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ÉDITORIAL / EDITORIAL Douleur et Francophonie : divergences et convergences Pain and the Francophone population: variations and similarities A. Berquin © Springer-Verlag France 2012 Y a-t-il une spécificité francophone dans labord des dou- leurs ? Tenter de répondre à cette question, cest dabord faire face à une difficulté sémantique. Sil est déjà ardu de définir la douleur, que proposer comme définition de la Francophonie ? En dehors de ses utilisations politicoéconomiques, que cer- tains qualifient de néocolonialistes, ce concept recouvre des situations concrètes très diverses. En France, le français est la langue maternelle de la majorité de la population. Dans dautres pays (Suisse, Belgique, Canada), le français est une langue majoritaire dans certaines régions uniquement. Enfin, le français est plutôt une langue administrative ou une seconde langue dans un troisième groupe de pays (Luxem- bourg, certains pays dAfrique). Face à ces diversités, on peut sattendre à ce quil soit difficile, voire impossible, de dégager une spécificité franco- phone dans lapproche des douleurs. Cest le constat que fait le Dr Lossignol, qui rappelle que les distinctions selon leth- nicité, le genre ou la langue sont plus des constructions sociales quune réalité scientifique et quil peut y avoir moins de différences entre deux personnes de groupes dis- tincts quentre deux personnes du même groupe. Pourtant, des collègues béninois décrivent des modulations de lexpression de la douleur selon les ethnies. Étonnamment, ces différences sont décrites dans la vie communautaire mais sont absentes dans la vie professionnelle. Les influences du contexte culturel sur lexpression de la douleur doivent donc être abordées avec précaution et sous le signe de la complexité. Sil est un terme important pour décrire la douleur chro- nique, cest en effet bien celui de la complexité. Cest la raison pour laquelle nos collègues suisses rappellent limpor- tance de linterdisciplinarité dans labord de la douleur. Ils en décrivent trois déclinaisons, notamment au sein de la Société suisse pour létude de la douleur. Les sociétés scientifiques sont un moteur important de lamélioration de la prise en charge de la douleur. Le Cercle luxembourgeois dalgologie a été fondé récemment. Parmi ses objectifs, relevons la négociation avec les autorités de tutelle dans le but dobtenir une structuration et un finance- ment adéquat de la prise en charge de la douleur. L importance de laction politique pour promouvoir lamé- lioration des soins en matière de douleur explique limplica- tion dautres sociétés scientifiques nationales dans des négo- ciations avec leurs pouvoirs publics respectifs, avec divers résultats concrets. En Belgique, des projets pilotes ont été peu à peu mis en place depuis 2005 ; ils ont récemment fait lobjet dune évaluation, et les instances compétentes plan- chent actuellement sur un projet dorganisation structurelle des soins de la douleur. Au Québec, une démarche rigoureuse impliquant tous les acteurs et décideurs a permis de définir et valider une vision commune, puis de planifier le développe- ment progressif des structures nécessaires et enfin de réfléchir à un dispositif dévaluation et damélioration de la qualité. En France enfin, nul nignore laction volontariste menée par les pouvoirs publics, en partenariat étroit avec la Société française détude et de traitement de la douleur (SFETD), depuis plus de 15 ans, et les « plans douleur » qui ont permis une améliora- tion progressive de loffre de soins et de lenseignement. Ces descriptions non exhaustives des initiatives concernant lorganisation des soins de santé dans le domaine de la douleur, essentiellement chronique, dans plusieurs pays où on parle français montrent moins de divergences que de convergences. Certes, les contraintes socio-économiques et géographi- ques peuvent être très différentes et influencer laccessibilité des soins (citons comme seul exemple la densité de la popu- lation : 360 habitants/km 2 en Belgique, six habitants/km 2 au Québec). Mais les modèles dorganisation des soins dans le domaine de la douleur sont très comparables et gageons- le nullement différents de ceux envisagés dans les pays anglo-saxons. Les mêmes mots clés sont retrouvés : modèle biopsychosocial et multidisciplinarité, niveaux de soins, continuum de services, importance de lenseignement et de la recherche, équilibre entre centralisation et décentralisation. Surtout, relevons partout une implication forte de tous les professionnels concernés pour œuvrer à lamélioration de laccompagnement des personnes souffrant de douleurs. A. Berquin (*) Cliniques universitaires Saint-Luc, consultation de la douleur chronique, avenue Hippocrate 10/1650, B-1200 Bruxelles, Belgique e-mail : [email protected] Douleur analg. (2012) 25:185 DOI 10.1007/s11724-012-0312-x

Douleur et Francophonie : divergences et convergences

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ÉDITORIAL / EDITORIAL

Douleur et Francophonie : divergences et convergences

Pain and the Francophone population: variations and similarities

A. Berquin

© Springer-Verlag France 2012

Y a-t-il une spécificité francophone dans l’abord des dou-leurs ? Tenter de répondre à cette question, c’est d’abord faireface à une difficulté sémantique. S’il est déjà ardu de définir ladouleur, que proposer comme définition de la Francophonie ?En dehors de ses utilisations politicoéconomiques, que cer-tains qualifient de néocolonialistes, ce concept recouvre dessituations concrètes très diverses. En France, le français estla langue maternelle de la majorité de la population. Dansd’autres pays (Suisse, Belgique, Canada), le français est unelangue majoritaire dans certaines régions uniquement. Enfin,le français est plutôt une langue administrative ou uneseconde langue dans un troisième groupe de pays (Luxem-bourg, certains pays d’Afrique).

Face à ces diversités, on peut s’attendre à ce qu’il soitdifficile, voire impossible, de dégager une spécificité franco-phone dans l’approche des douleurs. C’est le constat que faitle Dr Lossignol, qui rappelle que les distinctions selon l’eth-nicité, le genre ou la langue sont plus des constructionssociales qu’une réalité scientifique et qu’il peut y avoirmoins de différences entre deux personnes de groupes dis-tincts qu’entre deux personnes du même groupe.

Pourtant, des collègues béninois décrivent des modulationsde l’expression de la douleur selon les ethnies. Étonnamment,ces différences sont décrites dans la vie communautaire maissont absentes dans la vie professionnelle. Les influences ducontexte culturel sur l’expression de la douleur doivent doncêtre abordées avec précaution et sous le signe de la complexité.

S’il est un terme important pour décrire la douleur chro-nique, c’est en effet bien celui de la complexité. C’est laraison pour laquelle nos collègues suisses rappellent l’impor-tance de l’interdisciplinarité dans l’abord de la douleur. Ils endécrivent trois déclinaisons, notamment au sein de la Sociétésuisse pour l’étude de la douleur.

Les sociétés scientifiques sont un moteur important del’amélioration de la prise en charge de la douleur. Le Cercle

luxembourgeois d’algologie a été fondé récemment. Parmises objectifs, relevons la négociation avec les autorités detutelle dans le but d’obtenir une structuration et un finance-ment adéquat de la prise en charge de la douleur.

L’importance de l’action politique pour promouvoir l’amé-lioration des soins en matière de douleur explique l’implica-tion d’autres sociétés scientifiques nationales dans des négo-ciations avec leurs pouvoirs publics respectifs, avec diversrésultats concrets. En Belgique, des projets pilotes ont étépeu à peu mis en place depuis 2005 ; ils ont récemment faitl’objet d’une évaluation, et les instances compétentes plan-chent actuellement sur un projet d’organisation structurelledes soins de la douleur. Au Québec, une démarche rigoureuseimpliquant tous les acteurs et décideurs a permis de définir etvalider une vision commune, puis de planifier le développe-ment progressif des structures nécessaires et enfin de réfléchirà un dispositif d’évaluation et d’amélioration de la qualité. EnFrance enfin, nul n’ignore l’action volontariste menée par lespouvoirs publics, en partenariat étroit avec la Société françaised’étude et de traitement de la douleur (SFETD), depuis plus de15 ans, et les « plans douleur » qui ont permis une améliora-tion progressive de l’offre de soins et de l’enseignement.

Ces descriptions — non exhaustives — des initiativesconcernant l’organisation des soins de santé dans le domainede la douleur, essentiellement chronique, dans plusieurs paysoù on parle français montrent moins de divergences que deconvergences.

Certes, les contraintes socio-économiques et géographi-ques peuvent être très différentes et influencer l’accessibilitédes soins (citons comme seul exemple la densité de la popu-lation : 360 habitants/km2 en Belgique, six habitants/km2 auQuébec). Mais les modèles d’organisation des soins dans ledomaine de la douleur sont très comparables et — gageons-le — nullement différents de ceux envisagés dans les paysanglo-saxons. Les mêmes mots clés sont retrouvés : modèlebiopsychosocial et multidisciplinarité, niveaux de soins,continuum de services, importance de l’enseignement et dela recherche, équilibre entre centralisation et décentralisation.

Surtout, relevons partout une implication forte de tous lesprofessionnels concernés pour œuvrer à l’amélioration del’accompagnement des personnes souffrant de douleurs.

A. Berquin (*)Cliniques universitaires Saint-Luc,consultation de la douleur chronique,avenue Hippocrate 10/1650, B-1200 Bruxelles, Belgiquee-mail : [email protected]

Douleur analg. (2012) 25:185DOI 10.1007/s11724-012-0312-x