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FOCUS 426 LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 28 l N° 922 l MAI 2014 Drépanocytose et contraception Les femmes drépanocytaires doivent avoir une contraception efficace et sûre, afin d’éviter toute grossesse à risque non programmée. L a drépanocytose est la plus fréquente des maladies génétiques en France et dans le monde. La prescription d’une contraception chez des patientes drépa- nocytaires n’est pas une situation rare. Elle ne doit pas interférer avec les mani- festations pathologiques : crises vaso- occlusives (CVO) et anémie hémolytique chronique. Le risque thrombo-embolique veineux, majoré chez ces patientes, ne doit également pas être négligé. Cette hémoglobinopathie est liée à une mutation du gène de la chaîne β de l’hé- moglobine, responsable de la synthèse d’une hémoglobine (Hb) anormale, l’HbS. Son mode de transmission est autosomi- que récessif. L’expression clinique est variable selon les génotypes et les indi- vidus. Les syndromes drépanocytaires majeurs (SDM), formes les plus sévères, sont dus à 3 types d’anomalie génétique : l’homozygotie S/S, l’hétérozygotie com- posite S/C et S/β+thalassémie. Les su- jets hétérozygotes AS, porteurs d’un trait drépanocytaire, sont, en général, asymp- tomatiques. n Épidémiologie La drépanocytose affecte environ 5 % de la population mondiale. 1 En France, un dépistage néonatal ciblé a été mis en place depuis l’année 2000 (tableau 1). La drépanocytose touche un nouveau-né sur 2 300, soit environ 400 nouveau-nés par an. 2, 3 Elle est retrouvée principale- ment dans les populations africaines et antillaises (figure). L’indicence des syndromes drépanocytai- res majeurs à la naissance est de 1/4 551 à la Réunion, 1/633 à Mayotte, 1/343 en Martinique, 1/297 en Guadeloupe et 1/227 en Guyane. Par Marie Lambert* * Service de gynécologie, centre Aliénor d’Aquitaine, CHU de Bordeaux, 33076 Bordeaux Cedex. n Physiopathologie En situation d’hypoxie, l’HbS se poly- mérise, déformant alors les hématies qui prennent l’aspect de « faucille ». Les érythrocytes anormaux et rigides adhèrent à l’endothélium et créent une obstruction des microvaisseaux. Il se pro- duit alors un phénomène d’ischémie res- ponsable des CVO douloureuses et d’une hémolyse chronique. L’inflammation est souvent associée à l’obstruction vascu- laire avec une expression majorée de mo- lécules d’adhésion. Cela est suivi d’une reperfusion des vaisseaux, engendrant néanmoins un stress oxydatif et une vas- culopathie avec dysfonction endothéliale à long terme. De plus, une hypercoagula- bilité est corrélée à l’hémolyse, majorant le risque thrombo-embolique des patients drépanocytaires. 4 Figure – Incidence de la drépanocytose en population générale en France métropolitaine en 2010. BiLAn DU DÉPiStAge nÉOnAtAL De LA DrÉPAnOCytOSe, FrAnCe, 2010 2 Nombre de tests Syndromes Hétérozygotes drépanocytaires majeurs A/S A/C 1/714 1/33 1/129 Métropole 253 466 341 6 915 1 829 DOM 38 575 68 1 985 429 Total 292 041 409 malades 8 900 2 258 11 158 transmetteurs sains + 1 250 A/E, A/D TABLEAU 1 TOUS DROITS RESERVES LA REVUE DU PRATICIEN - MEDECINE GENERALE TOUS DROITS RESERVES LA REVUE DU PRATICIEN - MEDECINE GENERALE

Drépanocytose et contraception - Egora · de la population mondiale.1 En France, un dépistage néonatal ciblé a été mis en place depuis l’année 2000 (tableau 1). La drépanocytose

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FOCUS426

LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 28 l N° 922 l MAI 2014

Drépanocytose et contraceptionLes femmes drépanocytaires doivent avoir une contraception efficace et sûre, afin d’éviter toute grossesse à risque non programmée.

La drépanocytose est la plus fréquente des maladies génétiques en France et dans le monde. La prescription d’une

contraception chez des patientes drépa-nocytaires n’est pas une situation rare. Elle ne doit pas interférer avec les mani- festations pathologiques : crises vaso- occlusives (CVO) et anémie hémolytique chronique. Le risque thrombo-embolique veineux, majoré chez ces patientes, ne doit également pas être négligé.Cette hémoglobinopathie est liée à une mutation du gène de la chaîne β de l’hé-moglobine, responsable de la synthèse d’une hémoglobine (Hb) anormale, l’HbS. Son mode de transmission est autosomi-que récessif. L’expression clinique est variable selon les génotypes et les indi-vidus. Les syndromes drépanocytaires majeurs (SDM), formes les plus sévères, sont dus à 3 types d’anomalie génétique : l’homozygotie S/S, l’hétérozygotie com-posite S/C et S/β+thalassémie. Les su-jets hétérozygotes AS, porteurs d’un trait drépanocytaire, sont, en général, asymp-tomatiques.

nÉpidémiologie

La drépanocytose affecte environ 5 % de la population mondiale.1 En France, un dépistage néonatal ciblé a été mis en place depuis l’année 2000 (tableau 1). La drépanocytose touche un nouveau-né sur 2 300, soit environ 400 nouveau-nés par an.2, 3 Elle est retrouvée principale-ment dans les populations africaines et antillaises (figure).L’indicence des syndromes drépanocytai-res majeurs à la naissance est de 1/4 551 à la Réunion, 1/633 à Mayotte, 1/343 en Martinique, 1/297 en Guadeloupe et 1/227 en Guyane.

Par Marie Lambert*

* Service de gynécologie, centre Aliénor d’Aquitaine, CHU de Bordeaux, 33076 Bordeaux Cedex.

nPhysiopathologie

En situation d’hypoxie, l’HbS se poly-mérise, déformant alors les hématies qui prennent l’aspect de « faucille ». Les érythrocytes anormaux et rigides adhèrent à l’endothélium et créent une obstruction des microvaisseaux. Il se pro-duit alors un phénomène d’ischémie res-ponsable des CVO douloureuses et d’une

hémolyse chronique. L’inflammation est souvent associée à l’obstruction vascu-laire avec une expression majorée de mo-lécules d’adhésion. Cela est suivi d’une reperfusion des vaisseaux, engendrant néanmoins un stress oxydatif et une vas-culopathie avec dysfonction endothéliale à long terme. De plus, une hypercoagula-bilité est corrélée à l’hémolyse, majorant le risque thrombo-embolique des patients drépanocytaires.4

Figure – Incidence de la drépanocytose en population générale en France métropolitaine en 2010.

BiLAn DU DÉPiStAge nÉOnAtAL De LA DrÉPAnOCytOSe, FrAnCe, 20102

Nombre de tests

Syndromes Hétérozygotes drépanocytaires majeurs A/S A/C 1/714 1/33 1/129

Métropole 253 466 341 6 915 1 829DOM 38 575 68 1 985 429Total 292 041 409 malades 8 900 2 258

11 158 transmetteurs sains + 1 250 A/E, A/D

TABLEAU 1

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FOCUS 427

LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 28 l N° 922 l MAI 2014

Drépanocytose et contraception➜ La contraception progestative est le choix de première intention. ➜ Si elle est mal tolérée, une contraception non hormonale est mise en place en cas

d’homozygotie ou d’hétérozygotie composite (COP contre-indiquée). ➜ Chez les patientes porteuses d’un trait drépanocytaire, une COP peut être utilisée en l’absence

d’autres facteurs de risque thrombo-embolique.

L’ESSENTIEL

L’au

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n d’

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POSSiBiLitÉS COntrACePtiveS CHez LeS PAtienteS DrÉPAnOCytAireS

Contraceptions Contraceptions DIU estroprogestatives progestatives

Forme homozygote S/S NON OUI OUI

Forme hétérozygote composite S/C ou S/β+ NON OUI OUI

Forme hétérozygote A/S OUI si pas d’autres FDRV OUI OUI

TABLEAU 2

Chez les femmes drépanocytaires, la grossesse est à risque avec des compli-cations vasculaires maternofœtales (retard de croissance intra-utérin, mort fœtale in utero, HTA gravidique, prééclampsie, majoration de l’anémie et des CVO…). La programmer est important, ce qui rend indispensable une contraception efficace. Celle-ci doit être adaptée avec pour objec-tifs de ne pas majorer les anomalies héma-tologiques, le risque thrombo-embolique et le nombre de CVO. Haddad et al. ont évalué différents moyens de contraception chez ces patientes. Néan-moins, les études sont limitées, avec de faibles effectifs et de nombreux biais.5

nContraceptions estroprogestativesSeules 4 études évaluent la contraception estroprogestative (COP) et montrent des ré-sultats contradictoires. De Abood et al. ont comparé, chez 43 femmes homozygotes, l’acétate de médroxyprogestérone DMPA (contraceptif de longue durée injectable) [n = 13], une association de 0,03 mg d’éthi-nylestradiol et 0,15 mg de lévonorgestrel (n = 14) et la ligature tubaire (n = 16). Le nombre d’épisodes douloureux a dimi-nué dans chaque groupe mais uniquement de manière statistiquement significative avec le DMPA. Les paramètres hématolo-giques n’ont pas été modifiés sur l’année de suivi.6 Parmi 67 femmes ayant un SDM et prenant une COP, 4 ont rapporté une majoration des CVO, 2 ont fait une TVP et 8 ont arrêté la contraception en raison d’effets secondaires.7 Le risque thrombo-embolique asso-cié à la drépanocytose est bien réel : une étude retrouve 25 % d’antécédents de thrombose veineuse avec un premier épi-sode à environ 30 ans et 24,8 % de récidive.8 Plusieurs mécanismes sont évoqués pour expliquer l’hypercoagulabilité : adhésion des hématies à l’endothélium, dysfonction endothéliale, inflammation chronique, agrégation plaquettaire et stress oxydatif. Les sujets avec une forme hétérozygote composite sont également à haut risque thrombo-embolique.

Austin et al. ont également montré que les femmes porteuses d’un trait drépanocy-taire, prenant une COP, avaient un risque thrombo-embolique majoré (OR = 12,1 ; IC 95 % [2,8-52]) par rapport aux non-utili-satrices. Cependant, l’étude ne comprenait que 60 femmes afro-américaines ayant thrombosé et 196 femmes contrôles.9

La plus grande prudence s’impose donc quant à l’usage des contracep-tions estroprogestatives. Il devra être discuté au cas par cas en fonction des autres facteurs de risque et des moyens contraceptifs déjà utilisés.

nContraceptions progestativesElles ont été les plus étudiées, en parti-culier le DMPA et l’implant au norgestrel (Norplant) non disponible en France.10 Ils semblent soulager la symptomatologie drépanocytaire : réduction du nombre de CVO, des céphalées, des douleurs chroni-ques et de l’asthénie. Certains paramètres hématologiques étaient même améliorés dans 2 études. Aucun événement indési-rable notable n’a été signalé. Cependant, compte tenu du risque thrombo-embolique du DMPA chez les sujets sains, nous privi-légions les progestatifs oraux ou l’implant à l’étonogestrel chez ces patientes. Les contraceptions progestatives induisent fréquemment une aménorrhée, diminuant ainsi le risque de CVO accentué en période de règles.

nDispositifs intra-utérins

Une seule étude a analysé le DIU au cuivre chez 28 femmes avec un SDM.7 Les

effets indésirables rapportés étaient des ménorragies (39 %), des dysménorrhées (28 %) et des infections (17 %) n’ayant pas nécessité l’ablation du dispositif. Une seule patiente a signalé une augmentation des CVO. Chez ces femmes, souvent anémiées, le DIU au lévonorgestrel apparaît comme une alternative intéressante. Néanmoins, la drépanocytose est une pathologie à risque accru d’infections. Une surveillance et une information éclairée s’imposent pour toutes les patientes bénéficiant de ce dispositif contraceptif (tableau 2).l

référenCeS

1. OMS. Drépanocytose et autres hémoglobino-pathies. Aide mémoire 308. Février 2011.2. La drépanocytose en France : des données épi-démiologiques pour améliorer la prise en charge. BeH 2012 (n° 27-28).3. de Montalembert M, girot r, galactéros F. La drépanocytose en France en 2006: acquis et défis. Arch Pediatr 2006;13:1191-4.4. rees DC, Williams tn, gladwin Mt. Sickle-cell disease. Lancet 2010;376:2018-31.5. Haddad LB, Curtis KM, Legardy-Williams JK, Cwiak C, Jamieson DJ. Contraception for indivi-duals with sickle cell disease: a systematic review of the literature. Contraception 2012;85:527-37.6. de Abood M, de Castillo z, guerrero F, espino M, Austin KL. effect of Depo-Provera or Micro-gynon on the painful crises of sickle cell anemia patients. Contraception 1997;56:313-6.7. Howard rJ, Lillis C, tuck SM. Contraceptives, counselling, and pregnancy in women with sickle cell disease. BMJ 1993;306:1735-7.8. naik rP, Streiff MB, Haywood C Jr, nelson JA, Lanzkron S. venous thromboembolism in adults with sickle cell disease: a serious and under-reco-gnized complication. Am J Med 2013;126:443-9.9. Austin H, Lally C, Benson JM, Whitsett C, Hoo-per WC, Key nS. Hormonal contraception, sickle cell trait, and risk for venous thromboembolism among African American women. Am J Obstet gynecol 2009;200:620.e1-3.10. Legardy JK, Curtis KM. Progestogen-only contraceptive use among women with sickle cell anemia: a systematic review. Contraception 2006;73:195-204.

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