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AUTOUR DE FOUCAULT ET D’AGAMBEN : DU MANAGEMENT COMME GOUVERNEMENT DES HOMMES ET DU COACHING COMME DISPOSITIF DE MANAGEMENT Baptiste Rappin Maître de Conférences à l’ESM-IAE de Metz IPEFAM, 1 rue Augustin Fresnel, BP 15100, 57073 Metz Cedex 3 Université de Lorraine CEREFIGE Cahier de Recherche n°2012-05 CEREFIGE Université Nancy 2 13 rue Maréchal Ney 54000 Nancy France Téléphone : 03 54 50 35 80 Fax : 03 54 50 35 81 [email protected] www.univ-nancy2.fr/CEREFIGE n° ISSN 1960-2782

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AUTOUR DE FOUCAULT ET

D’AGAMBEN :

DU MANAGEMENT COMME

GOUVERNEMENT DES HOMMES

ET DU COACHING COMME

DISPOSITIF DE MANAGEMENT

Baptiste Rappin

Maître de Conférences à l’ESM-IAE de Metz

IPEFAM, 1 rue Augustin Fresnel,

BP 15100,

57073 Metz Cedex 3

Université de Lorraine

CEREFIGE

Cahier de Recherche n°2012-05

CEREFIGE

Université Nancy 2

13 rue Maréchal Ney

54000 Nancy

France

Téléphone : 03 54 50 35 80

Fax : 03 54 50 35 81

[email protected]

www.univ-nancy2.fr/CEREFIGE

n° ISSN 1960-2782

Autour de Foucault et d’Agamben :

Du management comme gouvernement des hommes

et du coaching comme dispositif de management

Baptiste Rappin

Maître de Conférences à l’ESM-IAE de Metz

IPEFAM, 1 rue Augustin Fresnel,

BP 15100,

57073 Metz Cedex 3

06 25 39 56 37

[email protected]

Résumé: L’article examine le management en général, et le coaching en particulier, à travers

les philosophies de M. Foucault et de G. Agamben. Il met en évidence le biopouvoir

managérial, à la fois fondé sur la discipline individuelle et la biopolitique collective. Il

poursuit, suivant en cela la relecture agambienne de Foucault, dans une redéfinition du

management en rapport avec la permanence de l’état d’exception propre à l’époque

contemporaine. Il interroge enfin la notion de dispositif et s’appuie sur son archéologie afin de

questionner le rôle de la gloire dans le management.

Mots clefs: Foucault, Agamben, coaching, management

Autour de Foucault et d’Agamben :

Du management comme gouvernement des hommes

et du coaching comme dispositif de management

Résumé:

L’article examine le management en général, et le coaching en particulier, à travers les

philosophies de M. Foucault et de G. Agamben. Il met en évidence le biopouvoir managérial,

à la fois fondé sur la discipline individuelle et la biopolitique collective. Il poursuit, suivant en

cela la relecture agambienne de Foucault, dans une redéfinition du management en rapport

avec la permanence de l’état d’exception propre à l’époque contemporaine. Il interroge enfin

la notion de dispositif et s’appuie sur son archéologie afin de questionner le rôle de la gloire

dans le management.

Mots clefs: Foucault, Agamben, biopouvoir, coaching, management

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« Diagnostiquer le présent, c’est dire ce que c’est que le présent, dire en quoi notre présent est différent et

absolument différent de tout ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire de notre passé. C’est peut-être à cela, à cette tâche-

là qu’est assigné maintenant le philosophe » (M. Foucault, 2001b, « Foucault répond à Sartre », p.693)

0. Introduction : problématique et positionnement de l’article

Cet article est un essai philosophique ; il propose une argumentation en réponse à la question

de l’essence du management : « qu’est-ce que le management ? » est en effet l’interrogation

qui habite l’ensemble des développements à venir. Toutefois, de même que Heidegger notait

que l’essence de la technique n’est pas la technique, et marquait par là le fait que le

fondement ne saurait se confondre avec le domaine fondé, de même il nous faut aller

rechercher l’essence du management en dehors du management et des sciences de gestion.

C’est pourquoi nous ne nous positionnerons pas à l’intérieur de la littérature gestionnaire qui

établit et discute les différentes écoles, les divers courants et les multiples styles du

management : non pas que ceci soit inintéressant et inutile, bien au contraire ; mais cela serait

méthodologiquement vain eu égard à la question de l’essence que nous posons. La remarque

vaut également pour le coaching que nous mobilisons comme principale illustration de nos

thèses, sans exclusive toutefois.

La réflexion doit plus précisément sa colonne vertébrale, ses articulations principales et les

concepts qu’elle mobilise aux travaux de Michel Foucault, portant d’une part sur le

biopouvoir et d’autre part sur les techniques de soi, mais aussi à ceux de Giorgio Agamben,

philosophe italien contemporain qui propose une relecture radicale et un déplacement du

questionnement des travaux suscités autour de la problématique de la norme et de l’exception.

Si le nom de Michel Foucault est désormais familier des chercheurs en sciences de gestion,

celui de son épigone l’est beaucoup moins : à notre connaissance, aucun article de notre

champ disciplinaire ne mobilise de façon centrale Giorgio Agamben. Son devenir semble

pourtant déjà promis aux « Etudes Critiques en Management », bien au chaud et

confortablement installé aux côtés de Bourdieu, Giddens, Habermas et autres Derrida : mais

ce serait là encore se tromper de cible, et esquiver l’épineuse question de l’essence du

management. Abandonnons, le temps de cet essai, les réflexes académiques et « identitaires »,

et mettons-nous en quête, avec Foucault et Agamben, d’une pensée du management.

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1. Occurrences foucaldiennes dans la littérature sur le coaching

Deux auteurs, l’une sociologue, l’autre chercheur en sciences de gestion, ont déjà utilisé,

chacun à sa manière, la grille de lecture foucaldienne afin de rendre compte de la pratique du

coaching. Nous devons à Valérie Brunel (2004) un essai percutant, dans la tradition de la

sociologie clinique de son directeur de thèse, Vincent de Gaulejac, dans lequel elle fait appel à

la notion de « pouvoir pastoral » développée par M. Foucault (2001b, « « Omnes et

singulatim » : vers une critique de la raison politique », p.953-980) pour comprendre la façon

dont s’exerce le pouvoir à travers le développement personnel (dont le coaching mobilise les

concepts et les outils : Briffault et Champion, 2005 ; Rappin, 2011). A l’inverse du pouvoir de

l’Etat, localisé, centralisé, visible, recourant à la sanction et à la violence afin d’assurer

l’obéissance aux lois, émanations de la souveraineté, le berger, ou le pasteur, exerce un

contrôle sur les brebis de son troupeau par sa connaissance intime de leur personnalité et de

leurs besoins : « Le pouvoir pastoral suppose une attention individuelle à chaque membre du

troupeau » (M. Foucault, 2001b, p.958). Sa proximité génère un sentiment de sécurité qui lui

permet des orienter vers une finalité. Le philosophe fait état de la genèse de ce pouvoir

pastoral ; il montre plus précisément que cette modalité de gouvernement des hommes est

étrangère à la tradition politique grecque car elle est le propre du monothéisme, émergeant

dans le judaïsme et se perfectionnant dans le christianisme, notamment sous la forme de la

confession dont il faut, par voie de conséquence, voir l’un des ancêtres du coaching,

contrairement au conseil du Prince ou de l’éminence grise qui relève d’un autre ordre. Ainsi, à

côté du pouvoir étatique lié la souveraineté et à la puissance de la loi, émerge un nouveau type

de pouvoir, pastoral, qui s’exerce sur les individus, concrets, vivants et considérés dans leur

multiplicité. V. Brunel (2004, p.147-148) opère alors le rapprochement avec les pratiques de

développement personnel en entreprise : ces dernières rompent avec l’autorité traditionnelle et

les formes pyramidales d’organisation jugées surannées ; elles proposent un accompagnement

individualisé avec une prise en charge de la singularité de chacun ; l’empathie du coach, son

écoute active et sa bienveillance génèrent la sécurité et la confiance ; son intervention a pour

but de faire progresser le coaché, dans l’atteinte des objectifs fixés par le contrat tripartite. La

sociologue propose d’actualiser la métaphore du troupeau afin de la rendre compatible avec

l’individualisme contemporain : c’est pourquoi elle parle de « pouvoir pastoral narcissique »

pour caractériser la spécificité du pouvoir exercé par le développement personnel, à savoir la

liberté accordée à l’individu, dans l’accompagnement, de se conformer de lui-même aux

normes du troupeau.

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Eric Pezet (2007), quant à lui, prend pour point de départ le souci de soi afin d’appréhender le

coaching ; il procède alors, dans un second temps, à la liaison avec la thématique du pouvoir.

Il se réfère plus particulièrement aux cours de M. Foucault au Collège de France, donnés en

1981-1982 et traitant de l’herméneutique du sujet. Le souci de soi désigne « un certain

nombre d’actions, actions que l’on exerce de soi sur soi, actions par lesquelles on se prend en

charge, par lesquelles on se modifie, par lesquelles on se purifie et par lesquelles on se

transforme et on se transfigure. Et, de là, toute une série de pratiques qui sont, pour la plupart,

autant d’exercices qui auront […] une très longue destinée. Par exemple, ce sont les

techniques de méditation ; ce sont les techniques de mémorisation du passé ; ce sont les

techniques d’examen de conscience ; ce sont les techniques de vérification des représentations

à mesure qu’elles se présentent à l’esprit, etc. » (M. Foucault, 2001c, p.12-13). E. Pezet passe

en revue les différentes techniques utilisées dans le coaching (psychanalyse, analyse

transactionnelle, programmation neurolinguistique, etc.) et montre qu’elles sont à l’origine

d’un examen de soi fondé sur la science psychologique. Toutefois, l’analyse du coaching ne

saurait en rester à ce stade du souci de soi : « Avec le coaching, il faut étudier la « physique

du pouvoir », l’agencement des objets matériels, conceptuels, juridiques à partir desquels

s’établit la relation de savoir-pouvoir » (E. Pezet, 2007, p.81). En effet, le coach utilise, outre

le questionnement et la reformulation, trois outils lui permettant de guider la parole du

coaché : le contrat (comme outil juridique), le cadrage (comme outil cognitif) et le transfert

(comme outil conceptuel) permettent la surveillance du coaché, et peuvent, même si ce

mouvement n’est pas inéluctable, faire glisser le coaching vers une pratique disciplinaire.

Nous avons donné deux exemples d’application locale des théories foucaldiennes à une

pratique de management, au coaching. Remontons à présent à ce que signifie, chez M.

Foucault, les concepts que nous avons mobilisés : nous les remettrons ainsi en perspective

dans l’histoire de la philosophie politique moderne, éclairant la place du management tant

dans son émergence que dans ses dernières évolutions (le coaching).

2. Du biopouvoir chez M. Foucault

M. Foucault renonce aux méthodes traditionnelles de l’histoire des idées, essentiellement

centrées autour des auteurs, des œuvres et des époques. L’archéologie invite à considérer

d’autres unités d’analyse, comme le discours par exemple. C’est pourquoi la philosophie

politique moderne ne sera pas analysée du seul point de vue, théorique et abstrait, de la

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souveraineté. Tout d’abord, celle-ci est le résultat d’un travail, concret, effectif et stratégique,

de dissolution et de leurre : la monarchie, en voie de centralisation, confie la tâche aux juristes

de maquiller sa domination par la création d’un arsenal théorique justifiant les droits de la

souveraineté, et du souverain. Jean Bodin (1529-1596) est le premier théoricien de la

souveraineté, au sens moderne du terme que nous connaissons encore aujourd’hui, et dont le

juriste donne la définition dès les premières lignes des Six livres de la République :

« République est un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun,

avec puissance souveraine » (J. Bodin, 2001). Contre l’éclatement du régime féodal, J.Bodin

appelle de ses vœux l’unité et l’indivisibilité de la souveraineté sur un territoire donné,

s’exerçant perpétuellement et absolument. Le souverain fait et défait la loi, et possède surtout

le droit de grâce : « faire mourir ou laisser vivre », telle est la formule que M. Foucault utilise

pour qualifier le pouvoir souverain qui n’exerce son droit sur la vie qu’au moment où il peut

tuer. J. Bodin ressaisit la multiplicité (des fiefs, des ménages, des individus) en une unité

abstraite, la souveraineté, fondant la chose commune, res publica, dont le pouvoir repose sur

l’universalité et la nécessité de la loi. Comme le résume Gérard Mairet (1996, p.35)

commentant Bodin, « la loi est le commandement du souverain usant de sa puissance ». Mais

nous restons sur notre faim : si la loi comme émanation de la puissance souveraine devait

s’appliquer automatiquement, comment se fait-il que le gouvernement installe des radars

automatiques et mobiles sur les routes et autoroutes de France ? C’est donc que ce pouvoir

reste abstrait sans techniques de gouvernement, sans « biopouvoir » : « Saisir l’instance

matérielle de l’assujettissement en tant que constitution des sujets, cela serait, si vous voulez,

exactement le contraire de ce que Hobbes avait voulu faire dans le Leviathan, et, je crois,

après tout, tous les juristes, lorsque leur problème est de savoir comme, à partir de la

multiplicité des individus et des volontés, il peut se former une volonté ou encore un corps

uniques, mais animés par une âme qui serait la souveraineté. […] Plutôt que d’essayer de

poser ce problème de l’âme centrale, je crois qu’il faudrait essayer – ce que j’ai essayé de

faire – d’étudier les corps périphériques et multiples, ces corps constitués, par les effets de

pouvoir, comme sujets » (M. Foucault, 1997, p.26).

M. Foucault identifie la naissance d’un nouveau pouvoir, hétérogène à la souveraineté, qui la

complète, s’y superpose et la traverse, à partir de la fin du 18ème

siècle : c’est le biopouvoir,

sur lequel nous allons revenir dans quelques instants. Mais soulignons tout d’abord que la

souveraineté, en tant que saisie de la multiplicité dans une unité abstraite et fictive, n’est que

l’une des deux voies empruntée par la modernité politique : car, plus tôt dans le 16ème

siècle,

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Nicolas Machiavel (1467-1529) formula déjà, dans Le Prince notamment, un guide du

gouvernement des hommes, préconisant, dans la tradition des Miroirs, des stratagèmes et des

techniques d’influence fondés sur l’observation de la multiplicité et de la diversité des

hommes et des situations historiques. Le politique, domaine autonome et désormais libéré de

la théologie et de la morale, de tout devoir-être – « Il y a si loin de la sorte qu’on vit à celle

selon laquelle on devrait vivre » (N. Machiavel, 2000, p.119) –, est chez N. Machiavel

entièrement tourné vers le gouvernement des hommes, sans aucun recours à l’artifice de la

souveraineté. Ainsi, pour se détacher de l’image « du pouvoir-loi, du pouvoir-souveraineté

que les théoriciens du droit et de l’institution monarchique ont dessinée », « il faudra bâtir

une analytique du pouvoir qui ne prendra plus le droit pour modèle et pour code » (M.

Foucault, 1976, p.118-119). Le biopouvoir, le pouvoir du vivant, dont la formule « faire vivre

et laisser mourir » inverse celle de la souveraineté, se développe sous deux formes : celle du

pouvoir disciplinaire et celle de la biopolitique (Martine Leibovici, 2005, p.27).

Le pouvoir disciplinaire contrôle ce qui échappe par nature au souverain, isolé sur sa colline

selon la métaphore que N. Machiavel utilise dans sa dédicace à Laurent de Médicis. Il agit sur

les individus, plus particulièrement sur les corps, c’est pourquoi il relève d’une « anatomo-

politique » qui soumet les corps à la surveillance dans les prisons, les asiles, les ateliers :

« Ces méthodes qui permettent le contrôle minutieux des opérations du corps, qui assurent

l’assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de docilité-utilité, c’est

cela qu’on peut appeler les « disciplines ». Beaucoup des procédés disciplinaires existaient

depuis longtemps – dans les couvents, dans les armées, dans les ateliers aussi. Mais les

disciplines sont devenues au cours du XVIIe et du XVIII

e siècles des formules générales de

domination » (M. Foucault, 1975, p.161). Il s’agit bien de rendre les corps dociles, afin de

leur faire faire ce que l’on veut : le paradigme est bien celui du gouvernement des individus,

relevé plus haut chez N. Machiavel. Le pouvoir disciplinaire d’exerce donc à l’intérieur

d’espaces restreints et disséminés : il appelle comme perspective une microphysique capable

de déceler, à cet échelon, les modalités de son exercice ainsi que ses effets.

L’autre facette du biopouvoir, tout aussi irréductible au pouvoir souverain qu’à la discipline,

est la biopolitique qui ne s’exerce plus sur des individus, mais sur des populations, c’est-à-

dire un ensemble d’êtres vivants, « la multiplicité des hommes comme masse globale affectée

de processus d’ensemble qui sont propres à la vie » (M. Foucault, 1997, p.216). Si la

discipline concernait les individus, la biopolitique se préoccupe de la gestion des ensembles et

des phénomènes collectifs. La démographie et les statistiques, mais aussi la médecine,

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priment désormais en ce qu’ils prennent en charge le traitement des problèmes de la

population, problèmes de vie et de mort : vieillesse, accidents, assurance…Les savoirs

scientifiques sont mobilisés afin de remédier aux aléas de la vie humaine : ils ont pour

vocation d’assurer la sécurité. M. Foucault établit des liens entre médecine et développement

du système capitaliste, en montrant plus particulièrement le rôle de l’hôpital dans la gestion de

la force de travail et dans le maintien des bas salaires.

Laissons alors le philosophe conclure, qui retrace la genèse du biopouvoir : « A la vieille

mécanique du pouvoir de souveraineté, beaucoup trop de choses échappaient, à la fois par en

bas et par en haut, au niveau du détail et au niveau de la masse. C’est pour rattraper le détail

qu’une première accommodation a eu lieu : accommodation des mécanismes de pouvoir sur le

corps individuel, avec surveillance et dressage – cela a été la discipline. […] Et puis vous

avez ensuite, à la fin du XVIIIe, une seconde accommodation, sur les phénomènes globaux,

sur les phénomènes de population, avec les processus biologiques ou bio-sociologiques des

masses humaines » (M. Foucault, 1997, p.222).

3. Biopouvoir et GRH

Revenons donc, après ce premier détour par la philosophie et l’œuvre de M. Foucault, vers le

management. Ce rapprochement est désormais assez bien connu : dès 1988, G. Burrell (1988)

présentait les grandes périodes de l’œuvre foucaldienne et jetait des ponts entre celle-ci et le

management. Des ouvrages collectifs, tant anglo-saxons que français, proposent des synthèses

(A. McKinlay et al., 1998 ; A. Hatchuel et al., 2005), et des travaux insistent plus

particulièrement sur la GRH comme ensemble de dispositifs de savoir-pouvoir réduisant

l’incertitude des contrats de travail (B. Townley, 1993). Observons tout de même comment le

management et le coaching relèvent du biopouvoir, dans sa double dimension de pouvoir

disciplinaire et de biopolitique.

Pouvoir disciplinaire lié au panoptisme tout d’abord : les logiques de l’épreuve et de

l’enquêtes cèdent la place à la logique de l’examen et de la surveillance dans laquelle le

pouvoir permanent exercé sur quelqu’un (par exemple l’ouvrier dans l’usine) est à l’origine de

la constitution d’un savoir sur la personne surveillée (l’Organisation Scientifique du Travail) :

« Un savoir qui a maintenant pour caractéristique non plus de déterminer si quelque chose

s’est passé ou non, mais de déterminer si un individu se conduit ou non comme il faut, en

conformité ou non à la règle, s’il progresse ou non » (M. Foucault, 2001a, « La vérité et les

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formes juridiques », p.1463). Le corollaire est la mise en place d’actions de corrections et de

transformations de l’individu dans le but de sa mise en conformité. Le coaching peut être

interprété à la lueur de la logique de l’examen : il opère la normalisation de l’âme du manager

à travers la mobilisation de techniques de transformation de soi (se comporter en « Adulte »

en analyse transactionnelle, avoir la « bonne » représentation de la réalité en PNL, etc.). Où

l’on voit tout d’abord que l’on ne peut confondre la connaissance socratique (qui relève de

l’enquête voire de l’épreuve) et le coaching (logique de l’examen) ; où l’on relève par ailleurs

l’ambivalence des techniques de soi qui n’aboutissent pas nécessairement à l’émancipation,

c’est-à-dire à la constitution du sujet : la subjectivation peut laisser la place à

l’assujettissement. Notons enfin que le coaching opère un raffinement dans la logique de

l’examen : ce que la littérature professionnelle appelle « autonomie » et qui constitue la

finalité du coaching n’est en réalité qu’un transfert opéré du coach vers le coaché dans lequel

le premier apprend au second à constituer un savoir sur soi. L’examen devient examen de soi,

et coaching rime alors avec économie : plus besoin de surveillant si le manager devient

autonome, c’est-à-dire capable d’exercer le contrôle de soi.

Mais le coaching, et ceci est resté jusqu’à présent inaperçu, relève également de la

biopolitique, de la gestion de la masse organisationnelle. On peut le poser comme l’équivalent

managérial de la médecine dans le contrôle de la force vitale. M. Foucault souligne le piège

qu’il y a à interpréter la médecine comme une pratique individualiste, illusionnés que nous

sommes par la représentation du médecin libéral en tête à tête avec son patient : « Je soutiens

l’hypothèse qu’avec le capitalisme on n’est pas passé d’une médecine collective à une

médecine privée, mais que c’est précisément le contraire qui s’est produit ; le capitalisme, qui

se développe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIX

e siècle, a d’abord socialisé un

premier objet, le corps, en fonction de la force productive, de la force de travail. Le contrôle

de la société sur les individus ne s’effectue pas seulement par la conscience ou par l’idéologie,

mais aussi dans le corps et avec le corps. Pour la société capitaliste, c’est le biopolitique qui

importait avant tout, le biologique, le somatique, le corporel. Le corps est une réalité bio-

politique, la médecine est une stratégie biopolitique » (M. Foucault, « La naissance de la

médecine sociale », 2001b, p.209-210). Le passage d’une économie industrielle à une

économie fondée sur les services, l’émergence du capitalisme cognitif, la place des

compétences et de la connaissance dans la génération des avantages concurrentiels, expliquent

que la biopolitique ne s’exerce plus seulement au niveau des corps, mais également sur

l’ « âme », que la biopolitique se double d’une « psycho-politique ». Le coaching fait partie de

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ces dispositifs de gestion psycho-politique de la masse, dans la mesure où il participe de la

socialisation de la psychè et qu’il lui forge un destin organisationnel. De même que la

médecine « réparait » les corps pour les rendre à nouveau dociles pour le travail physique, de

même le coaching fabrique un psychisme disponible pour le mangement contemporain.

De façon plus générale, le management a plus souvent été considéré sous l’angle du pouvoir

disciplinaire, mais cette approche est trop réductrice eu égard aux évolutions récentes. Le cas

de la GPEC est ici exemplaire, car elle relève d’un processus d’abandon-délégation de la

démographie du gouvernement vers les organisations qui sont désormais responsables de la

gestion des bassins d’emploi : « Il [le cas de la GPEC] montre comment l’Etat a confié la

prévision et l’évolution de l’emploi aux entreprises – l’objectif affiché étant de fluidifier le

marché du travail en faisant contrôler la prévision par les partenaires sociaux » (Anne Pezet et

Eric Pezet, 2010, p.44). Mais, dernier exemple, ne peut-on pas interpréter la culture

d’entreprise de la même façon ? L’effondrement des identités nationales et des institutions,

outils de régulation des populations, n’a-t-il pas laissé la possibilité aux organisations de

devenir le lieu paradoxal des valeurs, et de faire de la « culture » un outil de management ?

4. La reprise du biopouvoir chez G. Agamben

Le retour à la philosophie politique moderne, et à ses formes hétérogènes de pouvoir telles

qu’elles sont mises en évidence et analysées par M. Foucault, permet de mieux percevoir le

management dans son histoire et dans son actualité. Poursuivons toutefois notre chemin,

accompagnés de la relecture qu’en propose G. Agamben, et envisageons plus particulièrement

le déplacement que ce dernier opère dans la problématique du biopouvoir, et ce que nous

pouvons y gagner à la compréhension du management. Là où le premier faisait état d’une

irréductibilité foncière entre les trois modalités d’exercice du pouvoir (souveraineté, pouvoir

disciplinaire, biopolitique), là où il plaidait en faveur de l’incompatibilité et de la

discontinuité, le second envisage le rapport de la souveraineté à la vie, allant jusqu’à voir dans

cette seconde le fondement ultime et secret de la première : « La présente recherche concerne

ce point de jonction caché entre le modèle juridico-institutionnel et le modèle biopolitique du

pouvoir. L’un des résultats auxquels elle est parvenue est précisément le constat que les deux

analyses ne peuvent être séparées, et que l’implication de la vie nue dans la sphère politique

constitue le noyau originaire – quoique occulté – du pouvoir souverain. On peut dire en fait

9

que la production d’un corps biopolitique est l’acte originaire du pouvoir souverain » (G.

Agamben, 1997, p.14).

Le philosophe italien retourne alors chez Aristote, qui assure le départ entre le bios, le mode

de vie politique, et la zoé, la vie naturelle, cette seconde se trouvant exclue d’emblée de la

cité : la vie politique se fonde et se constitue dès son coup d’envoi grec par l’inclusion d’une

exclusion, la souveraineté repose dès le départ et constitutivement sur l’exception et la

relation de ban. Ce que M. Foucault (2001a, « La vérité et les formes juridiques », p.1482)

pensait être le propre de la séquestration du 19ème

siècle, en opposition à la réclusion du

18ème

: « Il s’agit donc d’une inclusion par exclusion. Voilà pourquoi j’opposerai la réclusion

à la séquestration ; la réclusion du XVIIIe siècle, qui a pour fonction essentielle l’exclusion

des marginaux ou le renforcement de la marginalité, et la séquestration du XIXe siècle, qui a

pour fonction l’inclusion et la normalisation. », G. Agamben l’étend à l’ensemble de la

philosophie politique occidentale (notons au passage que les deux penseurs utilisent la même

expression « inclusion par exclusion »). Le philosophe italien s’appuie alors sur une figure

énigmatique que l’on rencontre dans le droit romain, celle de l’Homo sacer, cet homme jugé

pour crime qu’il est impossible de sacrifier mais dont l’assassin ne sera pas condamné pour

homicide : « L’Homo sacer présenterait la figure originaire de la vie prise dans le ban

souverain et garderait ainsi la mémoire de l’exclusion originaire à travers laquelle s’est

formée la dimension politique. L’espace politique de la souveraineté se serait alors constitué à

travers une double exception, telle une excroissance du profane dans le religieux et du

religieux dans le profane qui dessine une zone d’indifférence entre le sacrifice et l’homicide.

On dira souveraine la sphère dans laquelle on peut tuer sans commettre d’homicide et sans

célébrer de sacrifice ; et sacrée, c’est-à-dire exposée au meurtre et insacrifiable, la vie qui a

été capturée dans cette sphère » (G. Agamben, 1997, p.93). Le ban est la prérogative du

souverain à l’origine de l’état d’exception comme structure d’inclusion par l’exclusion, le

banni se trouvant sous le coup de l’arbitraire souverain tout en étant a-ban-donné par la loi : il

se trouve en un seuil où vie et droit se confondent, où intérieur et extérieur entrent en une

zone d’indistinction et d’indétermination, en un endroit où il n’existe plus de hors-la-loi, la loi

se maintenant dans sa propre privation, s’appliquant dans sa non-application : « la vie nue est

ce qui est banni au double sens de ce qui est exclu de la communauté, mis au ban, mais qui est

de cette manière mis sous l’enseigne du souverain » (Katia Genel, 2004, p.7)

La vie nue deviendra paradoxalement, avec l’avènement de la modernité, la forme de vie

dominante en fusionnant avec l’espace politique lui-même : bios et zoé entrent dans une zone

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d’indifférenciation qui explique précisément la montée en puissance du biopouvoir à partir

des 17ème

et 18ème

siècles. Mais dire que « la vie nue se libère », c’est affirmer dans le même

temps que nos sociétés modernes ont fait de l’exception une règle : « Dès lors, la création

volontaire d’un état d’urgence permanent (même s’il n’est pas déclaré au sens technique) est

devenue l’une des pratiques essentielles des Etats contemporains, y compris ceux que l’on

appelle démocratiques » (G. Agamben, 2003, p.11). Or, l’état d’exception accède à sa pleine

réalisation dans l’espace des camps de concentration ; toutefois, avant de poursuivre cette

piste, tirons les leçons de cette brève synthèse des analyses de G. Agamben. Comment celles-

ci peuvent-elles venir éclairer l’essence du management et du coaching, en sus de ce que nous

avons déjà retiré des développements de M. Foucault à propos du biopouvoir ?

Le management contemporain participe de cette généralisation de l’état d’exception dans

lequel les normes se trouvent perpétuellement mises de côté. Les anciennes méthodes, les

principes traditionnels, les recommandations des fondateurs dont désormais périmés en ce

qu’ils voulaient faire de l’organisation un lieu de stabilité. Mais la fonctionnalité optimale est

désormais circulante : la structure organique (structures matricielles et réticulaires,

management de projets) damne le pion à la structure mécanique (la bureaucratie, l’usine

taylorienne), la flexibilité prime sur la reproduction des routines, la planification est

abandonnée au profit de l’adaptation, le changement permanent et l’amélioration continue

sont devenus des mots d’ordre, …Les capteurs du système (les indicateurs) permettent en

permanence l’analyse des écarts et l’ajustement des actions aux finalités poursuivies. Et l’on

en peut que pointer du doigt le paradoxe de la généralisation de l’état d’exception et de la

prolifération simultanée des normes (sociales, juridiques, environnementales,

managériales…) : mais cette inflation des normes ne renvoie qu’à leur non-sens, à leur vacuité

intrinsèque, ainsi qu’à l’impossibilité de toutes les appliquer concrètement. Ce mouvement est

typique de la postmodernité qui dépense son énergie à la création de normes et de droits sans

jamais poser la question de leur applicabilité.

Le coaching est ici une bonne illustration du rapport du management à l’état d’exception et à

la vie nue : dans le coaching, le coaché est dans l’entreprise sans y être, il se trouve dans

l’indifférenciation de l’intérieur et de l’extérieur, exactement comme dans la relation de ban.

Dans cette ban-lieue (le lieu du ban), dans cette « zone » d’indistinction (entre vie privée et

vie professionnelle), les normes organisationnelles s’appliquent en ne s’y appliquant plus :

elles sont sensées être absentes de la relation entre coach et coaché, centrée sur

l’apprentissage et la visée d’autonomie de ce dernier, mais réapparaissent subrepticement sous

11

la forme des objectifs, et forment surtout le cadre dans lequel le coaching se déroule (le

contrat). C’est pourquoi l’objectif « d’apprendre à apprendre », cette roue qui tourne à vide,

constitue le point exquis du management contemporain en général et du coaching en

particulier : apprendre quelque chose, ce serait apprendre un contenu et donc une norme de

savoir, processus d’apprentissage invalidé dans sa nature même par la généralisation de l’état

d’exception. Que reste-t-il à apprendre lorsque l’on retire au verbe sa transitivité et qu’on le

prive de son complément d’objet direct ? Il ne reste plus qu’à apprendre à apprendre, c’est-à-

dire à s’adapter en permanence aux fluctuations des exceptions qui se succèdent. Ainsi, le

management contemporain apparaît comme la multiplication des dispositifs d’exception :

réunions (physiques ou virtuelles), entretiens d’évaluation, projets, négociations,

formations,…forment le quotidien des organisations, à tel point que les tâches dites

« routinières » deviennent elles-mêmes des exceptions.

5. Du camp à l’organisation

« Le camp est l’espace qui s’ouvre lorsque l’état d’exception commence à devenir la règle »

(G. Agamben, 1997, p.182). En effet, dans le camp, la vie nue est totalement soumise au

pouvoir de la souveraineté : dépouillés de tout statut politique, les prisonniers sont

intégralement réduits à la vie nue, et sans possibilité de recours à une quelconque médiation.

Lieu de l’indistinction de la norme et de la vie, espace de l’indifférenciation du droit et du fait,

le camp signifie l’impossibilité de la distinction entre bios et zoe, entre le sujet politique et

l’être vivant. C’est pourquoi, aux yeux du philosophe italien, toute biopolitique est

potentiellement une thanatopolitique caractérisée par la violence. Mais G. Agamben poursuit

et pousse la logique jusqu’à son terme : loin d’assigner au camp le simple rôle d’exemple

historique dans l’économie de son argumentation, il le propulse au rang de matrice de l’espace

politique moderne : « Le camp en tant que localisation disloquante est la matrice cachée de la

politique où nous vivons encore et que nous devons apprendre à connaître, à travers toutes ses

métamorphoses, dans les zones d’attente de nos aéroports comme dans certaines périphéries

de nos villes. Il est ce quatrième élément qui vient s’ajouter, en la brisant, à l’ancienne trinité

Etat – nation (naissance) – territoire […] Le camp, qui s’est désormais solidement implanté

[dans la Cité] est le nouveau nomos biopolitique de la planète » (G. Agamben, 1997, p.189-

190). Le camp renvoie alors à un ensemble de situations dans lesquelles la vie nue se confond

avec l’espace politique, et qualifie par de voie de conséquences à la fois le totalitarisme

12

marqué par le rapport direct du pouvoir à la vie et la « démocratie gouvernementale »

caractérisée par la consommation et l’hédonisme.

On se doute des réactions qu’ont pu susciter les réflexions de G. Agamben : indignation

moralisatrice chez les uns (nous ne leur répondrons pas, la pensée ne se situant pas à ce

niveau), mise en évidence du réductionnisme, de l’assimilation irraisonnée et de la

suppression de la diversité des techniques de gouvernement (jouer M. Foucault contre G.

Agamben) pour les autres : « Par cette méthode d’assimilation entre pouvoir souverain,

pouvoir des SS et pouvoir médical, et par l’usage du camp comme figure générale, et en ce

sens imprécise dégageant la structure commune d’évènements et de réalités distinctes (camps

de concentration, d’extermination, d’internement, zone d’attente des aéroports, camps de

réfugiés), ces évènements ne sont plus suffisamment analysés de manière locale. Le transfert

de l’analyse du camp à une figuration de l’espace politique fait apparaître un paradigme

réducteur » (K. Genel, 2004, p.17). L’argument s’effondre, et l’on préserve le cœur et la

radicalité de la philosophie politique de G. Agamben, pour peu que l’on opère un

déplacement, dont il faudra au-delà de notre contribution analyser les répercussions pour les

sciences de gestion, et que l’on considère les camps de concentration, les zones d’attente

d’aéroports et les camps de réfugiés comme des cas – paroxystiques, certes, dans la

généralisation violente de l’état d’exception, et de ce fait plus visibles et plus aisément

détectables – d’organisations modernes. Le récent ouvrage de F. d’Almeida (2011) invite en

effet à une autre compréhension des camps de concentration : l’historien souhaite rendre

compte de la solution finale par la mise en évidence de dispositifs concrets de management

des gardiens de camp de concentration. Il démystifie cette institution en montrant qu’elle est

une organisation en relation avec un environnement, lui-même composé d’organisations

multiples (parmi lesquelles figure évidemment le Parti), une organisation qui se gère, d’autant

plus que la mission d’extermination de masse nécessite le bien-être des gardiens : « Himmler

DRH » (tel est le sous-titre d’un des chapitres), c’est l’arrivée dans les camps : des plans de

formation, de multiples loisirs (salles de sport, concerts, vacances), des cantines, des

logements de fonction, des bordels, des enquêtes de satisfaction…Comme le résume l’auteur,

« la vie des gardiennes et des gardiens devait être suffisamment agréable au quotidien pour

qu’ils puissent mobiliser toute leur violence au sein de l’institution concentrationnaire. Il ne

fallait pas qu’ils pâtissent de l’inactivité ou de l’oisiveté quand ils quittaient leur lieu de

travail pour un temps de repos, aussi bref fût-il. En ce sens, le nazisme est le premier exemple

de gestion des ressources inhumaines » (F. d’Almeida, 2011, p.26).

13

On ne saurait donc comprendre le camp de concentration sans le replacer dans un contexte

historique, celui de l’émergence des grandes organisations industrielles, et dans un

mouvement ontologique qui tend à diluer toute manifestation humaine dans un cadre

organisationnel : il s’agit de « la dualité « désinstitutionalisation de l’institution –

institutionnalisation de l’organisation », cette institutionnalisation ne débouchant pas sur

l’institution » (Yvon Pesqueux, 2007, p.9). L’institution, lieu de valeurs, de normes, c’est-à-

dire de devoir-être, du moins s’efface sinon s’effondre au profit de la logique

organisationnelle qui se déroule sur le plan de la pure immanence fonctionnelle. Or, la

disparition de l’écart entre fait (fonction) et droit (valeurs et normes) au profit du premier crée

les conditions de l’apparition de la vie nue, et de son exclusivité dans l’espace public : que ne

faut-il pas conclure du destin contemporain de nos vies humaines, irrémédiablement liées aux

organisations depuis la maternelle jusqu’au cimetière (Henry Mintzberg, 2004) ? Force est de

conclure à la généralisation de l’état d’exception dans ce double mouvement de devenir-

monde des organisations (« mondialisation ») et de devenir-organisation du monde (souligné

par Y. Pesqueux). Cette réalité ne s’impose toutefois pas d’elle-même : le management se

définit précisément comme un méta-dispositif, ou encore comme le réseau des dispositifs,

dont le coaching fait partie, de perpétuation de l’état d’exception et de gouvernement de la vie

nue.

6. Les dispositifs contemporains et la désubjectivation

Mais que faut-il alors entendre par dispositif ? G. Agamben a commis un ouvrage sur cette

question : établissant des parallèles et des rapprochements entre le Gestell heideggérien, la

notion foucaldienne de dispositif et la dispositio des théologiens, il constate que tous

renvoient « à une économie, c’est-à-dire à un ensemble de praxis, de savoirs, de mesures,

d’institutions dont le but est de gérer, de gouverner, de contrôler et d’orienter – en un sens qui

se veut utile – les comportements, les gestes et les pensées des hommes » (G. Agamben, 2007,

p.28). Le philosophe donne une extension très large à cette notion, puisqu’il considère les

stylos, la philosophie voire le langage comme des dispositifs ; il en repère l’origine dans la

séparation entre le profane et le sacré opérée par le sacrifice (d’où son appel à la profanation

considérée comme un contre-dispositif de ré-unification (G. Agamben, 2006)), et souligne,

rappelant en cela les thèses de Guy Debord sur la société du spectacle, à quel point le

capitalisme amplifie et généralise le régime de la séparation. Poursuivant son raisonnement,

et jetant un pont entre le M. Foucault de la seconde et celui de la troisième période, G.

14

Agamben montre que le gouvernement des hommes, c’est-à-dire le biopouvoir, nécessite la

subjectivation, la production de sujets : « Tout dispositif implique un processus de

subjectivation sans lequel le dispositif ne saurait fonctionner comme dispositif de

gouvernement, mais se réduit à un pur exercice de violence » (G. Agamben, 2007, p.41-42).

La constitution des corps dociles et utiles, dans les prisons, les asiles et les usines, préserve

encore une liberté à l’intérieur de la docilité : elle en est même le ressort.

Cela n’est plus le cas dans la phase actuelle du capitalisme ; il existe ainsi une différence

fondamentale entre les dispositifs traditionnels et les dispositifs modernes : alors que les

premiers étaient à l’origine de la production de sujets, production parfois incontrôlée

d’ailleurs, les seconds n’engendrent que des processus de désubjectivation, ou, plus

précisément, établissent une indifférence voire une réciprocité ou encore une équivalence

entre subjectivation et désubjectivation : « Un moment de désubjectivation était bien

enveloppé dans tout processus de subjectivation et le Moi de la pénitence [dans le cadre de la

confession] ne se constituait effectivement qu’en se niant ; mais aujourd’hui, processus de

subjectivation et processus de désubjectivation semblent devenir réciproquement indifférents

et ne donnent plus lieu à la recomposition d’un nouveau sujet, sinon sous une forme larvée, et

pour ainsi dire, spectrale » (G. Agamben, 2007, p.44). Voici donc la nature et les

conséquences de la multiplication des dispositifs contemporains : l’articulation inédite, et

restée impensée chez M. Foucault, entre discipline et biopolitique, rendue possible par les

innombrables processus de désubjectivation dont la causalité circulaire semble implacable : la

production individuelle d’insujets (par exemple le téléphone portable dans la société et

l’entretien d’évaluation en entreprise) facilite le contrôle biopolitique des masses ;

inversement, la production de la masse (par exemple la publicité et la consommation dans la

société et la GPEC en entreprise) facilite le contrôle disciplinaire des individus. Tant que les

mécanismes disciplinaires produisaient encore des sujets, la biopolitique ne pouvait rester

qu’hétérogène à ce type de pouvoir ; les dispositifs contemporains producteurs d’insujets

effacent cette frontière et inaugurent une nouvelle ère du biopouvoir.

Il devient alors expédient de relire le coaching à l’aune des développements précédents. Il fait

partie de ces dispositifs rentrant dans le cadre de l’individualisation du traitement des

ressources humaines (rémunération, évaluation, gestion de carrière et mobilité,…), il

entretient par conséquent la confusion : car individualisation ne vaut pas subjectivation. De

surcroît, le coaching, comme nous l’avons déjà montré plus haut, articule à la fois contrôle le

disciplinaire centré sur l’individu mais aussi la biopolitique organisationnelle. Pourquoi le

15

coaching produirait-il des insujets, alors même qu’il prétend amener les coachés à

l’autonomie ? Le constructivisme radical du coaching, hérité de l’école de Palo Alto, mis en

pratique par la programmation neurolinguistique et l’analyse transactionnelle, conduit par

l’empathie et les méthodes du développement de la personne de Carl Rogers d’Abraham

Maslow, tous courants et tous auteurs dont l’analyse bibliométrique menée par Sybil Persson

(2005) montre l’insigne importante pour les coachs et dont l’analyse généalogique de Baptiste

Rappin (2011) montre l’enchaînement historique, et bien ce constructivisme radical mène les

coachés à changer « d’identités comme de chaussettes », à devenir des zappeurs d’eux-

mêmes, puisque l’identité n’est qu’un jeu de déconstruction-reconstruction, puisqu’elle n’est

qu’une question de déprogrammation-reprogrammation et qu’elle n’est jamais figée, toujours

reconfigurable selon les désirs de l’individu ou les impératifs du contexte. Le coaching

entretient l’être-au-monde du bloom : « Le Bloom apparaît inséparablement comme produit et

cause de la liquidation de tout ethos substantiel, sous l’effet de l’irruption de la marchandise

dans l’ensemble des rapports humains. Il est donc lui-même l’homme sans substantialité,

l’homme devenu réellement abstrait, pour avoir été effectivement coupé de tout milieu,

dépossédé de toute appartenance puis jeté dans l’errance » (Tiqqun, 2000, p.48-49). Faut-il

rappeler, avec Heidegger, que le sujet est substance, et donc que l’individu sans substance, le

Bloom, est désubjectivé, qu’il est irrémédiablement un insujet « qui a pris le sentiment d’être

chez soi dans l’exil » et « qui s’est enraciné dans l’absence de lieu » (Tiqqun, 2000, p.50). Et

le Bloom se gère d’autant mieux qu’il devient abstrait et dépourvu de toutes qualités concrètes

et existentielles qui pourraient être porteuses de résistances face au biopouvoir.

7. Règne, Gouvernement et Management

L’analyse des dispositifs ne s’arrête toutefois pas là, car elle ouvre la voie à une surprenante

archéologie qui, là aussi, est le travail d’une relecture de la méthode foucaldienne : « Quand

on entreprend une recherche archéologique, il faut prendre en considération la possibilité que

la généalogie d’un concept ou d’une institution politique puisse se situer dans une sphère

différente de celle qu’on envisageait au départ de l’enquête (par exemple, non pas dans la

science politique, mais dans la théologie) » (G. Agamben, 2008a, p.177). Les signatures

(2008b) représentent justement ces processus par lesquels les doctrines, les discours et les

pratiques subissent des déplacements et des transferts d’un domaine à l’autre : ainsi, la

sécularisation ne doit pas être comprise comme la sortie de la religion, mais comme le

redéploiement des catégories théologiques dans le domaine immanent de la politique selon C.

16

Schmitt (à travers la notion de souveraineté), mais plus sûrement de l’économie selon G.

Agamben (à travers la notion d’oikonomia). L’archéologie agambienne fait ressortir un

impensé inimaginable du management, ses fondations théologiques.

Car, dispositio est la traduction latine du grec oikonomia, ce dernier signifiant, chez Aristote

ou encore Xénophon, la bonne gestion de la maison, l’administration du foyer, l’organisation

fonctionnelle du domaine. Ce détour étymologique fait tout d’abord prendre conscience de

l’équivalence de l’économie et du management, et que la science économique (tout comme le

droit a pu le faire dans le cadre des théories de la souveraineté) a pour objectif de masquer

cette équivalence, c’est-à-dire l’activité de gouvernement de l’économie. Et l’on peut alors

aller jusqu’à dire que la loi, qu’elle soit juridique (souveraineté) ou scientifique (science

économique), camoufle le jeu de la norme. Mais le détour étymologique fait également

apparaître que l’économie et le management sont un ensemble articulé et réticulaire de

dispositions et de dispositifs visant à rendre l’homme disponible. Non plus à l’enfermer, mais

au contraire à l’ouvrir : il fallait l’enfermer (prisons, asiles, usines…), il faut désormais qu’il

soit flexible (moralement : tolérance et ouverture ; économiquement : employabilité et

mobilité ; politiquement : régulation ; etc). Or, le terme d’oikonomia a été utilisé dans la

littérature théologique, et ce dès Saint Paul, pour penser la nature de la communauté

messianique ; il a été également le concept stratégique par lequel les Pères de l’Eglise ont

réussi à surmonter les contradictions de la Trinité pointées du doigt par les Gnostiques :

comment expliquer que Dieu soit un et trine à la fois, comment rendre compte de son absolue

transcendance et de ses interventions dans l’immanence, comment Dieu peut-il être immobile

et en activité à la fois ? Tout l’édifice du christianisme est menacé par les apories et les

insurmontables paradoxes soulignés dans ces questions : l’oikonomia est précisément

l’opération qui assure la réconciliation entre l’unité et la trinité en déplaçant la question du

mystère de Dieu vers l’économie elle-même : « Le mystère n’est plus, comme chez Paul, le

plan divin de la rédemption, qui nécessite une activité de mise en acte et de révélation – une

oikonomia justement en soi parfaitement claire ; le mystère est désormais l’économie elle-

même, la praxis à travers laquelle Dieu met ensemble la vie divine (en l’articulant dans la

Trinité) et le monde des créatures (en conférant à chaque évènement une signification

cachée) » (G. Agamben, 2008a, p.89). Il s’ensuit un dualisme entre l’être et l’activité qui est à

l’origine de deux paradigmes nettement distincts mais formant système, d’une part la tradition

théologico-politique dont la souveraineté (règne) émane et d’autre part la tradition théologico-

économique dont le biopouvoir (gouvernement) est issu.

17

Cette archéologie permet au philosophe italien d’examiner le rapport entre le règne et le

gouvernement : « Et de même que Trinité immanente et Trinité économique, théologie et

oikonomia constituent dans le paradigme providentiel une machine bipolaire, dont, par la

distinction et la corrélation de ses éléments, résulte le gouvernement divin du monde, de

même Règne et Gouvernement constituent les deux éléments ou les deux faces d’une même

machine du pouvoir » (G. Agamben 2008a, p.345). Certes, dans la modernité, le pouvoir

s’exerce de façon privilégiée par le vecteur de l’économie, c’est-à-dire du biopouvoir.

Néanmoins, ce biopouvoir a toujours besoin de « recevoir des acclamations rituelles et des

chants de louanges, de revêtir des couronnes et des tiares encombrantes, de se soumettre à un

cérémonial pénible et à un protocole immuable » (2008a, p.297) : il lui faut recourir au Règne

et à la gloire. Pourquoi ? « Car la gloire, en théologie comme en politique, est précisément ce

qui prend la place de ce vide impensable qu’est le désœuvrement du pouvoir ; néanmoins,

cette indicible vacuité même est ce qui nourrit et alimente le pouvoir (ou mieux, ce que la

machine du pouvoir change en nourriture). Cela signifie qu’en réalité le centre du dispositif

gouvernemental, le seuil où Règne et Gouvernement communiquent sans cesse et sans cesse

se distinguent, est vide […], et pourtant ce désœuvrement est si essentiel pour la machine

qu’il doit être assumé et gardé en son centre à tout prix sous la forme de la gloire » (2008a,

p.362). En fin de compte émerge un parallèle voire un isomorphisme entre la souveraineté et

le gouvernement : si la première capture la vie nue à travers l’état d’exception, le second

capture le désœuvrement de la vie humaine par la gloire.

8. Retour vers le management et le coaching

Il nous reste alors à interroger la place du management contemporain dans cette machine

bipolaire du pouvoir occidental. Nous proposons deux hypothèses de recherche pour des

développements futurs, deux hypothèses ici à peine esquissées et entre lesquelles il ne sera

pas tranché dans cet article :

L’hypothèse du prolongement dans laquelle le management perpétue la tradition politique

occidentale multimillénaire fondée sur la machine bipolaire Règne/Gouvernement.

S’ouvrent alors de nouvelles perspectives de réflexion et de compréhension basées sur

l’identification des processus glorieux en organisation : le coaching pourrait ainsi être

considéré comme un espace-temps liturgique et non productif (en dépit des discours

affichés), comme une mise en scène symbolique, comme un appareil de glorification

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destiné à régénérer et à actualiser la machine gouvernementale. L’angle d’analyse du

coaching se déplacerait ainsi de l’étude de sa performance à la mise en évidence de sa

performativité. Mais, de façon générale, ne peut-on pas également considérer la culture

d’entreprise (mythes fondateurs, grand-messes, rites, symboles) comme l’artifice visant à

masquer le désœuvrement à la source du pouvoir ? Ne peut-on pas en outre relire le

leadership à l’aune de ces développements ? Cette hypothèse du prolongement pourrait être

appuyée sur l’anthropologie dogmatique de Pierre Legendre qui met exergue la

dépendance de l’exercice du pouvoir à l’existence d’un Texte, c’est-à-dire d’une Référence

absolue qui se met rituellement en scène.

L’hypothèse de la fin de la machine bipolaire occidentale : entendons ici « fin » dans sa

double signification de « terme » et d’ « accomplissement ». Le management réalise la

réunion de l’être et de l’action dont la fracture est à l’origine de la dichotomie

Règne/Gouvernement, en ce sens que tout processus de légitimation glorieuse fait

désormais l’objet d’une approche gestionnaire. Dans ce cas, le coaching ne peut plus être

pensé comme un processus de glorification, mais comme un dispositif s’étant émancipé de

la gloire : coupé de l’être et relié au seul registre de l’action, le coaching ne saurait

qu’aboutir à la désubjectivation – cela s’effectue, comme nous l’avons montré plus haut, à

l’aide de principes et de techniques constructivistes qui nient le domaine de l’être. Il

devient alors expédient, dans le cadre de cette hypothèse de la fin, de penser le

management comme un type inédit de pouvoir : le recours à Baudrillard qui caractérise

dans ses travaux le monde contemporain comme celui de l’effondrement de la scène (l’ob-

scénité ne permettant plus à la gloire de se mettre en scène) ou encore à Arendt qui

considère la modernité comme l’époque la disparition de l’être au profit de l’hégémonie du

processus sont de sérieux arguments en faveur de cette thèse.

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