653
AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

Du caractère public du procès pénal

Embed Size (px)

Citation preview

  • AVERTISSEMENT

    Ce document est le fruit d'un long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de l'ensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pnale. Contact : [email protected]

    LIENS Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

  • Universit de Lorraine

    Facult de Droit, Sciences conomiques et Gestion de Nancy

    Ecole doctorale des Sciences juridiques, politiques, conomiques et de gestion (SJPEG n79) Centre de recherche de droit priv (CRDP Equipe daccueil n1138)

    Institut Franois Geny

    DU CARACTERE PUBLIC DU PROCES PENAL

    Thse en vue de lobtention du grade de

    Docteur en droit

    (Doctorat nouveau rgime, Droit priv Sciences criminelles)

    prsente et soutenue publiquement le 5 octobre 2012

    par

    M. Philippe PIOT

    Prpare sous la direction de : M. Franois FOURMENT, Professeur lUniversit de Lorraine

    Membres du jury :

    M. Emmanuel DREYER, Professeur lUniversit de Paris-Sud (Paris XI), rapporteur M. Xavier PIN, Professeur lUniversit Jean-Moulin (Lyon III), rapporteur Mme Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, Professeur lUniversit de Strasbourg M. Jean-Franois SEUVIC, Professeur lUniversit de Lorraine

  • 2

  • 3

    La justice, cest comme la Sainte Vierge. Si elle napparat pas de temps en temps, le doute sinstalle. Michel Audiard1

    1 Le propos est tenu lcran par linspecteur Louis Baroni (Philippe Noiret) dans le film Pile ou Face (1980) ralis par Robert Enrico et dont les dialogues sont de Michel Audiard.

  • 4

    La Facult nentend donner ni approbation, ni improbation

    aux opinions mises dans cette thse, celles-ci devant tre considres

    comme propres leur auteur

  • 5

    Sommaire Introduction

    Premire partie La publicit du procs pnal

    par ladmission du public laudience

    Titre I La publicit de laudience en droit international Chapitre 1 La publicit de laudience proclame comme un droit universel Chapitre 2 La publicit de laudience dans la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme Titre II La publicit de laudience en droit interne Chapitre 1 La justification du principe de la publicit de laudience Chapitre 2 La mise en uvre du principe de la publicit de laudience

    Deuxime partie La publicit du procs pnal par la diffusion

    dlments dinformation destination du public

    Titre I - La publicit hors de la salle daudience mise en uvre par linstitution judiciaire Chapitre 1 La publicit, lment de la sanction judiciaire Chapitre 2 La publicit, lment essentiel de la justice pnale Titre II - La publicit hors de la salle daudience mise en uvre par des tiers linstitution judiciaire Chapitre 1 Le droit du public linformation appliqu au procs pnal Chapitre 2 La ralisation de la publicit du procs pnal par des tiers linstitution judiciaire Conclusion

  • 6

  • 7

    Abrviations Aff...........................................Affaire AJDA......................................Actualit juridique droit administratif Al. ...........................................Alina. ALD........................................Actualit lgislative Dalloz APC ........................................Archives de politique criminelle APD ........................................Archives de philosophie du droit APJ..........................................Agent de police judiciaire Art./art.....................................Article/article Bull. ch. avous.......................Bulltin de la Chambre des avous prs la Cour dAppel de Paris Bull. civ................................. Bulletin des arrts des Chambres civiles de la Cour de cassation Bull. crim. .............................Bulletin des arrts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation C. ass.......................................Cour d'assises C. civ.......................................Code civil C. com.....................................Code de commerce C. org. jud. ..............................Code de lorganisation judiciaire C. pn......................................Code pnal C. pr. civ. ................................Code de procdure civile C. pr. Pn. ...............................Code de procdure pnale C. trav. ....................................Code u travail C/.............................................Contre. CA. .........................................Cour d 'appel Cass. ass. pln. ........................Cour de cassation (arrt de lassemble plnire) Cass. Ch. mixte............. ..........Cour de cassation (chambre mixte) Cass. Civ. ................................Cour de cassation (chambre civile) Cass. Com. ..............................Cour de cassation (chambre commerciale) Cass. Comm. rexamen Cour de cassation (commission de rexamen des dcisions pnales) Cass. Crim. .............................Cour de cassation (chambre criminelle) Cass. Req. ...............................Cour de cassation (chambre des requtes) Cass. sect. run. ......................Cour de cassation (arrt de sections runies) Cass. Soc.................................Cour de cassation (chambre sociale) CC...........................................Conseil constitutionnel CE ass .....................................Conseil dEtat (arrt dassemble) CE ...........................................Conseil d'Etat Cour EDH ...............................Cour europenne des droits de lhomme Conv. EDH............................. Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales CESDIP ................................ Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pnales Cf. ..........................................Confer Ch. run................................. Chambres runies

  • 8

    Ch...........................................Chambre Chron. ....................................Chronique CIJ.......................................... Cour internationale de justice CJCE..................................... .Cour de justice des communauts europennes CJR .........................................Cour de justice de la Rpublique COB .......................................Commission des oprations de bourse Com.........................................Commentaire Commission EDH...................Commission europenne des droits de lhomme Concl.......................................Conclusions Contra .....................................Contraire CSM........................................Conseil suprieur de la magistrature Dalloz......................................Recueil Dalloz DC...........................................Dcisisions du Conseil constitutionnel concernant la conformit la Constitution DDH........................................Dclaration des droits de lhomme DH...........................................Recueil Dalloz hebdomadaire Doct.........................................Doctrine DP. ..........................................Recueil Dalloz priodique DUDH.....................................Dclaration universelle des droits de lhomme Ed............................................Edition Fasc. .......................................Fascicule Gaz. Pal................................. Gazette du Palais Ibid..........................................(Ibidem) Au mme endroit In.............................................Dans Infra.........................................Ci-dessous JCP..........................................Juris-classeur priodique, dition gnrale J.O...........................................Journal officiel Juris.........................................Jurisprudence KGB........................................Komitet Gosudarstvennoy Bezopasnosti (Comit pour la scurit de lEtat) LGDJ.......................................Librairie gnrale de droit et de jurisprudence M.............................................Monsieur MM. ........................................Messieurs Mme........................................Madame N............................................Numro NKVD.....................................Narodnij Kommissariat Vnutrennykh Del (Commissariat du peuple aux affaires intrieures) Nouv. C. pr. civ.......................Nouve au Code de procdure civile Obs..........................................Observations ONU........................................Organisation des Nations unies Op. cit. ....................................Opere citato (dans louvrage cit) OPJ..........................................Officier de police judiciaire p. .............................................Page P . Journal du Palais PKK ........................................Parti des travailleurs du Kurdistan Prc. ........................................Prcit PUF...................................... ..Presses universitaires de France RDP ........................................Revue de droit public RDPC......................................Revue de droit pnal et de criminologie Rec. CC...................................Recueil des dcisions du Conseil constitutionnel

  • 9

    Rec. C.E. ................................Recueil des arrts du Conseil d'Etat Rec. Cons. Const. ...................Recueil des dcisions du Conseil constitutionnel Rp. Defrnois ........................Rpertoire du notariat Defrnois Requ........................................Requte RFDA......................................Revue. franaise de droit administratif RFDC......................................Revue. franaise de droit constitutionnel RGDP......................................Revue gnrale des procdures RICPT.....................................Revue. internationale de criminologie et de police technique RIDC.......................................Revue internationale de droit compar RIDP .......................................Revue. internationale de droit pnal RPDP ......................................Revue pnitentiaire et de droit pnal RRJ .........................................Revue de la recherche juridique RSC.........................................Revue de sciences criminelles et de droit pnal compar RTD civ ................................ Revue trimestrielle de droit civil RTD com. .............................. Revue trimestrielle de droit commercial RTDH .....................................Revue. trimestrielle des droits de lhomme S....................................... ..Recueil Sirey Som. com. ...............................Sommaire comment Som. ........................................Sommaire Suiv. ........................................Suivants/suivantes Supra....................................... Ci-dessus t. ..............................................Tome TC........................................... Tribunal des conflits TGI..........................................Tribunal de grande instance URSS ......................................Union des Rpubliques Socialistes Sovitiques Vol. .........................................Volume

  • 10

  • 11

    INTRODUCTION

    Enonc du sujet. Cette thse a pour sujet le caractre public du procs pnal . Il convient

    donc de dfinir la mthodologie propre dterminer un caractre, prciser ce que nous

    entendons par procs pnal, et spcifier, pour ce dernier, la nature exacte de son caractre

    public.

    Caractre. Sinterroger sur le caractre de la justice pnale cest, rapidement, tenter de cerner

    sa nature profonde. Est-elle une chose inanime soumise au modelage du lgislateur et des

    praticiens ? Ou alors un organisme vivant, sadaptant sans cesse son environnement, mais

    voluant selon des rgles intangibles ? Dans le premier cas, son caractre sera une marque

    distinctive , qui en notera la nature fondamentale ou nen donnera quun aspect

    particulier 2. Dans le second, ce sera l ensemble des traits permanents qui composent sa

    personnalit, sa physionomie psychologique et morale 3 , si tant est que nous puissions

    appliquer de telles considrations non pas un individu mais une procdure. Objet ?

    Organisme vivant ? Quimporte en ralit. Prvaut la durabilit de lessence, les traits

    distinctifs qui demeurent au fil des millnaires. Certes, il y a parfois des parenthses, et les

    caractristiques qui vont retenir notre attention ne furent pas toujours apparentes. Elles nen

    demeurent pas moins ; telles ces matires que lon peut tordre en tous sens mais qui, une fois

    la contrainte leve, finissent toujours pas reprendre leur forme originale.

    La publicit est lme de la justice disait Jrmie Bentham4. Cette conviction, anglaise,

    coutumire, et utilitariste, rejoint lanalyse kantienne : Si je fais alors abstraction de toute

    matire du droit, il me reste encore une forme qui lui est essentielle, celle de la publicit. Sans

    elle, il nest point de justice, puisquon ne saurait la concevoir, que comme pouvant tre rendue

    publique ; sans elle il ny aurait pas non plus de droit, puisquil ne se fonde que sur la justice.

    Chaque prtention juridique doit pouvoir tre rendue publique ; et comme il est trs ais de

    juger dans chaque cas si les principes de celui qui agit supporteraient la publicit, cette 2 Grand Larousse de la langue franaise. t. 1, Paris, Larousse, 1971, p. 593. 3 Idem. 4 BENTHAM Jrmie, Trait des preuves judiciaires, Paris, Bossange, 1823, p. 146.

  • 12

    possibilit mme peut servir de criterium purement intellectuel, pour reconnatre, par la raison

    seule, linjustice dune prtention juridique 5. Emmanuel Kant ajoutait : Toutes les actions

    relatives au droit dautrui, dont la maxime nest pas susceptible de publicit sont injustes. Ce

    principe nest pas seulement moral et essentiel la doctrine de la vertu, il est aussi juridique et

    se rapporte galement au droit des hommes. Car une maxime que je nose publier, sans agir

    contre mes propres fins, qui exige absolument le secret pour russir, et que je ne saurais avouer

    publiquement, sans armer tous les autres contre mon projet : une telle maxime ne peut devoir

    qu linjustice dont elle menace cette opposition infaillible et universelle, dont la raison

    prvoit la ncessit absolue 6.

    Procs pnal. Nous entendrons par procs pnal, selon la dfinition de M. le Professeur

    Fourment, lensemble des rgles qui rgissent la raction sociale, de la commission dune

    infraction pnale [] lapplication de la peine aprs jugement et exercice ventuel des

    voies de recours 7.

    Public. Ladjectif public peut sentendre de plusieurs manires : il peut sagir dun objet

    relatif tout un peuple, commun tous, accessible tous, appartenant tous, connu de tous

    Ces diffrences de sens contemporaines ont la mme source : ladjectif latin publicus, la

    langue stant forme en mme temps que la rgle de droit.

    Retraant la vie de Jules Csar, Sutone notait quil habita dabord une assez modeste

    maison dans Subure, mais quand il fut nomm grand pontife, il eut pour demeure un btiment

    de lEtat, sur la voie sacre 8. Lauteur utilise le terme domo publica , pour dsigner

    lhabitation de Csar. Le traducteur a utilis le terme de lEtat . Or, videmment, il

    sagissait l de son domicile priv, dont lentre tait interdite au commun, le terme publica

    servant ici dsigner le fait que cette demeure avait t paye par largent de limpt.

    Sutone, toujours, utilise le mme adjectif pour dsigner des documents qui ont vocation

    tre consults par tous. Dans son Nron, cest le sens donner Fastes et actes publics9.

    5 KANT Emmanuel, Projet de paix perptuelle, Knisberg, Nicolovius, 1796, pp. 99-100. 6 Ibid., pp. 100-101. 7 FOURMENT Franois, Procdure pnale, 11e d., Orlans, Paradigme, 2011, p. 1. 8 Habitativit primo in Subura modicis aedibus : post autem pontificatum maximum in Sacra via domo publica : SUETONE, Caus Julius Csar , in uvres compltes, trad. Nisard, Paris, Dubochet, 1845, p. 17. 9 Sic enim in fastos actaque publica relatum est ; Cest du moins ce qui est consign dans les Fastes et dans les actes publics : Ibid., Tibre Nron , p. 77.

  • 13

    Le caractre public dune action peut aussi provenir de son excution en prsence du peuple,

    de la foule. Pour rester avec Sutone : Ce sentiment fit excuser la vengeance ; et lempereur

    Dce, qui tait prsent, loua publiquement le courage et lhonntet de Claude 10.

    Lminent latiniste Gaffiot notait au sujet de ladjectif publicus : 1. Qui concerne le peuple,

    qui appartient lEtat, qui relve de lEtat, officiel [] 2. De proprit publique, dun usage

    public [] 3. Commun tous 11. Dans un sens potique, le terme pouvait aussi signifier

    ordinaire, banal, rebattu 12.

    M. le Professeur Cornu, dune manire contemporaine et en continuant de faire dcouler le

    sens du mot public de ladjectif latin publicus , distingue un sens potentiel comme

    [l]ensemble indfini des individus susceptibles dtre indistinctement admis dans un lieu ou

    exclus de ce lieu , cest--dire la population, ou comme [l]ensemble indfini des personnes

    qui peuvent tre touches par un moyen de diffusion 13, cest--dire les lecteurs, auditeurs,

    spectateurs, tlspectateurs. M. Cornu ajoute un sens oprationnel pour lequel le terme

    public doit sentendre de [l]ensemble dfini de personnes effectivement prsentes en un

    lieu donn un moment donn , ce qui renvoie lide dauditoire ou dassistance.

    La qualification de public applique un objet ou un lieu signifie donc, dabord, la

    possibilit, pour nimporte qui, dy avoir accs. Un chemin ou une route publique est

    emprunte par tous, de manire indfinie. Le caractre public de laudience judiciaire est

    dtermin, de la mme faon, par la possibilit offerte toute personne, sans distinction, de

    pntrer, de circuler et de se maintenir ou non dans lauditoire.

    Un btiment public , cependant, nest pas forcment ouvert au public. Ladjectif peut, ici,

    simplement renseigner sur lidentit de son propritaire, lEtat ou lune de ses subdivisions, et

    sur sa destination : abriter des services dont la tche relve de lintrt gnral.

    Le terme public peut aussi renvoyer des fonctions de reprsentation, telles quelles

    existaient sous lAncien rgime et qui ont perdur aprs la Rvolution.

    Cependant, cest dautre chose dont nous parlons lorsque nous abordons la publicit du

    procs pnal. Il sagit, alors, dune acception qui renvoie lide moderne despace public

    10 Quae res indulgentiam meruit pudore vindictae : siquidem tunc Decius imperator, quo praesente ferat perpetratum, et virtutem et verecondiam Claudii publice praedicavi : Ibid., Claude , p. 563. 11 GAFFIOT Flix, Dictionnaire Latin-Franais, Paris, Hachette, 1934, p. 1273. 12 Idem. 13 CORNU Grard, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2011, p. 822.

  • 14

    avec ses corollaires que sont le contrle et la critique. De ce point de vue, le procs pnal a

    davantage t un modle quune consquence du dveloppement dun tel espace14.

    Le caractre public du procs pnal sapprciera donc de deux manires : dune part, par la

    possibilit, pour le public, dtre tmoin du procs par le libre accs la salle daudience ;

    dautre part, par la possibilit offerte au public de recevoir des informations relatives aux

    procs pnaux.

    Permanence des traits distinctifs dans le temps. Deux scientifiques qui avaient, un jour,

    dcid de sintresser au caractre de la longvit des individus au sein dun village du sud-

    ouest de la France, avaient commenc, peine leurs travaux entrepris, par tudier la

    variabilit de lobjet de leur tude dune gnration lautre, sur une longue priode15, en

    lespce plus de deux sicles. Le caractre nest pas seulement ce qui fait lidentit de

    lindividu, il est aussi ce qui se transmet, et se reconnat, dans la dure. De la dfinition

    dcoule la mthodologie. Nous interroger sur le caractre dun objet juridique nous a amen

    situer notre tude dans une priode de temps suffisamment longue pour observer la

    permanence de certains traits distinctifs. Cette dernire est un indice permettant de soutenir

    lhypothse de la prsence dun caractre , en tant qulment distinctif et original. Son

    absence temporaire peut dailleurs tre tout aussi rvlateur, lorsque, rprim, dform,

    contraint, le caractre, ressurgit dans la plnitude de ses traits dominants la faveur de la

    premire occasion. Si, souvent dans les matires juridiques, la dimension historique du sujet

    est dfinitivement traite dans lintroduction du travail de thse, tel ne sera pas le cas ici, o le

    rapport particulier quentretient notre sujet avec lcoulement du temps nous a sembl

    commander une mise en perspective historique rgulire tout au long des dveloppements.

    Cette option mthodologique sest trouve renforce lorsque nous nous sommes aperus que

    certains choix, effectus parfois voici fort longtemps, lavaient t sous la pression des

    contingences techniques de lpoque. Revenir lide initiale, l o nos contemporains ne

    voient, souvent, plus que lapplication de normes juridiques issues dune transmission

    plurisculaires, permet aussi de sinterroger sur ce que les auteurs de certaines de nos rgles

    actuelles auraient fait sils avaient eu disposition notre technologie moderne. Il ne fait pas de

    doute, par exemple, que les solutions procdurales proposes, au tournant des annes 1790,

    14 HABERMAS Jrgen, Lespace public, 17e dition, Paris, Payot, p. 14 : Le sujet de cette sphre publique est le public (Das Publikum) en tant que support dune opinion publique la fonction critique de laquelle se rfre la Publicit (Die Publizitt) , cest--dire peu de chose prs la publicit des dbats judiciaires . 15 BOCQUET-APPEL Jean-Pierre, JAKOBI Lucienne, La transmission familiale de la longvit Artez dAsson (1686-1899) , Population, n 2, 1991, p. 328.

  • 15

    par Le Peletier de Saint-Fargeau auraient eu un autre aspect si le dput de Paris avait connu

    la technologie numrique 16 . La rflexion sur lutilisation procdurale dune nouvelle

    technologie, ncessite de revenir aux principes, cest--dire au dbut17, ce qui commande, l

    encore, un clairage historique rgulier. Cette dmarche nous a galement conduit nous

    interroger sur la persistance et les variations du caractre dans lespace.

    Etude dans lespace. Bonfils comparait volontiers la procdure un art. Comme le critique

    face un tableau, ou le gologue au dessus dune terre inconnue, le juriste doit puiser dans ses

    connaissances pour essayer de dcouvrir quelles forces caches ont pu produire une norme

    juridique. Les principes sont parfois enfouis et invisibles, mais leur caractre apparat qui

    parvient les distinguer. Bonfils crivait quils constituent lessence mme de la procdure,

    sa substance intime et profonde [] Ils se manifestent implicitement dans les textes de la loi

    crite, comme certains gisement mtalliques se traduisent lil du gologue par la

    coloration extrieure du sol 18. La comparaison est une technique trs utile dans ce type

    dexercice, et il est toujours intressant dobserver de quelle manire une mme matire

    volue lorsquelle est mlange plusieurs substrats. Notre sujet ne relevant pas du droit

    compar, nous limiterons cependant le champ de ces comparaisons aux systmes juridiques

    qui sont entrs en interaction avec le ntre, le droit anglo-amricain arrivant au premier rang

    de cette catgorie pour lobjet de cette thse.

    Plan. Nous montrerons dabord comment la publicit se confond historiquement avec lide

    mme de procs pnal (section 1), avant dobserver de quelle manire le principe de la

    publicit du procs pnal, affirm par les textes rvolutionnaires, sest inscrit depuis 1789

    dans nos constitutions ou/et lois (section 2).

    16 Il naurait pas t oblig dinventer une fonction de tmoins des actes dinstruction dvolus des citoyens muets et soumis au secret mais aurait sans doute impos la vido dans le bureau du juge. 17 Ce mot est driv du latin principium, qui signifiait commencement, fondement origine . Grand Larousse de la langue franaise, vol. 5, op. cit., p. 4630. 18 BONFILS Henri, Trait lmentaire dorganisation judiciaire de comptence et de procdure, 3e dition, LGDJ, Paris, 1901, p. VII.

  • 16

    Section 1. Une publicit qui se confond historiquement avec lide mme de procs pnal

    Droit Hbraque antique. Ltude du droit hbraque ancien se heurte deux obstacles

    dimportance. Dune part, la dure de la priode considre, qui stend sur quatorze sicles

    (environ du XIIIe s. avant Jsus-Christ au Ier s. aprs J.C) et a connu des variations procdurales

    importantes en matire pnale. Dautre part, la raret du matriau exploitable par lhistorien :

    Lpigraphie hbraque ancienne na pas fourni ce jour de pices juridiques, ni de comptes

    rendus de procs, vraisemblablement parce que ceux-ci taient rdigs sur papyrus et que

    celui-ci na que trs peu de chance dtre conserv dans le climat de la plus grande partie de la

    Palestine, sauf dans la zone dsertique et dans des grottes note M. Andr Lemaire19, qui

    explique quhormis les textes en grec de deux auteurs juifs, lhistorien Flavius Josephe (n en

    37 ap. J.-C., mort en 100) et le philosophe Philon dAlexandrie (n aux alentours de -12 av. J.-

    C. et mort en 54), la tradition biblique demeure la source principale de la priode. Pour notre

    sujet, nous nous limiterons lAncien testament20 en raison de linfluence de celui-ci sur la

    formation de notre droit21, mais aussi de sa valeur juridique normative jusqu une priode

    relativement rcente22. Soumise des variations selon les poques, la procdure pnale dcrite y

    est toujours clairement accusatoire. Laccus se prsente libre devant ses juges23. Il est prsum

    innocent24. Il a pu se prparer avec un conseil, mais doit se dfendre seul au cours dune

    audience entirement gouverne par les principes du contradictoire et de loralit25. Le principe

    thocratique est omniprsent. Si la peine est applique, cest par dlgation divine. Comparatre

    en justice, cest se prsenter devant Dieu26.

    Toute la procdure criminelle de Mose [] se rduisent ces mots : publicit des dbats,

    libert laisse laccus, garantie contre le danger du tmoignage , note Salvador27.

    19 LEMAIRE Andr, La peine en droit hbraque antique , in La peine, Recueils de la socit Jean Bodin pour lhistoire comparative des institutions , Congrs 23, Barcelone, premire partie, antiquit, d. De Boeck universit, 1991, pp. 51-76. M. Lemaire, est directeur dtudes lEcole pratique des hautes tudes, o il enseigne lpigraphie hbraque et aramenne. 20 Cest--dire le Pentateuque (Torah), les Livres des Prophtes (Neviim) et les autres Livres (Ketouvim). 21 Il faut se souvenir, pour apprcier le lien de la loi de Mose et du catholicisme, que Matthieu prsente Jsus comme venant non pas pour abroger mais pour accomplir la loi de Mose. Matthieu, V, 17. 22 En France, au dbut du XVIIIe s, on continuait ainsi condamner au bcher en citant des dispositions de la loi de Mose. 23 Deutronome, I, 16; XXV, 1. 24 Deutronome, XIII, 13 18 ; XVII, 2 5 ; XIX, 18. 25 Exode, XVIII, 15, 16; XXII, 1, 2 ; Deutronome XXV, 1, 7; Rois, III, 16 et s. Isae, XXIX, 21 26 Exode, XXI, 6; XXII, 28. 27 SALVADOR Joseph, Histoire des institutions de Mose et du peuple hbreu, 2e d., Bruxelles, Hauman, 1829, p. 58.

  • 17

    Cependant, force est de constater que la loi de Mose a pris soin de sparer nettement le pouvoir

    judiciaire du pouvoir religieux28. La fonction judiciaire est lective, et ce sont les suffrages des

    chefs de famille qui dsignent les juges dIsral29, qui se divisent en quatre catgories30. Seules

    des conditions dhonorabilit et de connaissance des lois sont requises31. La justice de Dieu

    sexerce par lintermdiaire des hommes, libres et dous de raison, et la rendre est un devoir.

    Tout comme est une obligation le fait de rvler des faits dlictueux si on en a t tmoin32. Les

    tribunaux tiennent audience en plein air, devant le peuple assembl, aux portes de la cit33.

    Lendroit nest pas rserv la seule justice ; cest aussi l que se ngocient les affaires et se

    forment, publiquement, les contrats. Cest par exemple en ce lieu quAbraham achte, devant

    les fils de Heth et tous ceux qui entraient par la porte de sa ville , un champ afin de

    donner une spulture Sara, son pouse34. La loi de Mose, surtout, insiste sur lgalit devant

    la loi35 et la ncessit absolue dune justice impartiale, rendue par des juges intgres36 : le juge

    doit tre impartial, et donc incorruptible , maudit soit celui qui viole la justice dans la cause

    de ltranger, de lorphelin et de la veuve. . La responsabilit pse aussi sur les paules de

    laccusateur, qui devra soutenir publiquement les poursuites. Cest souvent un tmoin, qui mne

    laccus devant le tribunal37, ou un membre de la famille de la victime38. Il sexpose, tout

    comme le faux tmoin, la loi du Talion en risquant, en cas de faux tmoignage ou de fausse

    accusation, de devoir payer ce quil a voulu faire perdre ou de se voir appliquer la peine quil a

    tent de faire prononcer39. Le ou les tmoins charge doivent galement commencer excuter

    la sentence, notamment en cas de mise mort40, en jetant la premire pierre. Le supplice est

    inflig non seulement en prsence du peuple, mais par le peuple lui-mme. La vengeance est

    publique, et la publicit du chtiment doit inspirer la crainte41. Mme si le grand Sanhdrin de

    Jrusalem pouvait connatre des affaires compliques, des dlits dopinion et de ceux qui se

    28 Exode, XVIII, 2-1. 29 Deutronome, I, 18; XVI, 18. 30 Les tribuns, les centurions, les cinquanteniers et les dizeniers : Exode, XVIII, 25; Deutronome, I, 15. 31 Deutronome, I, 19-22 32 Lvitique, V, 1, 5 et s. 33 Gense, XXIII, 10, 18; Deutronome, XVI, 18; XXI, 19; XXII, 15; XXV, 7; Rois, XIX, 8; Job, V, 4; Ruth, IV 1-11; Jrmie, Lamentations, V, 14. 34 Gense, XXIII, 10, 11. 35 Du citoyen comme de ltranger. Du riche comme du pauvre. De lhumble comme du puissant. Exode, XXIII, 9; XVIII, 25; Deutronome, I, 15-18 ; Lvitique, XIX, 15 et 33-34 ; XXIV, 22. 36 Deutronome, XVI, 19 ; XXVII, 25; Exode, XXIII, 2, 7 et 8. 37 Nombres, XXXV, 30 ; Exode, XXI, 6, 22 ; XXII, 89 ; Deutronome, XVII, 6. 38 Nombres, XXXV, 24 ; Josu, XX. 39 Deutronome, XIX, 18 et 19. Tu lui feras comme il avait dessein de faire son frre . 40 Deutronome, XVII, 5 et 7. La main des tmoins sera la premire sur lui ; ensuite la main de tout le peuple le lapidera . 41 Deutronome, XIII, 11; XIX, 20. Il faut punir, de manire quIsral le sache et tremble .

  • 18

    prtendaient prophtes42, lappel tait inconnu du point de vue formel. En revanche, un juge

    pouvait revenir sur son avis jusquau moment de lexcution de la sentence, et une forme de

    rvision existait au bnfice de laccus, sil dclarait avoir de nouvelles preuves. Par ailleurs,

    toute personne prsente dans lassistance pouvait empcher le supplice en dclarant avoir de

    nouveaux lments43. Laffaire tait alors rejuge.

    Droit de la Cit athnienne. Il nest gure pensable dvoquer la publicit du procs pnal,

    sans sarrter un instant sur lhistoire de la Grce antique. Nous limiterons notre propos la cit

    athnienne, dont lintrt pour la justice tait fort dvelopp44, et qui a servi de modle au droit

    romain. Notre propos couvrira une priode allant du VIIe s. avant J.-C., poque des premires

    lois crites de Dracon, jusqu 338 av. J.-C., date de la bataille perdue de Chrone contre

    Philippe de Macdoine, droute militaire qui signa la fin de lindpendance de la cit-Etat. Cest

    en 621 avant J.-C. que Dracon mit fin aux guerres prives incessantes entre clans en faisant

    merger un pouvoir judiciaire autonome45. Lexcessive rigueur des rgles draconiennes fut

    adoucie par Solon dont les rformes (594-593 av. J.-C.) furent prolonges par celles de

    Clisthne (508-507 av. J.-C.) et dEphialts (461 av. J.C.). Cette lente construction fit passer le

    pouvoir des mains de laristocratie celles du peuple. Elle aboutit au Ve sicle avant Jsus-

    Christ, et pour deux sicles, un rgime dmocratique caractris par une publicit sans

    prcdent donne aux processus de dcision46. Homre est le premier pote grec dont luvre

    nous soit parvenue. Datant du VIIIe s. avant J.-C., le deuxime chant de lIliade nous rapporte,

    dj, une dlibration publique : Ulysse sadressant la fois ses adversaires et au peuple runi

    sur lAgora 47 . Pareillement, le deuxime chant de lOdysse, met en scne un dbat

    contradictoire et public au sujet des droits lhritage dUlysse48.

    A Athnes, le dmos sexprime travers plusieurs assembles. Lassemble du peuple se

    nomme lEcclsia. Elle se rassemble dabord sur lAgora puis, partir de Clisthne, sur la

    colline de la Pnyx, face lAcropole49. LEcclsia a notamment linitiative des lois, lit les

    magistrats, dcide en matire de diplomatie et dimpts, juge souverainement les affaires les

    42 Jrmie, XXVI, 8 16. Cest ce tribunal qui entendra Jsus de Nazareth. 43 Daniel, XIII, 46, 47 et 49. 44 Le surnom dAthnes tait Dikaiapolis, la cit des procs . BONNET Christian, Athnes, PUF, coll. Que sais-je , 1997, p 38. 45 Ibid., p 16. 46 VERNANT Jean-Pierre, Les origines de la pense grecque, Paris, presses universitaires de France, 1997, p 67. 47 HOMERE, LIliade, II, 201-417, Paris, Flammarion, 1965, pp. 44-49. 48 HOMERE, LOdysse, II, 1-260, Paris, Firmin Didot, 1833, 423 pp 39-73 ; p. 39 : Tlmaque commande aux hrauts la voix sonore, de convoquer pour l'assemble les Grecs aux cheveux longs; les hrauts appellent les citoyens, qui se rassemblent promptement. 49 LEVEQUE Pierre, VIDAL-NAQUET Pierre, Clisthne l'Athnien, Paris, Macula, 1983, p 21.

  • 19

    plus graves et prononce la peine dostracisme condition, pour ce dernier point, que 6.000

    personnes au moins soient runies pour prendre cette dcision50. Elle juge cependant rarement

    et prend dordinaire un dcret pour renvoyer les affaires dnonces devant une autre juridiction.

    Il y a, en effet, Athnes pas moins de dix tribunaux qui rendent la justice51

    LAropage est le plus ancien des tribunaux dAthnes, que les orateurs ont pris lhabitude de

    nommer Le Snat 52 . Lassemble est compose par les anciens archontes qui avaient

    dignement remplis leurs fonctions. Ils demeurent Aropagites jusqu leur mort. Le corps se

    renouvelle trs lentement, et semble suivre des rites et un vieux droit coutumier53 antrieur

    Dracon54. Compos dhommes qui sigeaient, pour la plupart, depuis de longues annes

    dj, sur les bancs du tribunal, ils ntaient pas dupes [] de ce que nous appelons les effets

    daudience 55. Il fallait y prononcer des serments accompagns dimprcations extraordinaires,

    inconnus des autres juridictions56, au milieu des restes consacrs de bliers, de porcs et de

    taureaux. A sa cration, lAropage avait la connaissance de tous les crimes, mais son origine

    aristocratique et son indpendance le firent entrer en conflit avec le peuple. Ses comptences

    sen trouvrent restreintes, partir de Pricls, aux assassinats, empoisonnements, incendies et

    quelques crimes passibles de la peine de mort57. Comme pour tous les tribunaux athniens,

    lacte daccusation58, les formalits prparatoires59 et les dbats ont lieu publiquement60. Les

    dlibrations, cependant, sont secrtes. Dmosthne dcrit lassemble en train de dlibrer, une

    corde la sparant du public61.

    Cest cependant lHlie, le tribunal populaire dAthnes, qui possde le plus grand pouvoir.

    Compose de 6.000 citoyens dont les noms sont tirs au sort chaque anne, la juridiction sige

    50 BONNET, ibid., p 33-34. 51 CUCHEVAL Victor, Etude sur les tribunaux athniens et les plaidoyers civils de Dmosthne, Paris, Durand, 1863, p. 23. 52 DUGIT Ernest, Etude sur l'Aropage athnien, Paris, Thorin, 1867, p. 15. 53 DINARQUE, Accusation contre Dmosthne, in Orateurs et sophistes grecs, Paris, Charpentier, 1842, p. 473. 54 PERROT Georges, Essai sur le droit public et priv de la rpublique athnienne, p 200, Paris, Thorin, 1867, 343 p. 55 Ibid., pp 201-202. 56 DEMOSTHENE, Contre Aristocrate, I. 57 HELIE Faustin, Trait de linstruction criminelle, 2e d., t. 1, Paris, Plon, 1866, p. 12. 58 Lassignation ou la plainte est affiche devant le tribunal o laffaire doit tre juge. Contre Thocrine, Contre Midias. 59 Par exemple, les plaideurs devaient, de manire pralable, consigner une somme dargent et le dpt se fait publiquement. Contre Evergos. 60 Nous ne citerons ici que quelques exemples des textes qui nous sont parvenus, tant ils sont nombreux montrer la prsence du public lors de laudience de jugement de lAropage. LYCURGUE, Plaidoyer contre Isocrate, pp. 389-444 ; ANTIPHON, Plaidoyer sur le meurtre dHrode, pp. 19-42 ; LYSIAS, Plaidoyer sur le meurtre dEratosthne, pp. 113-122, in Orateurs et sophistes grecs, Paris, Charpentier, 1842, 537 p. Souvent, les orateurs sadressent directement la foule. Par exemple, Epichars la fin de son plaidoyer contre Thocrine. 61 DEMOSTHENE, Premire harangue , in uvres compltes de Dmosthne et d'Eschine, t. 4, Paris, Belin, 1804, p. 376.

  • 20

    dordinaire dans une composition runissant 500 personnes. Il nest cependant pas rare que

    certains procs se droulent devant 1.500 ou 2.000 membres, voire en assemble plnire

    runissant 6.000 personnes. Mme si les juges de lHliaste recoivent un ddommagement

    financier, le tribunal est principalement compos de personnes ayant les moyens de ne pas

    travailler et passer leur journe siger. Linstitution entre en dcadence partir du moment o

    la prsence des jurs est rmunre. Lacte de juger devient alors une forme indirecte daide

    sociale pour la partie la plus impcunieuse de la socit, ds lors prompte soulever des procs

    tout propos afin daugmenter ses revenus62. La procdure y est accusatoire. Laccusateur et

    laccus y prennent successivement la parole. Il ny a pas davocat.

    Pour Faustin Hlie, trois grands principes dominent et dirigent laction de la procdure

    pnale athnienne : cest la publicit imprime tous ses actes, cest le droit daccusation

    confr tous les membres de la cit, cest enfin le droit des citoyens de siger comme juges et

    de participer la distribution de la justice 63. A la diffrence des Hbreux, le serment et la

    torture des fins judiciaires existent chez les Grecs. La torture sapplique principalement aux

    esclaves, qui ne peuvent pas prter serment. Cest ce quon peut ainsi lire sous la plume de

    Dmosthne, rapportant le procs contre Timothe. Les crits des philosophes grecs voquant,

    et souvent justifiant, la torture sont nombreux. Acte dinstruction, la torture releve du principe

    du contradictoire et de celui de la publicit. Antiphon (vers - 480 av. J.-C., - 410 av. J.-C.) ,

    dans le plaidoyer crit pour dfendre Hlos de Mytilne de laccusation de meurtre, voque

    cette rgle dont on comprend, cependant, quelle nest pas suivie strictement : Le deuxime

    esclave a t mis la torture plusieurs jours seulement aprs le premier [] Ignorez-vous que

    ceux qui dirigent la question disposent de lesclave quon interroge et le font parler leur gr ?

    Et combien lavantage est plus grand pour eux lorsque la scne se passe loin de celui contre

    lequel on dpose ! Si jeusse t l, jaurais dit lesclave, tu mens ! et, en ordonnant de

    prolonger la torture, je lui aurais fait rtracter ses calomnies. Mais, nos adversaires se

    trouvaient seuls matres de la question, seuls arbitres de leurs propres intrts. 64

    Droit romain. Selon lhistoire lgendaire de Rome, Romulus jugeait lui-mme les grands

    crimes65 et renvoyait les autres au Snat. Tarquin-le-Superbe66 statuait seul dans les affaires

    62 Pour une critique de cette dviance : ARISTOPHANE, Les gupes, trad. Poyard, Paris, Hachette, 1865, p. 162. 63 HELIE Faustin, Trait de linstruction criminelle, t. 1, 2e d., Paris, Plon, 1866, p. 21. 64 ANTIPHON, Plaidoyer sur le meurtre dHrode, in Orateurs et sophistes grecs, Paris, Charpentier, 1842, p. 28. 65 Son rgne dura de 753 716 av. J.-C.

  • 21

    criminelles, sans prendre lavis de personne67. Horace fut jug par deux citoyens nomms par

    Tullus Hostilius68, et il lui fut permis de faire appel devant le peuple de la sentence : Le roi,

    craignant dassumer sur sa tte la responsabilit du jugement, dont la rigueur soulverait la

    multitude ; craignant plus encore de provoquer le supplice qui suivrait le jugement, convoque

    lassemble du peuple 69. Ce pouvoir suprme des rois en matire judiciaire passe aux

    consuls aprs lexpulsion des Tarquin70 conscutive au meurtre de Lucrce. Brutus en use

    pour condamner mort ses deux fils. Ltablissement de la Rpublique se concrtise, peu

    aprs, par la prise de pouvoir du peuple en matire judiciaire, mais aussi par la suprmatie de

    la loi, produit de la volont de tous, sur le pouvoir dun seul71.

    La Lex Valeria de provocatione, en 509 av. J.-C.72, du consul Valerius Publicola, pose le

    principe du droit dappel, devant le peuple, dune dcision dun magistrat ou dun consul.

    La loi des douze tables, Lex Duodecim Tabularum, premier corps de loi crite de la Rome

    antique, fonde, sous la pression des plbiens, le droit de la Rpublique romaine. Sa rdaction,

    entre 45173 et 449 av. J.-C., est luvre de deux collges successifs de dix dcemvirs. Graves

    dans le bronze et affiches sur le forum romanum, les douze tables sinspirent clairement de

    lhritage grec puisque, selon Tite-Live, les premiers travaux ayant men leur formation ont

    consist envoyer Athnes, en 453 av. J.-C., trois reprsentants chargs de recueillir les lois

    de Solon74. Reprenant lessence de la philosophie grecque, les Romains tablissent alors une

    procdure dont les grands traits sont parvenus jusqu nous.

    Laction judiciaire, pour prosprer, ncessite un corps du dlit certain. Chez les Athniens,

    elle dbutait par une requte faite au roi par un particulier. Aprs les douze tables, cest le 66 Son rgne dura de 535 509 av. J.-C. 67 TITE-LIVE, uvres de Tite-Live (Histoire romaine), trad. Nisard, Paris, Dubochet, 1864, I, 49.- Romulus apparat parfois comme un modrateur, cherchant garder la concorde en vitant les excs de la vengeance prive. 68 Le rgne de Tullius Hostilius dura de 672 641 av. J.-C. 69 TITE-LIVE, op. cit., II, 26. 70 TITE-LIVE, op. cit., II, 5. Le dpart de Tarquin le Superbe marque la fin de la priode royale en 509 av. J.-C. 71 TITE-LIVE, op. cit., II, 1 : Je vais raconter maintenant ce que le peuple romain, dsormais libre, fit tant dans la paix que dans la guerre ; je dirai ltablissement de ses magistrats annuels, et lempire des lois, plus puissant que celui des hommes 72 Lanne de la mort de Brutus, Rome craignait alors que Publius Valerius, dsormais seul consul, ne rtablisse la royaut. Il organisa les obsques de Brutus et en profita pour raffirmer le principe de la souverainet populaire : [Valerius Publicus] convoque lassemble du peuple ; puis ayant fait abaisser les faisceaux, il monte la tribune. Ce fut un spectacle bien doux pour la multitude, que de voir les insignes du pouvoir souverain abaisss devant elle, puisque ctait avouer que la majest et la puissance du peuple taient suprieures celles du consul : TITE-LIVE, op. cit, II, 7.- Il fit de mme en reconnaissant la suprmatie du peuple en matire judiciaire. Ds lors, il ne fut plus Publius Valerius, mais devint Publicola : Les lois quil proposa ensuite [] le rendirent populaire, et cest elles quil dut son surnom de publicola. Celles, entre autres, qui autorisaient les citoyens en appeler au peuple de la sentence dun magistrat [] furent particulirement agrables la multitude : TITE-LIVE, op. cit., II, 8. 73 TITE-LIVE, op. cit., III, 33 et 34. 74 TITE-LIVE, Histoire romaine, Liv. III, 31.

  • 22

    prteur, magistrat du corps snatorial dsormais charg de la fonction judiciaire

    prcdemment exerce par le consul, qui reoit les requtes accusatrices75. Par un premier

    examen, il doit se prononcer sur la recevabilit de laction, notamment au regard de la

    situation juridique de laccusateur et de laccus. Ceci fait, il autorise le dpt, entre les mains

    du greffier, du libelle daccusation et donne la permission dassigner la partie accuse.

    Laccusation publique, faite par un magistrat, se droule la tribune des harangues, devant le

    peuple assembl76. Le magistrat77 y exprime son intention de poursuivre une personne un jour

    donn, et donne lordre cette dernire de comparatre laudience ainsi fixe. Si laccus ne

    se prsente pas, lusage consiste le sommer de le faire par un hraut qui fait sonner une

    trompette devant sa maison, dans et autour de la ville. Cette premire audience, que nous

    qualifierions aujourdhui daccusation, est destine constater le chef daccusation en

    prsence de laccus78. Ce dernier se trouve sur la tribune, mal habill79. Le dfendeur peut

    exciper de moyens juridiques fonds sur des fins de non-recevoir pour arrter la procdure. Il

    peut aussi plaider coupable et la peine est alors prononce sur le champ. Cependant, si sa

    dfense consiste en une ngation des accusations portes, le prteur renvoie laffaire

    laudience du fond en laissant le temps laccus de prparer sa dfense. Laccusation est

    alors publie par un dcret affich pendant trois jours de march. Ds lors, laccus ne parat

    plus en public quen mauvais habit et bnficie du secours de dfenseurs, gnralement au

    nombre de quatre80.

    Chez les Romains, laccusation publique est possible pour les crimes de parricide, de lse-

    majest, de concussion, de pculat, de conjuration ainsi que pour les crimes militaires.

    La justice se rend sous le contrle du peuple et des dieux. Il suffit quun clair luise dans le

    ciel pour que la Lex Aelia et Fusia sapplique, et que les dbats soient renvoys un autre jour.

    Le fait quun membre de lassistance soit pris dune crise dpilepsie produit le mme effet81.

    75 Lmergence du prteur, qui choit le pouvoir judiciaire, caractrise la division du pouvoir consulaire. Ds lors, les consuls soccuperont exclusivement des affaires publiques et de la conduite des guerres. 76 Laccusation pouvait tre soutenue par tout citoyen romain, mais ctait rarement le cas, car la fonction daccusateur tait honteuse, sauf dans des cas trs particuliers comme la sauvegarde de la Rpublique ou la dfense de son pre : CICERON, De officiis, II, 14. 77 Laccusateur public se nommait Quadruplatores, sans que lon sache do vient ce nom. Certains soutenaient quil percevait titre de salaire le quart des effets du criminel : CICERON, Plaidoyer contre Verrs, II, 8 et 9. 78 Laccusation devait tre ritre trois fois, un jour dintervalle chaque fois, en motivant les poursuites par la prsentation publique des lments charge. 79 Semble-t-il pour attirer la compassion : TITE-LIVE, op. cit., II, 61. 80 Qui correspondaient, selon Asconius, quatre fonctions distinctes : les patroni, qui plaidaient la cause ; les advocati, qui prodiguaient des conseils laccus ; les procuratores, qui effectuaient des actes en labsence de laccus ; les cognitores, qui dfendaient la cause lorsque la personne tait prsente : ASCONIUS, In divin in coecil, 4. 81 ADAM Alexander, Antiquits romaines, vol. 1, Paris, Verdire, 1818, p. 133.

  • 23

    La manire de faire les lois et de juger est la mme pour les comices. Le peuple est rassembl

    sur le champ-de-mars et le prteur prend place, face lui, sur une chaise curule place sur une

    tribune82. Cette dernire est, lorigine, en bois, de forme carre, et peut se dplacer dun

    endroit un autre. Le prteur est revtu de la robe prtexte et se tient derrire une pe et une

    lance dresses symboliquement devant lui. Par la suite, des salles daudiences sont construites

    autour du forum. Elles prennent le nom de basilicae.

    Sil sagit dtablir une nouvelle loi, son texte est lu publiquement et les personnes prsentes

    peuvent parler pour ou contre83. La procdure est identique sil sagit de prononcer une peine

    contre un citoyen romain. Lomnium rogationum dsigne la procdure par laquelle il est fait

    appel au peuple pour trancher une affaire judiciaire, adopter une dcision ou dsigner une

    personne pour une charge84. Les citoyens romains donnent dabord leur avis de vive voix85,

    mais ce mode de participation volue, avec le temps, vers un suffrage secret, par bulletin86. La

    loi gabinienne admet dabord cette faon de procder pour quelques cas 87 , puis la loi

    cassienne limpose au jugement de toutes les affaires, hors le cas de trahison88, avant que la

    loi caelienne ltende mme ce dernier cas89.

    Si un particulier est accus dun crime capital, il ne peut tre jug que par une assemble

    populaire, les comices centuries90. Les affaires capitales sont celles dont la sanction porte

    atteinte la vie ou la libert dun citoyen91. La peine de mort ne peut tre prononce

    quaprs avoir pris lavis du peuple tout entier, runi publiquement en comitia centuriata.

    Pour ces affaires, le peuple est appel au comice par le son dune trompette92. Latteinte au

    corps dun citoyen romain, ncessite, de mme, une intervention populaire. Aucun magistrat

    na le pouvoir de le faire mettre mort ou de lui infliger une punition corporelle. Il suffit de

    dclarer Je suis un citoyen romain , pour arrter lexcution dune telle mesure prononce

    par un magistrat, et mettre en uvre lappel lavis populaire93.

    82 Pro tribunali, ce qui donnera le terme tribunal . 83 TITE-LIVE, op. cit., XL, 21. 84 TITE-LIVE, op. cit., XXXI, 7.- CICERON, De Legibus, II, 4. 85 TITE-LIVE, op. cit., XXIV, 8 et 9. 86 En fait, il sagissait de tablettes, chaque citoyen en avait trois : la premire sur laquelle tat grave la lettre A (non coupable), la deuxime la lettre C (coupable), la troisime N.L. (ncessit dun plus ample informer), la cause tait alors renvoye une autre audience. 87 CICERON, De amicitia, 12. 88 CICERON, Brutus, 25 et 27. 89 CICERON, De legibus, III, 16. 90 TITE LIVE, op. cit., IV, 41. Le comice centuries runissait les diffrentes tribus pour les affaires les plus graves. Une procdure similaire existait aussi au sein de chaque tribu, pour statuer sur des peines damende. 91 TITE LIVE, op. cit. II, 35.- Parfois des affaires civiles taient aussi qualifies de capitales, lorsque la rputation de lindividu tait en cause : CICERON, Pro Quintus, 9 13. 92 SENEQUE, De Ira, I, 16. 93 TITE LIVE, op. cit., XXIX, 8.

  • 24

    Les affaires de moindre importance peuvent, cependant, tre juges directement par le prteur,

    tandis que plusieurs sortes de juges94 peuvent tre dsigns pour exercer, par dlgation, le

    pouvoir populaire pour trancher des affaires simples. Il nest gure possible, en effet, de runir

    le peuple tout propos. Des commissaires, les questiones, sont investis du pouvoir de juger

    certains crimes95. Leur autorit est limite une seule affaire et cesse avec celle-ci. Ces

    commissaires sont ordinairement des magistrats, mais peuvent aussi tre de simples

    particuliers. Par la suite, la dcision est adopte de nommer des tribunaux permanents, les

    questiones perpetuae, composs de membres spcialiss96, pour statuer sur les infractions

    communes. Les prteurs qui, lorigine, ne tranchaient que des contentieux de nature civile,

    sont galement chargs de statuer en matire criminelle. Ds lors, le peuple nintervient plus

    que pour les affaires extraordinaires et dans les cas dappel pour les affaires les plus graves.

    Les audiences sont publiques et les avocats plaident deux fois : lune brivement, puis de

    manire plus dveloppe. Une loi de Pompe, inspir par la lgislation grecque, limite leur

    intervention une heure, cest--dire la dure dcoulement dun clepsydre, une horloge

    eau97. A partir de lEmpire, il est courant de voir des avocats dplacer leur claque, cest--dire

    payer des spectateurs qui les suivent dun procs lautre et, comme pour les missions de

    tlvision moderne, applaudissent lorsquun signal leur indique de le faire98.

    Lappelatio, cest--dire lappel est possible dun juge infrieur un juge suprieur, voire

    dun magistrat un autre99. Le terme provocatio dsigne, lorigine, lappel au peuple des

    jugements criminels. La fin de la Rpublique se caractrise cependant par la fin de cet appel et

    la substitution de lempereur au peuple pour statuer en dernier ressort dans les cas criminels100.

    Rsumant la procdure criminelle du droit romain, Faustin Hlie crivait : Trois principes

    dominent tout le systme des jugements criminels : la publicit de la procdure, la

    participation des citoyens au jugement et le droit daccusation confr chacun des membres

    de la cit. Ce sont ces trois rgles que la lgislation grecque nous a dj prsentes, mais

    94 Selon lobjet du contentieux : judex, arbiter, recuperatores, cemtuviri etc. 95 Ils furent nomms, selon les poques, par les rois, le peuple voire le Snat. Lusage voulait quils ne le soient jamais par les prteurs, mme si quelques exceptions existent comme le procs de Rabirius : SUETONE, Csar, 12. 96 Lusage ancien tait de choisir les juges dans le corps des snateurs, puis ils furent pris dans lordre questre. Les diffrentes lois dsignrent ensuite lun et lautre corps pour fournir le contingent des juges. Diffrentes restrictions furent dictes selon les lgislateurs. Pompe, par exemple, ordonna de ne choisir les juges que parmi les citoyens les plus riches. Les juges taient diviss en dcuries, chaque dcurie tant comptente pour un type dinfractions. La division se faisait en fonction de la richesse des juges. Les plus riches jugeaient les affaires les plus importantes. 97 CICERON, De Oratore, III, 34. 98 PLINE, Lettres, II, 14. 99 TITE-LIVE, op. cit., III, 56. 100 SUETONE, Auguste, 33.

  • 25

    revtues de formes diffrentes, qui constituent le caractre distinctif et spciale de la

    procdure romaine : toutes les autres dispositions ne sont que secondaires, ou viennent se

    confondre dans celles-ci. La publicit, consquence directe des institutions populaires de

    Rome embrassait la procdure toute entire ; elle clairait les formules de laccusation et les

    actes de lenqute, et mme les premires investigations destines recueillir les traces des

    crimes ; toutes les dmarches de laccusation taient contradictoires ; laccus ne procdait

    que face laccus ou de ses dfenseurs ; les tmoins ntaient entendus quen prsence des

    deux parties ; enfin laudience se tenait sur la place publique. Jamais le principe de la

    publicit neut une application plus complte et plus absolue. 101

    La publicit du procs pnal sous lAncien rgime. Nous reviendrons longuement, au cours

    de nos dveloppements sur la manire dont la publicit a disparu du procs criminel la fin de

    lAncien rgime. Cette volution nous intresse particulirement pour plusieurs raisons : tout

    dabord, elle montre le lien troit entre publicit et droits de la dfense. Ensuite, la publicit a

    disparu graduellement, et non sans difficult parfois, et comme elle avait accompagn

    lmergence de lide dmocratique en Grce et Rome, son extinction accompagna, dans la

    France de lAncien rgime, lmergence dun pouvoir royal absolu. Elle ne disparut, toutefois,

    jamais tout fait. Certaines phases du procs pnal demeurrent publiques, nous pensons

    principalement celle de lexcution de la peine. Elle resta, galement, largement en vigueur

    pour la justice pnale ordinaire et la procdure civile. De ce point de vue, ltude de la

    procdure de lAncien rgime devra tre tudie selon deux axes puisque les principes de

    1789, qui sont toujours en vigueur actuellement en la matire, sont la fois une continuit et

    une rupture. Continuit, dabord, parce que les faons de procder et le vocabulaire mme

    pour ce qui est relatif la publicit, sont directement inspirs par la procdure publique

    dAncien rgime, notamment en matire civile. Rupture, ensuite, parce que, bien souvent en

    matire pnale, le lgislateur rvolutionnaire a entendu prendre le contrepied de la procdure

    existante pour signifier, travers la manire dont tait rendue la justice, lavnement dun

    changement profond de rgime. Lide tait dsormais, sagissant de sadresser ce nouveau

    rgime politique : dis moi ce que tu montres en matire judiciaire, je te dirai qui tu es.

    101 HELIE Faustin, Trait de linstruction criminelle, vol. 1, 2e d., Paris, Plon, 1845, pp. 103 et 104.

  • 26

    Section 2. La publicit du procs pnal depuis 1789

    La constitution de 1791. Larticle 9, du chapitre V consacr au pouvoir judiciaire de la

    Constitution du 3 septembre 1791 nonce pour les juridictions criminelles que

    linstruction y sera publique .

    La constitution de 1793. La Constitution du 24 juin 1793 prvoit, ses articles 91 et 92, la

    publicit des dbats, des dlibrations et des dcisions de certaines juridictions.

    La constitution de 1795. La Constitution du 5 fructidor An III ( 22 aot 1795) affirme, dans

    son article 208, que les sances des tribunaux sont publiques, les juges dlibrent en secret,

    les jugements sont prononcs haute voix .

    La constitution de 1799. Les dispositions constitutionnelles relatives la publicit des

    audiences judiciaires disparaissent avec le Consulat. La constitution du 22 frimaire an VIII

    (13 dcembre 1799) organise le retour de la mise au secret judiciaire102, tout en prcisant que

    tous ceux, qui mme dans les cas de larrestation autorise par la loi, recevront ou

    retiendront la personne arrte, dans un lieu de dtention non publiquement et lgalement

    dsign comme tel [] seront coupables du crime de dtention arbitraire. 103

    La constitution de 1802. La constitution du 16 thermidor an X (4 aot 1802), constitue de

    larrt des Consuls du 20 floral an X, et des snatus-consultes du 14 et du 16 thermidor an

    X, proclame le consulat vie et rtablit linstitution du droit de grce au profit du premier

    consul, mais ne contient plus aucune disposition protectrice des liberts individuelles. Le

    ministre de la Justice prside le Tribunal de cassation et les tribunaux dappel, quand le

    Gouvernement le juge convenable. 104. Le Tribunal de cassation prsid par lui [le

    ministre de la Justice] a droit de censure et de discipline sur les tribunaux dappel et les

    tribunaux criminels ; il peut, pour cause grave, suspendre les juges de leurs fonctions 105.

    Les commissaires du gouvernement prs le Tribunal de cassation surveillent les 102 Art. 80. 103 Art. 81. 104 Art. 80. 105 Art. 82.

  • 27

    commissaires prs les tribunaux dappels et les tribunaux criminels. 106 Le principe

    rvolutionnaire du contrle populaire de laction judiciaire a t totalement effac. La

    fonction de contrle nappartient plus qu un corps de magistrats, soigneusement hirarchis

    et plac sous lautorit et la surveillance du ministre de la Justice.

    La constitution de 1804. La constitution du 28 floral an XII (18 mai 1804) tablissant

    lEmpire nvoque toujours pas la protection des liberts individuelles dans son titre relatif

    lordre judiciaire, relgue en fin de texte. En revanche, la garantie de dbats et dun jugement

    rendus en public est proclame pour la procdure devant la Haute-cour impriale institue

    pour juger les dignitaires du rgime107. Il est noter, galement, que parmi les infractions

    susceptibles de faire renvoyer un ministre ou un agent de lautorit devant cette juridiction

    figurent les fortes prsomptions de dtention arbitraire ou de violation de la libert de la

    presse. 108

    La Charte constitutionnelle de 1814. Cest la premire Restauration qui rintroduit le

    principe de la publicit des dbats judiciaires en tant que principe valeur constitutionnelle :

    larticle 64 de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 proclame : Les dbats sont publics

    en matire criminelle, moins que cette publicit ne soit dangereuse pour lordre et les

    murs, et, dans ce cas, le tribunal, le dclare par un jugement . Ce texte, cependant,

    nvoque plus la publicit de la dcision, comme pendant la priode rvolutionnaire, et ne

    proclame la publicit des dbats que pour donner une force constitutionnelle au principe,

    inconnu depuis 1789 en matire criminelle, de leur limitation.

    LActe additionnel de 1815. Lors des Cent jours, alors que Napolon a besoin de lappui du

    peuple, lphmre acte additionnel aux constitutions de lEmpire du 22 avril 1815, uvre de

    Benjamin Constant, retrouve le principe de 1789, mais sans lui adjoindre la limitation prvue

    par la Charte : Les dbats en matire criminelle sont publics. 109

    La Charte constitutionnelle de 1830. La Charte constitutionnelle du 14 aot 1830 reprend

    presqu lidentique, pour la question de la publicit judiciaire, la formulation de la Charte de

    1814 : Les dbats seront publics en matire criminelle, moins que cette publicit ne soit 106 Art. 84. 107 Art. 128. 108 Art. 112. 109 Art. 53.

  • 28

    dangereuse pour l'ordre et les murs ; et, dans ce cas, le tribunal le dclare par un

    jugement 110.

    La Constitution de 1848. La proclamation de la Rpublique, en 1848, ne change pas le

    principe puisque larticle 81 de la Constitution du 4 novembre 1848 nonce : Les dbats

    sont publics, moins que la publicit ne soit dangereuse pour l'ordre ou les murs ; et, dans

    ce cas, le tribunal le dclare par un jugement .

    Les constitutions postrieures. La Constitution de 1848 signe la fin de la proclamation

    constitutionnelle explicite de droits de nature processuelle 111. Il est vain de chercher des

    principes directeurs du procs, et donc toute rfrence la publicit des audiences des

    tribunaux, dans la Constitution du 14 janvier 1852, le snatus-consulte du 21 mai 1870 et les

    lois constitutionnelles de 1875. Nous retrouvons, certes, le principe de la publicit judiciaire

    dans la loi du 15 juillet 1945, valide par lordonnance du 3 mai 1945, mais il ne sera pas

    retranscrit dans les constitutions du 27 octobre 1946 et du 4 octobre 1958.

    La jurisprudence du Conseil constitutionnel. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a,

    cependant, valid la valeur constitutionnelle du droit un procs quitable en matire pnale

    en combinant larticle 66 de la Constitution de 1958 avec les articles 6, 8, 9 et 16 de la

    Dclaration de 1789 : le principe du respect des droits de la dfense constitue un des

    principes fondamentaux reconnus par les lois de la Rpublique raffirms par le Prambule

    de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se rfre le Prambule de la Constitution de

    1958 ; quil implique, notamment en matire pnale, lexistence dune procdure juste et

    quitable garantissant lquilibre des droits des parties 112. Cest laune de ce principe

    fondamental reconnu par les lois de la Rpublique, que le Conseil sest prononc, au sujet de

    la cration dune cour pnale internationale, en relevant que la sentence est prononce en

    audience publique ; que les exigences constitutionnelles relatives au respect des droits de la

    dfense et lexistence dune procdure juste et quitable, garantissant lquilibre des droits

    des parties, sont ainsi satisfaites. 113

    110 Art. 55. 111 JANVILLE Thomas, Petite histoire des principes gnraux de droit processuel dans les constitutions de la France , Petites affiches, 22 mars 2005, n 57, p. 6 et s. 112 Dcision n 89-260 DC du 28 juillet 1989, considrant 44. 113 Dcision n 98-404 DC du 22 janvier 1999, considrant 25.

  • 29

    Surtout dans une dcision du 2 mars 2004114, le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur

    constitutionnelle du principe de la publicit judiciaire en dclarant quil rsulte des articles

    6, 8, 9 et 16 de la Dclaration de 1789 que le jugement dune affaire pnale pouvant conduire

    une privation de libert doit, sauf circonstances particulires permettant le huis clos, faire

    lobjet dune audience publique , censurant par cette dcision un aspect de la loi sur la

    comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit, qui prvoyait que laudience

    dhomologation ne serait pas publique.

    La procdure devant le Conseil constitutionnel en matire de QPC. La dcision du 4

    fvrier 2010 portant rglement intrieur sur la procdure suivie devant le Conseil

    constitutionnel pour des questions prioritaires de constitutionnalit115 prcise que laudience

    relative une QPC devant le Conseil constitutionnel se droule dans une salle ouverte au

    public dans lenceinte du Conseil constitutionnel. 116

    Le dcret du 9 octobre 1789. Larticle 21 du dcret 9 octobre 1789, qui a fond le principe

    dans notre droit moderne, dispose pour lensemble de laudience judiciaire : Le rapport du

    procs sera fait par un des juges, les conclusions du ministre public donnes ensuite et

    motives, le dernier interrogatoire prt et le jugement prononc, le tout en audience

    publique .

    La loi du 16 aot 1790. Larticle 14 de la loi du 16 aot 1790 concernant lorganisation

    judiciaire nonce quen toute matire civile ou criminelle, les plaidoyers, rapports et

    jugements seront publics . Larticle 15 ajoute : La procdure par jurs aura lieu en

    matire criminelle : l'instruction sera faite publiquement .

    Le Code pnal de 1791. Le Code pnal de 1791 prvoit une excution publique de la peine

    de mort117, lexposition publique des personnes condamnes des peines des fers, de la

    rclusion dans la maison de force, de la gne, de la dtention 118, la publicit des peines du

    carcan et de la dgradation civique 119 . Le Code prvoit aussi laffichage des peines

    114 Dcision n 2004-492 DC du 2 mars 2004. 115 Dcision Rglement intrieur QPC du 4 fvrier 2010, J.O. du 18 fvrier 2010, p. 2986. 116 Art. 8. 117 Premire partie, Titre premier, article 5. 118 Premire partie, Titre premier, article 28. 119 Premire partie, Titre premier, article 31.

  • 30

    prononces par contumace 120 . La crmonie de rhabilitation se droule laudience

    publique121.

    Le Code de dlits et des peines de 1795. Larticle 162 du Code des dlits et des peines du 25

    octobre 1795 122 , organise laudience de jugement selon la procdure suivante pour les

    tribunaux de police : Linstruction de chaque affaire est publique, et se fait dans lordre

    suivant [] La personne cite propose sa dfense, et fait entendre ses tmoins [] Le

    commissaire du pouvoir excutif rsume laffaire et donne ses conclusions. Le tribunal

    prononce ensuite dans la mme audience, ou au plus tard dans la suivante. Il motive son

    jugement ; et y insre les termes de la loi quil applique ; le tout peine de nullit . En

    matire correctionnelle, larticle 184 prvoit : Linstruction se fait laudience ; le prvenu

    y est interrog ; les tmoins pour ou contre entendus en sa prsence, les reproches et les

    dfenses proposes, les pices lues, sil y en a, et le jugement prononc de suite, ou au plus

    tard, laudience suivante . Le terme laudience utilis par le lgislateur de 1795

    renvoie une audience publique, selon le vocabulaire judiciaire issu des cours et tribunaux de

    lAncien rgime.

    La loi du 7 fvrier 1801. Le principe gnral de la publicit des audiences est respect

    larticle 28 de la loi du 7 fvrier 1801 (18 pluvise an IX)123, qui organise la procdure devant

    des tribunaux spciaux : laccus sera traduit laudience publique du tribunal. L, et en

    prsence des tmoins, lecture sera donne de lacte daccusation dress par le commissaire

    du Gouvernement : les tmoins seront ensuite successivement appels. Le commissaire du

    Gouvernement donnera ses conclusions ; aprs lui, laccus ou son dfenseur, sera entendu .

    Le Code dinstruction criminelle. La publicit des audiences nest pas voque de manire

    explicite dans la partie consacre aux procdures devant les juridictions criminelles du Code

    dinstruction criminelle. Combin des constitutions napoloniennes qui ne dfendent plus le

    principe de publicit, cette constatation peut permettre de soutenir que Napolon a t tent

    par un retour pur et simple aux principes de lAncien rgime en matire criminelle. Cependant,

    120 Premire partie, Titre trois, article 1er. 121 Premire partie, Titre sept, article 6. 122 Loi du 3 brumaire an IV. 123 Loi du 18 pluvise an IX : laccus sera traduit laudience publique du tribunal. L, et en prsence des tmoins, lecture sera donne de lacte daccusation dress par le commissaire du Gouvernement : les tmoins seront ensuite successivement appels. Le commissaire du Gouvernement donnera ses conclusions ; aprs lui, laccus ou son dfenseur, sera entendu .

  • 31

    les dispositions du Code dinstruction criminelle ont t poses dans le cadre du principe

    gnral de publicit des audiences pos par la loi du 16 aot 1790 toujours en vigueur

    lpoque, et cette publicit se dduit des termes utiliss pour telle ou telle partie de la

    procdure criminelle de jugement. Ainsi, larticle 338 du Code dinstruction criminelle

    prvoit-il que les jurs prennent place lintrieur de lauditoire 124, tandis que larticle

    339 organise leur sparation physique davec le public . Larticle 144 oblige le greffier

    faire lecture de lacte daccusation haute et intelligible voix . Pour la cour dassises,

    larticle 348 prvoit que les jurs, aprs leur dlibration doivent entrer dans lauditoire

    o le chef du jury doit prendre la parole devant les hommes selon la formule impose par

    la loi125. La lecture de la dcision du jury par le greffier est prvue par larticle 357126 sans

    que lobligation de publicit y soit expressment indique. En revanche, larrt de la cour

    dassises doit tre lu publiquement par son prsident127.

    En matire de simple police, larticle 153 dispose : Linstruction de chaque affaire se fera

    publiquement, peine de nullit [] Le tribunal de police prononcera le jugement dans

    laudience o linstruction aura t termine .

    En matire correctionnelle, larticle 190 pose : Linstruction sera publique, peine de

    nullit [] Le jugement sera prononc de suite, ou, au plus tard, laudience qui suivra celle

    o linstruction a t termine .

    La loi du 20 avril 1810. Cest une loi napolonienne qui pose, de manire absolu et durable,

    le principe de la publicit des dcisions en matire pnale : larticle 7 de la loi du 20 avril

    1810 relative lorganisation de lordre judiciaire et ladministration de la justice

    dispose, en effet, que les arrts qui ne sont pas rendus publiquement [] sont dclars

    nuls .

    Dans un arrt de 1820, la chambre criminelle de la Cour de cassation insiste sur la continuit

    de ces diffrents textes. Visant larticle 14 de la loi du 16 aot 1790, elle nonce

    quen toute matire, civile ou criminelle, les plaidoyers, rapports et jugements seront

    124 Larticle 341 indique que le prsident fait entrer laccus dans lauditoire , une fois que le tribunal et les jurs sont assembls. 125 Art. 348, Code dinstruction criminelle : Les jurs rentreront ensuite dans lauditoire et reprendront leur place [] Le chef du jury se lvera, et, la main place sur son cur, il dira : Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la dclaration du jury est Le caractre public du prononc tait encore plus clair larticle 352 du Code dinstruction criminelle, qui prvoyait le cas o le jury stait tromp au fond, puisque ce texte nonait que la Cour ne pouvait prononait la mesure de surseoir au jugement qu immdiatement aprs que la dclaration du jury aura t prononce publiquement 126 Le prsident fera comparatre laccus, et le greffier lira en sa prsence la dclaration du jury . 127 [] larrt sera prononc haute voix par le prsident, en prsence du public et de laccus. Avant de le prononcer, le prsident est tenu de lire le texte de la loi sur laquelle il est fond. Le greffier crira larrt

  • 32

    publics , avant de viser larticle 309 du Code dinstruction criminelle qui renouvelle

    implicitement ce principe pour les matires de grand criminel et les articles 7 et 17 de la loi

    du 20 avril 1810 portant, le premier, que [l]es arrts qui nont pas t rendus publiquement

    sont dclars nuls 128.

    Lordonnance de 1945 relative lenfance dlinquante. Le prononc public des dcisions

    est ordonn par larticle 14 de lOrdonnance du 2 fvrier 1945 relative lenfance dlinquante

    pour les juridictions pour mineurs. Les dbats font lobjet dune publicit restreinte.

    Le Code de procdure pnale. Le principe de la publicit des audiences pnales est repris

    dans le Code de procdure pnale larticle 306 en matire criminelle : Les dbats sont

    publics [] Larrt sur le fond doit toujours tre prononc en audience publique . La

    procdure dappel criminel organis par larticle 380-1 du Code de procdure pnale se

    droule selon les mmes modalits, relativement la publicit, que les audiences devant une

    cour dassises statuant en premier ressort.

    Larticle 400 du Code de procdure pnale dispose en matire correctionnelle : Les

    audiences sont publiques [] Le jugement sur le fond doit toujours tre prononc en

    audience publique . Larticle 512 prvoit que les rgles dictes pour le tribunal

    correctionnel , dont le principe de publicit pos par larticle 400, sont applicables devant

    la cour dappel .

    Larticle 535 du Code de procdure pnale organise la procdure suivie devant les tribunaux

    de police et la juridiction de proximit, par un renvoi, pour ce qui concerne la publicit, aux

    rgles dicts par larticle 400 du Code de procdure pnale.

    Larticle 145 pose le principe dune audience publique de plein droit devant le juge des

    liberts et de la dtention au sujet du contentieux relatif au placement en dtention provisoire :

    Si la personne mise en examen est majeure, le dbat contradictoire a lieu et le juge statue

    en audience publique .

    Larticle 199 du Code de procdure pnale prvoit, relativement la dtention provisoire, des

    dispositions de mme nature pour la chambre de linstruction : En matire de dtention

    provisoire [] si la personne mise en examen est majeure, les dbats se droulent et larrt

    est rendu en audience publique .

    128 Cass. crim., 22 avril 1820, Bull. crim. 1820, n 56.

  • 33

    Larticle 601 prvoit, pour la Cour de cassation que Les rgles concernant la publicit []

    doivent tre observes devant la Cour de cassation . Larticle 617 du Code de procdure

    pnale voque [l]arrt qui [] a prononc la cassation sans renvoi .

    La procdure devant la Haute Cour. La Haute Cour, tribunal pnal particulier, comptent

    pour juger le Prsident de la Rpublique, a t cr par les lois constitutionnelles de la

    Troisime Rpublique. Elle est prvue aux articles 67 et 68 de la Constitution de 1958.

    Lordonnance n 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour prcise, dans

    son article 23 que la commission charge de linstruction peut dcerner mandat . Le texte

    ajoute, article 24 : la commission d'instruction procde tous les actes qu'elle juge utiles

    la manifestation de la vrit selon les rgles dictes par le code de procdure pnale et

    spcialement celles qui assurent les garanties de la dfense , dispositions que nous

    interprterons comme une obligation daudience publique relative la dtention provisoire, si

    une mesure de privation de libert a t ordonne sur le fondement de larticle 23. Le principe

    dune audience publique devant la formation de jugement est pos par larticle 32 : Les

    rgles fixes par le code de procdure pnale concernant les dbats et les jugements en

    matire correctionnelle sont applicables devant la Haute Cour

    La procdure devant la Cour de justice de la Rpublique. La Cour de justice de la

    Rpublique, cre par la rvision constitutionnelle du 27 juillet 1993, juge les infractions

    commises par les ministres dans lexercice de leurs fonctions. Elle est prvue par les articles

    68-1 et 68-2 de la Constitution de 1958. La procdure suivie devant elle est rgle par la loi

    organique n 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la Rpublique. Son

    article 18 prcise, pour linstruction : la commission d'instruction procde tous les actes

    qu'elle juge utiles la manifestation de la vrit selon les rgles dictes par le code de

    procdure pnale et spcialement celles relatives aux droits de la dfense , formulation qui

    attire de notre part, et relativement la publicit, les mmes commentaires que pour la

    procdure rserve au Prsident de la Rpublique avec cet ajout que larticle 22 voque des

    dcisions de nature juridictionnelle rendues par la commission dinstruction. Larticle 26

    dispose, pour ce qui concerne la publicit, que les jugements en matire correctionnelle sont

    applicables devant la Cour de justice de la Rpublique .

    La gradation contemporaine de la publicit. La publicit judiciaire porte principalement, de

    nos jours, sur les dbats et la dcision. Une gradation a t tablie par la procdure.

  • 34

    Laudience publique consiste en laccs indistinct du public dans une salle prvue pour

    laccueillir o se droulent les dbats.

    Le huis clos est lexception au principe de laudience publique. La salle est vide du public et

    ses portes sont fermes afin den interdire laccs aux personnes non autorises. La mesure de

    huis clos ne peut porter que sur les seuls dbats.

    La publicit restreinte est la procdure de droit commun devant les juridictions pour mineurs.

    Elle consiste nadmettre dans la salle daudience que les personnes qui figurent sur une liste

    tablie larticle 14 de lordonnance de 1945 sur lenfance dlinquante. La mesure ne

    sapplique pas au prononc des dcisions.

    Laudience en chambre du conseil se droule dans une pice du tribunal, normalement non

    prvue pour recevoir le public. Ce peut-tre, par exemple, la chambre du dlibr. Elle peut

    aussi se drouler dans une salle daudience. Laccs cette dernire sera alors soumis des

    restrictions plus importantes quen cas de huis clos. Ainsi, les avocats non concerns par

    laffaire ne pourront pas assister une audience en chambre du conseil, alors quils peuvent se

    maintenir dans la salle daudience en cas de huis clos.

    Laudience de cabinet dsigne une audience en chambre du conseil se droulant devant un

    magistrat spcialis statuant seul, dordinaire dans le bureau qui lui est affect au sein du

    palais de justice.

    La publicit de la dcision sur le fond se ralise par le prononc de son dispositif laudience

    publique. Son renforcement peut, cependant, tre dcid par la juridiction, dans les cas prvus

    par la loi, par la voie de la publication judiciaire ou/et de laffichage.

    Perspectives contemporaines de la publicit du procs pnal. La publicit de la justice

    semblant aussi ancienne que la justice elle-mme, le sujet nest donc pas tout fait nouveau.

    Cependant, deux perspectives contemporaines lui donnent un regain dintrt : le rapport entre

    publicit judiciaire et socit dmocratique au regard de lvolution de cette dernire laube

    du XXIe sicle dune part ; les consquences des nouvelles technologies sur la mise en uvre

    de la publicit, dautre part.

    Publicit et socit dmocratique. Classiquement, la question de la publicit judiciaire est

    lie celle de la dtermination de la source du pouvoir. Lorsque Valerius Publicola a dsign

    le peuple comme le dtenteur du pouvoir de juger en dernier ressort une affaire judiciaire, il a

    reconnu par l-mme le principe de la souverainet populaire. Le jour o Caligula sest arrog

    le droit davoir le dernier mot en matire judiciaire, il a enterr le rgime rpublicain.

  • 35

    Si depuis quelques dcennies, la question de la publicit judiciaire se trouve souvent born en

    doctrine par le champ du droit priv, son rapport troit avec lide de dmocratie la place

    historiquement et naturellement dans une problmatique de droit public. Les frres Dalloz,

    dailleurs, la dsignaient comme lun des principes les mieux reconnus de notre droit

    public 129. Cette acception est ravive depuis quelques annes par la jurisprudence de la Cour

    europenne des droits de lhomme qui tient la publicit judiciaire comme un des lments du

    procs quitable dans la socit dmocratique que cette institution a pour mission de prserver.

    En France, cet aspect de notre organisation politique et judiciaire ne peut pas, non plus, tre

    lude lorsque se pose la question de la lgitimit des magistrats. Ds lors quil est tabli que

    le pouvoir vient du peuple, et non plus de Dieu, arrive forcment le besoin dun examen

    attentif des relations entre les institutions et ledit peuple. Pour la Justice, ce lien passe par la

    publicit. Le temps de la reprsentation dAncien rgime, cest--dire dun temps o le roi

    tait source de justice, ne correspond plus vraiment aux aspirations contemporaines dun

    public qui a de plus en plus de mal comprendre un symbolisme emprunt lEglise

    catholique et que cette dernire a elle-mme parfois abandonn. Les ressorts modernes sont

    dune autre nature, fonds notamment sur la confiance dune population de plus en plus

    prompte la dfiance, ce qui ncessite une autre relation entre linstitution judiciaire et le

    public.

    Publicit et nouvelles technologies. Lapparition des nouvelles technologies, notamment

    numriques, bouleverse la mise en uvre de la publicit. Certaines solutions ont t adoptes,

    faute de possibilit technique de faire autrement. Une premire solution serait de simplement

    adapter ltat actuel de la procdure de nouveaux outils. Elle nous parat insatisfaisante. En

    utilisant la technologie numrique, la publicit ne fait pas que changer de dimension ; elle

    change de nature. Une remise plat nous parat donc ncessaire, ce qui ncessite dnoncer

    clairement les principes qui dterminent la publicit judiciaire avant et donc seulement dans

    un deuxime temps dutiliser la technologie contemporaine pour atteindre les finalits ainsi

    dgages.

    Plan. Cette double perspective place la question de la publicit judiciaire dans un processus

    dynamique, qui ncessite de se souvenir de ce qui a t pour dterminer lendroit o nous

    voulons aller au regard des enjeux socitaux et politiques contemporains. Ces derniers

    129 DALLOZ Victor et Armand, Publicit des dbats judiciaires , Rpertoire, t. 19, Paris, 1852, p. 200.

  • 36

    concernent aussi bien laccs du public au prtoire que la diffusion, hors de la salle

    daudience, dinformations en relation avec le procs pnal. M. dAmbra dfinit la publicit

    comme lensemble des moyens destins permettre dinformer le public de lexistence, du

    droulement, de lissue dune instance juridictionnelle 130.

    Nous allons, pour notre part, nous pencher dans un premier temps sur la publicit du procs

    pnal entendue comme tant constitue par ladmission du public dans la salle daudience

    loccasion de celle-ci (Premire Partie), avant de nous intresser la publicit hors de la salle

    daudience, par la diffusion dlments dinformation relatifs au procs pnal (Deuxime

    Partie).

    130 DAMBRA Dominique, V Publicit, in CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004.

  • 37

    Premire partie La publicit du procs pnal

    par ladmission du public laudience

    Plan. Larticle 55 de la Constitution de 1958 dfinit la place des traits internationaux dans la

    hirarchie des normes : Les traits ou accords rgulirement ratifis ou approuvs ont, ds

    leur publication, une autorit suprieure celle des lois, sous rserve, pour chaque accord ou

    trait, de son application par lautre partie . Or, la publicit des dbats en matire pnale se

    trouve au cur des traits internationaux que sont la Convention de sauvegarde des droits de

    lhomme et des liberts fondamentales et le Pacte international relatif aux droits civils et

    politiques. Nous tudierons donc la valeur accorde la publicit de laudience en droit

    international (Titre I) avant de nous pencher sur la manire dont elle est apprhende en droit

    interne (Titre II).

  • 38

    Titre I La publicit de laudience pnale

    en droit international Plan. La publicit de laudience pnale est devenue, partir de la fin de la Deuxime Guerre

    mondiale, un principe reconnu comme un droit de lhomme vocation universelle.

    Linfluence des textes de lO.N.U. a t dterminante lors de llaboration de la Convention

    europenne des droits de lhomme (chapitre 1). Le principe de la publicit de laudience

    pnale a, ensuite, t confort et prcis par la jurisprudence de la Cour europenne des droits

    de lhomme au nom du modle europen du procs quitable (chapitre 2).

  • 39

    Chapitre I Un principe proclam comme un droit universel Plan. Le principe de la publicit de laudience pnale a t confort par les textes normatifs

    adopts par lOrganisation des Nations unies (O.N.U.) lissue de la Seconde Guerre

    mondiale. Il est proclam de manire explicite aussi bien dans la Dclaration universelle des

    droits de lhomme de 1948, que dans le Pacte international relatif aux droits civils et

    politiques de 1966 (Section 1). La formulation de ce dernier texte a, par ailleurs, t reprise

    dans la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales131 de

    1950 (Section 2).

    131 Que nous dsignerons par les termes la Convention europenne des droits de