officier de l'état major, et un officier d'artillerie : double erreur manifeste, qui montre avec quel esprit superficiel on avait étudié ce bordereau, car un examen raisonné démontre qu'il ne pouvait s'agir que d'un officier de troupe. On cherchait donc dans la maison, on examinait les écritures, c'était comme une affaire de famille, un traître à surprendre dans les bureaux mêmes, pour l'en expulser. Et, sans que je veuille refaire ici une histoire connue en partie, le commandant du Paty de Clam entre en scène, dès qu'un premier soupçon tombe sur Dreyfus : à partir de ce moment, c'est lui qui a inventé Dreyfus, l'affaire devient son affaire, il se fait fort de confondre le traître, de l'amener à des aveux complets. Il y a bien le ministre de la guerre, le général Mercier, dont l'intelligence semble médiocre ; il y a bien le chef de l'état major, le général de Boisdeffre, qui parait avoir cédé à sa passion cléricale, et le sous-chef de l'état-major, le général Gonse, dont la conscience a pu s'accommoder de beaucoup de choses. Mais au fond, il n'y a d'abord que le commandant du Paty de Clam, qui les mène tous, qui les hypnotise, car il s'occupe aussi de spiritisme, d'occultisme, il converse avec les esprits. On ne croira jamais les expériences auxquelles il a soumis le malheureux Dreyfus, les pièges dans lesquels il a voulu le faire tomber, les enquêtes folles, les imaginations monstrueuses, toute une démence torturante.

Ah ! cette première affaire, elle est un cauchemar, pour qui la connaît dans ses détails vrais ! Le commandant du Paty de Clam arrête Dreyfus, le met au secret. Il court chez madame Dreyfus, la terrorise, lui dit que, si elle parle, son mari est perdu. Pendant ce temps, le malheureux s'arrachait la chair, hurlait son innocence. Et l'instruction

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a été faite ainsi, comme dans une chronique du quinzième siècle, au milieu du mystère, avec une complication d'expédients farouches, tout cela basé sur une seule charge enfantine, ce bordereau imbécile, qui n'était pas seulement une trahison vulgaire, qui était aussi la plus impudente des escroqueries, car les fameux secrets livrés se trouvaient presque tous sans valeur. Si j'insiste, c'est que l'œuf est ici, d'où va sortir plus tard le vrai crime, l'épouvantable déni de justice dont la France est malade. Je voudrais faire toucher du doigt comment l'erreur judiciaire a pu être possible, comment elle est née des machinations du commandant du Paty de Clam, comment le général Mercier, les généraux de Boisdeffre et Gonse ont pu s'y laisser prendre, engager peu à peu leur responsabilités dans cette erreur, qu'ils ont cru devoir, plus tard, imposer comme la vérité sainte, une vérité qui ne se discute même pas. Au début, il n'y a donc de leur part que de l'incurie et de l'inintelligence. Tout au plus, les sent-on céder aux passions religieuses du milieu et aux préjugés de l'esprit de corps. Ils ont laissé faire la sottise. Mais voici Dreyfus devant le conseil de guerre. Le huis clos le plus absolu est exigé. Un traître aurait ouvert la frontière à l'ennemi, pour conduire l'empereur allemand jusqu'à Notre Dame, qu'on ne prendrait pas des mesures de silence et de mystère plus étroites. La nation est frappée de stupeur, on chuchote des faits terribles, de ces trahisons monstrueuses qui indignent l'Histoire, et naturellement la nation s'incline. Il n'y a pas de châtiment assez sévère, elle applaudira à la dégradation publique, elle voudra que le coupable reste sur son rocher d'infamie dévoré par les remords. Est-ce donc vrai, les choses indicibles, les choses dangereuses, capables de mettre l'Europe en flammes, qu'on a dû enterrer soigneusement derrière ce huis clos ? Non ! Il n'y a eu, derrière, que les imaginations romanesques et démentes du commandant du Paty de Clam. Tout cela n'a été fait que pour cacher le plus saugrenu des romans-feuilletons. Et il suffit, pour s'en assurer, d'étudier attentivement l'acte d'accusation lu devant le conseil de guerre.

Ah ! le néant de cet acte d'accusation ! Qu'un homme ait pu être condamné sur cet acte, c'est un prodige d'iniquité. Je défie les honnêtes gens de le lire sans que leur cœur bondisse d'indignation et crie leur révolte, en pensant à l'expiation démesurée, là-bas, à l'île du Diable. Dreyfus sait plusieurs langues, crime ; on n'a trouve chez lui aucun papier compromettant, crime; il va parfois dans son pays d'origine, crime ; il est laborieux, il a le souci de tout savoir, crime; il ne se trouble pas, crime, il se trouble, crime. Et les naïvetés de rédaction, les formelles assertions dans le vide ! On nous avait parlé de quatorze chefs d'accusation : nous n'en trouvons qu'une seul en fin de compte, celle du bordereau; et nous apprenons même que les

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experts n'étaient pas d'accord, qu'un d'eux, M. Gobert, a été bousculé militairement, parce qu'il se permettait de ne pas conclure dans le sens désiré. On parlait aussi de vingt-trois officiers qui étaient venus accabler Dreyfus de leurs témoignages. Nous ignorons encore leurs interrogatoires, mais il est certain que tous ne l'avaient pas chargé ; et il est à remarquer, en outre, que tous appartenaient au bureau de la guerre. C'est un procès de famille, on est là entre soi, et il faut s'en souvenir : l'état-major a voulu le procès, l'a jugé, et il vient de le juger une seconde fois.

Donc, il ne restait que le bordereau sur lequel les experts ne s'étaient pas entendus. On raconte que, dans la chambre du conseil, les juges allaient naturellement acquitter. Et dès lors, comme on comprend l'obstination désespérée avec laquelle, pour justifier la condamnation, on affirme aujourd'hui l'existence d'une pièce secrète, accablante, la pièce qu'on ne peut montrer, qui légitime tout, devant laquelle nous devons nous incliner, le bon dieu invisible et inconnaissable. je la nie, cette pièce, je la nie de toute ma puissance ! Une pièce ridicule, oui, peut-être la pièce où il est question de petites femmes, et où il est parlé d'un certain D. qui devient trop exigeant, quelque mari sans doute trouvant qu'on ne lui payait pas sa femme assez cher. Mais une pièce intéressant la défense

nationale, qu'on ne saurait produire sans que la guerre fût déclarée demain, non, non ! C'est un mensonge; et cela est d'autant plus odieux et cynique qu'ils mentent impunément sans qu'on puisse les en convaincre. Ils ameutent la France, ils se cachent derrière sa légitime émotion, ils ferment les bouches en troublant les cœurs en pervertissant les esprits. Je ne connais pas de plus grand crime civique. Voilà donc monsieur le Président, les faits qui expliquent comment une erreur judiciaire a pu être commise; et les preuves morales, la situation de fortune de Dreyfus, l'absence de motifs, son continuel cri d'innocence, achèvent de le montrer comme une victime des extraordinaires imaginations du commandant du Paty de Clam, du milieu clérical où il se trouvait, de la chasse aux "sales juifs" qui déshonore notre époque. Et nous arrivons à l'affaire Esterhazy. Trois ans se sont passés, beaucoup de consciences restent troublées profondément, s'inquiètent, cherchent, finissent par se convaincre de l'innocence de Dreyfus.

Je ne ferai pas l'historique des doutes, puis de la conviction de M. Scheurer-Kestner. Mais, pendant qu'il fouillait de son côté, il se passait des faits graves à l'état-major même. Le colonel Sandherr était mort et le lieutenant-colonel Picquart lui avait succédé comme chef du bureau des renseignements. Et c'est à ce titre, dans l'exercice de ses fonctions,

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que ce dernier eut un jour entre les mains une lettre-télégramme, adressée au commandant Esterhazy, par un agent d'une puissance étrangère. Son devoir strict était d'ouvrir une enquête. La certitude est qu'il n'a jamais agi en dehors de la volonté de ses supérieurs. Il soumit donc ses soupçons à ses supérieurs hiérarchiques, le général Gonse, puis le général de Boisdeffre, puis le général Billot, qui avait succédé au général Mercier comme ministre de la guerre. Le fameux dossier Picquart, dont il a été tant parlé, n'a jamais été que le dossier Billot, j'entends le dossier fait par un subordonné pour son ministre, le dossier qui doit exister encore au ministère de la Guerre. Les recherches durèrent de mai à septembre 1896, et ce qu'il faut affirmer bien haut, c'est que le général de Boisdeffre et le général Billot ne mettaient pas en doute que le fameux bordereau fût de l'écriture d'Esterhazy. L'enquête du lieutenant-colonel Picquart avait abouti à cette constatation certaine. Mais l'émoi était grand, car la condamnation d'Esterhazy entraînait inévitablement la révision du procès Dreyfus; et c'était ce que l'état-major ne voulait à aucun prix. Il dut y avoir là une minute psychologique pleine d'angoisse. Remarquez que le général Billot n'était compromis dans rien, il arrivait tout frais, il pouvait faire la vérité. Il n'osa pas, dans la terreur sans doute de l'opinion publique, certainement aussi dans la crainte de livrer tout l'état-major, le général de Boisdeffre, le général Gonse, sans compter les sous-ordres. Puis ce ne fut là qu'une minute de combat entre sa conscience et ce qu'il croyait être l'intérêt militaire. Quand cette minute fut passée, il était déjà trop tard. Il s'était engagé, il était compromis. Et, depuis lors, sa responsabilités n'a fait que grandir, il a pris à sa charge le crime des autres, il est aussi coupable que les autres, il est plus coupable qu'eux, car il a été le maître de faire justice, et il n'a rien fait. Comprenez-vous cela ! Voici un an que le général Billot, que les généraux de Boisdeffre et Gonse savent que Dreyfus est innocent, et ils ont gardé pour eux cette effroyable chose. Et ces gens-là dorment, et ils ont des femmes et des enfants qu'ils aiment ! Le colonel Picquart avait rempli son devoir d'honnête homme. Il insistait auprès de ses supérieurs, au nom de la justice. Il les suppliait même, il leur disait combien leurs délais étaient impolitiques devant le terrible orage qui s'amoncelait, qui devait éclater, lorsque la vérité serait connue. Ce fut, plus tard, le langage que M. Scheurer-Kestner tint également au général Billot, l'adjurant par patriotisme de prendre en main l'affaire, de ne pas la laisser s'aggraver, au point de devenir un désastre public. Non !

le crime était commis, l'état-major ne pouvait plus avouer son crime. Et le lieutenant-colonel Picquart fut envoyé en mission, on l'éloigna de plus loin en plus loin, jusqu'en Tunisie, où l'on voulut même un

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jour honorer sa bravoure, en le chargeant d'une mission qui l'aurait fait sûrement massacrer, dans les parages où le marquis de Morès a trouvé la mort. Il n'était pas en disgrâce, le général Gonse entretenait avec lui une correspondance amicale. Seulement, il est des secrets qu'il ne fait pas bon d'avoir surpris. À Paris, la vérité marchait, irrésistible, et l'on sait de quelle façon l'orage attendu éclata. M. Mathieu Dreyfus dénonça le commandant Esterhazy comme le véritable auteur du bordereau, au moment où monsieur Scheurer-Kestner allait déposer, entre les mains du garde des sceaux, une demande en révision du procès. Et c'est ici que le commandant Esterhazy paraît. Des témoignages le montrent d'abord affolé, prêt au suicide ou à la fuite. Puis, tout d'un coup, il paye d'audace, il étonne Paris par la violence de son attitude. C'est que du secours lui était venu, il avait reçu une lettre anonyme l'avertissant des menées de ses ennemis, une dame mystérieuse s'était même dérangée de nuit pour lui remettre une pièce volée à l'état-major, qui devait le sauver. Et je ne puis m'empêcher de retrouver là le lieutenant-colonel du Paty de Clam, en reconnaissant les expédients de son imagination fertile. Son oeuvre, la culpabilité de Dreyfus, était en péril, et il a voulu sûrement défendre son oeuvre. La révision du procès, mais c'était l'écroulement du roman-feuilleton si extravagant, si tragique, dont le dénouement abominable a lieu à l'île du Diable ! C'est ce qu'il ne pouvait permettre. Dès lors, le duel va avoir lieu entre le lieutenant-colonel Picquart et le lieutenant-colonel du Paty de Clam, l'un le visage découvert, l'autre masqué. On les retrouvera prochainement tous deux devant la justice civile. Au fond, c'est toujours l'état-major qui se défend, qui ne veut pas avouer son crime, dont l'abomination grandit d'heure en heure. On s'est demandé avec stupeur quels étaient les protecteurs du commandant Esterhazy. C'est d'abord, dans l'ombre, le lieutenant-colonel du Paty de Clam qui a tout machiné, qui a tout conduit. Sa main se trahit aux moyens saugrenus. Puis, c'est le général de Boisdeffre, c'est le général Gonse,

c'est le général Billot lui-même, qui sont bien obligés de faire acquitter le commandant, puisqu'ils ne peuvent laisser reconnaître l'innocence de Dreyfus, sans que les bureaux de la guerre croulent sous le mépris public. Et le beau résultat de cette situation prodigieuse, c'est que l'honnête homme là- dedans, le lieutenant-colonel Picquart, qui seul a fait son devoir, va être la victime, celui qu'on bafouera et qu'on punira. 0 justice, quelle affreuse désespérance serre le cœur! On va jusqu'à dire que c'est lui le faussaire, qu'il a fabriquée la carte-télégramme pour perdre Esterhazy. Mais, grand Dieu ! pourquoi ? dans quel but ? Donnez un motif. Est-ce que celui-là aussi est payé par les juifs ? Le joli de l'histoire est qu'il était justement antisémite. Oui ! nous assistons à ce spectacle infâme, des hommes perdus de

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dettes et de crimes dont on proclame l'innocence, tandis qu'on frappe l'honneur même, un homme à la vie sans tache ! Quand une société en est là, elle tombe en décomposition. Voila donc, monsieur le Président, l'affaire Esterhazy: un coupable qu'il s'agissait d'innocenter. Depuis bientôt deux mois, nous pouvons suivre heure par heure la belle besogne. J'abrège, car ce n'est ici, en gros, que le résumé de l'histoire dont les brûlantes pages seront un jour écrites tout au long. Et nous avons donc vu le général de Pellieux, puis le commandant Ravary, conduire une enquête scélérate d'ou les coquins sortent transfigurés et les honnêtes gens salis. Puis, on a convoqué le conseil de guerre. Comment a-t-on pu espérer qu'un conseil de guerre déferait ce qu'un conseil de guerre avait fait ? Je ne parle même pas du choix toujours possible des juges. L'idée supérieure de discipline, qui est dans le sang de ces soldats, ne suffit-elle pas à affirmer leur pouvoir même d'équité ? Qui dit discipline dit obéissance. Lorsque le ministère de la guerre, le grand chef, a établi publiquement, aux acclamations de la représentation nationale, l'autorité absolue de la chose jugée, vous voulez qu'un conseil de guerre lui donne un formel démenti ? Hiérarchiquement, cela est impossible. Le général Billot a suggestionné les juges par sa déclaration, et ils ont jugé comme ils doivent aller au feu, sans raisonner. L'opinion préconçue qu'ils ont apportée sur leur siège est évidemment celle-ci : " Dreyfus a été condamné pour crime de trahison par un conseil de guerre ; il est donc coupable, et nous, conseil de guerre, nous ne pouvons le déclarer innocent; or nous savons que reconnaître la culpabilité d'Esterhazy, ce serait proclamer l'innocence de Dreyfus. " Rien ne pouvait les faire sortir de la. Ils ont rendu une sentence inique qui à jamais pèsera sur nos conseils de guerre, qui entachera désormais de suspicion tous leurs arrêts. Le premier conseil de guerre a pu être inintelligent, le second est forcément criminel. Son excuse, je le répète, est que le chef suprême avait parlé, déclarant la chose jugée inattaquable, sainte et supérieure aux hommes, de sorte que des inférieurs ne pouvaient dire le contraire. On nous parle de l'honneur de l'armée, on veut que nous l'aimions, que nous la respections. Ah ! certes, oui, l'armée qui se lèverait à la première menace, qui défendrait la terre française, elle est tout le peuple et nous n'avons pour elle que tendresse et respect. Mais il ne s'agit pas d'elle, dont nous voulons justement la dignité, dans notre besoin de justice. Il s'agit du sabre, le maître qu'on nous donnera demain peut-être. Et baiser dévotement la poignée du sabre, le dieu, non !

Je l'ai démontré d'autre part : l'affaire Dreyfus était l'affaire des bureaux de la guerre, un officier de l'état-major, dénoncé par ses camarades de l'état-major, condamné sous la pression des chefs de

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l'état-major. Encore une fois, il ne peut revenir innocent, sans que tout l'état-major soit coupable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables, par des campagnes de presse, par des communications, par des influences, n'ont-ils couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Ah ! quel coup de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière, ainsi que les appelle le général Billot lui même ! Où est-il, le ministère vraiment fort et d'un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible, tremblent d'angoisse, en sachant dans quelles mains est la défense nationale! et quel nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations, est devenu cet asile sacré, où se décide le sort de la patrie! On s'épouvante devant le jour terrible que vient d'y jeter l'affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d'un malheureux, d'un " sale juif " ! Ah ! tout ce qui s'est agité là de démence et de sottise, des imaginations folles, des pratiques de basse police, des moeurs d'inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d'État. Et c'est un crime encore que de s'être appuyé sur la presse immonde, que de s'être laissé défendre par toute la fripouille de Paris, de sorte que voilà la fripouille qui triomphe insolemment, dans la défaite du droit et de la simple probité. C'est un crime d'avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu'on ourdit soi-même l'impudent complot d'imposer l'erreur, devant le monde entier. C'est un crime d'égarer l'opinion, d'utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu'on a pervertie jusqu'à la faire délirer. C'est un crime d'empoisonner les petits et les humbles, d'exaspérer les passions de réaction et d'intolérance, en s'abritant derrière l'odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l'homme mourra, si elle n'en est pas guérie. C'est un crime que d'exploiter le patriotisme pour des oeuvres de haine, et c'est un crime enfin que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au travail pour l'oeuvre prochaine de vérité et de justice. Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnellement voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies ! Je me doute de l'écroulement qui doit avoir lieu dans l'âme de M. Scheurer-Kestner, et je crois bien qu'il finira par éprouver un remords, celui de n'avoir pas agi révolutionnairement, le jour de l'interpellation au Sénat, en lâchant tout le paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le grand honnête homme, l'homme de sa vie loyale, il a cru que la vérité se suffisait à elle même, surtout lorsqu'elle lui apparaissait éclatante comme le plein jour. A quoi bon tout bouleverser, puisque bientôt, le soleil allait luire ? Et c'est de cette sérénité confiante dont il est si cruellement puni. De

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même pour le lieutenant-colonel Picquart, qui par un sentiment de haute dignité, n'a pas voulu publier les lettres du général Gonse. Ces scrupules l'honorent d'autant plus, que, pendant qu'il restait respectueux de la discipline, ses supérieurs le faisaient couvrir de boue, instruisaient eux-mêmes son procès, de la façon la plus inattendue et la plus outrageante. Il y a deux victimes, deux braves gens, deux coeurs simples, qui ont laissé faire Dieu, tandis que le diable agissait. Et l'on a même vu, pour le lieutenant-colonel Picquart, cette chose ignoble : un tribunal français, après avoir laissé le rapporteur charger publiquement un témoin, l'accuser de toutes les fautes, a fait le huis clos, lorsque ce témoin a été introduit pour s'expliquer et se défendre. Je dis que cela est un crime de plus et que ce crime soulèvera la conscience universelle. Décidément, les tribunaux militaires se font une singulière idée de la justice. Telle est donc la simple vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre présidence une souillure. Je me doute bien que vous n'avez aucun pouvoir en cette affaire, que vous êtes le prisonnier de la Constitution et de votre entourage. Vous n'en avez pas moins un devoir d'homme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Ce n'est pas, d'ailleurs, que je désespère le moins du monde du triomphe. Je le repère avec une certitude plus véhémente : la vérité est en marche, et rien ne l'arrêtera. C'est aujourd'hui seulement que l'affaire commence, puisque aujourd'hui seulement les positions sont nettes : d'une part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse ; de l'autre, les justiciers qui donneront leur vie pour qu'elle soit faite. Quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l'on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres.

Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.

J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d'avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables. J'accuse le général Mercier de s'être rendu complice, tout au moins par faiblesse d'esprit, d'une des plus grandes iniquités du siècle. J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les mains les preuves certaines de l'innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s'être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l'état-major compromis. J'accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s'être rendus complices du même crime, l'un sans doute par passion cléricale, l'autre peut-être par cet esprit de corps qui

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fait des bureaux de la guerre l'arche sainte, inattaquable. J'accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d'avoir fait une enquête scélérate, j'entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace. J'accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu'un examen médical ne les déclare atteints d'une maladie de la vue et du jugement. J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir mené dans la presse, particulièrement dans l'Éclair et dans L'Echo de Paris, une campagne abominable, pour égarer l'opinion et couvrir leur faute. J'accuse enfin le premier conseil de guerre d'avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable. En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c'est volontairement que je m'expose. Quant aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la vérité et de la justice. Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme. Qu'on ose donc me traduire en cour d'assises et que l'enquête ait lieu au grand jour ! J'attends.

Veuillez agréer, monsieur le Président, l'assurance de mon profond respect.

Émile Zola , 13 janvier 1898, Texte publié dans l’Aurore

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Unité : Les grands reportages / Français Y10 / G. Henchoz

Albert Camus (1913-1960)

Editorial du journal Combat, 8 août 1945

Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que

chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les

journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la

bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de

commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance

moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un

ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent

en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la

vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et

même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous

résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son

dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou

moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des

conquêtes scientifiques.

En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à

célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus

formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des

siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence,

incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des

hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à

moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner.

Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu'elles

sont, annoncées au monde pour que l'homme ait une juste idée de son

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Unité : Les grands reportages / Français Y10 / G. Henchoz

destin. Mais entourer ces terribles révélations d'une littérature pittoresque ou

humoristique, c'est ce qui n'est pas supportable.

Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu'une

angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d'être

définitive. On offre sans doute à l'humanité sa dernière chance. Et ce peut-

être après tout le prétexte d'une édition spéciale. Mais ce devrait être plus

sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

Au reste, il est d'autres raisons d'accueillir avec réserve le roman

d'anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur

diplomatique de l'Agence Reuter* annoncer que cette invention rend caducs

les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam*, remarquer qu'il est

indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux

Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des

intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.

Qu'on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction

d'Hiroshima et par l'effet de l'intimidation, nous nous en réjouirons. Mais

nous nous refusons à tirer d'une aussi grave nouvelle autre chose que la

décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d'une véritable

société internationale, où les grandes puissances n'auront pas de droits

supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu

définitif par le seul effet de l'intelligence humaine, ne dépendra plus des

appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous

apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être

mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples

vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la

raison.

Page 30: Dossier Reportages & Commentaires

Unité : Les grands reportages / Français Y10 / G. Henchoz

Questions à développer en classe

1) Quelles raisons justifient l’emploi de la bombe atomique ? Qu’en pense l’auteur ?

2) Les pays vainqueurs ont-ils retenu les principes évoqués par Camus pour assurer la paix ?

3) La période suivante a-t-elle été marquée par l’ « angoisse nouvelle » dont parle l’auteur ?