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DU MÊME AUTEURekladata.com/.../Trahie-Danielle-Steel.pdf · 2015. 10. 19. · Danielle Steel TRAHIE Roman Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Bertrand. A mes enfants

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  • DUMÊMEAUTEURCHEZLEMÊMEÉDITEUR

    AlbumdefamilleLaFindel’étéIlétaitunefoisl’amourAunomducœurSecretsUneautrevieLaMaisondesjoursheureuxLaRondedessouvenirsTraverséesLesPromessesdelapassionLaVagabondeLovingLaBelleVieUnparfaitinconnuKaléidoscopeZoyaStarCherDaddySouvenirsduVietnamCoupsdecœurUnsigrandamourJoyauxNaissancesLeCadeauAccidentPleinCielL’AnneaudeCassandraCinqJoursàParisPalominoLaFoudreMalveillanceSouvenirsd’amourHonneuretCourageLeRanchRenaissanceLeFantômeUnrayondelumièreUnmondederêveLeKloneetmoiUnsilongcheminUnesaisondepassionDoubleRefletDouce-Amère

  • MaintenantetpourtoujoursForcesirrésistiblesLeMariageMamieDanVoyageLeBaiserRuedel’EspoirL’AiglesolitaireLeCottageCourageVœuxsecretsCoucherdesoleilàSaint-TropezRendez-vousAbonportL’AngegardienRançonLesEchosdupasséSecondeChanceImpossibleEternelsCélibatairesLaClédubonheurMiraclePrincesseSœursetamiesLeBalVillanuméro2UnegrâceinfinieParisretrouvéIrrésistibleUnefemmelibreAujourlejourOffrirl’espoirAffairedecœurLesLueursduSudUnegrandefilleLiensfamiliauxColocatairesEnhéritageDisparuJoyeuxAnniversaireHôtelVendôme

  • DanielleSteel

    TRAHIE

    Roman

    Traduitdel’anglais(Etats-Unis)parFlorenceBertrand

  • Amesenfantsbien-aimés,Beatrix,Trevor,Todd,Nick,Sam,Victoria,Vanessa,MaxxetZara,

    Quevotreconfiancenesoitjamaistrahie,Quevotrecœursoittoujourstraitéavectendresseetrespect,

    Etquel’amourdonnévoussoitdixfoisrendu.

    Detoutmoncœuretavectoutemonaffection,Maman/d.s.

  • «ChaqueperteapporteungainToutcommechaquegainapporteuneperte,

    EtavecchaquefinVientunnouveaucommencement.»

    Proverbebouddhiste

  • 1

    Deux hommes étaient étendus, immobiles sous le soleil brûlant du désert, victimes de l’énormeexplosionquiavaitretentiunpeuplustôt.Bienqu’ilsaientappartenuàdeuxcampsennemis,l’untenaitmaintenant lamain de l’autre, qui se vidait de son sang. Ils échangèrent un regard, et le blessé renditl’âme.Leclaquementsecd’unedétonations’élevaalorsdansl’air.Souslesyeuxdusurvivantterrifié,untireursurgitdenullepart.

    —Coupez!criaunevoixaumilieudusilence.C’estdanslaboîte!Enquelquessecondes,cefutl’effervescence.Lemortsereleva,unflotd’hémoglobinedégoulinantle

    longdesoncou.Unassistantdeproductionseprécipitapourluioffriruneboissonfraîche,qu’ilacceptaavecreconnaissance.L’autrecomédienquittaleplateauendirectiondelacantineinstalléeàproximité.

    Parmi lesbavardages, les cris et les rires, une jeune femmegrande etmince, très souriante, vêtued’undébardeurtrouéetd’unshortenjeanquis’effilochait,discutaitavecl’équipetechnique.Elleavaitde beaux yeux verts, le teint hâlé et de longs cheveux blonds, qu’elle avait rassemblés en un chignonlâche.Elleattrapalabouteilled’eauglacéequ’onluitendait.«Çavaêtrelascène-clédufilm»,affirma-t-elle au chef caméraman et au preneur de son, alors que les gens allaient et venaient autour d’eux,s’assurantqu’elleétaitsatisfaite.Touts’étaitdéroulésansanicrocheetunparfumdevictoireflottaitsurleplateau.

    L’Hommedessables seraitàn’enpasdouterunsuccès,commetous les longs-métragesqueTallieJonesavaitréalisésjusqu’ici.Atrente-neufans,elleavaitdéjàétésélectionnéedeuxfoispourlesOscarsetavaitdécrochédeuxGoldenGlobes.Ses filmsbattaientdes recordsaubox-office,carelleymêlaithabilementscènesd’actionetmomentsd’émotion,avecjusteassezdeviolencepourplaireauxhommesetdesensibilitépourséduire lesfemmes.Autrementdit,ellecombinait lemeilleurdesdeuxgenreset,commeMidas,transformaitenortoutcequ’elletouchait.

    Auxanges,Tallieretournaàlacaravanequiluiservaitdebureau,sonexemplaireécornéduscénariosous lebras.Perfectionniste, ellepeaufinait sanscesse son travail.Sescollaborateursdisaientqu’elleétaittrèsautoritaire,maislesrésultatsobtenusenvalaientlapeine.

    Consultant sonBlackBerry, elle vit qu’elle avait deuxmessages de sa fille, étudiante en premièreannéeàl’universitédeNewYork.Maxine,qu’onsurnommaitMax,étaitaussiblondeetélancéequesamère, qu’elle dépassait d’une tête. Quand elles sortaient ensemble, on les prenait parfois pour deuxsœurs.

    Passionnéededroit,Maxinen’étaitabsolumentpastentéeparunecarrièrecinématographique.Ellevoulait être avocate comme songrand-pèrematernel,Sam Jones.Ce ténordubarreau avait épousé ensecondesnoceslamèredeTallie,devingt-quatreanssacadette.Quandcelle-ciavaitétéemportéeparuneleucémie,TallieétaitencoreaulycéeetSaml’avaitalorsélevéeseul.Ilétaitextrêmementfierd’elle,l’avaitsoutenuedanstoussesprojetsetrestaittrèsprotecteuràsonégard.Agédequatre-vingt-cinqansà

  • présent, il souffrait d’arthrose et ne sortait plus que rarement.Aussi était-elle son lien avec lemondeextérieur.Ilssetéléphonaientchaquejour,etilaimaitqu’elleluiracontesestournages.

    Tallieétaittombéeamoureuseduseptièmeartgrâceàsamère.Celle-ciavaitrêvéd’êtrecomédienneetluiavaitcommuniquésapassion,l’emmenantdèssonplusjeuneâgedanslessallesobscurespourluifaire découvrir les classiques. Elle l’avait baptisée Tallulah en hommage à l’excentrique TallulahBankhead,qu’elleconsidéraitcommel’actricelaplussophistiquéeduXXesiècle.SiTallien’avaitjamaisaimé ce prénom, qu’elle avait raccourci pour le rendre acceptable, elle avait en revanche adoré cessortiesavecsamèreetregrettaitquecettedernièren’aitpasvécuassezlongtempspourêtretémoindesacarrière.

    Côtécœur,Tallieavaitconnudeshautsetdesbas,cequin’étaitguèreétonnantdanscemilieu,oùlesrelationséphémèresétaientmonnaiecourante.Elleaffirmaitqu’ilétaitimpossibledetrouverunhommenormalethonnêtedansl’industrieducinéma.

    LepèredeMaxinen’étaitpasdecemonde-là.C’étaitunséduisantcow-boyduMontana,queTallieavait rencontré à l’université, en Californie. Enceinte à vingt ans, elle avait mis ses études entreparenthèsespourdonnernaissanceaubébé.Samavaitinsistépourquelesjeunesgenssemarient,maisilsn’étaientguèreplusquedesenfants,etlepèredeMaxineétaitretournédansleMontanaavantmêmequesafilleaitsixmois.Après leurdivorce,Tallieavait tentédemaintenir lecontact,cependant leursviesétaienttropdifférentes:ilétaitdevenuunprodesrodéos,avaitépouséunefilleduWyomingeteutroisautresenfants.Entoutetpourtout,Maxineavaitvusonpèrequatrefoisdanssavie.Iln’étaitpasmalintentionné, seulement il n’avait créé aucun lien affectif avec elle et se contentait de lui envoyerchaque année une carte pour son anniversaire et, pour Noël, un cadeau glané pendant la saison desrodéos.

    Tallieavaittoujourseupourrègledenepassortiravecunacteurquandelleétaitentournage,maiselleavaitfaituneexceptionpourunestarbritanniquequiluiavaittournélatête.Elleavaittrenteansetluivingt-huitquandellel’avaitépousésansréfléchir;ill’avaittrompéeaugrandjoursixmoisplustard.Leurunion avait duréonzemois au total, ils n’en avaient passéque trois ensemble, etTallie avait dûdébourserunmilliondedollarspourymettrefin.Cethommeétantd’unecupiditéeffroyable,elleavaitpayéchersonerreur.

    Après ce second divorce, elle était restée seule cinq ans durant, se consacrant à sa fille et à sacarrière.SarencontreavecHunterLloyd,unproducteurenvue,avaitétéuneagréablesurprise.Huntétaitungéantaucœurtendre,àquionnepouvaitrienreprocher:iln’étaitnimenteur,nivolage,nialcoolique.Il avait eu sa part de déboires conjugaux avec deuxmariages qui s’étaient soldés par un échec et luiavaient coûté une fortune. Au bout d’un an, ayant laissé sa splendide propriété de Bel Air à son ex-femme,ilétaitvenus’installerchezTallie.Ilss’aimaient,etMaxineadoraitHunt,quilatraitaitcommesaproprefille.

    Ensemble,ilsavaienteuencoreplusdesuccèsqueséparément.LepremierfilmdeTallieproduitparHuntavaitétéuntriompheetceluiqu’elleétaitentraind’acheversemblaittoutaussiprometteur.Tallieétait heureuse, comblée par la relation solide, calme et enjouée qu’elle entretenait avecHunt. Restéemodesteendépitdesaréussite,elleaimaitmeneruneviepaisible.Detoutemanière,ellen’avaitpasletemps de sortir, passant ses journées soit sur un plateau, soit à préparer un tournage, soit enpostproduction.

    Elle avait pourtantdébutédevant la caméra.Avingt etunans, après lanaissancedeMaxine, elleavait été repéréeparunagentdeHollywooddansun supermarché. Il lui avaitobtenuunboutd’essai,suffisammentconcluantpourqu’onluioffreunrôle,qu’elleavaitacceptéenmémoiredesamère,sachantcombien cela aurait compté à ses yeux. Elle était photogénique et s’en était bien tirée ; cependant, laprofession d’actrice ne l’attirait pas, et les obligations sociales qu’un tel métier exigeait la tentaientencoremoins.Augranddamdesonagent,elleavaitrefusélesnombreusespropositionsquiavaientsuivi.

  • Seulelamiseenscènelapassionnait.Aussi,quandelleretournaàl’université,cefutpours’inscriredansun cursus de cinéma, où elle neménagea pas ses efforts. Sonprojet de fin d’études, un court-métrageintituléLaVéritésurleshommesetlesfemmes,tournéavecdesboutsdeficelleetfinancéavecl’aidedesonpère,avaitfaitparlerd’elleetlancésacarrière.Jamaisellen’avaiteulemoindreregretd’êtrepasséeàlaréalisation.

    L’engouement du public et de la critique pour ses films lui avait très vite assuré une sécuritéfinancière.Dix-sept ans plus tard, sa popularité était au plus haut ; elle comptait désormais parmi lesmetteurs en scène les plus cotés de Hollywood. Elle adorait son métier. Ce qu’elle n’aimait pas etn’aimeraitjamais,enrevanche,c’étaientlesà-côtés:lacélébrité,lesmédias,lespremières,lefeudesprojecteurs.Sielleavaitdécidédedevenirréalisatrice,c’étaitpourdonnervieàunscriptetdirigerlesacteurs.Tallieétaitunecréatrice,uneartiste,quis’investissaitentièrementdanssesprojets.Ellerefusaitl’étiquettedestar,préféraitresterdansl’ombre,etn’enfaisaitpasmystère:sonrôleconsistaitàmettrelesautresenvaleur.

    Lapremièrefoisqu’elleavaitétésélectionnéepourlesGoldenGlobes,elleétaitallées’acheterunerobeencatastrophe:ellenepossédaitaucunetenuequifûtassezélégantepourunetelleoccasion.Elleneportaitquedesvêtementsconfortables,enpiteuxétatpourlaplupart.

    Le tournage en extérieur se déroulait non loin de Palm Springs. Tallie disposait d’une chambred’hôtelsurplace,mais,engénéral,elles’efforçaitderentreràLosAngeleslesoir.Ouc’étaitHuntquivenaitlaretrouverquandilpouvaitselibérer.

    Aprèsavoircoincétroiscrayonsàpapieretunstylodanssescheveuxpourfairetenirsonchignon,ellegriffonnades indicationssursonscriptet répondità sese-mails.Ellesortaitdesacaravanepourallervisionnerlesrushsdelajournéequandunnuagedepoussièresurlarouteattirasonattention.

    Elle plissa les yeux afin de les protéger du soleil couchant, regardant l’étincelante AstonMartinmétalliséeapprocheràviveallure.Levéhiculefitunarrêtplutôtbrusqueenarrivantàsahauteuret laconductriceendescendità lahâte,sacrinièreblondeébourifféepar levent.Vêtued’uneminijupetrèssexyquirévélaitdesjambesinterminables,portantunénormebraceletturquoise,desbouclesd’oreillesendiamantetdestalonsvertigineux,ellesemblaittoutdroitsortied’unfilm.

    —Zut,nemedispasquej’airatéladernièreprise!s’écria-t-elle,l’aircontrariée.—Si,maisças’estsuperbienpassé,réponditTallieensouriant.Tupeuxvenirregarder lesrushs

    avecmoi.BrigitteParkerparutsoulagée.— Je suis désolée d’être en retard, il y avait une circulation dingue. J’ai été bloquée deux fois

    pendantunedemi-heure.La jeune femme avait tout d’une star. Avec ses talons aiguilles, elle était plus grande que Tallie.

    Depuissonmaquillageimpeccablejusqu’àsatenuequiépousaitàlaperfectionlescourbesdesoncorps,chaquedétailétaitchoisipourattirer les regards.Ellen’hésitaitpasnonplusà recourirà lachirurgieesthétique:elles’étaitfaitfaireunliftingautourdesyeux,étaitfièredesesimplants,sefaisaitinjecterduBotoxpourlisserlesridesdesonfront,ducollagènepourrendreseslèvrespluspulpeuses,etfréquentaitassidûmentlasalledesportlapluscouruedeHollywood.

    Tallie,elle,nesesouciaitaucunementdesonapparence,aussiétrangequecelapuisseparaîtredanscemilieu.Ellerespiraitlenaturel,avecsescheveuxendésordre,sesbasketsmontantes,sesjeansetsestee-shirts troués qui lui donnaient l’allure d’une étudiante. Les deux femmes, chacune à sa manière,paraissaientdixansdemoinsqueleurâge.

    Elless’étaientrencontréesàlafac.Al’époque,Brigitten’avaitqu’uneenvie,deveniractrice,mêmesiellen’étaitpasobligéedegagnersavie,puisqu’elleappartenaitàlahautesociétédeSanFrancisco.CommeTallie,elleavaitperdusamèretrèstôt.Sonpères’étaitremariépeuaprèsavecunefemmebienplus jeune, et la perspective de vivre avec sa « marâtre », comme elle l’appelait, l’avait poussée à

  • s’installeràLosAngeles.Talliel’avaitengagéeentantqu’assistantesursonpremiertournageetavaitététellementimpressionnéeparsonsensdel’organisationetsonefficacitéqu’ellel’avaitsollicitéepourlesuivant.

    Enfindecompte,Brigitteavaitrenoncéàsonrêved’êtrecomédiennepourdevenirsonbrasdroit.Elleaimaitàdirequ’elle recevraitvolontiersuneballeàsaplace.Elle tiraitunegrandefiertédesontravail:aucunetâchen’étaittropdifficile,tropexigeante,tropprenanteoutropinsignifianteàsesyeux.Parcertainscôtés,ilyavaitchezTallietantdenaïvetéetdesimplicitéqu’elleavaitbesoindequelqu’uncommeBrigittepourluiservirdebouclier.Celle-cis’épanouissaitdanscerôle,laprotégeaitrésolumentdelapresseetdureste,etlareprésentaitàl’extérieur,lalaissantlibredeseconsacreràsontravailouàsa fille. Leur arrangement fonctionnait à merveille. Elles passaient tant de temps ensemble qu’ellesétaientdevenuesdevraiesamies.

    Ellespartirentendirectiondelacaravanetechnique,TallieparlantavecanimationdesprisesdelajournéetandisqueBrigittemarchaitàpetitspasmaniéréssurlechemininégal.

    —Tudevraist’acheterunepairedechaussurescorrecte,lataquinaTallieavecunsourire.Lesujetrevenaitsouvent,maisBrigitten’avaitjamaisrenoncépourautantàsestalonsaiguilles.—DesConverse,commetoi?répliqua-t-elleengloussant.Depréférence,Tallielesportaitdéchirées,tachéesetcribléesdetrous.L’éléganceétaitvraimentle

    cadetdesessoucis.Heureusement,Hunts’enmoquait luiaussi.Certes, ilétaitplusmondainqu’elleàcausedesonmétier,maisill’aimaittellequ’elleétait,toujoursravidelaretrouver,étendueparterreousurlecanapé,plongéedansunscript.Qu’elleprenneounonlapeinedesecoiffer luiétait indifférent.Son style décontracté faisait partie de son charme, et ce qu’il admirait le plus chez elle, c’était sonintelligenceetsacréativité.

    Lesjeunesfemmesregardèrentlesrushs.Silencieuseetconcentrée,àl’affûtdumoindredétail,Tallieinterrompitlevisionnageplusieursfoispourfairepartdesesremarquesauxmonteursquitravailleraientsurlesimagesenpostproduction.Sonœilsaisissaitdesnuancesquiéchappaientauxautres.Ellen’étaitpas devenue une cinéaste hors pair sans raison. Il était sept heures passées quand elle regagna sacaravane,aprèsunelonguediscussionavecl’assistantréalisateur.Elleétaitfatiguéemaiscontente.

    —Turentresàlamaison,cesoir?s’enquitBrigitte.Celle-cigardait enpermanenceun sacdevoyagedans le coffrede savoiture aucasoùTallie lui

    demanderait de rester. Toujours disponible, elle ne voyait aucun inconvénient à reléguer ses propresprojetsausecondplan.C’étaitlàunedesnombreusesqualitésquilarendaientirremplaçable.HuntdisaitàTalliequ’elleavaittrouvélaperlerare.

    —Jenesaispas.Tuasvumoncherettendreavantdepartir?Tallieavaitenviedeleretrouver,mêmesiellesavaitqu’elleneseraitpasderetourenvilleavant

    neufoudixheuresetqu’elledevraitsecouchertôtpourêtredeboutàquatreheureslelendemainmatin.—Oui.Iladitqu’ilteprépareraitàdînersiturentraisouqu’ilviendraitterejoindre.J’aipromisde

    leteniraucourant.Tallien’hésitaqu’uninstant.Tantpiss’ilsnepassaientquedeuxheuresensemble!Elleaimaitêtre

    chezelle,etHuntétaituncordon-bleu.—Jepréfèrerentrer,jecrois.—Jevaisconduire,alors.Tupourrasdormirenroute.Lajournéeavaitétélongue,commetoujourslorsqu’ilstournaientenextérieur.—Merci.Elleattrapasonsacàmain,enréalitéunevieillesacochedeplombierdénichéedansunvide-greniers

    quelques mois plus tôt. Un fourre-tout parfait pour les scripts et cahiers qu’elle emportait partout etqu’elleouvraitdèsqu’elleavaitunmoment.Elleprenaitconstammentdesnotes,quecesoitpourlefilmencours,lesuivant,ouenvuedeprojetsfuturs.Unefouled’idéessepressaientdanssatête.

  • Commeconvenu,BrigitteenvoyauntextoàHuntpourl’avertirdeleurretour.Cejour-là,elleavaitpassédesdizainesdecoupsde téléphone,s’étaitoccupéed’unemultitudedecourses,avaitcommandédeslivresdedroitpourMaxineàNewYorketréglédesfactures.Elletravaillaitdur,maissonassiduitéétaitrécompensée.Chaquefoisqu’elles’extasiaitdevantunensemble,unevestedefourrureouunbijoudansunmagasin,on lui en faisait cadeau.Bijoutierset couturiersespéraientce faisant inciterTallieàporterleurscréations.Celle-cicependantpréféraitmillefoisenfaireprofitersonamie.C’estainsiqueBrigitteavaitobtenuunrabais importantsur l’AstonMartin. Issued’unefamille riche,ellen’avaitpasbesoin de telles faveurs, néanmoins elle les appréciait et se félicitait de ne pas avoir à solliciterfinancièrement son père. Et grâce à l’héritage laissé par sa mère, elle avait pu acheter une maisonsplendideavecpiscinedanslescollinesdeHollywood.Unmagnifiqueinvestissement,carlapropriétéavaitplusquedoublédevaleurdepuis.Entresesbienspropres,lesalairegénéreuxqueluiversaitTallieetleflotcontinudecadeauxetdeprivilègesdontellebénéficiait,Brigittemenaitlabellevie.

    Enrevanche,ellen’avaitguèrederelationsavecsafamille,àquiellerendaitrarementvisiteetdontellenemanquait jamaisde seplaindreà son retour.Elle trouvaitSanFranciscoennuyeux,détestait sabelle-mère et reprochait à son père de l’avoir épousée. Au fond, Tallie était sa famille, la seule quicomptâtàsesyeux,etc’étaitréciproque:BrigitteétaitcommelasœurqueTallien’avaitpaseue,etunetanteadoptivebienveillantepourMaxine,quil’adoraitetluiracontaittout,surtoutlorsquesamèreétaitentournage.

    Talliemontadanslavoiturecôtépassager,bouclasaceintureetselaissaallercontreledossier.Elleétaitsurleplateaudepuiscinqheuresdumatinetserenditbrusquementcomptedesonépuisement.Elletirapourtantdesasacoche lesdernièresmodificationsduscriptavec l’intentionde les lirependant letrajet.

    —Situtereposaisunpeu?suggéraBrigitte.Tuasl’airexténuée.Tun’aurasqu’àyjeteruncoupd’œildemainmatin,jeteramènerai.

    —Merci,ditTallieavecreconnaissance.Elle se prit à espérer ne jamais avoir à se passer de Brigitte ; elle ne pouvait imaginer sa vie

    professionnelle sans elle. Son amie disait en plaisantant qu’elles vieilliraient ensemble. Elle juraitqu’ellenelaquitteraitpas,qu’ellen’avaitjamaisététentéedechangerdemétieroud’accepterunpostesimilaireailleurs,alorsquelespropositionsnemanquaientpas.Etellenetarissaitpasd’élogessursontravailetsonemployeur.

    Talliesurpritsonrefletdanslemiroirdupare-soleiletéclataderire.—Ondiraitquetuasramasséuneauto-stoppeuse.J’aiunetêteàfairepeur,non?—Oui,c’estvrai,confirmaBrigitteenluijetantuncoupd’œilamusé.Tudevraispeut-êtreessayer

    detepeignerdetempsentemps.Brigitte, qui dernièrement s’était fait poser des extensions, était toujours impeccablement coiffée.

    Impossiblepourelledeseprésenterautrementquetiréeàquatreépingles.AladéchargedeTallie,sonactivitéétaitplusphysique:elledevaitrégulièrementgrimpersuruneéchelleoumonterdansunenacellepour avoir unemeilleure vision d’ensemble du plateau.Des heures durant, elle restait assise en pleinsoleil sans prendre la peine de se badigeonner d’écran total, et ce, en dépit des avertissements deBrigitte,quiluidisaitqu’ellefiniraittouteridée.Ellenerechignaitpasàsemettreàgenouxderrièreunecaméra ou à s’allonger dans la poussière pour mieux estimer une prise de vues. Pourtant, mêmeéchevelée,elleétaitbelle:ellebrillaitd’unéclatnaturel,quivenaitdel’intérieur.

    —Mercidemeramener,répétaTallieenbâillant.—Fermelesyeux,ordonnaBrigitte.Tallie s’exécuta avec un sourire paisible. Cinq minutes plus tard, quand Brigitte s’engagea sur

    l’autorouteendirectiondeLosAngeles,elledormaitàpoingsfermés.

  • 2

    —Onyest,murmuraBrigittedoucement,alorsqu’ellesarrivaientàBelAir.Tallie n’aimait pas le luxe ostentatoire. Sa maison, où régnait une atmosphère ordonnée, était

    aménagée demanièremoderne et sobre. Elle avait aussi une propriété àMalibu – où elle se rendaitrarement–,unappartementàNewYork–oùvivaitMaxine–etunsecondàParis,qu’elleavaitachetéaprèssonpremiergrossuccès,carelleenavaittoujoursrêvé.Ellen’yétaitpasalléedepuisdeuxans,faute de temps, mais le prêtait volontiers à ses amis. Brigitte y avait récemment passé une semainependantqueTalliefaisaitdesrepéragesenAfrique.

    —Ouah!J’aidormitoutlelongdutrajet!s’étonna-t-elleensouriant.Sa sieste l’avait revigorée,même si, l’espace d’une seconde, elle s’était sentie désorientée en se

    réveillant.Lescriptétaitrestésursesgenoux.Brigitteavaitraison,elleleliraitlelendemainmatin.—Huntm’aenvoyéuntexto.Tondînerestprêt.Tuasdelachance!—Oui,c’estvrai.Cependant, elles savaient l’une et l’autre que Brigitte n’aurait jamais désiré une vie de couple

    classique comme celle de Hunt et Tallie. Très attachée à sa liberté, elle préférait les aventures sanslendemain, souvent avec des hommes plus jeunes qu’elle, notamment des acteurs rencontrés sur letournage des films de Tallie. Elle avait un faible pour les mauvais garçons, mais ne les fréquentaitheureusementpasassez longtempspour leurdonner lapossibilitédemalseconduire.Le film terminé,chacuns’enallaitdesoncôté;cetarrangementluiconvenaitparfaitement.

    —Jepassetechercheràquatreheuresetdemiedemainmatin,ajoutaBrigitte.Lanuitseraitcourte,maisTallietenaitàêtresurleplateauàsixheures.Elleadressaunsigned’adieuàsonamieetsedirigeaverslamaison.Laportes’ouvritavantmême

    qu’elleaiteuletempsdeglissersaclédanslaserrure.Unhommeséduisantetbienbâti,àlabarbeetauxcheveuxbruns,l’accueillitparuntendrebaiser.

    Brigitte, de son côté, rentra chez elle, où Tommy, son amant du moment, l’attendait, nu dans lapiscine.Ilavaitvingt-sixans.

    —Ehbien,voilàunagréablespectacle,approuva-t-elleensouriant.Ellefitglissersajupeetrestauninstantdevantluienstringettalonshauts,puisretirasonchemisier

    et dégrafa son soutien-gorge, révélant des seins qui devaient beaucoup à la chirurgie esthétique,somptueuxàlalumièredesprojecteurs.Lejeuneacteurlescontemplaavecgourmandise.

    —Tuviens?Ilsavouraitlaperspectivedeleurnuitensemble.Leurliaisonavaitcommencésixsemainesplustôt,

    autoutdébutdutournage.Aucunepromessen’avaitétééchangéeetiln’enétaitpasquestion.Ilsn’avaientnil’unnil’autreenvied’unerelationsérieuse;ilsdésiraientpasserdubontempsensemble,riendeplus.

  • Brigitte plongea dans l’eau tiède et émergea entre ses jambes. Tommy éclata de rire. Il avait unechanceextraordinaired’avoirrencontrécettefemmesisexy,quiavaittoutelaconfiancedeTallieJones.Il espérait bien qu’elle l’aiderait à décrocher un rôle plus important dans un prochain film de laréalisatrice.Siellenes’étaitengagéeàrien,Brigitteavaitlaisséentendrequec’étaitunepossibilité.Laseulecondition:nejamaisdiredumaldesapatronne.Saloyautéenverselleétaittotale.Quoiqu’ilensoit,ils’amusaitcommeunfouavecBrigitte.Elleétaitfantastiqueaulit.

    TalliedéposasesaffairessurunechaiseetacceptaavecreconnaissanceleverredevinqueHuntluitendait.Uneodeurappétissante s’échappaitde lacuisine. Ils allèrent s’asseoir sur la terrasseenbois,heureuxdeseretrouver.

    Hunt était facile à vivre. Depuis quatre ans qu’ils habitaient sous le même toit, ils ne s’étaientdisputésquetrèsrarementetilnel’avaitjamaisdéçue.

    —Lajournéeaétébonne?demanda-t-ilenretirantsontablier.Agédequarante-cinqans, ildemeurait trèsbelhomme,endépitd’undébutd’embonpointdûàson

    amourpourlabonnechère.—Excellente,répondit-elleavecunsourire.Quandviens-tuàPalmSprings?—Pasdemain, j’aides rendez-vous.Peut-êtreaprès-demain.Comments’estpassée lascènede la

    mort?Ilessayaitdesuivre leschangements intervenantdanslescript, toujoursnombreuxavecTallie,qui

    n’hésitait pas à tout revoir au fur et àmesure du tournage. Sensible à la véracité des dialogues, ellepermettait aux acteurs qui le souhaitaient d’y apporter leur contribution, avec parfois des résultatsépoustouflants.

    —Vraimentbien,ditTallieavecsatisfaction.Jemeursdefaim!Qu’est-cequ’onmange?La cuisine était unepassion chezHunt. Il préparait notammentdesplats français etmexicains très

    appréciésdeleursconvives.Aveclui,lerepasétaittoujoursunesurpriseagréable,etcesoir-lànefitpasexception. Ils dînèrent sur la terrasse en dégustant une bouteille de corton-charlemagne, le vin blancpréférédeTallie.Toutétaitmieuxqu’aurestaurant.Nonseulementilsétaientseuls,maisencoreTallien’était-ellepasobligéedes’habillernimêmedesecoiffer.

    Hunt travaillait dur sur la production de leur prochain film, qui serait tourné en Italie. Il comptaitpasser une bonne partie du temps avecTallie sur place, aussi avaient-ils prévu de louer une villa enToscanepourladuréedutournage.Ilsongeaitdéjàaucasting.TrouverdesfondspourunfilmdeTallieJones ne présentait pas de trop grandes difficultés, mais il fallait tout de même que les conditionsconviennentàchacun.Aussiméticuleux,aussiperfectionnistequeTallie,Huntmaîtrisaitparfaitementcetaspectdeschoses.Pourceprojet,ilavaitobtenul’appuid’unimportantbusinessmanjaponais.

    —Jecroisquetoutestréglé,conclut-ilàcepropos,alorsqu’ilsdébarrassaientlatable.Elleleremerciad’unbaiser.—LaseulechosequeNakamurademande,c’estunauditdenoscomptespersonnels.Jesupposequ’il

    veutêtresûrquenoussommessolvablesetquenousn’allonspasnousenfuiravecsonargent,plaisanta-t-il.Çanet’ennuiepas?

    —Biensûrquenon!JediraiàVictorCarsondeluitransmettrelesdocumentsnécessaires.— Il a engagé un cabinet comptable indépendant, très sélect, géré par deux anciens du FBI. J’ai

    entendudirequ’ilsétaientextrêmementrigoureux.J’imaginequ’ainsitoutlemondeseracontent.Ensuite,nouspourronsbouclerleprojet.

    Hunts’étaitentretenuaveclesagentsdesacteurspressentiset,dèsquelaquestiondesfondsseraitréglée,ilpourraitcommenceràsignerlescontrats.

  • — Je demanderai à Brigitte d’appeler Victor demain, promit Tallie en éteignant la lumière de lacuisine.

    Ilsmontèrentensembledansleurvastechambreéquipéed’unécrandecinéma.Ilsadoraientregarderdesfilmsaulit.Cesoir,cependant,c’étaithorsdequestion.IlétaitminuitpasséetTalliedevaitseleverdansquatreheures.Enpériodedetournage,elleétaithabituéeàsecontenterdepeudesommeil.

    ElleauraitbienaimétéléphoneràMaxine,maisilétaittroptardàNewYork,sibienqu’elleremitceprojetaulendemain.

    —Aufait,annonçaHunt,tonpèreaappeléjusteavanttonretour.Iladesexamensmédicauxdemain.Riendegrave,rassure-toi,laroutine.Ilvoulaitsavoirsituétaislibrepourl’accompagner,maisjeluiaiditquetutravaillais.

    —JepeuxdemanderàBrigittede l’emmener,oubienàAmelia,sonemployéedemaison,fit-elle,songeuse.

    —Jemesuisproposé,réponditHuntd’untonapaisant.Çanemeposeaucunproblèmeettonpèreestd’accord.

    —Tuesadorable,soupira-t-elleennouantlesbrasautourdesoncou.Ill’attiracontrelui.—Non,jet’aime,c’esttout.Mercid’êtrerentréeàlamaisoncesoir.—Mercidem’avoirpréparéàdîner.Tuessûrque tuneveuxpasveniràPalmSpringsdemain?

    insista-t-elle.Ils auraient plus de temps à se consacrer là-bas, sans compter que l’hôtel, équipé d’un spa

    fantastique,étaitpropiceàlarelaxation.—Désolé,maisilyacertainsdétailsquejedoisabsolumentréglerdanslajournéeetj’aiunrendez-

    vousensoirée.Pourquoinerestes-tupaslà-baslanuitprochaine,pourt’éviterlelongtrajetjusqu’ici,etjeviendraiterejoindreaprès-demain?

    —C’estd’accord.TallieallaprendreunedouchepuisrejoignitHunt,déjàcouché,quelquesminutesplustard.Ellese

    pelotonnacontreluitandisqu’ill’embrassait,savourantsonbonheur.—Tumemanquesquandtutournesenextérieur,murmura-t-il.Elleluirenditsonbaiseravecpassion.Elleavaitdéjàtournédesfilmsenpleinejungleoudansun

    villaged’Afrique.Une fois, elle s’était retrouvéeaubeaumilieud’uneguerrecivile.Encomparaison,PalmSprings avait tout du paradis, et elle n’était qu’à deux heures de lamaison.De toute façon, lesscènesenextérieurseraientbientôtterminées,etilsuffisaitqueHuntviennepasserlanuitavecellepourqu’ellesesentepresqueenvacances.

    —Toiaussi,tumemanques,souffla-t-elle.Ilss’étreignirent,etelleoubliatoutsauflui.Aprèsl’amour,ilsbavardèrentquelquesminutes,étroitementenlacés.Tallieluttaitcontrelesommeil.

    Envahie par une délicieuse sensation de plénitude, elle s’endormit pendant que Hunt lui caressaittendrementlescheveux.

  • 3

    Lelendemainmatin,àquatreheuresetdemie,BrigittesegaraitdevantlamaisondeTallie.Elleétaittoujoursponctuelle,mêmesielleavaitfaitlafêtelanuitprécédente.

    ElleenvoyauntextoàTalliepourl’avertirdesaprésence,etcelle-cisortitdelamaisonpiedsnus,seschaussuresàlamain,refermantlaportesansbruitavantdesehâterversl’AstonMartin.Elleavaitlescheveuxmouillés,etl’airencoreplusnégligéequelaveille.Elleportaitunshortenjeanuséjusqu’àlacordeetuntee-shirtenlambeaux.

    —Tul’aspayéunefortunedansuneboutiquebranchée?demandaBrigitte,fascinée,endésignantlehaut.Outul’asdénichédansunmagasindefripes?

    Certains couturiers se plaisaient à abîmer leurs vêtements pour leur donner un look. Maxine enachetaitrégulièrementchezMaxfield.

    —Nil’unnil’autre,réponditTallie.Huntl’avaitmisàlapoubelle,maisjedétestelegaspillage.Ilpeutencoreservir.

    Ellesemblaitcontented’elle.—Commequoi?Chiffonpourlaverlesvoitures?lâchaBrigitteenriant.Tueslaseulefemmeque

    jeconnaissequigagneautantd’argentetquis’habilledanslespoubelles.—Si je t’avais réponduqu’ilvenaitdechezMaxfield, tu auraispenséqu’il étaitdudernier chic,

    non?—Evidemment!réponditBrigittesanshésiter.—Bon,alors,faiscommesi!Tallies’intéressaitàcequ’elleavaitdans la tête,etnonsur ledos,contrairementà laplupartdes

    femmesde saconnaissance.Brigitte,notamment,dépensait leplusclairde son salaire enbijouxet envêtementssousleprétextequ’ellesedevaitd’êtreimpeccablepourlareprésenter.

    Tallieappelasafilledurantletrajet.Celle-cis’apprêtaitàpartiràlafac,maiselleseurentletempsd’échangerquelquesmots.Maxinevoulaitsavoircommentlefilmprogressait.

    —Nous sommesdans les temps, oupresque, et doncde retour àLosAngeles dans deuxou troissemaines.Çava,toi?Lescoursteplaisent?

    —Oui,oui.J’airencontréungarçonàlabibliothèquelasemainedernière,quial’airplutôtcool.Ilestenprépamédecine.

    CegenredenouvellesavaittendanceàinquiéterTallie,qui,lorsqu’elleétaittombéeenceinte,n’avaitquedeuxansdeplusquesafilleaujourd’hui.Elles’efforçaitdeserassurerensedisantqueMaxineétaitmoinsnaïvequ’elleaumêmeâge.Etpuis,ellenepouvaits’empêcherdepenserque,siellen’avaitpasperdusapropremèreàl’adolescence,leschosesseseraientpasséesdifféremment.Endépitdusoutiendesonpère,lemanquedeconseilsmaternelsl’avaitlaisséedémunie.

  • Elleétaitsûreaussiquesamèren’auraitpasinsistépourqu’ellesemarie.Cetterelationavaitétéunegrosseerreur,excepté–etelleenremerciaitlecieltouslesjours–qu’elleavaitdonnénaissanceàunbébéadorable,devenuuneadolescentepuisunejeuneadultefantastique,quineluiavaitjamaiscausélemoindresouci.

    Talliesefélicitaitquesafilleaspireàdeveniravocatecommesongrand-père.Lemondeducinémaétaittropdur,etremplidegensinstablesquivivaientendehorsdelaréalité.Ellen’avaitpasencouragéMaxineàfréquenterlesenfantsdestars,mêmesielleenavaitcôtoyéplusieursàl’école.Parchance,safilleavaitlatêtesurlesépaulesetsemblaitavoirledond’attireràelledesjeunessympathiquesetsanshistoire.

    Aprèsavoir raccroché,Tallie se souvintde l’auditque réclamait l’investisseur japonais.EllepriaBrigitted’en informerVictorCarson,afinqu’ilcoopèrepleinementavec les représentantsde l’hommed’affaires.

    —Voilàaumoinsuntravaildonttun’auraspasàtecharger,ajoutaTallieensortantsonscriptd’unairdétendu.

    —JedonneraiuncoupdemainàVictors’ilabesoindemoi.Par souci d’efficacité, les deux femmes avaient ouvert un compte joint, queBrigitte utilisait pour

    régler lesdépensescourantes.Tallien’avaitàs’inquiéterd’aucundétailpratique.Brigittesechargeaitégalementde tous les arrangementsconcernantMaxineet l’appartementdeNewYork.Douéepour leschiffres,elletenaitdescomptesrigoureuxetconservaitscrupuleusementlesfacturesetreçus.

    Victoretelle s’entendaientbien,etTalliecomptait sureuxpourgarder savie financièreenordre.AvecBrigitteauxcommandes,ellesavaitquetoutmarchaitcommesurdesroulettes.

    Talliesemitàparcourirlesdernierschangementsapportésauscript,ainsiqued’autresmodificationsqui avaient été faxées à Brigitte la veille au soir. Elle passa chaque remaniement en vue et pritd’abondantesnotes,soucieusedumoindredétail.

    —Qu’est-cequetuasfaithiersoir?demanda-t-elleàsonassistantealorsquePalmSpringsétaitenvue.

    —Pasgrand-chose.J’aiprisunbain,j’ailu,réponduàquelquese-mails.Jesuisalléemecoucherdebonneheure.J’aibesoindedormirpourresterbelle.

    Ellesemblaitun tantinet trop innocente,etTalliesourit, sedemandantquiétait l’heureuxélu.Sansdouteundesjeunesacteursoufigurants,commed’habitude.Brigitteneluiracontaitjamaissesaventures.Parfois,Tallieenentendaitparlerpardesmembresdel’équipe,maiselleavaitpourprincipedeneriendemanderetdenepasfairedecommentaires,jugeantquelavieprivéedesonemployéenelaregardaitpas.ApartirdumomentoùBrigittenelamettaitpasdansunesituationdélicateetn’accordaitpasàsesprotégésdefaveursdéplacées,Tallien’yvoyaitpasd’objection.Etsonassistanteétaittropintelligentepourabuserdesesprivilèges.Enoutre,cesliaisonsneduraientpaslongtemps.

    Lajournéefutaussifrénétiquequelaveille.BrigitterestaavecTallie,luiapportantrégulièrementdesboissons chaudes ou fraîches, veillant à ce qu’elle avale un peu de nourriture. Si elle n’y prenait pasgarde,Tallienégligeaitdedéjeuner,estimantqu’ilyavaittropàfairepours’accorderunepause.

    Brigitte trouva aussi le tempsde répondre à des e-mails et de contacter plusieurs personnes, dontVictorCarson, à qui elle parla de l’audit. Son travail terminé, elle regarda le tournage des dernièresscènes.Aufildesannées,elleavaitbeaucoupapprissurlecinémaetTallietenaitsouventcomptedesesopinions,carelleétaitfineobservatriceetfaisaitdesremarquespertinentes.

    Enfind’après-midi,TallietéléphonaàHunt.Ilétaitenroutepoursonrendez-vousauPoloLoungeetluiracontasajournée.Tallieappréciaitqu’ilsn’éprouventpaslebesoind’êtreconstammentensemble.Leur couple était uni, mais ils menaient chacun leur vie propre, même s’ils avaient des projets encommun.JamaisHuntnesemontraitnerveuxoujalouxquandelles’absentait,etellenes’inquiétaitpas

  • davantage à son sujet. Au bout de quatre ans, ils se connaissaient par cœur et avaient une entièreconfiancel’unenversl’autre.

    Contrairementànombred’hommesqu’elleavaitfréquentésàHollywood,Huntétaithonnête,fidèle,solide.Ilmanquaitdefantaisie,maisTallies’accommodaitsansdifficultédesoncôtécasanier.Ellenecherchaitpasunaventurier,maisunpartenairedigned’amouretdeconfiance.Sinon,pourquoisedonnerlapeinedeconstruireunerelation?Elleétaitparvenueàcetteconclusiondesannéesplustôt,aprèsdeuxoutroisaventuresdanslesquelleselleavaitlaissédesplumes.

    HuntinformaTalliequel’aller-retouràlacliniqueavecsonpères’étaitdéroulésansanicroche,maisqu’ill’avaittrouvéamaigri.

    —Jesais,çam’inquiète.Ameliaseplaintqu’ilnemangepasassez.—Jedevraisluimitonnerdesbonspetitsplatsdetempsàautre,dit-il,songeur.—Commesitun’étaispasdéjàassezoccupé!— Je peux trouver le temps. Ton père est formidable, tu sais. On a passé une super journée,

    ensemble.Jecroisqu’ilétaitunpeunerveuxaumomentdepartir,maismesblagues l’ontdétendu.Dumoins,ilmel’afaitcroire.

    —Merci,murmura-t-elle,touchée.Huntétaitextrêmementattentionné,avecellecommeavecMaxine,avecquiils’entendaitàmerveille.

    CettedernièreavaitquatorzeansquandTallieetluiavaientcommencéàsefréquenter,etl’adolescentes’étaitd’abordmontréeréservéeàsonégard,mais,unanplustard, lorsqueHuntavaitemménagéchezelles,Maxl’avaitaccueillisansproblème.MêmeSam,pourtantasseztraditionnel,disaitenplaisantantqueHuntétaitsongendrepréféré.

    Ce soir-là,Tallie resta à PalmSprings comme convenu et eut tout loisir de se détendre à l’hôtel.AprèsavoirlonguementnagéàlapiscineencompagniedeBrigitte,ellemontadanssachambre,oùsonassistanteavaitréservéàsonintentionunmassage.Ellel’appréciatantqu’elleluienoffritunenretour.

    Elleétaitheureuseden’avoirétéconfrontéeàaucunécueilmajeursurletournage:paslemoindreproblèmeaveclesassurancesoules investisseurs,pas l’ombred’unconflitentre lesacteurs.Personnen’était tombé malade, n’avait voulu résilier son contrat, et nul accident n’était à déplorer. Autant decontretempsclassiques,quipouvaientvitetransformeruntournageencauchemar.

    Il est vrai que Tallie se donnait du mal en amont, préparant chaque étape du projet avec soin,s’efforçant de n’engager que des acteurs fiables et de régler les différentes clauses des contrats àl’avance.Huntétaitbrillantenlamatière,d’oùlesuccèsdeleursproductionsencommun.Elleadoraittravailleraveclui.Ilétaitsonmeilleurproducteur.

    VictorCarsonfixaitlamontagnedepapiers,classeursettableauxsursonbureau.Celafaisaitquinzeans qu’il s’occupait des finances de Tallie et, en dehors des détails gérés par Brigitte, son cabinets’occupaitdel’ensembledesacomptabilité.Depuisquelquesannées,ilsupervisaitaussilesimpôtsdeHunt,ainsiqueceuxdeBrigitte.Quandcelle-ci luiavait téléphonépour l’avertirque leur investisseurréclamaitunaudit,ilavaitrépriméungémissementdedésespoir.Voilàbienunecorvéedontilauraitpusepasser!Saviepersonnelleétaitsuffisammentcompliquéeencemomentpourqu’iln’aitpasbesoindeproblèmessupplémentairesaubureau.

    Pourquoidiablel’hommed’affairesjaponaisexigeait-ilunaudit?Victorn’avaitnulleenviequ’unehorde d’experts hostiles viennent fourrer leur nez dans ses archives. Les affaires de Tallie étaient enordre,etBrigitteetluitravaillaientenbonneintelligence,maisuntelauditprendraituntempsfou,carilaurait à expliquer chaque entrée et chaque sortie dans les livres de comptes. Cette affaire tombaitvraimentmal.Cependant, il se refusait à faire étalagede ses soucis conjugaux.Horsdequestiond’enparleràHuntouàTallie.

  • Lesfemmesreprésentaientsontalond’Achille.Vingtansauparavant,quandsapremièreépouseavaitdécouvertqu’ilavaitunemaîtresseenlapersonned’unsuperbemannequinitalien,elleavaitdemandéledivorceetobtenuunefortuneenguisedepensionalimentaire.

    Pèrededeuxenfantsdéjà,ils’étaitremariéavecl’Italienne,qui,elle,avaiteudesjumelles.Deuxansplustard,ellelequittaitpourunindividuplusjeunequelui,lelaissantsurlapaille.Enfindecompte,elles’étaitenvoléepourParis,yavaitépouséunautrehomme,etVictorn’avaitpasvusesfillesdepuisdix-huit ans, même s’il avait versé une pension alimentaire à leur mère jusqu’à l’année précédente.Heureusement, ses aînés étaient désormais adultes et indépendants financièrement. Leur mère s’étaitremariée,mais,durantdesannées,ilavaitsubvenuauxbesoinsdedeuxex-femmesetdequatreenfants.

    Récemment, des investissements malheureux lui avaient fait perdre des sommes considérables. Ilveillaitdavantageauxintérêtsdesesclientsqu’auxsienspropres,sanscompterque,troisansauparavant,il était tombé fou amoureux d’une jeune femme, qu’il avait épousée au terme d’unweek-end de sexedébridéàLasVegas.Celle-cirêvaitdedeveniractrice,etilluiavaitpromisdefairejouersescontactsàHollywoodpourlancersacarrière.Celas’étaitrévélémoinsfacilequ’ilnel’avaitcru,carBriannaétaittotalementdépourvuede talent.Sesboutsd’essai avaient été catastrophiques et le seul contrat qu’elleavaitpudécrocher–mannequinprésentantdesmaillotsdebaindansdesfoires-expositions–n’étaitpasexactementàlahauteurdesesespérances.

    Victorvenaitd’avoirsoixante-cinqans,Briannaenavaitvingt-neufetmenaçaitdedivorcers’ilnetenaitpassapromessed’asseoirsacarrièredanslecinémaouàlatélévision.

    Ilyavaitmaintenantsixmoisqu’ellen’avaitpaspartagésonlit.Lasemaineprécédente,elleavaitunenouvelle fois parlé de le quitter.Victor en étaitmalade.Si capricieuse fût-elle, elle apportait uneboufféed’airfraisetdeglamourdanssavieautrementsimorne,etilétaitfoud’elle.Briannareprésentaitle trophée idéal : il adorait sortir avec elle à sonbras et sentir sur lui les regards envieuxdes autreshommes.

    Iltenaitdonccoûtequecoûteàlagarder,mais,aprèssesrécentsdéboiresfinanciers,ilparvenaitàpeineàgarder la têtehorsde l’eau.Brianna,constammentencolèrecontre lui,partageaitses journéesentreleshoppingetlesséancesdechirurgieesthétiqueetleharcelaitpourqu’illuidonneplusd’argent.Elle s’était fait refaire ses implants, retendre la peau du ventre, rehausser les fesses, et liposucer lescuisses.Maintenant, elle voulait se rendre au Brésil pour y consulter un chirurgien plasticien qu’elledisait extraordinaire. Malgré tout, régler les dépenses exorbitantes de la jeune femme restait moinscoûteuxqu’undivorce.SaufqueVictornesavaitplusoùtrouverl’argent.Ilavaitl’impressiond’êtreunmagicienquin’avaitplusdelapinsàsortirdesonchapeau.

    Bref,ilétaittropoccupéàjongleravecsespropresfinancespourseconsacreràl’auditdeTallie.IlvenaitdepromettreàBriannadel’emmenerenEuropeet,s’ilserétractait,ellelequitterait, ilenétaitsûr.Sesenfantsseréjouiraientdecettedécision,maisluiseraitanéanti.

    Il était huit heures quand il rentra chez lui. Brianna l’attendait, ses emplettes du jour pas encoredéballées au pied de l’escalier. Il cilla à la vue des noms familiers sur les sacs :Dolce&Gabbana,RobertoCavalli,Neiman,Chanel.Leshoppingétaituneactivitéqu’ellepratiquaità tempsplein.Peut-êtremêmeétait-celaraisonpourlaquelleellel’avaitépousé.VictorCarsonsedoutaitbienquecen’étaitpassonsex-appealquil’avaitfaitfondre.Ilavaitperdusescheveuxdepuislongtemps,n’avaitriend’unapollon, et faisait largement son âge. Il parlait régulièrement de semettre au régime,mais repoussaittoujourscettebonnerésolutionaulendemain,etn’avaitjamaismislespiedsdansunesalledesport.

    Certains hommes rêvent de réussite, de voitures de luxe ou de vastes portefeuilles immobiliers.Victor,lui,nedemandaitqu’unejoliejeunefemmedanssonlit.Cettefaiblesseluiavaitdéjàcoûtédeuxmariagesetde lourdesdettes et il étaitbienpartipour continuer sur lamêmepente.Amoinsqu’ilnegagneauloto,ilyavaitpeudechancesqueBriannaresteaveclui.

    —Tuesenretard,luilança-t-elled’untonagacé.

  • —J’aiététrèsoccupéaujourd’hui.Surtoutàessayerdetrouverunmoyendepayertesfactures,songea-t-il.—Jeveuxsortirdîner,ajouta-t-elle,boudeuse.ElleavaitfaitrefaireseslèvrespourressembleràAngelinaJolieetsamoueétaitimpressionnante.Ils’abstintdeluiavouerqu’ilétaitépuiséetqu’ilauraitpréféréunesoiréetranquilleàlamaison.Il

    neluiavaitjamaisrienrefuséetlemomentluisemblaitmalchoisipourcommencer.—Oùvoudrais-tualler?—ChezM.Chow,annonça-t-elle,leregardbrillant.Elle adorait côtoyer les célébrités qui s’y bousculaient, passer devant les paparazzis agglutinés

    dehors.C’était un restaurantbruyant, branché, cher, où l’onmangeait toutefois trèsbien.Sanscontestel’endroitoùilfallaitallerpourvoiretêtrevu.

    —Trèsbien.Jevaistéléphonerpourvoirs’ilestpossiblederéserverunetable,dit-ilàvoixbasse.—C’est déjà fait, répondit-elle avec un grand sourire.Nous devons y être dans dixminutes. J’ai

    invitéCarlaetJohnàsejoindreànous.Deuxamisàelle,quiavaientlemêmeâgeets’attendaientàcequ’ilsoitleurpapagâteauàeuxaussi.

    Les propres amis deVictor avaient disparude son entouragedepuis belle lurette.Les femmes commeBriannamettaientleursépousesmalàl’aise.PourVictor,ellesétaientjalouses,voilàtout.Jamaisilneluivenaitàl’espritqueBrianna,dontlesseulssujetsdeconversationétaientlachirurgieesthétiqueetlespotinsglanésdanslesmagazines,aitpuleurparaîtreinsupportable.Personnellement,ilnetenaitguèreàsavoirqui,àHollywood,venaitdequittersoncompagnon,quicouchaitavecunteloutrompaittelautre,quiarborait leliftingoulesimplantslesplusréussis.Pourtant,enépousantBrianna–uneopportunistequiauraitpuêtresafille–,ilprêtaitleflancauxragots.S’iln’avaitjusqu’icijamaisvuleschosessouscetangle,l’appétitinsatiabledesafemmepoursonargentcommençaitnéanmoinsàl’effrayer.

    LesamisdeBriannaétaientdéjàattablésquandilsarrivèrentchezM.Chow.CarlaetJohnavaientamenéunautrecouplequeVictorn’avait jamaisvu.Ilscommandèrentdescocktails,desplatsraffinés,deux bouteilles de vin hors de prix et du champagne avec le dessert.Victor sentait sa carte de créditployersouslepoidsdelanote,maisfutheureuxdeconstaterqueBriannaparaissaitcontente.Deretourchezeux,elleseplongeadansunbainmoussantet le remerciapour lasoirée,puis luidemandaquandétaitprévuleurvoyageenEurope.

    —Jen’aipasencorefaitlesréservations,avoua-t-ildepuisleseuildelasplendidesalledebainsenmarbrerose.

    LorsqueBriannaavaitemménagé,elleavaitfaitrénovertouteslespièces,sanslésinersurlecoût.—Jeviensd’apprendrequejedoiscoopéreràunauditdétaillépourundemesclients.Jenecrois

    paspouvoirpartiravantquecetteaffairesoitréglée.IlnevoulaitpasretarderledébutduprochainfilmdeTallienidécouragersoninvestisseur.C’était

    une cliente trop importante pour qu’il prenne le risque de la perdre, et d’ailleurs il était tropconsciencieuxpourseconduireainsi.

    —Tuveuxdirequenotrevoyageestannulé?demanda-t-elle,aussitôtméfiante.—Non,seulementrepoussédequelquessemaines.Maisnousirons,jetelepromets.Ellehochalatête,momentanémentradoucie.Radoucie,maistoujoursaussiexigeante:voilàqu’elle

    voulaitmaintenantapporterdestransformationsàleurchambre.—J’aientenduparlerd’unedécoratriced’intérieurextraordinaire.Elles’estoccupéedelachambre

    deJ.Lo,ajouta-t-elled’unairrésolu.Victorne répondit pas. Il se contentad’entrerdans sondressingpour sedéshabiller et enfiler son

    pyjama. Puis il s’assit sur un tabouret, songea à ce que lui réservait l’avenir, et eut envie de pleurer.Hormis en cambriolant une banque, il ne voyait pas comment satisfaire les désirs de Brianna, qui

  • semblaientsanslimites.Etsesexigencesallaienttoujourscroissant,alorsquel’argentdontildisposaitfondaitcommeneigeausoleil.

  • 4

    Lelendemain,HuntvintrejoindreTallieàPalmSprings.Etendusauborddelapiscinedel’hôtel,ilsdiscutèrentjusqu’àuneheureavancéedelasoirée,detoutetderien,maisaussidetravail.

    —Aufait,machérie,as-tuparlérécemmentàVictorCarson?—Non,répondit-elle.Engénéral,jedemandeàBrigittedelecontacter.Pourquoicettequestion?—Pourrien.Sicen’estqu’ilm’aparuincroyablementstresséautéléphone.Peut-êtreest-ilvexépar

    cettehistoired’audit.C’estpourtantunebonnechose.Mêmes’ildépensaitbeaucoupd’argent,Huntétaitprudentetraisonnableenaffaires.—Mon père aussi pense que je devrais faire un audit. Ilm’en parle depuis des années, répondit

    Tallie.Amonavis,ilseméfietrop…Ilaétéavocattroplongtemps!EllesesouvintbrusquementqueBrigitteluiavaitrelatéunjoursarencontreaveclafemmedeVictor

    dans une boîte de nuit. Une terreur, selon elle. Jamais Brigitte n’aurait pu soupçonner que le calme,l’insignifiantVictorCarsonfûtmariéàquelqu’undecegenre-là.Lecomble,c’estqu’ilavaitparufierdelui en faisant les présentations. Pourtant, avec ses diamants voyants et ses vêtements réduits au strictminimumentermedequantitédetissu,sonépouseavaitl’allured’uneescort-girl.Dequoiavoirhonte,plutôt.

    —Apparemment,repritTallie,ilestmariéàunebimbodeuxfoisplusjeunequelui.Peut-êtrequec’estellequiluidonnedessoucis.

    Huntsemitàrire.—Tiens,jen’auraispascruçadelui.Ilal’airsiennuyeux,sirespectable.Jel’imaginaisavecune

    dametrèscommeilfaut,quivaàl’églisetouslesdimanches.—Peut-êtrel’a-t-ilquittéepourépousercelle-ci.Tusaiscequ’ondit:avecl’âge,leshommessont

    prisdudémondemidi.Avertis-moisitudécidesdemelâcherpourunepetitejeune,veux-tu?—Jenesuispassivieuxqueça,rétorqua-t-ilenluipinçantlebras.Etsurtout,jesuistrèscontentde

    cequej’aichezmoi.— Tu dis ça aujourd’hui, le taquina-t-elle. Mais dans quelques années, qui peut dire que tu ne

    voudraspastoiaussisortiravecunebimbodevingtans?—J’espèrebienquenon.Et si çaarrive, je t’autoriseàmedescendred’uncoupde revolver.De

    toutefaçon,jen’enaipaslesmoyens!— Peut-être que Victor non plus. Peut-être que c’est justement ce qui le stresse. En tout cas, je

    n’arrivepasàcomprendrequeleshommesseconduisentainsi.Moi,sijem’affichaisavecunjeunetype,jemesentiraisdeuxfoisplusvieille.

    Hunt,heureusement,n’étaitaucunementattiréparlesfemmestrèsjeunes.Tallieétaitconvaincuequelafraîcheuretlavitalitédeleurrelationétaientenpartieduesaufaitqu’ilsn’avaientrienofficialisé,etelleavaitlafermeintentiondecontinueràvivreainsi,horsdesliensdumariage.

  • Hunt lui fit ensuite un résumé de l’avancement des préparatifs pour leur prochain film. Il s’étaitentretenuavecdivers agents concernant les starspotentielles.Lesdeuxacteursprincipauxétaientdéjàengagés et la participation de deux autres était quasi certaine. Le dernier obstacle à franchir, l’audit,n’était qu’une formalité visant à rassurer leur investisseur, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Leursituationfinancièreétaitsolide,d’autantplusqueleurdernierlong-métrageavaitrapportéunefortune.

    Lelendemain,aprèsletournage,Talliedonnaquartierlibreàtouteladistributionpourleweek-end,etHuntetelleserendirentàMontecito,oùilsavaientlouéunesuperbevilla.

    Prendre du recul était vital pour Tallie. C’est alors que les nouvelles idées lui venaient. Elle seréveillaitenpleinenuitetgriffonnaitdesnotessuruncalepin,qu’ellegardaitsursatabledechevet.Ceweek-end-làfuttrèsprofitableàcetégard.Tallieétaitinspirée.Maissurtout,Huntetellesavourèrentleplaisirdeseretrouverenamoureux.Ilssepromenèrentsurlaplage,firentlagrassematinéeetmangèrentau restaurant. En rentrant à Los Angeles le dimanche soir, Tallie avait l’impression d’avoir pris unesemainedevacances.

    Lelundimatin,Brigittelatrouvaenpleineforme.Lesdeuxfemmesbavardèrenttoutaulongdutrajetjusqu’à Palm Springs, se racontant leurs week-ends respectifs. Brigitte avoua qu’elle avait eu deuxrendez-vousgalants,sanstoutefoisrévélerl’identitédesesamoureux.Tallieenconclutqu’ilsnefaisaientquepasser…

    La semaine s’annonçait chargée, pour Hunt comme pour Tallie. Aussi l’avait-il avertie qu’il neviendraitsansdoutepaslarejoindreàPalmSprings.Elleluiavaitpromisdesoncôtéderentrerchaquefoisquepossible,maisellenevoulaitprendreaucunretardavecletournagedesscènesenextérieur.

    Dèssixheures,Talliefutàpiedd’œuvre,etellenes’arrêtaqu’àminuitcesoir-là.Contrairementauxacteurs,épuiséspourlaplupart,elledébordaitd’énergie.

    L’audit, effectué par un cabinet très en vue de San Francisco, débuta le jour prévu. L’équipe secomposait de deux experts-comptables épaulés par deux assistants. Détendus et efficaces, ils avaientapportéleurspropresordinateursets’installèrentdanslasalledeconférencespouryétalerlesdossiersdontilsavaientbesoin.Detempsàautre,ilsdemandaientàVictordeclarifieruneentréedanslelivredecomptes de Tallie en s’abstenant de faire le moindre commentaire. Victor avait l’impression qu’onvérifiaitsontravailetqu’ondoutaitdesescompétences.

    Quandilrentraàlamaisonàlafindudeuxièmejour,nerveuxetépuisé,Briannaavaitunesurprisepour lui.Une surprise qui n’avait rien de réjouissant : elle était allée consulter un avocat dans le butd’établiruncontratpostnuptial.Ellesemblaittrèscontentedesonidée.

    — Un contrat postnuptial ? répéta-t-il, choqué. Que veux-tu dire ? Nous avons déjà un accord,Brianna.C’estbiensuffisant.

    Lors de la signature du contrat de mariage, Brianna avait insisté pour qu’il dépose une sommeconsidérablesuruncompteàsonnomàelle.Ilavaitobtempéré,biensûr.

    —Ilsetrouvequej’aidéjàdépensélamajeurepartiedel’argentquetum’asdonné,Victor.Ilm’enfautabsolumentdavantage.Laviecoûtecher.L’avocatditquetupeuxmeverserunacomptetoutdesuiteetmefaireunvirementsupplémentairechaqueannée.

    Engros,elle luidemandaitdepayerpourqu’elle restesa femme.C’étaitduchantage,purementetsimplement.EtquelquechosedisaitàVictorqu’elleneparlaitpasdepetitemonnaie…

    —Pourquoies-tualléevoirunavocat?insista-t-il.L’avait-ellefaitdanslebutdepréparerundivorce?N’osait-ellepasleluiavouer?Entroisans,elle

    avaitdilapidélesseptcentmilledollarsqu’illuiavaitdonnésaudépart,sansparlerdesdépensesqu’ilavaitrégléesdesapoche.L’argentfilaitentrelesdoigtsdeBrianna.Ilnesavaitmêmepasoùavaitpupasserunetellesomme.

  • —C’est humiliant pourmoi de ne pas être indépendante, se plaignit-elle. Je ne veux pas avoir àquémander pour lamoindre babiole. Si tume fais unversementmaintenant et que tumepaies chaqueannée,jeseraibeaucoupplusàl’aise,ajouta-t-elleenseblottissantcontrelui.

    —Sincèrement,jen’enaipaslesmoyensencemoment,avoua-t-il.Certainsdemesplacementsontperdudeleurvaleur.Jepréféreraispayertesfacturesetsubveniràtesbesoinsaufuretàmesure.

    EndépitdesaboucheàlaAngelinaJolie,Briannapinçaleslèvresenuntraitmince.—Jenecroispaspouvoirrestermariéeavectoisiturefuses,dit-elleavechargne.Situm’aimes,tu

    leferas.Tun’aspastenutespromessespourcequiestdemacarrière,alorsc’estlemoinsquetupuissesfaire.Jenemesentiraipasensécuritétantquejen’auraipassurmoncompteunmontantquimepermettedevoirvenir.

    —Etsic’estimpossible?demanda-t-il,envahiparlacrainteetledécouragement.Il était dépassé. Il s’était presque ruiné pour elle, mais, loin d’être reconnaissante, elle était

    insatiable.Cettedernièreexigenceluiouvraitlesyeux:ellel’avaitépouséuniquementpoursonargent,celaluisemblaitévidentàprésent.

    —J’enparleraiàmonavocat,rétorqua-t-elleavecunregarddur.Réfléchisbien,Victor.Tun’aspaslechoix.

    Ellen’auraitpaspus’exprimerplusbrutalementetVictorsentitledésespoirluinouerlagorge.Ilnevoulaitpaslaperdre.Endépitdesesmultiplesdéfauts,ils’étaitattachéàelle.Commenttrouverait-iluneautrefemmequiveuilledeluiàsonâge?Ilsesentitbrusquementfatigué,vieuxetabattu.

    Cesoir-là, il restaseuldanssonbureau,broyantdunoiretbuvant tropdeJohnnieWalker.Desoncôté, Brianna sortit avec des amies et rentra à deux heures du matin. Victor avait sombré dansl’inconsciencesurlecanapé.Ellenecherchapasàleréveiller.Elleétaitsûrequesonmarifiniraitparcéder.S’ilvoulaitqu’ellereste,etellesavaitquec’étaitlecas,ilcapitulerait.

    Lelendemainmatin,ellepartitpourlasalledesportpendantqu’ilprenaitsadoucheetilsn’eurentpasl’occasiond’évoquerlaquerelledelaveille.Lorsqu’ilarrivaàsoncabinet,VictorseplongeadanslescomptesdeTallie.Vérifierdeuxfoisplutôtqu’unenepouvaitpasfairedemal.

    Dans l’après-midi, il tomba sur plusieurs entrées qui le laissèrent perplexe. Il savait queBrigitteréglaittouteslesdépensesdeTallie.Ellesignaitleschèques,remplissaitlelivredecomptesgénéraletluiremettaitlesreçus,etceladepuisdesannées.Cequiletroubla,cefutlamentiondeséjoursréguliersdans plusieurs hôtels. Lamanière dont Tallie dépensait son argent ne le regardait en rien,mais il necomprenaitpaspourquoielledescendaitàl’hôtelàLosAngelesalorsqu’elleyrésidait.Etsicesfraisétaientliésàsontravail,ilsauraientdûêtredéduitsdesesimpôts.

    Il nota quelques nuitées au Bel-Air et bien plus au Château Marmont et au Sunset Marquis. Ilremarquaégalementque lesmêmesmontantsapparaissaientdans lescomptesdeHunt. Ilétaitpossibleaprès tout que le couple organise des réunions d’affaires dans ces hôtels. Il constata aussi queTalliedépensaitdessommesconsidérablesenespècesetenfutcontrarié.Sielleneconservaitpasdetracesdesespaiements, toutedéduction fiscale était impossible. Il devrait insister pourqu’elle se servede sescartesdecréditàl’avenir.

    Tout enétudiant les chiffres,Victor s’efforçaitdenepaspenser àBrianna.Sesproposconcernantl’accord postnuptial l’avaient profondément blessé. De plus, il craignait qu’elle ne soit guèreimpressionnéeparcequ’ilpouvait luidonnerencemoment.Lademandede la jeune femmeavaitdesalluresd’ultimatum.Décidément,savieprivéepartaitàvau-l’eau.

    Lesdeuxsemainessuivantes,VictorpoursuivitsonexamendescomptesdeTallie.Certainsfraisliésà sa fille pouvaient être considérés par le fisc commedes cadeaux, auquel cas elle devait s’acquitterd’impôts.Quantàl’appartementparisien,ilnepouvaitplusfigurerparmisesdépensesprofessionnellespuisqu’elle n’avait pas tourné en France depuis plusieurs années. Divers autres points exigeaientclarification. Contrairement à l’audit externe demandé par l’homme d’affaires japonais, qui visait à

  • confirmerqueTallieétait solvableetàévaluer lemontant totaldesesbiens, l’examendeVictoravaitseulementpourbutdevérifierque lescomptesdesaclienteétaientenordreetqu’ellebénéficiaitdesdéductionsfiscalesappropriées.

    De manière générale, Victor optait pour une approche prudente vis-à-vis du fisc. Il répugnait àdéduire les dépenses que d’aucuns auraient pu considérer comme douteuses, car il se voulaitinattaquable. Il ne voulait pas prendre de risques. Certains auraient aimé qu’il se montre moinsscrupuleux,maisils’enétaittoujourstenuàsalignedeconduite.MêmesiTallien’entraitpasdanscettecatégorie,cetexamenétaitfinalementunebonneoccasiondedresserunbilandelasituation.

    LescomptesdeHunt,quantàeux,étaientgérésavecunpeumoinsdeméticulositéparsonassistant,maisilsprésentaientl’avantagequelamajeurepartiedesdépensessefaisaitparcartedecrédit,desortequ’ilyavait tracedespaiements.Victorprit rendez-vousavecHuntetvoulutclarifieravec luichaquepointincertain.HuntconfirmaqueTallieetluiétaientdescendusplusieursfoisàl’hôteldanslarégiondeLosAngelesetqu’ilyavaitdetempsàautrelouéunesuitepourdesréunionsavecdesinvestisseurs.

    Victorrepartitrassuré.Quantauxemployésducabinetd’auditdeSanFrancisco,ilss’apprêtaientàquitter les lieux. Leurs vérifications touchaient à leur fin et tout donnait à penser que l’affaire seraitconcluesansproblème.

    IlnerestaitplusàVictorqu’àavoirunentretienavecTallieetàluiposerlesmêmesquestionsqu’àHunt, juste pour clore son propre examen.De plus, il tenait à attirer son attention sur les frais liés àMaxineetlessommesconsidérablesqu’elledépensaitenespèces.

    Illuitéléphonaunvendrediaprès-midi,alorsqu’elleétaitenpleintournage.Aprèss’êtreexcusédeladéranger,ill’informadumotifdesonappel.

    —VousnepourriezpasvoirtoutçaavecBrigitte?demanda-t-elled’unevoixdistraite.Victor l’agaçait parfois tant il avait tendance à couper les cheveux en quatre. C’était son travail,

    certes, mais elle n’avait tout simplement ni le temps ni l’envie de discuter gros chiffres avec lui. Etsurtoutpasmaintenant.Elleavaitprisunpeuderetardcettesemaine-làenraisondesintempériesetdesnombreuxchangementsapportésau script.Elleavaitpeurdedépasser lebudget allouéau tournageenextérieur.

    —Si,réponditVictor.Maisjepréfèreenparleravecvous.C’estvousquiêtesresponsablefaceaufisc,mêmesic’estBrigitteoumoiquifaisonsuneerreur.Quandserez-vousderetouràLosAngeles?

    —Ceweek-end.MaisjereviensàPalmSpringslundimatinàlapremièreheure.—Celaserait-ilpossibledesevoirdimanche?Talliesoupira.ElleauraitvouluconsacrersontempslibreàHuntetnonàsonconseillerfiscal,mais

    ellesavaitqu’ilinsisteraitjusqu’àcequ’ellecède.ElleacceptadeleretrouveràsoncabinetàdixheuresetdemiependantqueHuntjouaitautennis.Desoncôté,ilpromitqueceneseraitpaslong.Briannanonplusneseraitpasraviequ’iltravaille;elleaimaitprendreunbrunchauPoloLoungeduBeverlyHillsHotel.

    QuandTallierentraàlamaisoncesoir-là,Huntavaitdebonnesnouvellesàluiannoncer.—Ehbien,nousavonsbrillammentréussil’audit,dit-ilavecunlargesourire.Nakamuraestsatisfait,

    les papiers seront prêts la semaine prochaine. J’en conclus que ni toi ni moi ne sommes fauchés oumalhonnêtes.

    Il l’embrassa et Tallie sourit à son tour avant de mentionner son rendez-vous avec Victor lesurlendemain.

    —Moiaussi,j’aieuuneréunionavecluicettesemaine.Jetejurequ’ilveutsavoirparlemenutoutcequej’aimangédanschaquerestaurantetavecquijeparlaisaffairesenmêmetemps.

    Ilséclatèrentderire.Lapersonnalitétatillonnedeleurcomptablelesamusait,mêmesiTalliesavaitqu’elle lui était redevable. C’était grâce à lui et à Brigitte, aussi honnêtes et précis l’un que l’autre,

  • qu’elle n’avait jamais eu à subir de contrôle fiscal. Cela valait donc la peine de supporter son côtépinailleur.

    Leweek-endfutdétendu.Talliefitquelquescoursesetautrescorvéesqu’ellerepoussaitdepuisdessemaines,mettant à profit le peu de temps dont elle disposait avant de retourner à Palm Springs. Lesamediaprès-midi,elleserenditchezsonpèreetpassaplusieursheuresensacompagnie.Ilvoulaittoutsavoirdesprogrèsdufilmetilsbavardèrentlonguement,assisdanslejardin.

    Ledimanchematin,elleserenditaucabinetdeVictor.Ill’attendait,vêtucommeàsonhabituded’uncomplet-cravate.Tallie,commeàl’accoutumée,portaitunjeandéchiré,desbasketsmontantesetuntee-shirtdélavéàsouhait.

    —Vous ne devriez pas travailler le dimanche, Victor.Mais je vous en suis reconnaissante.Monemploidutempsestdingueencemoment.Etjevoulaisaussivousremercierpourlamanièredonts’estdéroulél’audit.Notreinvestisseurnousainformésvendrediqu’ilétaitsatisfait.J’apprécievraimenttoutcequevousfaitespournous.

    —Jefaisjustemontravail,réponditVictorenajustantseslunettes.Ilcommençaparluirappelerquelaloiexigeaitquelemoindreobjetachetéendehorsdel’Etatsoit

    soumisà l’impôtcalifornien.Nombrede sesclientsoubliaient cetteobligation, cequi leurattiraitdesennuisparlasuite.Tallielerassura:BrigitterecensaitconsciencieusementtousleursachatshorsEtat.MaisVictoravaitd’autresquestionssursaliste.Tallieyréponditaimablement,toutensongeantensonfor intérieur qu’il aurait pu vérifier tout cela avec Brigitte. Il l’informa aussi qu’il avait classél’appartementqu’ellepossédaitàParisdans lesbienspersonnelsplutôtque les fraisprofessionnelsetajoutaqueMaxinenepouvaitêtreconsidéréeàchargequesiellerestaitétudianteàpleintemps.Cela,Tallielesavaitdéjà.Etpourcause,illeluiavaitditmaintesfois.Enfin,ils’arrêtasurlasommequ’elledépensaitenliquidechaquemois.

    —Jenepeuxrienfairedéduiredevosimpôtssijenesaispasoùpassetoutcetargent,seplaignit-il.— J’achète des glaces, des cafés, je paie le parcmètre, objecta-t-elle, vaguement penaude. Je ne

    pensepasqu’ilyaitdegrossesdéductionsàfaire,Victor.—Dans ce cas, vous devezmanger des tonnes de glace et boire des litres et des litres de café.

    D’aprèscequejevois,vousdépensezenvironvingt-cinqmilledollarsparmoisenespèces.Il avait du mal à dissimuler sa désapprobation. De tels frais représentaient la possibilité de

    déductionsintéressantes.—Vingt-cinqmille?répétaTallie,abasourdie.Vousplaisantez!Jesuissûredenepasdépenserplus

    de deux cents dollars parmois en espèces, plutôt cent, d’ailleurs. J’utilise tout le tempsma carte decrédit,mêmepouracheterunflacondeshampooing.

    En fait, si elle était honnête, c’était Brigitte qui s’occupait de ces détails. Elle faisait toutes sescourses,anticipantmêmesesbesoins.

    —Victor,c’estinsensé.Vousdevezregarderlemauvaistotaloulamauvaisecolonneoujenesaisquoi.Ilestabsolumentimpossiblequejedépenseautant!

    —Pourtant,ilyadeschèquesencaissésàlabanquecontreduliquide.Vousstockezdesespèceschezvous?

    —Biensûrquenon.Lamoitiédutemps,jen’aipasdeliquide,ilfautquej’empruntedelamonnaiepouracheteruncafé,surtoutsiMaxineestdanslesparages.Ellesesertdansmonsac,maisjepeuxvousassurerqu’iln’yajamaisplusdevingtoutrentedollarsàpiquer.Ilyauneerreurquelquepart,affirma-t-elleaveccertitude.

    —Non, insista-t-il, il n’y apasd’erreur.Voilàpourquoi je tenais à avoir cette conversationavecvous,Tallie.Jesuisinquietàproposdesdéductionsmanquéesetplusencoresivousignorezàquoiestutilisécetargent.

    AécouterVictor,Talliesesentaitirresponsableetimprudente.

  • —Regardezmesrelevésdecartesdecrédit,protesta-t-elle.Dèsquelemontantdépassecinqdollars,jepaieparcarte.

    —Alorscommentexpliquez-vouscessommes?Brigittedépense-t-elleautantdeliquidepourvous?—Non,ellesesertaussid’unecarte.Nousavonsuncomptejointpourtoutcequ’ellem’achète.—Ehbien,quelqu’unlefait.Ilvousfautdécouvrirqui.VictorétaitconsternéparcesgravesincohérencesdanslesfinancesdeTallie.—Aucoursdes troisannéesécoulées,onapprochedumilliondedollarsdedépensesen liquide.

    Vousnepouvezpasperdrelatraced’unesommepareille!—Biensûrquenon,murmura-t-elle,perplexe.Peut-êtreBrigitte règle-t-ellecertainesdépensesen

    espècessansquejesoisaucourant.Jeluiposerailaquestion.Ensuite,Victorluisoumitunepiledefacturesdontilvoulaitvérifierl’exactitude.Desvêtementspour

    Maxine,desœuvresd’artqueTallieavaitachetéesàNewYork,etdiverscadeauxpourHunt,ycomprisunemontreenor.Toutaubasde lapilese trouvaientdesfraisdedéplacementet lesnuitéesàproposdesquellesilavaitdéjàinterrogéHunt.

    —Pourleshôtelsdelarégion,pasdeproblème,Huntm’aexpliqué.—Quelshôtels?demandaTallie.Jenevaisàl’hôtelquesijesuisenvoyageouentournageailleurs,

    commeencemoment,àPalmSprings.J’airéservéunechambrelà-baspourdeuxmois,maiscesontdesfraisprofessionnels.

    Victorparutsurpris.—VousavezpourtantdesfacturesduBel-Air,duChâteauMarmontetduSunsetMarquis,réparties

    sur trois ans. Hunt m’a confirmé qu’il réservait parfois des suites pour des rendez-vous avec desinvestisseursétrangersouavecvousàl’occasion.

    — Vous avez dû mal comprendre, Victor. Nous ne sommes jamais allés dans aucun de cesétablissements,saufunefois,auBel-Air,pendantquejefaisaisfairedestravauxdanslamaison.

    Un doute assaillit brusquement Tallie. Brigitte s’était-elle servie de leur compte joint pour sesescapadesamoureuses?Aprèstout,elleavaituneviesentimentaleassezagitée.Cependant,sitelétaitlecas,elleavaitcertainementremboursél’argentd’unefaçonoud’uneautre.

    —C’estpeut-êtreBrigitte.Jeleluidemanderaiaussi.Légèrementcontrariée,Tallieétaitnéanmoinssûrequesonassistanten’étaitpasenfaute.Cegenrede

    laxisme,ellequiétaitsiprofessionnelleetsicompétente,çaneluiressemblaitpasdutout.JamaisTallienel’avaitpriseendéfautjusqu’àmaintenant.

    Victor n’insista pas. Pourtant, il ne pouvait avoir mal compris Hunt. Celui-ci avait affirmé sansambiguïté avoir séjourné dans ces hôtels avec Tallie.Mais, là,Victor savait qu’il s’aventurait sur unterrainglissant.Cen’étaitpaslapremièrefoisquel’examendescomptesd’unclientmettaitaujourdesfaitsgênants.Enrevanche,iltenaitàéclaircirlemystèredesdépensesenespèces,quireprésentaientdessommesbienplusimportantesetl’inquiétaientdavantage.

    Tallie arriva chez elle songeuse. Sans être véritablement troublée, elle désirait dissiper cesmalentendus.Sicen’étaitpasBrigittequis’étaitserviedesacartepourpayerlesnotesd’hôtel,peut-êtres’agissait-il d’une affaire de vol d’identité. Cela lui était déjà arrivé par le passé. Quelqu’un avaitdécouvert sonnumérode carte de crédit et avait fait le tour desmagasins à ses frais.De toute façon,Victorluiavaitditquecesdépensesd’hôtelavaientcessé l’annéepassée ; leproblèmeavaitdoncétéréglé.Toutefois,pourquoiHuntaurait-ilaffirméqu’ilsavaientséjournédanscesétablissements?Victoravaitdûmalcomprendre.

    Huntrentrapeudetempsaprès,alorsqu’ellepréparaitunesaladecomposéepourledéjeuner.Ellen’étaitpasunegrandecuisinière,maiscegenredeplatsimpleétaitàsaportée.AenjugerparlesourirevictorieuxetlabonnehumeurdeHunt,ilavaitsansnuldoutegagné.Suruncourtdetennis–etdansla

  • plupartdesjeux–,ilavaitunfortespritdecompétitionetn’aimaitpasperdre.Aujourd’huiavaitétéunbonjour.

    —Touts’estbienpasséavecVictor?demanda-t-ilenprenantunebouteilledejusdefruitsdanslefrigo.

    —Oui.Lepauvrem’aposéunmillierdequestions,ils’inquiètepourtoutets’embrouilleunpeu.Ilprétendquejedépenseunefortuneenliquidealorsquec’esttoutlecontraire:jemesersdemacartedecréditpourlemoindreachat.IlendéduitqueBrigitterèglecertainesfacturesenespècesetilconsidèrequecelanousfaitperdredel’argentendéductions.Brigitteestsiméticuleuse.Jesuissûrequ’elleaurauneexplication.

    Tallies’apprêtaitàluiparlerdesnotesd’hôtel,maisellenesavaitplustoutàcoupcommentaborderlesujet.

    Enfindecompte,elledécidadesetaire.L’embrouillaminivenaitsûrementducôtédeBrigitte.Elledevait d’abord l’interroger, elle, au cas où elle se serait offert quelques nuits d’hôtel avec ses petitsamis…

    Aprèsledéjeuner,ilsallèrents’asseoirdanslejardinetpassèrentunaprès-miditranquilleentêteàtête. Tallie savourait le bonheur d’être à la maison. Elle commençait à se lasser d’être toujours envadrouille.

    Pendantcetemps,auPoloLounge,VictordéjeunaitavecBrianna.L’atmosphèreétaitmoinspaisible.Furieusequ’ill’aitfaitattendreunedemi-heure,Briannaluiavaitreprochédetravaillerundimancheetl’avaitaccuséderessembleràuncroque-mortdanssoncomplet-cravate.Elleauraitpréféréqu’ilporteunjeanetunechemise,maisVictors’yrefusait,parrespectpoursesclients.

    —Jesuisdésoléd’avoirétésioccupécestemps-ci.Leschosesdevraientsecalmerunpeuàprésent,dit-ild’untond’excuse,pourl’apaiser.

    Elleétaitquantàellevraimentsuperbe:elleportaitunerobeblanchemoulanteachetéecettesemainemêmechezRobertoCavalli.Ledécolleté,plongeant,laissaitvoirlanaissancedesesseins.

    —Cen’estpasgrave,répliqua-t-elletoutbastandisqueleserveurleurapportaitlecafé.Puiselleprituneprofondeinspirationavantd’ouvrirlabouche.—Jeveuxcinqmillionsdedollars,déclara-t-elledebutenblanc.—Pourquoifaire?Moiaussi,jelesvoudraisbien,répondit-ilensouriant.—Pourrestermariéeavectoi,rétorqua-t-ellefroidement.Elle avait tout d’une femme d’affaires endurcie, et Victor la trouva brusquement beaucoupmoins

    attirante.—Etuneallocationchaqueannée,quenouspouvonsnégocier,ajouta-t-elle.Mais jeveuxlescinq

    millionstoutdesuite.—Qu’est-cequec’estquecettehistoire?Sommes-nousmari et femmeouen traindediscuterun

    contratd’affaires?demanda-t-il,bouleversé.Enplus,jen’aiabsolumentpascesmoyens-là.—Avant,tulesavaisbien.—Plusmaintenant.Etmêmes’ilpossédaitune telle somme, jamais ilneseseraitabaisséà la luiverserpourqu’elle

    consenteàrestersonépouse.C’étaitunchantageodieux.—Troismillions,alors?dit-elle,prêteàmarchander.Maissitunemedonnesrien,jem’envais.Je

    nepeuxpasvivresanslesou.J’aibesoindesavoirquej’aidel’argentàlabanque,dontjepeuxdisposeràmongré.J’aibesoindemesentiràl’abri.

    Elleseraitàl’abri,certes,maissonmari,lui,seraitfauchécommelesblés,songeaVictor.Pourquoidiablesonavocatluiavait-ilmisentêteuneidéepareille?Celarevenaitàsonnerleglasdeleurunion.

    —Brianna,jen’aipascestroismillions,nimêmedeux,nimêmeunmillion.

  • —Danscecas,annonça-t-ellefroidementalorsqu’ilréglaitl’addition,jetequitte.Horsdequestionquejerestemariéeàunhommequinemerendpasheureuse.

    Sonbonheuravaitunprixsacrémentélevé!Victor,livide,seleva,etilsrejoignirentleurvoiture.Ilétaitsisecouéparcequivenaitdesepasserque,cinqminutesplustard,ilbrûlaunfeurougeetfaillitcauserunaccident.Jamaisdesavieilnes’étaitsentiaussiaffolé.

  • 5

    Lelendemain,enroutepourPalmSpringsavecBrigitte,Talliementionnasaconversationavecsoncomptable.

    —Règles-tucertainesfacturesenespèces?demanda-t-elleensirotantsonlatteparfuméàlavanille.—Biensûrquenon.DequoiparleVictor?s’exclamaBrigitte, irritée.Jepaie toutparchèqueou

    cartebancaire.Illesaitparfaitement.—C’estbiencequejepensais.Peut-êtres’est-iltrompédanssescomptes.L’hypothèsed’unesimpleerreurdecalculparaissaitàTalliedeplusenplusvraisemblable.Comment

    Brigitte,ouelle-même,aurait-ellepudépenservingt-cinqmilledollarschaquemois,etenliquide?—Ilestpréoccupécestemps-ci,repritBrigitte.Siçasetrouve,iladesproblèmesdesanté.Oualors

    ilesttropâgépourfairesontravailcorrectement.—Oui.Jenesaispas.Celamesembledingue.Jevaisluidemanderdetoutrevérifier.Ilm’aaussi

    montréunelistedefacturespourleChâteauMarmontetleSunsetMarquis,ajouta-t-elle.Brigittelaregardaensilence,interloquée,etTalliepoursuivit,légèrementembarrassée.—Celam’ennuiedetedemanderça,maist’est-ilarrivéd’yséjourneretderégleravecnotrecarte

    paraccident?—Non,Tallie.Jenesuisjamaisdescenduedansaucundecesdeuxétablissements.Sijeveuxpasser

    lanuitavecquelqu’un,jevaischezmoi,pasàl’hôtel.—Jemesuisditquetuavaispupayerunechambreavecnotrecarteetrembourserlasommeaprès

    coup.—Jenesuispassiécervelée,luifitremarquerBrigitteavecungrandsourire.—Jesaisbien.Tallieluirenditsonsourireavecunaird’excuse.—Ildoityavoirunmalentendu.Convaincuequ’ilyavaituneexplicationlogiqueàcetimbroglio,ellechassal’affairedesespensées

    ettiralescriptdesonsacafind’enpeaufinercertainsdétails.Unefoisarrivée,elletéléphonaàVictordesacaravanependantqueBrigitteallaitchercherducafé.

    Elleluiavouaqu’ellen’avaitpaspuéclaircirlemystèredesdépensesenespèces,pasplusqueceluidesnotesd’hôtels.

    —Ahbon,jemesuisprobablementtrompé,murmuraVictor.— Oui, vous avez dû vous méprendre, Victor, dit-elle avec fermeté. Ce doit être une histoire

    d’usurpationd’identité.—Trèsbien,Tallie.—C’estsansdouteunparfaitinconnuquis’estservidemacarte.

  • Victor raccrocha sans faire de commentaire. Tallie sentit un nœud se former dans son estomac.Quelquessecondesplustard,Brigitterevintavecdeuxcafésquisentaientdélicieusementbon.

    —Toutvabien?demanda-t-elleenluitendantlebreuvagebrûlant.Tufaisunedrôledetête.Quelquechosetetracasse?

    Talliesemitàrireetsesentittoutdesuitemieux.—Victormetapesurlesnerfs,voilàtout.Quandilaquelquechosedanslecrâne,ilneveutpasen

    démordre.Ilsemetdanstoussesétatsàcausedecettehistoirededépensesetjetepariemonbillet–c’estlecasdeledire!–quel’erreurvientdesoncabinet.Ilsontdûsetromperenrecopiantnoschiffresdanslelivredecomptes.

    Brigitteacquiesça.—Tusais,jevérifieméticuleusementchaqueentréeavantdeluienvoyer.—Jenem’inquiètepasdutout,jeconnaistonprofessionnalisme.Victorestcasse-pieds,mêmesije

    saisque çapart d’unebonne intention.Et il continuedeme rebattre lesoreilles au sujet de cesnotesd’hôtelquejesuiscenséeavoirpayées.D’aprèslui,Huntluiaditêtredescendudanscesendroitsavecmoi.Ilcomprendtoutdetravers.J’aimêmefaillidouterdeHunt,etpuisjemesuisditquej’étaisparano.Un de ces jours, il va nous annoncer que c’était une erreur. Franchement, je déteste la compta.Heureusementquetut’enoccupespourmoi.

    Brigittesemitàrire.—Jenesuispasunefandescomptesnonplus,avoua-t-elle.EtVictorestunangoissé.—Jesais.Bon,autravailmaintenant.Tallieterminasoncafé,réglasonBlackBerrysursilencieuxetleglissadanslapochedesonshort,

    puis sortit, son script sous le bras. Un instant plus tard, ayant grimpé dans une nacelle avec le chefopérateur,ellemettaitaupointlesprisesdevuesdelamatinée,ayantcomplètementoubliésonirritationcontreVictor.

    La journéede tournage fut longue.Tallienepritpasdepausedéjeuner,pasplusqu’elleneprit lapeinededécrochersonBlackBerry,quivibraàplusieursreprises.Aumilieudel’après-midi,cependant,elles’arrêtauninstantetregardaquiavaittentédelajoindre.Elleneputs’empêcherdeleverlesyeuxaucielenvoyantquatremessagesdeVictors’affichersurl’écran.Avecunsoupir,elleattrapaunechaise,ouvritunebouteilled’eauetserésignaàlerappeler.Nonloindelà,Brigittebavardaitetriaitavecundesacteurs,etTalliesedemandadistraitementsic’étaitl’hommedumoment.EllelesobservaittoujoursquandVictordécrocha.

    — Je voulais vous reparler du Sunset Marquis et du Château Marmont, commença-t-il sanspréambule.

    —Jevouslerépète,Victor,c’estsansdouteunvold’identité.Detoutefaçon,vousm’avezexpliquéqu’iln’yavaitpluseuaucunreçuémanantdeceshôtelsl’annéedernière.Alors,oùestleproblème?

    — Je n’aime pas lesmystères non résolus, dit-il d’un ton grave. Surtout quand il s’agit de votreargent.

    —J’apprécievotresollicitude,maisc’estunevieillehistoire.— J’ai téléphoné à l’organisme bancaire cematin. Tous les reçus sont scannés et ils me les ont

    envoyés.—Nemeditespasquec’estmoiquilesaisignés,lançaTallie,enriant.—Non.C’estBrigitte.Sasignatureapparaîtclairementsurchaquefacture,hormiscelleduBel-Air.—Elle affirmen’avoir jamais réservéde chambre, rétorquaTallie d’un ton ferme, plus encline à

    croiresonassistantequesoncomptable.—Elleapeut-êtreoublié.C’étaitilyauncertaintemps.—Jenepensepas,Victor.

  • —Peut-êtreest-ellegênéed’admettrequ’elles’estserviedelacartepoursonusagepersonnel?Ilestmêmepossiblequ’ellevousaitrembourséediscrètement.

    Ilétaitprêtà luiaccorder lebénéficedudoutesurcepoint,mais il se refusaitàcroirequ’ellenes’étaitpasrenduedansceshôtels.

    —C’estindéniablementsasignaturequifiguresurlesreçus,insista-t-il.—Quelqu’unapulafalsifier,réponditTalliefroidement.— J’en doute.De toute façon, c’est surtout les vingt-cinqmille dollars en liquide qui se perdent

    chaquemoisquim’inquiètent.—Moiaussi, àvraidire.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient, j’aimeraismontrer lescomptesà

    monpère.Ilestnettementplusdouéquemoipourcegenredechoses.—Sansaucunproblème.—Merci,Victor.Jevousrappellerai.Tallie resta pensive une minute, puis téléphona à son père. Comme toujours, il décrocha dès la

    premièresonnerie.—Bonjour,papa.Elles’étaitefforcéedeprendreuntondégagé,maisSamlaconnaissaittropbienpours’ytromper.—Quesepasse-t-il,machérie?—L’auditsembleavoirmisaujourdesbizarreriesdansmescomptes.Celat’ennuieraitd’yjeterun

    coupd’œil?—Pasdutout.C’estquoi,leproblème?—Victoraffirmequevingt-cinqmilledollarsenespècesquittentmescompteschaquemois.Tu te

    doutesbienquecen’estpasmoiquidépensetoutcetargent,etBrigitteditquecen’estpasellenonplus.—As-tuuncomptejointavecHunt?—Non.Nousn’avonsrienmisencommun.Jen’ycomprendsrien.C’estforcémentuneerreur.—DemandeàVictordem’envoyerleslivresdecomptesetjevérifierai.—Merci,papa.Tallienementionnapas leshôtels.Aquoibon?Soit il s’agissaitd’uneusurpationd’identité, soit

    BrigitteouHuntmentait,etcommentsonpèredevinerait-illequelétaitlecoupable?Elle rappelaVictoret lepriad’envoyeruncoursierchezsonpèreavec lescopiesdesdocuments.

    Puiselleseremitautravail,convaincuequ’unregardneuféclairciraitlemystèredel’argentmanquant.Lorsque Brigitte la ramena en ville ce soir-là, Tallie, préoccupée, eut du mal à soutenir la

    conversation.Ellenepouvaitempêcherlesdoutesdel’assailliretsedécidaàinterrogerHuntdèsqu’ellearriverait à lamaison.Mais il était absent. Il avait laisséunmessageexpliquantqu’il dînait avecdesinvestisseurs.Aubasdelanote,ilavaitajoutéqu’ill’aimait.Lasseetenproieàunmalaiseinexpliqué,Tallies’assitsurlecanapé.

    Poursechangerlesidées,elletéléphonaàMaxine.Ellesbavardèrentpendantunedemi-heure,puissafilledutlaquitter,ayantencoredutravailpourlelendemain.Tallieluiditaurevoiràregret.Apeineavait-elleraccrochéquesonpèrel’appela.

    —Victoraraison,déclara-t-ild’untonperturbé.Tudépensesvingt-cinqmilledollarsparmoisenliquide, à mille dollars près. Brigitte doit pouvoir te fournir une explication, non ? Elle qui est siorganiséeetefficace.J’aidumalàimaginercommentonpeutperdrelatraced’unetellesomme.

    SamJonesparaissaitaussialarméqueVictor.—Tusais,papa,quejen’aipaspourhabitudedejeterl’argentparlesfenêtres.—Jesaisbien,soupira-t-il.C’estjustementcequim’inquiète.—Brigitte règle toutes les factures et signe tous les chèques et il n’y avait jamais eu aucun souci

    avant,dumoinspasàmaconnaissance.Pourtant,Victoraffirmequeçaduredepuisplusieursannées…

  • …DepuisqueHuntvitavecmoi,acheva-t-elleintérieurement,prenantsoudainconsciencedecettecoïncidence.Unecoïncidencetroublante:àprésent,elleensavaitjusteassezpourêtreeffrayée,maislemystèredemeuraitentier.

    —Jesuisformelle,çanepeutpasêtreBrigitte,reprit-elle.Safamilleestfortunéeetelletoucheuntrèsbonsalaire.Pourquoimevolerait-elle?

    Tallieeutlagorgenouéeenprononçantcesmots.Ellenepouvaitcroireàunetellehypothèse.—C’estlapersonnelaplushonnêtequejeconnaisse.—Iln’enrestepasmoinsquequelqu’undépensecetargententonnom,insistasonpère.Quevas-tu

    faire?—Jenesaispas,avouaTallie,abattue.Elleavaitespéréquesonpèreluidiraitqu’ils’agissaitd’unesimpleerreur.Hélas,cen’étaitpasle

    cas. Il y avait aussi la question des hôtels.Brigitte prétendait n’y avoir jamais séjourné alors que lesreçusportaientsasignature.EtHuntavaitaffirméàVictoryêtrealléavecelle.Soncompagnonetsonassistantementaient,etellenesavaitpaspourquoi.

    Elle ne parvint pas à trouver le sommeil. Elle passait et repassait les faits dans son esprit et enrevenaittoujoursaumêmepoint.Hormissonpèreetsafille,BrigitteetHuntétaientlesdeuxpersonnesenquielleavaitleplusconfianceet,pourlapremièrefois,elleavaitlesentimentqu’ilsluidissimulaientquelquechose.Celaluilaissaitungoûtamerdanslabouche.

    Quand Hunt rentra, veillant à ne pas faire de bruit pour ne pas la réveiller, elle feignit d’êtreendormie.Ellenevoulaitpasl’interrogermaintenant.Ets’ilniaitêtreallédansceshôtels?Elleavaitpeurdeluiposerlaquestionetd’entendresaréponse.Peurdeleprendreenflagrantdélitdemensonge.

    EllepassaunenuitblancheetavaitunemineaffreusequandBrigittevint lachercher le lendemainmatin.Sonassistanteavaitl’airsoucieuse.Ellesfirentcommed’habitudeunebrèvehaltepouracheteruncafé,maisparlèrentàpeinedurant le trajet. Justeavantd’arriversur les lieuxdu tournage,Brigitte segarasurlebas-côtéetluijetaunregardangoissé.Tallieladévisagea,perplexe.

    —Ilfautquejeteparle,commençaBrigittetoutbas.Jemesuistoujoursdemandécequejeferaisdansunesituationpareilleetj’espéraisnejamaisavoiràledécouvrir.C’estausujetdeHunt.Etj’aiunepetiteconfessionàtefaireaussi.

    Tallie se raidit, redoutant la suite.Aen jugerpar l’expressiondeBrigitte, celle-cin’allaitpas luiannoncerunebonnenouvelle,loindelà.Uninstant,elleeutenviedeprendresesjambesàsoncou.

    —Ilyaenvirontroisans,justeaprèsavoiremménagécheztoi,Huntm’ademandédel’argent.Ilaprétexté que tu l’avais chargé de régler un achat. Je ne me rappelle pas lequel, mais cela paraissaitplausible.Ilvenaitdes’installercheztoiettusemblaisfollementamoureusedelui.

    Tallie faillit protester. Elle n’avait jamais été « follement amoureuse » de Hunt ; ses sentimentss’étaientdéveloppésaufildutemps.Néanmoins,ilsavaientétéheureux,etilsl’étaientencore.

    — Lamanœuvre s’est répétée, poursuivit Brigitte. Il me réclamait régulièrement du liquide. Despetites sommes, d’abord. Il prétendait avoir oublié d’encaisser un chèque ou que tu avais besoind’espèces.J’aifiniparmerendrecomptequ’ilmesollicitaitsansarrêt.Jenesavaisplusquoipenserniquoifaire.

    Ellefitunepauseavantdereprendre,lavoixtremblante.—C’estvraimentuntypesympaet,étantdonnétesdéboiressentimentauxpassés,jenevoulaispas

    risquerdetoutgâcher.Etpuis,jen’avaispasprisconsciencedel’étenduedeces«emprunts»avantquetunementionnes la somme, l’autre jour. Je t’assureque jene saispascequ’il faitde l’argent, s’il ledépenseoulemetdecôté.J’avaispeurdet’enparler,car jenevoulaissurtoutpascauseruneruptureentrevous,alorsj’ailaisséfaire,mêmesij’étaisinquièteettristepourtoi.Aprésent,Huntconsidèrecesapportsenliquidecommeundû,conclut-elled’unairdéconfit.

    —Ettunem’asriendit?

  • Tallieétaithorrifiée.L’hommequ’elleaimait laspoliaitdepuis troisans.Etsonassistante,qu’elleconsidéraitcommesameilleureamie, fermait lesyeuxsursaconduite…Sonsilencefaisaitd’elleunecomplice.Talliesedemandamêmesiellenel’encourageaitpasdanssesdemandes.Elleeuttoutàcoupl’impressiond’êtreladernièredesidiotes.N’était-ellepasdoublementtrahie?

    Uneboufféedecolèrelasubmergea.—Pourquoinem’as-tupasrévélélavéritéplustôt?—Jetel’aidit,jenevoulaispassabotertonhistoired’amour.Tuasbesoindequelqu’undanstavie,

    Tallie.Tunepeuxpastoutgérerseule.Etlepremierfilmquevousavezfaitensembleaétéuntelsuccèsquejenevoulaispasmettretacarrièreendangernonplus.

    —Ainsi,tul’aslaissémevolersansriendire?Dequelcôtées-tu,Brigitte?accusa-t-elle.—Dutien,réponditsonamiesanshésiter,leslarmesauxyeux.J’aicommisuneterribleerreur,etje

    leregrette.Ilm’amanipulée.—Ettudisqueçaduredepuistroisans?Brigitteacquiesça.—Tuterendscomptequeçam’acoûtépresqueunmilliondedollars?EtpourquoiHuntaurait-il

    besoind’argent?Ilengagneplusquemoi.Malgré les apparences, Tallie croyait son assistante, même si sa confiance en elle venait d’être

    sérieusementébranlée.Sonrécitétaittropsordidepournepasêtrevéridique.—C’estluiquit’aempêchéedemeledire?Ellevoulaittoutsavoiràprésent,jusquedanslesmoindresdétails.—Oui,auboutd’uncertaintemps.Jeregrette,Tallie,vraiment.C’estduvoletçamerendmaladede

    savoirquejel’aiaidé.Elleparaissaitprofondémentbouleversée.Ilestvraique,pourTallie,lapiluleétaitdureàavaler.A

    l’exception de la fois où elle avait découvert dans la presse que son ex-mari la trompait, jamais ellen’avaiteuautantl’impressiondes’êtrefaitberner.

    —Quandjepensequetum’asprésentéçacommeune«petite»confession!s’indignaTallie.—Cen’estpasdeçaquejeparlais.Brigittebaissalesyeux.—Enfait,jesuisbeletbienalléeauChâteauMarmontunefois,etj’airégléavectacarteparceque

    jen’avaispaslamiennesurmoi.Jedevaisêtreaveccecaméramandontj’étaisdingue.Ilétaitmarié,ettudésapprouvaisnotreliaison.C’estpourquoijen’aipasosét’enparler.Maisj’airemboursélatotalitédelasomme,jetelejure.

    —D’aprèsVictor,ilyaeuplusd’unpaiementportanttasignatureauChâteauMarmontetauSunsetMarquis.

    —J’aipuyallerdeuxoutroisfois,maisj’aitoujoursrecréditétoncompte.Pourlesautresreçus,ilestpossiblequequelqu’unaitimitémasignature.Peut-êtremêmeHunt.D’ailleurs…

    AlarméeparletonembarrassédeBrigitte,Tallieladévisagea.—… je crois qu’il a unemaîtresse. J’ai eu des soupçons et j’ai posé la question à un ami qui

    travaillepourlui.Ilmel’aconfirmé.Huntentretiendraituneliaisonavecunedesessecrétaires,âgéedevingt-cinqouvingt-sixans.D’aprèsmonami,elleaquittésonmari,unhommeviolent.Celui-cin’apassupportéqu’elles’enaille,etill’arouéedecoups,ainsiqueleurfilsdetroisans.Huntl’aaidéedansces moments difficiles, et tout est parti de là, je suppose. Ça dure depuis un an à peu près. Ils seretrouventàl’hôtel,surtoutquandtuesentournage,j’imagine.D’aprèstafemmedeménage,ilnepasseplusjamaislanuitàlamaisonquandtuesabsente.

    Talliefutanéantieparcetterévélation.—Ettoutlemondeestaucourantàpartmoi,c’estça?

  • Noncontentdeluiprendresonargent,Huntlatrompaitpar-dessuslemarché.Quelleidioteelleétait!Jamaisellene l’aurait crucapabled’une telleduplicité.Au lieud’être lemeilleurcompagnonqu’ellepensaitavoirtrouvé,ilétaitenfaitlepire.