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Droit administratif des biens Norbert Foulquier 1

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Droit administratif des biens

Norbert Foulquier

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Partie 1 : Le droit de la propriété publique

Le patrimoine des personnes publiques se divise en deux : - D’une part, le domaine public des personnes publiques, régi presque exclusivement par le droit

administratif. - D’autre part, le domaine privé des personnes publiques, assujetti en principe et donc sous réserve

d’exceptions, au droit privé.

Le droit public s’applique au DOMAINE PUBLIC, encore faut il définir ce domaine. En vertu de l’article L.2111-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CGPPP) font partis du domaine public, les biens appartenant aux personnes publiques et affectés soit à l’usage direct du public soit à un service public, à condition dans ce dernier cas de faire l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public. = Cette définition ne vaut que sous réserve de dispositions législatives contraires. Autrement dit, le législateur peut déroger à cette définition et intégrer au domaine public des biens qui ne répondent pas à cette définition ou exclure du domaine public des biens qui correspondent à cette définition.

Le DOMAINE PRIVE se définit en principe de façon négative : tous les biens qui ne satisfont pas à la définition posée par l’article L.2111-1 et que le législateur par dérogation n’incorpore pas dans le domaine public, relève du domaine privé.

Les choses sont simples : il suffit d’être binaire. Un bien public relève soit du domaine public soit du domaine privé. Il ne peut pas être entre les 2. Des auteurs l’ont cherché mais comme certains hommes politiques, ils ne l’ont jamais trouvé. Cette idée de 3ème voie a été conceptualisée sous la forme d’une échelle de domanialité. Léon Duguit, doyen de la faculté de droit de Bordeaux au début du 20ème siècle, estimait qu’il ne servait à rien de classer les biens de façon aussi manichéenne parce que en cherchant bien, on pouvait toujours trouver quelques dispositions de droit privé applicable au domaine public et quelques dispositions de droit public applicables au domaine privé. Il disait qu’il fallait mieux voir les choses comme une continuité plutôt que comme un tout tranché. Le problème c’est qu’on ne sait jamais à quel moment on passe un barreau de l’échelle et on ne peut pas déterminé à l’avance… d’où le maintien d’une classification binaire (sous réserve des exceptions).

Depuis le CGPPP, adopté le 21 avril 2006, sur la base d’une ordonnance (ratifiée par le législateur en 2009), les choses ont été simplifiées. Les articles R sont peu nombreux. Dans le Code, on a essentiellement des dispositions législatives. Il corrige les complexités inutiles, héritées de 150 ans de jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Toutefois, on ne peut pas ignorer la jurisprudence antérieure à 2006 car :

Le CGPPP constitue une codification de la jurisprudence antérieure sous réserve d’un certain toilettage. Le Code contient de façon claire et ordonnée les principes posée par la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Le CGPPP n’a pas d’effet rétroactif. Ainsi, pendant une bonne dizaine d’années il faudra analyser avec les dispositions du CGPPP et les dispositions antérieures.

Ce Code présente la caractéristique de reposer sur une vision propriétariste des biens publics (nouveauté essentielle). La jurisprudence du Conseil d’Etat avant 2006, se focalisait sur la notion d’affection (à l’usage direct du public) ; le Code lui, se focalise sur la notion de propriété. Il part du principe que les biens publics sont avant tout la propriété des personnes publiques. Et c’est seulement dans un 2nd temps, que l’on doit s’intéresser à l’affectation de ces biens. Cette vision propriétariste doit beaucoup à l’influence des civilistes qui ont réussi à se faire entendre par la voie de certains rédacteurs de ce Code, notamment du professeur Jeunet. Toutefois, le CGPPP accorde, malgré tout, une importance très grande à la notion d’affectation. Il y a même une sorte de tiraillement entre la conception propriétariste du domaine et la conception fondée sur l’affectation.

Ce tiraillement a un intérêt : si le Code reconnaît à toutes les personnes publiques un droit de propriété sur leurs biens, ce Code ne supprime pas la forme de tutelle que l’Etat exerce sur l’ensemble des biens relevant du domaine public. L’Etat, garde toujours un œil voire une puissance sur les biens des autres personnes publiques alors même que l’on prétend qu’elles en sont pleinement propriétaires. Le droit de propriété est un droit absolu disent les civilistes

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mais sous réserve du domaine évident que l’état continue d’exercer. Cela traduit une puissance de l’Etat sur tous les biens publics. Le droit du domaine public et le droit du domaine privé sont toujours une affaire d’Etat. A titre d’exemple, on peut penser aux forêts qui relèvent du domaine privé de l’administration. Et pourtant, pour les vendre il faut une autorisation administrative. Preuve que la possession de l’Etat sur un élément du domaine privé est moins forte ou moins exclusive que le droit de propriété exercé par un particulier sur son propre bien. Cette idée de domaine imminent se retrouvera.

Titre 1 : La distinction du domaine public et du domaine privé

Rappel : Article L.2111-1

Tout d’abord, il faut que le bien appartienne à une personne publique. Mais il faut que ce bien soit affecté à l’intérêt général. L’affectation n’est autre que la destination du bien. L’affectation c’est ce à quoi sert le bien. Le pouvoir d’affectation, de déterminer la destination du bien, son utilisation, appartient en principe au propriétaire du bien. Décider de l’affectation du bien c’est peu ou prou exercer l’usufruit (au sens civiliste du terme), c’est décider comment le bien sera utilisé. Toutefois, cette affectation n’est pas toujours décidée par le propriétaire. Il arrive fréquemment que ce soit le législateur qui détermine l’affectation de certains biens publics alors même que ces biens n’appartiendraient pas à l’Etat mais à d’autres personnes publiques (collectivités territoriales).

Cela signifie qu’il existe au sein du domaine public 2 grandes catégories de dépendance : Des biens qui relèvent du domaine public parce que ceux-ci répondent aux conditions de l’article

L.2111-1. D’autres biens font partis du domaine public en vertu exclusivement de la volonté du législateur.

= Débat entre un domaine public administratif (comprenant les biens que les personnes publiques affectent à un usage public ou à un SP) et un domaine public légal (comprenant les biens relevant du domaine public en vertu de la loi). Dans les 2 cas, la décision d’affecter le bien est un acte de puissance publique. Mais la nature de cette décision change en fonction du domaine. Si le bien relève du domaine public administratif, alors c’est l’administration qui a pris la décision d’affection, qui constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir. En revanche, s’il s’agit d’une affectation légale donnant naissance à un domaine public légal (routier, maritime, ferroviaire), l’acte d’affectation est une norme législative qui s’imposera à l’administration et au juge administratif.

Nous allons donc distinguer les 2 domaines : Le domaine public administratif Le domaine public légal

Sachant que la décision d’affectation dans un cas relève pleinement du juge administratif, et dans un autre cas s’impose au juge administratif.

Chapitre 1   : Le domaine public administratif

Pour qu’il y ait un domaine public administratif, il faut que le bien soit affecté à l’intérêt général mais aussi que ce bien appartienne à une personne publique. Toutefois, il faudra consacrer du temps à la propriété publique car un bien n’appartient au domaine public que si le droit de propriété que la personne publique exerce sur ce bien présente des caractéristiques particulières. En résumé, il faut que ce droit de propriété soit exclusif, et qu’il porte sur un immeuble plutôt que sur un meuble.

Section 1 : L’affectation

L’administration ne peut pas jouer avec le critère de l’affectation. Dès lors qu’un bien se trouve affecté à un usage direct du public ou à un service public, il se trouve assujetti au droit de la domanialité publique, au droit du domaine public. L’administration ne peut pas affecter le bien de sorte qu’il relève du domaine public, puis prétendre quand cela l’arrange, que le bien relève du domaine privé. Ou inversement : si un bien relève de son domaine privé, l’administration ne peut pas prétendre qu’il relève de son domaine public. En cela, l’affectation administrative est

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objective : l’administration n’en dispose pas. Elle peut décider si un bien sera affecté à l’intérêt général mais une fois qu’il y est, elle se trouve liée à cette affectation. Elle ne sera libérée des contraintes, que lors que cette affectation sera supprimée.

Cette affectation est double : critère de l’aménagement indispensable ayant pour but de limiter l’étendu du domaine public. A côté des domaines fondateurs ; l’affectation à un SP ou à un usage direct du public, il existe des critères modulateurs tels que l’aménagement indispensable visant à réduire le champ de la domanialité publique. Mais le Code possède aussi d’autres critères tendant à étendre la domanialité.

1§ Les critères fondateurs

Ils sont au nombre de 2.

I. L’affectation à l’usage direct du public

L’affectation à l’usage direct du public est historiquement la première retenue et par le juge, et par la doctrine, sachant qu’en la matière la doctrine a devancé le Conseil d’Etat. Proudhon, le cousin de l’anarchie, a posé les 1ers jalons d’une systématisation du droit des domaines (public et privé). Il partait de l’article 538 du Code civil (abrogé en 2006) et affirmait que font partis du domaine public les routes, les rues, les fleuves, les rivières, les ports et tous les immeubles insusceptibles de propriété. Constatant qu’ils sont laissés à la libre disposition des administrés par l’administration, il en a déduit que le critère fondateur du domaine public n’était autre que l’affectation à l’usage direct du public. Dès lors qu’un bien appartient au domaine public et est laissé volontairement par l’administration à la disposition des administrés, le bien relève de la personne publique.

Au début du 20ème siècle ce critère a été contesté. Duguit ne rêvait qu’un droit administratif reposant sur le service public. Il ne pouvait y avoir de droit administratif qu’à la condition qu’il y ait service public. Dès lors, il prétendait que les biens affectés à l’usage direct du public ne tombaient pas nécessairement dans le domaine public, ils suffisaient qu’ils ne soient pas affectés à un service public pour qu’ils relèvent du domaine privé. Mais le Conseil d’Etat lui a donné tort le 28 juin1935, arrêt Marécar : dans cet arrêt, il était question d’un cimetière. Mr Marécar prétendait posséder un bout de terrain se trouvant dans l’emprise d’un cimetière. Et l’administration prétendait que cette prétention à la propriété était infondée. Mr Marécar arguait tout de même que son titre était fondé sur une décision judiciaire d’adjudication. Le CE a constaté que le cimetière était affecté à l’usage direct du public, donc qu’il faisait parti du domaine public. S’il faisait parti du domaine public, il était inaliénable. Car la grande spécificité du domaine public est d’être inaliénable et imprescriptible, à la différence des biens des particuliers. Si cette portion était inaliénable, même une décision judiciaire ne pouvait attribuer la propriété de ce bien à un particulier. A retenir : le CE a expressément retenu le critère de l’affectation à l’usage direct du public pour reconnaître la domanialité du bien. En ne retenant pas le critère du SP, en 1935, le CE affirme catégoriquement que le domaine public ne se réduit pas aux biens affectés au SP comme espérait Duguit.

Un grand nombre de biens affectés à l’usage direct du public font partis du domaine public légal. Dans le domaine public légal, on trouve le domaine public routier, maritime (comprenant les plages), fluvial… On constate que dans le domaine public légal un grand nombre de biens sont affectés à l’usage direct du public. Le législateur est intervenu pour simplifier les choses. Aujourd’hui, dans le domaine public légal, on trouve de nombreux biens affectés à l’usage direct du public mais tous ces biens ne font pas partis du domaine public légal. L’article L.2111- 1 continue de s’appliquer à des biens que le législateur n’a pas classé dans le domaine public légal.

Biens faisant partis du domaine public en vertu de l’article L.2111-1 ? Ils sont peu nombreux mais la liste est ouverte. Les biens du culte  : cela depuis un arrêt Commune de Saint Dézéry, 1912 : La commune avait

conclu un contrat avec l’abbé de son église afin de garantir la libre disposition de l’Eglise, la commune voulant éviter une laïcisation quasi communiste de la population. Problème : préfet pas d’accord car il estimait que cette convention était illégale. Le CE a donné raison au préfet en droit tout en satisfaisant le curé et la commune dans les faits. Parce qu’il a expliqué que cette convention ne servait à rien puisque l’Eglise relevait du domaine public car affecté à l’usage direct du public. Et si elle faisait partie du domaine public, en vertu de sa domanialité, le contrat prévoyant que le curé pouvait utiliser l’Eglise pour son culte, ne servait à rien. Avant la loi de 1905, il existait un service public cultuel, l’Etat et l’Eglise n’étant pas séparés. Avec la loi de 1905 ce SP disparaît. Dès lors on pouvait se demander si les églises continuaient à appartenir au domaine public. Le CE répond par l’affirmative. Ces Eglises font parties du domaine public car affectées à l’usage direct du public, Cette jurisprudence perdure aujourd’hui encore alors même que 3 Eglises sur 4 sont désertées par les pratiquants.

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Les plages communales  : en principe, les plages appartiennent à l’Etat et font parties du domaine public maritime. Toutefois, certaines plages, appartiennent aux communes. Pour les plages appartenant à l’Etat pas de problème : le législateur affirme que les plages font parties du domaine public maritime. Pour les plages communales, CE Dame Gozzoli 30 mai 1975 : a affirmé que les plages communales font parties du domaine public parce que affectées à l’usage direct du public.

Les promenades publiques  : au début du 20ème siècle, les promenades publiques relevaient du domaine privé. Mais le CE a fini par changer d’avis dans un arrêt de principe Dauphin de 1959. Mr Dauphin était riverain d’une allée d’Arles célèbre car bordée de sarcophages antiques. Etant riverain de cette allée, il avait droit d’y circuler en voiture et d’accéder à sa propriété en utilisant son automobile. Il détenait une « aisance de voierie » (droit d’accéder à la voie publique à pied, à voiture ou en moto). Le problème fut que la commune décida de transformer l’allée en promenade publique c'est-à-dire d’y interdire la circulation automobile et d’affecter le lieu à la promenade. Le CE a considéré à partir de cet arrêt que les promenades publiques font parties du domaine public. En 1959 le CE a retenu le critère d’affectation à un SP culturel. Mais dès 1960 dans un arrêt Berthier, il a changé le critère et dorénavant, les promenades publiques font parties du domaine public en raison de l’usage direct du public.

Arrêt Eidel 1972, concernant le bois de Vincennes : Mr Eidel avait la chance de loger dans un appartement de fonction à l’intérieur du bois de Vincennes et la ville de Paris voulait l’expulser. Le CE a reconnu que ce bois était affecté à l’usage direct du public, donc il faisait parti du domaine public. Le contentieux opposant Mr Eidel à la ville relevait du JA et, comme sur le domaine public ne s’applique pas le droit privé, Mr Eidel ne pouvait pas bénéficier du régime des baux d’habitation. Son occupation était nécessairement précaire et révocable. L’administration pouvait donc l’expulser à tout moment pour des considérations d’IG.Arrêt Gourdain, 23 février 1979, concernant le bois de Bologne. Il s’agissait d’une occupation commerciale. Le restaurant « L’Orée du Bois » était installé et les propriétaires refusaient de libérer le bâtiment, alors que l’administration parisienne le lui demandait. Pour déterminer le juge compétent, il fallait déterminer quel était le régime applicable. Le CE reprenant la jurisprudence Eidel, constate que le bois de Boulogne est affecté à un usage direct du public. Or, sur le domaine public, le droit privé ne s’applique pas, excluant les baux commerciaux. L’occupation du bois de Boulogne était précaire et révocable.

Exception : L’exception à la règle concerne les forêts domaniales c’est à dire les forêts possédées soit par l’Etat soit par les CT ne font pas parties du domaine public ; elles font parties du domaine privé. Abamont compte ONF, 1975. Le CE a décidé en 75 que ces forêts font parties du domaine privé, espérant faciliter l’exploitation commerciale de ces forêts. Elles ne sont pas entretenues seulement dans un souci écologique. L’ONF (Office National des Forêts) a pour mission de les exploiter et d’en tirer des ressources. Pour que l’ONF puisse utiliser les outils juridiques que lui offre le droit privé, le CE a classé ces forêts dans le domaine privé. C’est une jurisprudence s’expliquant par le pragmatisme du CE mais qui heurte les principes de la domanialité.

II. L’affectation à un service public

L’affectation à un SP est devenue un critère de la domanialité publique de façon ferme avec l’arrêt Société Le Béton, 19 octobre 1956 : dans cette affaire, la société le Béton ne voulait pas payer certaines redevances qu’elle devait à l’établissement public gérant le port industriel dans lequel elle exerçait ses activités. Pour déterminer quel était le juge compétent pour trancher le litige, il fallait trancher la question de la domanialité publique ou privée du port occupé par la société Le Béton. Si la société occupait une parcelle du domaine public en vertu du contrat le liant au port, ce contrat était administratif et le JA était compétent. En revanche, si la parcelle relevait du domaine privé de l’établissement public, le contrat d’occupation se trouvait assujetti par le droit privé et en particulier par le droit commercial et le juge judiciaire devait trancher le litige. Le CE constate que l’ensemble du port est affecté au SP du développement économique du territoire français. Lorsque l’administration avait créé ce port, c’était pour faciliter le développement industriel et commercial de la région. Dès lors le port et toutes les installations s’y trouvant concourraient à un SP. = Depuis cet arrêt, l’affectation à un SP est devenue de façon claire et tranchée le 2nd critère de la domanialité publique. Peu importe la nature du SP, sachant que pour qu’il y ait SP il faut qu’il y ait activité d’IG, prise en charge directement ou indirectement par une personne publique. Le SP peut être administratif, il peut être industriel et commercial. Cela n’a pas d’importance. Il y a SP et dès lors le bien affecté à ce SP tombe dans le domaine public. C’est ainsi que le stade de foot de Toulouse a été classé dans le domaine public par le CE en 1961, Ville de Toulouse. Exemples des halles et marchés qui font partis du domaine public car concourent au SP de la salubrité publique.

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Les maisons de retraite font parties aussi du domaine public. Association Crédit Foncier de France et association Eurela du 6 mai 1985.

Exception   : Il y a quelques exceptions à cette règle. Le législateur a décidé que certains biens des personnes publiques relèvent du domaine privé alors même qu’ils sont affectés à un SP. Il en a décidé ainsi en 2004, par ordonnance, pour les immeubles de bureau de l’Etat. Depuis 2004, les immeubles de bureaux accueillant les ministères relèvent du domaine privé alors même que ses locaux servent aux différents SP. Cette décision de 2004 répond exclusivement à un souci financier et illustre une nouvelle fois l’incapacité douteuse de bonne gestion du patrimoine public dont fait preuve le gouvernement depuis le début des années 2000. En effet, ce déclassement vise à permettre la vente de ces immeubles puisque tombés dans le domaine privé, ces immeubles deviennent aliénables. L’Etat décide de les vendre depuis qu’il le peut mais comme en a toujours besoin il les loue… sur la durée cela lui coûte plus cher que s’il avait gardé les biens mais pendant un instant, il a l’impression d’être riche car il intègre le prix de la vente dans son budget et fait croire qu’il a concouru à la diminution de la dette. En 2006 ce qui était permis à l’Etat est devenu autorisé aux CT. Dorénavant, les immeubles de bureaux font partis du domaine privé des CT, sous une réserve : il ne faut pas que l’immeuble de bureau soit imbriqué dans un immeuble qui lui, fait parti du domaine public sans être un bureau.

2§ Les critères modulateurs

La domanialité publique est un régime d’exception. En principe, prétend le CGPPP, les biens de l’administration sont régis par le droit privé. Ils ne sont régis par le droit public qu’en raison d’une affectation spéciale et c’est seulement parce qu’ils sont affectés à l’IG que ces biens méritent un régime particulier qui les protège contre les administrés voire contre l’administration. Si la domanialité publique est un régime d’exception, il ne faut pas étendre l’exception d’où des critères réducteurs de domanialité. L’article L.2111-1 vise un aménagement indispensable.

Toutefois, à coté, il existe des critères d’extension de domanialité visant à faciliter l’extension des biens publics. Le législateur a posé des critères d’extension afin que l’ensemble des biens formant un tout soit régi ensemble.

I. Le facteur réducteur   : l’aménagement indispensable

La notion d’aménagement indispensable date de l’arrêt société Le Béton de 56. A l’époque, le CE n’utilisait pas cette expression mais la notion d’aménagement spécial bien que l’idée soit la même. Il s’agissait d’éviter que tous les biens affectés à un SP se trouvent régis par le droit administratif. Pour qu’un bien affecté à un SP tombe dans le domaine public, il devait être spécialement aménagé à sa destination. Le CE plaçait beaucoup d’espoir dans ce critère réducteur. Mais n’étant pas à une inconséquence près, il a lui-même rendu totalement inutile ce critère réducteur au point que le domaine public s’est étendu de façon importante. Du coup, le législateur dans le CGPPP, a remplacé le critère de l’aménagement spécial par le critère de l’aménagement indispensable. Entre les 2, il n’y a qu’une différence de degré. D’où le besoin d’expliquer ce qu’était l’aménagement spécial.

A. L’aménagement spécial

L’aménagement spécial, dans l’arrêt société Le Béton, concernait un bien affecté à un SP. Mais très rapidement, le CE a étendu cette exigence aux biens affectés à l’usage direct du public. Dans l’arrêt Gozzoli, le CE relève que la plage est affectée à un usage direct et qu’il fait l’objet d’un aménagement indispensable puisque Dame Gozzoli nettoyait la plage. Sans cet aménagement spécial, il n’y aurait pas eu de domaine public. Le CE donc exigeait constamment l’existence d’un aménagement spécial pour reconnaître la domanialité publique. Il fallait que cet aménagement soit le fait de l’homme, résulte d’une intervention humaine. Il fallait aussi que cet aménagement soit achevé pour emporter la domanialité publique du bien qu’il touchait. Toutefois, le CE a adopté une conception extensive de ces conditions et cela dès l’arrêt Dauphin de 1959. Dans cet arrêt, il reconnaît que l’allée constitue une promenade publique et qu’elle fait l’objet d’un aménagement spécial. Or, cet aménagement résultait de la simple pose d’une chaîne au bout de l’allée. La pose d’une chaîne empêchant les voitures de circuler suffisait pour le CE pour constituer un aménagement spécial. Dans l’arrêt Commune de Saint Ouen, le CE a jugé que le simple emplacement d’un immeuble peut constituer un aménagement spécial. Dans l’arrêt, la commune voulait obtenir de la RATP qu’elle paie certaines taxes pour l’occupation d’un terrain sur son territoire. Or, le droit fiscal prévoit que certaines dépendances du domaine public échappent aux impôts locaux. Ce terrain servait à la RATP pour garer ses bus et pour accueillir ses garages. Le CE a estimé que ce terrain faisait parti du domaine public en raison de ses dimensions et de sa proximité avec la ville de Paris. On constate là que l’aménagement ne reposait que sur la nature du terrain et non pas sur l’intervention

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humaine. L’administration de la RATP n’a fait que choisir ce terrain. On constate là que l’aménagement spécial se réduisait à très peu de chose.

B. L’aménagement indispensable

L’article L.2111-1 du CGPPP abandonne l’exigence du critère de l’aménagement spécial pour celui de l’aménagement indispensable. Toutefois, alors que la jurisprudence antérieure à 2006, réclamait que l’aménagement spécial concerne aussi bien les biens affectés à l’usage direct du public que les biens affectés à un SP ; dorénavant depuis 2006, l’aménagement indispensable n’est requis que pour les biens affectés à un SP. Auparavant, l’aménagement spécial concernait tous les biens publics quelque soit leur affectation. C’était une condition générale posée par le juge. Aujourd’hui, cette exigence de l’aménagement indispensable ne joue que si le bien est affecté à un SP. Pour les biens affectés à l’usage direct du public, il n’est plus question d’aménagement spécial ou indispensable. Tous les biens affectés à l’usage direct du public tombe dans le domaine public par le simple jeu de leur affectation.

L’article a un double effet : cette exigence d’un aménagement indispensable tend à réduire le champ de la domanialité. En revanche, la suppression du critère de l’aménagement pour les biens affectés à l’usage direct du public produit l’effet inverse c'est-à-dire facilite l’entrée des biens affectés à l’usage direct du public dans le domaine public. C’est la déduction logique que l’on doit retenir de la lecture de cet article. En effet, la plupart des biens affectés à l’usage direct du public sont aménagés pour répondre à leur affectation. En général, les promenades publiques sont aménagées de sorte que les usagers ne risquent pas de s’y blesser, d’y perdre la vie. La suppression du critère de l’aménagement n’aura pas de grande conséquence sur la domanialité. Ce nouveau critère réduira seulement la domanialité publique en ce qui concerne les biens affectés à un SP.

Il n’y a pas de jurisprudence pertinente pour définir un aménagement indispensable. Le juge aujourd’hui se prononce en appliquant des solutions antérieures, reposant sur le critère de l’aménagement spécial.

II. Les facteurs d’extension

Les auteurs du CGPPP avaient pour principal objectif de réduire le champ du domaine public, certes. Mais ces auteurs, avaient aussi conscience des besoins pratiques de l’administration. Et notamment, de ses difficultés à gérer de façon rationnelle son patrimoine d’où la création de certains critères qui permettent d’unifier le régime juridique des biens publics. Cette unification prend 2 formes :

- Il y a tout d’abord l’unification dans l’espace : il s’agira alors d’appliquer le même régime à des ensembles de biens alors que parmi ceux-ci, certains devraient plutôt relever du domaine privé.

- Il y a aussi une unification dans le temps.

La première prend la forme de la domanialité publique par accessoire, la seconde prend la forme de la domanialité publique virtuelle.

A. La domanialité publique par accessoire

Grâce à ce mécanisme, des biens qui ne répondent pas à la définition posée par l’article L.2111-1 se trouvent malgré tout incorporés au domaine public. Et ils y sont incorporés parce qu’ils forment l’accessoire c'est-à-dire le complément ou le prolongement d’éléments qui eux répondent à la définition du domaine public.

La domanialité publique par accessoire a été codifiée à l’article L.2111-2 du CGPPP. Cet article a pour effet d’étendre à tous les biens publics la possibilité d’une domanialité publique par accessoire. La jurisprudence antérieure à 2006 pouvait laisser croire que celle-ci concernait surtout le domaine public légal et en premier lieu le domaine routier. Aujourd’hui, tous les biens publics sont éligibles à la domanialité publique par accessoire.

Evidemment cette domanialité publique par accessoire ne joue que pour les biens qui appartiennent à l’administration. Cela ne concerne que les biens publics. Le bien d’une personne privée ne tombe pas dans le domaine public parce qu’il est le complément.

Toutefois, les conditions de mise en œuvre de cette domanialité publique par accessoire sont aujourd’hui plus restrictives qu’avant 2006. Pour qu’un bien soit considéré comme l’accessoire d’une dépendance du domaine public, il faut que ce bien réponde à 2 conditions cumulatives :

le bien dit accessoire doit concourir à l’utilisation du bien principal qui par lui-même appartient au domaine public.

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Il doit en constituer un accessoire indissociable. Si l’une des 2 conditions vient à manquer, l’accessoire reste dans le domaine privé de la personne publique.

Comment analyser ces 2 critères ? Tout d’abord en rappelant la jurisprudence antérieure à 2006. Avant 2006, un lien indissoluble, physique, entre l’accessoire et le principal pouvait suffire pour que l’accessoire tombe dans le domaine public si le principal y était déjà incorporé. Jurisprudence de 1970, Consort Philip-Bingisser : galeries se trouvant sous la voie publique. Le fait que les 2 structures soient imbriquées emportait la domanialité de la galerie parce que la voie publique appartenait au domaine public. Il n’y avait pas de lien fonctionnel entre les 2. Un lien physique suffisait.

Dorénavant, les 2 doivent être liés physiquement et fonctionnellement.

Le CE n’a pas rendu beaucoup de jurisprudence en la matière jusqu’à présent. On peut même affirmer que le CE n’a pas appliqué expressément l’article L.2111-2 depuis 2006. Toutefois, il a rendu des jurisprudences en 2009 réutilisant des critères antérieurs à 2006 mais relus à la lumière du Code de 2006. L’arrêt le plus intéressant, arrêt du 11 décembre 2008, Dame Perreau-Polier : cette dame bénéficiait d’un appartement loué, appartenant au crédit municipal de Paris. Cette dame ne comprenait pas pourquoi la nouvelle majorité lui demandait de libérer les lieux. Se posait donc la question du juge compétent pour ordonner son expulsion. Elle habitait dans un bâtiment appartenant au crédit municipal de Paris qui gère un SP. Cet appartement se trouvait dans le bâtiment qui formait un tout donc le lien indissoluble existait bien. Pourtant, le CE relève que l’on pouvait accéder à cet appartement par un escalier séparé et que cet appartement n’était pas indispensable au SP. Sans le citer, le CE utilise peu les critères de l’article. Il nous révèle par là, qu’il se montrera très exigeant pour reconnaître la domanialité publique par accessoire d’éléments qui a priori relèvent du domaine public.

On peut rapprocher de cet article la domanialité publique globale. La notion de domanialité publique globale concerne les espaces qui fonctionnellement forment un tout tels que les ports et les aéroports. Le législateur a prévu que tous les terrains à l’intérieur d’un port se trouvent assujettis au même régime : au régime de la domanialité publique. Pour éviter que le droit change en fonction des terrains. Le CE avait déjà utilisé cette idée, avec une certaine réticence, avant 2006. Depuis 2006, il parait encore plus réticent. Arrêt 28 décembre 2009, Société Brasserie du Théâtre : question du statut juridique d’une brasserie à l’intérieur du théâtre. A priori la domanialité du bâtiment, l’affectation à son SP culturel devait emporter la domanialité du local dans lequel se trouvait la brasserie. Pourtant, dans cet arrêt, le CE a estimé que cette brasserie se trouvait sur le domaine privé au motif qu’il y avait une petite porte dérobé qui permettait d’accéder à la brasserie sans tenir compte du théâtre.

Est ce que cette domanialité publique globale a vocation à disparaître ? Ce n’est pas certain parce que : - le législateur l’a prévu pour les ports et les aéroports- le CE en 2006 a adopté une nouvelle jurisprudence que l’on peut qualifier de domanialité publique par

contagion. Par cette formule, on entend une domanialité publique qui s’étend un peu comme un virus. Affaire rendue le 19 juin 2006 mettant en cause la ville de Lyon. Le CE admet dans cette affaire que si sur un même terrain se trouve un bâtiment affecté au SP et spécialement aménagé à cet effet au point de répondre à la définition du domaine public, non seulement le bâtiment se trouve incorporé au domaine public mais le reste du terrain, qui n’est pourtant pas affecté au SP, aussi. Terrain pourtant ouvert et qui ne formait pas une enceinte comme dans un port.

B. La domanialité publique virtuelle (dans le temps)

La domanialité publique virtuelle est une expression du prof Etienne Fatôme dans sa note sous l’arrêt Crédit Foncier de France et association Eurela du 6 mai 1985. Faits   : un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) possédait un terrain nu. Ce terrain n’était donc pas affecté à un SP ni à un usage directe du public car il restait fermé aux administrés. Sur ce terrain, l’EPCI envisageait de faire construire une maison de retraite. Pour cela, l’établissement avait conclu avec une association de droit privé (Eurela) un contrat par lequel il mettait à la disposition de l’association le terrain à charge pour l’association de construire la maison de retraite et de l’exploiter. L’EP se réservait la possibilité d’attribuer certaines chambres à des personnes âgées nécessiteuse. La maison de retraite bien que exploitée par une personne privée allait concourir à un SP. Pour permettre le financement de cette opération, le contrat liant l’EPCI à l’association prévoyait que celle-ci pourrait disposer de droits réels sur le bâtiment qu’elle allait construire. Grâce à ces droits réels, elle pourrait hypothéquer le bâtiment et ainsi obtenir des financements auprès des banques.

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Sur le domaine privé, la constitution de droits réels est entièrement licite. Le problème est que la constitution de droits réels est interdite sur le domaine public, sauf dérogation législative, parce que un droit réel est un démembrement de la propriété. Dès lors accorder un droit réel à un tiers sur un élément du domaine public c’est aliéner partiellement ce domaine. Le CE a constaté que certes le contrat concernait un bien du domaine privé. Mais lorsque la maison de retraite serait édifiée et mise en fonctionnement, elle allait nécessairement tomber dans le domaine public. Dès lors le contrat prévoyant la constitution de droits réels sur le bâtiment deviendrait illégal. Le CE a coupé le mal à la racine, en anticipant sur l’entrée du bien dans le domaine public. Le terrain n’était pas encore une dépendance du domaine public, il était virtuellement un élément de ce domaine. Au moment de la signature, le bâtiment était dans le domaine privé mais malgré cela comme virtuellement le bâtiment était quasiment dans le domaine public, le CE a annulé le contrat. = Une application anticipée des règles de la domanialité publique à des biens qui bien que faisant partis du domaine privé sont appelés par vocation à entrer dans le domaine public. Cette domanialité publique évite donc la constitution de situations illégales futures. Le problème est que cette jurisprudence complique le financement des constructions d’ouvrages utiles au SP puisque la constitution de droits réels devient impossible. C’est pourquoi le CE, alors qu’il avait inventé cette jurisprudence, ne l’a appliqué qu’avec la plus grande parcimonie.

Arrêt Préfet de la Meuse de 1995 : La doctrine et l’administration se sont élevées contre sa jurisprudence au motif qu’elle était compliquée à mettre œuvre et parce qu’on ne savait pas quand un bien entrait virtuellement dans le domaine public. Cela restait flou et les investisseurs privés n’aiment pas le flou. C’est pourquoi la domanialité publique virtuelle n’a pas été codifiée dans le CGPPP. Si on lit le rapport de présentation du Code adressé au Président de la République, la domanialité virtuelle a disparu. C’est du moins ce qui est écrit dans la présentation. Toutefois, la jurisprudence du CE paraît plus ambiguë.

Arrêt Commune de Jonquière du 17 mai 2006 : dans cette affaire, une commune avait décidé de préempter un terrain et elle avait décidé de passer un contrat avec les acquéreurs évincés afin que ceux-ci ne réclament rien si la commune cédait le terrain à un tiers. Un contentieux avait surgi et se posait la question de savoir quel était le juge compétent pour connaître de ce contrat concernant le bien préempté. Le CE estime que ce contentieux appartient au JJ au motif qu’à la date de la conclusion du contrat, le projet d’affecter le bien préempté à l’usage du public ou à un SP n’était pas encore suffisamment consistant. A contrario, cela signifie que si le projet d’affectation du bien préempté à une fin d’IG avait été plus consistant sans être totalement réalisé, le JA aurait été compétent. Et on retrouve là le mécanisme de la domanialité virtuelle. Autrement dit, même après l’adoption du CGPPP et malgré les présentations de ce Code, le CE n’abandonne pas l’idée de la domanialité virtuelle. Les choses restent en suspens…

Section 2 : La propriété publique

L’article L.2111-1 dit qu’il ne peut pas y avoir domaine public sans propriété publique. Ce qui exclut catégoriquement que des personnes privées puissent posséder des dépendances du domaine public. Cette règle ne fait aucun doute, elle n’a jamais fait le moindre doute. En revanche, il y a eu une longue incertitude quant à la possibilité des personnes publiques d’être considérées comme de vrais propriétaires de leur domaine public.

1§ L’émergence de la propriété publique du domaine public

Au 19ème siècle, la propriété de l’Etat sur le domaine public a été niée par la doctrine et par le juge. Mais au début du 20ème siècle, cette propriété publique a été redécouverte.

I. La négation du droit de propriété publique

C’est encore en partie à cause de Proudhon que l’on doit la négation de la propriété de l’Etat sur le domaine public tout au long du 19ème siècle. Il s’appuyait sur l’article 538 du Code civil : « Les chemins, routes et rues à la charge de l’Etat, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée, sont considérés comme des dépendances du domaine public ». Si ces portions de territoire étaient insusceptibles d’une propriété privée, les personnes privées ne pouvaient pas les acquérir mais l’Etat non plus car ces biens étaient hors du commerce. L’Etat n’exerçait qu’un pouvoir de surintendance tel un gardien ou un tuteur sur les biens du domaine public. Cette construction théorique a trouvé l’oreille du législateur. Par la loi du 16 juin 1851 relative à la Constitution de la propriété en Algérie, le législateur a affirmé que l’Etat n’était pas propriétaire.

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Cette théorie s’appuyait sur l’idée que les chemins, les rivières n’appartiennent à personne et l’Etat n’étant pour rien dans l’existence de ces biens. Cette théorie réduisait la domanialité publique à très peu d’éléments. Les biens meubles relevaient du domaine privé puisque l’article 538 ne visait que les immeubles.

Cette théorie a rencontré un certain succès car elle répondait aux conceptions théoriques de l’époque. Au 19ème

siècle, les juristes ne concevaient de droit de propriété qu’exclusif (exclusion des tiers), à rebours du régime féodal (démultiplication de titulaire de droits réels sur le bien). Dès lors que l’on adopte une conception exclusive du droit de propriété, le domaine public se prête difficilement au chemin du domaine privé puisque tous les usagers peuvent utiliser la route, la plage… La démultiplication des usagers va à l’encore de l’exclusivité. Les juristes ont conclu que ces biens n’appartenaient à personne.

Autre considération ; jusqu’à la fin du 19ème siècle, l’idée de personne morale de droit public n’existait pas. Les départements, les communes ne détenaient qu’une personnalité de droit privé, assujettis au droit privé. Dès lors que l’Etat exerçait sa puissance publique, ce n’était plus une personne morale. On distinguait donc l’Etat puissance de l’Etat personne (état propriétaire). Or, le domaine public est un lieu d’exercice de la puissance police.

Mais ces thèses ont été abandonnées dans les années 1900.

II. La redécouverte du droit de la propriété publique

A. Le droit de propriété publique au début du 20ème siècle

La thèse de Proudhon renfermait plusieurs qualités mais aussi des contradictions. La principale : un bien pouvait entrer et sortir du domaine public. Evidemment, pas une rivière, pas une plage mais une route, oui ! Il suffisait de fermer la circulation ou de détruire la route pour que la route ne soit plus affectée à un usage direct du public et dès lors elle tombait dans le domaine privé et devenait ainsi un droit de propriété. Il suffisait de rouvrir la route pour qu’elle ne soit plus propriété de l’Etat car retombait dans le domaine public. La doctrine en a déduit que les biens du domaine public pouvaient être objets de propriété. La question portait sur l’affectation et non sur la nature du bien. 

La doctrine a inventé la notion de personne morale de droit public pour faire entrer les biens du droit public dans le patrimoine des personnes publiques. Elle permet de reconnaître un propriétaire public du domaine public.

Le CE a emboîté le pas de la doctrine. Arrêt Piccioli de 1923 : Mr Piccioli était un français d’Algérie qui draguait le charbon et en avait remonté à la surface en prétendant en être le propriétaire. Les rades : élément du domaine public et le charbon n’appartenait à personne. Mais l’Etat a prétendu le contraire affirmant que Mr Piccioli avait ramassé du charbon appartenant à l’Etat. Le CE a donné raison à l’Etat. Si l’Etat était propriétaire du charbon se trouvant au fond de la rade d’Alger, l’Etat était nécessairement propriétaire de la rade (article 538 du Code civil).

En réalité, le vrai arrêt date de 1909, arrêt Ville de Paris contre Cie des chemins de fer d’Orléans : dans cette affaire, le CE reconnaît la propriété des CT sur le domaine public pour mieux leur en retirer la jouissance.

B. La propriété publique au début du 21ème

La jurisprudence du CE et du Conseil Constitutionnel se rejoigne sur ce point. Arrêt sur les privatisations de 1986 où le Conseil Constitutionnel explique au législateur que même les biens publics bénéficient de la protection de l’article 17 de la DDHC. Le CE a adopté des jurisprudence qui confirmes l’arrêt Piccioli et Ville de Paris mais en 2003 il a adopté une position plus intéressante. 31 mai 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication de Paris. (SIPPEREC) : le CE invente une nouvelle catégorie de normes constitutionnelles. En effet, le CE énonce : « en vertu de l’article 17 de la DDHC auquel se réfère le préambule de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif constitutionnel ». Les impératifs constitutionnels n’existent pas dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n’y en a qu’un : la protection du domaine public. Donc si le domaine public est protégé par l’article 17, c’est que le domaine public fait l’objet d’un droit de propriété.

Aujourd’hui, il ne fait aucun doute tant dans la jurisprudence du CE que du CC que le domaine public fait l’objet d’un droit de propriété.

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L’Etat a créé l’Agence France Domaine (AFD) chargée de la gestion, de la valorisation et de la vente des biens de l’Etat. En 2006, l’Etat détenait un patrimoine immobilier évalué à 38 milliards d’euros. France Domaine a pour mission de vendre ce patrimoine pour remplir les caisses de l’Etat.

La spécificité de ce droit de propriété n’interdit pas que le juge judiciaire reste compétent pour trancher les débats quant à la propriété publique. Il est incompétent pour se prononcer sur la domanialité d’un bien mais le juge judiciaire est compétent pour déterminer à qui appartienne les biens. Du coup, les affaires donnent lieu à des questions préjudicielles en rafale. Si dans une affaire se pose la question de la propriété du bien, il doit poser une question préjudicielle au juge judiciaire qui déterminera qui est propriétaire du bien et si il fait parti du domaine public, le JA pourra déterminé si cela relève du domaine public ou privé de la personne publique. Pourquoi ? En vertu de la séparations des autorités administrative et judiciaire. Se prononcer sur la domanialité d’un bien c’est se prononcer sur les moyens que l’administration peut mettre en œuvre.

La propriété publique aujourd’hui n’est pas une propriété privée. En effet, lorsqu’une personne publique détient un bien, elle ne le détient pas d’une façon égoïste, pour son plaisir… Non, les personnes publiques sont au service des administrés. Leur mission est de réaliser l’IG. Toutes les missions de l’administration renferment donc une dimension altruiste. Or, la propriété privée au sens quotidien est individualiste. Il y a donc là une différence de nature profonde entre la propriété privée individualiste et la propriété publique altruiste, tournée vers l’IG.

2§ Les spécificités de la propriété publique du domaine public

Seules les personnes publiques peuvent être propriétaire du domaine public. Ce qui exclut les personnes privées et parapubliques. Mais toute propriété publique ne suffit pas : il faut qu’elle soit immobilière et exclusive.

I. Les personnes susceptibles d’être propriétaires du domaine public

Toutes les personnes publiques françaises peuvent être propriétaires d’un domaine public. Seules les personnes publiques françaises détiennent ce privilège.

A. Toutes les personnes publiques françaises

Toutes les personnes publiques françaises peuvent détenir un domaine public en raison de l’unité de la notion de personne morale de droit public. L’Etat, les CT, les EP, les personnes publiques sui generis détiennent tous la même personnalité morale de droit public. Dès lors, en tant que personne, elles peuvent détenir un patrimoine et dans ce patrimoine peuvent se trouver des éléments du domaine public. Pour l’Etat, les CT, les choses ont été réglées en début du siècle (Ville de Paris, Piccioli). Mais à partir des années 80, 2 problèmes importants ont jailli celui des EP et celui des personnes publiques sui generis.

a. Les établissements publics 

Les EP peuvent être propriétaires d’un domaine publique. Pour les EPA les choses ont été rapidement réglées dans les années 50’. Les débats furent plus vifs concernant les EPIC parce que la doctrine, l’administration voire le juge estimaient, sans être unanimes, que l’activité des EPIC allait à l’encontre du régime de la domanialité publique. Le domaine public est affecté à un SP ou à l’usage direct du public et donc le public a droit de l’utiliser. Pour un commerçant, il est difficile de vendre un bien si les tiers ont le pouvoir de l’utiliser. La doctrine avait tendance à dire que pour que les EPIC puissent établir des actes de commerce, il ne fallait pas que leurs biens appartiennent au domaine public. Mansuy, 21 mars 1984 : le CE a fini par considérer que même les EPIC peuvent détenir un domaine public à condition que leurs biens répondent à la définition du domaine. L’intérêt de cette jurisprudence est d’éviter un éclatement de la notion d’EP. Cela évite aussi des difficultés tenant à l’incertitude qui survient parfois quant à la distinction des SPA et des SPIC. Le CGPPP n’a pas remis en cause cette jurisprudence.

b. Les personnes publiques sui generis 

AAI, les groupements d’intérêt public… peuvent détenir un domaine public mais avec des modalités part. L’article 2 du CGPPP dispose que ces personnes publiques se trouvent assujetties au CGPPP dans les conditions fixées par les textes qui les régissent. Ce qui signifie plusieurs choses contradictoires donc pas de solution claire pour l’instant :

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soit ces personnes publiques sui generis sont assujetties au CGPPP et donc détiennent un domaine public et un domaine privé de plein droit sauf si les textes qui les régissent prévoient le contraire/ 2ème interprétation : les personnes publiques sui generis ne sont assujetties au CGPPP que si leurs textes constitutifs le prévoient. Elles ne détiennent un domaine public que si leur charte le précise.

La solution pour les GIP n’existe pas. Le législateur a tranché la question pour certaines AAI.

B. L’exclusion des personnes parapubliques

La règle posée à l’article L.22111-1 entraîne 2 conséquences ; les personnes publiques étrangères ne peuvent pas voir leurs biens détenus en France relever du domaine public.

a. Les personnes privées

Ses biens ne peuvent pas relever du domaine public. Affaire importante concernant les biens des concessionnaires des SP. Ils doivent construire les ouvrages nécessaires à l’exploitation du SP qui leur est confié. Les biens affectés et indispensables au SP sont appelés des biens de retour, c’est à dire qu’ils sont dès leur achèvement réputés appartenir à l’administration concédante. Dès lors ces biens répondent au critère de la domanialité publique. Ces biens ne relèvent pas des concessionnaires qui sont des personnes privées.

b. Les personnes publiques étrangères

Les états étrangers peuvent posséder des biens en France mais leurs biens, même affectés à un SP, ne relèvent pas du CGPPP et donc ces biens ne peuvent appartenir ni au domaine public ni au domaine privé. Si le bien d’une puissance étrangère devient aliénable c’est sa souveraineté qui s’en trouverait limitée (arrêt Sarran de 1998).

II. Une propriété exclusive et immobilière

Tout au long du 19ème s, la doctrine et le juge n’ont admis parmi les biens faisant partis du domaine public que ceux « possédés » exclusivement par l’administration et les biens immobiliers. La raison de cette approche doit beaucoup à l’article 538 du Code civil. Or, ces biens étaient tous immobiliers que l’Etat possédait seul. Cela a influencé la doctrine et le juge qui ont maintenu ces 2 critères de principe tout au long d’une 20ème siècle ; aussi parce que ces 2 critères cumulatifs avaient l’avantage de réduire le champ du domaine public au bénéfice des biens de la domanialité privé de l’administration. Le domaine public restait l’exception.

En 2006, avec le Code, les choses n’ont pas véritablement changé et ce d’une façon relativement étonnante car on aurait pu penser que de l’eau était passée sous les ponts et que la doctrine ainsi que les juges auraient pu moderniser leurs dires.

A. Une propriété exclusive

Cette solution relativement ancienne a été confirmée en 1994, par un arrêt du CE du 11 février 1994, arrêt Compagnie d’Assurances préservatrice foncière : il était question d’incendie. Un immeuble de l’administration avait pris feu et la Cie d’assurances cherchait à se faire rembourser des fonds qu’elle avait distribués en vertu de la police d’assurance. Pour déterminer le juge compétent, il fallait une nouvelle fois déterminer la nature juridique des biens juridiques de l’administration. Or, ces biens étaient possédés par l’administration en copropriété et le CE a déduit du fait que le bâtiment était détenu en copropriété par l’administration que celui-ci ne pouvait relever que du domaine privé de l’administration. Si le bien est en copropriété, bien qu’il s’agisse d’un bien public, il ne peut relever que du domaine privé de l’administration. Le CE explique dans le même arrêt que un bien en indivision suit le même régime. Pourquoi ? Tout simplement afin de préserver l’affectation du bien et de respecter le principe d’inaliénabilité du domaine public. En effet, il existe une incompatibilité fondamentale entre le régime de la copropriété et celui de l’indivision d’une part et le régime de la domanialité publique d’autre part. Lorsqu’un bien est possédé en copropriété, il existe une hypothèque légale sur chacune des parties privatives. Cette hypothèque légale sert l’ensemble de la copropriété, elle garantie de pouvoir saisir le bien privatif si son copropriétaire ne paie pas les charges, Or l’hypothèque légale est un démembrement du droit de propriété. Pour pouvoir faire jouer cette hypothèque légale, il faudrait alors que les copropriétaires puissent surmonter le principe d’inaliénabilité du domaine public. Si il est inaliénable, il ne peut pas y avoir d’hypothèque légale.

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De plus, l’assemblée des copropriétaires peut aussi décider de travaux portant sur les parties communes et exceptionnellement sur les parties privatives. Or, ces derniers pourraient concerner l’administration ce qui l’empêcherait de maintenir l’affectation de son bien le cas échéant. Or, la raison d’être du domaine public est son affectation. = Il y a donc une incompatibilité entre domaine public et copropriété. Ainsi, le CE a considéré que le bien doit être absolument possédé de manière « exclusive » pour que le bien relève du domaine public.

Cette solution n’a pas été formellement consacrée par le CGPPP. Aucune disposition qui impose une propriété exclusive n’existe. Cette solution va être pourtant maintenue parce que si on l’abandonnait, cela étendrait le champ d’application du domaine public. Or, le CGPPP a été rédigé afin de limiter le champ d’application du domaine public.

Cour de cassation, Commune de Sospel 25 février 2009 : a maintenu le principe selon lequel la copropriété d’un bien public exclut sa domanialité publique.

Juste une question qui se pose : la Cour de cassation et le CE devaient traiter d’une affaire de copropriété avec que des personnes publiques. La question reste ouverte…

Cette solution est simple mais génère des complications pratiques importantes, notamment pour les constructions immobilières. Il faut créer des montages juridiques importants lorsqu’on veut construire un bâtiment tel que les Halles à Paris car des propriétés privées se superposent à des propriétés publiques, en partie à cause de cette jurisprudence.

B. Une propriété en principe immobilière

Le domaine public comprend pour l’essentiel des biens immobiliers. Il y a des raisons historiques qui perdurent toujours (cf plus haut). « Choses meubles, choses vilaines ». Le domaine public comprend les biens nobles de l’administration. Or, dans le prolongement de la pensée des Physiocrates, seuls les immeubles revêtent une véritable valeur. Une telle conception est complètement dépassée. Aujourd’hui, il vaut mieux détenir une richesse mobilière qu’immobilière. Mais on voit que l’esprit un peu rural continue d’hanter le Palais Royal.

Toutefois, il existe des biens mobiliers qui relèvent du domaine public. Mais ce sont des exceptions. L’article L.2112-2 du CGPPP dispose que « font partis du domaine public mobilier, les biens publics présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science, ou de la technique ». Seuls les meubles présentant des caractéristiques hors du commun peuvent entrer dans le domaine public. Ce n’est pas véritablement leur affectation qui est présentée comme le critère d’appartenance mais leur nature, quasi exceptionnelle.

Le domaine public mobilier se réduit donc à peu de choses : œuvres artistiques des musées, matériel mobilier de pointe dans les hôpitaux (et ce sera autant leur valeur vénale qui comptera que leur utilité pour l’IG).

Le CE depuis 2006 n’a pas rendu d’arrêt très intéressant en la matière. Le seul arrêt est antérieur. CE du 28 mai 2004, Aéroport de Paris : une société de travaux avait endommagé des câbles reliant la centrale frigorifique de l’aéroport d’Orly au poste de contrôle informatique. La section de ces câbles avait fait fondre plein d’appareils électroniques et a rendu totalement inutilisables de nombreux logiciels. L’administration avait voulu engager une action de contravention de grande voierie contre cette société (=infraction spécifique au domaine public mais immobilier). Pour déterminer, s’il y avait bien contravention, il fallait s’assurer que tous les postes informatiques formaient bien un ensemble immobilier et non pas mobilier. Et le CE en est venu à dire que finalement tout ce matériel informatique ne formait qu’un ensemble de meubles qui n’entraient même pas dans le domaine public parce qu’on retrouve ce type de matériel dans toutes les grandes sociétés. = La banalité de ce matériel pourtant indispensable à la sécurité aérienne, a eu pour conséquence la reconnaissance de la domanialité privée de ce matériel informatique. = Cette solution qui privilégie l’aspect immobilier du domaine public a pour conséquence de compliquer l’analyse de certaines choses. Par exemple, les volumes surplombant le sol : leur statut juridique reste très ambiguë. Normalement, ce volume suit le régime du sol. Dès lors l’administration est censée être propriétaire de l’espace surplombant ces immeubles et le même régime devrait être appliqué à ces espaces. Problème : l’air n’est pas un immeuble et on ne sait jamais où s’arrête cet espace surplombant le sol. Un architecte qui veut construire un balcon devrait obtenir un permis de construire et une autorisation domaniale pour l’occupation de l’air.

Le domaine public légal a été inventé pour échapper à ces complications.

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Chapitre 2   : Le domaine public légal

Le domaine public légal comprend les biens qui relèvent du domaine public en vertu de la loi et non pas à la suite d’une décision d’affectation de l’administration. Ce domaine public légal comprend différents types de biens qui peuvent donc déroger à l’article L.2111-1. Le législateur peut déroger à la définition générale du domaine public. Il a dérogé, à plusieurs reprises, pour 2 raisons :

parfois pour étendre le domaine public parfois pour retreindre le domaine public en espérant que l’affirmation catégorique d’une définition

légale incitera la juge à en retenir une définition restrictive.

Ce domaine public légal se divise en 2 : - d’une part, le domaine public naturel : il comprend les biens façonnés par la nature. Il s’agira du domaine

public maritime et fluvial. Il n’existe pas de domaine public montagnard… Il y en a que 2. - d’autre part, le domaine public artificiel : se compose de biens façonnés par l’homme.

Cette distinction n’est pas seulement pédagogique : elle traduit des différences de régime. Le domaine public naturel mérite une protection particulière car bien souvent ce domaine est fragile et une exploitation industrielle incontrôlée pourrait lui nuire gravement. Alors que le domaine public artificiel a déjà été bétonné.

NB : Il n’existe pas de domaine public constitutionnel. La Constitution n’impose aucun domaine public. Même le principe d’inaliénabilité du domaine public n’a pas valeur constitutionnelle.

Section 1 : Le domaine public légal artificiel

Ce domaine public, existant en vertu de la volonté du législateur, se compose d’une multitude d’éléments.

1§ Le domaine public routier

Le domaine public routier comprend l’ensemble des biens appartenant à une personne publique, mentionnés à l’article L.1, et affectés au besoin de la circulation terrestre, à l’exception des voies ferrées (domaine public légal ferroviaire). Etait il besoin de créer un domaine public légal routier ? Pas certain… En effet, les routes sont affectées à l’usage direct du public. Donc la loi apporte très peu de choses à la jurisprudence antérieure. Pourquoi une telle disposition ? Par habitude parce que l’article 538 affirmait que les rues et les routes faisaient partis du domaine public et il ne fallait pas que son abrogation génère un doute. Il existe en plus un Code de la voierie routière et le CGPPP devait pouvoir y renvoyer.

NB : Le domaine public routier ne comprend que les routes et rues appartenant au domaine public. Les impasses ou rues privées ne relèvent pas du domaine public même quand elles sont ouvertes à la circulation publique ; ce qui permet au maire, au préfet d’exercer son pouvoir de police. Mais ces voies continuent d’appartenir à leurs propriétaires privés.

2§ Le domaine public ferroviaire

Le domaine public ferroviaire est défini à l’article L.2111-15 et comprend l’ensemble des biens immobiliers affectés exclusivement au service de transport public, guidés le long de leur parcours en site propre (l’axe est réservé à ce moyen de locomotion). Ce domaine public légal déroge à l’article L.2111-1 parce qu’il ne concerne que les biens immobiliers et ne concernent pas les meubles affectés à la circulation ferroviaire. Cela signifie –t-il qu’aucun meuble ne peut appartenir au domaine public ? Non. L’article L.2111-15 exclut du domaine public légal les meubles mais si un meuble public répond à l’article L.2112-2 du CGPPP, il pourra relever du domaine non légal public ferroviaire et du coup les régimes vont évoluer en fonction de la qualification.

Ce domaine public se répartit entre 2 propriétaires : le Réseau Ferré de France (EPCI) qui détient pour l’essentiel les voies ferrées et l’Etat qui possède les gares mais il a confié à la SNCF l’exploitation du service et des gares, tout comme le Réseau Ferré de France. Résultat : on ne sait plus qui fait quoi au point que le législateur est intervenu.

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Dès lors qu’il y avait un accident, la SNCF prétendait que le responsable était le propriétaire et les autres arguaient du contraire. Le législateur a mis de l’ordre

3§ Le domaine public aéronautique

En vertu de l’article L.2111-16, le domaine public aéronautique comprend seulement les biens immobiliers publics affectés aux besoins de la circulation aérienne publique. Toutefois, cet article prévoit que ce domaine légal se compose non seulement des emprises dans les aérodromes et aéroports et aussi de leur accessoire. Ces accessoires peuvent être une antenne ou un bâtiment affecté à ce SP et se trouvant à l’extérieur des aérodromes. Mais du coup, si cette antenne est à l’extérieur, elle n’entretient pas un lien indissociable avec le domaine public, or l’article L.2111-2 disait le contraire… d’où l’intérêt du domaine public légal.

Existe-t-il un domaine public aérien ? On en sait rien et le prof ne le pense pas parce que si il existait domaine public aérien cela signifierait que l’Etat serait propriétaire de cet espace. Aurait-on encore le droit de respirer ? Son existence même pose problème. Cela ne veut pas dire que l’Etat ne dispose pas d’un pouvoir sur cet espace mais il ne détient pas un droit de propriété. Ou alors il ne deviendra propriétaire qu’après une intervention législative.

4§ Le domaine public hertzien

Le domaine public hertzien illustre la finesse dont parfois le Parlement ou le gouvernement sont capables de faire preuve en matière juridique. Depuis 1986, il existe un domaine public hertzien alors qu’il n’existait pas auparavant. Sous le Général De Gaulle ; l’Etat n’était pas propriétaire, il n’exerçait qu’un devoir de police. RTL a été créé en contournant la censure (en passant par le Luxembourg). Mais à l’époque c’était l’exercice de la souveraineté qui permettait à l’Etat de brouiller les ondes. En 80, la gauche a supprimé les excès du pouvoir de police. En 86, dans un grand mouvement de libéralisation, le gouvernement de Chirac a affirmé que le domaine hertzien est dorénavant un domaine public. J. Chirac a procédé à la seule nationalisation de sa vie. En affirmant cela, implicitement mais nécessairement, il a reconnu la propriété de l’Etat sur les ondes. Quand il y a eu développement de la téléphonie mobile, l’Etat a pu vendre à plusieurs milliards les licences indispensables pour les opérateurs de téléphonie.

Section 2 : Le domaine public naturel légal

Naturellement, il n’existe pas de domaine public naturel. La nature n’impose pas l’existence d’un domaine public naturel. Elle n’impose rien. Seul, l’homme peut s’imposer des obligations juridiques. Le domaine public naturel n’existe pas naturellement. En revanche, le législateur peut affirmer que certains éléments naturels du territoire national méritent une protection particulière et à ce titre appartenir en principe à des personnes publiques, et se trouver assujettis à un régime juridique particulièrement protecteur. Ceci vaut autant pour le domaine public maritime que fluvial : les 2 ont le point commun d’être façonnés par le phénomène naturel. Finalement, si la nature agit, ce n’est pas sur l’existence de ces domaines mais sur leurs limites.

Ce domaine public naturel doit être légal car il n’est pas affecté. Ce domaine public ne se définit pas par affectation pour une raison simple : la nature ne sert à rien (juridiquement parlant). Comme la nature ne sert à rien, le critère de l’affectation ne pouvait être utilisé. Il a donc défini ces domaines publics par énumération.

1§ Le domaine public maritime et ses accessoires

Le domaine public maritime constitue le domaine régalien par excellence. La monarchie a construit le territoire français, notamment en maîtrisant les rivages et le domaine maritime dans son ensemble contre la puissance des seigneurs et la crainte des citoyens. Pendant longtemps, le rivage était un lieu dangereux soit parce qu’il était marécageux ou parce que il s’agissait d’un lieu ouvert à l’étranger (invasions, piraterie)… c’était donc un lieu que l’état devait garantir pour contrôler la sécurité sur son territoire. Et aujourd’hui encore le domaine public maritime appartient exclusivement à l’Etat.

La seule dérogation concerne la Polynésie Française : le domaine maritime appartient à la collectivité territoriale. Or, elle se trouve bien engagée dans un processus d’indépendance.

Ce domaine public maritime comprend un domaine public naturel et ses accessoires artificiels.

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A. Le domaine public maritime naturel

Celui-ci comprend : le rivage de la mer c'est-à-dire les bandes de terre couvertes et découvertes par les plus hautes marées, en dehors des tempêtes exceptionnelles (et c’est en cela que le domaine public maritime évolue avec la nature). Dès lors qu’un terrain est mouillé par la mer, il tombe dans le domaine public maritime. Sur ce rivage on trouve les plages : en tant que tel, le rivage n’est pas affecté. En revanche, les plages sont, elles, affectées à la circulation du public et aux loisirs des touristes. Mais tout rivage n’est pas une plage.

Le sol et le sous sol de la mer territoriale : le sol et le sous sol qui s’étend sur 22 km à partir du rivage, font partis du domaine public maritime et donc sont la propriété de l’Etat. C’est ainsi que toute exploitation de cette zone nécessite une autorisation étatique. Le sol et le sous sol appartiennent au domaine public maritime mais pas l’eau, ni les poissons, ni les algues. Sur l’eau, l’Etat exerce seulement un pouvoir de police.

Les lais et relais de la mer : les lais se sont les terrains sur lesquels la mer a déposé des alluvions (= dépôts de débris plus ou moins gros, tels du sable, de la vase, de l’argile, des galets, du limon ou des graviers, transportés par de l’eau courante). Les relais sont des terres d’où la mer s’est retirée en lui laissant des alluvions. Ces zones sont proches du rivage et en général, derrière le rivage. Elles ne sont plus recouvertes par la mer car sinon ce serait un rivage. La domanialité publique de ces lais et relais est récente et date de 1963. Auparavant, l’administration et le juge considéraient que les lais et relais faisaient partis du domaine privé alors même que l’article 538 disait tout le contraire. L’Etat avait préféré exploiter ce patrimoine en se pliant au droit privé. Depuis 63, les lais et relais font partis du domaine public.

Les étangs salés : si un étang qui contenait de l’eau douce se trouve à la suite d’une tempête envahi par une mer, alors automatiquement l’étang qui pouvait appartenir à un particulier tombe dans le domaine public de l’Etat. Si par bonheur, l’étang se referme naturellement, sans intervention humaine, et que l’eau redevient douce, le propriétaire antérieur retrouve sa propriété. Jurisprudence de la Cour de cassation de 1972, Etang de Napoléon. Cette jurisprudence n’est peut être plus d’actualité car elle déroge aux règles de sortie et d’entrée des biens dans le domaine public.

Les havres, les rades et les baies fermées : font partis du domaine public.

A cela il faut ajouter la «   zone des 50 pas géométriques   » qui ne concernent que la Réunion, Guyane, Guadeloupe, Martinique. Dans ces anciennes colonies, la royauté avait imposé la zone des 50 pas du roi. Cette bande de terrain permettait à l’armée de surveiller les côtes contre les anglais et les pirates. Cette zone fait aujourd’hui partie du domaine public mais elle a connu des soubresauts juridiques parce que la population a souvent construit de façon illégale sur cette zone. L’Etat a cherché à régulariser ces situations en déclassant la zone de ces 50 pas : en la déplaçant vers le domaine privé. Si domaine privé : zones susceptibles de prescription acquisitive. Elle devenait aliénable et les occupants pouvaient tenter de régulariser leur situation. Mais cela n’a jamais marché : la population n’avait pas confiance en l’administration/ et quand bien même, elle ne détenait pas les titres nécessaires. Le législateur a adopté une législation qui ne pouvait pas aboutir à quelque chose d’efficace.

Les terrains réservés : c’est une innovation du CGPPP. Jusqu’à présent, tous les éléments ont pour cohérence de se trouver proches du rivage. Là, on change de logique car les terrains réservés sont les terrains acquis par l’Etat et qu’il réserve à une future affectation pour les besoins d’intérêt public d’ordre maritime, balnéaire ou touristique. Il n’est pas dit que ces terrains ne sont pas construits. Il n’est pas dit non plus que ces terrains réservés doivent se trouver à proximité de la plage. = Là le législateur impose une qualification parce qu’il le veut bien.

B. Le domaine public maritime artificiel

Il constitue un domaine accessoire au domaine maritime naturel. Ce domaine public maritime artificiel comprend 3 types d’éléments :

toutes les installations nécessaires à la sécurité en mer : phares, digues, les bouées amarrées au fond de la mer.

Les terrains exondés et les ports

a. Les exondations

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Les terrains exondés sont des terrains qui comme la Muse sortent de l’eau. Ce sont les terrains soustraits artificiellement à l’action des flots. Exemple : a Monaco. En France, les exondations sont aujourd’hui interdites car nuisent à la préservation de la nature. Pendant longtemps, elles étaient encouragées par l’Etat : il accordait des concessions d’endigage à des sociétés privées qui avaient pour mission d’endiguer la mer sur lesquels on construisait des marinas. L’intérêt pour les investisseurs était de gagner sur la mer et de pouvoir ensuite revendre les terrains. La plupart du temps, les concessionnaires obtenaient une cession du droit de propriété. Aujourd’hui, ces cessions d’endigage sont interdites et les textes prévoient que lorsque exceptionnellement elles sont autorisées, l’Etat conserve la propriété des terres exondées. Le concessionnaire a le droit d’exploiter l’ouvrage mais au terme du contrat, les terres exondées deviennent l’entière propriété de l’Etat. Les dérogations à la prohibition se sont multipliées depuis un décret du 29 mars 2004 car depuis 10 ans la protection de l’environnement n’est pas le souci 1er du gouvernement en ce qui concerne le domaine maritime.

b. Les ports maritimes

Les ports maritimes appartiennent à l’Etat, aux collectivités locales ou à leurs EP. L’Etat ne gère pas directement les ports qu’il possède ; il préfère en confier l’exploitation à des établissements publics qui jouissent ainsi d’une plus grande autonomie et souplesse. Les collectivités territoriales se sont vues reconnaître la propriété des ports de seconde importance (de pêche, de tourisme, de commerce). Ces ports sont aujourd’hui définis de façon fonctionnelle et géographique : il s’agit des enceintes affectés au développement maritime, commercial ou industriel.

2§ Le domaine public fluvial

Le domaine public fluvial se partage lui aussi entre différents propriétaires : l’Etat, les collectivités territoriales et les ports autonomes. Pendant longtemps, le domaine fluvial appartenait exclusivement à l’Etat. Là encore, pour des raisons militaires. En effet, les fleuves permettaient le transport des troupes. Et donc pour la défense du territoire, l’Etat avait besoin de maîtriser ces espaces et cela permettait à l’Etat de maîtriser l’aménagement du territoire et de lutter contre les taxes féodales. En reprenant possession des fleuves, il facilitait le développement commercial en supprimant les taxes. Mais en 2004, dans une loi, le législateur a proposé aux collectivités territoriales de devenir propriétaires de certaines rivières ou fleuves. En réalité, il s’agit d’un cadeau empoisonné. En effet, si l’Etat propose un tel transfert de propriété c’est afin d’échapper à l’obligation d’entretien de ces révères. Or l’état des berges est calamiteux. Il propose aux collectivités territoriales de dépenser l’argent qu’il n’a pas. Et étonnamment, les collectivités territoriales ont refusé le cadeau.

Les ports fluviaux sont généralement étatiques.

A. Le domaine public fluvial naturel

Le domaine public fluvial naturel se compose des cours d’eau, des lacs appartenant à l’Etat, aux collectivités territoriales et classés dans leur domaine public fluvial.Article L.2111-7. Le domaine public fluvial ne se définit pas par son affectation, il ne se définit pas non plus comme lieu affecté à la baignade, à la pêche. En fait, le domaine public fluvial sert à tout cela à la fois et ainsi, on ne peut pas trouver un critère d’affectation valable permettant de rendre compte de cette multitude d’affectations. Font partis dorénavant du domaine public fluvial les cours d’eau et les lacs énumérés par décret. Le gouvernement prend un décret pour classer tel ou tel cours d’eau en fonction de son utilité pour la nation dans son ensemble ou la région. Cette utilité peut prendre différentes formes ; une utilité d’ordre environnementale, d’ordre économique, d’ordre de salubrité publique… Ce qui fait que ce domaine public s’étend parce que l’eau devient une denrée rare, à la différence de ce qui se passait au 19ème siècle (comprenait seulement les cours d’eau navigables ou endigable).

NB : Les fleuves appartiennent au domaine public mais pas l’eau qui reste une chose commune ne faisant pas l’objet d’un droit de propriété de l’Etat.

B. Le domaine public fluvial artificiel

Ce domaine public fluvial artificiel comprend les canaux (et leurs accessoires : écluses) et les ports fluviaux qui se définissent géographiquement et fonctionnellement comme des enceintes.

Chapitre 3   : La composition du domaine privé

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A en croire une lecture isolée de l’article L.2111-1, le domaine privé se définit exclusivement de façon négative, Relèvent du domaine privé les biens publics qui ne répondent pas à la définition de cet article. Ceci est vrai mais reste insuffisant.

- Il y a le domaine privé administratif (qui n’existe que parce que l’administration n’a pas pris la décision d’affecter ces biens à une fin d’IG).

- Il y a un domaine privé légal : renfermant des biens qui répondent a priori aux critères de l’article ou à la définition de certains domaines publics légaux et que pourtant le législateur a classé dans le domaine privé. En général, ce classement s’explique par des soucis de bonnes gestions administratives ou par des convictions idéologiques du législateur.

1§ Le domaine privé par décision administrative

Le domaine privé par décision administrative comprend les biens publics qui ne sont pas affectés à l’usage direct du public ni à un service public ou qui sont affectés à un SP sans pour autant faire l’objet d’un aménagement indispensable. Ainsi ces biens ne répondent pas à l’article L.2111-1.

Il est impossible de dresser la liste complète des biens faisant partis du domaine privé administratif.

Juste quelques exemples :

Le domaine privé par défaut d’affectation : si l’affectation manque, il ne peut pas y avoir de domanialité publique et le bien va être dans le domaine privé. C’est ainsi que les terrains appartenant à l’administration et qui restent nus, ne sont affectés à rien et donc restent dans le domaine privé de l’administration / Un château appartenant à l’Etat qui ne serait pas affecté au SP culturel relèverait de la domanialité privée de l’Etat. C’est ainsi que le château de Rambouillet n’est pas affecté au SP culturel, il ne sert pas à proprement parler les intérêts nationaux. De la même façon, certains locaux tels que les presbytères relèvent du domaine privé parce qu’ils ne sont pas affectés à un SP culturel ni affectés à l’usage direct du public.

L’absence d’aménagement : dorénavant depuis 2006, un bien affecté à un SP qui ne ferait pas l’objet d’un aménagement indispensable à cette affectation resterait dans le domaine privé de l’administration. C’est ainsi que les bâtiments d’habitation contenant des appartements possédés par des offices publics de l’habitat (HLM) relèvent de la domanialité privée. Tout simplement parce que ces bâtiments ne se distinguent pas des bâtiments possédés par des particuliers.

Les biens et droits résiduels : les droits incorporels sont résiduels dans notre typologie. Economiquement, ces droits incorporels représentent en réalité une grande valeur (licence, brevet, marque, base de donnée…). Ils représentent une telle valeur que l’Etat a créé une Agence du patrimoine immatériel de l’Etat qui a pour mission d’inventorier tous ces droits et de les exploiter au mieux dans l’intérêt de la nation.

Les pistes de ski : sont rangées par la plupart des juridictions dans le domaine privé des communes. Ceci vaut aussi bien pour les pistes de ski naturelles que pour les pistes de ski aménagées. Le fait qu’un bulldozer aplatisse toutes les bosses pour que tout le monde se croit champion de ski ne constitue pas un aménagement indispensable. Les aménagements des pistes ne suffisent pas pour remplir la condition de l’article. L.2111-1. Les propriétaires des fonds de commerces peuvent obtenir des baux commerciaux. Une complication : si on percute un pilot de télésiège on rencontre le domaine public. Les installations constituent des biens qui relèvent du domaine public de la collectivité parce qu’ils sont affectés à un SP.

2§ Le domaine privé légal

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Se compose de biens qui normalement, si on avait respecté les dispositions de l’article L.2111-1 et celles relatives au domaine public légal, auraient du relever du champ de la domanialité publique. Ce sont des biens dans le domaine privé à la suite d’un caprice du législateur. En réalité, cette explication ne doit pas être retenue.

Les auteurs qui défendent cette thèse partent de l’idée qu’il n’est pas normal que l’administration détienne des biens dans son domaine privé, soumis donc au droit privé. En réalité cette critique doit être écartée parce que l’existence du domaine privé légal sert l’économie libérale. Ce n’est pas pour aller à l’encontre des économies de marché mais pour les défendre, afin de permettre à l’administration de réaliser des économies et pour limiter le prélèvement d’impôts.

Il existe un domaine privé légal qui constitue une nécessité pour l’économie libérale. Il en existe un autre qui permet aux personnes publiques de réaliser des économies.

Exceptions : les biens communaux. Ils sont juridiquement un vestige de l’Ancien Régime. Ce sont des biens sur lesquels les personnes habitant dans les communes détiennent un droit de jouissance, équivalent à un droit réel. Il n’y a plus de biens communaux à Paris. Ils sont gérés par des sections de commune auxquelles le législateur a conféré la personnalité juridique. Ces biens communaux ne doivent pas être confondus avec ceux de la commune. Ces biens relèvent du domaine privé : si les villageois détiennent un droit de jouissance, la personne publique n’en détient pas une propriété exclusive. Dès lors il est normal que la domanialité publique soit écartée au profit de la domanialité privée. Cette catégorie ne s’inscrit pas dans une logique libérale. C’est un vestige qui perdure et c’est une source de contentieux intéressante parce que les communes cherchent à vendre ces biens.

L’économie libérale repose sur la circulation des biens, entre les acteurs (leur patrimoine) du commerce. Cela implique leur appropriation. Un bien sans propriétaire échappe de facto aux échanges marchands. Or, tout l’intérêt de la nation représentée par l’Etat consiste à multiplier ces biens en circulation afin de rendre l’économie fleurissante. Le contre-exemple avait été donné par l’Eglise sous l’Ancien Régime avec les biens de mains mortes (possédés par l’Eglise) et qui n’étaient jamais cédé à des personnes. L’Etat s’efforce dès qu’un bien économiquement intéressant n’a plus de propriétaire, de le remettre dans le circuit et la 1ère chose qu’il doit faire c’est d’en devenir propriétaire.

Les biens des successions en déshérence : en vertu de l’article 768 du Code civil, l’Etat acquiert automatiquement les successions sans héritiers. Ainsi, devenu propriétaire de ces biens, soit l’Etat les exploitera soit il les cèdera. Le bien retourne de ce fait dans le circuit marchand. On retrouve la même chose avec les biens vacants et sans maître. Ces derniers se définissent comme des biens faisant partis d’une succession vainement ouverte depuis plus de 30 ans ou des biens dont le propriétaire est inconnu et dont les taxes foncières n’ont pas été payées depuis plus de 3 ans. L’Etat ou les communes peut alors en devenir propriétaire.

Les sommes et valeurs prescrites (coupons, dividendes, actions, billets de banque, lingots) = toutes les valeurs mobilières dormant dans les coffres ou sur les comptes. Dorénavant, l’Etat va devenir automatiquement propriétaire de ces valeurs si elles n’ont fait l’objet d’aucun mouvement de la part de leur propriétaire ou des banques pendant 30 ans. Les sommes abandonnées par les personnes disparues vont enfin retrouver un propriétaire et revenir dans le circuit marchand.

3§ Le domaine privé justifié par les contraintes de gestion publique

Le domaine public ne s’impose pas en vertu de la Constitution ce qui signifie que le législateur peut décider de façon relativement libre de transférer des biens assujettis aux règles de la domanialité publique dans le domaine privé qui lui se trouve régi par le droit privé. Le législateur depuis les années 90 s’adonnent à ce petit jeu au motif que les règles de droit public sont trop contraignantes et empêchent une bonne mise en valeur du patrimoine des personnes publiques. L’idéologie marque ces considérations.

L’inconvénient c’est que le législateur agit au cas par cas, conduisant au constat de l’existence d’un domaine privé disparate. Toutefois, le législateur ne peut pas faire entièrement ce qu’il veut. Il doit tenir compte de certaines contraintes constitutionnelles relatives au SP.

A. Un ensemble disparate

Ce mouvement législatif en faveur du domaine privé a pris son élan dans les 90’. Mais l’exemple datait de bien avant.

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En 1959, par ordonnance, le général De Gaulle, pour sauver la France a décidé que les chemins ruraux ne feraient plus partis du domaine public mais du domaine privé des communes. Il a pris une telle décision parce que les communes n’avaient plus les moyens ou plus envie d’entretenir ces chemins ruraux. Ces chemins sont affectés à la circulation publique mais ne présentent qu’un intérêt communal. Le chemin rural dessert l’intérieur de la commune mais pas les communes avoisinantes.

But : afin d’affranchir les communes de dépenses obligatoires. En vertu du Code général des collectivités territoriales, les communes doivent obligatoirement budgétiser les dépenses nécessaires à l’entretien de la voie publique. Pour éviter que les communes ne violent cette obligation, il a suffit de déplacer ces chemins ruraux. Ces chemins ruraux continuent à être des ouvrages publics : si quelqu’un se blesse en l’empruntant, la victime pourra engager la responsabilité de la commune sous le fondement du régime de la responsabilité pour défaut d’entretien normal d’ouvrage public.

En 2004, les biens immobiliers à usage de bureaux ont été incorporés dans le domaine privé. En 2006, cela a été étendu aux immeubles à usage de bureau des collectivités territoriales.

On pourrait ajouter les cours d’eau ne relevant pas du domaine public légal.

Enfin, les biens des EPIC (Poste) : mais en 2001 il a été décidé que les biens de la poste relèveraient tous de son domaine privé.

B. Les contraintes constitutionnelles

Selon le Conseil Constitutionnel aucun principe à valeur constitutionnelle n’interdit les lois de déclassement des biens du domaine public vers le domaine privé. Toutefois, le Conseil constitutionnel interdit que ce changement de régime applicable aux biens publics prive de « garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des SP auxquels les biens publics restent affectés ». Autrement dit le CC n’empêche pas que le législateur fasse passer un bien dans le domaine privé mais à condition que le bien ne se retrouve pas sans aucune protection alors qu’il continuerait à être affecté à un SP. NB : Le principe de continuité est un PGD pour le CE, un principe à valeur constitutionnelle pour le Conseil constitutionnel. La préservation de la continuité des SP impose au législateur de prévoir des dispositions législatives particulières de protection de biens affectés à son SP. (ex : droit de veto de l’Etat qui interdit la CT de vendre son bien utilisé au SP, ou encore servitudes protégeant le bien contre les tiers). Le législateur garde une certaine liberté en la matière.

Mais si les biens sont affectés à un usage direct du public, ces exigences constitutionnelles ne peuvent pas jouer.

=Les biens qui nous sont peut être les plus indispensables, sont protégés d’un transfert dans le domaine privé.

Titre 2 : Le régime du domaine privé

Le domaine privé est en principe régi par le droit privé. Toutefois, le droit public n’ignore pas totalement cette matière et il ne peut l’ignorer parce que lorsque l’administration détient un bien elle ne le détient pas pour elle-même mais pour servir un IG. Qui dit altruiste dit IG dit droit administratif plutôt que privé.

De plus, les biens publics appartiennent par définition aux personnes publiques qui sont régies par le droit administratif. Par le jeu du critère organique, le droit public peut s’appliquer au domaine privé.

Chapitre 1   : Le droit applicable au domaine privé

En vertu de l’article L.2221-1 du CGPPP, les personnes publiques gèrent librement (selon le droit privé) leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables.

Il faut d’une part distinguer la nature des actes relatifs à la gestion du domaine privé et ensuite analyser le contentieux que ceux-ci peuvent occasionner.

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1§ La distinction des actes intéressant le domaine privé

Ces actes sont généralement des actes de droit privé mais exceptionnellement, il peut s’agir d’actes de droit public.

A. Les actes de droit privé

L’administration dispose d’une liberté contractuelle pour gérer son domaine privé comme tout particulier. Elle peut ainsi conclure des contrats de cession de terrain, de location de son domaine privé. Elle peut accorder des promesses de vente, de contrat. Tous ces actes relèveront du juge judiciaire. Les baux commerciaux, ruraux, à construction relèveront des dispositions de droit privé contenu dans le Code de commerce ou rural. Le droit privé offre une certaine liberté à l’administration parce qu’elle peut même grâce au droit privé accorder des titres précaires. En effet, il existe « les titres d’occupation précaire de droit privé » admis par la Cour de cassation au moins depuis 1967, Commune Ouistreham. Si ce caractère exceptionnel est admis par le juge, l’administration pourra supprimer le titre à tout moment.

L’administration recherche plutôt la sécurité juridique pour ses cocontractants afin qu’ils investissent sur son domaine privé.

B. Les contrats administratifs

Les contrats d’occupation du domaine privé sont normalement des contrats de droit privé. Toutefois, cette règle n’empêche pas les mécanismes de la jurisprudence, Société des Granits Porphyroïdes des Vosges ou Epoux Berthin, ou encore l’intervention du législateur affirmant que certains contrats de l’administration sont de droit public et non privé.

a. Par détermination de la loi

Lorsque l’administration publique passe un marché public pour faire construire sur son domaine privé, ce contrat est un contrat de droit public depuis 2001. Tous les marchés publics constituent des contrats administratifs.

De même, tous les contrats d’aménagement du territoire sur le domaine de l’Etat sont des contrats administratifs alors même que le domaine occupé serait privé.

Les baux emphytéotique administratifs des collectivités territoriales : un bail emphytéotique, en principe, est régi par le droit rural. Il s’agit de contrats de très longues durées qui donnent à l’emphytéote (preneur du bail) quasiment des droits de propriétaire sur le terrain loué. Les baux emphytéotiques administratifs sont comme leur nom l’indique des contrats administratifs. Et la plupart des baux emphytéotiques passés par les CT même sur leur domaine privé sont administratifs dès lors que l’emphytéote accomplit une mission d’IG.

b. Les contrats administratifs par détermination jurisprudentielle

La jurisprudence Epoux Berthin de 1956 : si le contrat relatif au domaine privé a pour objet une mission de SP à laquelle ce contrat fait participer le cocontractant de l’administration, alors le contrat devient administratif. NB : cela n’arrive quasiment jamais parce que si le contrat confie au cocontractant l’exécution d’une mission de SP sur un domaine privé, alors sur le bien public il y aura un SP et il est très probable que les ouvrages construits fassent l’objet d’un aménagement indispensable. Dès lors, 9 fois sur 10, le domaine privé du fait du contrat se transforme en domaine public.

La jurisprudence Société porphyroïde des Vosges,1912 : cette jurisprudence est célèbre parce qu’elle prévoit qu’un contrat passé entre une personne privée et publique devient administratif si il contient des clauses exorbitantes du droit commun, c’est à dire des clauses qui ne se retrouvent pas dans le droit privé. Elles expriment généralement un pouvoir de direction, de surveillance sur son cocontractant. Dès lors qu’un contrat autorisant l’occupation du domaine privé de l’administration contient de telles clauses, alors le domaine reste privé mais le contrat d’occupation du domaine privé devient administratif et c’est le JA qui devra trancher le contentieux.

Arrêt du TC, 15 mars 2010, Dumontet : le TC apporte un exemple de ce type de contrat administratif sur le domaine privé de l’administration. Il s’agissait d’un restaurant bar. La commune avait loué un bar à un exploitant. Un contentieux est né entre l’exploitant et la commune. Et le TC relève que la commune s’était gardée la possibilité de

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contrôler les horaires d’ouverture, le prix des boissons…. Résultat : le contrat était administratif à cause de clauses exorbitantes de droit privé.

2§ Le contentieux de ces actes

Les choses sont relativement simples. Si le contrat est judiciaire, le JJ est compétent. Si le contrat est administratif, à ce moment là, il relève du JA, les parties pouvant saisir le juge du contrat par la voie d’une action en plein contentieux. Le REP est évidemment exclu puisqu’il s’agit de contrat et seules les parties au contrat peuvent saisir le juge du contrat administratif relatif au domaine privé de l’administration. Les tiers ne disposent pas de cette faculté.

Mais les tiers peuvent, comme le permettait la jurisprudence Martin du 4 août 1905, intenter un recours pour excès de pouvoir contre un acte détachable du contrat. Et ainsi, si les tiers ayant un intérêt à agir attaque l’acte détachable du contrat (par exemple la délibération autorisant le maire à signer le contrat administratif), alors le JA pourra annuler cette délibération si elle contient une illégalité mais ce n’est pour cela que le contrat conclu à la suite de cet acte détachable disparaît automatiquement. Il faut que les parties saisissent le juge du contrat d’une action en résolution du contrat.

Chapitre 2   : La constitution du domaine privé

Section 1 : Les acquisitions des biens du domaine privé

Principe : l’administration est toujours libre d’acquérir ou de ne pas acquérir un bien et de le faire entrer dans son domaine privé. Toutefois il existe un principe : si il existe des acquisitions consenties par l’administration, il y a aussi des acquisitions imposées à l’administration.

1§ Les acquisitions consenties

► Il y a l’achat de biens : ces procédures sont assujetties en principe au droit privé. Ne sont de droit privé que les contrats d’acquisition d’immeubles par les personnes publiques.

► L’échange : article 1702 du Code civil. le Code n’exclut pas l’octroi d’une soulte (la somme d’argent qui compense la différence de valeur entre les biens échangés). Il n’y a d’échange que de biens de valeur similaire. La soulte remet les 2 patrimoines à égalité.

= Dans les 2 cas, achat ou échange, l’administration ne peut pas procéder à ces actes sans avoir au préalable consulté « France Domaine » (service du Ministère du Budget détenant une expertise en matière immobilière, qui connaît le prix des immeubles)

► La dation en paiement : est un mode de paiement de l’impôt puisqu’il s’agit de payer ses impôts par des dons en nature à l’Etat. En général, on utilise ce mode de paiement lors des frais de succession.

Pour l’instant, seul l’Etat peut se voir octroyer des dations en paiement. Les CT de ne le peuvent pas.

► Les dons et lègues : il y a plein de gens qui aujourd’hui encore donnent des biens à l’Etat ou aux personnes publiques. La condition commune : le don ou le lègue ne peut pas être accepté facilement si ces dons ou ces lègues sont assortis de conditions. En effet, il ne faudrait pas que l’administration accepte un don qui à l’usage se révèle un cadeau empoisonné en raison des conditions imposées par le donateur.

2§ Les acquisitions forcées

Parfois l’administration se montre contraignante, parfois elle est elle-même contrainte.

A. Les acquisitions imposées par les personnes publiques

= les nationalisations de 1982 = cf cours de l’expropriation

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= cf cours sur la préemption

Si quelqu’un trouve dans le domaine public maritime un bien, il appartient automatiquement à l’Etat. Au mieux, l’Etat accorde un dédommagement à condition qu’on ait fait des efforts pour trouver le trésor (et non par hasard).

Les biens confisqués ou placés sous main de justice entrent automatiquement dans le patrimoine de l’Etat en vertu des décisions de justice.

B. Les acquisitions imposées aux personnes publiques

On retrouve les acquisitions automatiques vue à propos des errances, des biens sans maître et vacants.

Mais parfois, l’administration est obligée d’acquérir des biens à la demande des particuliers lorsqu’ils font valoir leur droit de délaissement. C’est le droit pour un particulier d’imposer à une personne publique d’acquérir un bien que l’administration a rendu inutilisable. Ex : en matière d’expropriation ou d’urbanisme.

Section 2 : Les aliénations des biens publics, éléments du domaine privé

Ces aliénations se plient au droit privé. Toutefois, afin de faire jouer la concurrence, l’Etat ne peut pas vendre ses biens du domaine privé sans procéder à une publicité de son offre et à une mise en concurrence des acheteurs possibles.

Pour les collectivités territoriales, il n’existe pas de disposition législative imposant une telle mise en concurrence. Mais le droit communautaire devrait inciter les autorités locales à respecter ces procédures pour éviter des complications contentieuses. Cette liberté de cession des personnes publiques n’est pas totale : droit de priorité = droits donnés à des tiers de s’imposer comme acheteurs auprès de l’administration.

Chapitre 3   : La protection du domaine privé

Le domaine privé est régi essentiellement par des règles de droit privé. Ce principe s’applique aussi en matière de protection des éléments de ce domaine. Toutefois, le domaine privé appartient à des personnes publiques ce qui fait que des principes de droit public s’appliquent aussi en matière de protection des biens du domaine privé.

Section 1 : Les garanties de droit commun des biens publics

Ces garanties sont de 2 ordres : ► certaines sont de droit civil ► d’autres de droit pénal

1§ Les protections de droit civil des biens du domaine privé

Le domaine privé, à la différence du domaine public, n’est pas imprescriptible. Ce qui signifie que des tiers peuvent devenir propriétaires des éléments de domaine privé par la voie de l’usucapion (d’une possession prolongée à condition qu’elle soit paisible). L’administration, comme tout propriétaire, peut contester les troubles de sa possession, de sa propriété que les tiers lui font souffrir. Cela vaut aussi bien pour les biens immobiliers du domaine privé que pour les biens mobiliers.

A. Les actions immobilières

Les actions immobilières traditionnelles en droit civil, se distinguent en 2 catégories : ► les actions visant à la conservation de la propriété dans sa nature même ► les actions permettant la conservation de la jouissance des biens.

a. Les actions en conservation de la propriété : action pétitoire

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Les actions en conservation de la propriété sont des actions pétitoires (= action en justice qui permet à un propriétaire d’un bien immobilier de contester la propriété d’un autre. Permet donc de faire reconnaître sa propriété) qui ont pour objet de rendre au propriétaire son bien. Ce sont des actions qui portent non pas sur la possibilité d’utiliser le bien mais sur la propriété même du bien. Au sein de ces actions pétitoires qui valent pour tous les droits réels, il faut distinguer l’action en revendication de propriété (qui a pour objet la restitution de la propriété pleine et entière du bien). Cette action relève du TGI. Pour les autres droits réels, le prétendant à la propriété doit engager des actions dites possessoires (=action en justice permettant au possesseur ou au détenteur d’un bien immobilier d’en protéger sa possession ou sa détention contre les troubles des tiers qui l’affectent ou le menacent).

La grande difficulté de ces actions tient au fait que si le propriétaire éprouve le besoin d’agir pour démontrer la légitimité de ses titres de propriété c’est qu’à priori ceux-ci sont très contestables. Il n’a pas de titre incontestable et son adversaire prétend lui aussi en détenir. L’un va arguer d’un titre notarial, l’autre d’un acte de vente. Résultat : les parties vont opposer des titres dont la légitimité peut être a peu près similaire. Et le juge va devoir se fonder sur différents indices pour trancher le débat.

b. Les actions en conservation de la jouissance des biens : action possessoire

Ces actions en revendication de propriété sont très difficiles à mener et à faire aboutir (beaucoup d’experts, mesures dilatoires…). C’est pourquoi les propriétaires et l’administration, comme tous les autres, préfèrent utiliser les actions possessoires qui ont pour objet la conservation de la jouissance.

Les actions possessoires ne visent pas à indiquer qui est propriétaire du bien immobilier mais quel est le possesseur légitime de ce bien, sachant qu’en matière immobilière, la possession ne vaut pas titre.

Grâce aux actions possessoires, l’administration pourra récupérer l’utilisation tranquille de ses biens contre les fauteurs de troubles. L’avantage de cette technique est qu’elle prépare généralement le terrain aux actions pétitoires car quand le juge est confronté à des titres de propriété concurrents, il finit la plupart du temps par se rabattre sur la possession légitime. Le juge part sur la présomption que le propriétaire du bien est a priori son possesseur légitime. Sachant que aujourd’hui ces actions sont régies par l’article 2282 du Code civil.

B. Les actions mobilières

L’article 2276 du Code civil pose le cadre des actions possessoires en matière mobilières. En fait de meubles, possession vaut titre. Donc il y a une imbrication des actions pétitoires et possessoires. Si l’on démontre que l’on est le possesseur légitime d’un bien on en est a priori le propriétaire.

L’administration peut, comme tout propriétaire, utiliser ces actions. Il n’y a rien de particulier sur ce point.

2§ La protection pénale des biens du domaine privé

Le droit pénal sanctionne la dégradation des biens d’autrui. Selon des modalités qui varient en fonction du degré de la dégradation. Le Code Pénal ne distingue pas à qui appartient le bien. Par exemple, la destruction ou la dégradation d’un bien appartenant à autrui est punie de 2 ans d’emprisonnement et de 35 000€ d’amende. Le « autrui » peut être n’importe qui, aussi bien une personne privée que publique. C’est pourquoi l’administration peut porter plainte au pénal contre des administrés.

Toutefois, l’administration doit tenir compte d’une règle constitutionnelle : non bis in idem. Pas 2 sanctions répressives pour le même fait délictuel. Cette règle constitutionnelle empêche l’administration de recourir à des sanctions pénales si ses biens font l’objet d’une protection juridique spéciale. La plupart des biens privés de l’administration ne font pas l’objet d’une protection spécifique et du coup, l’administration peut recourir au droit pénal en portant plainte.

Toutefois, certains biens jouissent d’une telle protection. Par exemple : les chemins ruraux. Pour le domaine public, on verra aussi que le droit pénal ne s’applique pas, car les dépendances du domaine public sont protégées par des contraventions de grande voierie.

Section 2 : Les garanties de droit public

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Les biens du domaine privé appartiennent à des personnes publiques qui par nature concourent à l’IG. Dès lors, le législateur ainsi que le juge ont façonné un régime de protection qui vient s’ajouter au régime de droit privé en faveur de l’ensemble des biens publics. Ce régime de protection publique de base vaut pour les dépendances du domaine privé mais aussi pour les dépendances du domaine public. Toutefois, nous verrons que le domaine public est protégé par d’autres dispositions complémentaires.

L’insaisissabilité des biens publics, l’interdiction des cessions à vil prix, la prescription quadriennale.

1§ L’insaisissabilité des biens publics

Les biens de l’Etat, de leurs CT et EP sont insaisissables ce qui signifie que leurs biens échappent à toute saisie même ordonnée par le JJ ou le JA. En pratique, l’administration ne peut donc pas être contrainte de payer ses dettes même si un jugement définitif l’y condamne. Cette insaisissabilité vise à protéger les biens des personnes publiques qui concourent à l’IG. Le juge se souciait du fait que les saisies pouvaient entraver l’exécution des missions de l’administration.

NB : Les personnes publiques sui generis (article L.2 du CGPPP) ne voient leurs biens insaisissables que si les textes qui les créent le prévoient.

L’inconvénient de ce principe d’insaisissabilité est que les personnes publiques ne peuvent pas recourir aux mécanismes de l’hypothèque, du crédit bail ou du nantissement. Ces mécanismes permettant d’obtenir des financements des banques reposent sur la faculté donnée à l’organisme financier de saisir le bien si la personne qui a contracté le prêt ne rembourse pas son prêt. La conséquence qui en découle est que les banques acceptent de prêter aux personnes publiques mais à des taux d’intérêt plus élevés qu’à des particuliers. Donc l’insaisissabilité se retourne contre l’administration alors que c’est un procédé de protection des biens publics. Cet argument prononcé par les banques est léger car les personnes publiques sont quasiment toutes solvables. En réalité, les banques utilisent ce prétexte pour légitimer l’augmentation de leur taux d’intérêt. Mais le CE a entendu ce reproche.

Histoire de ce principe :

L’article 2311-1 du CGPPP qui proclame l’insaisissabilité des biens publics vient consacrer une jurisprudence de la cour de cassation du 21 décembre 1987, BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière) : dans cette affaire, c’était un EPIC qui était en cause. Ces EP accomplissent des actes de commerce comme les entreprises. La doctrine et l’administration espéraient que le juge affranchirait les EPIC du principe d’insaisissabilité des biens publics. Ce souhait s’expliquait par la volonté de placer ces EP dans la même situation juridique que leurs concurrents, les entreprises privées. La Cour de cassation n’a rien voulu entendre. Dès lors que le bien appartient à une personne publique, il est insaisissable. Distinguer en fonction des missions serait trop difficile, trop floue. Finalement, il y aurait une insécurité juridique si on entrait dans ces considérations.

Le CG3P lui a donné raison : même les EPIC ont des biens insaisissables.

Les critiques d’ordre juridique :

Cette solution catégorique s’expose quand même à des critiques d’ordre juridique.

D’une part ce principe de l’insaisissabilité va à l’encontre du droit communautaire. En effet, en rendant les biens publics insaisissables, le législateur a accordé un privilège aux personnes publiques même quand celles-ci interviennent sur le marché. Comme le principe joue de façon absolue, toute personne publique qui intervient sur le marché voit ses biens insaisissables et donc bénéficient d’une protection dont ne disposent pas ses concurrents. Il y a là une violation du principe d’égalité entre les acteurs économiques, qui est au cœur du principe de libre concurrence du droit communautaire. Pour respecter ce droit, le principe devrait être réservé aux seuls biens qui sont affectés à des SP. En effet, le droit communautaire admettrait ce privilège à condition qu’ils correspondent à une contrepartie d’IG. C’est ce que la Cour de cassation n’a pas voulu faire en 87.

Un autre problème du côté de la CEDH. Une créance constitue d’après la Cour un bien au sens de l’article 1 du protocole 1. Or, le principe de l’insaisissabilité des biens publics empêche le titulaire de la créance

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sur la personne publique d’obtenir la réalisation de son titre. Le créancier de la personne publique ne peut pas surmonter le refus de cette dernière. Ce principe de l’insaisissabilité aboutit à une situation que l’on peut rapprocher de l’expropriation. Le titulaire de la créance ne peut pas jouir de sa créance par le principe. Et la Cour Européenne ne refuse pas catégoriquement le principe, elle ne l’admet qu’à condition qu’il corresponde à d’impérieux motifs d’IG justifiant une atteinte au droit de propriété.

Le CE n’a pas été sourd à ces critiques. 18 novembre 2005, société fermière de Campoloro, arrêt de principe du CE : a rappelé le principe mais en lui apportant des aménagements très importants. Faits : en Corse. La société fermière Campoloro avait obtenu de l’Etat à la fin 70’, le droit de construire et d’exploiter un port de plaisance dans la ville de Campoloro. En 1982, l’Etat avait transféré le contrat de concession au bénéfice de la commune, en application des lois de décentralisation, la commune devenait concédante de ce port. La société restait concessionnaire. L’exploitation de ce port est devenue désastreuse. Et la commune a décidé de résilier unilatéralement le contrat de concession (contrat administratif). Le problème : en cas de résiliation pour motif d’IG d’un contrat administratif, il faut indemniser le cocontractant. La commune devait donc indemniser son ancien concessionnaire du manque à gagner que la résiliation lui inflige. La commune n’avait pas un sou. Sauf que la société voulait être payée (10 millions d’euros). La société se retourne vers la commune, puis vers le préfet en lui demandant d’inscrire au budget de la commune les sommes nécessaires pour le paiement de cette dette. Mais le préfet ne pouvait pas augmenter les impôts car il n’y avait pas de contribuable. Le CE rappelle que les biens publics sont insaisissables. Toutefois, afin de respecter le droit de propriété des créanciers des personnes publiques, le préfet a dorénavant la possibilité de vendre les biens de la CT, le produit de la vente de ces biens devant servir à désintéresser les créanciers de la personne publique. Le préfet doit procéder par étapes : constater que le jugement condamnant la personne publique à payer la créance est définitif/ le préfet doit mettre en demeure la commune de payer ses dettes. Si elle ne le fait pas, il doit tenter d’accroître ses richesses en augmentant les impôts./ Si ceci échoue, le préfet a le droit d’ordonner la vente des biens de la commune. Toutefois, il ne peut pas vendre les biens dont la conservation constituerait un « impératif d’IG ». Autrement dit, tous les biens qui relèvent du domaine public ou privé, deviennent cessibles en vertu de cette jurisprudence sauf les biens dont la conservation s’impose en vertu d’impératifs d’IG. Par exemple : vendre la caserne de gendarmes. En revanche, vendre des champs, des forets, la plage serait possible si l’IG ne s’y oppose. Ces considérations d’IG sont multiples : la préservation des SP, des finances publiques, la protection de l’environnement… et de l’autre côté l’intérêt du créancier. Ce qui revient à l’application de la théorie du bilan (CE, Ville Nouvelle Est, 1971). La théorie du bilan, permettant d’établir la balance entre les avantages et les inconvénients de la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’un équipement public, offre une grande plasticité d’appréciation selon la nature des intérêts que l’on fait intervenir et leurs pondérations respectives. Notion d’utilité publique. Contraintes que l’administration peut légitimement imposer sur des droits individuels, en premier lieu le droit de propriété, en vue de la réalisation d’un projet d’un IG. Dans ce cas, même la vente des biens ne permettait pas de solder l’affaire car personne n’était intéressé par les bois de châtaignes. La dernière possibilité pour le créancier : se retourner vers l’Etat pour faute lourde. La responsabilité de l’Etat sera possible que pour faute lourde et ce sera donc difficile. Cette jurisprudence ne joue pas contre l’Etat qui est toujours solvable. Elle ne joue que contre les biens des CT ou des EP locaux mais pas contre les biens de l’Etat.

2§ L’interdiction des cessions à vil prix 

L’administration peut céder les éléments de son domaine privé puisque celui-ci n’est pas inaliénable. Nous verrons que exceptionnellement, en vertu de dispositions législatives dérogatoires, il arrive que le domaine public soit lui aussi aliénable. Toutefois l’administration ne peut pas brader son patrimoine.

Cette interdiction signifie que l’administration ne peut pas vendre l’un de ses biens à une valeur inférieure à sa valeur marchande. Elle doit vendre ses biens au prix du marché, elle ne doit pas accorder des libéralités aux administrés qui achèteraient les biens.

Cette interdiction des cessions à vil prix repose sur 2 principes fondamentaux du droit public français : Le principe de la protection des biens publics : article 17 DDHC protège aussi les biens des

personnes privées que les biens des personnes publiques. La protection donc du patrimoine public interdit que l’administration s’appauvrisse en cédant ses biens pour des montants inférieurs à la valeur réelle.

Le principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques. Généralement, les biens publics ont été acquis par l’administration ou entretenus par cette dernière grâce au fonds public (aux impôts payés par les contribuables). Il serait donc anormal que quelques individus bénéficient sans raison d’IG de cadeaux, de remise de prix de la part de l’administration. C’est ainsi que le Conseil Constitutionnel a

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affirmé en 1986 qu’ « une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé. »Or, comme l’administration ne poursuit pas des fins d’intérêt privé, l’interdiction des cessions à vil prix ne joue que contre des personnes privées. L’administration peut céder un de ses biens à un prix modique à une autre personne publique. Mais elle ne peut pas céder ses biens à des personnes privées qui utiliseront pour leur seul intérêt individualiste le bien. Cette jurisprudence du CC va dans le sens du droit communautaire. En effet, le droit communautaire interdit les aides d’Etat. Les aides d’Etat consistent en l’octroi d’avantages financiers de la part de l’Etat ou de ses démembrements à des acteurs économiques, avantages qui sont susceptibles de troubler le jeu de la libre concurrence.

Ce principe connaît des aménagements. Le CC ainsi que le CE affirment que ce principe de la prohibition des cessions à vil prix au bénéfice des personnes privées s’efface lorsque la personne privée s’engage en contrepartie de l’octroi du bien à un prix avantageux, à mener une action d’IG. Dans ce cas là, l’action d’IG, à laquelle s’engage la personne privée constitue une contrepartie du rabais accordé par l’administration. Il n’y a donc pas un total appauvrissement du patrimoine public car l’administration y trouve son compte si le bénéficiaire l’aide dans l’accomplissement de sa mission d’IG. Arrêt de principe du 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles : la commune avait vendu un terrain à une entreprise pour un franc symbolique. Mais en contrepartie l’entreprise s’engageait à créer des emplois et à recruter des gens de la région et à maintenir son industrie sur place, le temps que la commune puisse se rembourser de la cession à vil prix. Encore faut il dit le CE que les prestations auxquelles s’engage le bénéficiaire ne soient pas purement facultatives. Commune de Courtenay de 2009 : confirmation.

Arrêt du 25 novembre 2009, Commune de Mer : la commune avait vendu un stade de football à une association pour une valeur inférieure d’un quart à la valeur marchande du stade. Des contribuables avaient engagé une action pour obtenir l’annulation de la cession et ils ont perdu malgré le rabais accordé. Cette affaire montre la souplesse avec laquelle le CE traite de la question. Il a relevé que l’association s’engageait à occuper la jeune population d’origine turque grâce au stade de football et ainsi l’association concourrait à l’IG car grâce à cette action d’intégration, l’association participerait au renforcement de la sécurité publique notamment pour la circulation dans la ville.

On retient que la prohibition est un principe établi et catégorique mais le CE estime qu’il n’a pas à être le censeur du bien fondé des politiques territoriales menées par les CT, il n’y a pas d’erreur manifeste d’appréciation tant qu’il y a des contreparties suffisantes.

3§ La prescription quadriennale

La prescription quadriennale ne porte pas a proprement parlé sur les biens à la différence des 2 autres principes mais sur les dettes des personnes publiques. Les dettes des personnes publiques s’éteignent au bout de 4 ans. Ce qui signifie que le créancier d’une personne publique qui n’exigerait pas le paiement de sa créance avant ce délai de 4 ans, perdrait la possibilité de se faire payer. Ce principe de la prescription quadriennale exige de la part des créanciers des personnes publiques une certaine sévérité à leur propre patrimoine. Grâce à ce principe, l’administration se trouve donc libérée de ses dettes contractées auprès de personnes privées négligentes.

Le délai de 4 ans au terme duquel la dette publique s’éteint commence à courir à compter du 1er janvier de l’année qui suit l’évènement qui fait naître la créance. Par exemple, l’administration cause un dommage à un particulier le 15 juillet 2010 : cet évènement fait naître un droit à réparation au bénéfice de la victime. La prescription commence à courir à partir du 1er janvier 2011.

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Titre 3 : Le régime du domaine public

Le commissaire du gouvernement, Toutéé, avait écrit ceci dans ses conclusions sur l’affaire Cie D’assurance Préservatrice Foncière de 1994 : « l’intérêt de la domanialité publique c’est de permettre précisément d’échapper aux lois communes (droit civil). De façon générale, la domanialité publique a pour habitude de tout écraser ; elle exclut les règles qu’elles soient issues de la loi ou du contrat qui lui sont contraires ».= Cette affirmation est erronée mais utile. Erronée parce qu’elle est exagérée. Elle est utile parce qu’elle révèle que le régime de la domanialité publique a été inventé par le CE puis consacré par le législateur afin de déroger au droit privé. Le droit de la domanialité publique est un droit exorbitant du droit commun. Cette exorbitance s’adosse à 2 principes, principes fondamentaux du domaine public :

► celui de l’inaliénabilité du domaine public ► l’imprescriptibilité du domaine public.

Après la description de ces 2 principes, il sera aisé de comprendre les règles de sa protection et de son utilisation.

Chapitre 1   : Les principes fondamentaux du domaine public

Ces principes, au nombre de 2, se secondent l’un l’autre sans se confondre.

Le 1er, celui de l’inaliénabilité du domaine public interdit les cessions des éléments du domaine public. Toutes les formes de cession. Evidemment, sauf dérogation législative. Et cette interdiction s’impose aussi bien à l’administration qu’aux tiers c'est-à-dire les partenaires de l’administration et les usagers.

Le principe de l’imprescriptibilité du domaine public vise à protéger ce domaine de toutes les prescriptions acquisitives (=usucapions). Ce principe paraît revêtir une moins grande importance que le 1er. En réalité, les 2 vont de paires car séparés chacun serait boiteux.

Section 1 : L’inaliénabilité des biens du domaine public

Selon ce principe, les biens du domaine public ne peuvent être cédés d’aucune manière que ce soit de façon volontaire ou contrainte, onéreuse ou à titre gratuit.

Ce principe s’applique aux biens possédés par les personnes publiques. Il restreint le droit de l’administration de disposer de ses biens. Ce principe n’est pas attaché à l’affectation.

René Capitant a écrit en 1933 une note sous l’arrêt Commune de Barran rendu par le CE le 17 février 1932 : la commune de Barran possédait une Eglise avec de belles fresques. Elle avait décidé de vendre les fresques. Le CE, au nom du principe d’inaliénabilité du domaine public avait prononcé la nullité de cette cession. Capitant avait défendu la thèse selon laquelle le principe d’inaliénabilité du domaine public protégeait avant tout l’affectation du bien. Il expliquait que l’on pouvait lire ainsi l’arrêt : l’administration avait le droit de vendre ses biens mais elle ne pouvait pas nuire ou entraver l’affectation de ce bien. En pratique dans cette affaire, la commune de Barran aurait eu la possibilité de vendre la fresque mais elle aurait du rester dans l’Eglise pour que son affectation à usage direct du public persiste. Mais le CE n’en a eu que faire. Il a considéré que même si un bien continue à être affecté conformément à sa destination initiale, il ne peut pas être saisi. Donc l’administration ne peut pas céder un bien même à une autre personne publique quand bien même le bien resterait toujours affecté au but qui était le sien. Le principe de l’inaliénabilité du domaine public dépasse l’affectation.

Sources historiques du principe : purement doctrinales parce que toutes les explications historiques tombent à plat. Au 19ème siècle et longtemps en 20ème siècle, on rattachait le principe de l’inaliénabilité du domaine public au principe de l’Ancien Régime de « l’inaliénabilité des biens de la Couronne ». Loi fondamentale du royaume, ce principe interdisait au roi de céder les biens de la France. La doctrine a cherché à établir un lien entre les 2 principes. En réalité, les biens de la couronne sous l’Ancien Régime renfermaient aussi bien ce qui aujourd’hui relèvent du domaine public et du domaine privé. Et le domaine public n’existait pas sous l’Ancien Régime de toute façon. Ce rattachement est erroné. On en revient à la thèse de Proudhon.

Article L.3111-1 du CGPPP : principe d’inaliénabilité pour l’ensemble des biens publics

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Article 1311-1 du CGCT : principe pour les CT.

Ce principe n’a pas de valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré l’existence d’un domaine public constitutionnel, n’a jamais affirmé que le principe d’inaliénabilité a valeur constitutionnelle. Il a rappelé toutefois au législateur qu’il ne peut pas priver les biens affectés au SP de toutes les garanties légales nécessaires à la continuité des SP.

1§ Les conséquences du principe

Ce principe interdit toutes les formes d’aliénation. Cela exclut aussi les échanges de biens. Un échange c’est une aliénation (une cession contre une autre). Jusqu’au Code de 2006, le principe interdisait aux CT d’échanger leurs biens. Du coup, une commune ne pouvait pas échanger une route contre une école alors même que cela était indispensable et ne nuisait pas à l’affectation domaniale.

L’autre conséquence est que si l’administration viole ce principe, alors la cession se trouve frappée d’une nullité. Cette nullité peut être prononcée aussi bien par le JJ que par le JA.

L’impossibilité d’exproprier le domaine public découle de ce principe également. Une expropriation est une aliénation sous la contrainte, forcée mais une aliénation tout de même est c’est ainsi que le domaine public échappe aux expropriations. L’Etat ne peut pas exproprier le domaine public des CT.

De la même façon, comme le domaine public est inaliénable, l’administration ne peut pas accorder sur ce domaine des droits réels à des tiers. Car ces droits réels constituent des démembrements de la propriété. Il s’agit donc d’aliénations partielles de la propriété du domaine public (hypothèque, crédit bail…).

De la même façon, les baux commerciaux ne peuvent pas être accordés sur le domaine public ainsi que les servitudes et les baux ruraux.

Jurisprudence récente du 31 juillet 2009, Société Jonathan Loisirs : dans cet arrêt le CE réitère sa jurisprudence selon laquelle l’administration ne peut pas accorder un bail commercial sur le domaine public. Cela n’a rien de neuf. Toutefois, cet arrêt laisse entendre que le commerçant peut malgré tout constituer une clientèle. La clientèle en droit commercial ne se confond pas avec le fonds de commerce auquel est attaché le bail commercial. Tout l’intérêt pour les commerçants utilisant le domaine public consiste à exploiter ces nuances afin d’obtenir de l’administration une indemnisation lorsque celle-ci leur retire le droit d’occuper le domaine public. Lors du retrait de l’autorisation, le commerçant n’aura pas le droit d’une indemnisation de la perte de son bail commercial car n’en détient pas mais il pourra obtenir une indemnisation de la perte de la clientèle puisque celle-ci se distingue du bail. Le CE maintient la règle que les commerçants n’ont pas le droit au renouvellement de l’occupation, en revanche, la clientèle qui est distincte peut être indemnisée. Le CE a voulu protéger les intérêts des commerçants sans renier le principe fondamental du domaine public.

2§ Les limites du principe d’inaliénabilité du domaine public

Ces limites sont de 2 ordres : - d’ordre interne- qui résultent du droit international

A. Les limites d’ordre interne

Le domaine public est inaliénable. Toutefois, la jurisprudence et le législateur admettent que des particuliers détiennent des droits réels voire un droit de propriété dans certains cas sur le domaine public. Evidemment, il s‘agit d’exceptions. Ces exceptions se justifient par le temps voire par l’histoire.

En effet, ces droits des particuliers sur le domaine public sont ceux appelés « droits fondés en titre » ou encore les « droits de propriété ayant une existence légale ».

Il s’agit, pour les droits fondés en titre, de droits d’implantation sur le domaine fluvial. Sous l’Ancien Régime, les seigneurs accordaient régulièrement à des tiers le droit d’installer leur usine au bord de l’eau et d’utiliser la force motrice des rivières. Ces droits étaient pérennes et équivalaient à des droits de propriété. Dès lors que ces droits ont

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été accordés avant 1566 (Edit de Moulin), ils perdurent aujourd’hui encore. Ainsi, un industriel peut il acquérir auprès d’un tiers le droit d’exploiter la force motrice d’une rivière et l’administration ne pourra pas lui retirer cette exploitation car on ne retire pas un droit de propriété ; au mieux on l’exproprie et dans ce cas là l’administration devra indemniser le propriétaire. C’est là la différence avec les droits traditionnels d’occupation du domaine public qui eux sont toujours précaires et révocables.

Les droits de propriété ayant une existence légale datent eux de la RF. Il s’agit des droits de propriété acquis lors de la vente des biens nationaux. Pour remplir les caisses de l’Etat et pour relancer l’économie paralysée par la main morte de l’Eglise et de beaucoup de seigneurs, les révolutionnaires français, après avoir saisi les biens de l’Eglise et de la Noblesse, ont vendu ces biens à des particuliers et ces biens pouvaient se trouver sur le rivage ou encore sur les lais et relais du domaine public. La possession de ces biens qui se trouve dans la zone du domaine public maritime ne peut pas être remise en cause par l’administration. Si elle veut supprimer ces droits d’occupation, là encore elle doit recourir à la technique de l’expropriation.

Dans les manuels, les droits fondés en titre et les droits de propriété ayant une existence légale sont présentés comme une exception à la règle de l’inaliénabilité du domaine public. En réalité, il ne s’agit pas d’une vraie exception. En effet, les droits fondés en titre sont antérieurs à 1566, les autres antérieurs à 1800 c'est-à-dire que les 2 catégories sont antérieures à la notion même de domaine public (apparue vers 1840). Quand l’Etat a pris possession de son domaine public il en a pris possession dans l’état dans lequel il se trouvait. Donc finalement quand il a pris possession du rivage, il en a pris possession dans la configuration du rivage qui était la sienne.

Les choses sont un peu différentes avec le droit international.

B. Le droit international

Les limites internationales au principe d’inaliénabilité du domaine public, résultent de la jurisprudence de la CEDH.

L’arrêt fondamental en la matière est un arrêt du 30 novembre 2004, Oneryildiz contre Turquie. Faits : Mr O. avait la chance d’habiter une belle demeure dans une décharge publique sur laquelle il avait construit sa maison sans demander la moindre autorisation. Sa demeure avait été tolérée pendant très longtemps par l’administration turque qui n’y voyait rien de gênant. Mais un jour, cette bâtisse a gêné l’administration turque et donc partant du principe que cette occupation de sa propriété publique était illégale, l’Etat turc a simplement envoyé des bulldozers pour raser la maison sans plus de formalisme. L’occupant, Mr O., ne s’en est pas laissé compter et a saisi les tribunaux turcs puis la CEDH qui a donné raison au requérant en se fondant sur l’article 1 du protocole 1 de la Convention relatif au droit de propriété. Raisonnement : certes, le requérant n’était pas propriétaire du terrain d’assiette sur lequel il avait construit sa demeure. En revanche, il était bien propriétaire de sa demeure. De plus, l’administration avait toléré pendant de longues années cette bâtisse. Dès lors le requérant pouvait arguer d’une espérance légitime au respect de son droit de propriété. En vertu de cette espérance légitime, il avait droit à un minimum de formalisme. Il fallait donc que l’administration pour l’expulser et détruire son bien invoque un motif d’IG et qu’elle respecte un minimum les voies de droit protégeant le droit de propriété.

Cette jurisprudence concerne la Turquie, certes. Mais cette décharge répondait aux conditions de la domanialité publique française. Si l’affaire s’était passée en France, l’occupant aurait été sur le domaine public et il aurait pu lui aussi invoquer l’article 1 du protocole 1. Or, en opposant l’article 1 de ce protocole à l’administration qui invoque l’imprescriptibilité de son domaine public, la Cour ipso facto apporte une atténuation de l’imprescriptibilité et de l’inaliénabilité du domaine public. Si le requérant peut opposer à l’administration le fait qu’il détient quasiment un droit de propriété sur sa demeure, alors le domaine public n’est plus totalement inaliénable. = la CEDH considère que le principe d’inaliénabilité du domaine public ne peut pas s’appliquer de façon systématique. L’administration ne peut l’invoquer que de façon raisonnable, selon des procédures respectant le droit de propriété et pour des motifs d’IG internes. Alors qu’en droit français, le principe d’inaliénabilité peut être invoqué à tout moment, sans justification, par l’administration contre tout occupant sans titre du domaine = Les 2 logiques ne sont pas identiques.

La CEDH a persisté dans sa jurisprudence, signe que le dialogue des juges n’a jamais existé. La CEDH, malgré les critiques adressés à sa jurisprudence, a persisté dans un arrêt récent du 29 mars 2010, Affaire Brosset-Triboulet contre France. Les Brosset-Triboulet avaient obtenu au début du siècle le droit d’occuper le domaine maritime dans le golf du Morbihan. Ils y ont implanté une cabane qui s’est transformée en château. Et la famille Triboulet a toujours estimé qu’il s’agissait d’un patrimoine familial. L’administration avait, à chaque fois, renouvelé les titres d’occupation

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nécessaires à l’implantation de la demeure de cette famille sur le domaine public maritime. Mais après 1986, l’administration a décidé de protéger l’environnement et elle s’est rendue compte que les tonnes de béton sur cette île du Morbihan n’étaient pas du meilleur effet. L’administration a informé la famille qu’elle ne bénéficierait plus que d’un dernier titre d’occupation du domaine public. A la mort du dernier titulaire de l’autorisation, la famille devait libérer les lieux. Elle a refusé l’offre de l’administration et a engagé une action. Le CE a donné tort à la famille au motif que si le domaine public est inaliénable, alors aucun occupant n’a droit au renouvellement assuré et infini dans le temps à occuper ce domaine public. Donc, la procédure d’expulsion devait être engagée. Ils ont saisi la CEDH. La CEDH a repris la jurisprudence O. mais a donné tort aux requérants au motif que les requérants savaient pertinemment que leur titre était précaire, que leur droit de propriété n’existait pas au sens civil du terme parce que à chaque que l’administration renouvelait l’autorisation, elle prenait soin de préciser que le titre était révocable et précaire. Autrement dit, l’administration a constamment informé l’occupant de l’existence du principe d’inaliénabilité du domaine public. Donc quand l’administration a fait jouer la précarité, elle n’a pas surpris l’occupant ni trompé sa confiance, à la différence de l’Etat Turc.= l’intérêt de cette jurisprudence est de souligner que dorénavant l’administration pourra d’autant plus légitimement invoquer le principe d’inaliénabilité qu’elle aura pris le soin d’en rappeler les conditions et les conséquences au titulaire qui occupe le domaine. La CEDH ajoute une condition formelle à l’invocation de ce principe fondamental. Exigence qui bouleverse le droit domanial français qui reposait sur l’application systématique, inconditionnelle et automatique du principe d’inaliénabilité du domaine public contre les occupants sans titre et les occupants légitimes. La Cour renverse le rapport de force : il faut que l’administration prenne des précautions en matière d’informations car sinon elle viole le droit de propriété, ainsi que leur confiance et leur sécurité juridique.

Pour l’instant, le CE n’a pas bougé et n’a pas véritablement modifié sa jurisprudence.

Section 2 : L’imprescriptibilité du domaine public

Le principe de l’imprescriptibilité du domaine public connaît une histoire similaire à celle de l’inaliénabilité du domaine public. On en trouve la trace d’un édit de François 1er de 1539, puis dans une ordonnance de Louis XIV… mais il s’agissait de l’imprescriptibilité des biens de la Couronne (qui ne peuvent s’identifier aux biens du domaine public).

La consécration législative de ce principe date du Code du domaine de l’Etat.

Les applications de ce principe méritent quelques développements.

1§ Les applications du principe

Selon ce principe, le domaine public est imprescriptible. Ainsi, l’occupation prolongée du domaine public ne confère pas à l’occupant un droit de propriété sur ce domaine. Le mécanisme de l’usucapion ne fonctionne pas sur le domaine public. De même, en principe, un occupant ne peut pas utiliser une action possessoire contre le propriétaire du domaine public. En effet, cette action possessoire vise à garantir une possession tranquille et paisible d’un bien immobilier. Elle garantit la stabilité de l’occupation. Elle irait contre la possibilité donnée à l’administration d’écarter tous les occupants légitimes ou non du domaine public. C’est en vertu de ce principe que la Cour de cassation a expliqué à Mr Francis qu’il n’avait pas le droit à une indemnisation pour la destruction de la paillote construite illégalement sur le domaine public maritime alors même que celle-ci avait volé en éclat à la suite d’une recommandation d’un préfet. Ce n’est pas parce que la paillote avait explosé que l’occupant avait droit à une indemnisation. Elle avait été construire illégalement sur le domaine public et dès lors l’occupant restait illégitime Gazette du Palais 24 mars 2005 n°83 p.13. Chambre criminelle du 13 octobre 2004.

L’imprescriptibilité du domaine public emporte 2 autres conséquences importantes :

► L’administration peut sans délai agir contre les administrés afin de les obliger à réparer les dommages causés au domaine public. L’obligation de remise des lieux en état qui pèse sur les occupant du domaine public ne se prescrit jamais. Ainsi, le propriétaire d’un restaurant, autorisé à construire son local sur le domaine public, doit quand son titre arrive à expiration remettre les lieux dans leur état antérieur à l’autorisation. Si le terrain était nu, il doit le restituer nu.

► Bémol : La CE accepte que l’administration limite dans le temps son droit de réclamer la remise en état des lieux. Cette jurisprudence vise à éviter que l’administration utilise un bien qu’un ancien occupant aurait laissé sur le domaine public, puis qu’elle exige de cet ancien occupant qu’il le détruise le jour où l’administration

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n’en aurait plus besoin. Si l’administration a utilisé le bien c’est qu’elle en avait besoin. Dès lors elle ne peut pas dans un délai déraisonnable exiger de l’ancien occupant qu’il remette en état le domaine public. Cette jurisprudence ne vaut que si le titre, l’acte, prévoit le délai de réclamation de remise du domaine public en son état initial. Si l’acte ne prévoit rien, alors l’action en réparation du domaine public est imprescriptible.

Conséquence : la jurisprudence Société Alu Suisse lonza- France du 8 juillet 2005 ne joue pas. En vertu de cette jurisprudence, lorsque l’administration a accordé à une entreprise le droit d’exploiter une industrie polluante, elle ne peut exiger de l’entreprise qu’elle remette les lieux en état quelque que soit le lieu occupé que dans un délai de 30 ans. Si pendant 30 ans, l’administration n’exige rien de l’entreprise polluante, alors elle perd le droit d’exiger que celle-ci remette les lieux en état. Cette jurisprudence concerne uniquement les propriétés privées. Mais on a pensé qu’elle pourrait être transposée au domaine public. En réalité, cette transposition est impossible à cause du principe d’imprescriptibilité du domaine public.

2§ La portée du principe

Ce principe est indisponible. Cela signifie que l’administration ne peut pas renoncer au bénéfice du principe de l’imprescriptibilité du domaine public (sous réserve des titres prévoyant un délai maximal pour réclamer une remise des lieux). Et les tiers, les administrés bénéficient eux aussi de l’imprescriptibilité du domaine public : ils peuvent exiger de l’administration qu’elle force les anciens occupants à remettre les lieux en état ou à libérer les lieux s’ils sont toujours sur place.

La jurisprudence européenne, encore une fois, apporte quelques nuances en droit français. Il s’agit encore d’une affaire Turque. Mr A c/ Turquie 11 octobre 2005 : dans cette affaire, Monsieur A, se croyait propriétaire d’une plage qu’il avait acheté à une autre personne privée. L’administration avait enregistré l’acte de vente et pendant plusieurs décennies, le fisc turc avait prélevé des impôts fonciers pour cette occupation. Or, les impôts fonciers sont payés par le propriétaire. Et un jour, l’administration turque s’est rappelée qu’elle était propriétaire de la plage. Et ni une ni deux, Mr A a été expulsé de ce qu’il croyait être sa propriété, sans indemnité puisque le véritable propriétaire était l’Etat. La CEDH a relevé que Mr A, avait le droit d’invoquer l’article 1 du protocole 1 car il pouvait légitimement se croire propriétaire de son bien, en raison de la durée de sa possession paisible du bien. La CEDH atténue le principe d’imprescriptibilité du domaine public qui ne peut pas être invoqué par l’administration si celle-ci fait preuve de négligence dans la gestion de son domaine public.

L’action en réintégrande est une action de droit civil. Elle permet de protéger les possessions paisibles. En principe, cette action ne devrait pas être ouverte aux occupants du domaine public à cause du principe d’imprescriptibilité. Toutefois, la Cour de cassation a admis que les occupants du domaine public peuvent saisir le juge judiciaire d’une telle action contre l’administration si celle-ci a porté une atteinte à leur possession si grave qu’elle en constitue une voie de fait. La voie de fait est un acte grave qui porte atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale et insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’adminsitration. Et donc si l’administration expulse un occupant paisible et à priori légitime de son domaine en faisant preuve de violence et en portant atteinte à une liberté fondamentale, alors l’action en réintégrande devient recevable. Elle permettra à l’occupant de récupérer la possession de sa dépendance du domaine public. Evidemment, il n’en acquit pas la propriété, seulement la possession. Arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2002, 3ème civ, Commune de Tarnos. De la même façon, l’action en réintégrande pourrait être plus facilement ouverte lorsque l’occupant utilise le domaine public pour y fixer son domicile. La protection du domicile se rattache à la vie privée, constitue une liberté fondamentale et il y a des chances pour que l’occupant puisse faire jouer l’action en réintégrande.

Depuis 2006, les choses sont très fluctuantes.

Mais il y a une possibilité que les juges offrent aux avocats de droit civil.

Chapitre 2   : La constitution du domaine public

Ici, il ne s’agit pas de déterminer comment un bien devient public. Il s’agit de préciser comment un bien tombe dans le domaine public et non pas dans le domaine privé, sachant qu’au préalable la question de la propriété publique du bien a été tranchée. On ne va s’intéresser qu’au bien public et comment celui-ci peut entrer dans le domaine public ou en sortir.

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L’esprit général du droit français est qu’il est plus facile d’entrer dans le dom pub que d’en sortir, pour une raison noble : si le bien est entré c’est qu’il est ou a été utile à l’IG. Dès lors, il faut éviter qu’il soit trop facilement soustrait à cette affectation car une sortie trop facile au point d’être involontaire nuirait à l’IG.

Tout le contentieux relève du JA puisque si un bien est affecté au domaine public c’est qu’il sert l’administration, participe à son fonctionnement et le JJ n’a pas à s’immiscer dans le fonctionnement de l’administration.

Section 1 : L’entrée dans le domaine public

L’article fondamental est l’article L.2111-3 du CG3P. Selon cet article : « s’il n’en est disposé autrement par la loi, tout acte de classement ou d’incorporation d’un bien dans le domaine public n’a d’autre effet que de constater l’appartenance de ce bien au domaine public ».Cela signifie qu’il suffit qu’un bien réponde aux exigences de l’article L.2111-1 ou articles suivants (domaine public légal) pour qu’automatiquement le bien relève du domaine public. Et un acte qui aurait pour objet d’expliciter, de rendre public, l’appartenance du bien au domaine public n’aurait qu’un effet déclaratif. Qu’il soit pris ou non, cela ne change rien. Si le bien est effectivement affecté au SP ou à l’usage direct du public, il appartient au domaine public et il n’est pas nécessaire que l’administration prenne un acte de classement pour que celui-ci relève du domaine public. Le classement reste superfétatoire voire carrément inutile.

1§ La réalité de l’affectation

Les conditions de l’affectation varient en fonction du type de domaine. Quand le bien répond aux exigences du domaine public légal, alors il existe en droit une présomption d’affectation. Et l’adminsitration se trouve donc dans une situation confortable : quand un contentieux porte sur le rivage, cette parcelle est présumée appartenir au domaine public. Les choses sont inverses lorsqu’il s’agit du domaine public administratif : dans ce cas là, l’adminsitration doit démontrer la réalité de l’affectation.

A. L’incorporation dans le domaine public légal

Dès qu’un bien répond à la définition d’un des domaines publics légaux, il est présumé affecté à un but d’IG. Si le bien appartient au domaine public naturel, cette présomption est en principe irréfragable. Si le bien appartient au domaine public légal artificiel, cette présomption d’appartenance devient simple.

1. L’incorporation au domaine public naturel

Il faut distinguer le domaine public maritime et le domaine public fluvial.

Le principe est que pour le domaine public maritime, dès lors qu’un bien répond à la définition du domaine public légal naturel, automatiquement il tombe dans ce domaine public. Les phénomènes naturels ont pour conséquence d’étendre le domaine public.

Presque pareil dans le domaine public fluvial mais pas tout à fait depuis que celui-ci se définit par voie décrétale.

a. Le domaine public maritime

Comprend plusieurs éléments (rades, baies…). Les choses sont différentes avec le rivage parce qu’il bouge en fonction du changement du niveau de la mer. Selon l’article 2111-4, le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre, en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Dès lors qu’un terrain est mouillé par les plus hauts flots, il tombe dans le domaine public maritime naturel. Et ainsi il est automatiquement transféré dans le patrimoine de l’Etat.

On découvre là que le phénomène naturel n’a pas seulement pour effet d’étendre le domaine public mais aussi la propriété publique et ce sans la moindre indemnisation.

b. Le domaine public fluvial

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Il faut distinguer les rivières et les berges.

Les rivières :Depuis que l’appartenance d’une rivière ou d’un fleuve au domaine fluvial résulte de son inscription sur une liste établie par décret, peu importe la configuration, la navigabilité, la flottabilité du courant d’eau. Les phénomènes naturels n’ont plus d’effet.

Les bergesCela n’est pas vrai pour les berges : si les cours d’eau appartiennent au domaine public alors ces berges appartiennent au domaine public mais seulement à hauteur des plus hautes crues de la rivière en dehors des inondations exceptionnelles. Et on voit là que les phénomènes naturels influent sur le champ de la domanialité publique fluviale. Si la berge devient élément du domaine public, elle tombe dans le patrimoine de la personne publique.

2. L’incorporation au domaine public légal artificiel

Dès lors que l’administration construit un bien qui correspond à la définition du domaine public légal artificiel, ce bien tombe sous le régime de la domanialité publique. Si l’administration construit une route, elle tombe dans le domaine public. = Une automaticité similaire.

Toutefois l’administration n’est pas entièrement liée. C’est ainsi qu’elle peut très bien construire une route sans l’ouvrir à la circulation publique et dans ce cas là elle ne tombera pas dans le domaine public routier. Ex : routes tracées dans les forêts, destinées à l’exploitation des forêts. Elles tombent dans le domaine privé.

Différence avec le domaine public naturel car l’administration ne maîtrise pas la hauteur des vagues ou des crues.

B. L’incorporation au domaine public administratif

Dans ce cas là, les choses sont inversées. Un bien ne peut pas tomber dans le domaine public par la seule volonté de l’administration. Il faut absolument que le bien soit effectivement, matériellement affecté soit à un SP soit à l’usage direct du public. Et ce sera à l’administration de démontrer la réalité de cette affectation si un contentieux naît.

Et on comprend ce renversement de la charge de la preuve : l’appartenance à ce domaine public adminsitratif n’a pas été voulu par le législateur, c’est l’administration qui en décide. Or, la domanialité publique limite les droits des administrés et il est donc normal que ce soit à l’administration de démontrer la réalité.

L’administration propriétaire du bien peut confier la gestion de son bien à une autre personne publique. C’est ainsi qu’une commune peut ou doit mettre ses biens à disposition de l’EPCI auquel elle a adhéré et dans ce cas là, ce sera l’EPCI qui décidera de l’affectation des biens qui pourtant appartiennent à la commune.

Situations étonnantes où la commune confie à l’EPCI un bien qui appartenait à son domaine privé et l’EPCI incorpore le bien dans le domaine public sans en avertir l’EPCI et le bien est devenu inaliénable en raison du gestionnaire et non du propriétaire.

Or, un grand nombre de communes françaises appartiennent à des EPCI.

CE, 10 octobre 2007, Communauté Urbaine de Lyon

Nous venons de voir qu’il n’y a pas de domaine public sans affectation. En revanche, l’acte de déclassement n’est pas indispensable.

2§ Le classement

L’article L.2111-3 dit clairement que l’acte de classement est purement déclaratif, il ne fait qu’expliquer une situation de fait, l’appartenance du bien au domaine public. Ce caractère déclaratif vaut aussi bien pour l’acte de classement stricto sensu que pour l’acte de délimitation du domaine public. L’acte de délimitation est fréquemment présenté comme un acte distinct de celui de classement. En réalité c’est la même chose mais concernant des biens spécifiques.

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A. L’acte de classement

Acte qui est à la charge de l’adminsitration. Elle n’est pas obligée de le prendre mais quand elle le prend elle doit le faire légalement. L’acte de classement n’est légal que si il correspond à la réalité de l’administration. Il serait trop simple que l’adminsitration classe un bien qui n’en relève pas afin de le rendre imprescriptible et inaliénable.

Malgré son caractère déclaratif il peut faire l‘objet d’un REP.

L’acte de classement est un acte officiellement inutile et pourtant susceptible de faire griefs. Il n’y a pas de véritable contradiction. En fait, l’acte de classement est inutile concernant la domanialité publique réelle du bien mais l’acte de classement peut avoir des effets sur le comportement des administrés. L’administration n’est pas toujours au fait des règles quant à l’appartenance d’un bien au domaine public et l’administré a plutôt tendance à se fier aux actes de classement qu’à la réalité de l’affectation. Si l’acte est faux, les administrés ont tendance à s’y fier, l’administration peut porter attente aux droits des administrés d’où REP.

Il y a des procédures à suivre pour le prendre qui varient selon les domaines et la compétence.

Cet acte de classement est donc déclaratif. Il n’a pas d’effet sur la propriété des administrations. Il n’a même pas d’effet sur la domanialité publique du bien. Ce qui fait que c’est un acte qui n’a ni un caractère réglementaire, ni un caractère individuel : c’est un acte d’espèce.

Du coup, l’invocation par voie d’exception de son illégalité est enfermée dans le délai contentieux. On peut invoquer par voie d’exception son illégalité, que tant que cet acte est susceptible de contestation par REP. Pourquoi cette restriction pour la voie d’exception ? Parce que cet acte ne sert à rien. Donc il n’est pas utile d’invoquer son illégalité de manière infinie.

B. L’acte de délimitation

A pour objet de préciser les limites d’une parcelle relevant du domaine public et c’est ainsi que l’administration délimite l’enceinte des ports ou les limites du rivage. Mais en délimitant le domaine public, elle affirme que ce qui se trouve à l’intérieur est bien classé dans le domaine. Ainsi la délimitation est une forme de classement.

Cet acte concerne toutes les dépendances du domaine public étendues dans l’espace. Ce n’est donc pas un hasard si on en trouve dans le domaine public maritime, routier, ferroviaire.

Domaine public maritime : la délimitation aujourd’hui est devenue payante. Depuis 2004, les propriétaires riverains du domaine public doivent payer pour obtenir de l’administration qu’elle délimite le domaine public maritime. Si ils paient, l’administration doit procéder à la délimitation. Il est étonnant que les propriétaires doivent payer pour connaître les limites de leur propre propriété. Cela date de 2004.

3§ La délimitation

La délimitation du domaine public a pour objet d’indiquer les limites géographiques du domaine public. Elle ressemble au classement. La délimitation du domaine public concerne donc les dépendances du domaine public étendu. Cette délimitation concerne des domaines comme le domaine public maritime, routier, ferroviaire ou encore le domaine public fluvial. Le domaine public mobilier n’est pas concerné par la délimitation. Cet acte de délimitation, comme l’acte de classement est recognitif   : il ne crée aucun droit acquis en faveur des administrés. Cela surprend fréquemment les riverains. Cet acte de délimitation varie selon que le domaine est naturel ou artificiel.

A. La délimitation du domaine public naturel

Ce domaine public naturel comprend 2 éléments :- le domaine public maritime - le domaine public fluvial

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Les 2 suivent à peu près les mêmes règles. Toutefois les conditions de la domanialité publique imposées en matière fluviale engendre des spécificités en matière de délimitation

1. La délimitation du domaine public maritime

Cette délimitation constitue un droit pour les riverains car grâce à cette délimitation les riverains pourront connaître exactement les limites et du domaine public maritime et en conséquence, de leur propre propriété. Et ils ne peuvent pas construire quoi que ce soit sur leur propre domaine si ils ne connaissent pas les limites du domaine public maritime car ils prendraient le risque d’une construction illégale et pénalement sanctionnée.

Cette délimitation est de droit mais elle est devenue payante. En 2004, le gouvernement a pris un décret rendant payante la délimitation du domaine public maritime. Il s’agit de faire faire des économies à l’Etat, seul compétent pour assurer cette délimitation. Or, cette délimitation est coûteuse car pour déterminer où s’arrête le rivage, ce que constituent des lais ou relais, déterminer où commence une rade, il faut procéder à des enquêtes de terrain mettant en œuvre plusieurs techniques (de géométrie, d’histoire…). Or, aujourd’hui l’Etat est pauvre : le meilleur moyen est de faire payer les principaux intéressés. D’autant plus que la plupart du temps, les particuliers se rendent compte que le domaine public s’est agrandi à leur détriment. Le décret de 2004 n’a pas été contesté, on pourrait en demander malgré tout l’abrogation.

Cette délimitation du domaine public n’est pas une garantie pour les riverains que ce domaine ne bougera pas. La délimitation du domaine ne vaut que pour le moment où elle a été fixée et cet acte de délimitation ne crée pas des droits acquis au bénéfice des riverains. Cet acte n’empêche pas les vagues de poursuivre leur avancée et d’empiéter de nouveau et plus encore sur la propriété privée des riverains de la mer. C’est ainsi que faisant confiance à des actes de délimitation, des particuliers ont construit sur ce qu’ils croyaient être leur propriété. Ces particuliers ne peuvent même pas invoquer leur permis de construire parce que si l’administration délivre un permis de construire et qu’on découvre que ce mur a été construit sur le domaine public, le permis de construire ne constitue pas une excuse pour le particulier. Le particulier a commis une contravention de grande voierie et en plus il encourt une amende pénale.

L’acte de délimitation est très utile mais son utilité est limitée dans le temps.

Cet acte de délimitation peut provoquer d’autres mauvaises surprises. Lors de cette procédure, le particulier peut découvrir que ce qu’il croyait être son bien relève dorénavant du domaine public maritime et alors son bien tombe dans le patrimoine de l’Etat. Du coup, si le particulier conteste l’acte, il conteste les limites de la domanialité et les limites de la propriété de l’Etat. Il peut contester de 2 façons cette délimitation :

- par recours contre l’acte - procédure en revendication de propriété

Tout relève du JA et non pas du JJ. Cette contestation cependant est limitée dans le temps. La particulier ne peut contester cette délimitation que dans un délai de 10 ans à compter de l’acte. La prescription est seulement décennale. Et si il n’a pas contesté, il perd sa propriété.

2. La délimitation du domaine public fluvial

Celle-ci concerne essentiellement les berges des rivières, des fleuves et des grands lacs. En effet, en eux-mêmes les cours d’eau relèvent du domaine public si ils sont inscrits sur une liste établie par décret. Donc il n’y a pas besoin de délimiter el cours d’eau. En revanche, se pose la question de l’appartenance des berges de ces cours d’eau au domaine public. Et là, la délimitation est importante. Elle se fait en fonction du niveau d’eau de la rivière. L’administration établie la limite de la berge en se fondant sur le plus haut niveau des eaux, avant que celles-ci ne débordent de façon exceptionnelle. Là encore une enquête publique est nécessaire avant que l’administration ne fixe ses limites. Lors de l’enquête publique, toutes les personnes concernées sont invitées à donner leur avis sur les limites. Or, cette délimitation repose sur des indices (histoire, analyse de terrain, vie des gens…) et on peut découvrir que notre voisin explique à l’administration que le domaine public s’étend beaucoup plus loin qu’on ne le pense. Cet acte n’est pas créateur de droit, ce n’est pas une garantie et l’administration peut le retirer à tout moment.

B. La délimitation du domaine public artificiel

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Il existe à peu près autant de procédures de délimitation du domaine public artificiel qu’il y a de domaines de ce type. Procédure particulière pour le domaine public ferroviaire, routier, aéroportuaire. Il n’y a pas de régime général.

En revanche, il existe une règle commune : la délimitation du dom public artificiel s’effectue toujours sous réserve des droits des tiers. Cela signifie que la procédure de délimitation ne peut pas priver les tiers des droits qu’ils ont régulièrement acquis sur les terrains concernés. A la différence de la délimitation du domaine public naturel qui étend la propriété publique en même temps que la domanialité publique, la délimitation du domaine artificiel n’étend pas la propriété publique. C’est le principe qui joue en matière de domaine public ferroviaire, aéroportuaire…. Toutefois, les choses sont différentes en matière de domaine public routier.

La délimitation du domaine public routier à titre d’exemple

Cette procédure est la procédure d’alignement. Elle date d’un édit d’Henri IV de décembre 1607. Procédure L.112-1 et sqq dans le Code de la voirie routière.

Cette procédure prend 2 formes : - soit l’administration adopte un plan d’alignement - soit elle se contente de délivrer des arrêtés individuels d’alignement

Quand l’administration se contente de délivrer des arrêtés individuels d’alignement, ces arrêtés n’ont comme objet et comme effet que de constater la limite du domaine public routier au droit des propriétés contiguës, c'est-à-dire que l’acte établit la limite entre le domaine public routier et la propriété privée qui jouxte ce domaine public routier. L’arrêt individuel d’alignement ne peut pas étendre les limites du domaine public routier.

Cet arrêté d’alignement est indispensable pour tous les particuliers qui veulent construire en bordure du domaine public routier. Leur permis de construire ne suffit pas, ils doivent en plus détenir un arrêté individuel d’alignement pour savoir jusqu’où ils peuvent construire. La délivrance d’un tel acte constitue un droit pour le particulier, si l’administration refuse elle commet une faute et engage sa responsabilité.

L’administration peut aussi adopter des plans d’alignement. L’adoption d’un plan d’alignement constitue parfois même une obligation. Quels sont les propriétaires du domaine public routier ? L’Etat, les départements, les communes. L’Etat et les départements ont la faculté d’adopter des plans d’alignement mais pas d’obligation. En revanche, les communes doivent impérativement adopter de tels plans. Et c’est sur la base de ces plans que seront délivrés les arrêtés d’alignement qui constitueront alors des actes d’application des plans d’alignement. On pourra alors excipé de l’illégalité du plan lors de la contestation du plan par REP.

L’intérêt d’adopter un plan d’alignement est qu’il permet d’étendre le champ du domaine public routier. Le plan d’alignement n’a pas pour effet seulement d’indiquer les limites actuelles du domaine public routier, il permet à l’administration d’élargir les voies publiques ou de les redresser même si pour cela, cela implique des empiètements sur les propriétés privées continues. Du coup, le plan d’alignement opère un transfert de propriété qui intervient à compter de la publication de ce plan qui est adopté après une enquête publique.

Le transfert de propriété résulte de la publication du plan. Seulement, le JJ n’a pas à intervenir pour opérer au transfert de propriété, comme en matière d’expropriation.

L’élargissement de la voie par le plan d’alignement n’est possible qu’à condition que cet élargissement reste raisonnable. Si l’empiétement sur les propriétés contiguës revêt une grande importance, à ce moment là, le plan devient illégal.

La publication de ce plan s’il est régulier (enquête publique, pas une perte de propriété trop importante…) opère un transfert de propriété. Ce transfert va toutefois varier en fonction du type de bien concerné :

- il y a les biens bâtis et/ou clos de murs- les terrains nus

Le terrain de Mme X est nu. Dès lors à compter du jour même de la publication du plan publié, la bande de terrain nécessaire à l’élargissement de la voie publique tombe immédiatement dans le dom public routier et donc dans le patrimoine de la personne publique.

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En revanche, le terrain de Mr Dupont est clos de murs, dans ce cas là la publication du plan n’a pas pour effet de faire tomber la bande de terrain immédiatement dans le domaine public routier. Elle n’y tombera que le jour où le terrain deviendra nu, c'est-à-dire le jour où le mur sera détruit. Ce jour là, il obtiendra une indemnité calculée en fonction de la valeur d’un terrain nu.

La porte d’entrée de Mr Marcel est à la limite du trottoir. Il verra sa propriété tomber dans le domaine public routier au jour où le mur s’effondra.

La publication du plan implique automatiquement une servitude de reculement qui vise à faire en sorte que la propriété privée recule par rapport au domaine public routier. Elle interdit au propriétaire du terrain d’entretenir leur immeuble. Ainsi, à un moment ou à un autre, le mur s’effondrera. Le maire peut prendre un arrêté de péril. Pour Monsieur Dupont, ce n’est pas grave mais lorsque le mur de Mr Marcel s’effondrera cela emportera la destruction de tout le bâtiment et pourtant il sera indemnisé que sur la valeur d’un terrain nu.

On pourrait imaginer qu’il y a une rupture d’égalité. Elle n’est pas si évidente que cela. Mme X a perdu sa propriété immédiatement. Et Mr Marcel a pu pendant un bon nombre d’années profiter de son patrimoine qui compense l’indemnisation. Il n’est pas loin de violer l’article 1 du protocole 1 de la CEDH parce que l’administration profite malgré tout de la servitude imposée. L’administration bénéficie économiquement de servitude de droit public qu’elle instaure sur des propriétés privées. Il n’est pas certain que la CEDH verrait cela d’un bon œil. Le conseil constitutionnel a affirmé que cette procédure était d’ailleurs plutôt contraire à la constitution.

Si la construction est très solide et que l’administration est pressée, elle ne peut procéder à la procédure d’alignement mais celle d’expropriation et ce sera plus coûteux car elle devra indemniser monsieur Marcel sur la valeur de son terrain construit.

Section 2 : La sortie du domaine public

Un bien entre plus facilement dans le domaine public qu’il n’en sort, le but étant de s’assurer qu’un bien ne soit pas distrait de son affectation à l’IG de manière illégitime. Il existe en effet une présomption que ce bien continue à être indispensable à l’IG. C’est seulement si l’administration prend la peine de respecter une procédure lourde que le bien tombe ans le domaine privé. L.2141-1 du CG3P : « un bien d’une personne publique, mentionnée à l’article L.1, qui n’est plus affecté à un SP ou à l’usage direct du public ne fait plus parti du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement ». Cet article pose donc 2 conditions cumulatives pour qu’un bien sorte du domaine public :

- le bien doit être désaffecté - le bien doit être déclassé

Si il manque l’une des 2 conditions, le bien reste dans le domaine public.

1§ La désaffectation

Cette désaffectation consiste à soustraire un bien de son affectation à un SP ou à un usage direct du public. La chose paraît simple mais encore faut il qu’elle soit possible. On découvre une nouvelle fois la distinction entre le domaine public artificiel et naturel.

I. La désaffectation d’un bien du domaine public artificiel

Un bien tombe dans le domaine public artificiel parce que l’homme l’a construit, affecté et aménagé pour qu’il serve soit à un SP soit à l’usage direct du public. Ce que fait l’homme, il peut le défaire. Dès lors tout bien du domaine public artificiel peut être désaffecté. Cela est vrai pour le domaine public administratif cela est vrai aussi pour le domaine public artificiel légal. Il suffit par exemple d’affirmer qu’une route ne servira plus à desservir un quartier pour que cette route soit désaffectée.

Cette procédure de désaffectation varie en fonction des types de domaines. Normalement la désaffection relève du gestionnaire et non pas du propriétaire. Si il y a une dissociation entre la propriété et la gestion du bien, la désaffectation relève du gestionnaire tout simplement parce que c’est lui qui sait à quoi sert le bien et qui détermine si il est encore utile à l’IG. Il existe des cas particuliers où les gestionnaires doit demander l’avis ou l’autorisation du propriétaire, il doit parfois solliciter des commissions administratives (ex : protection du patrimoine national).

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Certains biens ne peuvent pas être désaffectés par l’administration. Par exemple, les Eglises ne peuvent être désaffectés, quand elles sont encore utilisées, que par le législateur. Il faut distinguer entre l’église qui pourrait encore accueillir du public mais qui n’est plus fréquenté : la procédure relève du gouvernement ; et l’Eglise qui accueille le public qui ne peut voir une désaffectation que par la loi. Ce contrôle peut faire l’objet d’une intervention du juge : si REP contre la décision de désaffectation mais ce contrôle se limite à l’erreur manifeste d’appréciation. SAUF si les administrés arrivent à démontrer qu’ils ont un droit, une liberté fondamentale à faire valoir et que la désaffectation nuit gravement à cette liberté. CE Comité Somport, 2000 : comité qui contestait la désaffectation d’une ligne chemin de fer. Remise en cause de la liberté d’aller et de venir. A contrario le CE laisse entendre que si il y avait bien eu atteinte, son contrôle aurait été plus poussé, le juge aurait exercé un contrôle entier.

II. La désaffectation du domaine public naturel

Il faut ici encore une fois distinguer entre le domaine public maritime et le domaine public fluvial.

A. Le domaine public maritime

Concernant le domaine public maritime naturel, la règle est que la désaffectation est en principe impossible et interdite sauf si le législateur en décide autrement. Pourquoi ? Cela résulte de la définition même du domaine public naturel. Le législateur affirme que tout rivage, relais, fonds de la mer relève du domaine public maritime. Dès lors puisque la loi ne prévoit pas de procédure de désaffectation, elle ne peut pas avoir lieu.

Et pourtant, il suffit de se promener sur n’importe quel littoral de France pour constater que fréquemment afin de permettre le touriste de garer sa voiture, les municipalités ont cherché à construire des parkings sur les lais ou relais voire sur le rivage. On constate que des parcelles du domaine public maritime ont été fréquemment soustraites à ce domaine pour tomber dans le domaine public routier. Le CE quand il était saisi d’affaires concernant le domaine public routier, n’a jamais vu ce problème.

Bémol : En 1986, les socialistes ont adopté une loi visant à protéger le littoral. Ce gouvernement socialiste n’était pas totalement obtus et avait pris conscience des ces illégalités. Ils ont accepté que l’on puisse construire des routes quitte à ce que cela empiète sur le domaine maritime. La loi de 1986 autorise la constitution de voies publiques à une seule condition : qu’aucun autre espace ne se prête à la construction de telles voies. L’administration a l’obligation d‘opter pour la solution la moins attentatoire possible au domaine public maritime. Malgré cette loi de 1986, les constructions de parking restent illégales.

B. Le domaine public fluvial

Pour le domaine public fluvial les choses sont différentes puisque les cours d’eau appartiennent au domaine public fluvial dès lors qu’ils sont mentionnés sur une liste établie par décret. Dès lors, il suffit que le gouvernement supprime la mention concernant tel ou tel cours d’eau pour que cette rayure emporte automatiquement déclassement et désaffectation du cours d’eau. La désaffectation du cours d’eau ne dépend pas de sa navigabilité, il suffit que le gouvernement décide de manière discrétionnaire, pour que celui-ci tombe dans le domaine privé.

Et la désaffectation des cours d’eau emporte automatiquement la désaffectation/déclassement des berges suivants le même régime que le cours d’eau.

2§ Le déclassement

Le déclassement est l’acte juridique par lequel l’administration affirme qu’un bien ne relève plus du domaine public. Le déclassement ne doit pas être confondu avec les désaffectations. Il n’est que l’affirmation de la réalité de la désaffectation et l’acte par lequel l’administration opère le transfert du bien du domaine publique vers le domaine privé. La désaffectation est donc matérielle, le déclassement est formel.

Si un bien est désaffecté, sans être déclassé, le bien reste dans le domaine public. Il faut donc que le déclassement et la désaffectation soient concomitants pour que le bien sorte effectivement du domaine public. Cette concomitance n’est pas toujours aisée à réaliser et l’administration avait pendant longtemps rencontré des difficultés à faire sortir ces biens.

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L’acte de déclassement est une condition cumulative qui doit accompagner la désaffectation.

I. L’acte de déclassement

A. La nature de l’acte

Cet acte est évidemment nécessaire ce qui signifie qu’il n’est pas présupposé par le juge lorsque celui-ci doit connaître du statut d’un bien du domaine public. Il y a quelques exceptions.

Cet acte ensuite est recognitif c'est-à-dire qu’il ne fait que constater la réalité de la désaffectation. Mais cette qualité purement déclaratoire doit être effective sinon l’acte de déclassement ne vaut rien. Il doit donc traduire la désaffectation. Affaire Michaud du 22 avril 1977 : la ville de Lyon avait décidé de fermer les halles qu’elle possédait et d’en construire des nouvelles, plus modernes, plus propres et donc plus à même de satisfaire le SP de la salubrité. Question du sort des occupants de la halle. Mr Michaud était un commerçant utilisant la halle. L’administration lui avait fait une offre pour s’installer dans les nouvelles halles. Mr Michaud voulait un meilleur emplacement et obtenir des indemnités pour son éviction de la halle. Pour trancher le débat, il a fallu que le juge se prononce sur le statut de la nouvelle halle. Le Conseil municipal de la ville de Lyon avait pris un acte de déclassement de la nouvelle halle en affirmant qu’elle ferait partie de son domaine privé. Le CE a balayé cette délibération en disant que cet acte de déclassement ne produisait aucun effet et que le bien restait dans le domaine public, tout simplement parce qu’elle était affectée à un SP. Dès lors puisque l’affectation perdurait, l’acte de déclassement ne répondait à aucune réalité.

On touche ici aux conditions de la légalité de l’acte de déclassement.

B. Les conditions de légalité du déclassement

Outre cette exigence de fond, se posent les problèmes traditionnels de compétence et de procédure.

La compétence en matière de déclassement reprend dans une certaine mesure la règle du parallélisme des formes et des procédures. Cela signifie que peut procéder au déclassement l’autorité qui a décidé le classement. Toutefois, le CE a compliqué les choses en affirmant simultanément que le déclassement peut aussi être l’œuvre du gestionnaire du domaine public. Ou du propriétaire du domaine public. Bref, si on s’en tient à la jurisprudence, l’état du droit ressemble à un véritable chaos.

Heureusement le législateur et le pouvoir réglementaire viennent établir des règles de droit claires et certaines qui varient en fonction des domaines. C’est ainsi qu’en matière de déclassement des voies publiques communales, le code de la voierie routière prévoit que c’est le conseil municipal qui est compétent.

Concernant la procédure, et là encore on retrouve en principe le parallélisme des règles et des procédures, à ceci près que les textes compliquent la sortie. Ainsi, en matière de biens culturels, un bien entre dans le domaine public culturel dès qu’il est affecté à ce SP. En revanche pour en sortir, il doit faire l’objet d’un avis favorable d’une commission scientifique.

Concernant la forme, l’acte de déclassement doit être express. Il doit exister véritablement et le juge est d’autant plus certain que cet acte existe si il est express. Autrement dit, l’acte de déclassement ne doit pas être implicite. Toutefois, il arrive que le juge de temps en temps se montre plus souple avec l’administration. C’est ainsi que le CE a assimilé à un acte de déclassement, la décision d’un Ministère de remettre son bien au service France Domaine afin que celui-ci le vende ou l’affecte à un autre Ministère. Le raisonnement du CE est relativement simple voire pragmatique : si l’administration se défait d’un bien c’est qu’elle n’en a plus besoin. Une telle jurisprudence est relativement rare et ne devrait pas se développer parce que c’est le début de remise en cause de la nécessité de l’acte de déclassement et on ne saura jamais quel est l’état du droit réel. Il faut plutôt encourager le juge et l’administration à exiger des actes de déclassement express.

Les droits des tiersLorsque l’administration déclasse un bien, les textes prévoient souvent que celui-ci s’effectue sous réserve du droit des tiers et notamment des riverains. C’est ainsi que l’administration peut déclasser une voie publique mais ce déclassement ne doit pas priver les riverains de leur aisance de voierie. Et parmi les aisances de voierie, il y a celle d’écoulement des eaux et aussi celle d’accès à la propriété. Il ne faudrait pas que la transformation d’une voie publique ait pour conséquence de priver les propriétaires d’accéder à leurs biens, par exemple.

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Lorsque l’administration déclasser une voie publique, elle doit faire attention que les titulaires conservent la faculté d’accéder à leur bien. Elle peut toutefois le faire, mais l’administration doit indemniser les titulaires.

Il ne faut pas que la suppression rende l’immeuble totalement inaccessible car l’administration doit alors aussi indemniser la perte de l’utilité de l’immeuble.

C. Les conséquences du déclassement

La 1ère conséquence du déclassement correspondant à la désaffectation est que le bien sort du domaine public pour tomber dans le domaine privé et donc il devient aliénable et prescriptible.

Le déclassement laisse malgré tout en état les relations contractuelles que l’administration avait nouées avec des tiers à propos de son domaine. Ainsi si l’administration a accordé une autorisation contractuelle d’occuper le dom public à un administré, le fait que le domaine public cède le pas au domaine privé ne transforme pas le contrat d’occupation du domaine public qui a une nature administrative en un contrat de droit public. = Cela ne change pas la nature des contrats administratifs conclus avant le déclassement. Du coup, on découvre une nouvelle catégorie de contrats administratifs sur le domaine privée : contrats administratifs quelque soit leur clause ou leur participation au SP. On veut préserver la sécurité juridique des parties.

La grande difficulté du déclassement est que celui-ci est légal à la condition de correspondre à la réalité de la désaffectation. Et l’administration a bien souvent du mal à prendre simultanément un acte de désaffectation et un acte de déclassement. Si l’acte de déclassement est antérieur à l’acte de désaffectation il est par définition illégale car il ne correspond pas à la désaffectation. Cela a gêné la gestion du domaine public d’où des aménagements dans le CG3P.

II. Les aménagements

Ces aménagements prennent 2 formes : - ceux visant à autoriser des déclassements anticipés - le code prévoit un déclassement en vue d’un échange du domaine public

A. Le déclassement anticipé

Il est prévu à l’article L.2141-2 du CG3P. Les dispositions de cet article sont claires et se suffisent à elles mêmes. « Le déclassement d’un immeuble appartenant au domaine public artificiel de l’Etat ou de ses EP et affecté à un SP peut être prononcé dès que sa désaffectation a été décidée, alors même que les nécessités du SP justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un délai fixé par l’acte de déclassement »

Cette jolie phrase permet donc à l’administration de désaffecter un bien alors même qu’il serait toujours matériellement affecté à un SP. Grâce à ce déclassement, le bien tombe dans le domaine privé et l’administration peut donc céder ce bien puisque le domaine privé n’est pas inaliénable. Cette disposition a été adoptée afin d’accélérer les transactions voulues par le gouvernement.

Toutefois des conditions s’imposent : - Il faut qu’une décision de désaffectation ait été adoptée. La décision est adoptée mais la réalisation de la

désaffectation viendra plus tard, au plus tard dans le délai fixé par l’acte de déclassement. - Seuls les biens du domaine public de l’Etat et de ses EP peuvent faire l’objet de ces déclassements anticipés.

Cela exclut le domaine public des CT. - Parmi les éléments du domaine public étatique, seul le domaine public affecté à un SP peut faire l’objet d’un

tel déclassement anticipé. Cela exclut le domaine public naturel (fluvial et maritime). - Il faut que la désaffectation survienne dans un délai maximal de 3 ans. Si au terme de ces 3 ans, la

désaffectation n’a pas eu lieu, le bien retombe dans le domaine public. Mais que se passe –t-il si l’administration a vendu entre temps le bien ? Si l’administration décide de vendre un bien déclassé de façon anticipée, l’acte de vente doit contenir des clauses prévoyant la résiliation de la vente si la désaffectation n’a pas eu lieu dans le délai imparti. Ces clauses sont obligatoires. Si elles ne sont pas prévues, la vente est nulle. Le Code ne prévoit pas malgré tout le sort financier réservé à l’acheteur. Cela constituerait un enrichissement sans cause de l’administration et on peut imaginer que l’acheteur sera indemnisé sur le fondement de la théorie de l’enrichissement sans cause à moins que le contrat de vente prévoit la résolution de ce problème.

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B. Le déclassement en vue d’un échange

Article L.2141- 3 et 3112-12 du CG3P.

Synthèse de ces 2 articles : l’administration peut déclasser un bien pourtant affecté à un SP en vue de l’échanger contre le bien qui l’intéresse pour mieux assurer le dit SP contre un bien appartenant soit à une personne privée soit à une autre personnes publique même si ce bien relève de son domaine privé. L’administration cède un bien qui est pourtant encore affecté au SP mais contre un autre bien qui lui permettra de mieux accomplir sa mission de SP. Les textes imposent à l’administration des précautions. Celle-ci dans l’acte d’échange doit s’engager à affecter le bien recueilli au SP, afin d’éviter des détournements de procédure. Les textes ne sont pas assez sévères en la matière…

Nous allons maintenant voir comment le bien est protégé dans le domaine public.

Chapitre 3   : La protection du domaine public

La protection du domaine public connaît quelques règles spécifiques qui viennent s’ajouter aux règles de droit public et qui concernent l’ensemble des droits publics. Il est protégé par le principe de la prohibition des cessions à vil prix, par l’inaliénabilité… Mais le domaine public est tout particulièrement affecté à l’IG ce qui justifie des protections renforcées.

Ces protections renforcées prennent 2 formes : il y a une protection préventive du domaine public et une protection répressive du domaine public

Section 1 : La protection préventive du domaine public

Cette protection préventive du domaine public qui vise à éviter que l’affectation du domaine public et son intégrité soient altérés par les tiers prend elle-même 2 formes :

- le domaine public échappe aux servitudes - le domaine public peut être protégé par la police administrative

1§ Les servitudes et le domaine public

Le domaine public échappe par principe aux servitudes car les servitudes pourraient gêner la libre disposition par l’administration de ses biens du domaine public. Ces servitudes pourraient l’empêcher d’affecter comme elle l’entend ses biens du domaine public. Donc le domaine public échappe aux servitudes. Mais le domaine public parfois est la sources de servitude au détriment des biens qui l’entourent, afin que son affectation soit réservée.

I. La protection du domaine public contre les servitudes

Il existe en droit français, 2 types de servitude : - des servitudes administratives - des servitudes de droit privé

Et par principe, le domaine public échappe à ces 2 catégories de servitudes. Toutefois ces principes connaissent des aménagements différents.

A. Les servitudes administratives

Servitudes administrative : ce sont des charges pesantes sur les propriétés et instaurées dans l’IG. Ces servitudes limitent l’utilisation du bien. Or, comme le domaine public est inaliénable, l’usufruit de l’administration ne

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peut pas être limité par une servitude administrative. C’est pourquoi en application du principe d’inaliénabilité du domaine public ce dernier échappe aux servitudes administratives même imposées par le législateur ou l’administration.

C’est ainsi que les occupants d’un immeuble du domaine public peuvent être expulsés en plein hiver. Servitude à la charge des bailleurs que de ne pas expulser en hiver.

Toutefois, il faut apporter 2 bémols à cette exclusion de principe : Les aisances de voierie  : constituent des droits au bénéfice des riverains des voies publiques. Ces

droits constituent des charges pesant sur le domaine public routier. Elles correspondent donc à des servitudes mais la dérogation au principe énoncé ne doit pas être surestimée. Ces charges sont en réalité consubstantielles à l’existence même du domaine public routier. Certes, les aisances de voierie pèsent sur le domaine public routier mais sans l’existence de ces charges le domaine public routier n’aurait plus de raison d’être

Les servitudes d’urbanisme  : Arrêt Schwetzoff du 30mars 1973. Dans cette affaire, le CE a rendu un arrêt qui laissait entendre que le domaine public échappe à toutes les prescriptions d’urbanisme. On avait interprété cet arrêt dans le sens suivant : les communes ne pouvaient pas adopter des plans d’occuper des sols imposant des prescriptions au domaine public quelque soit son propriétaire. Par exemple un plan d’occupation des sols ne pouvait pas indiquer que telle dépendance du domaine public serait inconstructible. L’administration devait conserver l’entière disposition de ses dépendances.

Les choses ont évolué de façon claire en 2000. Arrêt du 28 juillet 2000, Porte autonome de Nantes Saint-Nazaire. Dorénavant, un plan local d’urbanisme peut concerner tout le territoire d’une commune même si sur ce territoire se trouvent des dépendances du domaine public. Le PLU n’est illégal que si il assujettit les parcelles du domaine public à des règles incompatibles à son affectation. Le PLU : fixe les règles de constructibilité et de destination des terrains se trouvant sur une commune. C’est ainsi qu’une commune peut décider que tel terrain sera constructible que tel autre ne le sera pas… que dans tel quartier se sera plutôt des bâtiments à usage industriel…Le PLU permet à la commune de décider de son urbanisation. Le fait d’interdire la construction sur un terrain constitue une servitude administrative qui pèse sur le propriétaire du terrain. Avec la jurisprudence 2000, le CE affirme que la commune peut établir son PLU sans exclure de celui-ci les dépendances du domaine public. Cela évite que le PLU ressemble à un gruyère. En 2000, le CE dit que le PLU peut fixer les règles comme il l’entend, sans se poser la question de l’existence du domaine public avec un bémol : il ne faut pas que les règles applicables dans les zones soient totalement incompatibles avec l’affectation du domaine public. A ceci près que un PLU ne peut pas prévoir une réserve foncière qui affecterait une dépendance du domaine public. En effet, ces réserves sont des zones que l’administration locale peut acheter de façon contraignante, unilatérale. Or, le domaine public est inaliénable donc l’administration locale ne peut pas instaurer une réserve qui a pour objet d’acheter le bien puisque le domaine public est inaliénable.

B. Les servitudes de droit privé

Les servitudes de droit privé constituent des droits réels. Une servitude de droit privé pèse sur un fonds dit « servant » au profit d’un « fonds dominant ». Ces servitudes peuvent être de passage, d’écoulement des eaux… Certaines ont une origine légale, d’autres résultent de contrats. Ces droits réels sont attachés à la terre quelque soit le propriétaire de l’immeuble. Ces servitudes en tant que droits réels, constituent des démembrements de la propriété du fonds servant ; puisque le terrain qui subit la servitude ne connaît plus l’entière propriété.

Règle : Les servitudes de droit privé sont prohibées sur le domaine public.

Cette règle connaît toutefois des aménagements de plus en plus importants.

Toute d’abord, les servitudes légales nées avant l’incorporation du bien sur le domaine public survivent à cette incorporation. Donc si un bien du domaine privé était grevé de servitudes, elles survivent au fait que cette dépendance du domaine privé tombe dans le domaine public. Elles ne survivent qu’à la condition d’être compatibles avec l’affectation du domaine. Si la servitude n’est pas compatible, elle disparaît mais l’administration doit indemniser son titulaire.

En revanche, les servitudes conventionnelles et non plus légales ne survivent pas à l’incorporation. Telle était la jurisprudence. Toutefois les choses ont peut être changé car le CG3P autorise l’instauration de servitudes conventionnelles nouvelles sur le domaine public. L. 2122-4 du CGPPP. Selon cet article, des servitudes établies par

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convention, passées entre les propriétaires peuvent grever les biens de l’Etat, des CT et de leurs EP qui relèvent du domaine public dans la mesure (et seulement) où leur existence est compatible avec l’affectation des biens grevés. Donc le législateur a prévu la possibilité de déroger au principe d’inaliénabilité en autorisant l’administration, propriétaire du domaine à accepter la constitution de servitudes sur son domaine public au profit de tiers. Ce sont des servitudes conventionnelles, passées selon l’article 639 du Code civil. Certains ont affirmé que ces servitudes sont de droit purement privé. C’est la position peu ou prou défendue par certains auteurs. En réalité, ces servitudes, même si elles renvoient au Code civil, restent des servitudes de droit public. Elles sont donc précaires et l’administration peut les retirer. Elle devra indemniser le retrait de ces servitudes mais il n’en reste pas moins que ces servitudes affectent le dom public. Or, toute occupation du domaine public relève du JA qui n’applique que le droit administratif ; donc il s’agit de servitudes soumises au droit administratif (servitudes précaires et révocables).

Intérêt de ces mécanismes : cela va permettre à l’administration de réaliser des projets immobiliers complexes, plus facilement. Evidemment si la servitude est précaire se pose la question de l’efficacité : reste efficace à la condition que le contrat prévoit de très lourdes indemnités en cas de révocation de la servitude.

II. La protection du domaine public par des servitudes

Le domaine public est un bien public, donc l’objet d’une propriété. A ce titre, comme tout bien il peut être protégé par des servitudes de droit civil. Ainsi un bien du domaine public peut être protégé par des servitudes de droit civil pesant sur des immeubles environnants. L’administration peut donc bénéficier d’une servitude de passage de droit privé sur un immeuble privé se trouvant à côté. Il y a un renversement. C’est le juge judiciaire qui sera compétent car ces servitudes pèsent sur des propriétés privées.

Le domaine public peut être protégé par des servitudes domaniales instaurées pour garantir l’effectivité de son affectation. Et c’est ainsi que chaque domaine public est protégé par un certain type de servitudes. Par exemple, le domaine public fluvial. Le long des cours d’eau il existe différents types de servitude . La servitude de halage impose aux propriétaires de terrains longeant les cours d’eau de laisser libre d’accès une bande de terre de 7m80 de large. Cette servitude de halage était instaurée sous l’AR pour permettre le passage des boeufs ou des chevaux tirant les embarcations. Quand elles ont été instaurées, généralement elles existent toujours. Elles résistent au temps en vertu du principe d’inaliénabilité du domaine public. A cette servitude, il faut ajouter une servitude d’interdiction de clore les terrains. Elle s’étend sur 2m25 à coté des 7m80. Si cette servitude de halage n’existe pas, il existe une servitude de marche pied : elle interdit au propriétaire riverain du fleuve d’installer des barbelés pour empêcher les pêcheurs de pratiquer leur activité. Sous l’AR : elle permettait la circulation des piétons. But : permettre la libre utilisation des cours d’eau. On doit pouvoir y accéder et l’utiliser. On pourrait aussi citer la servitude de non construction autour des aéroports ou des terrains militaires.

2§ La protection par la police administrative

La PA se dédouble : - la PA générale - la PA spéciale

La PA générale protège l’OP. Et normalement elle ne devrait pas être utilisée par l’administration afin de protéger son domaine public car ce serait utiliser une police instaurée pour protéger l’OP à des fins patrimoniales. Toutefois, une mesure de police administrative qui interdirait l’utilisation du domaine public afin d’éviter sa détérioration par les usagers reste légale si l’administration vise non seulement à protéger le domaine public mais aussi l’OP. Une mesure d’OP peut simultanément protéger le domaine public dans son intégralité. Jurisprudence du 29 janvier 1926, Société des plateries de Bagneux. Des camions détérioraient une route. Et le maire voulait que cela s’arrête. Mais si il interdisait la circulation des camions, sa mesure était illégale. En revanche, il a affirmé que le passage des camions nuisait à l’ordre public, dangereux pour les piétons.

Les polices administratives spéciales sont instaurées par les textes législatifs et donnent à l’administration des moyens de prendre des réglementations dans un but d’IG. Or cet IG comprend la protection du domaine public. Ainsi certains textes prévoient que des propriétaires du domaine public peuvent adopter des règlementations en vue de protéger le domaine public. Réseau Ferré de France peut ainsi prendre des règlements.

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Section 2 : La protection répressive du domaine public

Cette protection répressive prend 2 formes : Une forme spécifique passant par les contraventions de grandes voieries Un régime subsidiaire

1§ Les contraventions de grande voierie

= Elle réprime tout fait matériel pouvant compromettre la conservation du domaine ou nuire à l’usage auquel l’affectation domaniale est légalement destinée. Il s’agit d’une procédure qui a une double dimension :

- une dimension réparatrice - une dimension pénale

Elle permet à l’administration d’obtenir une amende de l’auteur de la contravention. Elle permet aussi de l’administration d’obtenir la condamnation de cet auteur à l’obligation de réparer le dommage commis au détriment du domaine public. Toute cette procédure se trouve pour l’essentiel sous l’autorité de l’Etat car la matière pénale reste une affaire étatique.

Nous allons voir comment ces contraventions sont mises en œuvre.

La mise en œuvre de cette procédure : lorsqu’une contravention de grande voierie est commise, l’administration doit dresser un PV constatant l’infraction. Ce PV est dressé par des autorités habilitées : tout OPJ peut dresser un tel PV et d’autres AA assermentées (agents SNCF, gardes champêtres…). Ensuite, une fois que le PV est dressé, il est communiqué au préfet qui doit l’adresser au TA. Pendant très longtemps, le préfet avait le monopole de la saisie du TA. Aujourd’hui ce monopole est en train d’exploser puisque le directeur de BNF dispose aussi de cette compétence ainsi que d’autres exceptions visant à alléger le travail du préfet. Se pose la question de savoir si le préfet et les autres autorités ont l’obligation de saisir le TA ? Cette obligation existe. Il n’y a pas d’opportunité des poursuites. Alors que le procureur peut décider de ne pas poursuivre un contrevenant, le préfet, lui, a l’obligation de poursuivre l’auteur d’une contravention de grande voierie, il n’a pas le choix car si il avait le choix, les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité seraient bafoués. Arrêt de 1979, Ministre de l’Equipement c/ Association des Amis des chemins de Ronde : cette association se plaignait que le préfet n’avait pas poursuivi une entreprise, installée sur le domaine public maritime en gênant la libre circulation sur le domaine public maritime. Le préfet avait refusé de poursuivre le contrevenant. L’association avait intenté un recours hiérarchique contre la décision du préfet et l’association avait attaqué la décision administrative ne pas poursuivre le contrevenant devant le JA. Cette décision de refus de poursuivre était susceptible d’un REP. Le juge a décidé que ce refus est illégal, il encourt l’annulation, il peut même être la source de la responsabilité de l’administration si ce refus constitue une faute lourde. Toutefois, le préfet peut exceptionnellement ne pas poursuivre le contrevenant. 1923, Couitéas : le CE autorise à ne pas poursuivre le contrevenant si la poursuite est susceptible de nuire à l’ordre public plus encore que l’atteinte au domaine public. Au nom de la protection du développement économique local, le préfet peut ne pas demander à une entreprise installée sur le domaine public maritime de libérer les lieux car des emplois seraient supprimés et l’IG en souffrirait encore plus. Affaire Erika : plusieurs personnes privées responsables du dommage, notamment Total. Se posait la question pour le préfet de saisir le TA du PV dressé contre Total, responsable de la pollution. Mr Cacheux était mécontent du fait que le préfet avait refusé de saisir le TA. Le CE dans l’arrêt Cacheux de 2005 a estimé que ce refus était légal parce que le préfet avait obtenu de Total qu’elle s’engage à mettre à disposition de l’administration tous ses services techniques afin de dépolluer le rivage français. Le préfet avait fait la balance entre son obligation de poursuivre et la nécessité de recourir à des entreprises efficaces et compétentes.

Si le TA est saisi, il a l’obligation quand il constate la contravention de prononcer une sanction pénale. Ces sanctions pénales sont rarement élevées. En général : 1500€ voire 3000 €. Ce sont des infractions instantanées. La sanction pénale peut être amnistiée. En revanche, l’obligation de libérer les lieux et de réparer le dommage causé au domaine public ne peut pas être amnistiée car le domaine public est imprescriptible et inaliénable. Cette obligation perdure à ce point que même les ayants droits doivent payer ces contraventions (utilisation du montant de l’héritage sur notre propre patrimoine. Question de la personnalité des peines).

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Les causes d’exonérations : - le cas de force majeure exonère le coupable. Même si on se fait voler la voiture, le propriétaire restait

responsable jusqu’à l’arrêt Chevalier de 2000.

2§ Les protections complémentaires

La contravention de grande voierie ne joue que pour certains domaines d’où des régimes de protections complémentaires lorsque celui des contraventions de grande voierie n’est pas prévu ou se révèle insuffisant.

Cet ensemble de protections complémentaires peut se répartir en 2 développements : - sur les contraventions de voierie- les expulsions

A. Les contraventions de voierie

Elle s’appelait avant un décret loi de 1926, « la contravention de petite voierie » que l’on distinguait avec les contraventions de grande voierie. La différence entre les 2 dépendait de l’importance de la voie publique à protéger. L’expression a été supprimée en 1926. On ne parle plus que des contraventions de voierie dont le régime est bien différent.

= Il s’agit de tout fait de nature à nuire à l’état ou à l’usage du domaine public routier. On retrouve les mêmes éléments que pour la définition de la contravention de grande voierie sauf que celle-ci ne porte que sur le domaine public routier.

Le domaine public routier étant compris de façon large, il ne s’agit pas seulement des voies publiques mais aussi de tous les accessoires (parkings, trottoirs, bas cotés, fossés dans la mesure où ces fossés servent la voie publique…). L’atteinte à ce domaine peut donc prendre la forme d’un empiètement, d’une dégradation, de travaux illicites sur la voie ou encore de vol de matériaux déposés sur la voie publique en vue de sa réfection. Toutes ces infractions sont sanctionnées par des amendes de la 5ème classe dont le montant est 1500€ (3000€ en cas de récidive). En revanche, le fait de déposer un meuble sur la voie publique encourt une amende de la 4ème classe de 750€. C’est grâce à cette interdiction de déposer des biens meubles sur la voie publique que l’administration parvient à sanctionner les marchands ambulants. La constatation de ces infractions peut être le fait de tous les agents de PJ, des agents de police municipale (quelque soit le propriétaire de la voie publique), d’agents assermentés (de sociétés d’autoroutes par exemple).

Spécificité de ces contraventions : tient au fait que le juge compétent pour les prononcer n’est pas la JA mais le JJ. On a là une dérogation au droit commun du domaine public. En effet, le domaine public routier est un des éléments du domaine public, normalement le contentieux du domaine public relève du JA, sauf le contentieux du domaine public routier lorsqu’il s’agit de contraventions de voierie. Pourquoi ? Parce que le juge pénal est compétent pour sanctionner les contraventions de police. Et la plupart du temps, lorsque un automobiliste endommage le domaine public routier, il commet simultanément une contravention de voierie. Or, la distinction entre les contraventions de police et de petite voierie s’entend bien d’un point de vue intellectuel mais en pratique les choses sont compliquées. D’autant plus qu’il faut se prononcer sur la qualité de la conduite du conducteur. Il a donc semblé plus simple en 1926 de confier l’ensemble de ce contentieux au même juge. Donc aujourd’hui la distinction de contravention de police et de voierie n’a plus d’importance pour le juge compétent.

En revanche, la distinction conserve un intérêt pour le fond du droit. Les contraventions de police se prescrivent un 1 an, alors que le atteintes au domaine public routier qui font naître une obligation de réparation ne se prescrivent jamais parce que le domaine public routier est imprescriptible.

B. L’expulsion des occupants du domaine public

Evidemment, on parle là que des occupants sans titre, ceux qui n’ont pas le droit d’occuper le domaine public soit parce qu’il n’ont jamais détenu le moindre titre soit parce que leur titre a expiré. Les contraventions de grandes voieries, de voierie passent par des amendes et l’occupant libère normalement les lieux.

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Parfois, l’occupant résiste et se maintient dans les lieux. Il faut alors procéder à son expulsion manu militari (« avec des moyens militaires »= recours à la force publique) qui ne peut pas se faire sans le respect de certaines procédures. Le principe est que cette expulsion doit être autorisée au préalable par le juge. Toutefois, une exception : dans certaines circonstances exceptionnelles l’administration peut procéder d’office à l’expulsion.

1. L’autorisation juridictionnelle d’expulsion

Cette expulsion de l’occupant sans titre peut être demandée au juge par le propriétaire du domaine mais aussi par l’occupant légitime. L’un protège sa propriété l’autre protège son droit d’utilisation. Cette demande doit être adressée soit au juge judiciaire soit au juge administratif en fonction du type de domaine. Si le domaine occupé est le domaine public routier, la demande d’expulsion doit être adressée au juge judiciaire. Les choses aujourd’hui sont très claires. L’article L2331-1 du CG3P dit catégoriquement que le JJ est le seul compétent pour prononcer ces expulsions alors que dans le passé le JJ et le JA se complétaient.

Si le domaine n’est pas routier, la demande doit être adressée au JA. Le JA peut être saisi de 3 façons : Si le domaine fait l’objet d’une protection d’une contravention de grande voierie : c’est dans le

cadre de cette procédure que l’administration sollicitera l’expulsion de l’occupant. L’administration ne demandera pas seulement la condamnation à l’amende mais aussi elle demandera l’expulsion de l’occupant.

Si le domaine n’est pas protégé par les contraventions de grande voierie, l’administration peut saisir le juge du plein contentieux afin qu’il prononce l’expulsion.

L’administration peut saisir le JA des référés et c’est généralement ce qu’elle fait. Car l’article L.521-3 du Code de la Justice Administrative institue le référé conservatoire : « en cas d’urgence et sur simple requête, le juge des référés peut ordonner toute autre mesure utile sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. » Cette formulation donne la possibilité à l’administration de saisir le juge des référés afin qu’il ordonne l’expulsion en urgence des occupants sans titre du domaine public. Et comme le juge des référés statue plus rapidement, l’administration a plus intérêt à le saisir. Elle peut même utiliser cet article alors que simultanément elle a engagé une action de contravention de grande voierie. Le juge des référés prononcera l’expulsion très facilement car il s’agit de protéger le domaine public qui concourt à l’IG et c’est un bien de l’administration qu’aucun particulier ne doit utiliser de façon irrégulière car ce serait violer le principe d’égalité. Toutefois le juge encadre l’usage de ce référé :

L’administration doit démontrer l’urgence et l’utilité de l’expulsion. Sur ce point, l’administration n’a pas grand-chose à démontrer. Il lui suffit d’arguer du fait que l’occupation nuit à l’affectation du domaine ou bien à son entretient ; ou que la présence de l’occupant l’empêche de réaliser des travaux. Arrêt 1er octobre 2007, AFTRP (Agence Foncière des Techniques de la Région Parisienne) : cette agence s’était vue confier des travaux de réfection de la gare RER de la ligne d’Evreux. Et dans cette gare il y avait un grand nombre de magasins. Les occupants (commerçants) travaillant dans ces boutiques n’étaient que des occupants du domaine ferroviaire, leur titre était administratif et l’administration a exigé la libération des lieux. Ils refusaient. L’administration a eu seulement à démontrer qu’ils empêchaient les travaux de la gare pour obtenir leur expulsion. Tout occupation qui nuirait à la continuité du SP se solderait part une expulsion. Il faut aussi que l’expulsion soit utile. Mais « urgence » et « utile » sont souvent liés. Et peu importe que l’occupant paie des redevances. De toute évidence l’occupant sans titre doit payer les redevances pour le temps qu’il a occupé le domaine de façon irrégulière. Commune de Cannes, 3 février 2010 : un plaisancier qui voulait amarrer son bateau dans le port de Cannes mais il n’avait plus de titre régulier. Et l’administration demandait l’expulsion du propriétaire du bateau qui refusait en prétendant qu’il n’avait pas à être expulsé malgré l’expiration de son titre puisqu’il payait les redevances domaniales. Peu importe dit le juge, de toute manière les redevances étaient dues. Seule une autorisation en bonne et due forme aurait pu permettre d’échapper à l’expulsion. L’absence de contestation sérieuse . L’administration obtient du juge des référés l’expulsion des occupants

sauf si l’occupant démontre que son expulsion s’oppose à une contestation sérieuse. Cette exigence est purement prétorienne. C’est le JA qui l’a inventé. Il l’a inventé parce que il ne faut pas qu’en statuant en référé, le juge anticipe sur une décision du fond. Pour éviter un tel empiètement le CE a exigé cette condition supplémentaire. Il ne suffit pas que l’occupant ait attaqué le refus de l’administration de lui accorder un titre ou le refus de renouveler le titre dont il bénéficiait. Autrement dit la contestation de la décision administrative qui a eu pour effet de rendre illicite l’occupation ne constitue pas une contestation sérieuse au sens de l’article L.521-3 du Code de la Justice Administrative. Toutefois, ce principe connaît quelques exceptions. Tout d’abord, certains occupants sont particulièrement bien protégés. Les personnes atteintes d’une longue maladie et occupant un logement de fonction ne peuvent pas être expulsés par que le législateur estime qu’il n’est peut être pas morale de mettre à la rue une personne atteinte d’un cancer… Par ailleurs, les personnes qui ont introduit un recours contre la décision de l’administration de retirer leur titre domanial ou contre la

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décision de ne pas renouveler leur titre peuvent échapper à l’article L.521-3, à condition que leur action paraisse pré fondée au juge des référés. Mais comme le juge des référés ne doit pas se prononcer à la place du juge du fond, il faut que l’action du requérant paraisse être très légitime voire disposer de toutes les chances d’obtenir gain de cause pour que le juge des référés accepte de prendre en compte cette action. Si le juge prononce l’expulsion éventuellement avec des mesures d’astreinte, l’administration pourra alors recourir à la force publique pour expulser manu militari l’occupant.

2. L’expulsion d’office

Normalement, il faut un jugement. A titre exceptionnel, l’administration peut recourir d’office à l’expulsion dans 3 cas, sans juge :

Recourir à l’expulsion d’office si aucune voie de droit n’est disponible. Normalement cette hypothèse ne devrait pas trouver à s’appliquer. Sauf si l’occupant résiste à tout. Si il a fait l’objet de condamnations et qu’il est resté malgré tout dans les lieux, il ne reste plus qu’à recourir au coup de force. Cela arrive très rarement. Couach, TC du 24 février 1992 : la famille Couach est très attachée à la région Teste de Buch. L’administration a été obligée d’y envoyer une compagnie de gendarmes. ► L’expulsion d’office est possible si le législateur a habilité l’administration de le faire sans la saisie du

juge. Très rare sauf pour 2 types d’occupants : les occupants du domaine public fluvial (si un particulier laisse flotter des choses dangereuses, on ne va pas engager des procédures)/ les nomades. Loi du 5 mars 2007   : elle permet l’expulsion d’office des gens du voyage occupant le domaine public des communes, à la condition que ces communes aient créé une aire d’accueil. A ceci près que la loi de 2007 donne cette possibilité même si la commune n’a pas véritablement créé d’aire d’accueil mais se soit seulement associée à un programme d’aire d’accueil. Communauté urbaine de Lyon, 2007.

L’urgence. Si il y a urgence, l’expulsion devient possible. Il faut qu’elle repose sur une décision légale parce que l’administration exécute d’office l’expulsion à ses risques et périls.

Chapitre 4   : Les utilisations du domaine public

Comme le rappelle l’article L.2121-1 du CG3P, les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l’utilité publique. Cela signifie que les utilisations du domaine public ne peuvent pas aller à l’encontre de son affectation. L’utilisation du domaine public ne peut pas nuire à l’IG. Normalement même l’utilisation du domaine public doit concourir à la satisfaction de l’IG. Si cette utilisation ne concourt pas à cette fin, elle doit au moins ne pas l’entraver.

Section 1: L’utilisation administrative du domaine public

L’administration peut utiliser son propre domaine. Elle est propriétaire de son domaine public et elle peut utiliser ses biens. Elle peut les exploiter, en changer l’affectation et elle peut même le vendre.

1§ L’exploitation directe du domaine public

L’exploitation directe du domaine public nécessite de la part de l’administration qu’elle l’entretienne et c’est une fois cet entretien accompli qu’elle peut l’utiliser.

A. L’entretien du domaine public

Il n’existe pas d’obligation générale pour l’administration d’entretenir le domaine public. Toutefois certains textes spéciaux prévoient cette obligation d’entretien. Ex : l’administration doit entretenir les cimetières pour des raisons de salubrité publique/ les routes.

Mais si le domaine public constitue un ouvrage public, l’administration prend des risques si elle n’entretient pas.

B. L’utilisation du domaine public

L’administration peut utiliser son domaine pour le mettre en valeur, pour loger un SP, pour organiser des évènements. Elle le peut librement sous réserve de 2 éléments :

Le respect du droit des tiers   :

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Ex : usage des bâtiments du culte. Droits accordés aux administrés en leur permettant d’utiliser le domaine public. Les Eglises appartiennent aux communes et donc la plupart des maires s’estimant propriétaires des bâtiments des Eglises ont tendance à vouloir y organiser des évènements culturelles. Ils ne le peuvent pas si le desservant s’y oppose. Parce que le desservant est le représentant des fidèles, son accord est donc indispensable pour toute utilisation du bâtiment qui ne correspondrait pas à la pratique religieuse. Abbé Chalumey : avait refusé de laisser le maire organiser une conférence. Le desservant garde un droit de veto sur toute l’utilisation à l’intérieur du bâtiment. TA 2008, Association Diocésaine d’Aix en Provence : la ville avait décidé d’organiser la visite des toits de la cathédrale. Le TA a rappelé que dès lors les visites de la toiture n’empêchaient pas l’utilisation normale du bâtiment par les pratiquants, le desservant ne pouvait pas opposer son veto à l’exercice par la commune de son droit culturel.

le droit de la concurrence   :

Depuis l’arrêt Société Million et Marais (1997), le droit de la concurrence a envahi le droit administratif. Arrêt société EDA, 1999 : le CE a explicité la règle selon laquelle l’administration ne peut pas violer le droit de la concurrence quand elle exploite son domaine public et cela vaut même si elle exploite elle-même son propre bien. CAA de Bordeaux, Société CRAM, 30 décembre 2008 : la société CRAM voulait utiliser un bâtiment se trouvant sur une promenade publique mais la commune voulait le transformer en guichet d’accueil pour les promeneurs. Et le juge a admis que l’entreprise invoque le droit de la concurrence pour contester la décision prise par la commune d’utiliser son propre bien. Raisonnement : en utilisant son propre bien, la commune empêchait à la société d’y installer son entreprise (café). Cette décision allait à l’encontre de la liberté du commerce et encourait la nullité. CAA n’a pas annulé la décision de la commune mais elle en a retenu la légalité au motif que la commune n’avait le droit de refuser que parce qu’elle avait décidé d’y installer des SP véritablement utiles aux administrés. Le juge va se faire le censeur de la bonne utilisation des propres biens de l’administration. L’administration est propriétaire mais il faut d’abord qu’elle mette ses biens à la disposition des tiers.

2§ Les changements d’affectation

Un bien du domaine public est affecté mais ces affectations peuvent évoluer. Le changement d’affectation peut être décidé par le propriétaire, il peut aussi lui être imposée.

I. Le changement d’affectation contrôlé par le propriétaire

Dans ce cas là, les choses sont simples : l’affectation est l’expression de l’usufruit, le propriétaire peut donc décider librement de changer l’affectation de son bien si cette affectation n’est pas imposée par la loi.

II. Le changement d’affectation hors du contrôle du propriétaire

Ce changement d’affectation prend 2 formes : - il y a la technique de la superposition d’affectation - la forme des mutations domaniales

A. Les superpositions d’affectation

Un bien du domaine public peut faire l’objet de plusieurs affectations. L’exemple le plus classique : lorsqu’on passe sur des passages à niveaux, lieux où il a une superposition d’affectation (affecté au domaine public ferroviaire ou domaine public routier). Il y a bien une double affectation du domaine.

Lorsque l’administration ferroviaire trace les lignes de chemin de fer, celles-ci coupent nécessairement des routes ou des rues et donc elle impose au propriétaire de ces voies publiques une superposition d’affectation à chaque passage à niveau. Ces superpositions n’ont pas fait pendant longtemps l’objet d’une réglementation précise. Paradoxal car si usufruit, démembrement (à l’encontre de l’inaliénabilité).

Article L.2123-7 prévoit que dorénavant, les superpositions d’affectation doivent faire l’objet d’une convention entre les propriétaires des domaines publics concernés. Mais le problème c’est que le Code ne dit rien sur l’obligation pour le propriétaire d’accepter une affectation supplémentaire. Silence radio qui s’explique peut être par les mécanismes de mise à disposition obligatoire.

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B. Les mutations domaniales

Les mutations domaniales sont le fleuron du droit administratif des biens. Arrêt de juillet de 1909 Ville de Paris c/ compagnie des chemins de fer d’Orléans . A la fin du 19ème siècle, l’Etat avait concédé à cette compagnie l’exploitation d’une ligne de chemin de fer entre Orsay et Orléans. Pour la construction de ces lignes, il fallait exproprier des terres et des routes se trouvant à Paris afin de permettre la circulation des trains sur ces emplacements. Mais le problème : domaine public inaliénable, il ne peut donc pas être exproprié. La ville de Paris refusait de vendre ou de donner ces voies publiques à la compagnie de chemin de fer. Elle voulait conserver ces voies pour la circulation piétonne. Le CE relève que le domaine public est inaliénable, qu’il est la propriété de l’administration et que la ville est propriétaire de son domaine public. Mais le CE poursuit : le domaine public est inaliénable mais l’Etat peut décider unilatéralement de l’affectation de toutes les dépendances du domaine public quelque soit leur propriétaire. C’est ainsi que l’Etat a décidé au nom de cette prérogative donnée par le juge de changer l’affectation des routes et rues parisiennes : elles ne seraient plus affectées à la circulation piétonne mais au SP ferroviaire. La commune se voyait priver du pouvoir d’affecter ses dépendances domaniales. Mais les communes gardaient la propriété de leur domaine public. Si les communes gardaient leur propriété, il n’était pas exproprié et n’avait pas à être indemnisées. Grâce à cette théorie des mutations domaniales l’Etat se donne le droit de changer unilatéralement l’affectation sans indemniser. Jurisprudence peu appliquée au 20ème siècle. Mais en 1997, un auteur a expliqué que cette jurisprudence de 1909 était contraire au droit constitutionnel. Les CT bénéficient d’un droit de propriété sur leur domaine public. Par ailleurs, les CT jouissent du principe de libre administration. Dès lors la théorie des mutations les privant de la possibilité de gérer leurs biens pour mener leur politique est contraire au droit constitutionnel.

Loi Démocratie Proximité de 2002 prévoyant que dorénavant le domaine public peut faire l’objet d’une quasi expropriation et que dans ce cas là, les CT doivent être indemnisées. Mais le CE n’a pas baissé la garde et dans un arrêt de Commune de Proville de 2004, le CE a expliqué que la loi de 2002 était d’application facultative.

Finalement le CG3P prévoit 2 types de mutations domaniales : - L.2123-4 : l’Etat peut pour tout motif d’IG décider de l’affectation de la dépendance d’un domaine

public local. Il doit cependant verser une indemnisation mais celle-ci ne couvre que les dépenses engendrées par le changement d’affectation et les privations de revenus (et pas sur la perte du bien).

- L. 2123-5 : autorise l’Etat à exproprier le domaine public local mais dans ce cas là l’expropriation doit être précédée d’une enquête publique et l’indemnisation doit être pleine et entière, elle doit même couvrir la perte de la jouissance du bien.

3§ Les transferts de propriété

Les transferts de propriété peuvent être décidés par la loi et peuvent être aussi décidés contractuellement par les personnes publiques.

I. Les transferts légaux

L’administration peut céder son domaine public à une autre administration. Article 3112-1 du CG3P. Cette cession est soumise à des conditions :

- il ne peut s’agir que d’une cession à une autre personne publique - que le bien cédé tombe dans le domaine public de l’acheteur

Si ces conditions sont réunies, la cession est possible même si elle ne sert qu’à l’amélioration de l’exercice des compétences des personnes publiques en cause. En revanche, si les personnes publiques échangent leurs biens, cet échange n’est licite qu’à la condition de permettre l’amélioration des conditions d’exercice des SP et non pas des compétences des personnes publiques en cause. L’exécution du SP est une notion plus floue que l’exercice des compétences mais ce n’est pas grave, ce flou vise à faciliter les échanges qui est un mécanisme moins dangereux que la cessions.

II. Les transferts conventionnels

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Le législateur lors de la rédaction CG3PPP a pris acte du fait que ces transferts de domaine public à domaine public entre personnes publiques se révèlent en pratique utiles et il ne faut pas que cette procédure nécessite systématiquement l’intervention du législateur. La gestion du domaine public nécessite des procédures plus légères. Le Code prévoit différentes dispositions.

Ces différentes dérogations ne peuvent pas être utilisées par les personnes publiques quand d’autres dispositions contenues dans d’autres Codes s’imposent à elles. Ces dispositions constituent le droit commun des transferts domaniaux mais le législateur avait dans le passé prévu des dispositions spécifiques à certains domaines. Ces textes spéciaux dérogent à la loi générale des transferts et ceux-ci doivent donc être appliqués de préférence en priorité. Exemple article 5212-28 du Code Général des CT : prévoit que les communes ont l’obligation de transférer la propriété de leurs biens nécessaires à l’exercice de leurs compétences par les communautés urbaines auxquelles ces communes adhèrent. Dès lors une commune ne pourra pas utiliser les dispositions du CG3P pour transférer ses biens à la communauté urbaine, elle devra nécessairement se plier aux dispositions de l’article 5212-28.

On peut répartir les dispositions du CG3PP en 2 catégories : - Celles autorisant les transferts du domaine public vers un autre domaine public par l’intermédiaire d’une autre

personne publique : les transferts intra domaniaux. Les transferts à l’intérieur du domaine public. Il y a une dérogation au principe d’inaliénabilité du domaine public puisque les dépendances du domaine sont inaliénables. Toutefois, cette dérogation n’est pas très importante car le bien change de propriétaire mais reste assujetti aux règles de la propriété publique.

- Des transferts extra domaniaux : le bien du domaine public tombe soit dans le domaine privé d’une autre personne publique soit dans le patrimoine d’une personne privée. La dérogation au principe est bien plus grave. Cette dérogation les plus grave n’est pas nécessairement la plus encadrée

A. Les transferts intra domaniaux

Peuvent être de 2 sortes : - les cessions - les échanges

► Les cessions   :

En vertu de l’article 3112-1 du CG3P, les personnes publiques peuvent se céder entre elles leurs dépendances du domaine public. Une commune peut céder à une autre un bien qui relève de son domaine public. Un département peut acheter une parcelle du domaine public de l’Etat. Et cela sans qu’au préalable, le domaine public fasse l’objet d’un déclassement. Normalement, pour qu’un bien public puisse être cédé, il faut qu’il soit déclassé. L’intérêt de cet article est de permettre la cession du bien du domaine public sans exiger son déclassement préalable. Cela va faciliter les choses et on éviterait de tomber dans les travers de la domanialité publique virtuelle.

1ère condition : l’acquéreur du bien doit être une personne publique. Le CG3P le précise mais c’est pour ceux qui n’ont pas compris la définition du domaine public. 2ème condition : il faut que l’acquéreur utilise les biens ainsi acquis pour l’exercice de ses compétences. Il faut donc que ces biens soient affectés à une mission d’IG.

Toutefois, le Code affirme que le bien sera utilisé par l’acquéreur pour l’exercice de ses compétences. Mais rien ne dit que le bien sera affecté soit à un usage direct du public soit à un SP. Autrement dit, cet article invente une sorte de nouveau domaine public : un domaine public qui existerait parce qu’il a existé dans le passé par l’article L.2111-1… On a un domaine public un peu bizarre en terme d’affectation. Mais pour l’instant, pas de jurisprudence donc on ne sait pas comment le CE va interpréter le texte.

Cette disposition n’est pas limitée matériellement : ne prévoit pas que seuls les biens affectés à un SP peuvent être cédés. Même les biens affectés à un usage direct du public pourraient l’être. Dès lors, rien n’interdit que l’Etat cède dans ce cadre là une dépendance de son domaine public fluvial à une CT. Domaine public maritime : ne pourrait pas être cédé à priori car l’Etat est le seul garant de ce domaine et normalement les CT n’ont pas de compétence à exercer sur ce domaine public maritime. Elles ont une seule compétence : la police administrative. Le maire peut exercer la police sur les plages mais il n’a pas besoin pour cela d’être propriétaire. Donc a priori cette disposition ne met pas en danger l’intégrité du domaine public maritime naturel. Mais le CE pourrait peut être l’outrepasser.

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► Les échanges   :

Les échanges entre personnes publiques : Article 3112-2 du CGPPP. Il est assez logique que l’échange de bien soit autorisé puisque la cession l’est déjà. La cession du bien a pour contrepartie de l’argent (pas à vil prix). Pour les échanges, les choses sont plus simples : une personne publique cède une parcelle du domaine public contre une autre parcelle. Les 2 patrimoines se trouvent à égalité en terme de valeur et de possession domaniale. Et, étonnamment, le Code se montre relativement sévère pour autoriser ces échanges : ils ne sont autorisés qu’en vue de l’amélioration des conditions d’exercice d’une mission de SP. Et pas simplement pour l’exercice d’une compétence car toute les compétences ne sont pas attachées à une mission de SP. Conditions plus strictes alors que moins dangereux que la cession.

Toutefois, le Code prévoit que l’acte d’échange, le contrat d’échange, doit prévoir que le bien ainsi échangé entre les 2 parties devra être affecté effectivement à un SP. Autrement dit, il ne faut pas que l’échange des biens nuit à la continuité des SP, principe qui a valeur constitutionnelle. Pas de jurisprudence actuelle à donner. A priori c’est un contrat administratif contenant des clauses relatives à un SP. Et on se pose la question de son opposabilité aux tiers. Cela va poser quelques problèmes de contrôle par les administrés de la validité de ces actes d’échange.

B. Les transferts extra domaniaux

Les transferts extra domaniaux sont des transferts qui permettent à l’administration de se défaire d’une parcelle de son domaine public et le bien ainsi cédé ne reste pas assujetti à la domanialité publique mais il se retrouve assujetti soit à la domanialité privée soit au droit privé. Il y a là une dérogation plus importante au principe d’inaliénabilité.Toutefois cette dérogation n’est pas absolue parce que le Code ne prévoit que des échanges.Article 3112-3 du CGPPP : En vue de permettre l’amélioration des conditions d’exercice d’une mission de SP, les biens du domaine public peuvent être échangés avec des biens appartenant à des personnes privées ou relevant du domaine privé d’une personne publique, après déclassement. La chose est paradoxale : il faut que le bien soit déclassé pour pouvoir être cédé. Mais le législateur nous explique que c’est une dérogation. Or, si il est déclassé, il devient aliénable car il tombe dans le domaine privé.

Mais ce n’est pas tout. La loi du 1 er août 2008 a permis aux autorités portuaires de vendre les espaces naturelles se trouvant dans l’enceinte de leur port _ même si ces espaces naturelles relèvent du domaine public maritime naturel_ à des personnes privées et sans la moindre procédure de déclassement. Evidemment, cette disposition n’a pas été introduite dans le Code. Elle est restée à l’extérieur du Code. Cette disposition nous explique que d’une part les autorités portuaires peuvent être propriétaires de dépendances du domaine public maritime naturelle alors qu’on pensait que cela relevait de l’Etat et ces autorités portuaires pourront vendre ces dépendances à des personnes privées, sans contrebalance d’obligation d’IG. = Grâce à une telle loi le domaine public maritime peut être cédé à des personnes privées sur lesquelles ne pèseront aucune obligation d’IG.

Section 2 : Les utilisations collectives du domaine public

L’utilisation collective du domaine public est celle qui n’est pas exclusive c'est-à-dire celle qui permet l’utilisation du même domaine par les tiers. Elle s’oppose à l’utilisation privative du domaine puisque celle-ci ne peut être exercée que par le titulaire de l’autorisation d’occupation. Ces utilisations collectives doivent respecter l’affectation du domaine. Ces utilisations impersonnelles, anonymes, ne nécessitant aucune autorisation préalable ne sont licites que si elles correspondent à l’affectation du domaine utilisé. Et, l’autorité administrative pourra réglementer cette utilisation mais elle ne pourra le faire que dans le respect de l’affectation. Jurisprudence Carlier de 1949 : Mr Carlier était un architecte qui avait décidé de prendre des photos de la Cathédrale de Chartres pour son travail. Le maire avait fait saisir ces photos au nom de la protection du patrimoine local. C’était une voie de fait. Mr Carlier, de plus, avait demandé au maire la possibilité de se promener sur les toits afin d’améliorer ses connaissances de l’architecture médiévale. Et les toits étaient interdits à toute visite et il n’avait pas le droit. Le CE a annulé le refus d’autorisation d’accéder au toit au motif que certes la Cathédrale était affecté au culte mais les toits ne l’étaient pas et la simple promenade de Mr Carlier ne gênait pas l’affectation cultuelle. Le domaine public affecté à l’usage direct se prête à la liberté d’aller et de venir et le maire devait respecter cette liberté.

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Le domaine public affecté à l’usage direct du public se prête aisément à la liberté d’utilisation par les administrés. Il n’en va pas de même du domaine public affecté à un SP. Ces biens sont mis à la disposition du SP et les administrés sont des usagés avant d’être des utilisateurs des biens.

Pour les biens affectés à l’usage direct du public, il y une liberté d’utilisation qui nécessite le principe d’égalité.

1§ La liberté d’utilisation

Le domaine public affecté à l’usage direct du public (plages, promenades, routes, rues…) peuvent prêter à l‘exercice de plusieurs libertés. Par exemple, pour le domaine public routier : liberté d’expression, de manifestation, de réunion… Certains domaines publics se prêtent aussi à l’exercice des activités culturelles. Mais il est bien rare que les domaines publics affectés à l’usage direct du public ait une affectation correspondant exactement à l’exercice de ces libertés. Le domaine public routier n’est pas affecté à la liberté de manifestation. Autrement dit le domaine public affecté à l’usage direct du public n’est réellement compatible qu’avec une seule liberté : la liberté d’aller et de venir et dans une moindre mesure, la liberté de commerce et d’industrie. Pour les autres libertés, faible compatibilité d’où le besoin d’autorisations préalables.

I. La liberté de circulation

Il est ici question de police administrative essentiellement. La liberté de circulation, principe à valeur constitutionnelle, un PGD pour le CE, prend la forme de la liberté d’aller et de venir. Elle s’exerce sur toutes les dépendances affectées à l’usage direct du public : le domaine public routier, les promenades publiques, le domaine public fluviale ou maritime naturel. Cette liberté est encadrée mais elle est aussi protégée.

A. L’encadrement de cette liberté

Encadrée de différentes façons : parfois, elle ne peut être mise en œuvre qu’après l’obtention d’un certificat d’aptitude (permis de conduire : certificat d’aptitude à conduire des véhicules. Ce n’est pas une autorisation d’utiliser le domaine public. Certificat fondé sur des considérations d’ordre public et non pas d’ordre domanial).

Cette liberté est aussi encadrée par des mesures de police administrative générale : le maire dans sa commune, le préfet dans le département, le 1er Ministre pour l’ensemble du territoire. Ces mesures qui peuvent limiter la liberté d’aller et de venir doivent poursuivre le maintien de l’ordre public et rester strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public. Si elles dépassent cette nécessité, elles encourent l’annulation car le juge opère un contrôle entier. Les mesures générales et absolues sont illégales si elles ne sont pas nécessaires.

Les maires exercent une compétence de police assez amusante concernant le domaine public maritime. Sur les plages, les maires exercent leur police administrative parce que la plage, bien que propriété de l’Etat, fait partie du territoire de la commune et le maire exerce sa police administrative générale sur l’ensemble de son territoire. Mais la commune voit ses limites fixées par le niveau des eaux. Dès que l’eau recouvre la plage, la commune s’arrête. Les limites de la commune varient donc en fonction des vagues. Le maire peut interdire la vente de boissons sur le territoire de sa commune mais il ne peut pas l’interdire sur le domaine maritime, là où sont les vagues. Donc le vendeur de chichis n’a qu’à marcher dans l’eau pour échapper à la réglementation du maire. Sur les flots, le maire exerce une police mais c’est simplement une police de baignade et pas une police générale : un vendeur de chouchous n’a jamais nuit à la sécurité lors de la baignade.

Sur les plages, on peut se promener librement. Mais certaines plages font l’objet de concessions (=un moyen juridique de l’administration pour déléguer des compétences à une personne privée)Toutes les plages, appartenant bien à l’Etat font parties du domaine public maritime et il appartient aux services préfectoraux de gérer ces plages. En pratique, ils concèdent aux communes la gestion des plages. Les maires peuvent ensuite, avec l’autorisation du préfet, concéder ou plutôt sous concéder une partie de ces plages à des entreprises privées afin que celles-ci installent le nécessaire à de bonnes vacances (transats, parasols). Généralement, le sous concessionnaire se voit attribuer une parcelle de la plage sur laquelle on ne peut accéder que moyennant une redevance. Certes la liberté d’aller et venir est garantie par les textes sauf sur les parcelles de plage concédées à des entreprises privées.

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Toutefois, un décret de 2006 est venu moderniser le régime des concessions : au maximum 20% de la plage peut être concédé à une entreprise privée pour son exploitation commerciale. 80% de la plage doit être laissé gratuitement à libre disposition des usagers. Ces concessions de plage ne sont pas seulement des concessions domaniales, d’occupation du domaine public… ce sont aussi des concessions de SP. Ces concessions ont une double fonction : droit d’occuper la plage, la sécurité.

B. La protection de la liberté de circulation

La liberté de circuler peut être limitée mais sinon elle doit être exercée pleinement par les administrés. Tous les obstacles dressés à cette libre utilisation par des tiers doivent être retirés. Et si l’administration ne pourvoit pas la libération du domaine public, alors elle encourt d’une part l’annulation de ses décisions et la mise en cause de sa responsabilité.

L’administration pouvant voir sa responsabilité engagée est essentiellement l’Etat. Tout d’abord, l’Etat est responsable de tous les dommages causés par des attroupements. Dès lors que la liberté de circulation est entravée par des attroupements causant des dommages, l’Etat est responsable. Ensuite, l’Etat est responsable pour faute lourde de toute carence dans l’exercice de ses pouvoirs de police. Certes un maire est aussi responsable et engage la responsabilité de sa commune s’il ne met pas en oeuvre correctement les pouvoirs de police. Quand un barrage est dressé dans une commune : les utilisateurs du domaine public ont la possibilité d’utiliser le domaine public routier périphérique. La limitation n’est pas très grave, pas de responsabilité du maire. En revanche, si un rassemblement revête une ampleur nationale, la compétence revient aux autorités étatiques et dès lors en cas de carence, c’est bien l’Etat qui engage sa responsabilité. Si l’Etat n’a pas commis de faute lourde en forçant les grévistes à lever leur blocus mais que cette entrave à la liberté a causé un dommage grave, anormal et spécial, sa responsabilité sans faute peut être engagée (Jurisprudence Couitéas). Exemple arrêt 27 juin 2005, Société anonyme Vergers de Rome. Cet arrêt est intéressant parce que la société de transport qui avait fait les frais des barrages routiers était une société qui transportait des produits maraîchers. Certes, cette société n’était pas seule à souffrir des barrages mais ce barrage a été anormalement long, et le préjudice était spécial et grave parce que cette entreprise se singularisait par son activité. Préjudice spécial lié à l’activité. Et il était grave car la victime n’avait pas la capacité financière à supporter la détérioration de ses produits. Malgré cette jurisprudence Vergers, la jurisprudence se révèle en pratique peu libérale dans le sens où il est rare que le juge admette la responsabilité sans faute de l’Etat. Si il le faisait les caisses de l’Etat seraient encore plus vides. Car dès lors qu’il y a un barrage, il est évident que les entreprises en souffrent.

II. La liberté de stationnement

Est un accessoire à la liberté d’aller et de venir sur le domaine public. Le stationnement reste libre et ne nécessite pas, comme la liberté d’aller et de venir, d’autorisation préalable. Le stationnement n’est pas une occupation privative du domaine public car il n’est qu’une occupation très temporaire du domaine public ; au point que les textes concernant le domaine public routier prévoient quelle est la durée autorisée d’un stationnement. Code de la route : un stationnement de plus de 7 jours d’un véhicule à la même place devient abusif et donc illégal. Le meilleur moyen : soulever le véhicule et mettre une de ses roues sur le trottoir. Les policiers ont le réflexe d’appeler la fourrière.

Sur le domaine public fluvial et maritime, les choses se passent de façon similaire : le stationnement sur ces domaines sont libres et ne nécessitent pas d’autorisation préalable. Il faut le distinguer de l’amarrage des bateaux dans les ports.

III. La liberté du commerce et de l’industrie

La liberté du commerce et de l’industrie peut s’exercer de façon collective sur le domaine public, à la condition d’être ambulante. Le commerçant qui étale des produits sur le domaine public, occupe privativement un domaine public parce que a priori les passants ne peuvent pas marcher là où il expose ses marchandises. En revanche le marchand ambulant, n’occupe pas le domaine public de façon privative : il se déplace, au mieux il s’arrête sur le domaine le temps de procéder à sa négociation mais il n’occupe pas longtemps le domaine public routier, fluvial…Affaire Daudignac, 1951 : Mr D était un photographe ambulant, il prenait en photo les passants. Il s’arrêtait une fraction de seconde le temps de prendre les photos puis procédait à la négociation. Le droit n’avait pas le droit d’instaurer un régime d’autorisation préalable parce que la liberté du commerce et de l’industrie constitue une liberté publique et les libertés publiques ne peuvent pas être soumises à un régime d’autorisation préalable, sous réserve évidemment de dérogation législative.

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La contrainte pour l’administration tient au droit de la concurrence. Un arrêt de 1932, Société des Autobus Antibois avait donné l’occasion au CE d’admettre que le maire de Cannes interdise à tous les véhicules de transport en commun de stationner sur la voie publique, de simplement s’y arrêter ou même de ralentir pour prendre des passagers, sans obtenir au préalable une autorisation municipale. Le maire de Cannes avait instauré un tel régime d’autorisation préalable en vue de protéger le concessionnaire de transports publics que la commune avait choisi. Le CE admettait donc que le maire instaure ce régime de déclaration préalable limitant la liberté du commerce et de l’industrie, afin de protéger le concessionnaire du SP. Le CE estimait que la protection du SP et donc que les intérêts du concessionnaire du SP pouvaient justifier une dérogation au principe de la prohibition du régime des autorisations préalables en matière de liberté de commerce et d’industrie. Cette jurisprudence ne va pas dans le sens du droit de la concurrence communautaire. Cette jurisprudence aujourd’hui, ne peut pas être utilisée avec autant de facilité. Mais cette jurisprudence n’est pas morte parce que le CE en a montré la vitalité dans un arrêt de 2004, Département de la Vendée : le Président du Conseil général de la Vendée avait passé une concession de transports publics entre le continent et des îles au large de la Vendée et ce conseil général avait décidé de limiter la concurrence que des entreprises privées pouvaient lui faire en limitant leur activité durant l’été.Le département avait établi un régime d’autorisation préalable dans le but d’en accorder aucune. Ce régime a été jugé contraire au droit communautaire sauf si l’administration arrive à démontrer des circonstances exceptionnelles liées à la continuité du SP. Finalement, on retrouve la jurisprudence de 1932 mais le CE n’en réserve l’application aux seules circonstances exceptionnelles justifiant des dérogations au droit commun des libertés publiques.

2§ L’égalité dans l’utilisation collective du domaine public

Des libertés sans égalité forment des privilèges. Il ne faut donc pas que l’utilisation libre du domaine public reste réservée à quelques uns et interdite aux autres car alors le principe d’égalité serait bafoué. La libre utilisation du domaine public nécessite le respect du principe d’égalité, c’est pourquoi les utilisateurs du domaine public ont droit à un traitement identique de la part de l’administration. Mais ce traitement identique n’implique pas une uniformité : ne s’oppose pas à ce que l’autorité gère de façonné différente, des situations différentes… pourvu que les différences de traitement qui en résultent soient en rapport avec l’objet de la norme qu’il établit et ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des différences de situation. Arrêt 2002, DuvignèresEn matière domaniale, cette jurisprudence s’applique intégralement. Pour savoir si ce principe d’égalité est violé, il faut vérifier si les situations des administrés sont comparables. Arrêt Despujol, 1930 : il était question de l’utilisation des stationnements sur un parking municipal. Et le maire avait établi une réglementation différente pour les touristes et les autochtones. Les indigènes payaient moins chers que les touristes car ils sont électeurs… Mais le CE dans cet arrêt a expliqué que le stationnement d’une voiture sur un parking municipal produit les mêmes effets en terme d’occupation du domaine public. Les situations étant comparables, pas de différence de traitement. En revanche, si les situations sont différentes, le traitement peut être différent à condition que la différence de traitement ne soit pas disproportionnée et que l’IG y trouve son compte. Par exemple, pendant longtemps, les maires ont pu réserver des couloirs de circulation à certains types de véhicule qui concourent à la satisfaction d’IG (police, gendarme, pompier). = La différence de régime est justifié dans l’utilisation collective.

3§ Le principe de non gratuité de l’utilisation du domaine public

Il n’a jamais existé de principe général de gratuité de l’utilisation du domaine public, même de l’utilisation collective. La doctrine, au cours du 20ème siècle, a essayé de défendre ce principe pour permettre aux pauvres de se déplacer mais elle n’a pas obtenu gain de cause ni auprès du conseil constitutionnel ni auprès des autorités rédactrices du CGPPP puisque l’article. L2111-25-1 dispose que toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique (article L1) donne lieu au paiement d’une redevance.

Non seulement le principe de gratuité de l’utilisation collective du domaine public n’existe pas mais il faudrait parler du principe du caractère onéreux de cette utilisation du domaine public. L’article. L2111-25-1 impose même l’obligation pour les personnes publiques d’exiger une redevance quand des tiers utilisent leur domaine public. Il n’est pas dit que cette occupation peut être onéreuse, elle est onéreuse. Sauf si la loi en dispose autrement. Et pour l’instant, nous avons le droit d’utiliser gratuitement les plages, les voies publiques… mais cela ne va pas durer. L’article 122-4 du Code de la voierie routière dispose que l’utilisation des routes, ponts, autoroutes est gratuite. Mais ce n’est que le principe et les exceptions textuelles sont devenues si nombreuses que le principe diminue. Le stationnement est de plus en plus souvent payant. Concernant les autoroutes : en 1955, le législateur avait adopté une loi prévoyant que temporairement les autoroutes seraient payantes. Et le temporaire est passé et est devenu définitif.

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Concernant les ouvrages d’art : en 1880 les républicains voulant lutter contre les derniers vestiges de l’AR ont supprimé tous les péages sur les ponts et les bacs. Les républicains avaient compris qu’ils entravaient la libre circulation et des personnes et des marchandises et nuisaient du coup à l’économie marchande du pays. Par une loi du 13 août 2004, le législateur a adopté une nouvelle disposition : dorénavant, il peut être instituée une redevance pour l’utilisation de tous les ouvrages d’art dès lors que l’utilité, la dimension, le coût de sa construction rend cette redevance nécessaire. On ne sait pas si ces caractères sont cumulatifs. Bientôt tous les ouvrages d’art seront payants même ceux qui ne sont pas concédés.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Le 12 mai 2009, le législateur adopte une loi de simplification. Les maires disposent d’une nouvelle faculté : le maire peut dans la limite de 2 fois par an soumettre au paiement d’un droit l’accès des personnes à certaines voies ou portions de voie ou secteurs de la commune à l’occasion de manifestations culturelles organisées sur la voie publique. Pourquoi peut il exiger une redevance ? On en sait rien. Le maire doit autoriser l’utilisation du domaine public routier mais il peut grâce aux initiatives de personnes privées engraisser les caisses de l’Etat. On voit là que certains maires pourraient en tirer des bénéfices indus.

Section 3 : Les utilisations privatives du domaine public

L’utilisation privative du domaine public est exclusive de celle des tiers. Celui qui l’utilise de façon privative peut exclure de la parcelle occupée les tiers ou les accepter que selon son bon vouloir, tel que le cafetier qui accepte ses clients sur sa terrasse. 2 types d’occupations privatives : - celles concourant directement à l’IG. Exemple : délégation de SP- celles à vocation plus individualiste. Exemple : le propriétaire d’un café qui utilise la voie publique pour installer sa terrasse ne cherche pas à satisfaire un IG. Le cafetier recherche son intérêt financier personnel=L’un comme l’autre ne peuvent pas utiliser le domaine contre son affectation. L’un comme l’autre ne peuvent obtenir des titres d’occupation du domaine public privatifs qu’à la condition que cette occupation soit compatible avec l’affectation.

Le régime de ces occupations est dominé par le principe d’inaliénabilité. Ces autorisations restent précaires. Dans l’intérêt du domaine, l’administration peut retirer les titres d’occupation privatifs. Par ailleurs, les occupants ne sont pas propriétaires du domaine occupé et si ils occupent le domaine public de façon contraire aux autorisations, ces occupants peuvent être poursuivis pour des contraventions de grande voierie ou de voierie et être expropriés. Les titres d’occupation sont personnels et incessibles : tout cela parce que ces titres ne sont pas constitutifs de droit réels sur le domaine. Toutefois, comme le principe d’inaliénabilité n’a pas valeur constitutionnelle, le législateur a multiplié depuis la fin des années 80 les titres d’occupation du domaine public constitutifs de droits réels, c'est-à-dire des titres qui accordent à l’occupant de grandes garanties de stabilité de son occupation. Ces titres se multiplient au point que certains estiment que dorénavant les occupations privatifs sont constitutifs de droit de droits réels mais ce types d’analyse est une erreur : le principe d’inaliénabilité du domaine public continue à dominer le régime des occupations privatives du domaine public. Confirmé par le CE arrêt de 2009, Société Jonathan Loisirs.

Il sera nécessaire dans un 1er temps de distinguer les différentes autorisations puis d’exposer le régime de droit commun de celles-ci et seulement après traiter les autorisations constitutives de droit réels.

1§ La distinction des autorisations 

Elles prennent 2 formes : - il peut s’agir d’actes unilatéraux - de contrats

Dans tous les cas, ces autorisations sont de nature administrative. Le décret loi de 1938 explicitait la règle selon laquelle : les contrats d’occupation du domaine public sont nécessairement administratifs et relèvent tous du JA. Ce qui vaut pour les contrats vaut a fortiori pour les actes unilatéraux de l’administration.

Ces autorisations peuvent être soit unilatérales soit contractuelles.

A. Les autorisations unilatérales

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Se définissent comme des autorisations accordées par l’administration sans que la validité de ces actes soit conditionnée par le consentement de leurs destinataires. Ces autorisations unilatérales d’occupation du domaine public se regroupent en 2 catégories, depuis un avis du CE de 1882.

Il y a le permis de stationnement puis la permission de voierie.

Permis de stationnement : il suffit pour toutes les occupations du domaine public qui ne nécessitent pas de travaux dans le sol ou le sous sol. Dès lors que l’occupant n’entend pas implanter un ouvrage dans le sol ou le sous sol du domaine public, un permis de stationnement lui suffit. Les taxis sont titulaires de permis de stationnement, les exploitants de terrasse de café, les artistes… Ces autorisations dites permis de stationnement sont considérées comme des décisions de police administrative. Cette assimilation à des actes de police administrative explique le régime de ces actes.

La permission de voierie : est nécessaire pour toute occupation du domaine public qui implique une emprise dans le sol ou le sous sol. Par ex : pour construire un bâtiment. Peu importe l’ampleur des travaux, c’est l’emprise dans le sol qui compte. Une des règles pratiques consiste à se référer au droit de l’urbanisme : on ne peut construire sur le domaine public sans permission de voierie parce que pour construire il faut travailler le sol et le sous sol. Cette exigence est d’autant plus importante que le permis de construire a pour vocation d’autoriser l’édification d’un ouvrage durable et il faut que le permis d’occuper le domaine public soit lui aussi assez long et corresponde à l’exploitation de l’ouvrage. Le Code de l’urbanisme exige de celui qui veut construire sur le domaine qu’il dispose d’un titre dont la durée de validité correspond à la durée d’existence du bâtiment pour lequel le permis de construire est demandé. En général : 40 ans. Le plus simple n’est pas de restaurer au bout de 40 ans mais de raser pour construire quelque chose de neuf. Ce qui coûte cher est d’acquérir le terrain constructible, ce n’est pas de construire. Et il faut que la durée du permis d’occuper le domaine public corresponde à la durée du bâtiment. Exception   : EDF avait voulu construire une centrale nucléaire. Pour cela, EDF faisait valoir que elle disposait d’une autorisation d’occuper le domaine public sur lequel la centrale allait être édifiée. Le CE a du vérifier si le permis correspondait à la durée de vie de la centrale nucléaire. La permission de voirie était d’une durée de 18 ans. Et une centrale est au moins 30 ans d’exploitation. Le CE a fermé les yeux.

La distinction entre permis de stationnement et permission de voirie a été remise en cause par la doctrine. En effet, la coexistence de ces 2 types de titres unilatéraux pose des problèmes à l’administration qui doit bien choisir quel titre accorder, les administrés doivent aussi faire attention à s’adresser à la bonne autorité car celle-ci varie en fonction du titre sollicité, et le débat a été relativement nourri parce que les critères de refus de ces titres sont identiques qu’il s’agisse d’un permis de stationnement ou d’une permission de voierie. Pourtant, le juge ainsi que le législateur maintiennent la coexistence de ces 2 catégories, probablement par souci de souplesse de l’action administrative. En multipliant les titres, le juge et le législateur donnent une faculté plus grande de choix à l’administration même si ce choix reste encadré par les conditions de délivrance de ces titres.

B. Les autorisations contractuelles

Sont fréquemment désignées par l’expression «   concession de voierie   ». Cette appellation est ancienne et date de l’époque où le domaine public se composait essentiellement de voies de communication. Mais aujourd’hui, d’autres dépendances que le domaine public routier peuvent faire l’objet d’occupation privative. On parle alors aussi d’autorisation contractuelle. On peut parler aussi bien d’autorisations contractuelles que de titres domaniaux.

L’administration a en principe le choix entre le fait de délivrer un titre contractuel ou un titre unilatéral . L’administration peut choisir. En général, elle préfère délivrer un titre contractuel quand elle s’aperçoit que le titre contractuel rassure son partenaire c'est-à-dire l’occupant du domaine public. Les titres contractuels rassurent les occupants car ceux-ci ne connaissent rien au droit administratif et partent du principe que le contrat fait la loi entre les parties et que dès lors le titre est contractuel, l’administration doit le respecter et ne peut pas le retirer. Or, les titres contractuels sont tout aussi précaires que les titres unilatéraux. Il y a toutefois un intérêt à recourir au contrat, celui-ci laisse plus de souplesse à l’administration dans l’aménagement de ses rapports juridiques et financiers avec son occupant. A le choix : sauf disposition contraire des textes. Pour l’élevage des moules, l’occupant doit détenir par exemple obligatoirement un titre contractuel. Arrêt Sangatte, 2010 : concernant les concessions de culture marine. Savoir comment calculer la superficie exploitée par l’occupant. Se posait derrière la question d’une enquête publique.

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Comment identifier un titre contractuel ?

1. L’identification de la nature contractuelle de l’autorisation domaniale

Important de déterminer si l’occupant bénéficie d’un titre domanial unilatéral ou contractuel. Si le titre est unilatéral, le contentieux relèvera du juge de l’excès de pouvoir. En revanche, il reviendra au juge administratif du contrat d’en connaître si le titre est contractuel.

Pour distinguer, les choses sont complexes parce que le juge ne s’arrête pas à la dénomination de l’acte. Peu importe le titre, l’intitulé donné par l’administration à l’acte, si cette désignation ne correspond pas à sa réalité, alors le juge restaure la réalité de l’acte, peu importe que l’acte soit appelé « convention » si matériellement il s’agit d’un acte unilatéral car à ce moment là le juge du contrat se reconnaîtra incompétent. Il faut tout d’abord voir si l’acte est signé par les 2 parties : il est alors très probable que l’acte soit contractuel. Il ne s’agit là que d’une présomption qui n’est pas irréfragable. Le juge, en général, regarde aussi le contenu du contrat. Si les dispositions de l’acte prévoient des engagements de l’administration envers l’occupant, notamment des dispositions par lesquelles l’administration s’engage à indemniser l’occupant en cas de retrait de son autorisation, alors l’acte contient un échange d’obligations et de droits, l’acte est synallagmatique. Or, si le contrat est synallagmatique, l’acte unilatéral par définition ne l’est pas.

2. Les contrats domaniaux et les autres contrats relatifs au domaine

Les contrats domaniaux ont pour objet l’occupation du domaine public et pour objet principal cette occupation. Or, il existe de nombreux contrats qui entretiennent un lien avec l’occupation du domaine public sans avoir pour objet principal cette occupation.

Les délégations de service public :

Parmi elles, les concessions de SP. Lorsqu’un concessionnaire de SP réalise des ouvrages indispensables à l’exécution du SP confié sur le domaine public, il affecte le terrain accueillant ces ouvrages au domaine public. Les concessions de SP intéressent le domaine public sans avoir pour objet principal l’occupation. L’administration confie un SP à son cocontractant. Et même si le concessionnaire est obligé d’occuper le domaine public, cela ne transforme pas la concession de SP en concession domaniale. La concession de SP est en même temps une concession domaniale mais avant tout un contrat relatif au SP. Du coup, il faut en permanence distinguer si l’occupant est délégataire d’un SP. Si il l’est, alors le contrat qui le lie à l’administration est un contrat de délégation de SP. Si en revanche, l’occupant du domaine public n’accomplit pas de mission de SP, son contrat reste un pur contrat domanial, de simple occupation domaniale.

Cette distinction fait suite à des considérations procédurales. Les délégations de SP ne peuvent pas être conclues sans mesure de publicité et mise en concurrence des entreprises potentiellement intéressées par l’obtention du contrat de DSP. Il n’en va pas du tout de même pour les contrats domaniaux. Les purs contrats domaniaux peuvent être conclus sans mise en concurrence des candidats. Et donc, l’administration, avant de conclure le contrat, doit s’assurer que l’objet du contrat est un contrat domanial ou de DSP. Evidemment, il faut identifier un SP. Jurisprudence Narcy de 1963.

Quelques exemples : - la jurisprudence Sarl Plage chez Joseph, 1999 : il avait installé des transats sur la plage. Se posait la

question de déterminer si le contrat par lequel l’administration lui avait confié le droit d’occuper la plage pour y installer son petit commerce de transat, de parasol et de restauration constituait un simple contrat domanial ou un contrat de DSP. En 1999, le décret de 2006 n’existait pas : affirmant que les concessions de plage constituent des DSP. Le juge a du là se prononcer sur la nature du contrat. Et ayant constaté que le concessionnaire devait non seulement exploité son commerce mais aussi assurer l’entretien de la plage qui lui était confiée ainsi que la sécurité des baigneurs, le CE en a déduit qu’il ne s’agissait pas d’une délégation seulement domaniale mais d’une DSP puisque le maintien de l’ordre public sur la plage constitue une mission de SP.

- Arrêt du 12 mars 1999, Ville de Paris c/ société Stella Maillot Orée du Bois : Bois de Boulogne. Lieu public, promenade public. La société exploitant le restaurant l’Orée du Bois voulait obtenir le renouvellement de son titre d’occupation. Se posait la question de savoir s’il s’agissait d’un contrat domanial ou d’une DSP. S’il s’agissait d’une DSP, le référé précontractuel était possible alors qu’il est irrecevable pour les contrats domaniaux. Le CE constate que le resto concourt à la renommée de Paris par la qualité de ses menus, la

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gentillesse du personnel…mais pour autant ce restaurant est exploité dans l’intérêt premier de ses propriétaires, il n’est soumis à aucune contrainte suffisante pour que son activité soit constitutive d’une mission de SP et du coup, le contrat par lequel la société pouvait occuper le restaurant était purement domanial, il ne s’agissait pas d’une DSP.

- Affaire du Stade Jean Bouin : savoir si l’exploitation de ces équipements sportifs constitue un SP ou pas. Cette exploitation sera –t-elle suffisamment tournée vers l’IG ? Ne s’agit que d’une occupation domaniale, la mise en concurrence ne serait pas nécessaire… Contentieux qui dure depuis 2009. = Difficulté d’identification du contrat domanial et du contrat de DSP.

Les marchés publics de mobilier urbain 

Les marchés publics de mobilier urbain portent sur les panneaux d’informations et publicitaires que l’on trouve sur les trottoirs, la voie publique… Se posait la question de la nature des contrats relatifs à l’implantation de ce mobilier urbain. Pendant très longtemps, la jurisprudence était floue. Elle était tellement floue que la société JC Decaux assurait à toutes les communes qu’il s’agissait de contrats domaniaux. Argument de la société : elle installait simplement des panneaux sur les trottoirs, il y a une occupation du domaine et seulement une occupation. Si il y avait eu DSP, il y aurait eu mise en concurrence. La société Decaux certifiait aussi que ce n’était pas un marché public. Arrêt du 4 novembre 2005, Soc JC Decaux : affirme que les contrats de mobilier urbain constituent des marchés publics alors même qu’ils emportent occupation du domaine public. Le CE a du éliminé le contrat de DSP : certes, parmi les panneaux installés, il y en a toujours laissés à l’entière disposition de la commune afin qu’elle affiche des informations d’ordre public intéressant les affaires communales. Toutefois, la société ne concourrait pas directement à un SP et la jurisprudence époux Berthin n’était pas satisfaite. Et le CE explique qu’il s’agit d’un marché public parce que l’occupation du domaine public n’est qu’un effet collatéral du contrat passé entre la société et la commune. Pour le CE, le contrat est un moyen pour l’administration d’acquérir des panneaux sur lesquels elle affichera des informations municipales et ce n’est que par accident que ces panneaux se trouvent sur le domaine public. Question : pour qu’il y ait marché public, il faut que le contrat soit onéreux. Or, les contrats passés par la société avec les communes ne sont pas explicitement onéreux car la commune ne verse aucune somme d’argent. Le CE repousse cet argument en expliquant que la commune renonce à des créances en acceptant que se compensent les frais d’installation des panneaux par les frais d’installation et l’exploitation des panneaux strictement publicitaires gérés par Decaux. Tout l’intérêt de la solution est d’imposer une mise en concurrence. Le CE a forcé l’interprétation pour exclure le contrat de la qualification de contrat domanial. Il voulait un contrat qui puisse imposer une mise en concurrence des entreprises. Pourquoi ? Parce que les contrats domaniaux peuvent être conclus sans mise en concurrence.

Les contrats d’installation des appareils de TV dans les hôpitaux :

Est ce que le contrat par lequel l’hôpital autorise une société à installer une TV dans chaque chambre est un contrat domanial ou un autre type de contrat ? A priori, on pourrait imaginer qu’il s’agit d’un contrat domanial car la TV est accrochée au mur de l’hôpital qui fait parti du domaine public. Le CE refuse cette explication au motif que le contrat n’a pas pour objet principal l’occupation du domaine public. En réalité l’hôpital ne cherche qu’à agrémenter le séjour des patients. Et il ne s’agit pas non plus d’un contrat de marché public parce que l’hôpital ne recherche pas la satisfaction d’un de ses besoins mais celui des patients. Ce n’est pas un contrat administratif… C’est un contrat de droit privé et c’est le JJ qui est compétent.

2§ Le régime de droit commun

Le régime de droit commun des titres domaniaux se caractérise par la précarité de ces titres et par le fait que les occupants n’ont aucun droit en principe à occuper le domaine. N’ont aucun droit à occuper le domaine de façon stable et pérenne en raison du principe d’inaliénabilité du domaine public. Ces éléments se retrouvent tout au long de la vie du titre domanial. C'est-à-dire aussi bien lors de son octroi que lors de son exécution ou encore de sa disparition.

I. Les conditions d’octroi

Au 19ème siècle, l’administration pouvait accorder des autorisations domaniales de façon libre. Aujourd’hui, sa liberté perdure mais se trouve de plus en plus encadrée, notamment du fait de l’empire sans cesse plus grand du droit de la concurrence . Toutefois se maintiennent quelques règles visant à protéger le domaine contre ses occupants.

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1ère règle : l’obligation de détenir un titre pour occuper le domaine. Ce titre est délivré à la suite d’une procédure relativement souple par des autorités variées qui peuvent assujettir le titre à des conditions financières et à des conditions matérielles. 

A. Une autorisation obligatoire

On ne peut pas occuper le domaine public sans une autorisation expresse de l’administration. Ceci est vrai dans toutes les circonstances. Le silence de l’administration, son inertie face à une occupation qui n’a pas fait l’objet d’une autorisation explicite, ne vaut pas acceptation de l’occupation. L’occupant sans titre, même celui qui occupe le domaine public sous la vue de l’administration, est un occupant illégitime. L’administration doit alors l’expulser et lui demander de réparer les dommages qu’il a causés au domaine public. Il doit aussi payer les redevances qu’il aurait du honorer s’il avait obtenu un titre en bonne et due forme. Le titre à obtenir est nécessairement un titre domanial. Tout autre titre, ne sert à rien. Ainsi, l’obtention d’un permis de construire sur le domaine public ne vaut pas autorisation d’occuper le domaine public. La personne qui entend construire sur le domaine public doit obtenir un permis de construire d’une part et d’autre part une autorisation domaniale pour pouvoir occuper le domaine public. On a là une conséquence de l’indépendance des législations domaniale et urbanistiques. De la même façon, une autorisation délivrée au nom du droit de l’environnement à une entreprise susceptible de polluer les rivières, ne vaut pas autorisation pour cette entreprise d’occuper les berges du domaine public fluvial.

Ce titre doit absolument être express. Tout silence de l’administration est analysé par le juge comme un refus de l’occupation. Donc, la personne qui solliciterait une autorisation et qui au terme d’un délai de 2 ou 4 mois déduirait du silence de l’administration qu’elle lui a autorisé d’occuper le domaine public se trompe. Le silence de l’administration vaut refus catégorique d’occuper le domaine public. Arrêt SIPPEREC du 31 mars 2003 

Si un occupant occupe de manière illégitime, il n’est pas interdit de régulariser sa situation. L’occupant illégitime devra payer les redevances qu’il a oublié de verser. Il sera poursuivi pour contravention de grande voierie ou de voierie. Mais si l’administration y trouve son compte, elle pourra aussi lui accorder une autorisation en bonne et due forme. Si elle délivre, cela n’affranchit pas l’administration de poursuivre l’occupant pour les fait commis avant.

Personne n’a droit à ce titre. L’administration peut refuser l’autorisation d’occuper son domaine public. Elle peut refuser parce qu’elle est propriétaire de son domaine et comme tout propriétaire, elle est libre d’accorder ou non à des tiers la possibilité d’utiliser ses biens. Nous verrons que cette liberté est encadrée mais c’est une liberté de principe, sauf dérogation.

Dérogations   : - Les morts ont droit à une sépulture. Les textes prévoient expressément que les administrés ont droit à une

sépulture dans les cimetières. Or, les cimetières font partis du domaine public. Dérogation au fait que les administrés n’ont pas un droit à l’occupation. Le principe d’inaliénabilité est d’autant plus atteint que les concessions funéraires sont de très longues durées.

- D’autres textes prévoient des droits à occupation du domaine public : ces textes concernent les exploitants de réseaux électriques, de gaz, de produits chimiques ou de télécommunications. Pour éviter que les communes empêchent les entreprises de réseaux d’installer leurs infrastructures nécessaires, le législateur a accordé un droit à ces entreprises à occuper le domaine public. Il faut les concilier avec le droit de propriété des CT.

Les motifs de refus   : Ils sont très nombreux puisque tout motif d’IG suffit pour justifier un refus d’autorisation domaniale. L’administration peut donc invoquer des considérations d’ordre public, d’ordre esthétique, la protection de l’environnement voire des considérations financières. Si l’occupant n’est pas capable de payer la redevance exigée par l’administration, alors l’administration peut lui refuser le titre sollicité. Cela a été jugé dès 1969, Société Affichage Giraudy. Toutefois, lorsque l’administration accorde ou refuse des titres, elle doit respecter le principe d’égalité. Ces refus ne peuvent pas être arbitraires mais fondés sur des motifs d’IG appliqués de façon égale et non discriminatoire à tous les prétendants à l’occupation du domaine public. Jurisprudence du 18 novembre 1966, Froment et arrêt veuve Clément : il s’agissait de forains qui se plaignaient du fait que la commune leur avait refusé la possibilité d’implanter leurs manèges sur le domaine public municipal. Pour Mr froment, la commune avait justifié son refus en se fondant sur l’ancienneté des occupations. Elle avait décidé de privilégier les occupants de longues dates. Ainsi les forains venant depuis plusieurs années étaient privilégiés, ils obtenaient en priorité les places disponibles et si ils restaient de la place, les places étaient accordées aux nouveaux

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forains. Le CE a annulé le refus car pour le CE l’ancienneté de la fréquentation par les forains de la fête n’était pas un motif d’IG suffisant. Et la différence tenant à l’ancienneté ne constituait pas une situation en lien avec l‘objet de la réglementation c'est-à-dire l’occupation du domaine public. Le critère de l’ancienneté était discriminatoire. En revanche, dans l’affaire Clément, le maire avait refusé de délivrer un titre au motif que les divertissements proposés par le forain ne présentaient pas d’intérêt pour les administrés. Le maire préférait accorder des autorisations domaniales aux forains offrant des activités plus attrayantes : ça c’est un critère pertinent. On voit là une différence entre les forains mais en lien avec le but de la réglementation et cette discrimination devient légitime.

Le droit de la concurrence aujourd’hui vient limiter quelque peu la liberté de l’administration de refuser des titres domaniaux. En vertu de la jurisprudence Soc Eda de 1999, l’administration ne peut plus délivrer un titre domanial qui aurait pour effet de donner la possibilité à son titulaire d’abuser de sa position dominante. Autrement dit, lorsque l’administration accorde un titre domanial, elle ne doit pas troubler le jeu de la concurrence entre les entreprises privées, elle ne doit pas faire en sorte qu’une entreprise se trouve dans une situation à ce point confortable qu’elle puisse dicter ses conditions aux autres entreprises et aux consommateurs. Si l’entreprise acquiert une position dominante dont elle pourrait abuser, l’administration doit refuser cette autorisation.

B. La procédure

Puisque personne n’a de droit à l’occupation du domaine public, l’administration les accorde librement à qui elle veut. Aucune procédure ne s’impose en principe à l’administration. Comme déjà dit, aucun texte ne pose l’obligation générale de mise en concurrence des candidats à l’occupation du domaine public. En pratique, l’administration recourt fréquemment à une mise en concurrence des candidats, tout simplement parce que grâce à cette mise en concurrence elle espère obtenir des candidats, des propositions de redevances plus élevées. L’administration monnaie le droit d’occuper le domaine public. Et cette mise en concurrence peut se révéler très profitable.

Si l’administration organise une procédure de mise en concurrence elle doit la respecter intégralement.

La liberté de l’administration en matière d’occupation domaniale s’amenuise peu à peu. Le droit commun tend à imposer un minimum de concurrence lors de l’octroi des titres domaniaux. CJCE, 7 décembre 2000, Teulaustria : selon cet arrêt, les autorités nationales ne sont pas seulement liées par les directives communautaires adoptées en matière de concurrence. Les autorités nationales doivent dans toutes leurs activités susceptibles de troubler le jeu de la libre concurrence adopter des comportements transparents afin que justement la concurrence ne soit pas faussée par leur intervention. Et cela, quelque soit leur activité, le montant des redevances exigées par les administrations pour l’occupation de leur domaine public. La grande difficulté pour les administrations nationales tient au fait que le traité communautaire posant le principe de la libre concurrence ne définit pas les règles de procédure à respecter par les autorités nationales. Et donc la Cour impose aux autorités nationales de respecter le principe de la libre concurrence mais la Cour laisse aux autorités nationales le soin de déterminer la procédure la mieux adaptée pour que la libre concurrence ne soit pas faussée lorsqu’elles accordent une autorisation domaniale. Difficulté pour les administrations : elles doivent déterminer quel est le marché pertinent et une fois défini, elles doivent établir la procédure de mise en concurrence adaptée à ce marché. Le marché pertinent c’est l’ensemble économique dans lequel s’inscrit l’intervention de l’administration. Pour la construction d’une autoroute par ex : le marché pertinent c’est l’Europe toute entière. En revanche, l’octroi de l’autorisation d’occuper une terrasse dans une rue s’inscrit dans un marché pertinent très limité. Au mieux si on voulait accorder une autorisation domaniale pour occuper le recoin en face de nous, seules 2 entreprises seraient intéressées : Paris bas et la société exploitant le trottoir du panthéon. On imagine mal une entreprise allemande servir des cafés à cet endroit alors qu’elle n’a pas d’installation. Et donc la CT définissant le marché pertinent doit procéder à ce type d’analyse. Le plus simple c’est de procéder à des mises en concurrence tout le temps de façon large pour éviter de commettre une illégalité. L’inconvénient est que la mise en concurrence coûte cher et prend du temps. La publication des annonces dans les journaux destinés à ces informations est coûteuse. Donc les communes qui ont de faibles moyens rechignent à dépenser de l’argent pour des petits marchés ou des petites occupations domaniales.

Le droit français ne dit pas grande chose de différent. Certains textes prévoient précisément la mise en concurrence des candidats. A chaque fois ce sont des textes particuliers concernant une activité particulière. Est-ce que le droit de la concurrence française s’impose aux autorités administratives? Pas vraiment. En tout cas l’administration ne doit pas conférer une position dominante susceptible d’abus à une entreprise. Mais pas plus de précisions.Pourtant, certains tribunaux administratifs ont osé imposer la mise en concurrence des prétendants à l’occupation du domaine public. TA Nîmes, Société des trains touristiques Eisenreich 2008 : les juridictions du fond semblent assez sensibles aux injonctions de la CJCE. Le CE s’y refuse lui.

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L’administration en revanche a l’obligation d’examiner toutes les demandes et de motiver ses refus. Il suffit d’expliquer que son domaine public est déjà bien occupé ou qu’il ne doit pas être occupé aux conditions proposées. Cette motivation sert seulement de garantie contre l’arbitraire de l’administration.

C. Les autorités compétentes pour délivrer les titres

L’autorité varie en fonction de la nature du titre.

Les permis de stationnement : sont délivrés par les autorités de police administrative générale. Comme les permis de stationnement n’autorisent que l’occupation superficielle du domaine, tout au long du 19ème siècle, la doctrine et le juge ont estimé que ces autorisations n’affectaient pas la propriété du domaine, mais intéressaient le maintien de l’ordre public dès lors qu’il est question d’OP il revient naturellement aux autorités chargées de la police administrative générale de les délivrer. Ainsi, le maire est compétent pour la commune, le préfet au niveau départemental, le 1er

ministre au niveau national. Et cette compétence se justifie par la police administrative et non pas par la propriété. Il en découle que le maire dans le territoire de sa commune est compétent pour délivrer un permis de stationnement même sur un domaine public qui ne lui appartient pas. A Paris, le maire est compétent même sur le domaine public de l’Etat.

Il n’en va pas de même pour les permissions de voierie et les contrats domaniaux. Ces derniers sont délivrés par le gestionnaire du domaine, qui généralement en est le propriétaire. Comme ces autorisations permettent à l’occupant d’occuper longuement le domaine, elles intéressent directement le droit de propriété, il est donc normal que ce soit le gestionnaire du domaine qui les délivre.

D. Les clauses de conditions matérielles

L’administration peut refuser les titres mais au lieu de les refuser elle peut aussi les accorder en les assujettissant à des conditions matérielles. C’est ainsi qu’elle fixera la durée de l’occupation en vertu de l’article L.2122-2 du CGPPP. Les titres domaniaux sont toujours temporaires. Si ces titres sont temporaires, il convient que l’administration fixe la durée de validité de ses titres. Si elle ne prévoit pas cette durée, le titre n’est pas pour autant illégal. Jugé le 5 février 2009, Soc centrale d’agriculture de Nice. Le titre ne sera pas illégal parce que l’administration pourra toujours abroger le titre puisqu’il est précaire. Toutefois, cette jurisprudence est critiquable car si le titre n’a pas de durée, il n’a pas besoin d’être renouvelé. Dès lors l’occupant dans le silence de l’administration se voit garanti de pouvoir occuper le domaine public de façon indéfinie sans risque d’une mise en concurrence avec d’autres personnes privées.Si l’administration n’indique pas la durée d’occupation, le titre n’est pas pour autant illégal car l’administration conserve à tout moment la possibilité de mettre fin au titre.

La jurisprudence du CE bute néanmoins sur un point : celui de la mise en concurrence régulière des candidats à l’occupation. Si le titre ne connaît aucune limite et si il faut attendre que l’administration daigne retirer le titre pour qu’il y ait une mise en concurrence, il est évidemment que les entreprises concurrentes à l’occupant se trouvent bloquées et doivent attendre le retrait du titre. L’autre possibilité est d’engager une action contre l’administration pour la contraindre à retirer ce titre. C’est une procédure longue et compliquée.

En dehors du temps, il y a l’espace. Toute occupation du domaine public porte sur une superficie. Il importe donc que les parties s’entendent sur l’espace occupé. La jurisprudence est intervenue en matière contractuelle. Ainsi dans un arrêt de la CAA Marseille du 2 juillet 2009 Dyneff : l’absence d’indications précises des limites du domaine public occupé emporte nullité du contrat d’occupation domaniale. Ce contrat comme tout contrat repose sur l’accord de volonté. Si les parties ne se sont pas mises d’accord sur l’espace occupé alors que c’est l’objet même du contrat, le contrat est nul. Ce recours au consensualisme ne peut pas être transposé aux actes unilatéraux qui reposent sur la seule volonté de l’administration. Il n’en reste pas moins que même pour ces actes, l’indication de la superficie du domaine occupé constitue une condition essentielle de l’acte. En effet, si l’espace n’est pas précisé alors l’occupant n’est pas réellement précisément autorisé à occuper le domaine. Il devient un occupant sans titre et encourt des sanctions. Or, comme il commettrait ces fautes à cause de l’administration il pourrait engager sa responsabilité. Il y aurait donc une action contre une autre action : le mieux est de considérer que l’acte d’autorisation est nul.

Autres obligations de l’occupant : L’administration peut contraindre l’occupant à certains comportements et si il ne s’y plie pas, l’administration ne lui délivrera pas le titre ou le lui retirera. Par exemple, l’administration peut imposer aux commerçants occupant le

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domaine public de s’inscrire au RCS. L’administration peut aussi contraindre son occupant à assurer l’immeuble qu’il occupe contre les inondations ou les incendies. Mais l’administration peut aussi fixer des heures d’ouverture du commerce ouvert sur le domaine public et en fixant ces heures, l’administration ne transforme pas l’activité en activité de SP, elle ne fait que réglementer l’usage de son bien et fait comme tout propriétaire car le droit de propriété confère un droit de réglementation de l’usage du bien par les tiers. Certains arrêts autorisent même l’administration à réglementer le produit que le commerçant vendra sur le domaine public. Ainsi, un commerçant sera –t-il autorisé à vendre des fruits et légumes et rien d’autre. Dès lors que l’administration ne commet pas d’excès dans sa réglementation, elle reste licite.

E. Les clauses financières de l’autorisation

En vertu de l’article L.2125-1 du CG3P, toutes les autorisations domaniales, même celles accordées par les autorités de police (permis de stationnement) sont onéreuses. Par principe, les occupations privatives ne sont donc pas gratuites. Cette absence de gratuité ne doit absolument pas être critiquée. Tout d’abord, l’occupant bénéficie d’une situation privilégiée : utilisant privativement (de façon exclusive) un domaine public normalement affecté à l’usage direct du public ou à un SP, l’occupant jouit d’un privilège. Et pour compenser ce privilège, l’administration se trouve dans l’obligation de lui imposer le paiement d’une redevance. Ainsi le principe d’équilibre se trouve-t-il rétabli. La 2ème raison tient aux finances publiques. Le domaine public occupé constitue le patrimoine de l’administration. Dès que l’administration met ce patrimoine à disposition de tiers, il est normal que l’occupant paie une redevance. Ainsi les finances publiques se trouvent en meilleur état. Cette redevance ne doit pas être confondue avec une taxe. Les redevances ne sont pas de recettes fiscales. Il s’agit bien de redevances c'est-à-dire de contreparties à un avantage procuré par l’administration directement à l’occupant. Il ne s’agit pas d’un service rendu au sens des délégations de SP. Il n’en reste pas moins que les redevances pour service rendu et les redevances pour dépendance domaniale sont calculées de la même manière depuis 2007. En 2007, le CE a simplifié les choses : l’administration calcule la redevance en fonction de tous les avantages procurés à son partenaire. Et comme ce n’est pas une taxe fiscale, le législateur n’a pas à intervenir pour en fixer le montant. Alors que l’impôt relève de la compétence du législateur, les redevances relèvent de la compétence des autorités administratives. Les redevances ne sont payées que par les personnes qui utilisent le domaine public et les redevances reposent sur le libre consentement de l’administré et il est donc normal qu’il ne soit pas protégé par le législateur car il peut s’abstenir de l’utilisation.

Le principe est que l’administration fixe librement le montant. Toutefois cette liberté n’est pas absolue. L’administration doit tenir compte de tous les avantages qu’elle met à disposition de l’occupant mais seulement de ceux-ci. La plupart du temps, l’administration tient compte de la valeur locative de l’immeuble loué. Autre méthode développée : le % du CA. Ainsi la redevance variera en fonction du CA réalisé par l’occupant. Le taux est fixe mais le montant varie et l’administration a donc tout intérêt à ce que l’occupant ait une activité rentable. Dans quelques affaires ce taux peut être très élevé (65%), ce qui paraître colossal. Toutefois ce montant n’est pas si exagéré que cela quand l’emplacement occupé constitue l’élément le plus important du commerce. Parfois, dès lors que l’occupant réalise des investissements, dès lors qu’il ne poursuit pas seulement son intérêt personnel mais que celui-ci concourt en même temps à l’IG, le montant de la redevance baisse. Plus l’occupant ne recherche exclusivement que son intérêt personnel, plus l’administration se trouve en droit d’exiger une redevance élevée. A titre d’exemple, l’affaire jugée par la CAA de Lyon du 12 juillet 2007, Ville de Lyon : il s’agit de la redevance que l’Olympique lyonnais devait payer à la ville pour l’utilisation du stade de foot. Le calcul de la redevance a pris en compte l’ensemble des recettes tirées de l’utilisation du stade, la location des emplacements publicitaires, mais aussi les coûts d’entretien et de construction que la ville avait du supporter lorsqu’elle avait elle-même construit le stade. La ville a fait relativement une bonne affaire car la convention a été conclue à un moment où les lyonnais savaient frapper dans un ballon. Evidemment, le législateur et le pouvoir réglementaire sont intervenus pour réglementer la liberté de l’administration. Certains textes fixent des bornes à la hausse ou à la baisse afin que les propriétaires publics n’abusent pas de leur position. Il ne faudrait pas qu’ils exigent des redevances à ce point élevées qu’elles finissent par décourager les investisseurs privés ou même à paralyser les industriels ou les commerçants. Dès lors, elle pourrait commettre un abus de position dominante en refusant l’accès aux infrastructures essentielles : la redevance est non seulement illégale mais en plus l’administration pourrait se voir condamner. CAA de Paris 12 février 2010, Société RTE EDF transports.

Normalement l’administraton doit exiger le paiement d’une redevance mais ce principe a des exceptions. 4 exceptions de gratuité sont posées par l’article L.2125 du CG3P.

► Les radars : le 31 octobre 2007, le département de l’Essonne, s’est dit qu’il était injuste que l’Etat conserve l’intégralité des amendes perçues grâce aux radars fixes. Pour le département ceci était d’autant plus injuste

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que l’Etat avait transféré un grand nombre de ces routes au département. Et les départements se trouvaient dans l’obligation d’entretenir ces voies. Le raisonnement tenu : les routes sur lesquelles sont implantées les radars appartiennent au département ou aux communes, dès lors ces CT sont en droit d’exiger à l’Etat une redevance pour l’occupation par les radars appartenant à l’Etat. Le calcul de la redevance était calculé par le CA généré par les amendes. L’argument a fait peur au gouvernement. La gauche a fait peur à la droite puisque le législateur est intervenu pour affirmer qu’en réalité les radars sont des accessoires au domaine pub. Le législateur a fait en sorte que les radars puissent être implantés gratuitement sur le domaine public.

► Les services publics : la gratuité d’une occupation domaniale peut être accordée lorsque l’occupation est la condition naturelle et forcée de l’exécution de travaux ou de la présence d’un ouvrage intéressant un SP qui bénéficie gratuitement à tous. Ce qui signifie que le SP ne peut pas être industriel et commercial puisque les SPIC se caractérise par le prélèvement d’une redevance sur les usagers. Ne vaut que pour les SPA. Ainsi une commune pourra obtenir l’occupation du domaine public gratuitement pour installer une école maternelle, un commissariat de police…

► La conservation du domaine : la gratuité des occupations peut aussi être accordée quand l’occupation contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même. Ainsi, si un département autorise le conservatoire du littoral à occuper une de ses parcelles, cette occupation sera gratuite si le conservatoire s’engage à protéger le domaine. Un particulier pourra obtenir le droit d’occuper gratuitement un bâtiment du domaine public si celui-ci nécessite un entretien.

► La gratuité pour certaines associations : l’autorisation d’occuper le domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un IG. Cette exception est la dernière dans le Code mais elle a été au moins corrigée une fois. C’est une faculté pour l’administration mais pas une obligation. Seules les associations à but non lucratif peuvent en bénéficier, excluant les personnes morales à but lucratif mais aussi les personnes privées. Ce qui signifie que les servitudes sont nécessairement payantes aujourd’hui. Enfin, l’association doit concourir à un but d’IG (jurisprudence commune de Fougerolles). L’activité doit être d’IG, il n’est pas nécessaire qu’elle soit de SP.

Si les redevances sont onéreuses, il faut les payer. Comment ? En versant un chèque au Trésor Public, elle est payable d’avance et annuellement. Si le montant est élevé, des aménagements sont possibles mais c’est une exception.

F. Le contentieux de l’octroi des titres domaniaux

Les titres domaniaux ou unilatéraux peuvent faire l’objet de contentieux. L’octroi de ces titres peut nuire à d’autres personnes et ainsi des tiers intenteront des actions dans le but d’obtenir l’occupation. Le contentieux va varier en fonction de la nature du titre.

Les titres contractuels : peuvent faire l’objet d’un recours de type Soc Tropic Travaux Signalisation, 16 juillet 2007 = possibilité pour les tiers évincés d’un contrat administratif de contester la validité de ce contrat . Cette jurisprudence n’a pas été pensée pour les contrats domaniaux. Au départ, il était question de délégation de SP. Or, la formulation du considérant de principe ouvre la porte aux contrats domaniaux : le concurrent évincé peut présenter des conclusions tendant à l’annulation d’un contrat administratif. Or les titres contractuels sont administratifs. Seuls les évincés peuvent intenter cette action. Les autres : jurisprudence Martin.

Si le titre est unilatéral, le contentieux relève de l’excès de pouvoir et tous les tiers intéressés (Casanaova, 1901) peuvent exercer un tel recours contre la décision d’octroyer ce titre ou de ne pas l’octroyer.

II. Les effets des autorisations domaniales

Les effets des autorisations domaniales se rangent en 2 catégories : - il y a d’une part les effets des autorisations domaniales en cours d’exercice - leurs effets quand celles-ci arrivent à leur terme

Dans les 2 cas, le régime applicable est marqué par la précarité et le caractère révocable de ces autorisations découlant du principe d’inaliénabilité. Cela ne signifie pas que l’occupant se retrouve sans protection, cela signifie simplement qu’il n’est jamais assuré de rester un occupant du domaine public.

A. Les effets des autorisations en cours de validité

Ces effets prennent 2 directions :

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- les effets de l’occupation domaniale à l’égard des tiers - à l’égard de l’administration elle-même

On va étudier les rapports entre l’occupant et les tiers puis entre l’occupant et l’auteur de son titre.

1. L’occupant et les tiers

Vis-à-vis des tiers, l’occupant du domaine public apparaît quasiment comme un propriétaire. Il jouit des atouts du propriétaire, sans être propriétaire du domaine public. Et c’est ainsi qu’il dispose des actions possessoires (en complainte, en réintégrande) contre les tiers qui entraveraient sa libre et paisible jouissance du domaine public.

L’occupant peut pendant son occupation, construire tous les ouvrages autorisés par son titre, il peut construire aussi les éléments accessoires et qui prolongent les ouvrages, enfin il peut exploiter l’ouvrage qu’il a édifié sur le domaine.

Toutefois, l’occupant n’est pas un propriétaire à part entière. En effet, il ne peut pas céder son autorisation à des tiers soit en leur vendant soit en leur transmettant par voie d’héritage. = Les autorisations domaniales sont strictement personnelles et sont donc incessibles, à la différence des marchés publics ou des DSP qui eux sont cessibles à condition que l’administration agrée l’acquéreur. On aurait pu imaginer que les contrats domaniaux soient aussi cessibles puisque l’occupant domanial ne représente pas l’administration comme le délégataire de SP représente l’administration auprès des usagers. Donc l’intuitu personae est moins fort dans un contrat domanial que dans un contrat de DSP, et pourtant ces titres restent incessibles. On peut fonder cette règle sur le principe d’inaliénabilité du domaine public. Mais est ce un argument assez fort  ? Ce qu’intéresse l’administration est l’occupant et ce que cela lui rapporte. On devrait donc imaginer que ce titre soit en principe cessible et ce n’est pas le cas. Et le juge est très sévère parce qu’il interdit à l’administration de donner son accord à une cession de titre domanial. L’occupant ne peut pas céder son titre même avec l’accord de l’administration. 1989, Arrêt Munoz.

Cette impossibilité de cession des titres a des inconvénients puisqu’elle empêche les hypothèques sur le domaine public. Il ne faut pas toutefois exagérer les effets néfastes de la prohibition de la cession des titres domaniaux.

Le législateur et la pratique ont amené de nombreux aménagements à cette prohibition.

Tout d’abord, le législateur a prévu que certains titres domaniaux sont cessibles : les autorisations d’utilisation des fréquences hertziennes, les autorisations de stationnement pour les taxis. Pour ce dernier cas, le législateur n’a pas frontalement dérogé à l’incessibilité des titres domaniaux. Le législateur a accordé aux titulaires de ces autorisations de stationnement un droit de présentation. Le législateur prend acte de la pratique consistant pour les chauffeurs de taxi de présenter à l’administration la personne qui prendra la succession et les chauffeurs monnaient la présentation de leur successeur. En pratique, l’administration accepte toujours la personne présentée et le législateur a validé cette pratique. C’est un nouveau titre mais la personne doit payer pour être présenté. Ce droit de présentation existe aussi dans d’autres cas.

L’autre possibilité de contourner cette règle consiste pour l’administration de délivrer le titre domanial à plusieurs personnes à la fois. Nombreux exemples anciens, à propos des occupations du domaine public maritime : l’administration accorde à 2 personnes la possibilité d’occuper le domaine public maritime. Si l’un des 2 meurt, l’autre pourra rester dans les lieux sans avoir à demander une nouvelle autorisation. Là où il y a un problème c’est en cas de divorce. Cela dépend comment est formulé le titre.

Autre technique : sous concession. Un occupant peut sous concéder son autorisation. Ainsi, l’occupant qui bénéficie de plusieurs hectares peut autoriser une autre personne à occuper une parcelle du domaine public. Ainsi, il ne cède pas son titre mais il tolère une autre personne sur le domaine public qu’il occupe. Toutefois, comme les autorisations domaniales sont personnelles, l’occupant ne peut pas en disposer à son gré ce qui signifie que les sous concessions ne peuvent être accordées qu’à la condition d’avoir été autorisées par l’administration gestionnaire. Le régime de ces sous concessions renferme des difficultés. Article L.3031 du CG3P : tous les titres sont administratifs. Dès lors les sous concessions devraient être administratives. Et pourtant, les choses ne sont pas si simples : les juges ont violé la loi. Le décret loi de 1938 affirmait que tous les titres d’occupation domaniale sont administratif et on aurait du en déduire que les sous concessions aussi. Mais les juges ont considéré que ne sont administratifs que les titres accordés par des concessionnaires domaniaux chargés simultanément d’une mission de SP. A contrario, si l’occupant du domaine n’est pas chargé d’une mission de SP, les sous concessions qu’il accorderait revête une nature privée et relève du JJ. Cette jurisprudence a été fixée par une décision du TC de 1956, Société des Steeples-chase : Le TC fait la distinction entre les concessionnaires purement domaniaux délivrant des sous concessions de droit privé et les concessionnaires chargés de SP qui délivrent des sous concession administratives.

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Le TC a validé cette distinction car : si le contrat domanial est administratif, cela signifie que le concessionnaire peut y mettre fin à tout moment pour un motif d’IG. Or, entre 2 personnes privées, il est anormal que le contrat ne fasse pas entièrement la loi des parties. Les personnes privées sont civilement égales. L’une des deux ne peut pas mettre fin unilatéralement à un contrat et donc pour éviter des dérogations entre personnes civiles, le TC a estimé que les concessionnaires purement domaniaux accordent des sous concessions de droit privé. En revanche, si le concessionnaire exploite un SP, il paraît acceptable qu’il dispose de prérogatives suffisantes pour supprimer des sous concessions qui pourraient nuire au SP qui lui a été confié. Aussi, le TC évitait de violer trop frontalement le décret loi de 1938. Aujourd’hui, la jurisprudence reste à peu près celle-ci. Quelques frémissements d’évolution de la Cour de cassation et c’est ainsi que dans un arrêt du 5 mars 2008, Société Naval de Cap dag : la cour de cassation a estimé que le contentieux de l’expulsion d’un sous occupant sans titre du domaine public relève du JA alors même que le concessionnaire domanial principal n’était pas chargé d’une mission de SP.

2. L’occupant et l’auteur du titre

Nous nous intéresserons aux relations entre l’occupant du domaine public et l’administration qui lui a délivré le titre.

Tout d’abord, l’administration ne doit pas perturber l’occupation. Elle doit tout d’abord mettre le domaine public à la disposition de l’occupant. Ainsi, l’administration qui conclut un contrat domanial par lequel elle autorise l’occupation de son domaine et qui ne remplit pas son obligation, engage sa responsabilité contractuelle ou délictuelle si acte unilatéral. Une fois l’occupant installé, elle ne doit pas gêner son occupation. Si elle le fait, elle engage sa responsabilité. Mais il s’agira d’une action devant le JA et non devant le JJ parce que les actions de droit privé (possessoires) sont exclues. L’occupant ne peut pas exercer des actions possessoires de droit privé contre l’administration puisqu’il n’est pas propriétaire du domaine public.

Droits de l’occupant sur ses constructions : L’occupant est propriétaire de ses biens. Tous les ouvrages qu’il a construits sont sa propriété. Mais il n’est pas propriétaire du domaine sur lequel ces ouvrages sont construits. On arrive à la mise en œuvre d’un droit de superficie : l’occupant est propriétaire sur ce qui repose au dessus du domaine public. Le domaine public est inaliénable et l’occupant ne peut être propriétaire que de ses propres biens. Si l’occupant est propriétaire de son bâtiment, il peut donc l’exploiter librement, il peut le détruire, il peut aussi le vendre. Le problème est que l’acheteur ne pourra pas occuper le domaine public parce que l’autorisation domaniale est personnelle. L’acquéreur pourra être propriétaire du bâtiment sans avoir le droit d’occuper le domaine public. La cession du bâtiment en pratique se trouve bloqué. Le système des hypothèques n’est pas possible.

Et pour permettre ce genre de cessions, on a inventé les titres domaniaux constitutifs de droits réels, qui eux sont cessibles. Cette invention date de la fin des années 80’.

L’administration doit garantir une occupation paisible mais cela ne la prive pas de ses pouvoirs. L’administration peut donc modifier le titre domanial. Si le titre est unilatéral, l’administration peut le modifier parce qu’un titre domanial unilatéral n’est pas un acte créateur de droit donc il n’est pas intangible au sens de l’arrêt Thernond de 2001. L’administration peut le retirer et le modifier.

Si le titre est contractuel, la convention domaniale peut être modifiée unilatéralement par l’administration (Arrêt Compagnie du gaz de Déville les Rouen de 1902)Si le titre est contractuel, la modification du contrat est compensée par une indemnisation du cocontractant de l’administration. Si le titre est unilatéral, aucune indemnisation n’est accordée sauf si le titre initial prévoyait le contrat. Il y a une différence de régime entre les contrats domaniaux et les actes unilatéraux. Il vaut mieux détenir un contrat domanial.

La redevance peut aussi être modifiée. L’administration peut modifier la redevance. La jurisprudence limite cette possibilité : elle ne peut la modifier qu’en raison de faits postérieurs à l’octroi du titre domanial. Il faut donc que de nouvelles circonstances justifient la modification de la redevance. Mais le juge se montre très souple avec l’administration parce qu’il suffit que l’administration constate que le CA de l’occupant dépasse largement ce qui avait été initialement prévu pour que cela constitue un fait nouveau et justifie ou autorise une augmentation de la redevance. A la différence des contrats administratifs ordinaires, même les clauses financières peuvent être modifiées.

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Enfin, si l’administration engage des travaux sur le domaine occupé : l’occupant n’a pas doit en principe à une indemnisation parce que sont tire est précaire donc il n’a aucun droit à une stabilité de son occupation. Il ne faut pas que son occupation nuise à un IG qui commande à l’administration de réaliser des travaux. = Non indemnisation des travaux engagés par le propriétaire du domaine public. Toutefois, cette règle connaît une exception. En vertu de l’arrêt de 1981 Ministre de l’équipement c/compagnie française de raffinage : l’occupant a droit à une indemnité si les travaux réalisés sur le domaine qu’il utilise sont étrangers à l’intérêt même du domaine occupé. Ainsi, si le domaine occupé est une route et si l’administration décide d’élargir la route ou de la rendre plus sûre, l’occupant n’a pas droit à une indemnité parce que les travaux sont réalisés dans l’intérêt du domaine occupé. En revanche, si l’administration décide d’y réaliser un canal, les travaux ne sont pas réalisés dans l’intérêt du domaine mais dans un autre but et l’occupant a droit à une indemnisation. Le JA se montre plutôt sévère avec les occupants, il a tendance à facilement trouver l’intérêt du domaine dans les travaux réalisés ce qui le conduit à exclure le droit à indemnisation. Cette sévérité n’est que l’expression de la précarité des titres domaniaux. L’arrêt de la CAA de Paris de février 2010 vient modifier cette règle mais cette jurisprudence n’a pas été confirmée.

B. L’expiration des titres domaniaux

Les titres domaniaux généralement arrivent à leur terme parce que l’administration n’a aucun intérêt à aller supprimer avant leur date de fin de vie : cela découragerait les investisseurs. Toutefois même si la plupart expirent au terme prévu, certains expirent de manière anticipée.

1. L’expiration au terme prévu

Quand un titre expire, se pose la question du renouvellement de ce titre. Le principe est que l’occupant n’a pas de droit au renouvellement de son titre d’occupation, faisant la différence avec le bail commercial. Le non renouvellement par l’administration d’un titre domanial, contractuel ou unilatéral, ne constitue pas une faute et n’a pas à être indemnisé. Le non renouvellement ne coûte rien à l’administration. Et si le titre n’est pas renouvelé, l’administration pourra soit accorder l’autorisation à un tiers soit récupérer le bien et l’utiliser elle-même.

Toutefois, la jurisprudence admet que les titres domaniaux prévoient des mécanismes de reconduction tacite des titres. Ces mécanismes de reconduction sont licites dans la mesure où les parties conservent la faculté de renoncer à la reconduction. L’administration généralement est la partie qui renonce à la reconduction, elle doit prévenir l’occupant dans un certain délai fixé par le titre. Et, là encore, il n’y aura pas d’indemnisation parce que les titres sont précaires et donc l’occupant n’a ni la garantie de se maintenir dans les lieux pendant et après le titre. Ces mécanismes de reconduction tacite sont développés mais contraires au droit communautaire et au droit de la concurrence.

Si l’administration ne reconduit pas l’occupant dans ce cas, celui-ci doit libérer les lieux mais il doit aussi remettre les lieux en état. Il a l’obligation de remettre les lieux dans l’état où il les a trouvé sauf si l’administration lui accorde la possibilité de laisser les ouvrages édifiés sur le domaine et ces ouvrages deviendront la propriété de l’administration par le mécanisme civil de l’acception.

2. L’expiration anticipée

3 causes doivent être envisagées : - la première expiration anticipée peut être due au titulaire : renonciation - la suppression du titre par l’administration- l’annulation du titre par le juge

a. La renonciation au titre

Il faut envisager 2 hypothèses : de l’autorisation contractuelle et de l’autorisation unilatérale

Si le titre est contractuel : il lie l’occupant à l’administration, le contrat forme la loi entre les parties. Dès lors l’occupant ne peut pas unilatéralement renoncer au bénéfice de son titre. L’administration attend de lui qu’il procède à des investissements, qu’il verse des redevances et la plupart du temps, elle espère récupérer gratuitement les ouvrages que l’occupant réalise sur son domaine. Donc si l’occupation renonce à son titre, l’administration se trouve lésée et pourra engager la responsabilité pour faute contractuelle de l’occupant. Sauf si le titre prévoit des dispositions contraires.

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Si le titre est unilatéral : dans ce cas là, l’occupant n’est pas lié contractuellement. Et pourtant, même si la jurisprudence n’en dit rien, il est peu probable qu’il ait droit à renoncer au titre. Si il renonce au titre, il risque de causer un dommage à l’administration. Dès lors sa responsabilité délictuelle pourrait être engagée par l’administration. Tout ceci sous réserve de certaines dispositions contraires : le Code du domaine de l’Etat prévoit des dérogations, interprétées de façon stricte.

L’administration se trouve dans une situation plus favorable.

b. La suppression du titre par l’administration

Les titres sont précaires et jouent au bénéfice de l’administration qui peut mettre un terme à tout moment à un titre domanial. Evidemment, cette décision doit être justifiée par l’IG ou par le comportement fautif de l’occupant. Et on retrouve ici des éléments du droit des contrats : la suppression du titre domanial peut être décidée dans un but d’IG ou à titre de sanction de l’occupant.

La suppression pour motif d’IG   :

Il faut distinguer la nature du titre. Si titre unilatéral : l’administration peut l’abroger. Attention, le juge et la doctrine peuvent utiliser l’expression « retrait » mais ce n’en est pas un car le retrait a une nature rétroactive. L’administration ne retire pas les titres, elle les abroge c'est-à-dire en supprime les effets pour l’avenir. Donc, ce qui s’est passé auparavant n’est pas remis en cause. Cette abrogation du titre n’est pas une sanction donc l’administration n’a pas à respecter les droits de la défense de l’occupant. Cette abrogation peut être décidée pour tout motif d’IG. Un REP peut être intenté par l’occupant contre la décision d’abroger.

Si le titre est contractuel, le régime juridique diverge. La suppression du titre prend l’appellation de « résiliation » et nous retrouvons le droit des contrats administratifs. Tout motif d’IG peut justifier cette résiliation. Par exemple, l’administration peut abroger un titre d’occupation d’un port pour construire une route. Mais le juge interviendra souvent en cas de résiliation du titre domanial. En effet, les concessions domaniales suivent le même régime que les concessions de SP. Dès lors que l’occupant procède à des investissements importants sur le domaine, l’administration ne peut pas résilier elle-même la convention domaniale. Elle doit saisir le JA du contrat qui prononcera à sa place la résiliation. C’est une dérogation au privilège du préalable. But : protéger l’investisseur. Le CE pose la règle inverse : la résiliation d’une concession domaniale impliquant de lourds investissements sur le domaine ne peut être prononcée que par le juge. Toutefois, si le contrat domanial prévoit que l’administration pourra unilatéralement résilier le contrat, alors l’administration n’aura pas à saisir le JA. Et on voit que ce pouvoir de résiliation unilatérale n’est reconnu à l’administration qu’en vertu du contrat lui-même. L’occupant devra alors saisir le juge du contrat pour faire annuler cette résiliation.

L’administration est elle obligée de résilier ou d’abroger les titres domaniaux ? Elle se trouve obligée de supprimer les titres quand ceux-ci sont illégaux. Si le titre est unilatéral, alors l’administration pourra d’elle-même et devra d’elle-même abroger le titre. Arrêt de la CAA de Bordeaux de 2008, Ecole des Mines d’Alb. Si le titre est contractuel, l’administration devra utiliser une nouvelle action, posée par l’arrêt Commune de Béziers de 2009 : action en contestation de la validité contractuelle. Et le juge saisi d’une telle action ne prononcera l’annulation du titre que si son illégalité est grave, insusceptible de régularisation et si enfin la disparition du titre ne cause pas à l’IG plus de dommages que son maintien.

Si le titre est supprimé, l’occupant a droit dans certaines circonstances à une indemnisation. Il est supprimé pour motif d’IG et il ne faut pas sacrifier l’occupant qui a droit à une compensation financière. Toutefois, il faut distinguer selon la nature du titre. Si titre contractuel, depuis jurisprudence Société Jonathan Loisirs de 2009, l’occupant a droit à une indemnisation même si celle-ci n’est pas prévue par le contrat lui-même. Si le contrat prévoit des modalités d’indemnisation en cas de résiliation pour motif d’IG, il va de soi que ces dispositions s’appliquent en lieu et place de la jurisprudence Société Jonathan Loisirs. La jurisprudence Société Jonathan Loisirs de 2009 applique le même régime aux contrats domaniaux qu’aux autres contrats administratifs

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alors qu’auparavant, en cas de résiliation d’un contrat domanial, l’occupant n’avait droit que si celle-ci était prévue par le titre. Si le titre est unilatéral, alors la règle inverse s’applique. En effet, la jurisprudence Soc Jonathan Loisirs ne vaut que pour les contrats. A priori elle ne vaut pas pour les actes unilatéraux cela signifie qu’en cas d’abrogation pour motif d’IG d’un titre unilatéral, l’occupant n’a pas droit à une indemnisation. Cela se justifie par le principe de la précarité des autorisations domaniales. Toutefois, le titre unilatéral peut prévoir lui-même une indemnisation en cas d’abrogation.

Cette abrogation doit faire l’objet d’une motivation. Cette motivation s’impose si l’acte est unilatéral. Elle devient aussi une obligation si l’administration est autorisée à résilier unilatéralement elle-même le titre. Si c’est le juge qui prononce la résiliation, l’administration n’a rien à motiver.

Remboursement de la redevance par l’occupant ? Avant 2006, une fois la redevance payée, l’occupant n’avait pas le droit au remboursement même si son titre disparaissant avant le terme. Le CG3P pose la règle législative contraire : ce remboursement ne porte que sur un montant calculé au prorata de l’occupation effective du domaine. Cette disposition est quand même symptomatique des rapports que l’administration noue avec les occupants. Elle démontre que avec le CG3P, même quand le titre est unilatéral il y a une norme d’échange entre l’autorisation et la redevance ; alors qu’auparavant l’idée était qu’occuper un domaine public constituait un privilège qui devait être payé.

La suppression sanction

Si l’occupant ne respecte pas le titre et les conditions que le titre lui impose, il commet une faute. Si cette faute est suffisamment grave, l’administration peut décider de mettre un terme au titre domanial. Nous retrouvons les mécanismes énoncés en fonction de la nature du titre. Soit l’administration est habilitée à procéder unilatéralement à son abrogation, si le titre est contractuel il en revient normalement au juge. Attention, si l’administration est habilitée à prononcer la suppression sanction, elle doit respecter les droits de la défense. La jurisprudence Trompier Gravier du CE était justement relative au domaine public.

c. Le contentieux de la suppression des titres

Si un tiers exige que l’administration retire le titre, différentes actions s’offrent à lui. Si le titre est unilatéral, alors il peut demander à l’administration d’abroger le titre. Si l’administration a décidé d’abroger le titre, le tiers intéressé pourra demander au juge de l’excès de pouvoir d’annuler la décision d’abrogation. Si le titre est contractuel, le tiers ne peut pas saisir le juge du contrat mais uniquement le juge de l’excès de pouvoir contre les actes détachables.

3§ Les titres domaniaux constitutifs de droits réels

Les titres ordinaires sont précaires et révocables. De plus, ils ne sont pas cessibles puisqu’ils sont personnels. Ces caractéristiques empêchent l’occupant d’obtenir des financements de la part des organismes bancaires ou financiers parce que ceux-ci ont besoin de garanties telles que les hypothèques pour accorder leur argent. Ces organismes recherchent des sûretés afin de pouvoir se saisir du bien de l’emprunteur si celui-ci ne rembourse pas ses dettes. Or, la précarité des titres et leur non cessibilité empêchent ces mécanismes financiers de fonctionner. En effet, une banque ne pourrait pas réaliser une hypothèque c'est-à-dire se saisir d’un bien appartenant à l’occupant parce que si elle se saisissait du bien, elle deviendrait l’occupant du domaine public ; or comme l’autorisation domaniale est personnelle et que l’occupant ne peut pas céder à un tiers, l’administration ne pourrait pas faire jouer son hypothèque.

Le législateur est venu corriger ces complications juridico-financières. Il n’est pas intervenu spontanément. Sa réaction date de la fin des années 80 en réagissant à l’arrêt Association Eurola, 1985 : il était question d’un EPCI qui avait voulu accorder à une association des droits réels sur un bâtiment qui allait entrer dans le domaine public. Ce bâtiment avait pour vocation à être hypothéqué. Annulation par le juge. Même chose pour le crédit bail.

Le législateur est intervenu dans un 1er temps pour permettre aux CT de conclure des baux emphytéotiques administratifs (loi de décembre 1987, confirmée en janvier 1988). Le BEA n’était possible que pour les CT et non pour l’Etat. En 1994 par une loi du 21 juillet, le législateur a donné la possibilité à l’Etat d’accorder des autorisations d’occupation privative du domaine public constitutive de droits réels. Mais ces autorisations d’occupation temporaires (AOT) étaient réservées à l’Etat.

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En 2006, le législateur permet aux CT d’accorder des AOT constitutives de droits réels sur leur domaine public. Donc il donne aux CT la possibilité que la loi de 1994 réservait à l’Etat. Toutefois, il ne donne pas exactement la même liberté aux CT : ces CT ne peuvent recourir à ces AOT que de façon limitée. L’Etat par ailleurs, en 2009 et 2010, s’est vu autoriser la conclusion de BEA qui jusqu’à l’époque étaient réservés aux CT. Mais évidemment ce BEA étatique se révèle plus souple que le BEA CT. Et on retrouve là, un élément relativement traditionnel en matière domanial : l’Etat se garde de conférer les mêmes droits et libertés aux CT qu’à lui-même. Il s’octroie plus de liberté de gestion qu’aux CT, celles-ci étant toujours soupçonnées de mal gérer leur domaine public.

I. Les autorisations constitutives de droits réels de l’Etat et des CT

Ces titres ont en commun le fait d’accorder à l’occupant un droit réel sur les ouvrages, les constructions et installations de caractère immobilier qu’il réalise pour l’exercice de l’activité, autorisée par son titre. Donc l’occupant détient un droit réel sur les ouvrages réalisés sur le domaine public. Et, ce droit réel s’accompagne de la possibilité de céder son titre à un tiers, à condition que l’administration agrée l’acquéreur. Donc ce n’est pas un droit de cession libre. Alors que la jurisprudence Munoz interdit catégoriquement la cession des titres domaniaux. L’avantage des titres constitutifs de droits réels est de permettre une dérogation à cette jurisprudence et du coup les mécanismes de l’hypothèque et du crédit bail deviennent possibles. L’occupant pourra obtenir des financements de la part des banques sans avoir à accepter des taux d’intérêts élevés car les banques se contenteront des sûretés que leur permettent les droits réels. En cascade, c’est l’administration qui en tient bénéfice parce que grâce à ces mécanismes, elle peut attirer un plus grand nombre d’investisseurs car avant seules les sociétés avec de fonds propres importants pouvaient le faire.

A. Les titres étatiques

La disposition pertinente se trouve à l’article L.2122-6 du CGPPP. Selon cette disposition, les autorisations que l’Etat accorde sur son domaine sont en principe constitutives de droits réels. C’est seulement si le titre en dispose autrement que l’occupant ne détient pas un tel droit. Donc, sur le domaine public de l’Etat, les titres d’occupation privative du domaine _ à l’exception des permis de stationnement_ sont constitutifs de droits réels. Sauf si l’Etat refuse d’accorder à l’occupant une telle garantie.

Ces droits peuvent être accordés sur le domaine public de l’Etat et sur le domaine public des EP de l’Etat. Les EP de l’Etat peuvent accorder ces AOT aussi bien sur leur domaine propre que sur le domaine que l’Etat met à leur disposition. Situation étonnante où l’EP accorde des droits réels (démembrements de propriété) sur un domaine public qui ne lui appartient pas. Mais le législateur l’a accepté, partant du principe que les EP nationaux sont toujours sous la tutelle de l’Etat et ce type de décisions peut toujours être bloqué par les ministres.

Toutefois, si l’occupant se trouve chargé d’une mission de SP, l’automaticité de l’octroi des droits réels disparaît. Afin de préserver la continuité du SP, le législateur pose la règle selon laquelle l’occupant du domaine exploitant un SP ne détient un droit réel sur les ouvrages affectés au SP qu’à la condition que le titre le prévoit expressément. Alors que si l’occupant exerce une activité purement individualiste, la constitution de droits réels devient automatique. Cette règle spécifique présente malgré tout une très grande utilité : en effet, si la personne qui occupe le domaine public y exploite un SP, les ouvrages qu’elle réalise pour accomplir sa mission de SP constituent des biens de retour. Ces biens de retour présentent la particularité d’appartenir en principe dès lors achèvement à l’administration concédante et non pas au concessionnaire. Le concessionnaire, pendant tout le contrat de concession, a le droit d’exploiter, d’utiliser ces biens de retour mais ils ne lui appartiennent pas. Dès lors, si l’administration concédante détient des biens affectés à un SP, ces biens tombent dans le domaine public. Donc les biens de retour forment des dépendances du domaine public, alors ces biens sont inaliénables et ils ne peuvent faire l’objet d’aucune propriété privée. Il va de soi que l’occupant ne peut pas les hypothéquer. La loi de 1994 permet d’échapper à ce mécanisme. Si l’occupant se voit attribuer des droits réels sur les ouvrages qu’il construit dans l’intérêt du SP qui lui a été délégué, alors ces droits réels empêchent l’administration de devenir propriétaire de ses biens dès leur achèvement ad initio. Donc ces droits vont empêcher le mécanisme des biens de retour de jouer. L’occupant du domaine public chargé en même temps d’une mission de SP se voit reconnu propriétaire des biens qu’il a réalisés sur le domaine public alors même que ces biens sont affectés à un SP. Et alors il pourra les hypothéquer. Comme l’organisme financier risque de devoir réaliser l’hypothèque c'est-à-dire saisir le bien si l’occupant n’honore pas ses dettes, il faut protéger le SP. Une banque a priori ne protège pas le SP. Donc, les contrats que l’occupant passera avec les organismes financiers devront contenir des clauses garantissant la continuité du SP. Ainsi, l’organisme financier devra respecter ces clauses lorsqu’elle substituera l’occupant qui n’aura pas honoré ses dettes. Ces hypothèques ne peuvent pas être accordées par l’occupant dans n’importe quel but. Le législateur n’admet la constitution d’hypothèques par l’occupant que si elles visent à financer les ouvrages nécessaires au SP ou

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nécessaires à son activité sur le domaine. Dit autrement, l’occupant peut hypothéquer les ouvrages mais seulement pour en permettre le financement. L’idée du législateur est d’admettre des dérogations au principe d’inaliénabilité du domaine public mais seulement dans l’intérêt du domaine public. Ce qui signifie que l’administration accepte un aménagement du principe mais seulement dans l’intérêt du domaine public français.

Grâce à ce mécanisme, l’occupant peut aussi recourir au crédit bail qui est maintenant généralisé alors que jusqu’en 2009, les occupants du domaine public de l’Etat ne pouvaient pas y recourir facilement. Le mécanisme est le suivant : l’occupant détient un droit réel sur les ouvrages qu’il pourra construire et son titre est cessible. Dès lors, il donne la propriété des ouvrages à construire à un organisme financier et celui-ci se voit attribuer le droit d’occuper le domaine public. En retour, l’organisme financier avance les fonds nécessaires pour que l’occupant réalise des travaux qui ont justifié son titre, l’occupant une fois les travaux réalisés exploite le bien ; grâce aux revenus de cette exploitation, il verse un loyer à l’organisme financier (appelé crédit bailleur) et, au terme du contrat de crédit bail, le crédit preneur c'est-à-dire l’occupant initial a remboursé sous forme de loyers l’ensemble des avances accordées par l’organisme financier et il devient en vertu du contrat, pleinement propriétaire des ouvrages qu’il a construits. Ainsi, l’organisme financier, crédit bailleur, a fait des avances financières à l’occupant qu’il a remboursées de façon échelonnée tout au long du contrat de crédit bail. L’occupant n’est pas obligé de disposer des sommes nécessaires dès l’obtention de l’autorisation ce qui facilite les investissements. Si le crédit preneur ne rembourse pas le crédit bailleur, celui-ci peut saisir le bien, exercer son droit de propriété sur le bien. = Ces mécanismes de crédit bail doivent être agréés par l’administration mais elle ne détient pas de pouvoir discrétionnaire en la matière. L’administration ne peut s’y opposer que si l’organisme financier ne présente pas les garanties de moralité financière et technique suffisante. Mais la marge de liberté de l’administration se trouve très réduite par la jurisprudence du CE, ce qui ouvre des perspectives très larges à l’occupant pouvant solliciter des organismes financiers.

B. Les AOT des CT

Les CT depuis 2006 peuvent accorder elles aussi des AOT constitutives de droits réels. Et les mécanismes valables pour l’Etat s’appliquent aussi aux CT, sous réserve de spécificités importantes.

Tout d’abord, les CT ne peuvent pas accorder des AOT à des occupants qui ne seraient pas chargés d’une mission d’intérêt général ou d’une mission de SP. Du coup, les collectivités territoriales ne peuvent pas utiliser ce mécanisme pour attirer des investisseurs privés qui n’auraient d’autres buts que l’accomplissement d’activités purement industrielles ou commerciales. De plus, cela implique que les CT ne peuvent pas accorder des droits réels sans le préciser expressément. Ce n’est pas grave parce que les CT, depuis 1987_88, dispose d’un autre mécanisme : le BEA.

II. Le BEA

A. Le BEA des CT

1. Le domaine des BEA des CT

En vertu de l’article, L.1121-1 du Code Général des CT, celles-ci peuvent accorder un bail emphytéotique sur leur domaine public en vue, entre autres, de l’accomplissement par l’emphytéote (preneur du bail) d’une mission de SP ou en vue de la réalisation d’une opération d’IG. Ce bail, est régi par les règles de l’article L.451-1 du Code rural, sous réserve des dérogations du législateur. Ce bail, comme le bail emphytéotique rural, est d’une durée de 99 ans et l’emphytéote détient des droits réels sur les ouvrages qu’il construits. Il détient les mêmes prérogatives qu’un propriétaire sur les ouvrages. Il peut les céder en principe, les hypothéquer. Et grâce à cette disposition, les CT détiennent la possibilité de financer tous les ouvrages qui leur sont utiles. Ce BEA peut aussi être conclu sur le domaine privé. Les CT peuvent également accorder des baux ruraux conformément au droit privé.

Régime du BEA : L’assiette   : c’est le domaine public des CT ou le domaine public des hôpitaux sachant qu’ils peuvent

conclure des BEH. Toutefois, tout le domaine public local ne se prête pas au BEA. Le domaine public protégé par les contraventions de voierie se trouve exclut du BEA, signifiant que tout le domaine public routier échappe au BEA. La raison est surprenante : l’idée est d’éviter que les

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occupants tracent des routes sur le domaine public occupé. Le problème c’est que les accessoires aux routes échappent aussi aux BEA et parmi eux il y a les parcs de stationnement public. Du coup, les CT ne peuvent pas recourir au BEA pour faire construire par des sociétés privées des parcs de stationnement si elle se trouve sur une parcelle du domaine public routier. Cette limite a gêné certaines CT, ce qui a fait l’objet d’un arrêt en 1995. Le domaine public naturel n’échappe pas aux BEA : les CT n’ont pas de parcelle du DP maritime, à la rigueur sur le DP fluvial.

La durée du bail  : 99 ans maximum et 18 ans au minimum. Alors que les AOT ne connaissent pas de minimum. On retrouve ce même critère de durée du contrat : amortissement nécessaire des installations de l’occupation.

Le but du BEA  : au départ, il n’était possible qu’en vue de la réalisation de missions de SP ou en vue de réalisations d’ouvrages, utiles aux compétences de la CT. Ainsi, une commune a-t-elle pu construire ou faire construire une mairie sur son domaine public. Le procédé est le suivant : la commune met à disposition d’un organisme immobilo-financier une parcelle de son domaine public en lui accordant un BEA. L’organisme financier fait ériger un bâtiment à usage de bureaux. Parmi ces bureaux certains sont affectés à la mairie que celle-ci loue à l’occupant. Mais l’occupant construit aussi d’autres immeubles qu’il loue et il peut se rémunérer. Le gain est énorme pour la commune : c’est l’emphytéote qui s’occupe de la construction et la mairie ne paye qu’un loyer pas très élevé car l’occupant doit verser une redevance, lui permettant d’implanter tous ces bâtiments. A la fin du BEA, la commune récupère la propriété de l’ensemble des ouvrages. Et comme l’emphytéote est propriétaire en vertu du BEA, il peut si il le veut le temps du bail les hypothéquer.

= Cette construction a été consacrée par un arrêt du 25 février 1994, Société anonyme Sofap Marignan Immobilier. Ce mécanisme fonctionne tellement bien que l’Etat l’a instrumentalisé.

En 1988 l’emphytéote était chargé d’une mission de SP ou de la réalisation d’un IG. Le législateur a voulu tirer tout le profit possible de ces BEA, non pas dans l’intérêt des CT mais de l’Etat. Changement en 2002. L’Etat est pauvre et la solution pour lui est donc d’obliger les CT à procéder aux investissements nécessaires au fonctionnement des SP de l’Etat et c’est ainsi qu’en 2002, le législateur est intervenu pour permettre aux CT de conclure des BEA en vue de la construction sur leur domaine public ou privé de bâtiments destinés à la gendarmerie, au commissariat de police, au palais de justice. L’intervention du législateur était indispensable. Les dispositions de 1988 affirmaient que l’emphytéote devait remplir une mission dans l’intérêt de la CT. Or, dès lors il fallait une intervention du législateur parce que palais de justice et autre relèvent de la compétence de l’Etat et pour étendre la possibilité de recourir à ces BEA, il fallait une intervention législative. Les CT se prêtent à ce montage pour obtenir un commissariat ou un palais sur son territoire. L’Etat procède à une sorte de chantage. Donc si une commune veut un commissariat, à charge pour elle de trouver un terrain, un emphytéote qui construira le commissariat. L’Etat ne s’engage qu’à louer le commissariat une fois construit.

Mais le législateur a étendu à nouveau le BEA en 2006 pour permettre l’édification de bâtiments du culte. La séparation de l’Eglise et de l’Etat interdisait aux CT de mettre leurs biens à disposition des associations religieuses afin qu’elles construisent des bâtiments du culte. Le législateur est obligé d’intervenir car cela ne relève pas de la compétence des CT. L’Etat l’a fait et l’idée en réalité c’est de faciliter la construction de mosquées. BEA créé afin de permettre aux CT d’aider les différentes religions à édifier les bâtiments nécessaires (surtout la religion musulmane). Toutefois, ce BEA n’a pas satisfait tous les espoirs parce que les tribunaux administratifs ont souvent sanctionné les montages juridiques. Les communes accordaient des BEA à des associations religieuses mais cette location était généralement soit un titre gratuit soit quasi gratuit. Or, en vertu de la prohibition des ventes et des locations à vils prix, ces mises à dispositions étaient illégales et ces BEA ont été annulés. Et généralement les associations musulmanes n’ont pas les moyens de payer de tels loyers.

Après les religieux, les footeux. Grâce à Seguin, la France s’est vue doter du BEA enceinte sportif, loi du 17 février 2009. Il s’agit de permettre aux CT de conclure des BEA afin que l’emphytéote réalise des terrains de sport avec des tribunes dans la perspective de l’Euro 2016. Quand on lit la disposition, elle ne paraît pas indispensable. Le développement des infrastructures sportives relèvent du champ des CT : elles étaient donc déjà compétentes pour s’en occuper. En réalité, il ne s’agit pas de construire simplement un terrain de foot, on veut accueillir tous les spectateurs en 2016 et il faut des grandes tribunes. Mais il faut que l’emphytéote se rémunère et il ne compte pas seulement sur le prix des tickets mais sur la fièvre frappant le spectateur et sous les gradins, il y aura des galeries commerciales. Or, inciter à l’achat ne rentre pas dans les compétences des CT. D’où la nécessité de ces dispositions législatives.

L’emphytéote donc doit construire, ou restaurer ou encore aménager le domaine public de la CT. Ceci sont ses missions. Il peut donc soit exploiter le domaine public dans son intérêt soit assurer en même temps une mission de

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SP. Le BEA peut être sec (occupation du DP) ou adossé à une délégation de SP et si il est adossé, il ne pourra être accordé qu’après une mise en concurrence des candidats. L’intérêt du BEA est qu’il va accorder des droits réels à l’occupant.

2. Le régime du BEA

Relativement simple. C’est un contrat administratif d’occupation du domaine public (même si il porte sur domaine privé). Et si il est toujours administratif, l’administration peut le résilier unilatéralement soit dans un but d’IG soit pour sanctionner l’emphytéote. Le contentieux relève du JA et on retrouve les règles du contentieux contractuel.

Toutefois le BEA connaît des règles particulières et c’est ainsi que l’occupant détient des droits réels sur le domaine qu’il occupe. Alors il peut s’agir des ouvrages que l’administration met à sa disposition, ou des ouvrages qu’il édifie. Il détient des droits réels sur ces ouvrages et son titre est cessible. L’emphytéote peut donc hypothéquer ces biens afin d’obtenir les crédits nécessaires à ses projets. Il peut aussi recourir au crédit bail. Ces hypothèques ne peuvent être accordées que dans le but de financer les ouvrages que l’emphytéote réalise pour accomplir les missions qui ont justifié le BEA. L’obtention d’un BEA ne doit pas avoir un effet d’aubaine pour l’emphytéote lui servant à financer des projets qui n’ont rien à voir.

Autre spécificité: la reconduction du BEA ne peut pas être tacite. Elle est obligatoirement explicite. Il ne peut y avoir des clauses de tacite reconduction, le but étant d’empêcher qu’un emphytéote s’accapare du domaine public. Et ces BEA sont précaires et révocables…mais en vertu des textes, l’emphytéote a droit à une indemnisation. Même si elle n’est pas mentionnée dans le BEA, en cas de résiliation anticipée du BEA, ce droit est reconnu à l’emphytéote.

En pratique, le BEA a été un immense succès. Les CT, très rapidement, se sont rendus compte de l’utilité et de la souplesse de ce BEA. Les contrats de partenariat public privé créé en 2002 sont un fiasco total. Cela représente 1% des contrats publics. Les BEA sont un succès parce que l’emphytéote peut détenir des droits réels sur les ouvrages qu’il réalise + sur ce qui est mis à disposition par l’Etat. De plus, il peut recourir au crédit bail et ainsi l’Etat a voulu y avoir recours aussi.

B. Le BEA étatique

- le BEA HLM - le BEA valorisation

1. Le BEA HLM

Le BEA HLM date de février 2009 : loi qui a permis à l’Etat de recourir au BEA afin de réaliser sur son domaine privé ou public, des bâtiments devant servir au logement social. Pourquoi le BEA et non pas le bail à construction ? Parce que le bail à construction est un contrat de droit privé et une fois que le titulaire du bail à construction a signé, il a certes l’obligation de construire mais l’administration perd tout pouvoir de contrôle sur son partenaire. Et ce bail à construction de droit privé n’est pas frappé de précarité. Le bail rural présente les mêmes inconvénients. Dès lors que l’administration se réserve un pouvoir de contrôle sur le titulaire du bail à construction ou rural, ces 2 baux sont requalifiés par le juge et le locataire se voit privé de tout droit réel sur les ouvrages qu’il réalise. Panique dans les organismes financiers : les hypothèques disparaissent aussi. D’où la nécessité de créer le BEA HLM qui permet à l’Etat de donner une mission à son emphytéote tout en contrôlant ce qu’il fait et tout en pouvant résilier si besoin est, le bail. Et l’avantage de ce BEA HLM était qu’en février 2009, il présentait la particularité de donner à l’emphytéote la possibilité de recourir au crédit bail. Alors que les AOT que l’Etat pouvait accorder en février 2009 ne donnaient pas la faculté à leur titulaire de recourir au crédit bail. Depuis, en été 2009, l’Etat a affirmé que les titulaires d’AOT peuvent dorénavant recourir au crédit bail. Mais le BEA HLM a donc servi 3 mois.

2. Le BEA valorisation

Au mois de juillet : nouveau BEA. Le BEA valorisation est réservé à l’Etat et il permet de confier à l’emphytéote les missions suivantes : la réparation, la restauration ou la mise en valeur du domaine public ou privé de l’Etat. Ce BEA ne se comprend vraiment que si on remonte aux faits qui expliquent sa genèse. Cette loi a été adoptée à cause de l’Hôtel de la Marine. Dans ce bâtiment siégeaient des directions de la Marine. Et les marins avaient un

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problème : leur immeuble tombait en vrille. Immeuble classé historique mais l’Etat n’avait pas les moyens de le restaurer. Le seul moyen avant 2009, était de le vendre afin que l’acquéreur le restaure mais l’Etat perdait un élément de son patrimoine et son contrôle sur l’usage qu’allait en faire l’acheteur. Les AOT étaient impossibles car impliquaient la construction d’un ouvrage nouveau. Aucun système juridique existant ne permettait à l’Etat de conserver sa propriété et de contrôler ce qu’allait en faire l’occupant.

Ce nouveau BEA permet à l’Etat d’accorder des droits réels à l’occupant et les banques accepteront de prêter de l’argent. Le bien reste dans le patrimoine de l’Etat. Le bail est précaire et l’Etat conserve un pouvoir de direction et de contrôle sur ce que fait l’emphytéote. = L’Etat garde la main mise sur le domaine public qui est une affaire d’Etat.

Et il en est de même de l’expropriation qui est elle aussi une affaire d’Etat.

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PARTIE 2 : L’EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITÉ PUBLIQUE

Bibliographie   : - La revue de droit immobilier - L’actualité juridique propriété immobilière

L’expropriation pour cause d’utilité publique est la procédure par laquelle l’Etat impose à une personne privée ou publique de céder un droit immobilier ou mobilier dans un but d’utilité publique moyennant le paiement d’une juste et préalable indemnité. Ainsi, l’expropriation s’analyse comme un transfert autoritaire d’un droit vers le patrimoine de l’Etat ou d’une autre personne publique désignée par l’Etat. Ce mécanisme de transfert autoritaire se distingue :

- de la nationalisation qui relève de la compétence du législateur, - de la préemption qui ne peut être engagée que si le propriétaire décide de céder son bien (lorsque

l’administration préempte un bien, elle se substitue à l’acquéreur mais elle ne peut utiliser ce droit de préemption si le propriétaire refuse de vendre son bien),

- de la réquisition (ne prive pas le propriétaire de son bien. Elle ne prive que temporairement le propriétaire du bien de son droit de jouissance).

Plus particulièrement, nous allons développer le droit de l’expropriation des immeubles.

Le droit de l’expropriation immobilière constitue le droit commun de l’expropriation.

La procédure d’expropriation porte atteinte à un droit fondamental : le droit de propriété. Mais justement parce qu’il s’agit du droit de propriété, l’administration se voit limitée dans ses prérogatives lorsqu’elle exproprie. De manière étonnante, lorsque l’Etat exproprie, ses pouvoirs sont amputés. L’Etat ne peut pas en effet exproprier un bien sans que l’expropriation soit prononcée par le juge judiciaire. Alors qu’en droit administratif général, l’administration même la plus petite des CT jouit du privilège du préalable* ce qui lui permet d’imposer l’exécution de son acte par tous les administrés, l‘administration qui exproprie doit obtenir le secours du JJ. *Privilège du préalable : possibilité pour l’administration de prendre des décisions exécutoires. Elle est donc dispensée au contraire du particulier de passer par le juge pour obtenir une décision exécutoire.

SI le JJ ne cautionne pas la procédure d’expropriation, elle est illégale. Parce que le droit de propriété est fondamental, la procédure d’expropriation est organisée de telle façon que le JJ intervient alors qu’en principe en raison de la séparation des autorités administrative et judiciaire, cette procédure devrait intégralement relever du JA.

Ce mécanisme qui aboutit à ce qu’il existe 2 phases (administrative et judiciaire) date de la loi du 8 mars 1810. C’est Napoléon qui a imposé que l’expropriation soit prononcée par le juge judiciaire. L’administration élabore le dossier d’expropriation, elle identifie les terrains à exproprier mais c’est le JJ, garant de la propriété immobilière, qui prononce le transfert de propriété et qui détermine les indemnités auxquelles a droit l’exproprié.

On ne peut pas comprendre ce qu’est le régime de l’expropriation sans s’interroger sur sa nature profonde. L’expropriation est un mode de redistribution des biens. Ce n’est pas seulement un moyen de libérer le sol, de s’approprier des biens… C’est le moyen pour l’Etat d’acquérir pour lui ou au bénéfice d’autres personnes des biens qui ne sont pas suffisamment mis en valeur par leur propriétaire. Autour de Paris, il y avait plein de champs de salades et de carottes : ils ont tous été expropriés afin que l’on puisse y construire des bâtiments à usage d’habitation ou usage industriel. Si ils ont été expropriés c’est parce que ces propriétaires n’avaient ni le courage ni l’argent de construire les bâtiments. Si ces cultivateurs avaient eu et l’argent et l’audace, ils auraient construit des usines et du coup ils n’auraient pas été expropriés car ils auraient créé des emplois et en contribuant ainsi à l’IG, ils auraient échappé à l’expropriation.

Il faut savoir que cet IG varie dans le temps. Et l’Etat étant le garant de l’IG dans sa dimension nationale, il est normal qu’il soit le seul titulaire du pouvoir d’exproprier.

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Titre 1 : Les principes de l’expropriation

Ces principes pèsent sur les acteurs de l’expropriation et sur les fins, les objectifs de cette procédure.

Chapitre 1   : Les acteurs de l’expropriation

Les acteurs de l’expropriation sont très nombreux. Il y a tout d’abord un Etat qui détient le pouvoir d’exproprier. Il y a le malheureux : l’exproprié. Il y a l’expropriant : est la personne qui demande à l’Etat de mettre en œuvre son pouvoir d’exproprier (il s’agira donc des CT, des EP ou de l’Etat lui-même). C’est l’expropriant qui est la personne qui souhaite voir aboutir l’expropriation afin de réaliser un but d’IG qui relève de sa compétence.

Mais il faut parler aussi du bénéficiaire. Le bien devient normalement la propriété de l’expropriant. Mais l’expropriant peut aussi donner ou vendre le bien à une tierce personne : il s’agira du bénéficiaire de l’expropriation. Quand l’Etat exproprie pour lui-même, il joue le rôle de l’expropriant et est en même temps de bénéficiaire.

Enfin, il y a les casses pieds, ceux empêchant l’expropriation d’aboutir. En fait, tous les tiers qui ont leur mot à dire quant à l’IG.L’expropriant et l’Etat prétendent savoir ce qu’est l’IG qui justifie l’expropriation. Mais ce savoir n’est pas exclusif et les interventions de tous ces tiers permettent en réalité la révélation par la confrontation de ce qu’est l’IG. Et alors, parfois les piques niques ont aussi raison. Et en attendant des recours, ils peuvent contraindre l’administration à revoir ses positions. Tous ces obstacles ne doivent pas être vus comme du temps perdu : ils constituent autant de chances à éviter des erreurs ou des gaspillages.

Section 1 : L’Etat comme seul titulaire du pouvoir d’exproprier

Les fondements du monopole de l’Etat en matière d’expropriation ne sont pas juridiques mais ses conséquences le sont bien évidemment.

I. Les fondements du monopole de l’Etat

Aucune norme juridique ne fonde le monopole de l’Etat en matière d’expropriation. Aucune norme constitutionnelle ne réserve à l’Etat le droit d’exproprier les biens des personnes publiques ou privées. Même sa souveraineté ne suffit pas à justifier ce monopole. Procédure d’alignement : cette procédure est un mode d’expropriation. Et pourtant, la plus petite commune de France peut et doit procéder à cette procédure d’alignement. Dès lors, si une commune peut exproprier via cette procédure c’est que l’expropriation n’est pas attachée à la souveraineté de l’Etat.

Même la défense de la propriété privée ne suffit pas à justifier ce monopole de l’Etat. Il reste donc l’intelligence du législateur. Depuis le 19ème siècle, le législateur a réservé ce monopole à l’Etat afin d’éviter que des élus locaux portent atteinte aux piliers de l’économie libérale. Il faut faire un barrage contre une utilisation abusive de l’expropriation par les élus locaux.

II. Les conséquences de ce monopole

En revanche, les conséquences de ce monopole sont très claires. Elles sont au nombre de 2 : La procédure d’expropriation est définie dans ses grandes lignes par le législateur. Comme le

droit de propriété est inscrit à l’article 34 de la C°, la procédure d’expropriation ne peut être régie que par des normes législatives. Le pouvoir réglementaire ne faisant que compléter les principes posés par la loi. Le pouvoir réglementaire ne peut donc pas créer une nouvelle procédure d’expropriation. Il faut un fondement législatif

L’Etat n’est jamais obligé d’exproprier. Même sollicité par une personne publique, jouant le rôle de l’expropriant, il peut refuser pour des motifs juridiques comme pour des motifs politiques, d’exproprier un propriétaire. A tout moment, l’Etat peut mettre fin à la procédure d’expropriation. Si il se rend compte que l’IG ne commande plus d’exproprier un propriétaire, l’Etat a le droit d’arrêter la procédure. Le seul moment où il ne peut plus l’arrêter c’est lorsque le JJ a prononcé le transfert de propriété. Ce transfert est définitif et l’Etat ne peut plus faire machine arrière et il doit verser l’indemnité.

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Section 2 : L’expropriant et le destinataire de l’expropriation

Généralement, l’expropriant sollicite l’expropriation afin de conserver le bien exproprié. Mais il arrive que le destinataire de l’expropriation soit une autre personne. Les sociétés agricoles sont compétentes pour engager la procédure et les terres sont ensuite redistribuées entre les exploitants agricoles. L’administration n’exproprie pas dans ce cas là pour conserver le bien mais pour redistribuer les terres agricoles aux agriculteurs

1§ L’expropriant

L’expropriant peut être une personne publique ou une personne privée. En principe, l’expropriant est une personne publique. Il peut s’agir parfois d’une personne privée.

I. L’expropriant public

L’expropriation se justifie si elle poursuit un but d’utilité publique. Il est donc normal que les personnes publiques puissent jouer le rôle de l’expropriant. Les personnes publiques concourent à un IG, l’expropriation leur permet d’acquérir les biens nécessaires à l’accomplissement de leur mission. Donc toutes les personnes publiques peuvent jouer le rôle de l’expropriant : CT, EP, GIP…

II. L’expropriant privé

En principe, il ne devrait pas y avoir d’expropriant privé. En effet, l’expropriation manifeste un pouvoir de domination de l’expropriant sur l’exproprié. Or, les personnes privées sont égales en droit. Dès lors, aucune personne privée ne devrait pouvoir exproprier une autre personne privée. Toutefois, certaines personnes privées exercent des activités d’IG qui justifient qu’elles puissent jouer le rôle de l’expropriant. C’est ainsi que les personnes privées chargées d’une mission de SP peuvent être des expropriants, à la condition que l’expropriation soit recherchée dans le but d’accomplir la mission de SP qui leur a été dévolue. CE, Ancenne de 1973

2§ Le bénéficiaire de l’expropriation

Le bénéficiaire de l’expropriation est la personne qui obtient le bien exproprié. En principe il s’agit d’une personne publique puisque le bien exproprié doit servir l’IG. Mais le bénéficiaire peut aussi être une personne privée si celle-ci concoure à l’IG. Par exemple, il peut s’agir d’une personne privée chargée d’une mission de SP ou encore d’une personne privée acceptant des contraintes d’IG. Le meilleur exemple en est donné par les personnes qui acceptent de devenir propriétaires de monuments classés qui nécessitent de très lourdes réparations. La personne privée n’est pas chargé d’une mission de SP mais en acceptant les contraintes architecturales, la personne privée se plie aux contraintes d’IG, accepte de voir son droit de propriété limité, engage des fonds en lieu et place des personnes publiques et dans ce cas là cette personnes privée peut être bénéficiaire d’une expropriation.

Enfin les personnes publiques étrangères peuvent aussi bénéficier d’une expropriation. C’est ainsi que les organismes internationaux ou les états étrangers peuvent devenir propriétaires d’un bien exproprié. 1965, département de Corse : expropriation des habitants de l’île pour construire une ligne électrique reliant la Sardaigne à l’Italie et il fallait que les câbles passent par la Corse. Les corses n’étaient pas contents et affirmaient que l’expropriation ne poursuivait pas l’utilité publique. Si le câble ne servait que l’alimentation de la Sardaigne, la France n’y trouvait aucun intérêt. Et le CE a pourtant accepté la procédure d’expropriation au motif que la France honorait un traité international la liant. Et le respect de cet engagement international constituait en soi un motif d’utilité publique.

Section 3 : L’exproprié

= Est la personne qui est dépossédé de son bien. Peu importe son statut. En revanche, le statut de ses biens peut faire obstacle à l’expropriation.

1§ L’indifférence du statut public ou privé de l’exproprié

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Toutes les personnes publics ou privées peuvent être expropriées : les CT, les EP, les personnes publiques sui generis comme les vulgaires personnes privées. La seule personne publique qui y échappe est l’Etat parce qu’il ne peut pas s’exproprier lui-même. En revanche, la nature du bien exproprié joue une grande importance.

2§ L’importance de la nature du bien exproprié

Tous les biens sont en principe expropriables sauf les biens qui relèvent du domaine public. Les biens relevant du domaine public sont inaliénables et donc il ne sont pas susceptibles d’expropriation. Ce n’est pas grave, le CE a imaginé la technique des mutations domaniales en 1909 codifiée depuis.

Chapitre 2   : Les objectifs de l’expropriation

Selon l’article 17 de la DDHC, la privation de propriété n’est envisageable qu’en cas de NECESSITE publique. Selon l’article L.11-1 du Code de l’expropriation, l’expropriation doit être précédée d’une déclaration d’UTILITÉ publique. Ainsi, on est passé de la nécessité publique à l’utilité publique. Ce qui est utile n’est pas forcément nécessaire. Ce changement de vocabulaire a étendu la possibilité pour les personnes publiques de recourir à l’expropriation.

Le droit de propriété est moins protégé par le Code de l’expropriation que par la DDHC telle du moins comprise ne 1789.

Cette utilité publique est souvent proclamée par les textes. Il est fréquent qu’un texte affirme que telle ou telle opération est d’utilité publique. Par exemple, le Code de l’environnement affirme que la pose des oléoducs constitue une opération d’utilité publique. La construction des autoroutes aussi. Mais avec la décision du CE Ville Nouvelle Est 1971, l’affirmation par le législateur de l’utilité publique d’une opération ne suffit plus à garantir la réalité de cette utilité. Ce n’est pas parce que le législateur affirme que la construction des autoroutes est d’IG que sa construction concourt à l’IG. Selon cet arrêt, une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, et éventuellement les inconvénients d’ordre social, et les atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. = Est donc illégal l‘expropriation qui ne poursuit pas un but d’IG ou qui n’est pas nécessaire ou encore qui a des conséquences néfastes plus importantes que ses conséquences positives. Dit autrement, une expropriation est licite si elle remplit trois conditions :

- poursuivre un but d’IG- être nécessaire - ses différents coûts ne doivent pas être supérieurs à ses apports à l’IG

Section 1 : Une expropriation visant un but d’IG

Jusque dans les années 30, les expropriations devaient impérativement se justifier par des besoins de SP. Le bien exproprié devait être affecté à un SP et pas seulement à un but d’IG. Cette restriction qui traversait la jurisprudence n’était que le reflet de l’importance accordée à l’époque à la propriété privée. Si seuls les motifs de SP pouvaient justifier une expropriation, alors les simples motifs d’utilité publique ne le permettaient pas et cela réduisait les possibilités de recourir à l’expropriation. Il s’agissait de mieux protéger la propriété privée contre l’administration. A partir des années 30, la jurisprudence a évolué car le juge a compris les besoins de l’administration confrontée à la nécessité de reconstruire le pays après la 1GM et de répondre aux attentes nouvelles de la population.

Le développement de l’interventionnisme public a conduit le juge à étendre la possibilité de recourir à l’expropriation.

Certains buts sont présumés d’utilité publique d’autre ne le sont pas.

Ceux présumés d’utilité publique sont généralement énumérés par les textes. Par exemple, la lutte contre les habitats insalubres , la construction des réseaux routiers, l’expropriation des terrains pollués, la réalisation des lignes de chemin de fer.= présomption d’utilité. Quand les textes ne disent rien, il en revient à l’administration et au juge de vérifier si l’utilité publique justifie effectivement l’expropriation. Il faut à ce moment là qu’elle soit utile et une expropriation est utile à l’IG si de façon triviale elle sert encore à quelque chose.

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Exemple CE 1997, arrêt 28 mars 1997, Association contre le projet de l’autoroute transchablaisienne : en l’espèce il s’agissait de construire une autoroute et au-delà de la frontière suisse, nos voisins avaient prévu de la prolonger afin d’en faire une artère. Mais les suisses ont en eu assez de supporter le passage des poids lourds et du jour au lendemain les autorités suisses ont décidé de ne plus construire l’autoroute. Et du coup l’autoroute française ne représentait plus la moindre utilité. Donc on le voit, peu importe ce que dit le législateur, in concreto, une expropriation ne peut être poursuivie qu’à la condition qu’elle soit utile à l’IG et l’IG exclut qu’une expropriation ne sert qu’à satisfaire des intérêts privés.

Les expropriations ne peuvent servir aux intérêts privés. Lorsque l’administration poursuit un tel but, elle commet un détournement de pouvoir. Cas lorsqu’un maire utilise son pouvoir de police. Cas lorsqu’un expropriant recherche son intérêt privé. Arrêt de 1999, Demoiselle Nasica : dans cette affaire, la commune avait entamé une procédure d’expropriation au motif prétendait elle de désenclaver plusieurs propriétés se trouvant sur un coteau et dans le but simultané de faciliter l’accès à un château d’eau. En réalité, l’expropriation visait seulement à permettre le désenclavement d’une propriété se trouvant non pas en haut de la colline mais à peine en son milieu. Et la procédure d’expropriation ne visait que le désenclavement de cette seule propriété. Preuve fournie par la commune : celle-ci n’avait jamais réalisé les travaux jusqu’en haut de la colline. La commune n’avait pour but que de désenclaver une seule propriété. On voit là un détournement de pouvoir. Les autres propriétés ont été ignorées. Aucun souci d’amélioration routière ne paraissait dans le dossier et le juge a annulé la procédure d’expropriation.

Ne pas opposer les intérêts privés et publics. Ce n’est pas parce qu’une expropriation satisfait des intérêts privés qu’elle est nécessairement entachée de détournement de pouvoir. Il n’y a pas d’antinomie radicale entre les intérêts privés et publics. Arrêt du CE de 1971, Ville de Sochaux : s’agissait de savoir si la construction d’une route de déviation entre Sochaux et Montbéliard pouvait être déclarée d’utilité publique. La question se posait parce que le principal bénéficiaire de la construction de cette route nécessitant des expropriations était l’usine Peugeot se trouvant à Sochaux. Les opposants prétendaient que l’administration ne cherchait qu’à satisfaire les intérêts de cette société privée et que l’IG ne trouvait pas son compte. Le CE a repoussé cette argumentation en notant que certes les camions de l’usine Peugeot allaient être probablement les principaux utilisateurs de cette voie mais cette voie était aussi ouverte à tous les autres automobilistes et allait faciliter la circulation dans toute la région en fluidifiant le trafic et en évitant que les camions de Peugeot ne traversent les grandes villes de la région. De plus, soutenir le développement de cette entreprise, permettait de mieux lutter contre le chômage qui frappait cette région. Et on voit là que même si cette expropriation allait servir tout particulièrement les intérêts d’une société privée, la construction de cette route satisfait malgré tout l’IG parce que l’ensemble du public y trouvait son compte. = Donc il faut insister sur l’absence d’antinomie entre l’intérêt public et les intérêts privés mais il ne faut pas tomber dans l’excès : si seuls les intérêts privés justifient l’expropriation elle est illégale.

Dans le même ordre d’idée, l’administration ne peut pas recourir à une expropriation dans un but exclusivement financier. Si elle le fait, alors même que les finances avantagées seraient les finances publiques, l’administration commet un détournement de pouvoir. Preuve s’il en est que l’administration n’a pas vocation à être riche mais à satisfaire l’IG. On ne demande pas à l’Etat d’être riche mais de satisfaire l’intérêt public.

Il faut donc que l’expropriation ait pour but l’IG mais cela ne suffit pas.

Section 2 : Une expropriation nécessaire

Cette nécessité revêt 2 dimensions : - une dimension spatiale- une dimension juridique

1§ La nécessité spatiale

Par cette expression, il s’agit d’insister sur le fait qu’une expropriation n’est licite qu’à la condition d’être indispensable. Dès lors, si l’administration peut réaliser son projet sans recourir à une expropriation en utilisant notamment les immeubles qu’elle détient déjà, alors elle doit utiliser ces immeubles. Elle n’a pas besoin de se saisir d’espaces nouveaux qui appartiennent à des personnes privées, elle doit utiliser les biens dont elle dispose pour satisfaire l’IG. Ainsi, elle remplit ses missions d’IG tout en respectant la propriété privée. Ceci peut être illustré par un arrêt de 1974, Epoux Tony : les requérants se plaignaient que la commune voulait les exproprier afin de construire des logements sociaux. Et le CE considère que il est vrai qu’il existe des logements privés qui pouvaient être loués aux nécessiteux dans la commune, il est vrai aussi que la commune détient des terres nues sur lesquelles elle pouvait édifier des logements mais ces terrains ne se prêtent pas tellement à ces

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constructions. Dès lors, effectivement la commune pouvait demander l’expropriation des requérants parce qu’ils se prêtaient au projet de l’administration. A contrario, si les terrains de l’administration avaient revêtu les qualités idéales, elle aurait du utiliser ses propres terrains et non pas exproprier ceux des requérants.

Ce souci de vérifier la nécessité spatiale se heurte à une pétition de principe du CE. Le CE répète à l’envie qu’il ne revient pas au JA de contrôler l’opportunité des choix de l’administration. Selon le CE, dès lors qu’une expropriation remplit les conditions posées par la jurisprudence Ville Nouvelle Est, peu importe que d’autres projets alternatifs existent, leur existence ne remet pas en cause le choix de l’administration.

Fréquemment on cite un arrêt de 1992, Demoiselle Decuers pour illustrer cette position. Le contentieux se passe à Fréjus. La commune a décidé de construire un parc de stationnement dans le centre ville et elle entend exproprier la requérante. Et celle-ci s’y oppose en rappelant que la commune possède un pré en périphérie de la ville et qu’il suffirait de le transformer en parc de stationnement pour satisfaire les projets de la ville. Le CE prétend qu’il ne lui revient pas de contrôler l’opportunité des choix opérés par l’expropriant. Toutefois, alors qu’il affirme ceci, il relève que le pré par sa position géographique se prêtait bien moins que le terrain de la requérante au projet de la ville qui voulait construire un parking dans le centre urbain afin de mieux accueillir les touristes durant l’été, l’économie régionale reposant sur le centre. On constate que le CE tout en refusant de contrôler l’opportunité des choix de l’administration vérifie malgré tout leur rationalité et leur cohérence. Et du coup la nécessité spatiale est appréciée par le juge au regard des buts affichés par l’administration.

2§ La nécessité juridique

La protection de la propriété privée devrait conduire le juge à refuser les expropriations qui ne s’imposent pas juridiquement. Ainsi, puisqu’il existe au bénéfice de l’administration une servitude légale qui lui permet de déposer ses matériaux sur les propriétés voisines des travaux publics, il paraît logique que l’administration se contente de recourir à cette servitude qui est temporaire (le temps des travaux) plutôt que d’exproprier de façon définitive le propriétaire du terrain sur lequel elle déposera ses matériaux de travaux de façon temporelle.

Le juge devrait le faire mais il ne le fait pas mais bientôt il le fera. Il ne le fait pas pour l’instant comme l’a clairement explicité un arrêt de 2006, Ministre des transports c/ Consorts Revillard : cette position sera abandonnée dans un avenir plus ou moins proche car elle est contraire à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La CEDH admet des atteintes au droit de la propriété privée à la condition que ces atteintes soient nécessaires et proportionnelles au but d’IG poursuivi par l’administration. Or, dans notre hypothèse, l’administration pouvait atteindre le même but sans exproprier. Dès lors, elle devait se contenter de cette servitude légale.

Il faut enfin que l’expropriation présente un bilan positif.

Section 3 : Une expropriation aux conséquences globalement positives

Il s’agit du dernier aspect du contrôle in concreto de l’utilité publique des expropriations et des projets qui les justifient. Cette analyse in concreto porte sur les différents coûts et avantages présentaient par les projets de l’administration. L’idée   : une expropriation n’est licite qu’à la condition que les bénéfices escomptés par la collectivité publique l’emportent sur ses différents coûts financiers, sociaux et économiques. Dit autrement, quelque soit l’IG poursuivi, une expropriation devient illicite si elle commande des sacrifices trop importants. Si ces sacrifices sont trop importants, disproportionnés par rapport à l’IG, l’expropriation devient illicite. Arrêt Ville Nouvelle Est de 1971 qui explicite ce sujet.

Ce contrôle de proportionnalité (puisqu’il s’agit de mettre en balance les coûts et les avantages) est systématique. Le juge l’opère pour toutes les expropriations _ même lorsque l’administration a l’obligation de réaliser l’opération qui commande l’expropriation. Un exemple : en vertu de la loi de 2000 sur l’accueil des gens du voyage, les communes ont l’obligation de créer des aires d’accueil. Si les communes n’ont pas les terrains, elles exproprient. Et alors même que l’expropriation est obligatoire, le CE opère malgré tout un contrôle de proportionnalité alors même qu’il s’agit d’une obligation légale, quant au bilan de l’opération. Situation bizarre vue la hiérarchie : le CE se donne les moyens d’affirmer que l’expropriation poursuivie dans le but de réaliser une aire d’accueil pourrait être illégale. Alors que la commune veut suivre la loi, le CE pourrait l’en empêcher par ce contrôle du bilan. A charge pour l’administration de chercher un autre emplacement pour réaliser l’aire d’accueil.

Ce contrôle a quelque fois été critiqué dans son existence même : certains ont prétendu que ce contrôle frôle l’action administrative. En opérant un contrôle du bilan coûts/avantages de l’expropriation, le juge substituerait son

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appréciation à celle de l’Etat et de l’expropriant, c'est-à-dire à celle de l’administration. C’est vrai. Et alors ? Il ne faut pas le dire : tout contrôle de proportionnalité renferme une part de subjectivité. La différence tient au fait que les facteurs à prendre en compte dans l’appréciation de la situation sont plus nombreux que les facteurs intervenant lors du contrôle d’une mesure de police. Et encore… quand aujourd’hui une mesure de police est contrôlée, finalement on a énormément d’éléments à prendre en compte. Donc oui c’est un contrôle subjectif mais aucun contrôle ne l’est pas. Cette critique n’a aucun intérêt.

Quels sont les facteurs pris en compte par le juge lorsqu’il vérifie le bilan de l’expropriation   ?

Tout d’abord, comme l’illustre la jurisprudence Ville Nouvelle Est : le respect de la propriété privée. Il était question de la création d’une ville nouvelle aux abords de Lille. Il s’agissait de créer un ensemble urbain au milieu des champs mais pas totalement au milieu des champs. Des particuliers avaient eu l’idée de faire construire peu de temps auparavant des maisons toutes neuves dans le périmètre de la future ville nouvelle et l’administration leur avait accordé un permis de construire. Le souci du CE est de noter que ce projet impliquait la destruction d’une centaine de maisons toutes neuves. Vu le nombre de maisons se posait donc la question du caractère positif de l’opération. Leur destruction avait un coût et l’atteinte est d’autant plus violente que les propriétaires n’avaient pas eu le temps de profiter de leur bien. Bilan positif pour l’ensemble de la collectivité même si les propriétaires allaient trouver la chose amère. Un point intéressant : on ne connaît pas d’arrêt où le seul respect de la propriété privée suffit à entraîner l’annulation de la déclaration d’utilité publique de l’expropriation. Dans cet arrêt, le CE proclame la protection de la propriété privée mais à elle seule, elle ne suffit pas à contrecarrer les intérêts de l’administration.

Le coût financier. Si une opération atteint un montant financier exorbitant, la question de son utilité publique se pose avec évidence. Ce n’est pas le montant en lui-même qui compte mais le montant de l’opération au regard de l’intérêt que présente cette opération. Et on regarde la capacité financière de l’expropriant. Ainsi, le CE se montre –t-il plus sévère avec des communes aux finances énormes qu’avec l’Etat que l’on prétend toujours solvable. Par exemple la construction d’un aérodrome par une petite commune a toutes les chances d’être illégale si la rentabilité n’apparaît pas évidente.

Les autres intérêts publics : la sécurité publique, la tranquillité publique, la salubrité publique…. Exemple Société Civile Sainte Marie de l’Assomption de 1972 : Les agents de la DDE (Direction Départementale de l’Equipement) avaient décidé de construire une bretelle d’autoroute à côté de Nice. Le problème était que celle-ci traversait le seul établissement psychiatrique de la région. Il empiétait sur une grande partie du parc attenant au bâtiment dans lequel se promenaient les patients, les requérants faisant valoir que les promenades participaient à leur traitement. Le CE relève que la circulation routière présentait un IG indéniable. Le problème était que comme cette bretelle traversait le seul établissement psychiatrique de la région, le projet portait atteinte à un autre intérêt public, celui de la protection de la santé publique. Du coup, le projet a été déclaré illégal. On voit là que la propriété privée de la société civile a joué mais bien moins que la protection d’un autre intérêt public.

Le développement économique peut aussi justifier des expropriations ou encore la construction européenne. A titre d’exemple, arrêt d’assemblée du 28 mars 1997, Fédération des comités de défense contre le tracé Est de l’A28 : relie la France à l’Espagne et visait à relier les différents réseaux routiers européens. Il faut retenir de cette affaire que la construction européenne est un motif d’IG qui est mis dans la balance pour la faire pencher du côté de l’utilité publique de l’expropriation. Il pourrait arriver que la préservation de la construction européenne fasse pencher la balance dans l’autre sens : opposé à l’expropriation. Et c’est notamment le cas lorsqu’il est question d’environnement. Le droit de l’environnement envahit toutes les sphères d’activité de l’administration. Une expropriation qui aurait des effets néfastes sur la protection de l’environnement est illicite, sauf si l’administration prend les mesures nécessaires pour compenser les nuisances et les désordres causés à l’environnement. C’est ainsi que dans un arrêt Commune de La Courneuve de 1997, au nom du droit à un environnement sain, le CE s’est prononcé sur le tracé de l’autoroute de l’A1 passant par La Courneuve. Il s’agissait de contraindre l’administration de ne pas faire un tracé qui nuit aux habitants de cette ville. Il en allait donc de la tranquillité publique d’un grand nombre de personnes et il fallait mettre dans la balance ces éléments.

Arrêt 2006, Association interdépartementale pour la protection du lac de Sainte Croix : EDF avait décidé, parce que l’électricité est propre, de procéder à une expropriation dans le but d’installer d’énormes pylônes pour faire passer des lignes à très hautes tensions dans un milieu vierge de toute intervention humaine. Le CE a annulé la déclaration d’utilité publique des travaux envisagés et des expropriations au motif que les Gorges du Verdon constituait un site remarquable et il fallait les préserver contre une opération certes utile mais pas assez au point de justifier le massacre environnementale. Le CE prend en compte cette protection avec encore plus de sérieux que ces

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gorges sont inscrits et protégés par des normes environnementales européennes. Ce site faisait l’objet d’une multitude de protections, notamment européennes. Et comme le droit européen l’emporte, c’est un bon moyen d’obtenir l’annulation des expropriations contraires au droit de l’environnement. Avec la Charte de l’environnement les choses changeront peut être… Charte d’effet direct depuis la jurisprudence d’Annecy. Rien n’interdit au requérant d’invoquer le principe de précaution pour lutter contre des expropriations.

Quelles sont les limites de ce contrôle   ?

En 1971, beaucoup ont placé un grand espoir dans ce contrôle du bilan des expropriations, aussi bien la doctrine, les avocats que les associations de propriétaires… Et pourtant, jusque dans les années 90, le bilan de la théorie du bilan s’est révélé plutôt faible. Certes le CE annulait des projets d’expropriation mais à les regarder de près on s’apercevait qu’il s’agissait de projets de grande ampleur menés par des CT. Dès lors que le projet avait pour origine une initiative étatique, le bilan devenait positif. Au point que certains se demandaient si cette théorie du bilan n’était pas de la poudre aux yeux. Début des années 2000 : Article de Bertrand Seiller qui défendait la thèse qu’il ne fallait pas se contenter d’un contrôle du bilan coûts/avantages. Le juge devait aller plus loin : faire un contrôle de bilan du bilan. Faire choisir à l’administration le projet le plus performant. Cette analyse est intéressante mais elle n’est pas nécessairement entièrement convaincante parce que l’arrêt de la Courneuve de 1997 s’est soldé par l’annulation du projet d’autoroute. L’affaire de l’autoroute transchablaisienne s’est aussi soldée par un échec. Donc ce n’est pas parce que le projet est mené par l’Etat que nécessairement le bilan est faussé. / L’analyse de la jurisprudence démontre que le CE opère un contrôle de la rationalité et de la cohérence des choix administratifs. Dès lors, le CE sans le dire contrôle la pertinence des choix de l’administration. Le CE dispose donc de moyens suffisants pour bien faire cette vérification. Le seul reproche à lui faire : ne pas avoir le courage d’utiliser systématiquement les outils jurisprudentiels qu’il s’est lui-même forgé. Mais les choses ne sont peut être pas aussi mauvaises que la doctrine le clame… Donc, attention à rester modérer dans ces analyses.

Titre 2 : La procédure d’expropriation

Comme déjà annoncé, la procédure d’expropriation pourrait se résumer ainsi : compliquer pour mieux décider. La procédure renferme une multitude d’obstacles afin de contraindre en permanence, jusqu’à la fin, l’administration à réfléchir sur la pertinence de l’expropriation et des projets. Les formes sont ici au service du fond. La procédure est compliquée pour que la décision soit juste et utile. Il s’agit d’éviter les sacrifices illégitimes de la propriété privée mais aussi le gaspillage des deniers publics. Les formalités de l’expropriation s’expliquent par ces éléments et même le droit de propriété de l’expropriant sur le bien exproprié, est traversé par ces considérations de protection de la propriété privée et de l’IG. Nous verrons que le droit de propriété de l’expropriant sur le droit exproprié est un droit de propriété affecté : c’est un droit qui n’est pas entièrement disponible à rebours du droit de propriété privée absolu. Le bien exproprié doit être utilisé dans le but de l’IG.

Chapitre 1   : Les formalités de l’expropriation

La procédure d’expropriation est plus ou moins rapide en fonction des buts poursuivis par l’administration. Normalement cette procédure est lente ce qui constitue une garantie de la propriété privée. Parfois cette garantie se trouve amoindrie au nom d’IG supérieurs.

Section 1 : La procédure ordinaire

La procédure ordinaire est celle qui n’est quasiment jamais utilisée. Si elle n’est pas souvent utilisée, en tant que telle, elle constitue le droit commun dont les dispositions constituent le fond de chacune des procédures particulières. Ces procédures ordinaires se caractérisent par un découpage en 2 phases :

- la phase administrative - la phase judiciaire

La phase administrative doit son existence à la réaction des révolutionnaires au mauvais souvenir des parlements sous ces régimes. Sous l’AR, les parlements manifestaient la tendance d’entraver tous les projets d’expropriation soutenus par l’administration royale. Ces parlements s’immisçaient dans l’action administrative. Pour empêcher cela, les révolutionnaires ont confié la procédure d’expropriation à l’administration et refusé que le JJ vienne entraver le

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travail de l’administration. Mais conscients, du besoin de protéger la propriété privée, Napoléon en 1810 a exigé que le transfert de propriété, concluant la procédure de l’expropriation, soit prononcé par le JJ qui apparaît comme un garant de la propriété contre les excès de l’administration. Et donc le meilleur moyen de combiner ces 2 éléments (pleine autonomie de l’administration et intervention du JJ), une loi de 1810 a créé 2 procédure qui se succèdent dans le temps. L’administration établit le projet d’expropriation puis le JJ en prend acte en prononçant le transfert de propriété et en déterminant les indemnités à verser.

Sous section 1 : La phase administrative

Se scinde elle aussi en 2 moments : Dans un premier temps, l’administration établit l’utilité publique de son projet et cette première

phase administrative se termine par la déclaration d’utilité publique (DUP) du projet de l’administration. Si cette DUP est prononcée par l’Etat, alors la 2nd phase peut intervenir.

Cette 2nd phase vise à établir quelles sont précisément les propriétés à exproprier afin que le projet déclaré d’utilité publique puisse être réalisé. La 2nd phase aboutit à l’arrêté de cessibilité.

= Dans les 2 cas, il s’agit d’actes administratifs unilatéraux étatiques.

Les 2 phases doivent en principe se succéder. En pratique, il arrive fréquemment que les 2 phases soient menées de façon quasiment simultanée afin que l’administration gagne du temps. Ce n’est pas nécessairement une bonne chose pour la protection de la propriété privée mais le CE n’a pas sanctionné ce mécanisme.

1§ La déclaration d’utilité publique (DUP)

La 1ère phase a pour objet de vérifier que le projet de l’administration qui implique une expropriation satisfait effectivement à la jurisprudence Ville Nouvelle Est. Et donc l’administration doit suivre toute une procédure afin de s’assurer que les contraintes posées par le juge mais aussi par le législateur sont bien respectées. Cette procédure d’expropriation connaît plusieurs phases : elle doit être déclenchée par l’expropriant parce que l’expropriation sert ses intérêts ; après son déclenchement s’ouvre une enquête publique ; qui précède l’acte de DUP. Toutefois, depuis 2002, une étape supplémentaire est venue s’introduire dans ce mécanisme : avant la déclaration d’utilité publique s’impose parfois la déclaration de projet qui constitue une nouvelle étape de proclamation de l’IG.

I. L’engagement de la procédure de DUP

Il revient à l’expropriant de déclencher le processus et d’ailleurs l’Etat lui-même ne pourrait le faire à sa place parce que l’expropriation se justifie par un projet que seul l’expropriant connaît. Donc il est normal que l’expropriant lance le mécanisme.Mais il ne peut pas le lancer sans contrainte : tout d’abord il y a des conditions qui déterminent sa décision, ensuite il doit le plus tôt possible informer et consulter le public.

A. La décision de recourir à l’expropriation

Cette décision de l’expropriant est purement discrétionnaire. Par ailleurs, la forme est relativement libre mais encore faut il que l’expropriant soit compétent. Si le projet est soutenu par l’Etat, une décision ministérielle ou préfectorale s’impose. Si l’expropriant est une CT, la décision de lancer la procédure incombe au conseil délibératif. Dans ce cas là, le préfet a la possibilité de déferrer cette décision au TA pour couper le mal à la racine si il estime que cette décision de lancer l’expropriation est illégale parce que le projet ne concourt pas du tout à l’IG. Et on constate là une dérogation au droit commun administratif. Ne sont susceptibles de REP que les actes administratifs unilatéraux qui font griefs (modifiant l’état du droit et causant un préjudice aux requérants). Un acte préparatoire est un acte qui en lui-même ne fait pas grief mais qui est adopté en préparation d’un acte qui lui fera grief. Donc un acte préparatoire est insusceptible de REP. La décision de lancer la procédure d’expropriation n’est pas nécessairement suivie par une expropriation car la procédure peut s’arrêter. Donc cette décision apparaît comme une mesure préparatoire de l’expropriation et normalement il ne devrait pas faire l’objet d’un REP. Et pourtant le juge l’admet parce que certes cet acte ne prive pas les propriétaires de leur bien mais il diminue de facto la valeur de leur patrimoine. Si un propriétaire veut vendre un bien qui se trouve dans le périmètre d’un projet annoncé d’expropriation, sa valeur est diminuée d’au moins 50%. Et donc le particulier verra son patrimoine dévalorisé par un simple projet d’expropriation. Donc il y a un préjudice et donc le REP est possible contre cette décision. Ce contrôle est toutefois limité par le juge. Le juge n’exerce qu’un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

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B. Les informations et concertations préalables du public

L’enquête publique nécessaire à l’expropriation et qui permet aux administrés de donner leur avis sur le projet de l’administration survient trop tard. L’enquête publique porte sur le projet façonné par l’administration. Dès lors, l’opposition manifestée par les administrés lors de l’enquête publique a peu de chances de modifier le projet de l’administration. Et c’est pourquoi les textes français depuis 2002 prévoient une information préalable du public. Le législateur est intervenu en 2002. C’est la loi Démocratie Proximité de février 2002. Mais le législateur n’est pas intervenu seulement parce qu’il y avait des écolos au pouvoir mais aussi parce qu’il cherchait à tenir compte d’une convention internationale signée par le France en 1998 AARHUS. Cette convention internationale vise à faire intervenir les administrés le plus tôt possible dans la définition des projets administratifs qui modifient leur cadre de vie. Le problème est que cette convention internationale n’a pas d’effet direct d’après le CE. Dès lors les justiciables doivent se rabattre sur la législation française, moins favorable que la convention.

Il y a tout d’abord les concertations préalables avec le public. La loi de 2002 impose une procédure de concertation préalable avec le public avant la définition précise de tous les grands projets d’aménagement. Il s’agit d’associer le public à l’élaboration de ces projets. Initialement, en 2002, elle s’imposait aux CT mais aussi à l’Etat et à ses EP. Mais c’était le beau temps de la majorité plurielle. Depuis, les choses ont changé : cette obligation de concertation préalable ne concerne plus l’Etat. Plus le projet est d’envergure, plus il est important, moins il y a de concertation grâce à la suppression de l’obligation pour l’Etat de suivre cette procédure.

Il s’agit d’associer les administrés à la décision finale et pour cela, après avoir annoncé le projet, la CT doit établir un processus de consultation du public sur son projet qui reste encore à définir. Et si la CT méconnaît cette obligation, alors cela vicie tout le mécanisme jusqu’à la fin. La DUP risque d’être annulée si les exigences de concertation préalable n’ont pas été respectées. En pratique, cette concertation préalable gêne peu les CT. Cela leur impose de prendre leur temps. Mais rien n’impose aux CT de tenir compte des remarques que leur adressent les administrés lors de cette procédure.A quoi ça sert alors ? A beaucoup car les administrés sont des électeurs. En forçant les CT à présenter leur projet, cette procédure expose les autorités locales à leurs électeurs. Et si les autorités administratives ne tiennent absolument pas compte des remarques des citoyens électeurs, aux élections suivantes, la majorité en place est balayée. Ce mécanisme est juridiquement peu contraignant et politiquement efficace.

L’Etat donc échappe à ce mécanisme mais pas à l’intervention de la commission nationale du débat public. Cette commission nationale a pour objet de déterminer si un débat doit être organisé autour des projets soutenus par l’expropriant. Cette AAI est saisie par l’expropriant qui lui fait part de ses projets et l’AAI au regard des éléments fournis détermine si ce projet implique un débat et comment ce débat doit être organisé. Seuls les plus grands projets sont soumis au contrôle de cette AAI. Mais cette AAI n’intervient pas seulement pour des projets soutenus par des personnes publiques, même ceux des personnes privées peuvent faire l’objet d’un tel débat. Ce débat ne sert pas à grand-chose : l’expropriant doit juste s’assurer qu’il a bien adressé son projet à la commission.

II. L’enquête publique préalable

L’enquête publique préalable à la DUP est une phase de démocratisation de la prise de décision administrative. En réalité « démocratisation » car cette phase donne la possibilité aux administrés de faire part de leur opinion quant au projet de l’expropriant. Cette phase n’équivaut pas à un référendum en cela où elle n’offre pas aux administrés le moyen de bloquer la procédure. Tout au plus pourront ils exprimer leur mécontentement et être informés du projet de l’expropriant. Ainsi pourront ils fournir leurs armes en vue du REP qu’ils intenteront contre la DUP. Mais en elle-même l’enquête publique préalable n’offre pas plus de possibilité que d’exprimer son sentiment.

Du côté de l’administration : obligation d’informer et de recueillir les avis. En pratique, l’enquête publique est utilisée par les expropriants pour tenter de recueillir l’assentiment des administrés, un moyen de convaincre les administrés de la pertinence du projet. A certains égards ; cela peut se retourner en moyen de communication. L’enquête publique est menée par un commissaire enquêteur, indépendant de l’expropriant, qui ne se prêtera pas à des projets de propagande. Cela est il l’expropriant espère convaincre les administrés pour les décourager de REP.

Tout d’abord il faut déterminer à quelles conditions cette enquête doit être organisée. Une fois si on sait si elle doit avoir lieu, il faut déterminer le contenu du dossier communiqué aux administrés. Si il est correctement réalisé, le préfet ouvre l’enquête et c’est le commissaire enquêteur qui en assure le bon déroulement.

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A. Le champ d’application de l’enquête publique

En vertu de l’article L.111-1 Code de l’expropriation : en principe, aucune expropriation d’un immeuble ou d’un droit réel immobilier ne peut se produire sans une enquête publique préalable. Formalité visant à protéger le droit de propriété. Toutefois cette obligation d’enquête publique ne résulte pas de la Constitution et ainsi le législateur peut y déroger. Ainsi on peut classer les expropriations en 2 catégories :

- celles nécessitant une enquête publique - celles qui en sont dispensées.

1. Les expropriations après enquête

Les expropriations après enquête sont toutes celles qui portent atteinte à un droit de propriété et qui de plus, se poursuivent par des projets de construction sans que ce prolongement par les constructions soit une condition systématique. Ces enquêtes publiques sont très nombreuses. Aujourd’hui : 120 types d’enquêtes publiques. Pour ce qui est du quotidien, 2 grands types d’EP :

► L’enquête publique nécessaire à la réalisation de travaux portant atteinte à l’environnement  : dans ce cas là, les règles qui régissent l’enquête publique ne se trouvent pas dans le Code de l’expropriation mais dans le Code de l’environnement. Dès lors qu’un ouvrage important est à l’origine de l’expropriation c’est l’enquête publique régie par le Code de l’environnement qui doit être organisée car il est probable que cet ouvrage est susceptible de nuire à l’environnement.

► L’enquête publique portant autant sur le projet de l’expropriant que sur la modification du plan local d’urbanisme, modification nécessaire pour rendre légal le projet de l’expropriant. L’expropriant ne peut pas réaliser son projet si les règles de l’urbanisme contenues dans le PLU adopté par la commune ne l’y autorisent pas. Si un terrain est classé non constructible car il s’agit d’un jardin public, l’expropriant ne peut pas y édifier une piscine. Dès lors, pour pouvoir construire la piscine en lieu et place du jardin, l’expropriant (commune) va mener une enquête publique pour permettre aux administrés de se prononcer sur l’utilité publique de la construction de la piscine et simultanément l’expropriation va mener une enquête publique nécessaire à la modification du PLU afin que le terrain devienne constructible. Au lieu de mener 2 enquêtes, l’administration peut en organiser qu’une seule mais elle devra se plier à l’ensemble des règles régissant l’enquête publique la plus contraignante et ce sont les règles contenues dans le Code de l’urbanisme qui sont les plus strictes, les plus protectrices des administrés. Dans ce cas là, alors que l’enquête publique sert aussi à justifier une expropriation, ce sont les règles du Code de l’urbanisme qui devront être appliquées.

La loi Grenelle 2 va tout modifier et dans un an et demi, les 120 ou 130 enquêtes publiques vont disparaître au profit de 2 ou 3 enquêtes publiques qui devraient régir l’ensemble des situations.

2. Les expropriations sans enquête

Il existe des dérogations lorsque l’enquête publique n’est pas nécessaire ou lorsqu’elle est dangereuse.

L’enquête publique n’est pas nécessaire lorsque l’utilité publique de l’expropriation a déjà été constatée de façon formelle. C’est le cas par exemple, lorsqu’il est question d’une expropriation touchant un immeuble insalubre. Pour qu’un immeuble soit déclaré insalubre, le maire doit respecter toute une procédure, il doit prendre plusieurs actes permettant le constat de l’insalubrité de l’immeuble et dès lors que ce constat est devenu définitif, il n’y a plus de doute sur la nécessité d’exproprier le propriétaire dès lors que celui-ci ne veut pas le restaurer. Cela ne sert à rien d’organiser une enquête publique, on le sait grâce au constat d’insalubrité de l’immeuble.

Il n’y a pas beaucoup d’enquêtes publiques dangereuses. Les expropriations nécessaires à l’édification d’ouvrages pour la défense nationale ne sont pas précédées d’enquête publique. Il s’agit de préserver le secret nécessaire à la sécurité nationale. Si une enquête publique était organisée pour exproprier les terrains sur lesquels l’armée voulait implanter ses obus, les étrangers se saisiraient de l’information. Pour éviter que les secrets de l’Etat ne fuite, on n’organise pas d’enquête publique.

Une fois si on sait si l’enquête publique est indispensable il faut monter le dossier soumis à l’enquête publique.

B. Le dossier de l’enquête publique

Ce dossier comprend toutes les pièces portées à la connaissance du public. Il incombe à l’expropriant de composer ce dossier. Cette composition est parfois longue et très souvent coûteuse car les pièces qui le composent nécessitent bien souvent des études scientifiques quant à l’impact du projet de l’expropriant sur l’environnement. La plupart du

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temps c’est donc le dossier de droit commun que l’expropriant doit constituer. Il existe un dossier dérogatoire pour les expropriations qui n’ont pas d’impact direct ou immédiat sur l’environnement. L’expropriant préférerait se contenter du dossier dérogatoire plus facile à monter mais si il commet l’erreur, toute l’enquête publique sera illégale et la DUP subséquente aussi.

1. Le dossier de droit commun

C’est le dossier le plus détaillé. Celui-ci comprend une notice explicative, le plan de situation, le plan général des travaux, les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants, l’appréciation sommaire des dépenses, une étude d’impact ou une notice d’impact et enfin, l’évaluation socio économique du projet si il s’agit d’un projet d’infrastructure (ports…)

La notice explicative  : a pour but de présenter l’opération et les raisons pour lesquelles l’opération a été choisie par l’expropriant.

Le plan de situation   : indique le périmètre dans lequel le projet de l’expropriant s’inscrit. Le plan de situation n’a pas pour objet d’indiquer quelles sont les propriétés à exproprier mais le périmètre concerné.

Le plan général des travaux et caractéristiques des ouvrages les plus importants   : en la matière, l’expropriant ne doit pas faire preuve d’une grande précision ; Il doit donner les grandes lignes de son projet. Même le plan général s’avère coûteux car il faut indiquer où passera l’autoroute qui doit être réalisable. L’administration doit recourir à des bureaux d’études, recrutés sur la base de marchés publics de service, ils ne sont conclus qu’après mise en concurrence et mesure de publicité, ce qui prend du temps et coûte de l’argent.

L’appréciation sommaire des dépenses  : information très importante car permettra au juge de se prononcer lorsqu’il fera le contrôle du bilan. En la matière, l’expropriant doit préciser un minimum : indiquer toutes les charges financières impliquées par son projet et qui lui incombe, le coût de l’expropriation, celui des travaux ainsi que la charge des entrants. Il doit même aussi indiquer les coûts indirects. Si le montant de l’opération est sous évalué, l’enquête publique sera faussée parce qu’en sous évaluant, l’expropriant pourrait être tenté de renforcer la légitimité de son opération. La difficulté est que l’évaluation du coût de l’opération est difficile : imprévus. Généralement, à la fin le coût est supérieur à ce qui a été prévu. Le juge tient compte de cette part d’aléa mais il n’admet qu’un taux limité d’erreur, le maximum étant une sous évaluation de 8%. Au-delà de 8% : annulation de la DUP estimant que l’enquête publique a été faussée.

L’étude d’impact   : consiste en une analyse des effets de l’impact du projet de l’expropriant sur l’environnement. Evidemment, cette étude d’impact ne s’impose qu’à la condition que le projet de l’expropriant puisse avoir un effet sur l’environnement. Cette étude d’impact s’impose donc pour tous les projets susceptibles de nuire à l’environnement et dont le coût est supérieur à 1,9 milliards d’euros. En deçà, il y a seulement une notice d’impact. Cette étude vise à analyser tous les effets directs ou indirects, permanents ou temporaires du projet sur l’environnement, compris comme ensemble naturel mais aussi comme cadre de vie des personnes. L’expropriant doit recourir à des laboratoires, des universités…Les administrés remettent en cause l’impartialité de ces études mais les administrés n’ont pas les moyens techniques de remettre en cause ces enquêtes.

L’évaluation socio économique du projet  : ne concerne que les grands projets d’infrastructure. Analyser quelles seront les conséquences sur la société et sur l’économie du projet. Il ne s’agit pas seulement d’analyser les conséquences néfastes mais aussi de voir quels sont les bénéfices. Là encore cette évaluation doit être faite avec un minimum de sérieux car sinon c’est toute l’enquête publique qui en sera affectée.

2. Le dossier simplifié

Dossier plus simple car il ne comprend pas la notice d’impact et l’évaluation socio économique. Il ne comprend que la notice explicative, l’estimation des dépenses, le plan de situation, l’exposé du périmètre de l’opération. Ce dossier simplifié ne comprend pas le plan général des travaux tout simplement parce que l’expropriation n’est pas prolongée par des travaux à la charge de l’expropriant. Ce dossier simplifié se limite aux expropriations pures, qui ne sont pas des préalables à des constructions.

Ce dossier simplifié peut aussi être retenu par l’expropriant lorsque celui-ci sait qu’il a besoin des immeubles en vue d’un projet encore imprécis. C’est ainsi que le dossier simplifié est légal lorsqu’une commune désire d’expropriation

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en vue de constituer une réserve foncière qui servira à la réalisation d’un aménagement urbain. Il s’agit pour la commune d’acquérir des terrains en vue d’un projet d’aménagement dont les grandes lignes ne sont pas encore fixées.

Le danger de cette dérogation est que quelques expropriants ont prétendu pouvoir recourir au dossier simplifié en arguant de leur méconnaissance du projet de construction qui devrait être édifiée sur les terres alors qu’en réalité le projet était déjà dessiné. Il faut vraiment qu’il y ait une véritable incertitude sur le projet de l’expropriant. Le juge se montre très sévère pour éviter les détournements de procédure.

Une fois que le dossier a été élaboré par l’expropriant, l’enquête publique peut s’ouvrir.

C. L’ouverture de l’enquête

Une fois le dossier constitué, l’expropriant le communique au préfet. Si le préfet est convaincu par le dossier, il poursuit la procédure sinon il la bloque. Soit l’expropriant élabore un nouveau dossier soit il abandonne son projet. L’ouverture de l’enquête publique nécessite la désignation d’un commissaire enquêteur et la fixation des conditions de l’enquête.

1. La désignation du commissaire enquêteur

Traditionnellement, il revenait au préfet de désigner le commissaire enquêteur c'est-à-dire la personne chargée de mener l’enquête publique. Cette compétence préfectorale exprimait l’emprise de l’Etat sur la procédure d’expropriation. Les choses ont changé en 2002 avec la loi Démocratie de Proximité. Cette loi a étendu la règle auparavant exceptionnelle selon laquelle le commissaire enquêteur est nommé par le président du TA territorialement compétent. Depuis 2002, ce n’est plus le préfet qui désigne le commissaire enquêteur mais le président du TA. Cette loi vise à assurer l’indépendance du commissaire enquêteur vis-à-vis de l’expropriant. En privant l’Etat du pouvoir de nommer le commissaire enquêteur, le législateur espère que les commissaires enquêteurs feront preuve de plus d’audace dans leur enquête et ce sont les intérêts des particuliers qui sont renforcés.

Le préfet doit seulement enregistrer le nom que retient le président du TA. Le procédure est la suivante : une fois que le préfet a reçu le dossier et a accepté de poursuivre la procédure, il adresse au président du TA une invitation à la désignation du commissaire ou d’une commission d’enquête si le projet est de grande envergure. Le président du TA a 15 jours pour répondre mais ce délai très bref s’explique par le fait que le président du TA doit nommer une personne inscrite sur une liste préétablie. En effet, régulièrement, des listes départementales de personnes susceptibles de mener des enquêtes publiques sont dressées. Sur ces listes, on trouve d’anciens architectes, ingénieurs des travaux publics, maires, députés… des personnes ayant quelques connaissances en matière d’aménagement. Ces personnes sont inscrites sur la liste et le président choisit. Le choix de cette personne dépend à chaque fois du projet de l’expropriant car non seulement le commissaire doit être compétent mais il doit de plus être impartial. Et cette impartialité dépend du projet : il faut qu’il n’ait aucun projet à ce que le projet se réalise ou non. Or, au moment où cette liste est dressée, on ne sait pas quels seront les projets d’expropriation à l’avenir. Cette impartialité s’analyse in concreto par le TA et si elle n’est pas assurée, l’enquête publique sera faussée et la DUP annulée.

Les textes interdisent par exemple de nommer un agent public qui dans les 5 ans précédents a eu à travailler sur le projet de l’expropriant. Il ne faut pas que le commissaire enquêteur possède un immeuble proche du lieu d’expropriation. Etc.

Le juge ne tombe pas dans l’excès et a admis un architecte qui dans le passé a eu l’expropriant comme client peut malgré tout être nommé si le délai est long.

Autre jurisprudence : le président du TA peut choisir l’époux de la fondatrice d’une association occupant l’immeuble visé par l’expropriation. Le raisonnement tenu par le juge : c’est l’association qui est expropriée. Certes, la directrice est mariée au commissaire mais comme dans le mariage, il n’y a aucun lien de subordination, le commissaire enquêteur reste impartial. = On voit là que le juge ne tombe pas dans l’excès quand il exige que le commissaire soit impartial. Ces listes départementales ne sont pas infinies et pas très longues car ils sont très mal payés. Payés à la vacation. Les personnes travaillant dans le secteur privé ne sont pas trop intéressées. Les agents publics sont soupçonnés de vouloir tout bétonner…

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Les dernières réformes tentent de résoudre cette difficulté en faisant en sorte qu’ils soient payés. La solution retenue depuis 2005 : c’est à l’expropriant de payer le commissaire enquêteur. Il est maintenant assuré d’être payé car l’expropriant doit verser sur un compte le montant des vacations envisagées par le président du TA. Le président du TA fait une estimation du temps nécessaire à l’enquête. Ce temps est traduit en euros et la somme est payée avant.

2. La fixation des conditions de l’enquête publique

Une fois le commissaire enquêteur nommé, le préfet fixe toutes les conditions de l’enquête publique et c’est ainsi qu’il décide de la date de son commencement et de sa durée sachant que la durée minimale est de 15 jours. Le préfet indique aussi le lieu de l’enquête (généralement dans la mairie). Si le projet concerne plusieurs communes, les différents lieux sont précisés par le préfet. Enfin, le préfet procède à l’affichage et à la publicité de l’avis d’enquête publique qui contient tous les éléments cités.

D. Le déroulement de l’enquête

Règle   : le public s’exprime, le commissaire conclut. Le public s’exprime en disant ce qu’il pense du projet, le commissaire conclut en prenant acte de l’opinion du public sans être lié.

1. La consultation

Se fait essentiellement par écrit et par exception oralement. Elle se fait par écrit parce que dans chaque lieu désigné par le préfet, les administrés trouvent un recueil sur lequel les administrés peuvent indiquer leur avis quant au projet.

Le commissaire enquêteur peut aussi recueillir des courriers et il peut aussi organiser des réunions publiques : il doit en avertir l’expropriant et le préfet.

2. Les conclusions du commissaire enquêteur

Au terme de l’enquête, le commissaire enquêteur rédige ses conclusions et son avis. Il doit dire ce qu’il pense clairement du projet. Il le fait de façon totalement libre. Il prend acte de l’avis du public. Cet avis est personnel, circonstancié, motivé et ce n’est pas une consultation juridique. C’est une appréciation en opportunité du projet. Le commissaire enquêteur fait donc part de son opinion quant à l’utilité publique du projet, qui se nourrit des avis du public sans qu’il ne soit un commis des administrés. Il n’est lié par aucun mandat. Le sens de ses conclusions doit être très clair car en fonction de ses conclusions, la procédure va varier sur le terrain contentieux. Les conclusions doivent être soit positives soit négatives. Toutefois, le juge accepte des conclusions positives assorties de réserves. Toutefois, si l’expropriant ne tient pas compte de ces réserves, le juge considère que l’avis est négatif.

Une fois que le commissaire enquêteur a rédigé ses conclusions il les remet au préfet et à ce moment là, la DUP peut être adoptée, précédée de la déclaration de projet d’IG.

III. L’acte de déclaration de projet d’IG

Cette déclaration de projet d’IG est une nouveauté encore de la loi de 2002. Auparavant cet acte n’existait pas, il a été imposé en 2002. Cet acte est un acte non pas du préfet mais de l’expropriant. Par cet acte, l’expropriant prend position quant à l’utilité de son projet, éclairé par les conclusions du commissaire enquêteur. Avant 2002, les expropriants avaient tendance à se retrancher derrière l’Etat en disant que ce n’était pas de sa faute mais celle de l’Etat qui avait prononcé la DUP. Afin de contrainte les expropriant à assumer leur projet, le législateur leur impose de clairement se prononcer sur l’utilité publique de leur projet avant que le préfet n’adopte la DUP. Pour les expropriants, cette obligation peut se révéler désagréable. Cette contrainte se révèle gênante politiquement pour les CT mais pour l’Etat pas du tout. La DUP vaut déclaration d’IG quand l’expropriant est l’Etat. Si l’expropriant est une autre personne publique que l’Etat, cet expropriant doit adopter cet acte de déclaration d’IG (DIG).

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Si l’expropriant n’adopte pas la DIG c’est qu’il ne croit plus à son projet et la procédure s’arrête. Et l’Etat ne peut pas prononcer une DUP si la DIG n’a pas été adoptée.

Autre effet de la DIG : limiter le temps pendant lequel les travaux subséquents à l’expropriation devront être réalisés. Les travaux de l’expropriant doivent se réaliser dans les 5 ans qui suivent la DIG. Evidemment, il faut que le projet de l’expropriant nécessite des travaux. Ce délai de 5 ans peut être prorogé une fois mais tout l’intérêt de cette procédure est d’éviter que des particuliers fassent l’objet d’expropriations et qu’ensuite leurs biens restent inutilisés par l’administration. Un bien inutilisé est un bien mort (éviter les biens de mains mortes). L’IG ne peut pas commander une expropriation en vue d’une construction sans qu’elle n’ait lieu. Cette procédure de 2002 vise à imposer une action cohérente à l’ensemble des expropriants.

La DIG ne peut pas faire l’objet d’un REP parce qu’il s’agit d’un acte préparatoire. Rien n’assure qu’après cet acte, le préfet prononcera effectivement la DUP. En revanche, l’illégalité de la DIG peut être invoquée par voie d’exception lors du recours pour excès de pouvoir contre la DUP.

IV. Acte de déclaration d’utilité publique

Cet acte reste entre les mains des autorités étatiques et vient clore la 1ère phase administrative de l’expropriation. Cet acte a pour objet d’expliciter, de déclarer l’utilité publique du projet de l’expropriant. L’expropriant, ici, se trouve particulièrement démuni puisque cet acte est pris par le préfet ou exceptionnellement par un Ministre. L’expropriant se trouve donc à la merci de la décision des autorités étatiques qui peuvent là encore bloquer le processus tant pour des motifs juridiques que pour des motifs de pure opportunité.

A. Le régime de l’acte de DUP

Cet acte doit être adopté dans un délai court après la fin de l’enquête publique. Ce délai est d’un an si la DUP prend la forme d’un arrêté préfectoral, ce qui constitue le droit commun. Ce délai est de 18 mois si la DUP prend la forme d’un décret en CE. Pourquoi enfermer cet acte dans ce délai ? Parce qu’un acte administratif n’est légal que si il n’est pas entaché d’erreur de droit et de fait. En effet, la DUP se prend à la lumière de l’avis du commissaire enquêteur. Si on attend trop longtemps, les faits ont pu évoluer et le DUP ne correspondrait plus aux circonstances de fait au moment de l’enquête publique. On se retrouve dans une phase précontentieuse, Arrêt Gomel de 1916 (un acte administratif n’est légal que si il correspond aux faits qui le fondent).

Cet acte peut être refusé et ce qui est intéressant est que la DUP n’a pas à être motivée alors que le refus de DUP lui doit être motivé. Le refus doit l’être parce que cela permettra à l’expropriant de contester le refus du préfet, refus qui l’empêche de mener à son terme le projet. Souci de la loi de 2002, celui de décentralisation. L’un des buts de cette loi était de prolonger la libre administration des CT. Afin que les communes qui exproprient puissent contester les refus du préfet de prendre des DUP, il fallait contraindre le préfet à motiver ses refus et ainsi faciliter le contrôle juridictionnel de ces refus. Certes, le CE exerce un contrôle limité mais il s’agit de permettre ce contrôle afin que les CT ne se trouvent pas sous la tutelle purement administrative et arbitraire de l’Etat.

La DUP n’a pas à être motivée parce que ce n’est pas un acte individuel. Ce n’est pas un acte nominatif. La DUP ne désigne personne. Ainsi, elle n’a pas à être motivée ni notifiée même si la DUP ne porte que sur une seule propriété. Mais la DUP n’est pas non plus un acte réglementaire parce qu’elle ne modifie pas la situation juridique des administrés. En elle-même, la DUP n’opère aucun transfert de propriété. Du coup, comme elle n’a pas de caractère réglementaire, l’exception d’illégalité de la DUP est enfermée dans le délai contentieux. Pendant très longtemps, le caractère non réglementaire de la DUP avait un autre impact. En vertu de la jurisprudence de Daniel Cohn Bendit, 1978, les DUP ne pouvaient pas être contestées au regard des directives communautaires : selon cette jurisprudence les directives communautaires n’ont pas d’effet direct. Dès lors on ne pouvait contester les actes individuels au regard des directives communautaires. Comme la DUP n’était pas réglementaire, impossible d’invoquer une directive. Mais les choses ont évolué depuis Dame Perreux, 30 octobre 2009 : dorénavant, les actes individuels peuvent être contestés au regard des directives communautaire et du coup les DUP également.

La DUP est un acte administratif unilatérale étatique . En principe du préfet, exceptionnellement des ministres voire du 1er Ministre. Mais aujourd’hui, pour déconcentrer la prise de décisions la règle est qu’il revient au préfet d’adopter les DUP. On voit là qu’il y a là un souci de déconcentration prolongeant le souci de décentralisation. Les ministres et le 1er Ministre n’interviennent que pour les projets les plus importants définis par décret. Auparavant, la répartition des compétences se faisait en fonction du sens de l’avis du commissaire enquêteur : si positif c’était le préfet si négatif c’était un Ministre. La loi de 2002 simplifie énormément les choses.

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La DUP entre en vigueur dès qu’elle est publiée régulièrement. Sa durée de validité est de 5 ans si il s’agit d’un arrêté préfectoral. Sa durée est définie par la DUP elle-même si cette DUP est prise par décret. On constate que l’Etat bénéficie d’une plus grande souplesse puisque les CT devront mettre la DUP en œuvre dans un délai de 5 ans alors l’Etat a la durée de la DUP. Ce n’est pas inéquitable car les projets étatiques sont de plus grande ampleur. Ce délai de 5 ans peut être prorogé (1 seule fois).

Si des travaux ou si l’expropriation déclarée d’utilité publique n’ont pas eu lieu dans ce délai de 5 ans, alors la DUP devient caduque. Ce délai de validité de la DUP contraint l’expropriant ainsi que l’Etat à agir relativement vite d’une part pour finir la procédure d’expropriation et d’autre part pour réaliser les travaux déclarés d’utilité publique par l’avis. Cette durée de 5 ans peut être suspendue, prorogée ou réduite à néant.

La suspension : cette durée de validité peut être suspendue si la DUP fait l’objet d’un REP. Tant que la procédure juridictionnelle contre la DUP ne s’est pas achevée la durée de validité de la DUP est suspendue et c’est seulement une fois que le procès s’est terminé par un rejet du REP que le délai de la DUP recommence à courir pour le temps qui ne s’était pas écoulé avant le dépôt du recours. L’intérêt de cette suspension est d’éviter que l’expropriant poursuive la procédure d’expropriation alors qu’il existe une opposition de la part des expropriés et que le juge saisi de cette opposition soit éventuellement amené à annuler la DUP. Si la DUP est suspendue, alors cela encourage l’expropriant à attendre la fin du procès pour continuer la procédure et ainsi il garde le bénéfice de la DUP malgré le recours. Le droit de propriété privée est lui aussi protégé puisqu’en évitant de forcer la main de l’expropriant, cette procédure le protège. Ce mécanisme a 2 défauts :

- Le principal défaut est que la DUP recommence à courir à compter du jugement définitif qui en constate la légalité seulement si depuis son adoption aucune modification des circonstances de droit ou de fait n’est survenue. Si une modification de ces circonstances s’est produite alors la DUP ne correspond plus à la réalité de la situation, elle est frappée d’irrégularité et du coup l’expropriant ne peut plus poursuive la procédure. L’expropriant prend alors le risque de perdre le bénéfice de la DUP si des évolutions se sont produites pendant le procès. Ces évolutions n’auront pas d’impact sur le procès lui-même mais elles auront malgré tout un impact sur la DUP une fois que celle ci devrait recommencer à courir.

- Le référé suspension pouvant éviter cet inconvénient fonctionne rarement.

La prorogation. Le délai peut être prorogé par l’Etat. Cette prorogation est décidée discrétionnairement par l’Etat. L’Etat étant l’auteur de la DUP, il revient à l’Etat de la proroger. Cette prorogation doit respecter le droit mais l’Etat peut la refuser si il estime que l’expropriant n’a pas fait le nécessaire pendant le 1er délai de validité de la DUP. Cette prorogation est en principe de 5 ans. Mais ce délai s’impose au DUP préfectoral. Pour les DUP de forme décrétale, le délai peut être supérieur. La spécificité de cette prorogation tient au fait qu’elle peut être décidée sans enquête publique. Alors que la DUP est en principe précédée d’une enquête publique, la prorogation n’en est pas précédée. C’est le principe. Si des évolutions, des circonstances de droit ou de fait ont changé à ce point, alors la prorogation nécessite une enquête publique mais il ressort de la jurisprudence du CE que le juge se montre très difficile dans son appréciation de ces évolutions des circonstances de fait et de droit. Le juge reconnaît très difficilement que de telles évolutions se sont produites au point de remettre en cause la DUP initiale. Du coup, il facilite les prorogations des DUP en cours.

Le retrait. La DUP n’est pas un acte créateur de droit. C’est un acte mixte : ni réglementaire, ni individuel. Et ce n’est pas un acte créateur de droit puisqu’il fait peser une menace sur la propriété des expropriés et par ailleurs les expropriants ne sont jamais assurés que l’Etat ira jusqu’au bout de la procédure. Puisque cet acte n’est pas créateur de droit, il peut être retiré à tout moment tant pour des motifs de légalité que d’opportunité. Toutefois, le retrait de la DUP peut être abrogé. Une fois que l’administration a retiré la DUP, elle fait abroger le retrait pour le délai qui lui restait à courir. 1994, Société Unimate 65 : l’administration peut changer de point de vue. Si elle estime qu’en opportunité il valait mieux la retirer, elle peut ensuite juger que l’opportunité commande de remettre la DUP et tout cela sans enquête publique. La propriété privée en souffre. Il existe un REP : car la décision d’abroger le retrait peut faire l’objet d’un REP. Mais le juge ne se prononcera pas sur la légalité de la DUP initiale, il ne se prononcera que sur la légalité de l’abrogation du retrait. Pour apprécier la légalité de l’abrogation, le juge devra vérifier si l’évolution des circonstances de droit et de fait ne s’oppose pas à la restauration de la DUP.

L’abrogation : ne vaut que pour l’avenir. Dans la mesure où la DUP ressemble à un acte réglementaire, la DUP se plie à la jurisprudence compagnie Aitalia de 1989 : les personnes intéressées peuvent demander à l’administration qu’elle abroge les actes réglementaires devenus illégaux du fait d’une évolution des circonstances de droit ou de fait. Ceci est transposable au DUP. C’est ainsi que les administrés peuvent demander à l’administration étatique d’abroger une DUP. Recours important pour les propriétaires.

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L’abrogation suit un régime similaire au retrait et c’est ainsi que le CE a admis l’abrogation de l’abrogation afin que l’administration fasse renaître la DUP qu’elle avait elle-même abrogée. CE 28 octobre 2009, Coopérative Agricole L’armoque Maraichère.

Effets de la DUP : relativement limités. La DUP a pour principal effet de déclarer l’utilité publique de l’opération de l’expropriant. La DUP n’a pas pour effet le transfert de propriété. Permet à l’expropriant ainsi qu’à l’Etat de poursuivre la procédure d’expropriation = effet principal.

A compter de la DUP, l’expropriant peut saisir le juge judiciaire afin qu’il se prononce sur les indemnités à accorder au propriétaire menacé d’expulsion.

B. Le contentieux de la DUP

Le contentieux de la DUP constitue le porte voix des propriétaires menacés et des associations de protection de l’environnement. C’est grâce essentiellement à ces actions juridictionnelles que ces particuliers peuvent empêcher le projet de leur expropriation. Leur intervention lors de l’enquête publique n’a pas pour effet de bloquer la procédure. En revanche, en saisissant le juge, les propriétaires peuvent espérer bloquer le processus de l’expropriation. Ce contentieux de l’expropriation revêt 2 dimensions :

- une propre au contentieux de l’excès de pouvoir et au contentieux de la réparation - une autre concernant le contentieux de l’urgence

1. Le contentieux ordinaire de la DUP : le REP et le recours en réparation

a. Le contentieux de l’excès de pouvoir

La DUP est un acte administratif faisant grief mais en pratique lorsque l’Etat publie une DUP, l’expropriation s’ensuit. Il est très rare que l’Etat abandonne la procédure en cours de route puisque si il poursuit la procédure c’est qu’il l’estime lui-même utile à l’IG. A ce titre, elle s’expose à un REP qui peut être précédée d’un recours administratif préalable qui n’a rien d’obligatoire. Ce recours peut être intenté soit devant l’auteur de la DUP : recours gracieux. Si ce recours gracieux est intenté dans le délai contentieux (2 mois à compter de la publication de la DUP), ce recours suspend le délai de recours pour excès de pouvoir, le temps que le préfet réponde. Si la DUP est préfectorale, les tiers peuvent choisir d’intenter un recours hiérarchique, dans ce cas là le recours administratif préalable n’est pas adressé au préfet mais à son autorité hiérarchique, le gouvernement. Si le DUP prend la forme d’un décret, le recours hiérarchique n’existe pas, seul le recours gracieux devient possible. Le requérant peut se contenter de saisir le juge de l’excès de pouvoir d’une demande d’annulation de la DUP. Il saisira la juridiction compétente en fonction de la nature de la DUP. Si DUP préfectorale : TA. Si DUP gouvernemental : le CE est compétent en 1er et dernier ressort. Et là encore on constate quelque chose de paradoxal : plus le projet est important, moins les administrés bénéficient de protections juridictionnelles. Ce n’est pas paradoxal si on estime que de toutes les façons les projets d’intérêt national doivent être réalisés.

Le requérant peut invoquer tous les moyens habituels : des moyens de légalité externe et des moyens de légalité interne. Compétence, vice de forme, vice de procédure/ le détournement de pouvoir, la violation de la loi, l’erreur de droit, l’erreur de qualification juridique des faits, l’erreur de fait. Mais ce qui est intéressant : les requérants peuvent aussi invoquer des moyens affectant des actes antérieurs à la DUP. Il y a aussi la possibilité pour les requérants d’invoquer l’exception d’illégalité. Grâce à ce mécanisme, les requérant qui intentent un REP contre la DUP peuvent tenter de démontrer son illégalité en arguant de l’illégalité des actes qui l’ont préparé. C’est ainsi qu’au terme du processus, le juge remontera la chaîne des actes et si un de ces actes est illégal, son illégalité rejaillit sur celle de la DUP. La limite de ce mécanisme est qu’on ne peut invoquer l’illégalité que des actes qui s’inscrivent dans la même législation que la DUP. Il s’agit ici de l’application du principe de l’indépendance des législations. Cela signifie que les actes dont l’illégalité peut être invoquée doivent avoir était pris en application de la législation sur les expropriations. Si un acte antérieur à la DUP relève d’une autre législation, alors cet acte même illégal n’affectera pas la légalité de la DUP. Cette contrainte vise à simplifier le travail du juge et de l’administration.

Effet du recours : Soit le juge constate la légalité de la DUP et celle-ci devient définitive. Soit il annule la DUP et à ce moment là la procédure s’arrête. Et si pendant la procédure l’administration, l’expropriant a poursuivi la procédure il doit éviter d’aller plus loin et il lui faudra restaurer dans la mesure des choses la situation des expropriés.

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Est-ce que la jurisprudence AC du 11 mai 2004 du CE peut s’appliquer à une DUP (permet de moduler dans le temps les effets de l’annulation d’un acte administratif illégal) ? Rien ne permet d’exclure la DUP du champ d’application de cette jurisprudence.

La validation législative des DUP. Quand un acte administratif est illégal, le législateur peut lui accorder une immunité juridictionnelle, cela s’appelle une validation législative. Le JA annule les actes administratifs contraires à la loi. Si la loi vient affirmer que tel acte ne peut pas être annulé, alors le juge ne l’annule pas. Donc une DUP peut être validé par le législateur et c’est ainsi que le législateur valide des DUP que l’on soupçonne d’être illégales. Cela doit intervenir avant le jugement définitif du juge. Toutefois, le Conseil constitutionnel pose quelques bornes et la CEDH exerce un contrôle de la compatibilité des lois de validation avec la CEDH. Si une loi de validation porte atteinte du droit au recours ou au droit de propriété de façon disproportionnée, alors la loi de validation ne s’oppose plus au contrôle par le juge de la légalité de la DUP pourtant validée. La CEDH impose un contrôle de la validité de la loi de validité au regard de la CEDH car cette loi de validation porte atteinte au droit au recours, si cette atteinte est disproportionnée, alors la loi de validation doit être écartée. Si par ailleurs, la loi de validation prive le droit de la propriété privée d’une garantie importante, la loi de validation est écartée si elle ne se justifie pas par des motifs impérieux d’IG. Le juge retrouve son pouvoir de contrôler la légalité de la DUP.

b. Le contentieux de la réparation

Si la DUP est illégale, il est probable que les expropriés demandent réparation du préjudice dont ils ont souffert. Si aucune expropriation n’a suivi la DUP, le préjudice subit par les propriétaires menacés se révèle peu important la plupart du temps. Ils peuvent quand même se plaindre d’avoir eu peur et d’avoir peut être été entravé dans la libre disposition de leur bien. Il n’est pas rare que les acheteurs intéressés renoncent à un achat en apprenant qu’une DUP menace le bien. Si on démontre les intentions certaines des acquéreurs, il y aura lieu de verser des DI. Si la DUP a été prolongée par une expropriation et que cette DUP est illégale, les propriétaires ont été expropriés sur le fondement d’un acte illégal, ils auront droit à des DI. Ce qui ne veut pas dire qu’ils vont pouvoir récupérer leur bien. Si la procédure administrative dure trop longtemps, le JA accorde aussi des DI aux expropriés. Jurisprudence Magira 2002 par laquelle le CE reconnaît la responsabilité pour faute de l’Etat en cas de procédure juridictionnelle excessivement longue. Enfin, il existe un contentieux de la responsabilité pour abandon du projet. Peuvent en bénéficier les expropriants plutôt que les expropriés. Arrêt département du Haut Rhin, 2001 : le CE a allié le droit à réparation au motif que l’Etat avait abandonné son projet de construire un grand canal dans la région. Le département qui avait annoncé ce projet, avait engagé des travaux pour réaliser une portion du canal espérant que celle-ci allait s’inscrire dans le schéma de l’Etat. L’Etat avait abandonné le projet alors qu’il avait procuré des garanties au département.

2. Le contentieux de l’urgence

Prend 2 voies : - le référé suspension - le référé liberté

Le référé liberté contre une DUP pourrait être recevable puisque la DUP fait peser une menace sur la propriété publique qui constitue une liberté fondamentale. Cela n’a jamais abouti. Aucun référé liberté n’a jamais abouti à la suspension de celle-ci. Le CE n’admet que l’utilisation du référé suspension. Ce référé suspension, procédure accessoire au REP, n’est recevable qu’à la condition que le requérant ait déposé contre la DUP un REP. Ce référé aboutit à la suspension de la DUP si le requérant fait valoir l’urgence de la situation et un doute sérieux quant à la légalité de l’acte. Le problème tient ici à l’urgence. Pour le CE, l’urgence à suspendre une DUP ne se rencontre quasiment jamais. Le CE tire les conséquences de l’objet de la DUP qui a pour objet principal la DUP du projet de l’expropriant. Elle n’emporte pas le transfert de propriété et en elle-même la DUP ne menace pas gravement le propriétaire. Dès lors pour le CE, il n’y a jamais d’urgence à suspendre un acte de DUP. Cette urgence n’est reconnue que si la DUP s’accompagne d’un transfert immédiat de propriété, ce qui se produit lorsque l’administration recourt à des procédures dérogatoires d’expropriation. Ou si la DUP vaut en même temps arrêté de cessibilité : si il n’existe aucun doute au moment de l’EP sur le ou les quelques propriétaire à exproprier.

2§ L’arrêté de cessibilité

La DUP ne constitue qu’une étape. Elle n’a pas pour objet que de déclarer l’utilité publique du projet de l’expropriant. Elle ne permet pas en elle-même en principe l’identification des personnes expropriées. Elle nécessite une nouvelle enquête, appelée l’enquête parcellaire. A la suite de cette enquête, le préfet prend un arrêté de cessibilité qui désigne

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qui sont les propriétaires à déposséder. Cette procédure suit la procédure qui se solde par la déclaration d’utilité publique. En réalité les 2 procédures bien souvent se mènent de front car pour gagner du temps, l’expropriant engage les 2 enquêtes simultanément, ce qui généralement a pour effet de raccourcir les délais de la procédure mais aussi d’entraver les administrés de leur droit de protestation.

I. L’enquête parcellaire

Elle vise à identifier les propriétaires à exproprier pour que le projet déclaré d’UP puisse être mené à son terme. Cette enquête constitue ou ressemble à une EP au petit pied. En effet, le dossier d’EP comprend beaucoup moins de pièces que le dossier prévu pour l’adoption de la DUP. Dans ce dossier, on doit trouver un plan parcellaire des terrains et des bâtiments à exproprier, ainsi que la liste des propriétaires concernés. Les 2 précisions ne sont pas redondantes. Le 1er point ne pose pas de difficulté. Le 2ème point est plus délicat : les propriétaires sont parfois inconnus ou incertains.

L’expropriant doit établir un dossier le plus précis possible car la précision de son dossier déterminera la validité de son enquête. D’autant plus, qu’il incombe à l’expropriant de notifier à chacun des propriétaires l’information selon laquelle le dossier de l’enquête parcellaire se trouve à la mairie de sa commune. Et pour que cette notification puisse se produire, encore fait il que les propriétaires aient été définis.

L’ouverture de l’enquête parcellaire relève de la compétence du préfet menée par un commissaire enquêteur qui est nommé par le préfet et non pas nommé par le président du TA. Le préfet peut nommer la même personne que le président du TA. Cela facilitera les choses si l’EP se réalise en même temps que l’enquête parcellaire. Les administrés indiqueront en même temps que leur avis, les limites de leur propriété privée.

L’enquête se déroule dans toutes les communes où se trouvent les immeubles à exproprier. Tous les titulaires de droits réels concernés sont appelés à se prononcer et ils sont informés de l’enquête par notification ; les tiers sont informés par voie d’affichage et ils peuvent avoir intérêt à intervenir. Lors de l’enquête parcellaire, il est possible pour les personnes menacées d’expropriation, de faire valoir que pour la bonne réalisation du projet, l’expropriant n’a pas besoin de leur immeuble mais plutôt de celui du voisin. Et il arrive que le commissaire enquêteur suggère à l’expropriant de changer les parcelles à exproprier.

Ceci pour indiquer que cette enquête n’est pas inutile. Cela permet encore de jouer à la marge certes mais quand même sur l’identification des immeubles à exproprier. Lors de cette enquête, les administrés ne peuvent pas donner leur avis quant à l’utilité publique de l’expropriation. Ce n’est plus le débat, cela se déroule lors de l’EP préalable.

Cette enquête se solde par un avis du commissaire ne portant que sur la cessibilité des terrains à exproprier et c’est parfois à ce moment là que le commissaire enquêteur révèle ou rappelle à l’expropriant que tel terrain fait parti du domaine public et qu’il est insaisissable.

II. L’adoption de l’arrêté de cessibilité

Sur la base de l’avis du commissaire enquêteur, le préfet prend un arrêté de cessibilité : c’est un acte administratif unilatéral collectif. Ce n’est pas un acte règlementaire mais collectif nominatif. Un acte comprenant plusieurs destinataires nommément désignés. Et donc par un même acte, le préfet dresse la liste de toutes les personnes à exproprier. Comme c’est un acte nominatif, il n’entre en vigueur qu’à compter de sa notification et il peut faire l’objet d’un REP. Lors de ce REP, le requérant peut invoquer les illégalités propres à l’arrêté de cessibilité. Il peut aussi invoquer par voie d’exception les illégalité ayant entaché l’enquête parcellaire, ainsi que l’illégalité de la DUP si cette DUP n’a pas déjà fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Jusqu’à ce stade l’exproprié peut remonter toute la chaîne.

L’arrêté de cessibilité a une durée de 6 mois et au cours de ces 6 mois, le préfet doit l’adresser au JJ. Il peut adresser cet arrêté de cessibilité alors même que des requérants auraient intenté un REP contre l’arrêté de cessibilité, ce qui est normal puisqu’il n’a pas été suspensif. Si les requérants veulent suspendre, ils doivent exercer un référé suspension qui en pratique s’avère plus utile que celui contre la DUP parce que l’arrêté de cessibilité est l’étape finale de la phase administrative et juste après cette étape le JJ intervient pour prononcer le transfert de propriété.

3§ La phase judiciaire

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La phase judiciaire date de la loi du 8 mars 1810. Il s’agit de protéger la propriété privée des actions abusives de l’administration grâce à l’intervention du juge judiciaire prétendument garant de la propriété immobilière. Cette prétention a même fait l’objet d’une consécration constitutionnelle. L’intervention du JJ présente des avantages : permet d’éviter que l’administration maîtrise de bout en bout la procédure de l’expropriation. L’intervention du JJ constitue donc une garantie pour les administrés. Toutefois, cette garantie ne doit pas être surestimée. Parce que si le JJ prononce le transfert de propriété en lieu et place de l’administration, il n’a pas le droit de s’immiscer dans l’action administrative. Il n’a donc pas le droit de contrôler la légalité de l’arrêté de cessibilité et de la DUP. Du coup, son intervention ressemble à bien des égards à une procédure d’enregistrement de l’arrêté de cessibilité. Et nous verrons que la division de l’expropriation en 2 phases à d’autres inconvénients. Comme les 2 phases sont relativement indépendantes, certes la phase judiciaire ne peut se produire que si la phase administrative a été menée à son terme, mais comme les 2 phases sont relativement indépendantes, ce n’est pas parce que la phase administrative est annulée que cela affecte particulièrement la phase judiciaire. Il peut arriver que le JJ prononce le transfert de propriété alors que l’arrêté de cessibilité a été annulé entre temps.

Le JJ se prononce aussi sur l’indemnisation de l’exproprié.

I. L’ordonnance du transfert de propriété

L’adoption de l’ordonnance de transfert de propriété constitue une phase d’enregistrement de l’arrêté de cessibilité, ce qui prive les administrés de certaines garanties qu’ils auraient pu espérer du JJ. Cette nature d’enregistrement est d’autant plus regrettable que les effets de l’ordonnance d’expropriation sont très importants. Ils font perdre au propriétaire son droit de propriété mais pas sa possession. Restera possesseur tant que l’indemnité ne lui a pas été versée. C’est seulement en cas de contestation de l’ordonnance que le JJ se révèle un garant de la propriété privée.

A. L’adoption de l’ordonnance du transfert de propriété

Le juge de l’expropriation en ordonnant le transfert de propriété clôt la 1ère phase de la procédure judiciaire. Celle-ci comporte 2 étapes : le transfert de propriété/la détermination des DI. Le juge de l’expropriation ne peut être saisi que par le préfet après que l’arrêté de cessibilité a été publié. Une fois le juge saisi celui-ci a peu de choses à faire car en effet, son rôle consiste à enregistrer l’arrêté de cessibilité. Cette ordonnance a si peu d’importance que seul un pourvoi en cassation contre celle-ci est recevable. L’importance du rôle attribué au JJ paraît si faible que l’on peut se demander en quoi en prononçant le transfert de propriété, le juge judiciaire est effectivement un gardien de la propriété privée.

Le JJ sert à peu de choses tant que la procédure administrative et judiciaire ne font l’objet d’aucune contestation. Dès lors qu’une contestation survient, le JJ se révèle utile à la protection de la propriété privée. C’est donc une utilité provoquée par les expropriés eux-mêmes et non une utilité spontanée. Le JJ manque à ses devoirs à cet égard car doit respecter la séparation des autorités.

Notons que une fois que le préfet a saisi le JJ et cela dans les 6 mois qui suivent l’arrêté de cessibilité, le JJ n’a que 15 jours pour prendre l’ordonnance de transfert de propriété. Auparavant, avant 2005, le JJ ne disposait que de 8 jours. Autant dire que les textes ne laissent pas au juge le temps d’exercer un contrôle approfondi de la procédure. Ce n’est pas un délai contraignant mais indicatif. Cette réforme de 2005 est un cache misère. Les JJ ont tellement de travail qu’ils n’avaient jamais le temps de prononcer les ordonnances dans le délai de 8 jours imparti. Le gouvernement a alors autorisé ces juges à statuer dans un délai de 15 jours.

Que doit faire le JJ avant de prononcer l’ordonnance d’expropriation ? Il doit simplement vérifier l’existence des éléments que le préfet doit obligatoirement lui adresser. Parmi ces éléments : la DUP et éventuellement l’acte de sa prorogation, le plan parcellaire des terrains, l’arrêté de cessibilité, ainsi que les pièces démontrant que les expropriés ont bien été informés de la réalisation de l’enquête parcellaire. Le juge contrôle l’existence de ces pièces. C’est un contrôle de l’existence des actes, contrôle qui s’étend à la non caducité de ces actes. Même si la DUP est manifestement illégale le JJ doit opérer le transfert : le JJ n’opère aucun contrôle de la légalité des actes administratifs. On voit là que ce juge ne présente pas une très grande utilité pour l’exproprié. Ce n’est pas un filtre supplémentaire qui permettrait d’écarter des expropriations. La séparation des pouvoirs, interdit au JJ d’exercer un tel contrôle. Et le procédure s’en ressent : le juge de l’expropriation ordonne seul le transfert de propriété. Le principe de collégialité est écarté. De la même façon : la procédure n’est pas publique ni contradictoire.

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= On attend peu du juge donc on le contraint peu

Le juge doit donc opérer le transfert de propriété en indiquant quelles sont les personnes expropriées et à qui le bien est confié. Il ne fait qu’enregistrer l’acte d’aliénation qui sera reporté sur le livre foncier. Et ceci alors que les effets de l’ordonnance sont importants.

B. Les effets de l’ordonnance d’expropriation

L’ordonnance d’expropriation prive l’exproprié de son droit de propriété. De plus, cette ordonnance éteint toutes les servitudes qui pesaient sur le bien exproprié à condition que ces servitudes ne soient pas légales. Le JJ ne peut pas violer la loi. En revanche, le JJ éteint toutes les servitudes de droit privé conventionnelles pesant sur le bien. Les bénéficiaires de ces servitudes ont été identifiés et ils auront droit à une indemnisation. Le propriétaire de l’immeuble perd son droit de propriété : il ne peut plus le vendre, l’échanger, le donner, l’hypothéquer. Le bien ne lui appartient plus. Et il ne peut plus non plus réclamer les loyers qu’il percevait car l’usufruit est attaché à la propriété. L’intérêt pour l’exproprié est de ne plus avoir à supporter les charges affectées à la propriété. C’est au bénéficiaire de l’expropriation d’assumer les charges de cette propriété. Toutefois, cette ordonnance n’opère pas de dépossession de l’exproprié. Malgré l’ordonnance judiciaire, l’expropriée conserve la possession de son bien. = Exercer une main mise de fait sur le bien. Cela signifie que la personne qui habite une maison expropriée peut continuer à l’occuper. Cette occupation sera l’expression d’une possession. La dépossession n’aura lieu qu’après le versement des indemnités. Article 17 DDHC : la privation de propriété doit être précédée d’une juste et préalable indemnité.

C. La contestation de l’ordonnance d’expropriation

L’ordonnance d’expropriation peut faire l’objet de recours. Recours judiciaire car acte judiciaire. Et c’est grâce à ces actions contre l’ordonnance que le JJ va enfin se révéler un protecteur de la propriété privée mais un protecteur dont il ne faut pas attendre trop. C’est simplement un contrôle de cassation.

1. Le pourvoi en cassation

Toutes les personnes intéressées peuvent se pourvoir en cassation contre l’ordonnance d’expropriation mais la cour interprète « personne intéressée » de manière restrictive. Seules les personnes expropriées peuvent intenter ce recours. Elles ne peuvent le faire qu’à la condition de défendre le droit dont elles sont privées. En pratique, cela signifie que le propriétaire d’un immeuble exproprié peut se pourvoir en cassation. Le titulaire d’un droit réel exproprié peut se pourvoir lui aussi contre l’ordonnance d’expropriation. En revanche, le titulaire d’un droit réel ou personnel qui disparaîtrait du fait de l’expropriation de l’immeuble ne peut pas se pourvoir en cassation. = La Cour de cassation cherche à limiter la contestation des ordonnances d’expropriation. Les moyens que les requérants peuvent utiliser sont :

- l’incompétence du juge - l’excès de pouvoir - le vice de forme

Qui en droit civil se comprennent de façon plus restrictifs qu’en DA.

L’annulation de l’ordonnance résulte fréquemment de sa disparition de sa base légale. La base légale se trouve dans la procédure administrative se composant de l’arrêté de cessibilité et de la DUP. Si la DUP ou l’AC disparaissent soit parce que l’administration les a retirés ou abrogés soit parce que le JA les a annulés, l’ordonnance d’expropriation n’a plus de base légale et elle ne doit pas être prise. Ainsi si cette disparition a eu lieu avant que le juge ne statue, il s’abstient de prendre l’ordonnance. Si en revanche, l’ordonnance a déjà été prise, la disparition de la base légale pourra être sanctionnée par la Cour de cassation. Le problème est d’ordre chronologique. La protection qu’offre la Cour de cassation à l’exproprié dépend du moment où elle statue. Hypothèse heureuse : la Cour de cassation statue après l’annulation ou la suppression de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité. Le juge de 1er ressort a pris une ordonnance de transfert de propriété. Les personnes intéressées se sont pourvues en cassation et avant que la Cour de cassation statue, la DUP ou l’arrêté de cessibilité ou les 2 disparaissent. Dans ce cas là, la Cour de cassation prend acte de la suppression de la base légale de l’ordonnance d’expropriation et elle casse l’ordonnance d’expropriation. Mais pour cela, il faut que la Cour de cassation juge après que le JA ait annulé la DUP ou l’AC. Pour que cette 1ère hypothèse se rencontre, il convient que le JJ statue lentement afin que le JA ait le temps de statuer rapidement. En général c’est le contraire qui se passe car la procédure

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administrative est plus longue. Vu la lenteur du JA, la Cour de cassation fait tout son possible pour rendre son jugement lentement. La Cour de cassation s’efforce d’aider les expropriés. Une des solutions : permettre aux expropriés de se pourvoir en cassation contre l’ordonnance par anticipation. La Cour de cassation permet donc aux expropriés de contester en cassation l’ordonnance d’expropriation non pas au motif que cette ordonnance aurait été mal adoptée mais au motif qu’à l’avenir elle pourrait se voir dépourvue de toute base légale si le JA venait à annuler soit la DUP soit l’AC. Et donc la Cour de cassation permet aux administrés de faire un pari sur l’avenir. Mais le délai du JJ ne doit pas dépasser le délai de l’article 6 de la CEDH.

Hypothèse malheureuse : si la Cour de cassation statue avant que le JA annule la DUP ou l’AC et que la Cour de cassation reconnaît la validité du transfert de propriété, l’administré exproprié se trouve confronté à 2 actes. Un jugement administratif qui annule la DUP ou l’AC et d’autre part, une ordonnance d’expropriation dont la validité a été reconnue. Le justiciable se voit donc privé de sa propriété par une ordonnance d’expropriation qui n’a plus de base légale mais ceci trop tardivement. Dans ce cas là, l’expropriation a bien lieu parce que l’autorité de la chose jugée par la Cour de cassation interdit la restitution du bien à l’exproprié. = Les 2 autorités administrative et judiciaire n’arrivent pas à coordonner leurs actions dans le temps et elles peuvent adopter des décisions aux effets contraires se soldant par une expropriation.

En 1995, le législateur est intervenu pour protéger les propriétaires. Il a tenté de corriger cet effet néfaste de la séparation des autorités administrative et judiciaire par la loi du 2 février 1995 introduisant un article 12-5 dans le Code de l’expropriation : « En cas d’annulation par une décision définitive du JA de la DUP ou de l’AC tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale ». Cette disposition permet à l’exproprié de saisir de nouveau le juge de l’expropriation pour lui demander de constater que sa 1ère ordonnance a perdu toute base légale à la suite de l’annulation de la DUP ou de l’AC. Ainsi, le transfert de propriété est remis en cause, le législateur ayant permis une dérogation à l’autorité de la chose jugée par le JJ. Toutefois, cette dérogation est très encadrée par les textes et a des effets parfois platoniques.

Les conditions   : le JJ ne peut être saisi de nouveau qu’après une décision définitive du JJ. Autrement dit, peu importe que la DUP ait été annulée par le TA si son jugement est encore susceptible d’appel et d’un appel en cassation. Il faut que les recours soient devenus impossibles. De plus, cette disposition ne prévoit que l’annulation par le JA de la DUP ou de l’AC comme cause légitime de la nouvelle saisine du juge de l’expropriation, ce qui exclut le retrait ou l’abrogation de la DUP par l’administration elle-même. L’exproprié doit saisir le juge de l’expropriation dans les 2 mois qui suivent l’annulation définitive de l’AC ou de la DUP. C’est un délai court mais suffisant si l’exproprié est au courant. Question : savoir si l’exproprié est au courant de l’annulation de la DUP ou de l’AC. Il est évidemment au courant si c’est lui qui a intenté le recours. Si ce sont des tiers, l’exproprié peut ne pas être au courant et donc le délai de 2 mois se mettra à courir sans qu’il ne le sache. Et donc quelle est la solution pour l’exproprié ? Elle est simple mais coûteuse : il suffit qu’il intente un recours pour excès de pouvoir contre la DUP et l’AC même si ces actes font déjà l’objet de recours de la part de tiers. Autrement dit, ce mécanisme conduit tous les expropriés à introduire individuellement un recours contre la DUP ou l’AC. Cela démultiplie les actions en justice, encombre les prétoires, tout simplement parce que l’article 12-5 est enfermé dans un tel délai et parce que la Cour de cassation en a déduit que seuls les auteurs de recours peuvent bénéficier de l’article 12-5. NB : Lors d’un REP, l’annulation d’un acte administratif vaut pour l’ensemble des citoyens.

2. Les conséquences de l’illégalité de l’ordonnance de l’expropriation

1ère hypothèse : l’ordonnance d’expropriation est jugée illégale parce que elle n’a plus de base légale et cette contestation est antérieure à l’intervention de la Cour de cassation. Dans cette hypothèse, la cassation de l’ordonnance d’expropriation rend sa propriété à l’exproprié. Dans la 2nd hypothèse, l’ordonnance d’expropriation existe, l’autorité de la chose jugée prévaut alors même que l’on sait qu’elle n’a plus de base légale. L’exproprié perd ses biens si il n’a pas pu bénéficier de l’article 12-5. Mais cette perte de propriété illégale sera indemnisée par des DI. En revanche si l’article 12-5 peut être utilisé, il récupère la propriété en principe.

« En principe ». En effet, si l’expropriant a pris possession du bien avant l’annulation de l’ordonnance d’expropriation. Possession possible si l’expropriant verse l’indemnisation juste et préalable. L’expropriant a pu réaliser des ouvrages sur les biens de l’exproprié et si ces ouvrages répondent à la définition de l’ouvrage public, l’exproprié ne pourra pas récupérer ses biens. Car : l’ouvrage public bénéficie d’un privilège, il est intangible. L’ouvrage public est un immeuble artificiel affecté à l’IG. Comme il est affecté à l’IG, même si il est mal construit (sur la propriété d’autrui), il ne faut pas le détruire. Et si un ouvrage public a été construit sur la propriété de l’exproprié, l’annulation de l’ordonnance n’aura pas pour effet la restitution du bien parce que sur l’immeuble existe un ouvrage public qui ne peut pas être démoli et

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l’administration reste dans les lieux. Il y a aura là une emprise irrégulière, voie de fait et l’exproprié aura doit à des indemnités supplémentaires.

II. La fixation de l’indemnité d’expropriation

En vertu de l’article 17 de la DDHC, l’expropriation doit être précédée d’une juste et préalable indemnité. Tant que cette indemnité n’a pas été versée, l’exproprié conserve la possession de son bien. Cette indemnité doit être juste et préalable.

A. Une juste indemnité

Cette indemnité est fixée par le juge de l’expropriation à moins qu’un accord amiable ait été conclu entre l’exproprié et l’expropriant.En pratique, dans 99% des cas, un accord amiable est signé par les parties. Raison simple : l’exproprié a perdu tout espoir. Il est soucieux de clore ce dossier pénible et d’échapper à la justice en laquelle il ne croit plus. Il est prêt à signer un accord amiable. L’administration, elle, désire aller vite. Or, la procédure de fixation des indemnités par le JJ est relativement longue par rapport à un accord amiable.

Cette procédure de fixation des indemnités : L.13-1 à L.13-28. 28 articles rien que pour la fixation des indemnités. La preuve que c’est là que tout se joue tant pour l’administration que pour l’exproprié. La saisine du JJ devrait normalement intervenir après l’ordonnance d’expropriation. En réalité, l’expropriant peut saisir le JJ au moment de l’ouverture de l’enquête publique préalable à la DUP et grâce à ce procédé, l’expropriant obtient une expertise judiciaire quant au prix qu’il aura à verser. En saisissant le juge de l’expropriation ou moment de l’EP, l’expropriant gagne du temps. Le Juge aura donc fixé les indemnités avant même que la DUP ne soit adoptée. Dès l’ordonnance prise, il versera les indemnités afin de pouvoir prendre possession de l’immeuble exproprié. Grâce à cette expertise judiciaire, l’expropriant sait exactement combien il devra verser et si il estime que le prix est trop élevé, il abandonnera son projet. Donc pour l’expropriant cette procédure simultanée présente un certain nombre d’avantages. Pour les expropriés, il n’en va pas de même. La célérité de la procédure se retourne contre l’intérêt des expropriés.

1. La procédure d’établissement

Tout d’abord, l’expropriant notifie au propriétaire ses propositions de prix. Si l’exproprié accepte ou si l’expropriant accepte la contre proposition, l’accord amiable est conclu. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, l’expropriant saisit le juge de l’expropriation pour qu’il fixe les indemnités. Ce juge pour fixer les indemnités doit visiter les lieux pour prendre conscience de la valeur des biens. Il a aussi la possibilité d’auditionner des experts et il a l’obligation de tenir compte des propositions de prix du commissaire du gouvernement. Ce commissaire là n’a rien à voir avec celui près le CE dorénavant appelé rapporteur de la République.

2. La fixation de l’indemnité

Cette indemnité est chiche, pas très élevée. En tout cas, l’administration accorde le strict minimum prévu par les textes. Les textes interdisent toute forme de libéralités envers l’exproprié. 1ère règle : le préjudice réparable ne correspond pas à l’ensemble des préjudices subis par l’exproprié. Le préjudice réparable est moindre. Cela en grande partie à cause du rôle du commissaire du gouvernement.

a. Le préjudice réparable

La loi limite les indemnités auxquelles a droit l’exproprié. Article 13-13 Code de l’expropriation : les indemnités perçus par les expropriés couvrent l’intégralité de son préjudice direct, matériel et certain à condition que ce préjudice ne soit pas moral. Ainsi, le préjudice tenant à l’attachement de l’exproprié pour son bien n’est pas indemnisé. L’administration ne fait pas plus attention à une maison Phénix détenu depuis 15 jours qu’à un château de famille détenu depuis moult générations. Dit autrement, c’est la valeur vénale qui est prise en compte et non l’attachement des propriétaires. C’est une législation égalitariste et efficace. Cet attachement ne peut pas être évalué. Le Conseil Constitutionnel vient d’être saisi d’une question préjudicielle et il n’est pas impossible qu’il impose une indemnisation du préjudice moral.

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Le préjudice matériel doit être direct et certain. Cela signifie que l’exproprié ne perçoit des indemnités que pour les préjudices directement causés par l’expropriation. Par ex : les frais de déménagement sont causés directement par l’expropriation. En revanche, les indemnités de licenciement qu’un entrepreneur doit verser à ses salariés qui travaillent dans son usine expropriée ne sont pas directement la cause de l’expropriation.

Le dommage doit être certain : comme en matière de responsabilité, l’administration ne peut verser des indemnités que pour des dommages avérés. Ceux-ci pourront être futurs mais ils doivent être certains. En la matière le JJ s’est montré souvent sévère. Sous prétexte qu’un exproprié n’exploitait pas les gisements aurifères se trouvant dans ses terres, le JJ ne lui versait aucune indemnité pour la perte de ces mines d’or. Cette solution se comprend : il est plus délicat d’admettre la non indemnisation d’un propriétaire à qui on reproche de ne pas avoir exploité ces immeubles alors qu’il aurait bien voulu le faire mais que le droit lui interdisait.

Limites du préjudice réparable : les expropriés ne peuvent obtenir l’indemnisation des améliorations apportées à leur immeuble dans un but purement spéculatif. Certains expropriés avaient eu pour idée de mettre en valeur leur immeuble juste avant l’expropriation pour augmenter l’indemnité d’expropriation. Dorénavant, les choses sont impossibles parce que le juge de l’expropriation doit statuer à la date de transfert de propriété et non pas à la date du prononcé des indemnités. De plus, même si il se prononce au regard de l’état de l’immeuble à la date de l’ordonnance, le JJ ne tient pas compte des améliorations réalisées dans un but purement spéculatif. Ici, se posera la question de l’appréciation de ces améliorations. Règle simple : si ces améliorations visent à rendre confortable la possession de l’immeuble et se justifient par un caractère impérieux de réflexion du bâtiment, l’amélioration sera pris en compte par le juge. Mais si celles-ci ne se justifient pas autrement que par des indemnités supplémentaires : elles ne seront pas prises en compte.

Le juge prend en compte de plus l’usage effectif du bien. Il se situe un an avant l’ouverture de l’EP. L’idée est là encore d’économiser les deniers publics. Pour éviter des comportements malhonnêtes, le juge tient compte de l’usage fait du bien un an avant l’ouverture de l’enquête publique, avant que les expropriés ne se doutent qu’ils vont perdre leur bien. L’inconvénient est que cette règle se retourne contre les expropriés : dès lors que l’EP est ouverte, l’exproprié n’a aucun intérêt à mette en valeur son bien.

Par ailleurs, les servitudes qui pèsent sur le bien exproprié ne sont pas indemnisées. Plus encore si un bien fait l’objet de servitudes, celles-ci limitent l’utilisation du bien. Cette limitation réduit la valeur du bien et donc le montant de l’indemnité. Là où cela devient injuste : l’administration peut annuler ces servitudes.

b. Le rôle du commissaire du gouvernement

Le commissaire du gouvernement qui intervient devant le juge de l’expropriation ne doit pas être confondu avec le commissaire du gouvernement près des juridictions administratives aujourd’hui dénommé rapporteur public. Ce commissaire du gouvernement est un fonctionnaire. Aujourd’hui, le rôle est assuré par le délégué payeur général du département. Ce rôle consiste à protéger les deniers publics. Ce commissaire est présenté comme un conseiller technique du juge par le Code. Il apporte au juge sa connaissance de l’état du marché immobilier. Mais ce n’est pas simplement un expert, il joue le rôle d’une partie au procès car il défend des intérêts spécifiques, et il a la possibilité de faire appel du jugement prononcé par le juge en 1er ressort. Les intérêts spécifiques qu’il défend sont la défense des deniers publics, défense qui se retourne contre l’exproprié puisque le DPG a la fâcheuse tendance de proposer systématiquement des évaluations du bien à exproprier inférieures aux demandes des expropriés eux-mêmes. Mais le commissaire du gouvernement propose fréquemment des indemnisations inférieures à celles admises par l’expropriant lui-même. L’expropriant a parfois intérêt à se montrer large dans l’appréciation de l’indemnité. En versant des indemnités importantes, il peut espérer échapper à un procès en désintéressant l’exproprié. Le commissaire du gouvernement n’est pas dans cette logique d’accélération de l’opération, il ne vise qu’à préserver les deniers publics alors même que l’expropriant ne serait pas l’Etat. Le commissaire du gouvernement peut faire appel. La CEDH a considéré le commissaire du gouvernement comme une partie au procès. Cela a été clairement établi dans l’arrêt Yvon c/France de 2003.

Si le commissaire du gouvernement est une partie au procès, alors il doit respecter l’article 6-1 de la CEDH. Et plus précisément le principe de l’égalité des armes. En pratique, cela lui impose de respecter le principe du contradictoire et de ne pas refuser de mettre à la disposition des parties les informations qu’il est le seul à détenir. En tant que directeur des services fiscaux le DPG a accès aux bases de données administratives relatives à toutes les cessions immobilières dans le département. Il sait exactement quel est l’état du marché. Avant la condamnation de la France, le commissaire du gouvernement ne donnait pas cette information aux parties. Le principe du contradictoire était bafoué et l’égalité dans l’accès à l’information bafouée.

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Depuis 2005, les choses ont évolué puisque dorénavant, le commissaire du gouvernement a l’obligation de mettre les informations dont il dispose à la connaissance de l’ensemble des parties. Il doit se soumettre au principe du contradictoire et le juge peut facilement recourir à des experts en matière immobilière pour contrebalancer l’expertise du commissaire du gouvernement.

En 2007, une autre réforme a eu lieu qui est peut être plus importante encore. Jusqu’en 2007, l’estimation proposée par le commissaire du gouvernement constituait un plafond d’indemnisation même pour le juge. Dit autrement, le juge ne devait pas accorder une indemnité plus élevée que celle proposée par le commissaire du gouvernement, alors même que l’expropriant aurait accepté de verser plus. Le Code prévoyait une dérogation : le juge pouvait déroger à l’obligation de respecter l’expertise du commissaire du gouvernement à condition de motiver sa décision de s’affranchir des dires du commissaire. Mais il fallait que sa motivation soit convaincante au risque d’une cassation. En pratique, le JJ était donc systématiquement lié par l’évaluation du commissaire. En 2007, l’obligation de motivation de la décision du juge de ne pas tenir compte de l’évaluation du commissaire du gouvernement a disparu. Cette obligation a été abrogée. Ainsi, aujourd’hui, reste dans le Code la disposition selon laquelle le juge ne doit pas accorder d’indemnités supérieures aux dires du commissaire du gouvernement. Mais comme la CEDH exige que les juges exercent une pleine juridiction lorsqu’ils statuent sur une matière civile, le juge de l’expropriation n’est plus lié par la disposition du Code qui l’obligeait de se soumettre au commissaire du gouvernement.= Donc aujourd’hui, le juge a une plus grande liberté dans l’appréciation des indemnités. Il peut accorder des indemnités plus élevées que celles proposées par le commissaire du gouvernement sans avoir à motiver.

B. Une indemnité préalable

En vertu de l’article 17 de la DDHC, l’indemnité doit être préalable à l’expropriation. Tant que l’indemnité n’a pas été versée, même si le transfert de propriété a été prononcé par le juge, l’exproprié conserve la possession de son bien. Cette exigence constitue donc une garantie importante pour les expropriés.

Toutefois, cette garantie fait l’objet de fortes atténuations. En effet, un versement partiel ou indirect de l’indemnité suffit à autoriser l’expropriant à prendre possession du bien exproprié.

1. Le versement de l’indemnité

Le principe est que l’expropriant doit verser les indemnités fixées par le juge dans les 3 mois du jugement. Passé ce délai, l’exproprié a droit à des intérêts de retard. Si au bout d’un an à compter du jugement, les indemnités n’ont toujours pas été versées à l‘exproprié, celui-ci a le droit de saisir à nouveau le juge de l’expropriation afin de demander une nouvelle évaluation de ses biens. En général, l’exproprié procède ainsi quand il estime que ses biens ont acquis une plus value durant l’année qui s’est écoulée. Et le juge lui accordera donc des indemnités supplémentaires en tenant compte de cette plus value.

Les juges du fond ont parfois dénaturé cette garantie accordée à l’exproprié. C’est ainsi que la CA de Paris en octobre 2000 a jugé que l’expropriant peut déposer une demande reconventionnelle afin que le juge de l’expropriant diminue les indemnités qui avaient été établis lors du 1er jugement. Cela offre à l’expropriant de tirer profit d’une illégalité qui a lui-même commis : inadmissible !

L’indemnité est versée par l’expropriant lui-même. Si il ne le fait pas, le préfet peut mandater d’office le paiement de ces indemnités. Evidemment, il faut que l’expropriant ne soit pas l’Etat car le préfet ne peut pas contraindre l’Etat à payer les indemnités. Le préfet ne peut user de son pouvoir de mandatement d’office qu’à l’égard des CT et des EPIC. Cette possibilité offerte au préfet date d’un arrêt récent du 5 juillet 2010, Commune d’Angerville. Arrêt intéressant car il a un effet pratique évident et de plus il repose sur un raisonnement hétérodoxe. En effet, pour reconnaître ce pouvoir au préfet, le juge s’est fondé sur la loi de 1980 relative aux liquidations d’astreinte. Or, d’après la loi, le préfet ne détient ce pouvoir de mandatement d’office que si la CT a été « condamnée à des DI ». Or, lorsque l’administration procède à une expropriation, elle verse une indemnité et non des DI parce que l’expropriation n’est pas une faute. Et on constate que le juge a assimilé les effets de l’expropriation aux effets d’une faute. On a là peut être une révélation de l’état d’esprit nouveau du JA qui devient de plus en plus attentif au droit de propriété.

Normalement versées directement à l’exproprié. Mais une dérogation supplémentaire existe : l’expropriant peut verser l’indemnité à la caisse des dépôts et des consignations. L’expropriant consigne l’indemnité si l’exproprié refuse de la recevoir ou si l’exproprié est inconnu. Du coup, en consignant l’indemnité, l’expropriant a assumé son obligation de versement et peut donc prendre possession du bien.

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Enfin, si le bien fait l’objet d’une hypothèque, celle-ci serait elle contestée, alors l’expropriant a le droit de verser le solde de l’indemnité après déduction faite de la valeur de l’hypothèque à l’exproprié. Au lieu de verser l’ensemble de l’indemnité, il ne lui en verse qu’une partie après avoir déduit le montant de l’hypothèque qui lui est consigné. Ce versement est partiel et suffit lui aussi à autoriser la prise de possession.

Si il y a des contentieux pour ces versements, le JJ est compétent pour les trancher. Ce contentieux relève du JJ car il ne s’agit que du prolongement de l’établissement de ces indemnités.

Précision : il y a une indemnité qui ne peut pas être consignée et qui doit nécessairement être adressée à l’exproprié. C’est l’indemnité de déménagement. Ce n’est pas une contrainte pour l’expropriant. En la versant à l’exproprié, il peut espérer que celui-ci libérera plus rapidement les lieux.

2. L’entrée en possession du bien

Consiste pour l’expropriant à prendre possession du bien dont il est déjà propriétaire. Il investit les lieux. Il ne peut investir les lieux qu’après avoir versé les indemnités car tant qu’il ne l’a pas fait, l’exproprié a un droit de rétention du bien et on retrouve là les mécanismes civilistes propres au contrat synallagmatique. Une fois l’indemnité versée, les textes obligent l’exproprié à libérer les lieux dans le mois qui suit le versement de l’indemnité. Si l’exproprié se maintient au-delà de ce mois, il s’expose à une expulsion, l’expropriant pouvant solliciter les forces de police sans avoir à solliciter de nouveau le JJ. L’ordonnance d’expropriation vaut ordonnance d’expulsion dès lors que les indemnités sont versées.

Section 2 : Les procédures dérogatoires/ spéciales

Les procédures spéciales ont toutes en commun d’accélérer le processus d’expropriation. Accélération plus ou moins grande en fonction des projets poursuivis par l’expropriant. Ces différentes procédures spéciales peuvent se regrouper en 3 catégories :

- les procédures d’urgence - les procédures sanctions des propriétaires négligents - les procédures de sauvetage des propriétaires défaillants

I. Les procédures d’urgence

Il y a en réalité 2 types de procédures d’urgence : - la procédure de simple urgence - la procédure d’extrême urgence

A. La procédure de simple urgence

Elle ressemble à la procédure ordinaire pour l’essentiel. Elle déroge à la procédure ordinaire en cela que l’expropriant peut prendre possession du bien en versant seulement des indemnités provisionnelles c'est-à-dire des indemnités qui ne sont pas définitivement arrêtées par le JJ. De plus, le temps laissé à l’exproprié pour répondre aux propositions d’indemnité que lui adresse l’expropriant est écourté. Au lieu de disposer d’un mois, il ne dispose que de 15 jours. Quand l’administration peut elle recourir à la procédure d’urgence ? Tout le temps et elle ne s’en prive pas.

L’urgence de la procédure doit être déclarée dans la DUP ou dans un acte de même nature postérieure à la DUP. Le juge vérifie quand même la pertinence de cette urgence. Officiellement, il exerce un contrôle normal. En pratique, il reconnaît très facilement l’urgence à exproprier.

Dans le mois qui suit la prise de possession, l’expropriant doit poursuivre la procédure normale de fixation des indemnités. L’exproprié sera indemnisé conformément au droit commun très peu de temps après. D’où la certaine liberté que le juge accorde à l’Etat lorsqu’il prononce l’urgence à exproprier.

B. La procédure d’extrême d’urgence

Elle déroge bien plus à la procédure ordinaire.

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Cette procédure a longtemps été réservée aux procédures nécessaires à la défense nationale. Dorénavant, cette procédure peut être utilisée afin d’exproprier les immeubles exposés à des risques naturels ou technologiques très graves. Cette procédure déroge fortement à la procédure ordinaire car l’administration se substitue au JJ. En effet, la prise de possession du bien est autorisée par une décision du 1er Ministre prise par décret en CE. Et donc c’est le pouvoir exécutif qui autorise la prise de possession du bien alors même que le JJ ne s’est pas prononcé sur le transfert de propriété et alors même que les indemnités n’ont pas été versées. Alors l’Etat doit verser des indemnités provisionnelles mais elles ne sont pas complètes, elles sont partielles et versées après la prise de possession. Le décret en Conseil d’Etat permet la prise de possession mais n’opère pas de transfert de propriété. Une fois que l’armée aura pris possession de l’immeuble, dans le délai d’un mois après, l’Etat doit engager la procédure ordinaire mais procédure ordinaire qui n’a que pour effet d’enregistrer le fait accompli de l’acte administratif.

Pour compenser cette perte de garantie, le législateur accorde une indemnité supplémentaire aux expropriés. Le seul moyen de lutter contre le procédé d’extrême urgence est de contester la décision de mise en œuvre de l’expropriation d’extrême urgence. Il faut intenter un référé liberté ou suspension mais cela ne sert à rien : aucun exemple jurisprudentiel favorable aux expropriés n’a été rendu.

C. La procédure d’urgence pour les grands travaux

Cette procédure emprunte à la procédure d’extrême urgence et à celle de simple urgence, tout simplement parce que la prise de possession est autorisée par décret en CE mais la phase judiciaire n’est pas accélérée par le décret. Le JJ conserve la possibilité de statuer selon les délais ordinaires de l’expropriation.

II. Les expropriations sanctions

La propriété oblige. Etre propriétaire confère des droits mais implique aussi des obligations. L’obligation principale est de ne pas nuire aux tiers ni à l’IG. Si les propriétaires commettent de telles nuisances, ils s’exposent à des expropriations. Le meilleur exemple en est donné par la procédure pour supprimer un habitat insalubre.

Si un bâtiment est déclaré en état d’insalubrité, il peut faire l’objet d’une expropriation qui n’a pas à être précédée d’une enquête publique. Cette EP est inutile parce que l’insalubrité de l’immeuble est constatée par une commission d’experts puis fait l’objet d’une délibération des autorités locales. Ces interventions remplacent aisément une EP dont d’ailleurs peu de gens auraient affaire.

Les immeubles concernés sont ceux dans un état d’insalubrité. Mais un immeuble sain peut aussi faire l’objet d’une expropriation au nom de la lutte contre l’habitat insalubre. Il suffit que l’immeuble sain soit adossé à un immeuble insalubre et que l’on ne puisse pas en détruire un sans l’autre. Le propriétaire qui n’y est pour rien se voit exproprié sans avoir nui à l’IG et n’a pas le droit à une indemnité supplémentaire. Ce propriétaire peut se retourner contre le propriétaire de l’immeuble insalubre par le biais de l’article 1382 du Code civil.

Si l’immeuble insalubre est occupé par des personnes, le préfet avant d’ordonner l’expulsion doit leur proposer un logement de substitution.

III. L’expropriation sauvetage

L’expropriation sauvetage vise à secourir les propriétaires en difficulté. 2 types de difficultés : - des difficultés d’origine environnementale - d’origine financière

A. La protection contre l’environnement

La procédure d’expropriation peut être utilisée afin d’exproprier des immeubles devenus dangereux. Le but de cette expropriation sauvetage est double :

- D’une part, il s’agit de sauver la vie des utilisateurs de l’immeuble exposés à des risques naturels ou technologiques graves

- Il s’agit aussi de préserver le dynamisme de l’économie libérale. Si un individu possède un immeuble dangereux, il ne peut plus le vendre, cela devient un bien de main morte. L’individu possède un bien qui

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économiquement ne vaut plus rien. Du coup, comme l’Etat a pour mission de préserver le bon fonctionnement de l’économie, il prend à sa charge la possession de ce bien en versant des indemnités au propriétaire malheureux.

Cette philosophie transparaît dans l’indemnité. Lorsque le juge se prononce dans l’indemnité, il ne tient pas compte de la moins value causée par les dangers que pèsent sur le bien.

B. Les propriétaires en état de carence

En 2009, le législateur a autorisé les communes, les EPCI… à exproprier les propriétaires se trouvant dans de si grandes difficultés financières qu’ils ne peuvent pas entretenir leurs biens. Cette loi de 2009 n’est qu’un correctif à une politique peu intelligente du gouvernement en faveur de l’accession à la propriété. L’une des idées du législateur depuis 10 ans est de permettre aux classes moyennes d’accéder à la propriété. Et donc on a vendu aux habitants des HLM les appartements qu’ils occupaient. Les individus se sont endettés et une fois les remboursements effectués, ils n’ont plus les moyens pour payer les charges de copropriété. Cette politique d’accession à la propriété est une fausse bonne idée. Pas besoin d’EP puisque l’exproprié ne demande que son expropriation.

Chapitre 2   : Les droits complémentaires de l’exproprié

Les droits complémentaires de l’exproprié sont les suivants : - il a le droit à son relogement - il a le droit à la réquisition totale de son bien c'est-à-dire le droit de contraindre l’administration à prendre

définitivement position quant à une expropriation engagée et non aboutie - il a le droit à la rétrocession de son bien si celui-ci n’a pas été utilisé conformément à la DUP

Section 1 : Le droit au relogement

Le droit au relogement connaît des régimes différents selon le type de logement. S’il s’agit d’un logement d’habitation ce droit est pleinement reconnu. S’il s’agit de logements industriels, ce droit n’est pas directement consacré.

1§ Le droit au relogement lors d’expropriations d’immeubles et d’habitations

Une expropriation concourt à l’IG. Or, la multiplication des sans abris nuit à l’IG. Du coup, le législateur impose à l’expropriant de proposer des relogements aux expropriés. C’est une règle générale. Toutefois, c’est une règle qui ne bénéficie pas également à tous. En effet, le relogement proposé s’effectue dans un immeuble HLM ou dans un immeuble de qualité équivalente. De toutes les façons, les personnes aisées n’y ont pas droit. Ne bénéficient de ce doit que les personnes dont les ressources sont telles qu’elles les rendent légitimes à l’obtention d’un logement HLM. = Il n’en reste pas moins qu’au regard du principe d’égalité les choses ne sont pas aussi simples. Le riche et le pauvre souffrent autant de la réalisation de l’IG. On a imaginé autre chose : les droits de préférence. Les droits de préférence portent sur l’attribution de prêts financiers à taux préférentiels. Et à la possibilité d’acquérir des terrains mis en vente par les organismes d’aménagement urbain.

2§ Le droit au relogement en cas d’expropriation d’immeubles professionnels

Il n’existe pas de droit au relogement pour les commerçants ou les industriels expropriés. Le Code de l’expropriation ne prévoit pas un tel droit mais il organise un système qui s’en rapproche énormément. En effet, le Code donne la possibilité à l’expropriant de proposer à l’exproprié soit une indemnité d’expropriation soit un local présentant les mêmes qualités que celui qui a été exproprié. Du coup, le commerçant ou l’industriel est relogé si cette proposition lui est faite. Cette procédure pourrait être satisfaisante mais présente des défauts. En effet, si l’expropriant fait la proposition d’un local similaire à celui exproprié, le commerçant n’a pas le choix, il doit accepter l’offre. Et au nom de la propriété privée, c’est un scandale parce que la propriété privée implique la libre disponibilité des biens. Il n’est pas certain que cela soit conforme à l’article 17 DDHC. D’autant plus, que le commerçant n’a pas le droit lui de solliciter un autre logement.

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Le Code parait peut favorable aux commerçants et industriels. Toutefois, les intérêts de ces personnes sont mieux protégés par le Code de l’urbanisme. Quand l’expropriation s’inscrit dans un processus d’aménagement urbain, alors les commerçants ont droit à un relogement.

Section 2 : La réquisition d’acquisition

C’est une procédure qui permet à l’exproprié de mettre l’expropriant au pied du mur. Grâce à ce mécanisme, l’exproprié oblige l’expropriant à se prononcer clairement sur sa volonté de poursuive la procédure d’expropriation qu’il a lancée. Fréquemment, l’expropriant tarde à achever la procédure d’expropriation. Or, tant que cette procédure n’est pas terminée, l’exproprié vit dans l’incertitude. Son bien devient peu utile économique. L’exproprié peut alors sommer l’expropriant de prendre définitivement position quant à son projet. C’est un coup de poker parce que l’expropriant peut soit décider d’acquérir le bien de l’exproprié soit renoncer explicitement.

Section 3 : La réquisition d’emprise totale

C’est un mécanisme qui vise à débarrasser l’exproprié d’un immeuble devenu inutile du fait de l’expropriation des immeubles attenant. L’exproprié peut sommer l’expropriant d’acheter l’ensemble de son bien si ce qui reste ne présente plus d’intérêt. Ce droit de réquisition est enfermé dans des contraintes sévères. Il faut que le solde de l’immeuble restant devienne quasiment inutilisable. Les mieux lotis sont les paysans : existe une procédure pour eux.

Section 4 : La rétrocession

La rétrocession consiste en la restitution du bien exproprié à son ancien propriétaire. Il s’agit de la sanction de l’affectation du bien exproprié. L’expropriation se fonde sur une utilité publique. Si le bien exproprié n’est pas affecté conformément à l’utilité publique énoncée dans la DUP, alors l’exproprié a droit à la restitution de son bien.

Les conditions sont les suivantes : Que le bien n’ait pas été affecté conformément à la DUP, dans les 5 ans qui suivent la DUP (sauf

prorogation). Ou il faut que le bien ait cessé d’être affecté conformément à la DUP.

Cette condition de l’affection a été compliquée par le CE qui entend limiter le droit de rétrocession. Tout d’abord, le CE a limité le droit de rétrocession en considérant que ce droit disparaît si le bien exproprié a été principalement affecté au but contenu dans la DUP. Si le bien n’a pas été entièrement affecté conformément à la DUP, ce n’est pas grave. Le droit de rétrocession disparaît si les travaux prévus dans la DUP ont été sérieusement commencés dans le délai de 5 ans qui suit l’expropriation. Et on voit là que le CE estime qu’il n’est pas nécessaire que l’affectation soit achevée, donnant la possibilité pour l’administration d’aller lentement. Enfin, quand un bien a été exproprié en vue de la réalisation d’un équipement public, le droit de rétrocession disparaît si le bien a été affecté à un autre équipement public que celui prévu dans la DUP. = Cela est dangereux pour la propriété.

- l’administration ne doit pas être propriétaire de bien dont il n’a pas besoin - l’administration peut agir lentement alors même que la procédure d’urgence aurait été déclarée - l’administration exproprie pour réaliser un type d’équipement public : on aboutit à un détournement de

procédure. La CEDH pourrait estimer que ces limitations au droit de rétrocession sont illégitimes et devraient être compensées par un droit d’indemnité supplémentaire.

Sinon, ce droit s’exerce en exigeant de l’administration qu’elle rétrocède le bien mais cette rétrocession se fera au prix du marché et donc peut être que l’exproprié devra payer plus cher. L’expropriant peut échapper à ce droit de rétrocession alors même que les limitations ne s’appliquaient pas en demandant à l’Etat d’adopter une DUP nouvelle et en adoptant une nouvelle DUP, l’Etat paralyse le droit de rétrocession.

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Enfin, si sur le bien à rétrocéder l’administration a fait édifier un ouvrage public, comme ils ne peuvent pas être détruits, il n’a pas le droit de récupérer son bien ; il a juste le droit à des indemnités complémentaires reconnues par le juge.

PARTIE 3 : LE DROIT DES TRAVAUX PUBLICS Il ne suffit pas à l’administration de détenir un domaine public ou encore d’exproprier les biens des personnes privées pour remplir ses missions. Fréquemment, les 2 procédés déjà utilisés ne permettent pas à l’administration d’acquérir les ouvrages indispensables à ses missions d’IG. Pour réaliser ses missions, l’administration doit faire construire des ouvrages affectés à l’IG. Ces ouvrages, constituent donc des travaux publics. Ils se caractérisent par leur affectation, l’utilité publique et en raison de leur affectation, ces travaux se plie à un régime dérogatoire, le DA qui a pour objet de faciliter la réalisation de ces travaux d’une part et d’autre part de protéger ces travaux contre les administrés mais aussi de protéger les administrés contre les effets néfastes de ces travaux.

Le droit des travaux publics est un droit administratif, emprunt de prérogatives de puissance publique mais celles-ci sont moins marquées que dans le droit du domaine public ou de l’expropriation. Le droit des travaux publics est mois le droit de l’Etat que les droits des administrations car l’Etat ne détient pas le monopole des travaux publics alors qu’il détient celui de l’expropriation. Toutes les collectivités publiques peuvent réaliser des travaux publics. Ces travaux publics sont moins attentatoires à la propriété privée que l’expropriation ou le droit de la domanialité publique, ainsi toutes les personnes publiques peuvent en réaliser sans crainte excessive pour les particuliers (et pas seulement l’Etat). Le JA connaît du contentieux des travaux publics. La solution date d’une loi du 28 Pluviôse An 8, aujourd’hui abrogée. Cette loi a été abrogée par mégarde lors de l’adoption du CG3P. Et aujourd’hui la compétence du JA ne repose plus que sur la tradition et quelques principes fondamentaux du DA. Le JA a connu du contentieux des travaux publics depuis le début du 19ème siècle et parmi les juridictions, les 1ères à en connaître étaient les conseils de préfecture et le CE n’en connaissait que par la voie de l’appel. Cette dévolution au conseil de préfecture s’explique par plusieurs raisons : les travaux publics se réalisaient sur l’ensemble du territoire et comme ceux-ci font peser une menace relativement faible sur la propriété on pouvait admettre que de simples conseils de préfecture en connaissent. Cela allait soulager le CE sans nuire à la propriété privée. La compétence du JA a connu une extension tout au long du 19ème siècle grâce à l’effet attractif de la notion de « travail public ». Par effet attractif de cette notion, on entend le mécanisme selon lequel le JA se reconnaît compétent dès lors que le contentieux intéresse de près ou de loin la réalisation d’un travail public. Evidemment cet effet attractif du travail public joue en défaveur de la compétence du JJ. Ce n’est pas grave car au 19ème siècle, le JA s’est montré immédiatement plus protecteur des propriétés privées que le JJ. Le JA a imaginé un régime d’indemnisation des victimes de travaux publics qui à bien des égards était plus favorable que les régimes découlant de l’article 1384 du Code civil. Le contentieux des travaux publics a même longtemps constitué un laboratoire pour le CE. Ces innovations en matière de responsabilité de la puissance publique ont ensuite été étendues au contentieux des SP. Aujourd’hui, ce contentieux ne présente plus de grande originalité.

L’administration réalise des travaux publics mais elle fait aussi construire des travaux privés. L’administration détient un domaine privé et public. Ces travaux privés sont des travaux qu’elle engage sans que ceux-ci servent directement l’IG. En pratique, ces travaux privés sont très rares mais ils existent malgré tout et c’est pourquoi il est impératif de commencer par la définition du travail public avant d’analyser son régime.

Titre 1 : La définition du travail public

Le travail public revêt 2 dimensions : une active et une passive. Disons plutôt que le travail public peut être appréhendé comme une activité et comme le produit de cette activité. En tant qu’activité, on parle de travail public. En tant que produit de cette activité on préfère l’expression d’ouvrage public. Les 2 notions ne se confondent pas et leur régime diverge.

Chapitre 1   : La notion dynamique de travail public

La notion de travail public comme toutes les notions administratives, n’est définie de façon générale par aucun texte. Parfois, le législateur est intervenu pour affirmer que telle ou telle activité constitue un travail public.

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Il est donc revenu à la jurisprudence ou plutôt à la doctrine de systématiser la jurisprudence. Et aujourd’hui, on définit le travail public ainsi : il s’agit d’un travail exécuté sur un immeuble dans l’IG pour le compte et sous le contrôle d’une personne publique ou par une personne publique dans le cadre d’une mission de service public. Le travail public constitue donc un travail immobilier. Il s’agit là d’une constante. En revanche, la définition du travail public comprend une variable : soit il s’agit d’un travail réalisé pour le compte et sous le contrôle d’une personne publique soit il s’agit d’un travail réalisation par une personne publique dans le cadre d’une mission de SP. Les 2 éléments de la variable ne se confondent pas.

Section 1 : La constante : un travail immobilier

2 conditions cumulatives pour qu’il y ait travail public :- un travail - sur un immeuble

1§ Un travail

Le travail public est le propre de l’homme. Ce qui signifie que les ouvrages réalisés par la nature ne constitue pas des travaux publics. Quand une entreprise monte une dune de sable sur une plage, elle réalise un travail public. En revanche, l’action du vent ou de la marée qui aboutirait à la même dune ne constitue pas un travail public. Il faut impérativement que l’homme intervienne et ce de façon matérielle. Le travail public est une action matérielle et non pas une activité intellectuelle. Cela signifie que la réalisation de plans d’architecture ne forme pas en elle-même un travail public. C’est la concrétisation des plans qui constituera un travail public. Alors évidemment il y a un raffinement de la jurisprudence ; si il y a une symbiose totale entre la réalisation des plans et leur réalisation, l’ensemble fait un tout et si il y a un contentieux a propos des plans, le JA en connaîtra.

Il faut de plus, que cette activité soit créatrice. Le travail public doit faire naître un immeuble nouveau. L’édification sur un terrain nu d’un bâtiment constitue un travail public. Il en va de même de la restauration d’un bien voire de sa réparation à condition toutefois que tous les aménagements réalisés s’incorporent à l’ouvrage au point de le modifier. Cette modification est plus ou moins importante mais elle doit exister. Ainsi, des travaux de ravalement constituent un travail public. En revanche, le dépoussiérage d’un bâtiment ne constitue pas un travail public car le fait d’enlever la poussière n’affecte pas l’intégrité de l’ouvrage. Lorsqu’un hôpital fait réparer des salles d’opération par une société privée, le marché passé n’est pas un marché de travaux publics mais de service. Même si les 2 sont régis par le Code des marchés publics, les règles divergent.

2§ Un travail sur un immeuble

Il n’y a pas de travail public sur un meuble. Les travaux publics ne portent que sur des immeubles. Peu importe la taille de l’immeuble ou du meuble. La construction du porte avion de Charles de Gaulle ne répond pas à la définition du travail public. Evidemment la notion d’immeuble se comprend de façon large. Le travail public porte sur des immeubles par nature, il peut aussi porter sur des immeubles par destination ou incorporation. Ainsi, la fonte d’une cloche ne constitue pas en soi un travail public car la cloche est un meuble. Mais si la même entreprise fond la cloche et la pose en haut du clocher, comme la cloche est généralement réalisée spécialement pour le clocher et comme une fois la cloche posée n’a pas vocation à descendre du clocher, la fonte de la cloche devient un travail public (Commune de Rigny-la Salle, 1960). De la même façon, la confection d’un orgue, tout particulièrement adapté aux dimensions d’un studio de la maison de la radio constitue aussi un travail public parce qu’une fois installé cet orgue allait devenir un immeuble par incorporation (Société Muller, 1978). L’intérêt de cette extension de la notion d’immeuble est de simplifier la répartition du contentieux. Grâce à cette extension de cette notion, le JA est appelé à connaître de l’ensemble du contentieux de la réalisation de ces objets ensuite incorporés aux immeubles.

Section 2 : La variable : l’affectation des travaux

Cette double définition du travail public date de la combinaison de jurisprudence de 1921 et de 1955. C’est seulement depuis les années 55 qu’il existe 2 définitions du travail public. La 1ère définition concernait le travail accompli pour le compte d’une personne publique dans un but d’IG. C’est seulement dans les années 55-56 que la 2nd définition est venue s’ajouter.

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1§ Un travail accompli pour le compte d’une personne publique dans un but d’IG

L’arrêt de principe est l’arrêt Commune de Monségur du 10 juin 1921. Selon cet arrêt, il n’y a de travail public que si le travail immobilier est accompli pour le compte d’une personne publique dans un but d’IG . Les faits de l’affaire : après une cérémonie religieuse, un enfant et 2 camarades s’étaient suspendus au bénitier de la commune. Instable, le bénitier tomber sur les pieds de l’enfant qui en perd une jambe. Les parents saisissent le conseil de préfecture pour obtenir une indemnisation du préjudice subi par leur enfant. L’affaire est portée en appel devant le CE et pour que le CE statue il était indispensable qu’au préalable, il se reconnaisse compétent. Il devait donc déterminer si il y avait bien là un travail public. Le travail public en l’espèce consistait en l’absence de travaux d’entretien qui auraient pu empêcher le bénitier de blesser l’enfant. Le problème juridique était aggravé par le fait que le législateur venant de séparer l’Eglise et l’Etat en 1905 et il n’y avait plus de SP cultuel. Le CE admet pourtant sa compétence, ce qui, implicitement le conduit à reconnaître que le travail accompli pour une personne publique dans un but d’IG et non pas de SP constitue un travail public. Le bénitier concourt à la satisfaction de l’IG. Ce qui est intéressant c’est que le CE adopte une conception extensive du travail publique en refusant de le réduire aux travaux réalisés pour les SP. Or à cette époque, le SP était très fort.

Ainsi aujourd’hui sur la base de cette jurisprudence, on constate que le travail public doit être accompli dans un but d’IG et pour le compte d’une personne publique.

I. Un travail réalisé dans un but d’IG

Ce but d’IG est un but altruiste. Il s’agit donc de travaux que l’administration fait réaliser pour les besoins de la collectivité. Les travaux pour la satisfaction d’un SP correspondent à cette définition. Mais conception plus large du CE. Ce qui est important : ces travaux ne doivent pas être réalisés dans un but privé ou purement financier de l’administration. Ainsi, l’administration peut accomplir des travaux publics sur son domaine privé mais à condition que ces travaux sur son domaine privé ne visent pas seulement à l’enrichissement de l’administration. La réalisation de bâtiments de bureaux par l’administration répond à la définition du travail public. Depuis 2004 et 2006, les bâtiments à usage de bureaux appartenant aux personnes publiques relèvent de leur domaine privé. Ces constructions bien que réalisées sur le domaine privé forment des travaux publics. Des particuliers peuvent aussi réaliser des travaux publics si l’ouvrage qui résulte de leur entreprise sert l’IG et tombe dans le patrimoine d’une personne publique. A cet égard : Jurisprudence Mignot 1989. Dans cette affaire, des particuliers avaient réalisé une canalisation en bordure de route pour l’évacuation de leurs eaux usées. Mais cette canalisation devait aussi permettre l’évacuation des eaux publiques et se trouvait incorporée à la voie publique. Du coup, il s’agissait d’un travail public et les dommages résultant de cette entreprise pouvaient être réparés grâce à des actions en responsabilité portées devant le JA alors que les auteurs étaient des personnes privées.

II. Un travail pour le compte d’une personne publique

Il faut que le travail serve les intérêts d’une personne publique. Cela signifie que le travail doit permettre à la personne publique d’assumer ses compétences ou de réaliser les SP qui lui incombent . Les hypothèses sont variées. Par exemple : le maire qui fait détruire d’office un bâtiment insalubre accomplit un travail public car cette destruction vise à la satisfaction du SP de la salubrité publique. Le maire est responsable du maintien de la salubrité publique. En réalisant ces travaux alors même qu’ils portent sur une propriété privée, le maire accomplit un travail public.

Quelques cas particuliers doivent être mentionnés afin de mieux comprendre les limites de la définition. - Les travaux sur le domaine public réalisés par un emphytéote : l’emphytéote titulaire d’un BEA sur le

domaine public ne commet pas des travaux publics quand il construit les ouvrages nécessaires à son activité. Certes, à la fin du BEA, l’administration récupère la propriété des ouvrages construits par l’emphytéote. Mais durant toute la durée du BEA, ces biens appartiennent à l’emphytéote et il les réalise dans son intérêt. Du coup, on ne peut pas affirmer que les ouvrages sont exécutés pour le compte de la personne publique.

- Le même raisonnement peut être étendu au bail à construction. - En revanche, ce raisonnement ne peut pas être appliqué aux biens de retour confectionnés par le

concessionnaire de SP. = Ouvrages réalisés par le concessionnaire de SP et indispensables à l’exécution du SP délégué. Ces biens de retour présentent la caractéristique d’être la propriété ad initio de l’administration concédante. Le concessionnaire réalise ses travaux, il assure la maîtrise d’ouvrage des travaux… et pourtant, ces travaux appartiennent à l’administration concédante. Comme ils rentrent immédiatement dans le

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patrimoine de l’administration concédante, ces ouvrages résultent de travaux publics. Arrêt de 2008, SA de Gestion des Eaux de Paris.

- Exemple construction des routes et autoroutes : depuis société des entreprises Peyrot de 1963, les travaux de construction des routes et des autoroutes forment des travaux publics alors même qu’ils seraient accomplis par un concessionnaire ou une personne privée de façon plus large. Selon le CE, la réalisation de routes ou d’autoroutes relève par nature des missions de l’Etat. Or, tout ce qui relève de la nature de l’Etat incombe au JA d’où l’extension de la notion de travail public en la matière.

2§ Le travail accompli par une personne publique pour la réalisation d’une mission de SP

Cette définition du travail public résulte de 2 jurisprudences : - la 1ère a été rendue par le TC en 1955, Affaire Effilieff ; dans cette affaire, une association syndicale de

reconstruction c'est-à-dire un EP était chargée de restaurer des bâtiments à usage de logement détruits lors de la guerre. La spécificité de la situation tenait au fait que les logements reconstruits appartenaient à des personnes privées et restaient dans le patrimoine des personnes privées après leur réhabilitation. On voit là que le travail n’est pas réalisé pour le compte de la personne publique puisque le patrimoine de l’administration n’est pas amélioré par cette activité. Le TC reconnaît malgré tout qu’il s’agit de travaux publics car ils sont réalisés par une personne publique en vue de l’exécution d’une mission de SP.

- Le CE a adopté cette jurisprudence l’année suivante, affaire Ministre de l’Agriculture c/époux Grimouard, 1956. Les époux Grimouard avaient été victimes d’un incendie à la suite de travaux de reboisement imposés par le législateur. Nous étions au lendemain de la 2GM et le législateur avait décidé de restaurer les forêts françaises abîmées lors de la guerre. L’entretien et la restauration des forêts constituaient une mission de SP. Dès lors constitue un dommage de travaux publics l’incendie subi par des particuliers et provoqué par l’entreprise chargée de planter de nouveaux arbres dans le cadre de la mission de SP de reboisement national. Là encore les terrains reboisés appartenaient à des particuliers (voisins des époux). Le CE dans le prolongement de la jurisprudence Effilieff, y a vu un travail public. L’intérêt est de préserver les administrés contre les dommages de travaux publics. Plus l’administration impose des travaux dans l’IG, plus il importe que les administrés n’en subissent pas les contre coups. Sachant que le JJ ne protégeait pas suffisamment les victimes, le CE a repris la jurisprudence du TC pour étendre la notion de travail public et étendre le régime favorable attaché à cette activité.

I. Le travail accompli par une personne publique

Si on s’en tient à la définition, il faudrait que le travail soit exécuté par une personne publique elle-même. En réalité, comme l’illustre l’affaire époux Grimouard, l’administration peut recourir au service d’un tiers serait il une personne privée. Ce tiers est engagé grâce à un marché public de travaux, il exécute les travaux pour l’administration et c’est elle qui en assume la responsabilité. Comme elle en assume la responsabilité, le CE estime qu’ils sont réalisés par l’administration elle-même. Pour cela, il importe que l’administration exerce un pouvoir de définition des travaux et de contrôle sur leur exécution. Ce qui correspond à la définition de la maîtrise d’ouvrage public.

Il faut par ailleurs que les travaux soient accomplis pour une mission de SP.

II. Une mission de SP

Peu importe le SP. Un SPA (affaire Grimouard) ou un SPIC. La question n’est pas là, elle est que l’administration doit intervenir pour exécuter un SP. Et ici, le travail public correspond à l’objet même du SP. Le travail public ne sert pas seulement le SP, il constitue le SP. Il faut donc que les 2 éléments se confondent pour que la jurisprudence époux Grimouard s’applique. Il faut une combinaison des 2.

Chapitre 2   : La notion statique du travail public   : l’ouvrage public

L’ouvrage public se définit comme un immeuble construit ou tout du moins aménagé de façon conséquente et appartenant à une personne publique, à condition d’être affecté à une fonction d’IG ; ou appartenant à une personne privée, à condition d’être affecté directement à un SP. = On constate là encore qu’il y a un élément stable (un immeuble artificiel) et un élément variable (l’affectation combinée à la propriété).

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Le travail public et l’ouvrage public ne se confondent pas.

La destruction d’un bâtiment public forme un travail public mais cela ne débouche pas nécessairement sur un ouvrage public. Si le terrain devient nu après destruction, il n’y a pas d’ouvrage public car le terrain nu n’est pas un immeuble artificiel. On lui a redonné un semblant de naturel. Et un ouvrage public peut advenir sans qu’au préalable, il y ait eu des travaux publics. Si l’administration achète un immeuble et qu’elle affecte le bâtiment à une mission d’IG. Le bâtiment a été réalisé par une personne privée et il devient à la suite de son acquisition un ouvrage public.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre l’ouvrage public avec les éléments du domaine public. Il existe un domaine public mobilier or l’ouvrage public est nécessairement un immeuble. De plus on y trouve des éléments naturels. Tous ces éléments relèvent du domaine public et ne constituent pas des ouvrages publics car ils sont naturels et n’ont pas été confectionnés par l’homme.

Section 1 : La constante : un immeuble artificiel

Tous les ouvrages publics sont des immeubles mais tous les immeubles ne sont pas des ouvrages publics.

1§ Un bien immobilier

On retrouve la même distinction qu’à propos du travail public : constitue un ouvrage public les immeubles artificiels par nature (ex : les cimetières, les voies publiques, les palais de justice…) Les couloirs aériens ne sont pas des ouvrages publics car ce ne sont pas des biens immobiliers. Les immeubles par incorporation peuvent aussi répondre à la définition de l’ouvrage public. Un banc forme un ouvrage public si il est vissé dans le sol. Si il est posé, c’est un meuble (dommage de travaux privés : article 1384). Une cible flottante au large du littoral constitue un ouvrage public si cette cible est ancrée dans le sol Affaire Starr de 1970 : les propriétaires d’un yacht avait perdu leur bateau parce qu’ils avaient percuté une cible et il fallait déterminer la compétence. Le CE reconnaît qu’il s’agit d’un ouvrage public par incorporation et donc la responsabilité de l’Etat devant le JA a été admise.

Cette conception des ouvrages publics par incorporation a connu quelques extensions. Quelques ouvrages non fixés sont malgré tout assimilés à des ouvrages publics lorsqu’ils forment un tout fonctionnel avec un immeuble. Par exemple, des buts de football même non vissés au sol constituent un ouvrage public. Dechaume, 1989 : Mr Dechaume était gardien de but et il s’est pendu à la barre transversal et la cage lui est tombé dessus. A dit que c’était la faute de la commune du stade. Pour déterminer le juge compétent, il fallait savoir si ces cages formaient un ouvrage public. De la même façon, les tribunes amovibles : quand cela s’écroule, il s’agit d’un dommage de travaux publics car le CE estime que même amovibles, ces gradins constituent l’accessoire indispensable au stade de football. De la même façon, le CE considérait que tous les ouvrages dans les enceintes portuaires formaient des ouvrages publics= Jurisprudence non confirmée depuis les années 50.

2§ Un bien résultant du travail de l’homme

Les biens à l’état naturel ne forment pas des ouvrages publics. L’ouvrage public est un immeuble transformé. Ainsi, les prés communaux ne sont pas des ouvrages, les pistes de ski non plus. Sieur Ribérora, 1986 : avait glissé sur une plaque de terre mal cachée par la neige. Le CE ne s’est pas reconnu compétent car la piste n’est pas un ouvrage du fait de l’homme, c’est un élément naturel pour le CE. En revanche, la personne qui s’écrase contre un pylône, elle bénéficie du régime des travaux publics.

Il faut que l’aménagement soit relativement important. Et le CE semble se montrer plus sévère sur ce point. Ainsi, l’aménagement d’une corniche en promenade publique ne constitue pas ni un travail ni un ouvrage public dès lors que cet aménagement consiste en la simple pose de panneau d’indication. Epoux Thiault, CAA de Bordeaux de 2008 : Le fils des requérants était allé se promener à la Réunion et quand il était monté en haut du volcan il a voulu regarder de très près le volcan. Avait dépassé les limites et il est tombé. Puis, il est mort. Les parents ont voulu engager la responsabilité du maire de la commune du volcan. La CAA a estimé qu’il n’y avait pas d’ouvrage public parce que l’aménagement n’était pas suffisant et le JA n’était pas compétent.

Section 2 : La variable : l’affectation de l’ouvrage et sa propriété

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Depuis l’avis du CE rendu en assemblée le 29 avril 2010, Affaire Beligaud il existe 2 définitions de l’ouvrage public. Si le bien appartient à une personne publique, il constitue un ouvrage public à condition d’être affecté à une mission d’IG. Si le bien appartient à une personne privée, ce bien forme un ouvrage public à la condition plus stricte d’être affecté directement à un SP.

Selon cet avis, « sous réserve de la loi, présente aussi le caractère d’ouvrage public, notamment les biens immeubles, résultant d’un aménagement qui sont directement affectés à un SP y compris si ils appartiennent à une personne privée chargée de l’exécution de ce SP ». Cet avis a été parfois très mal commenté au point qu’on a prétendu que dorénavant l’ouvrage devait être affecté à un SP quelque soit son propriétaire. C’est faux. L’avis dit que pour que le bien d’une personne privée soit un ouvrage public, il doit être affecté directement à un SP. Le CE insiste sur le fait que ce sont « notamment les autres biens » qui répondent à cette définition.

1§ Le bien public affecté à l’IG

Un ouvrage appartenant à une personne publique devient et reste public dans la mesure où il est affecté à l’IG. Et on voit là la différence avec le domaine public : dès lors que le bien n’est plus affecté à l’IG, il cesse d’être un ouvrage public. Alors qu’un bien qui appartient au domaine public reste dans ce domaine tant qu’il n’a pas été déclassé.

Tous les ouvrages affectés à l’usage direct du public répondent à la définition de l’ouvrage public si il s’agit de biens immobiliers artificiels appartenant à des personnes publiques. Donc les routes relèvent de la catégorie des ouvrages publics même après l’avis de 2010.

2§ Le bien privé affecté directement à un SP

L’avis Beligaud du CE doit son importance au contexte dans lequel il a été rendu. A partir des années 1990, le CE et le TC ont entretenu une forte ambiguïté sur la définition de l’ouvrage public. Il semblait résulter de leur jurisprudence qu’un ouvrage public appartenait nécessairement à une personne publique. Le 1er arrêt est celui Compagnie préservatrice foncière, 1994 (vu a propos de l’incompatibilité entre la domanialité publique et la copropriété) : à la fin, le CE ajoute l’incompatibilité entre le régime de la copropriété et la qualité de l’ouvrage public. Raisonnement : un ouvrage public est intangible et personne ne peut forcer son propriétaire à la détruire, le déplacer ou réaliser des travaux. Or, l’assemblée des copropriétaires peut contraindre l’un des copropriétaires à réaliser des travaux sur sa partie privative. Du coup, le CE déduisait que les ouvrages détenus en copropriété ne pouvaient pas être des ouvrages publics.

Ensuite, le CE a rendu un avis concernant les biens de France Télécom. Addelé, 2001 : affirme que les biens de France Télécom ne forment plus des ouvrages publics depuis que France Télécom est devenu une société anonyme. La loi de 1990 affirme que les biens de France Télécom sont régis par le droit commun. La loi ne dit pas qu’il ne s’agit pas d’ouvrage public mais le CE en déduit que cette disposition législative doit être interprétée comme excluant ces biens de la catégorie des ouvrages publics. Comme si le fait qu’ils appartenaient à des personnes privées exclurait la catégorie de l’ouvrage public.

Or, EDF possède un grand nombre d’ouvrages qui étaient assimilés à des ouvrages publics du temps où il était un EPIC (barrages, centrales nucléaires…). Le problème est que les ouvrages d’EDF sont souvent dangereux et donc il faut protéger les administrés afin qu’il ne soient pas sacrifiés sur l’hôtel de l’IG. Si on reprend la jurisprudence Addelé : il n’y aurait plus de domaine d’ouvrages publics et c’est le JJ qui trancherait.

Et donc le CE a été obligé de statuer sur le régime des biens d’EDF. Le problème revêtait une dimension pratique importante. Il fallait reconnaître la qualité d’ouvrages publics aux biens sans étendre la notion de façon exagérée. Il ne fallait pas considérer que tous les biens servant à la production d’électricité étaient des ouvrages publics. Du coup, le CE a adopté une conception restrictive : les personnes privées peuvent détenir des ouvrages publics à condition que leur immeuble soit affecté directement à un SP et en matière d’électricité il a confirmé qu’il fallait que les installations de production d’électricité soient très puissantes et concourent de façon essentielle à l’approvisionnement français en électricité. Comme cela, les installations photovoltaïques se sont trouvées exclues.

D’où l’origine de la jurisprudence Beligaud.

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La jurisprudence Beligaud aura quelques conséquences concernant les biens des emphytéotes ou des titulaires d’AOT.

Titre 2 : Le régime des travaux publics

Chapitre 1: Non étudié

Chapitre 2   : Les protections relatives aux TP

2 cas de figure sont à envisager : La protection du TP La protection contre le TP

Il faut que le TP puisse s’effectuer, il faut qu’une fois accompli aussi, les administrés soient protégés contre le TP. Dans les 2 cas, on retrouve des règles de droit public.

Section 1 : La protection du TP

Le TP revêt 2 dimensions, une dimension dynamique et une dimension statique et on retrouve cette distinction en analysant le régime de protection. Il faut faciliter la réalisation du TP et il faut le protéger.

1§ Les protections de la réalisation du TP

2 types de protections méritent notre attention ; Les sujétions imposées aux administrés lors de la réalisation du TP. Celles-ci comprennent 2 éléments : les servitudes d’occupation temporaire et les servitudes fiscales.

I. Les servitudes d’occupation temporaire

Pour réaliser un TP, l’administration a souvent besoin d’utiliser les immeubles aux alentours du lieu où elle réalise le TP. Or, cette utilisation de ces immeubles ne dure que le temps des travaux. Il est donc inutile que l’administration s’approprie ces immeubles puisqu’une fois ses travaux terminés, elle n’en aura plus besoin. Le législateur, à la fin du 19ème siècle, a pris conscience du fait que l’expropriation constituait un outil beaucoup trop radical et sur le long terme inutile pour faciliter les travaux publics. Et une loi du 29 décembre 1892 crée les servitudes d’occupation temporaire relatives aux TP. Cette servitude permet à l’administration ou à l’entrepreneur de TP d’occuper les terrains aux alentours du lieu de réalisation de travail public pour entreposer son matériel, pour simplement accéder au lieu des travaux (servitude de passage) voire pour extraire les matériaux se trouvant dans le sous sol de l’immeuble occupé (servitude d’extraction). Le champ d’application de cette servitude est relativement simple à définir. Cette servitude ne peut être utilisée que par la réalisation de travaux publics. Utilisation impossible pour des travaux privés. Cette servitude doit de plus rester temporaire : ne dure que le temps de la réalisation des travaux. Dès lors, elle ne permet pas une occupation définitive des immeubles aux alentours du lieu des travaux car si celle-ci devenait définitive elle constituerait une dépossession voire une expropriation.

Arrêt Pelaz, 1981 : montre que le CE est parfois très tolérant avec l’administration. Mais sa tolérance souligne de façon paradoxale les principes au fondement de cette servitude. Il était question de la construction d’une galerie sous terre et pour la construire, l’administration avait creusé des galeries d’accès utilisées par des camions. Ces galeries passant sous des propriétés privées étaient énormes. Et Mr Pelaz qui subissait cette servitude temporaire prétendait qu’en réalité l’administration l’avait exproprié car l’administration n’allait jamais reboucher ses galeries. Le CE lui a donné tort en expliquant qu’au moment où l’administration avait réalisé les travaux, rien ne garantissait que l’administration n’allait pas remplir les trous. Le recours à la loi de 1892 restait licite. Dès lors que la dépossession définitive n’est pas avérée, la loi de 1892 peut être utilisée par l’administration.

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La servitude d’extraction pose encore plus de problèmes. Elle est assimilée à une servitude temporaire. Or, lorsque l’administration récupère dans le sous sol d’un immeuble des matériaux pour réaliser un ouvrage à proximité, une fois les travaux terminés, l’administration ne remet pas le sable en place. C’est en réalité une dépossession des matériaux se trouvant dans le sol. Et, le législateur a évité le recours au JJ. L’extraction des matériaux constitue une expropriation du contenu du sol et pourtant c’est bien le JA qui accordera une indemnité.

La servitude donc est temporaire. Elle ne doit pas dépasser les 5 ans à compter de la publication de l’acte qui instaure la servitude sur un immeuble. Cette servitude peut être renouvelée une fois. Ce qui permet d’atteindre les 10 ans mais au-delà l’administration doit soit libérer le terrain soit exproprier le propriétaire. On estime que le propriétaire qui voit son immeuble grevé d’une si longue servitude n’a plus d’intérêt à le garder et il a le droit d’être exproprié.

Les terrains affectés par cette servitude sont ceux des personnes privées comme ceux des personnes publiques à ceci près que le domaine public échappe à cette servitude parce qu’il est inaliénable. Or, cette servitude nuirait à l’affectation. Sous cette réserve, tous les immeubles s’exposent à de telles servitudes à condition que ces immeubles ne soient pas clôt de murs et affectés à l’habitation : à ce moment, il échappe à la servitude. Traditionnellement au 19ème siècle, les demeures clôt de murs étaient bourgeoises et celle non clôt appartenaient aux moins aisés. Quand le terrain n’est pas clôt de mur, la servitude est possible à condition qu’elle ne soit pas dangereuse. Cette servitude est indemnisée. Cette indemnisation intervient non pas préalablement mais postérieurement à son instauration.

La servitude est créée par un acte administratif préfectoral qui désigne les terrains devant faire l’objet de cette servitude afin que les travaux soient réalisés. Cet acte désigne le bénéficiaire de la servitude, la personne qui utilise le terrain grevé. Généralement, il s’agit de l’entreprise de travaux publics. Cet arrêté doit être notifié puisque c’est un acte individuel, il peut être retiré car ce n’est pas un acte créateur de droit.

L’indemnisation donc ne précède pas la mise en œuvre de la servitude. Elle survient une fois que la servitude disparaît car elle pour objet de couvrir tous les préjudices subis par le propriétaire. L’identification de tous ces préjudices nécessite que la servitude disparaisse. Généralement, l’administration parvient à des accords amiables avec les propriétaires concernés. Si il n’y a aucun accord amiable, il revient au propriétaire de saisir le JA afin qu’il établisse le montant de l’indemnité. Le JA calcule cette indemnité en prenant en compte tous les préjudices subis par le propriétaire à ceci près que l’indemnité ne peut pas dépasser la valeur vénale du terrain, ce qui signifie que le propriétaire ne peut pas s’enrichir avec cette servitude. L’indemnité en réalité ne couvre pas tous les préjudices subis par le propriétaire du terrain. En effet, si l’administration a extrait des matériaux, elle indemnise le propriétaire sur la valeur de ces matériaux, mais elle déduit le coût des opérations de recherches de ces matériaux. Raison : le propriétaire bénéficie de ces travaux de recherches car il sait dorénavant que son terrain regorge de minéraux. A ceci près qu’il faut que l’administration laisse quelque chose…

Comment se protéger contre cette servitude lorsqu’on estime qu’elle est illégale ? = Il faut attenter un recours en annuler contre l’arrêté préfectoral. Ce n’est pas un REP. C’est un recours de plein contentieux qui nécessite le ministère d’avocat. Cette action peut être engagée sans délai ce qui signifie que cette action en justice n’est pas enfermée dans le délai de 2 mois à compter de la notification de l’arrêté préfectoral. Raison simple : par dérogation à toutes les règles connues en DA, en matière de TP, il n’y a pas de délai contentieux. Les actions en matière de TP ne sont enfermées dans aucun délai. Le requérant peut attendre 3-4 mois pour engager son action. Donc si l’administration semble vouloir agir vite, cette action ne suffit pas. Il faut des procédures d’urgence : le référé suspension ou liberté. Les 2 sont recevables puisqu’il y a une atteinte à la liberté fondamentale que constitue la propriété. Mais il faudra démontrer qu’il y a un doute sérieux contre la légalité.

Concernant l’action en indemnité, elle relève du JA. Prend la forme d’un recours de plein contentieux qui doit être engagé dans les 2 ans qui suivent la fin de la servitude. Ce délai de 2 ans prescrit non pas l’action mais la dette de l’administration.

II. Les contraintes fiscales

Il existe 2 types de sujétions financières qui visent à faciliter la réalisation des travaux publics. L’une permet la récupération des plus values engendrées par les travaux, l’autre prend la forme de prestation financière obligatoire.

A. La récupération des plus values

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Très souvent, la réalisation des travaux publics augmente la valeur des immeubles se trouvant aux alentours. La réalisation d’un métro augmente la valeur des habitations. Le principe d’égalité impose que l’administration puisse récupérer cette plus value dont vont bénéficier certains propriétaires alors que d’autres n’en ont subi que les désagréments. Et grâce, à ces récupérations, l’administration pourra plus facilement financer ces projets.

Cette récupération peut se faire de 2 façons : par compensation ou de façon directe.

Par compensation, cela signifie que la plus value est prise en compte lors du calcul des indemnités que l’administration doit verser aux administrés. Ainsi, le propriétaire d’un immeuble frappé d’une servitude d’occupation temporaire voit son indemnité d’occupation diminuée du montant de la plus value.

La récupération directe prend une autre forme. Il s’agit pour l’administration, une fois les travaux terminés, d’exiger des propriétaires qu’ils versent au fisc le montant de la plus value. Article. L.16-4 Code de l’expropriation. Mais le règlement d’administration publique qui aurait pu être pris en application de cette disposition législative pour définir les modes de calcul de cette plus value n’a jamais été publié. Et donc la récupération directe ne s’effectue jamais pour l’instant. La loi sur le Grand Paris prévoit précisément ce mode de récupération.

B. Les taxes et prestations financières obligatoires

Pour la réalisation de certains TP, l’administration peut exiger quelques taxes particulières. Il existe une taxe de pavage quand l’administration décide de paver les rues et cette taxe est à payer par les riverains. Il existe aussi une taxe des trottoirs. Il existe aussi une taxe de connexion aux réseaux d’assainissement.

2§ La protection de l’ouvrage public

Cette protection prend 2 formes : elle prend la forme de garanties et la forme du principe d’intangibilité.

I. Les garanties

Il existe 2 garanties extracontractuelles qui protègent l’ouvrage public une fois que les relations contractuelles entre le maître d’ouvrage et les entreprises qui ont réalisé le travail ont cessé.

- Il y a la garantie de bon fonctionnement - La garantie décennale

La garantie de bon fonctionnement s’appelait la garantie biennale des menus travaux. C’est une garantie qui dure 2 ans et qui porte que sur les accessoires à la construction.

La garantie décennale dure 10 ans. Elle est prévue dans le Code civil. Le JA l’applique sans appliquer le Code civil. Arrêt Tranoy 1973 : cette garantie extracontractuelle de droit public s’inspire du Code civil. Cette garantie décennale pèse sur le maître d’œuvre (celui qui dirige les travaux) à ne pas confondre avec le maître d’ouvrage (pour qui les travaux sont réalisés). C’est une responsabilité objective en cela que il n’est pas nécessaire de démontrer la faute du débiteur de cette garantie. Il suffit de démontrer que l’ouvrage est affecté de vices graves qui affectent sa solidité ou qui empêchent son fonctionnement. Et il faut que ces vices n’aient pas été apparents au moment de la réception des travaux (acceptation de la fin des travaux tel que le présente le maître d’œuvre). Il faut aussi distinguer ici l’effet du vice. Si le jour de la réception des travaux, l’ouvrage présentait une petite fissure qui n’a fait l’objet d’aucune réserve mais qu’à l’usage cette fissure se révèle le symptôme de l’absence de fondation de l’ouvrage, la garantie décennale joue. Lors de la réception, on ne pouvait pas deviner que l’entreprise avait oublié de couler des fondations. Il y a un rapport entre l’apparence et les effets du dommage.

Le contentieux de la garantie décennale relève du JA puisqu’il s’agit de TP.

II. Le principe d’intangibilité de l’ouvrage public

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Les ouvrages publics méritent une forte protection contre toute destruction. Et cela parce que ces ouvrages concourent à l’IG. Le principe d’intangibilité des ouvrages publics a longtemps été absolu au nom de l’importance de l’IG. Aujourd’hui, le principe connaît des aménagements afin de préserver autant que faire se peut la propriété privée.

A. Un principe longtemps absolu

Le principe de l’intangibilité des ouvrages publics a été si fort que même l’ouvrage public mal planté ne se détruisait pas. Ainsi, peu importait que l’ouvrage public ait été construit en méconnaissance des règles d’urbanisme, environnementales, voire en méconnaissance de la répartition de la propriété. L’administration ne pouvait être contrainte de détruire un ouvrage public construit sur une propriété privée. Même le JJ ne pouvait contraindre l’administration à détruire cet ouvrage. Alors même que cette construction sur une propriété privée constituait une voie de fait. Le principe d’intangibilité limitait les prérogatives du JJ même en cas de voie de fait.

Fondements du caractère absolu de ce principe. Ses fondements étaient ajuridiques. Le seul fondement que l’on a pu trouver est d’ordre financier : éviter de contraindre l’administration à payer la destruction puis la reconstruction d’un ouvrage public dès lors que l’administration a payé une fois sa construction , il faut par souci des finances publiques laisser l’ouvrage en état même si il est construit sur une propriété privée. Ce fondement d’ordre financier ne pouvait pas convaincre la CEDH car elle accorde une trop grande importance à la propriété privée.

C’est pourquoi le juge a fait évoluer sa jurisprudence. Arrêt 2003, Commune de Clans : dorénavant, lorsqu’un ouvrage public est construit sur une propriété privée, le propriétaire peut saisir le JA afin qu’il ordonne la destruction de l’ouvrage public mal planté. Grâce à cette destruction, l’administration se voit privée de la possibilité d’exproprier indirectement le propriétaire. En permettant à l’administration de laisser un ouvrage public sur une propriété privée, le juge permettait à l’administration d’exproprier le propriétaire sans respecter le Code d’expropriation (pas d’enquête publique…). La Cour de cassation a interdit ce mécanisme et c’est le CE qui a autorisé le JA à ordonner la destruction des ouvrages publics construit sur des propriétés privées. Toutefois, avant d’ordonner la destruction, le JA vérifie que la construction initialement illicite ne peut pas être régularisée. Si une régularisation est possible, l’administration doit y procéder et le droit est rétabli. Si cette régularisation est impossible, alors le juge ordonne la démolition à condition que cette démolition de l’ouvrage public ne nuise pas plus à l’IG que son maintien . Se livre à un contrôle du bilan. Si l’ouvrage public est tout particulièrement important et que son coût de construction est élevé sans porter une grave atteinte à la propriété privée, le juge n’ordonne pas la destruction de l’ouvrage. Seul le JA peut ordonner cette destruction, le JJ ne le peut pas.

Section 2 : La protection contre les dommages de travaux publics

Le régime de protection est très favorable aux administrés encore faut il qu’ils saisissent le bon juge. Or, le contentieux des travaux publics est semé de fausses trappes.

1§ Le contentieux des dommages de travaux publics

Le contentieux des dommages de travaux publics relèvent du JA depuis la loi de l’AN 8. Toutefois, pour que le JA soit compétent il ne faut pas que le JJ le soit. Or, il existe des exceptions à la compétence du JA pour connaître du contentieux des dommages de TP.

I. La répartition du contentieux

En principe, ce contentieux relève du JA. Par exception, le JJ en connaît.

A. La compétence du JA

Pour que le JA soit compétent, il faut qu’il y ait dommage de travaux publics ce qui implique de définir la notion de « dommage de travaux publics ».

1. La notion de dommage de travaux publics

La notion est comprise de façon extensive, afin d’étendre la compétence du JA et de mieux protéger les victimes. Ces dommages peuvent résulter du travail public ou de l’ouvrage public.

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Les dommages causés par un travail public   :

Ceux-ci peuvent se produire lors de l’exécution du travail. Ex : projection de cailloux par des machines ; le bruit ; l’effondrement d’un mur ; la chute d’un enfant. On peut imaginer des dommages résultant de l’inexécution des travaux. Ex : le fait de ne pas signaler des travaux sur une route constitue une faute engageant la responsabilité de l’administration. Le fait pour la SNCF de ne pas entretenir les talus le long des voies ferrées peut générer la responsabilité de la SCNF Courcon, 2001 : un agriculture qui avait une exploitation le long des voies de chemin de fer. La SNCF néglige d’entretenir les talus. Les talus devienne sauvage et offre aux petits lapins des zones agréables pour se développer mais ils ne restent pas sur le talus… et mange les carottes. Le fait que l’administration n’ait pas réalisé les travaux d’entretien qui aurait permis d’éliminer les lapins sauvages a constitué une faute et a engagé sa responsabilité du fait de travaux publics qui n’ont pas eu lieu.

Les dommages causés par un ouvrage public

Si un ouvrage public existe, il peut lui aussi générer des dommages. Son existence et son mode de fonctionnement peuvent se révéler préjudiciables. Les piscines municipales dégagent de mauvaises odeurs de clore. Ces nuisances, quand elles dépassent un certain degré, engagent la responsabilité de l’administration. = Quasiment la même chose que le trouble du voisinage en droit civil.

2. L’attractivité du dommage de travaux publics

Non seulement le dommage est compris de façon large mais une fois qu’il est reconnu, ce dommage bouleverse la répartition du contentieux. C’est ainsi que le régime de la sécurité sociale qui régit l’indemnisation de la victime d’un travail public auquel celle-ci a participé ne s’applique pas à sa famille. La personne qui a pour emploi de participer à un travail public : le salarié d’une entreprise de travaux publics, est couvert par le régime de la sécurité sociale. Ses proches n’en bénéficient pas. Ses proches seront indemnisés sur le fondement du régime des dommages de travaux publics. Parce que le juge considère que le droit de la sécurité sociale constitue une dérogation au droit des travaux publics, comme c’est une dérogation elle doit s’appliquer de manière stricte.

B. Les compétences réservées au JJ

Le JJ connaît parfois de certaines actions qui pourtant sont relativement à de souvrages publics de façon directes ou indirecte. Mais cette compétence vient déroger à l’attractivité de la notion de travaux publics. Essentiellement 2 dérogations :

1. Les dommages causés par un véhicule

Depuis la loi du 31 décembre 1957, le JJ connaît de toutes les actions des préjudices causés par un véhicule. Même si le véhicule à l’origine du dommage concourt à la réalisation d’un travail public, le JJ reste compétent. Il faut 2 choses : que l’engin à l’origine du dommage soit un véhicule/ que le véhicule soit la cause du dommage.

Véhicule : un engin se déplaçant de façon autonome.

Il faut que le véhicule soit à l’origine du dommage. Quand le véhicule écrase la victime : pas de doute. La difficulté surgit lorsqu’il n’y a pas de contact physique direct entre le véhicule et la victime. Si le véhicule a permis ou a provoqué la projection d’un objet ou d’une substance à l’origine du dommage, alors le JJ est compétent.

Mais si la présence du véhicule sur le lieu du dommage constitue une mauvaise organisation des travaux, alors le JJ n’est pas compétent et le contentieux relève du JA. Arrêt Préfet de la Haute Loire de 1991 : sur une route nationale accidentée, l’administration décide de réaliser des travaux. Sur cette route large, les 2/3 étaient occupés par les engins de travaux publics. Une voiture double et un camion arrive en face. Les véhicules de travaux publics n’étaient pas eux même à l’origine du dommage. C’est simplement la mauvaise organisation des engins qui a provoqué les dommages. Le contentieux relève là du JA.

2. Les dommages causés à l’usager d’un SPIC

L’usager du SPIC noue en principe des relations contractuelles de droit privé avec la personne exploitant le SPIC. Les SPIC sont régis en principe par le droit privé et les relations sont de droit privé et a priori contractuelles.

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Or, en droit français, les relations contractuelles priment sur les relations délictuelles. La responsabilité contractuelle s’applique de préférence. Du coup, si une personne est victime d’un ouvrage public utilisé pour la satisfaction d’un SPIC qu’elle utilise elle-même, son action en responsabilité contre la personne exploitant le service doit être portée devant le JJ. Se pose ici la question de l’identification de l’usager du SPIC. La compétence du JJ ne vaut que pour l’usager du SPIC. Le JA lui est compétent pour connaître des actions en responsabilité engagées par les tiers au service mais subissant un dommage du fait de l’ouvrage affecté à ce service.

Pour identifier l’usager du SPIC, il faut vérifier si la victime utilise le service. Si elle utilise le service, alors le JJ est compétent.

Une belle affaire date de 1967, Jurisprudence Dame Labat : Dame Labat était allé à Bannière de Bigorre pour fêter l’inauguration de lignes de chemin de fer. La population très nombreuse s’était réunie dans la gare mais aussi sur la verrière de la gare et la verrière s’est écroulée sous le poids de ces spectateurs. Les victimes se sont précipitées pour saisir le juge d’une action en responsabilité. Il fallait pour déterminer si le JA était compétent vérifier le statut des victimes. La guerre était un ouvrage public affecté à un SPIC (transport ferroviaire). Est-ce que les spectateurs utilisaient l’ouvrage public en tant qu’usagers ou pas ? En espèce, ils ne venaient pas prendre le train mais pour assister à la cérémonie. Les badauds étaient des tiers et le JJ n’était pas compétent c’était au JA de se prononcer sur la responsabilité.

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