Du plomb dans les tripes

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SAN ANTONIODU PLOMBDANS LES TRIPES

DU MME AUTEURDans la mme collection I

Laissez tomber la fille.Les souris ont la peau tendre.Mes hommages la donzelle.Des drages sans baptme.Des clientes pour la morgue.Descendez-le la prochaine.Passez-moi la Joconde.Srnade pour une souris dfunte.Rue des Macchabes.Bas les pattes.Deuil express.Jai bien lhonneur de vous buter.Cest mort et a ne sait pas.Messieurs les hommes.Du mourron se faire.Le fil couper le beurre.Fais gaffe tes os.A tue... et toi.a tourne au vinaigre.Les doigts dans le nez.Au suivant de ces messieurs.Des gueules denterrement.Les anges se font plumer.La tombola des voyous.Jai peur des mouches.Le secret de Polichinelle.Tu vas trinquer, San-Anzonio.En long, en large et en travers.La vrit en salade.Prenez-en de la graine.On tenterra du monde.San-Anronio met le paquet.Entre la vie et la morgue.Tout le plaisir est pour mol.Du sirop pour les gupes.Du brut pour les brutes.J suis comme a.San-A ntonio renvoie la balle.Berceuse pour Brurier.Ne mangez pas la consigne.La fin des haricots.Ya bon, San-Antonio.De A jusqu Z .San-Antonio chez les Mac.Fleur de nave vinaigrette.Mnage tes mninges.Le loup habill en grand-mre.San-A ntonio chez les gones .San-Anonio polka.En peignant la girafe.Le coup du pre Franois.Du poulet au menu.Le gala des emplums.Votez Brurier.Brurier au srail.La rate au court-bouillon.Vas-y, Bru!Tango chinctoque.Salut, mon pope!Mange et tais-toi.Faut tre logique.Ya de laction /Bru contre San-Antonio.Larchipel des Malotrus.Zro pour la question.Bravo, docteur Bru,Viva Bertaga.Un lphant, a trompe.Faut-il vous lenvelopper?En avant la moujik.Ma langue au Chah.a mange pas de pain.Nen jetez plus!Moi, vous me connaissez!Emballage cadeau.Appelez-mol, chrie!T es beau, tu saLt!a ne sinvente pas!Jai essay : on peut!Un os dans la noce.Les prdictions de Nostrabrus.Mets ton doigt o jai mon doigt.Si, signore!Maman, les petits bateaux.

Hors srie:LHistoire de France.Le standinge.Bru e: ces dames.Les vacances de Brurie,.Bru-Bru.La Sexualit.Les Con.OEuvres compltes.Quatorze tomes dj parus.

SAN-ANTONIO

DU PLOMBDANSLES TRIPES

ROMAN

DITIONS FLEUVE NOIR69, Bd Saint-Marcel PARIS

La loi du 11 mars 1957 nautorisant, aux termes des alinas 2 et 3 de lArticle 41, dune part, que les copies ou reproductions strktemenr rserves lusage priv th~ copiste et non destines une utilisation collective, et, dautre part, que les analyses et les courtes citations dans un but dexemple et dillustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle, faite sans le consentement de lauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alina 1 de lArticle 40).Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par les Articles 425 et suivants du Code Pnal.

1975, ditions Fleuve Noir , Paris.

Reproduction et traduction, mme partielles, interdites. Tous droits rservs pour tous pays, y compris lU.R.S.S. et les pays scandinaves,

A mon ami Edouard CHARRET, en souvenir du grand patacaisse .

S.A.

PREMIRE PARTIE

LES TORTUES

CHAPITRE PREMIER

Je demande Gertrude:-Connaissez-vous la recette du Fiibrer en cocotte?Elle me regarde sans rpondre.-Vous ne la connaissez pas, je fais, a se voit votre physionomie aussi expressive quun dentier usag. Bon, je vous la donne:vous prenez un Fiihrer entrelard; vous le videz, le flambez et le mettez dans une cocotte avec des petits oignons et un bouquet garni; vous laissez mijoter deux ou trois heures et vous le servez la horde de loups enrags que vous voulez empoisonner; leffet est presque instantan. Le plus duraille cest de convaincre les loups de le briffer, on a beau tre loup enrag, on a tout de mme sa dignit, pas?Elle ne rpond pas. Simplement elle allumeune cigarette et, lorsque le ct incandescent est bien point, elle me lapplique sur la joue. Du coup, je nai plus envie de me marrer.Une dlicate odeur de bidoche brle se rpand la ronde.

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Je serre les dents pour ne pas pousser la beuglante qui simpose.Gertrude remet la cigarette entre ses lvres dlicates.- A propos, dis-je, je connais aussi la recette de la petite espionne sur le gril...Mais elle ne mcoute plus. Lappel dun klaxon retentit sur la route.- Vous autres, Franais, dit-elle, vous tes dous pour la cuisine et... le bavardage. Adieu, San-Antonio.Elle se fait la paire en direction de la bagnole qui lattend. Moi je reste mon lien. Et je vous jure sur la tte de votre voisin de palier que je changerais volontiers ma place contre celle du zi~ qui va se faire lablation de la vsicule biliaire. Elle na rien denviable, ma place, pour le quart dheure!Figurez-vous que nous sommes dans un coin de lIsre o jtais charg de liquider une petite espionne nazie dont les agissements commencent faire tartir les gnaces de lIntelligence Service. La donzelle marne en Angleterre; cette fflle-l a le don du camouflage! Y a pas mche de lidentifier lorsquelle opre chez les Britannicjues. Par miracle, ceux de lI. S. ont appris qu elle prenait un peu de repos dans un petit patelin proche de Lyon. Comme je connais la rgion, le major Parking (i) ma dlgu pour lui cloquer un peu de plomb dans la cervelle.

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Je radine dans le patelin, je repre ma souris qui, du reste, ne fait rien pour se cacher, jentre en relation avec elle, je lui joue mon grand air la clarinette moustache, on va se balader, au crpuscule, dans la verte nature dauphinoise, et, juste comme je mapprte lui offrir sa panoplie dectoplasme, voil deux mecs qui sortent dun buisson, me sautent sur le rble pendant que je suis en train de lui refiler le patin de ladieu, me saucissonnent, mattachent sur le plateau dune scie dbiter-les-arbres-dans-le-sens-de-la longueur et se trissent leur voiture tandis que la mme Gertrude clate de rire et mexplique quelle ma identifi depuis le premier quart dheure o jai amen mes cent quatre-vingts livres dans son espace vital.Elle me dit sans ambage que des contre-espions comme bibi elle en voit tout le long des trottoirs en regardant par terre, que je serai le souvenir de sa vie qui la fera le plus rigoler. Ensuite de quoi elle va dans le hangar o se tient le moteur de la scie et met le jus.Nous changeons les paroles rapportes plus haut et elle sen va.Je ne sais ~as si vous savez comment fonctionne une scie fendre les beaux-sapins-rois-des-forts? Lengin dont il est prsentement question, se compose dun plateau de bois mont sur deux petits rails et qui avance insensiblement en direction dune gigantesque lame de scie en mouvement.

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Daprs mes estimations personnelles faut quatre minutes pour que ma pe personne atteigne la scie.Cest--dire que, dans huit minutes, vutr~ ami San-A. sera coup en deux, comme le premier ver de terre venu. Vous pourrez le voir en coupe et cest un spectacle qui ne se prsente pas tous les jours...Cette mort-l nest pas marrante. Vous allez me dire que la mort ne lest jamais; tout de mme, vous ne mempcherez pas de penser que le sort des vignerons qui claquent dans leur cuve est plus enviable que le mien.La nuit tombe. Le lieu est dsert. Je pousse une lgre beuglante, non pour vrifier la solidit de mes cordes vocales, mais pour ameuter les populations compatissantes. Les gens du bled ne peuvent pas mentendre, et, quand bien mme ma voix serait aussi puissante quune sirne dalerte, ils ne remueraient pas le petit doigt pour venir voir ce qui se passe. En ces temps doccupation, ils ont le trouillomtre au-dessous de zro. Faut dire que, de temps en temps, les Frizs foutent le feu un fermier, histoire de crer lambiance. Je nai donc pas plus de chance de me sortir 4e l que de me faire lire prsident des Etats-Unis.Le plateau de bois continue davancer inexorablement. Je sens sur le sommet de mon crne le lger courant dair produit par le va-et-vient de la lame. Je crois bien que je nai encore jamais eu autant les jetons. Les

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types qui viennent vous raconter quils nont pas peur sont des tocassons; ils nont qu venir mes cts sur le plateau; il y a de la place. Cest pas que je tenais sue ma carcasse soit empaille, mais a me chiffonne dtre coup par le milieu. Dabord cest salissant, et ensuite je naime pas faire philippine de cette faon. Je me contracte dans mes liens, mais les cordes dont se sont servis les copains ne sont pas en papier... Tout ce que je parviens faire, cest me donner un avant-got de ce qui mattend en me cisaillant les poignets et les chevilles.La situation est tellement horrible que je me dis que tout a est un mauvais cauchemar:dans une seconde la sonnerie de mon rveille-matin viendra remettre les choses en place. Cest pas vivable un truc pareil!Hlas, je ne dors pas; mon histoire est tout ce quil y a de plus vridique. Les dents de la scie commencent me dcoiffer. Je me ratatine afin de retarder le plus longtemps possible lentre en matire cerbrale.Et dire que lorsque jtais mme, jaimais les bcherons!Je me tire de ct, ce mouvement me permet de constater que la scie est actionne par une courroie de transmission. La dite courroie passe juste gauche du plateau mobile. Si javais une main libre ce serait un jeu que de la faire glisser de sa poulie. Seulement voil, je nai pas de main libre.La scie se met brouter mon crne, a

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me fout comme une dcharge lectrique. Une norme vague rouge me submerge. Je gueule tant que a peut. Un congrs de marchands de journaux ne ferait pas davantage de raffut! De toutes mes forces je tire sur mes liens. O ce quil est, le zigoto qui sait se dficeler? Jen ai vu qui se faisaient attacher serr par les badauds, place Clichy, et qui sortaient de leurs liens comme la vaseline sort de son tube lorsquon appuie dessus. Si javais pu prvoir, je leur aurais demand de maffran.. chir sur leur combine.Jai vu aussi, dans un film la noix, Zorro attach sur une voie ferre; et le train pointait toute pom~,e; le Zorro sen tirait tout de mme; a n avait rien de coton puisque a se passait dans un film, mais pour moi cest pas du mme.A force de me jeter de ct pour chapper la scie, je suis parvenu distendre un tant soit peu les cordes qui enserrent mon buste. Ma tranche pend, un peu en dehors du plateau, mais je ne perds rien pour attendre car, dici peu de temps, cest ma nuque cjui va dguster. A dcouper en suivant le pointill comme disent les taulards du petit quartier (i).Jattends, toujours braillant. Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir? que disait mre Barbe bleue sa frangine qui se balanait les chssis (2) du haut de la tour. Et elle

(z)Cest du quartier des condamns mort quil sagit.(2)Regardait.

DU PLOMB DANS LES TRIPESvoyait radiner un cavalier, la souris. Et le cavalier, ctait le gossier de la dame qui venait prendre ses crosses. Ce que cest bath, les contes de fes! Y a toujours le beau zigoto qui se la radine en temps utile. Il bigorne le gros-vilain-mchant et il cramponne la belle damoche par un aileron pour la conduire lautel ou lhtel...Vl cette vacherie de scie qui me rejoint. Et je te gueule de plus belle, au point que du fond de lAustralie y a des sourdingues qui se demandent ce qui se passe! Et je te tire sur tes ficelles, petit gars, en rvant que mes cordes deviennent aussi mallables que des fils de parmesan. La lame dentele me mord le bas du cou. En mtranglant je parviens dvier un poil de plus; de cette faon, cest le col de ma veste qui biche et a me donne une vingtaine de secondes de rpit. Puis, subito, jai limpression quil se produit un lger relchement dans mes liens. Je tire, a vient de dix centimtres. Je comprends qui se passe : la scie a tranch 1 une des cordes. Maintenant, jai le haut du buste libr. De cette faon, je vais tre dcoup en travers au lieu de ltre en long. a durera moins longtemps, mais le rsultat sera le mme.Je me penche le plus possible. Avec la bouche, je parviens choper la courrie de transmission. Quelle secousse! Je reois lquivalent dun coup de sabre en travers du portrait. La tranche de cuir ma fendu les commissures des lvres. Je vais avoir le clapet

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jeieouvert ju9uaux oreilles et je pourrai des oeufs d autruche avec leur coquille. rends compte que tout qui peut m si je ritre cette tentative, cest de voir chailles faire la malle. Comme, dun ct, la scie est en train de me mordre s sement le haut du dos, je me dis que je sans arrire-pense risquer ma tte. A tre dcapit dun coup que de se sentir d en tranches.Jy vais de mon plongeon. Et, brusqu cest le grand vertige, le grand frisson, des fins. II me semble que ma tte est de mon buste et dvale les escaliers building. Mon cervelet se balade dans crne comme les boules de la loterie dans sphre pendant le tirage. a craque dans nuque, la scie me rentre dans la viande suffoque. Puis cest, tout coup, comme espce dexplosion. Jai un got de sang dans la bouche. Et pluff , good night, plu8 rien, le nant, la nuit, le cirage... La communication est coupe!

*

Quand je reviens moi, jentends pins le zonzon du moteur. Simplement y a un rossi gnol qui fait ses magnes dans un buissonvoisin. Il sgosille dire que la vie est belk et quil va faire voler les plumes de sa rossignolette avant longtemps.Mes penses se mettent lalignement. J

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ESTRIPEShie tout ce que le Bon Dieu ma refil .e intelligence afin dessayer de piger osuis.Petit petit, a vient. Pour commencer, lemoteur a d semballer, puis il sest arrt.Ensuite, je maperois que je suis couvert de sang. Si javais une main libre je ferais une enqute rapide pour voir ce dont je puis disposer en fait de visage. Je crois bien que je nai plus de tarin, que ma bouche est fendue comme celle dune marionnette, quil faudra des annes-lumire avant que mes lvres soient cicatrises et que je suis partiellement scalp. A part a, tout va bien. Si je parviens intresser mon cas un chirurgien esthtique, il pourra acheter un baril de choucroute (cest ce qui se rchauffe le mieux) et senfermer dans la salle dopration pendant trois nn quatre semaines.~ moche tout de mme de ressembler un pain de saindoux. Cest pas quon mait confondu jamais avec Tyrone Power, mais javais la faiblesse de tenir mon extrieur.Enfin, mieux vaut une bouille ravaude mais entire, quun coquet visage partag par le mitan.La nuit est belle. Cest pas le couvre-feu l-haut! Les toiles brillent comme dans les romans dix ronds pour jeune vierge refoule. Je ne puis pas bouger de mon plateau de bois. Ma seule distraction cest de bigler la voie late. Seulement une fois que jai repr lEtoile polaire, le Chariot et la Grande

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Ourse, je commence trouver le passe-temps un peu casse-bonbons. Je suis pas du genre bucolique. Moi, jaime assez parler posie, mais condition dtre en compagnie dune belle mme et quil ny ait pas incompatibilit dhumeur entre ma main et son corsage, vous croyez que je veux dire?Si vous ne voyez pas, cest que vous &es le plus bath ramassis de locdus qui se soient jamais propags sur cette plante.Jattends. Le rossignol continue se pren dre pour Caruso. Un petit vent de nuit fait bruire les feuillages (jai lu cette phrase dans un roman de Paul Bourget) et les toiles sont cent watts. Tout ce quil faut pour donner de lurticaire un type aussi remuant que moi.Probable que lorsquon me retrouvera je serai couvert de petits champignons verts.Soudain, il me semble entendre un craquement de brindilles casses. Cest peut-tre un gibier quelconque?Je prte loreille. Le bruit recommence. Un type dbouche du bois proche. En tournant la tte, je laperois sous la lune. Il est grand, vtu en pquenot et il porte un sac sur ses paules.Je fais:-Hep!Le mec sursaute comme si on lui prenait sa temprature avec un tisonnier chauff blanc.Ilsapprte rebrousser chemin.

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Bon Dieu, vous barrez pas, collgue! je supplie!Ilhsite.-Je suis sur la scie, ajout-je. Des salauds mont ligot l-dessus aprs mavoir vol...Je prfre ne pas parler des Allemands pour linstant, des fois que le mec serait un sympathisant?Ilsapproche, dune dmarche hsitante. Il est maigre, rouquin, avec des yeux enfoncs et le nez en bec daigle.-Dtachez-moi, fais-je. Je nen peux plus. Ah! les vaches! Quest-ce quils mont mis dans le portrait!Ilpose son sac. Le sac se met remuer, par terre. Le gars reviendrait de lever des collets lapins que je nen serais pas autrement surpris. Il sort un couteau de sa poche et tranche mes liens. Aprs c&uoi il referme son ya et me reluque dun air mais.Je me lve. Cest bath de retrouver la verticale. Je fais quelques mouvements dassouplissement et je maperois tout de suite que ~a boume. Je me serais cru plus sonn que je ne le suis en ralit.-Merci dtre venu, dis-je au terreux, cest une sacre ide que vous avez eue, vieux, daller la chasse cette nuit.Ilne bronche pas; ce zig, je vous jure, cest lincomprhension personnifie...Le voil qui se baisse, prend son sac et fait la malouze en direction de la route. Je lui trotte au panier.

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-Eh! Dites, Toto, vous ne connaissez pas par hasard, un petit bled, pas trop loin dici, o je pourrais trouver me loger?Ilme rpond rien. Il est sourd-muet probable. Y en a des flopes dans les cam brousses : a vient de lhrdit, ma aflirm un toubib de mes aminches. Les pquenots lichetrognent tellement dans ce coin de France que leurs pilons ont du picrate dans les veines en venant au monde.Ilest l, tout indcis, avec pourtant lenvie de mettre le grand dveloppement. Mon regard tombe sur sa main gauche. Quelque chose y brille la clart de la lune, cest une superbe chevalire en or. Moi a me fait salement tiquer, je vous le dis, because les bouseux nont pas lhabitude de porter des bijoux.Dcidment, lhomme au sac est bizarre.Et figurez-vous que la bizarrerie mattire comme un soutien-gorge bien garni attire la main de lhonnte homme.Je renouche mon pote. Il baisse la tte. Sa tte doiseau de proie mlancolique.Et voil que subito jentrave la raison pour laquelle il ne me parle pas. II nest pas sourd-muet, il est tranger et il ne gazouille pas un mot de franais. Comme il ne tient pas ce que cela se sache il adopte le parti le plus sage: celui de se visser la langue au palais.-Tes allemand? je lui fais.IIne rpond pas.-Deutsch?

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Silence.-Cest pas pour te vexer, murmur-je, mais tas moins de conversation quun sac de pltre!Jajoute tout hasard:- English?L, il a un trs lger frmissement que mon oeil de lynx a enregistr.- I speak english, dis-je effontment. And you, Toto, do you speak english?II hausse doucement les paules.- You are english? jinsiste.Il me fait non, de la tte. Cest le premier rsultat enregistr.Bon, il est pas english. Il est pourtant quelque chose, ce foie de veau! Il est pas allemand non plus. Il est ni ngre ni chinois, je peux men rendre compte. Si je veux procder par limination je vais en avoir pour un moment.Soudain jai linspiration, fl est polonais!Jai eu des copains polaks et chez tous jai remarqu ces petits plis verticaux prs des lvres.- Polska? You are polak, Toto!Je sais pas comme on bonnit le mot Pologne en polonais, mais le gars a compris. Il fait un petit geste de la tte qui, si lon nest pas trop exigeant, peut parfaitement passer pour une affirmation.Il continue sa marche sur la route dserte. La nuit sent le foin coup. On devine que la nature sen tamponne quil y ait la guerre ou non.

DU PLOMB DANS LESMon Polonais est discret comme une betterave. Ce mec-l, quand on veut lui arracher un mot, faut cavaler chercher les forcep~Je le suis, cest le cas de le dire, car je marche un pas de lui. Il arpente la campagne vive allure. Je voudrais le voir un peu dans Paris-.Strasbourg.Je le suis sans savoir pourquoi, sans savoir o on va, sans savoir sj a lui plat ou non, sans mme savoir si a me plat moi.Je le suis machinalement, comme un chien perdu suit un passant, comme San-Antonic suit le mystre.Cest un rflexe.

*

On parcourt ainsi un petit kilomtre, sans se raconter plus de choses quune paire de jarretelles. La route - cest plutot un chemin vicinal - est borde de hautes haies touffues. Y a toujours ces glands de grillons qui la ramnent, et dautres rossignols qui baratinent leur bonne femme. Le chemin dcrit un virage. Parvenus au milieu de la courbe, nous apercevons une bagnole noire stoppe au ras du foss. Le Polak sarrte et se met humer le vent comme un clbard qui passe devant le soupirail dun restaurant.II semble mfiant, inquiet.- Ben quoi, je lui fais, tas les jetons Pilsudski?

DU PLOMB DANS LES TRIPES25poursuivre sa route. rai mme limpression quil va faire demi-tour.Et il a salement raison de faire marche arrire, le rouquin!Deux mecs sortent de derrire une haie et savancent vers nous. Ils tiennent une mitraillette la main en guise de bouquet de bienvenue.Du cour, le Polski se trisse bride abattue. Ma vaste intelligence me conseille de limiter et nous voici dans les champs, galoper comme des perdus.Les zouaves lartillerie se lancent nos trousses. Et je vous jure quils ne laissent pas leur gche pour ce qui est de filer le train une paire de branques comme le Polak et mgnace. Dans quelle pommade me suis-je encore enlis, grand Dieu! Nimporte qui, aprs avoir chapp aux dents froces de la scie, aurait couru se foutre au sec: mais non! San-Antonio, vous comprenez, cest le mec qui perd jamais une occase de mettre ses pinceaux dans la mouscaille.aurait t trop simple de dire au Polak: Merci-et-au-revoir-mon-bon-monsieur. Il me fallait du point dinterrogation en veux-tu en voil! Le mystre cest ma nourriture favorite, comme le chardon pour les unes. Y a des fois o je me demande pourquoi jaime pas les chardons!Heureusement, les prs ont t rcemment coups et cest un vrai plaisir c~ue de saloper dans la cambrousse. Ou plutt c en serait un si

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dans cette course, je ne tenais pas le rle du lapin.Comprenant quils ne nous rattraperont pas, nos poursuivants se mettent tirer. a, cest la moche histoire! Cest le moment o les mes sensibles changent de calcif!La mitraillette cest exactement la catgorie de ptoire qui convient ce genre dexercice. a manque de prcision mais a fait du dgAt dcouvert.Du coup, les salves nous donnent une vigueur nouvelle, au Polak et moi. La souris de labb Jouvence, cest du sirop dorgeat ct de a, pour la circulation.O quil est, Ladoumgue, quon lhumilie un peu!Les coudes au corps, et je te connais bien! Le Polonais na toujours pas lch son sac.Doit avoir envie de bouffer, pour pas les abandonner, ses garennes! Il a peut-tre une gerce tubarde et douze lardons dcalcifis et il tient leur apporter une becquetance reconstituante!Toutcoup,ilpousseungrand cri. Un de ces cris qui veulent tout dire.Il part en avant, zig-zague lgrement et tombe.II a dgust une srie de balles et il a son compte, le fran~m.Inutile de lui porter secours. Ce serait se faire buter pour balpeau. Dans la vie, il y a des moments o c est chacun pour soi et Dieu pour tous.

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Comme je fonce de plus belle, il se redresse. Jarrive sa hauteur, car il me prcdait de quelques mtres.Il me crie quelque chose en polonais, tout en me tendant son sac.Machinalement je rafle lengin et je me le catapulte sur le dos. Puis je galope de plus belle. Les balles voltigent autour de moi comme les abeilles autour dune ruche.Si mon ange gardien nest pas la hauteur, je vais tre dguis en moulin lgumes avant quil soit longtemps. Fort heureusement, le terrain est trs accident. Il y a un tas de creux, de mamelons, qui font de moi une cible extrmement mouvante.Le bois dont jai fait instinctivement mon objectif est trs proche. En dix bonds je lai atteint. Et maintenant je les ai quelque part, les fumelards, eux et leurs seringues.a nest pas la premire fois que des gens arms me courent aprs dans un bois. Je suis une espce de technicien de la chose, faut voir! Personne ne peut me faire la pige lorsquil sagit de faire du forcing travers les arbres. Comment je leur sme du poivre aux aniinches!Bientt je marrte pour prter loreille. Pas un bruit, du moins insolite. Juste une chouette qui rouscaille quelque part et des crapauds dans lherbe humide, qui poussent leurs petits cris bulbeux.Mes poursuivants ont d abandonner la chasse. Peut-tre quils ont eu les flubes.

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Cest dangereux de chercher un gnace minuit dans les bois. Si le plerin en question nest pas la moiti dune portion de brie, il peut se planquer derrire un fourr et vous assaisonner dans le dos.A moins davoir un clbard pas trop emp.ch du renifleur sa disposition, il ne faut jamais esprer, deux, arrter un mec en pleine nuit, dans les forts.Ils savaient a, les tordus, et ils ont compris...Par mesure de scurit, pourtant, jallume les cierges (i) pendant un bon moment; puis, rien ne se produisant, je cherche morienter. Lorientation aussi a me connat. Jai pas besoin de reluquer de quel ct pousse la mousse au pied des arbres. Avec une infinie prudence je me mets en route. Le sac du pauvre Polak me bat toujours les fesses. Il ne contient pas de lapins, cest trop dur. Aprs tout, je pourrais bigler un peu lintrieur...Je mavance dans une claircie des arbres et je dnoue la ficelle fermant la grosse poche de toile. Grke au clair de lune on y voit comme en plein jour. Je pousse une exclamation de surprise. Le sac contient quatre tortues de dimensions moyennes.

CHAPITRE II

Je trouverais de la bont dans le regard dun huissier que je ne serais pas plus abasourdi.Faut dire quil y a de quoi sattraper la tirelire deux mains! a nest pas tous les jours quon rencontre en pleine nuit doccupation un Polonais ne sachant pas parler franais, sur un chemin cart. Mais lorsque Polak-l est attendu au dtour dun chemin par deux types arms de mitraillettes qui labattent comme une pipe en terre; lorsque avant de mourir il vous confie le sac quil trimbale comme si ce sac contenait sa progniture, et surtout, lorsquon dcouvre 9ue ledit sac donne asile quatre braves petites tortues, alors l, les potes, on commence se demander de quelle couleur tait le cheval blanc dHenri IV.Si elles taient en or, ces tortues, je coinprendrais quil ait risqu sa peau pour elles, le copain; mais non, ce sont des tortues

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ordinaires comme on en achte aux petits enfants sages...Je les laisse dans le sac et je charge ce dernier sur mes paules.

*

A force de marcher, je parviens une agglo.. mration importante. Sur une plaque bleue je lis Bourgoin . Je me rappelle que ce bled est une quarantaine de kilomtres de Lyon.Les rues sont dsertes comme la salle dun cinma ducateur. Pas une lumire, pas un bruit. Simplement le glouglou prostatique dune fontaine sur une place.Je me dis que si jamais une patrouille vient passer a va tre choua. J ai bonne mine avec ma tranche en marmelade et mon sac de tortues... Ah je vous jure! Un impresario de music-hall qui mapercevrait me collerait au prose jusqu que je lui aie sign un contrat dexclusivit.Je rase les murs comme un novice du fric-frac, sans savoir o aller. Jai srement eu tort de radiner dans ce patelin, jaurais d rester en plein bled et ronfler contre une meule de foin. Seulement, pas vrai, on obit plus souvent des rflexes qu sa jugeote.Ma trogne commence me faire sneusement souffrir. Je la sens enfler et le sang ne sarrte pas de pisser comme dun robinet ouvert. Pourtant je ne suis pas hmophile et mon raisin est tout fait recommand

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pour les transfusions dlicates. Mest avis que si je ne me fais pas dsinfecter le portrait, je vais choper une de ces infections maison qui compte dans la vie dun contre-espion.Je ne peux aller dans un hosto, a doit tre bourr de Chleus. Ils ont le chic pour attraper tous les gonos en vadrouille dans un bled, les Frizs. Et puis un hosto cest quelque chose dadministratif o on vous pose un tas de questions toutes plus indiscrtes les unes que les autres...Jen suis me palper le cervelet pour essayer daccoucher dune ide valable lorsque je tombe en arrt devant une porte sur laquelle brille une plaque de cuivre qui a d chapper aux services de rcupration : Docteur Martin, ex-interne des hpitaux de Lyon .Je voudrais bien me faire soigner, seulement je peux fort bien tomber sur un toubib collabo, un de ces zigs qui ont les chssis en forme de croix gamme...Cest a qui serait tartouze! Quest-ce que je lui raconterais au cloqueur de purge, sil se mettait tre indiscret? Le secret professionnel, cest un truc quon ne respecte plus que dans la Veille des chaumires, maintenant...Non, dcidment, cest trop risqu. Comme je mapprte poursuivre ma route, un bruit de bottes retentit dans le silence. Ces bruits-l sont plus loquents que des discours lectoraux.

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Lorsquon les entend, le mieux quon ait faire est de se garantir contre les claboussures.Je presse le bouton de cuivre fich ct de la plaque. Plusieurs minutes passent. Le bruit de bottes se rapproche.Est-ce que le toubib va se dcider ouvrir sa putain de porte? Si jamais les zigotos de la patrouille me demandent des explications, je vais tre salement empoisonn. Je ne peux pourtant pas me faire passer pour le pre Noel. Non seulement je nai pas un poil de barbouze, mais aussi les pres Noel nont pas pour habitude de se baguenauder au printemps, la tronche tout ensanglante, avec un sac de tortues sur le dos.Une lumire clate enfin dans la faade de la maison. Un bruit de pas, la porte souvre.Je me trouve nez nez avec un type pas plus haut que le nombril dun honnte homme. Il a une soixantaine dannes, un bouc gris et des yeux vagues.-Quest-ce que cest? demande-t-il.-Je voudrais voir le docteur.-Cest moi.-Je suis bless...Ilscarte pour me laisser passer.-Entrez!Je ne me le fais pas dire deux fois. Jai comme une vague ide quil tait temps que je gare mes abattis, car la patrouille aile.-mande dbouche prcisment langle de la rue.

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explique pas de quoi il retourne, a se voit hein? Sans un mot il se dirige vers une porte, droite, la pousse, donne la lumire et sefface pour me laisser entrer.Cest son cabinet. Une pice vieillotte qui renifle lther et le bois moisi.-Asseyez-vous! ordonne le petit toubib. Je dpose mes tortues et je prends place sur un tabouret mtallique.Le voil qui passe une blouse blanche par-dessus son pyjama et qui se met examiner ma blessure en faisant la grimace.-Vous vous tes engueul avec des Indiens, murmure-t-il. Cest la premire fois que je vois un type moiti scalp.-Cest un accident, expliqu-je. Je suis tomb, tte premire dans une courroie de transmission...Son visage est plus neutre que la Suisse. Il dsinfecte mes plaies, me pose deux ou trois agrafes et me fait un pansement tout ce quil y a de tsoin-tsoin.-Je vous dois combien, docteur?-Cent francs, fait-il.Je glisse la main lendroit o jai lhabitude de remiser mon larfouillet et je sens une partie intime de mon individu se ratatiner.Ilny est plus. Les copains de la mme Gertrude me lont secou. Je me sens moite. Quest-ce que je vais pouvoir inventer pour lui montrer la couleur (i), au vieux toubib?

(z)Mentir.

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-Je... jai... cest ridicule, docteur, je balbutie, mais jai oub~i~ de prendre mon portefeuille. Dans ces cas-l, vous comprenez?-Aucune importance, fait-il ngligem. ment.-Je viendrai vous rgler a demain4-Je ne suis pas picier, dit-il en maccom pagnant jusqu la porte.Ilme serre la pogne et je me mets en IVULV Je ne sais toujours pas o aller. Je danse, dun pied sur lautre, humant lair frais de la nuit.Une voix me hle:-Hep!Je me retourne, cest le petit docteur.-Vous avez un Ausweis? questionne-t-il.-Non.-Si vous rencontrez une patrouille...-Je sais...Iltire sur son petit bouc.-Venez, fait-il.Pour la seconde fois, je franchis son seuil.-Les temps sont malsains, vous ntes pas de Bourgoin?-En effet.-En effet, les temps sont malsains ou en effet vous ntes pas de Bourgoin ?demande-t-il.Ses yeux vagues saniment, il parat intress.-Les deux, doc, les deux...-Vous travaillez de nuit?-Comment a?-Dame, puisque vous avez eu un accident du travail en pleine nuit...

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me dsigne mon sac.Que charriez-vous, l-dedancz? Vous allez me trouver bien curieux, alors, cn ce cas, ne rpondez pas.Je secoue mon sac.Si je lui dis quil contient des tortues, il me prendra pour un cingl. Il ny a quun type cingl en effet pour se promener avec un tel chargement dans de semblables conditions.Oh, auelciues vieilles paires de chaussures que jamenais en ville pour les faire ressemeler en Loi~.Et elles pissent, vos chaussures?-Parc on?-Je vous demande si vos chaussures urinent, elles ont piss dans mon cabinet.Je regarde le toubib.-Allez-y, dballez le fond de votre pense...-On serait peut-tre mieux dans mon salon, avec un verre de quelque chose la mam, non?-On serait bigrement mieux, conviens-je.Iltire dun placard une bouteille culotte dans lac~uelle on a mis macrer des plantes.-C est un truc contre les refroidissements? minform-je.-Si on veut, dit-il. Cest de la verveine dans du marc.-Jen suis.Ilremplit deux verres, men tend un. Avant que jaie eu le temps de porter le mien mes lvres il a fait cul sec avec le sien.

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-Compliment, dis-je. Cest laquon vous apprend ces petits tours de societeIlsourit0-Mettons que ce soit un don. Je suis vieil ivrogne, vous savez. Tout le monde, est au courant. Je suis le dernier toubib q on fait appel en pleine nuit, car on sait quesuis schlass. Ma clientle vient entre huit heures et midi, aprs il est trop tard. Si je ntais pas bon mdecin, il y a belle lurette que je naurais plus personne.-Chagrin damour, comme dans les romans, doc?-Juste comme dans les romans, oui.Ilme plat, ce petit vieux. De le savoir poivrot, a me met en confiance; en gnral 1 solots sont des braves types.-Vous buvez pour oublier?Ilse sert un second verre auquel il fait fairc le mme voyage quau premier.-Mais non, je bois pour me souvenir Personne ne boit pour oublier. Ce quor demande lalcool, cest de vous faire souvenir; mais de vous faire souvenir gentiment, en technicolor, quoi, vous voyez ce que je vem dire?-Je vois trs bien. Alors, pour en revenu ma question?Ilsassied.-Ah oui... pour en revenir vous et vo~ chaussures qui font pipi... Pas malin, vou~ savez. Voulez-vous que nous jouions aw devinettes?

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Allez-y.Vous ntes pas de la rgion. Si mon oreille est fidle, vous tes de Bercy ou des environs. Si ma connaissance des visages lest aussi, vous tes un homme daction. Si mes yeux ne mabusent pas, ce sont des balles qui ont fait ces trous aux pans de votre veste. Si mon sens de la psychologie nest pas trop dficient, vous ne tenez pas du tout rencontrer des vert-de-gris et, de plus, vous ne savez pas o aller. a vaut combien sur dix, tout a?Pas loin de dix, fais-je en riant.Je nhsite plus. Le vieux petit barbichu est un type de premire; moi aussi, jen connais un brin sur la question des bonshommes.Ouvrez grandes vos manettes, doc, je vais vous rencarder. Car je pense quon peut avoir confiance en vous!Et ~e lui dballe toute lhistoire, depuis A jusqu Z en passant par la Lorraine. Je ne lui cache rien, ni mon identit, ni les raisons qui mont amen ici, ni mes dmls avec les Gertrudes gougnaflers, ni ma rencontre avec le pauvre Polak.Il mcoute, calmement, en essayant darracher sa barbichette. Mais la barbichette tient bon et elle na pas perdu un seul poil lorsque jai termin mon expos.- Voil qui vaut tous les fades romans daventures, assure le docteur. Montrez un peu ces tortues...Jouvre le sac et le retourne. Les braves

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bestioles tombent lourcc~ment sur le tapis, o elles se meucut rcmuer avec des mines pataudes.Le mdecin en cramponne une et lapprocnede labat-jour.Ce sont des tortues normales, non?je en mapprochant.-Tout ce quil y a de normales, admet-a-Alors pourquoi les auscultez-vous? Elles ont de la temprature?-Une ide, comme a...Ilme regarde, son oeil rit.-Les animaux voquent toujours ucs tres humains pour moi. Une habitude que je tiens de ma jeunesse... Par exemple llphant me fait penser un gros type dont le pantal pend. Le hrisson un clochard hirsute, La tortue... Eh bien, la tortue, mon che commissaire, me fait songer un homme sand v~ ich avec ses deux panneaux qui lembotentJe sursaute.-Bon Dieu, je saisis... Vous croyez que.-Nous allons voir.Ilsclipse un court moment et revient, arm dune forte loupe.Ilcommence examiner le dos de pensionnaire.-Rien, fait-il. Tout est r~ulier...Illa retourne. La pauvre bete se met remuer dsesprment ses panes grotesques en tirant son cou viprin.-Montre ton bide, Nelly! ordonne ledis

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Elle ne peut pas faire le contraire vu quune tortue la renverse est aussi prive de moyens quun centenaire impotent.Illa regarde attentivement.Regardez, me dit-il soudain.Ilme passe sa loupe. Jexamine la carapace de dessous.Celle-d, comme toutes les carapaces de tortues, est strie de fines rainures qui dessinent des motifs assez rguliers. Grosso modo, on peut considrer lensemble de ces motifs comme un quadrillage. Or, lintrieur de chaque case, se trouve un autre petit motif qui parat naturel premirequi se confond avec lensemble; mais il sagit de signes excuts au moyen dun poinon dans la corne. Et chacun de ces signes a la forme dune lettre de lalphabet polonais.Beau travail, dit le docteur avec un petit sifflement admiratif. Et quelle ide magnifique! Qui souponnerait ces innocentes tortues de vhiculer des messages...Vous avez un crayon et une feuille de papier, doc?Ilva son bureau et en ramne un bloc et un stylo. Je me mets reproduire les lettres graves dans la carapace des tortues. Lorsque ce travail est termin, jai deux feuillets couverts des signes auxquels je suis incapable de donner la moindre signification.Vous comprenez le polak, toubib?Non, fait-il, mais la bonne de mes voiest Polonaise, demain je pourrai lui

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faire dchiffrer ce message. Enfin,quelle sait lire.-Ce nest pas un peu risqu? je demande. a doit tre bigrement confidentiel pour quon ait choisi un systme de correspondance aussi bizarre.-Ne vous tracassez pas, sourit le mdecin, Frania est aussi intelligente que cette bouteille de marc. Ma seule crainte, je vous dis, est quelle ne sache pas lire...Ilse lve.-Vous avez grandement besoin de repos,~ commissaire. Je vais vous faire une petite piqre calmante et vous irez dormir dans la chambre damis. Je continue lappeler ainsi, bien que je naie plus damis depuis belle lurette...Ilsaisit les tortues et les emmne la cuisine.-Elles ont bien mrit une feuille de salade, dit-il.

*

Ilfait un soleil tout casser lorsque jouvre mes chsses. La lumire est tellement vive que je me dmerde de baisser mes stores. Mais tout de mme le soleil est un machin drlement fameux lorsquon a failli laisser ses os dans un tas de sciure. Je rouvre mes paupires. Il me faut plusieurs secondes avant de raliser o je me trouve. Puis la mmoire me revient. Les tortues-sandwich, le brave poivrot de toubib...

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Quest-ce quil maquille, le vieux barbichu? Je me mets sur mon sant. Le lit est moelleux comme les fesses dune couturire et il a une faon muette de vous dire ten va pas, petit gars ... Mais un pucier nest pas compatible avec le beau soleil qui passe travers les rideaux.Je me lve et, tout chancelant, je mintroduis dans mon bnard. Ce que le dme peut me faire mal! a carillonne l-dessous comme lglise du patelin le jour des premires commumons.Jai eu du vase de sonner cette porte. Vous pourrez constater que jai le nez creux et que la fe qui sest occupe de ma ligne de chance ne sappelait pas Carabosse.Jachve de lacer mes tartines lorsque le petit docteur radine.Alors, paresseux! fait-il joyeusement.Salut, toubib. Au fait, cest comment,blaze, dj?Mon quoi?Votre nom!Martin, fait-il, comme tout le monde.Cest facile retenir et justement je veux retenir votre nom pour apprendre mes petits-enfants le bnir. Sur ce, quelle heureec~t-i1?

Midi...Quoi?Midi...Comme pour lui donner raison, une horloge de ville y va de ses douze coups.

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-Cest honteux de pioncer pareillement, dis-je.-Pas lorsquon a le crne ravag. a va mieux?Je fais la grima.-Lali-lala... Jai limpression quon ma fait un shampooing la paille de fer.Ilse marre.-Descendez, je vais vous changer votre pansement, ensuite de quoi nous nous mettrons table.Le programme me botte.Aussi ivrogne quil soit, il est aux pommes, le docteur Martin. Quel doigt. Il me proposerait de mastiquer le cervelet que je me laisserais faire, parole dhomme! Et il sait sorganiser. A partir donze heures et demie, il a termin son cabinet et il fait la popote. Tout par lui-mme, cest sa devise.-Javais une servante, dit-il, mais tant donn ma situation de vieux clibataire, jtais oblig de la prendre ge; a faisait un peu cur; de plus elle mengueulait. Je lappelais linintelligence-service... Je mapprtais lempoisonner larsenic lorsquelle ma quitt; je ne lai pas remplace...On passe table. Y a un rti de porc groscomme ma cuisse avec de la pure de marrons.-Mince, je mexclame, cest pas les restrictions chez vous!-La plupart de mes clients sont des ruraux des environs, ils me paient en marchandises; a leur fait plaisir et jy gagne.

DU PLOMB DANS LES TRIPES43Que pensez-vous de ce petit vin de pays?-Gentillet...Ilme regarde manger de bon apptit.-Cest beau, la jeunesse, soupire-t-il.Je me communique un bon kilo de barbaque dans le porte-pipe. Je lichetrogne un litre de rouquin, aprs quoi je messuie les lvres.-Et votre bonniche polak, on peut la voir?-Cest fait, sourit-il.-Sans blague?-Je lui ai fait signe, ce matin, tandis quelle sortait les botes ordures. Dieu soit lou, elle sait lire.Iltire une feuille de papier de sa poche.-Voici la traduction du message, commissaire.Je saisis le prcieux papelard et je lis :Sur voie de garage Bourgoin jeudi entre 14 et i6 heures.-a na pas t commode reconstituer, dit Martin, car nous navions pas transcrit le texte des tortues dans lordre, cest--dire que vous navez pas pris les tortues dans lordre convenable. Mais jai pu, en assemblant les mots, mettre le texte au point. Quen pensezvous?-Pas grand-chose. Nous sommes quel jour?-Jeudi.-Et nous sommes quelle heure?-Treize heures quarante, pour employer le style chef de gare... lequel est de circonstance...

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Je froisse le papier et vais le jeter uans u cuisinire.-Donc, dans vingt minutes, il y aura sur 1~ voie de garage de la station de Bourgoin ut train, vraisemblablement, qui offre pour cer taines gens un intrt particulier.-Il me semble.-Elle est loin dici, la gare?-A deux cents mtres...-Je crois que je vais y faire un tour..-a nest gure prudent, objecte le peti toubib. Avec votre tte empaquete, vous al1e~ attirer lattention...-La prudence et moi, vous savez..Je me lve et torche mon verre de gnole-Voyez-vous, doc, jai t envoy dans ~ rgion pour accomplir une mission prcise Jai lamentablement chou. Demain soit un avion doit me prendre quelque part e memmener Londres. Je ne serais pas fie de revenir bredouille. Alors, si jai loccasioi de mettre le nez dans une affaire intressante vous pensez bien que je ne vais pas mei priver... Merci pour tout, doc, vous tes ui chic type.Je lui serre la paluche.-Si un jour, aprs la guerre, je me marie si jai des lardons et que ceux-ci attrapent I coqueluche, cest vous que jenverrai cher cher!Je boutonne ma veste et quitte la maison di pre Martin.

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Il ny a pas grand monde la gare. Quelques nabus des environs qui viennent du march, dont cest le jour Bourgoin, et qui vont se taper le prochain dur pour une ou deux stations.Le mec du guichet aux bifs bouquine un journal du cru pas plus grand quune formule de mandat-carte. Un employ lair pas bileux colle sur un garde-boue de vlo une fiche denregistrement. Tout est tranquille et somnolent.Je prends un ticket de quai et je sors. La chaleur danse au-dessus de la voie. Sur les bancs peints en vert, quelques soldats aile-. mands roupillent. Un officier se promne sur le quai, les mains au dos. Des sonneries grelottent autour de moi. Jamais je nai autant ressenti la douceur de vivre. Jai de la peine mimaginer que a se bigorne dans tous les coins du monde et quil se passe toujours et partout quelque chose.Je jette un coup doeil la pendule. Elle marque moins deux. A gauche, venant de la direction de Grenoble, un train survient. Il grossit, gronde, et ralentit. Je maperois que a nest pas un train de voyageurs, mais un train de marchandises. En gnral ces sortes de convois sont interminables. Celui-ci, au contraire, ne comporte que deux wagons ferms. Chaque wagon est un wagon de queue, cest--dire quil est muni dune espce

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de gurite surleve pour le chef de train. Au lieu de chef de train il y a deux soldats en armes dans chaque gurite. Lofficier aile.. mand vient de gueuler un ordre. Il a ladun lion enrhum qui parlerait dansconduit dgout. Ses hommes qui somnolaient sur les bancs se dressent comme des pantins articuls. Ils sautent sur leur mitraillette et salignent en bordure de la voie. Ils sont une douzaine environ.Le train stoppe, puis recule lgrement. Laiguillage cliquette et, lentement, le convoi sengage sur une voie de garage. Lor3quil y est rang, des hommes dquipe dtellent la locomotive et les deux wagons restent en plan, cerns par les soldats allemands.Je donnerais la Lgion dhonneur quon va me cloquer un jour ou lautre titre posthume pour connatre le contenu de ces fameux wagons.Je voudrais bien men approcher, mais cest assez coton...Je remarque que les waters se trouvent proximit. Nonchalamment, je my rends, la main la braguette, pour bien signifier linnocence de mes intentions. Une fois dans les urinoirs, jarnouche vachement par-dessus le mur. Le toit des gogues fait une avance et mon mange ne risque pas dattirer lattention. Je remarque que chaque wagon est plomb. Ils portent, sur leurs parois, des feuilles imprimes. Je mcarquille les roberts pour tenter de dchiffrer ce quil y a dcrit dessus,

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je nai pas des yeux daigle, tout ce dont maperois, cest que cest de litalien. mystrieux tortillard vient de passer lesBourgoin est le point prvu pour lede locomotive, certainement.

Larrive dun autre train interrompt ma contemplation. Cest un train de voyageurs cette fois. Il ratisse les braves terreux qui se branlaient les cloches sur le quai. Maintenant, except mon convoi, il ny a plus personne dans le secteur. Les employs coltinent quelques caisses dbarques du dernier train, cuis quittent la gare cour aller boire un glass a lun des bistrots faisant langle de la place.Je me dis que a ne sert rien de regarder ces deux wagons. Je sais comment ils sont faits, et je sais aussi comment son fringus les costauds de larme du Reich qui les gardent.Je mapprte boucler lorsque mon attention - toujours en veil - est attire par larrive dun vo~ageur.Si ce type n est pas le frangin de mon Polak dhier, moi je suis un bton de rglisse. Jai jamais vu deux frelots se ressembler de cette faon, et pourtant ils ne sont pas jumeaux, car celui-ci est beaucoup plus vieux que lautre. Mais il est bien de la mme cou-

ve : cest bien le mme nez de rapace, les mmes tifs incandescents, les mmes yeux tristes et flous...Iltient une petite valoche la main et il vient du ct du train remis. Il regarde attentivement, trot attentivement mme, en direction des Frises, si bien que lofficier qui discute le bout de gras avec lun des convoyeurs sinterrompt pour le fixer dun air plem de suspicion. Le Polonais sen aperoit et, pour se donner une contenance, vient lurinoir, ce qui prouve que les grandes ides se rencontrent toujours.Ilpntre dans ldicule et a un haut-le-corps en me voyant.Je pose mon index sur mes lvres.-Vous parlez franais? questionn-je, dans un souffle.Ilfait un signe aflirmatif et me bigle comme si jtais la rincarnation de Mahomet.-Vous tes Polonais, dis-je... Je suis au courant, les tortues... Hier jtais en compagnie de votre frre lorsquil a t descendu.-Ainsi il est mort? soupire-t-il.-Oui.-Qui tes-vous?En quelques phrases haches, je lui raconte dans quelles circonstances jai fait la connaissance de feu son cadet. Je lui dis que jai dchiffr le message des tortues. Il fronce les sourcils et son nez se courbe davantage encore.-Vous doutez de moi? je fais. Vous ntes pas psychologue, mon vieux. Quest-ce que je4

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foutrais dans gaulatorium avec mon crne rafistol si je ntais pas lui que je vous affirme tre.Il approuve du chef.La confiance lui revient peu peu.-Que venez-vous faire ici? je questionne.-Faire sauter le train...Je sursaute :-Tout simplement?-Il le faut bien, puisque le message nest pas parvenu. Nicolas portait les tortues la messagre qui devait les emmener Lyon. Dans notre organisation tout se fait par chane, en troka, comme le systme russe, nous nous connaissons trois par trois, ceci afin dviter les risques daveux.-Je comprends, le principe est bon, seulement, lorsquun maillon casse, a fout une drle de panne de secteur.-Ceux de Lyon auraient d tre prvenus la premire heure, matin, afin de pouvoir envoyer un message Londres pour permettre le bombardement de ces deux wagons; pendant deux heures ils sont immobiles sur une voie de garage, cest une occasion unique!-Leur contenu est donc si important?-Il lest formidablement! affirme le PoIonais.Des larmes brillent dans son regard. Il a les mchoires serres et ses maxillaires saillent trangement sous la peau rpeuse des joues.-Je dois faire sauter ces wagons, rpte-t-il avec son accent guttural.

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Ilajoute:-Je mourrai aussi, mais ils sauteront, puisque je suis seul pouvoir excuter les ordres.-Vous avez ce quil faut? dis-je en dsignant la petite valise.-Oui.-On pourrait faire ~a deux, propos-je.Ilme regarde dun air indcis.-Seul vous narriverez rien, fais-je avec force. Une rafale de mitraillette, vous savez, cest vite lch... et vite reu. Elle est bonne, votre camelote, au moins?Ilne comprend pas tout de suite. Je lui explique que cest des explosifs dont je veux parler.-a fait boum sur simple choc ou bien faut-il un dtonateur?-Simple choc.-Faites voir si cest lourd.Je la soupse.- Bigre, jamais ils ne vous laisseronta~procher suffisamment pour que vous puissiez jeter a sur les wagons...- Jen ai peur.- Vous avez une autre ide?Il me dit que non. Les ides, a na pas lair dtre son fort. Il est courageux et c est tout. Cest le mec qui devait charger cheval contre les panzers au moment de la campagne de Pologne, mais pour ce qui est du boulot crbral, il ne serait pas fichu de gagner une partie de dominos un gosse de la maternelle.

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-Attendez, vieux, je sens que chez moi a fermente. Oui, je tiens le bon bout.Je regarde autour de moi. Il y a, sur une autre voie annexe, une machine que lon va atteler au convoi. Auparavant, il faut quelle aille rejoindre la voie principale, quelle la remonte jusquau-del des deux wagons et quelle fasse machine arrire aprs quon lui ait donn laiguillage de la voie de garage.Do je suis, je la vois trs bien, cette machine, elle fait de leau, pour employer le langage technique, jen connais une portion dans la chose des trains; comme dit lautre, jai jamais t chef de gare, mais jai tout de mme t cocu.-Vous avez un ptard?-Un quoi?-Un revolver?-Oh oui! fait le Polak.Ma question le surprend, ce gars-l nimagine pas que, par les temps qui courent, on puisse envisager de se promener sans arsenal.-En avez-vous deux?-oui.-Alors passez-men un.Ilobit sans se faire tirer loreille.-Il sagit de faire vite. Nous allons aller sparment jusqu la machine que vous voyez l-bas, toute seule. Elle se trouve cache aux yeux des Fritz et des employs par le refuge dattente situ de lautre ct des voies. Nous allons faire comme si nous ne nous connaissions pas, vu?

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-Vu!-Vous ne ferez rien dautre que les cent pas proximit de la locomotive jusquau moment o je poserai ma main plat sur le sommet de ma tte, comme ceci. Vous voyez?-Je vois.-Alors, sans perdre un instant, vous attacherez votre valtouze aprs lun des tampons de la locomotive. Solidement, mancjuerait plus quelle glisse avant le heurt que j espre provoquer. Cest compris?-Cest compris.-Vous navez pas un journal sur vous?-Non.-a ne fait rien, je vais en acheter un au kiosque de la salle dattente. Pendant ce temps vous irez la loco; surtout ayez un air naturel, vous ressemblez un conspirateur doprette, soit dit sans vous vexer. Fumez, grattez-vous les fesses, mais ayez lair naturel, je vous en conjure... Bon, vous tes prt?-Je le suis.Ilme pose la main sur le bras.-Et aprs? questionne-t-il.-Aprs quoi?-Aprs que jaurai attach la valise au tampon?-Vous pourrez aller au cinma ou bien voir votre bonne amie, je me charge du reste... Surtout ne restez pas dans les parages car tout laisse prvoir quil va y avoir un drle de pastaga!-Et vous?

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Il commence me battre les bonbons avec ses incessantes objections, ce Polak-l!- Moi, lui dis-je, je ferai limpossible pour remiser les os du bonhomme, faites confiance.Il ninsiste pas et sloigne.Lorscju il a ~ris un peu de champ, je quitte 1 dicule a mon tour et je me dirige dun air de souverain ennui jusqu la salle dattente. Jachte le Dimanche illustr. Heureusement, jai juste assez de mornifle dans mes fouilles pour me permettre cette extravagance. Ceci fait, je le plie, le glisse dans ma poche, et, ttons, je fourre lintrieur de la feuille le soufflant que le Polonais a mis ma disposition.Toujours nonchalant, je traverse les voies.IIfait une chaleur de crmatorium. Lt est en avance cette anne, probable que le grand manitou qui soccupe de la mto, l-haut, sest dit quil ne fallait pas tarder because aprs les offensives de printemps y aurait des flopes de pauvres mecs qui ne seraient plus l pour profiter des pquerettes.Les grillons font un raffut du diable.Lunivers est tranquille comme une carte postale en couleurs. Mme les factionnaires allemands ont tendance savachir autour des wagons.Lorsque le refuge dont jai parl au Polak est dpass, jabandonne mon allure de flneur innocent et je me dirige vers la locomotive. Le copain la valise est dans le secteur.

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Ilregarde le remplissage des caisses eau en se rongeant les ongles.Je mapproche de la machine. Le mcanicien est justement en train de couper la flotte. Il tire limmense bec de ct. Je jette un regard sur la plate-forme dela locomotive:personne. Son chauffeur nest pas encore l; il doit faire son petit plein lui sous les frais ombrages du caf-jeux de boules.Comme le mcano sa~prte escalader les marches du monstre d acier (i), je lintercepte.-Vous avez une seconde? je lui fais.Cest un mec la figure franche et ouverte, bien sympa.-Ouais? dit-il en me regardant. Cest pourquoi?Je tire le canard de ma profonde.Je le dplie de faon lui laisser voir le revolver. Il le regarde gravement.-Vous savez ce que cest que a, petit?Ses yeux se posent sur les miens.-Et alors? demande-t-il. lia du cran.-Cest Un 7,65. A bout portant, il vous ferait dans le bide un trou comme ~a. a mennuierait de vous tirer dessus; je n ai jamais tir sur un de mes compatriotes moins quil ne sagisse dun gangster. Je ne connais pas vos opinions politiques et je men tain-

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ponne le coquillard. Je vous annonce que je vais faire sauter les deux wagons si soigneusement gards par les doryphores. Pour cela, jai besoin de vtre locomotive. Je ne vous demande pas si vous tes daccord. Je commande et vous obissez; si vous essayez de me doubler, je vous mets du plomb dans la panse, de cette faon nous sommes lun et lautre plus notre aise pour agir, pas vrai? Ilne rpond rien. Son visage reste impntrable.-Je monte avec vous; vous allez reculer jusqu la hauteur du poste daiguillage qui se trouve prs du passage niveau, d accord?Ilgrimpe sur la plate-forme et je pose ma main plat sur ma tte avant de le rejoindre.

*

Jattends que le Polonais ait achev de lier sa valise aprs le tampon avant de donner au mcanicien le signal de la manoeuvre.-Vas-y mob, conseill-je, il y a maintenant aprs ton tombereau une charge dexplosif suffisante pour envoyer ton bled dans les nuages.Je le regarde actionner ses volants.-Bon, dis-je, si tu actionnes ce volant dans ce sens pour reculer, lorsquon veut aller en avant il suffit de le tourner dans lautre sens, non?-Oui.

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Nous reculons lentement. A trs faible allure, nous pntrons sur la voie principale et continuons notre mouvement de recul.Quelques secondes plus tard, nous sommes la hauteur du poste daiguillage. Laiguilleur en sort, chevel.-Et alors! hurle-t-il au mcanicien, tes cingl ou quoi! Tu le sais peut-tre pas que le 114 arnve dans quatre minutes?-Descends! fais-je au mcanicien.Ilsaute sur le ballast. Je le rejoins promptement, mon pistolet la main.-Calme tes nerfs, dis-je laiguilleur, et ferme a. Jai horreur des types qui me racontent la vie de leur belle-mre au moment o je mapprte faire le saut de la mort.Ilnen revient pas et je ne lui laisse pas le temps den revemr. Dun geste imprieux de ma main qui tient le revolver, je lui fais signe de rentrer dans sa cabine vitre.-Attrape tes esprits dune main et tes manettes de lautre, lui dis-je. Jai deux petites manoeuvres te commander: primo, mets le signal rouge pour que ton 114 ne vienne pas faire la pirouette dans la gare; deuxio, donne-moi laiguille pour la voie de garage.Tout tremblotant, il sexcute.-O.K., fais-je aprs avoir vrifi la rgularit des manoeuvres Suil vient daccomplir. Je nai plus besoin de toi pour linstant. Tiens-toi tranquille, et voil du reste une potion calmante.Je lui dcoche un crochet foudroyant la

58 DU PLOMB DANS LES TRIPESpointe du menton. Le pauvre aiguilleur sen va valdinguer au fond de sa cambuse. Il y demeure inerte comme un pantin de son.-Dites, patron, murmure le mcanicien, lequel a assist la scne sans souffler mot, a ne vous ennuierait pas de moffrir une petite tourne moi aussi, jaime mieux pas savoir ce qui va se passer. Autant que possible, tchez que a marque pour que a fasse plus srieux.- A ton aise, fiston, cest moi qui rince aujourdhui.Je glisse le revolver dans ma poche et je lui fais une srie lgre la face, juste pour le tatouer un peu; lorsquil a le nez clat et loreille droite en chou-fleur, je lui adniinistre le mme crochet qu son collgue.Puis, estimant que jai perdu assez de temps comme a, je saute sur la plate-forme de la locomotive, tourne le volant en sens inverse et desserre le frein. Lnorme machine sbranle, lentement dabord, puis, comme je continue dvisser le volant, elle prend de la vitesse. La gare se rapproche rapidement. Cest le moment de chercher un coin tranquille. Je saute de la locomotive, escalade le talus, enjambe la barrire de ciment bordant la voie et cours jusqu un ~etit mur proche. Je maccroupis derrire et j attends.Pas longtemps! La locomotive quitte la voie principale et s engage forte allure sur la voie de garage.Les factionnaires allemands, surpris par

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oette arrive intempestive, hurlent des Achtung! tous les chos et scartent.Alors cest brusquement le tonnerre de Zeus qui retentit. Le gros boum dapocalypse! Le triomphe du bruit! La manifestation suprme du badaboum!On dirait quune main gante jongle avec le train. Des morceaux de ferraille, de bois, de bidoche voltigent un peu partout. On entend des cris, des imprciations... Les vitres de la gare se mettent faire des petits. Un nua~e opaque monte de la paisible station. Lorsqu il est dissip, jai sous les yeux le spectacle de la dsolation. Il ne reste peu pres rien des deux wagons sinon un amas de matriaux calcins. Du contingent de frizous, je naperois plus quun mec compltement jobr qui court dans tous les sens en hurlant aux petits pois, et plusieurs blesss. Le reste est mort ou escamot par la dflaption. Jen dcouvre un, ou plutt une partie dun sur le toit de la gare. Pour a, le Polak a bien fait les choses. Ctait de lexplosif de toute premire fracheur...Je me dis quil ne sagit pas de moisir dans le secteur. En gnral, les incidents de ce genre, a les rend nerveux, les vert-de-gris!Ils vont se la ramener en force et jouer la rvolution mexicaine. Ceux qui ne leur plairont pas iront faire une croisire au Paradis avant soir.Je me relve et me mets trotter comme unlapin dans la ruelle.

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Comme je vais tourner le coin de la rue, jentends une voix crier-Commissaire!Je me retourne. Cest le docteur Martin. Il se pointe en gesticulant.-Quel feu dartifice! sexclame-t-il. Jai tout vu, ctait formidable! Ma voiture est au passage niveau...Ilcavale mes cts. Son vieux chapeau larges bords est tout caboss. Il a un petit rictus heureux au coin des lvres.-A droite! fait-il.Japerois, range en bordure dune rue tranquille, une cinq CV Citron qui doit dater de la bataille de la Marne. Le toubib se glisse derrire le volant et mouvre la portire de droite.-Grimpez vite!Iltire sur le dmarreur. La voiture ne se fait pas trop tirer loreille. Le docteur met en premire. Ses vitesses miaulent comme un panier de chats. Nous filons par saccades dabord, puis le rgime se rgularise. Nous passons devant le cimetire et piquons sur la cambrousse.-Elle nest plus jeunette, dit-il. Mais elle roule toujours, condition quon lui mette de lessence dans le ventre.-Comment se fait-il que vous vous soyez trouv l, doc?-Je suis un vieux bonhomme curieux... Moi aussi, a me tarabustait lesprit, ce message. Alors, mine de rien, je suis all rdailler

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vers le passage niveau do lon jouit dune perspective densemble de la gare... Jai tout vu, on se serait cru au cinma...Ilse gratta la barbiche.-Qui tait lhomme la Fetite valise?-Le frre de mon Polak d hier. Il avait une charge dexplosifs mais ne savait pas trop quen faire...-Ils nont pas de chance dans la famille, soupire le vieux toubib.-Pourquoi?-Jai failli recevoir sa tte dans le dos. Cet ~ne qui ne voulait rien perdre du spectacle sest gentiment post en face des wagons.Je secoue tristement la tte.-Y a des tordus partout. Il navait quune peau et ~a le dmangeait den faire cadeau la socite... Certains types ont le bguin de la mort, vous voyez ce que je veux dire?-Trs bien. Vous avez raison, le got de la mort est assez frquent.-Cest facile de se faire dplumer par la grande faucheuse, mais cest pas a, le courage, le vrai, hein, doc?-Non, dit-il, a nest pas a.-O est-ce que vous memmenez?-Faire une promenade la campagne. Ne pensez-vous point quil est prfrable de laisser les choses se tasser un peu, l-bas?-Et comment!-Je connais une petite auberge o lon boit un vin honnte en mangeant des fromages de chvre...

62 DU PLOMB DANS LES TRIPES-a me va. Churchill a dit en parlant de la France quun pays qui avait deux cents varits de fromages et autant de varits de pinards pour consommer avec ne pouvait pas perdre la guerre...-a nest pas bte, sourit le docteur.Je fronce les sourcils.-Dites donc, je vais vous faire reprer avec ma tronche empaquete...-Allons donc! Un homme pans ne fait jamais remarquer un mdecin, au contraire...-Cest vrai, dis-je, on va me prendre pour un de vos malades. Esprons que nous ne rencontrerons pas de gendarme en cours de route, because je nai pas un gramme de papiers sur moi, les boches mont tout ratiss.-Je suis connu, par ici, rpond simplement Martin.

*

Nous rentrons la nuit tombe.Doc et moi avons pass un chouette aprs-midi sous les ombrages dun tilleul, au milieu des poules et des canards. Y a pas, cest rudement chouia, la cambrousse; et les paysans sont de braves mecs, lorsquon les connait Le toubib est pote avec tous. Le pre Martin connat une flope dhistoires aussi spirituelles que des anecdotes dalmanachs, mais qui font de leffet aux campagnards.Quand on rentre, on en a un srieux coupdans les tiges. Le petit docteur braille comme

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un hussard en lchant son volant, mais sa tuture est la page et suit gentiment le bord de la route comme un vieux bourrin bien dress. Il fait clair de lune. Je me sens loptimisme. Mon coup sensationnel de laprsmidi ma mis du baume dans le poitrail... Jai pas lessiv la mme Gertrude, mais je crois que jai fait du meilleur turf. Mest avis que les wagons contenaient une denre vachement prcieuse pour tre ainsi dorlots.On arrive Bourgoin. Le docteur me propose de vider le dernier au bistrot du coin et j accepte. Le patron qui le connat lui met au frais sa bouteille de perniflard. On sen tasse trois verres et on dcide daller se pieuter.Je suis plein comme un oeuf. Le long des trottoirs, les gens discutent voix basse du coup de cet aprs-midi. a nous fait marrer, Martin et moi. Du reste, dans ltat o nous sommes, un rien nous fait marrer. Cest inou ce que le picrate rend optimiste...Il nous faut un bon quart dheure pour rentrer la teuf-teuf au garage. Dabord on narrive pas ouvrir la lourde, ensuite la voiture refuse davancer. A lexamen on saperoit avec des exclamations rjouies que le levier des vitesses est au point mort.Je men souviendrai de cette quipe! Et du pre Martin, donc! Des mdecins comme lui, y en aura jamais assez!Cinq nouvelles minutes pour russir introduire la cl dans le trou de la serrure qui

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lui est destin... Rigolades nouvelles... Nous entrons dans la petite maison.- On va, hug, boire, le, hug... balbutie Martin.En titubant, il se dirige vers la salle manger.- Je, hug, trouve pas le co... co... commuta. hug, teur! bgaye le bon vieillard.Bien que je sois aussi schlass que lui, je viens son secours.Nous promenons dsesprment nos mains de bas en haut du montant de la porte.- Je le tiens, fais-je pniblement.La lumire inonde la pice. Nous cillons. Puis nous regardons autour de nous et nous restons bouches bes et bras ballants. La maison est pleine dAllemands qui nous regardent fixement en tenant des mitraillettes braques dans notre direction.- Dlirium, balbutie le docteur Martin... Cest pas des chauves-souris que je vois, cest des, hug, doryphores...Pour ma part, je crois bien avoir galement une hallucination. Je me frotte les yeux et les carquille le plus possible, mais mes sens ne sont pas abuss.Cest bien des Allemands que jai devant moi. Des Allemands en chair, en os et en... armes...Ils ne sont peut-tre pas aussi nombreux que je le crois, car ma vision est au moins multiplie par deux, il y en a suffisamment en tout cas pour faire de nous des beaux morts.

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Je voudrais tenter quelque chose, nimporte quoi, mais dcidment je suis trop sol.Jesquisse un geste dimpuissance; je bredouille des mots aussi inintelligibles pour moi que pour la compagnie, et soudain, quelque chose se dchire dans mon crne.Le parquet vient ma rencontre.

CHAPITRE IV

Jai vaguement conscience dtre attrape par les jambes et parles pieds. On memmne en excursion. Ce balancement mendort pour de bon.Lorsque je me rveille, je suis tendu sur ie sol carrel dune ancienne cuisine. On a viss une plaque blinde comme un contre-torpil leur elle aussi.Pas un meuble, pas un objet, dans cette petite pice. Moi, sim~,lement, avec la gueule de bois la plus formidable de ma carrire.Je prte loreille. De lautre ct de la porte, il y a un bruit de bottes. De temps autre jentends crier des trucs en allemand. Jai dans lide que je suis dans de beaux draps. Cest de ma faute, jai pch par excs de confiance; jaurais bien d penser que les frizous ntaient pas bouchs au point de ne pouvoir mener une enqute sur les causes de lexplosion. Trop de gens, dans la gare, mont remarqu, avec mon pansement, et laiguilleur molest avec son pote le mcanicien ont

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d donner sur moi toutes les indications dsirables. Comme un grand nombre de plerins mont vu en compagnie du toubib, ils nont eu qu tablir une souricire au domicile de ce dernier : lenfance de lart! Jamais je ne me suis laiss possder aussi facilement.Jai exagr en disant quil ny avait aucun objet dans la pice; joubliais lvier et le robinet deau. Jouvre ce dernier en grand et je me mets la nuque dessous, aprs quoi je fais couler la bonne flotte dans mes mains et je masperge longtemps le visage. Deux ou trois bonnes gorges et il ne me manque plus quun comprim daspirine pour tre un mec dattaque.Je vais maccroupir dans un angle de la cuisine et jattends patiemment le bon vouloir de ces messieurs.Je ne me fais pas beaucoup dillusions sur le sort qui mattend. Ma belle petite existence va sachever devant un peloton dexcution. Douze balles brlantes me composteront; pas marrant, mais je prfre cette fin faon manuel dhistoire de France celle des pauvres gnaces qui claquent dun cancer au fond de leur dodo. Au moins, a se passe au grand jour... Et puis, cest rgulier. Je leur ai fait un coup darnaque; ils mont pinc, je paie la casse... Rien redire a. Ce qui me turlupine, par exemple, cest la pense que le pauvre docteur Martin va en avoir sa part. Il va payer cher sa gentillesse et son dvouement, enfin, si par

68 DU PLOMB DANS LES TRIPEShasard on minterroge, jessayerai de le blan~ chir le plus possible.Jen suis l de mes rflexions plutt grises lorsque la porte souvre. Deux soldats en armes se tiennent dans lencadrement et, dun geste brusque, me font signe de les suivre. Je me lve et viens mintercaler docilement entre eux deux.Je me rends compte, sitt la lourde passe, que je me trouve dans une grande maison de matre rquisitionne par les troupes doccu pation et amnage en succursale de la Ges tapo. Il y a des plaques blindes partout. A travers les barreaux dune fentre, je vois des cheveaux de fils de fer barbels autour de la proprit ainsi quun nombre impressionnant de sentinelles. Jai ide que la cambuse doit tre habite par une forte personnalit.On me fait grimper un tage et les soldats ouvrent une porte vitre. Nous pntrons dans une vaste pice qui devait servir de salon, mais qui a t transforme en burlingue.Ily a des classeurs mtalliques le long des murs et un large bureau de bois au milieu de la pice.Derrire ce meuble se tient un comman~ dant; dans langle de la pice, prs de lem~ brasure dune fentre, se trouve une secrtaire en uniforme qui tape la machine.Je salue le commandant dun petit signe de tte - la politesse ne cote rien, comme laffirme Flicie, ma brave vioque. Le gna est trs grand, trs maigre, avec les cheveux

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grisonnants, coups court et linvitable monocle viss dans loeil. Le monocle, cest leur arme de choc numro z. Et cette arme sappelle lintimidation. Elle fait partie de la propagande de cette bande de tocassons.-Major von Gleiss, dit-il en sinclinant.-Durand, fais-je en minclinant mon tour.Ilsourit et me dsigne un sige.-Vous avez chang de pseudonyme, monsieur le commissaire?Je comprends illico que a nest pas la peine de jouer au petit pompier.-Je vous coute, monsieur le major.Ilpousse vers moi un coffret de cigarettes.-Vous inversez les rles, cher ami, cest moi qui vous coute.-Bon, fais-je en allumant une sche, je veux bien vous rciter une fable car je ne sais pas chanter; que diriez-vous du Loup et lagneau ?-Vous avez la rputation dtre un homme dhumeur plaisante, murmure-t-il en saisissant lallumette demi consume que je tiens encore.Illutilise pour ranimer un mgot de cigare quil vient de piocher dans un cendrier.-Cest la dche, dans la Wehrmacht? je demande... Les officiers fument les clops maintenant?Son sourire sefface. Son visage reflte maintenant, non pas la colre, mais comme une sorte dennui poli.

70 DU PLOMB DANS LES TRIPES-A quoi bon ces petites plaisanteries?demande-t-il, nous avons des choses tellement plus importantes nous dire...Je lui tends ma cigarette.-A quoi bon cette cigarette? je demande.Ilse mord la lvre infrieure.-Commissaire, je connais votre rputation, je sais tout ce que vous avez fait en France et en Belgique depuis quelque temps (I).Ilrajuste son monode. Sans doute le pas de vis est-il fauss, car il a de la peine y parvenir.-Vous tes ce quon appelle chez vous un dur. Vous ne craignez, je ne lignore pas, ni la mort ni mme la torture. Cependant, je vous fais une petite proposition.-La vie sauve? dis-je en rigolant, la fameuse vie sauve qui est comme la carotte que vous brandissez devant le nez de lne pour le faire avancer.-Non, dit-il.Ila retrouv son sourire.L, il commence mintresser, le frangin. Je le regarde avec un certain intrt. Quest-ce quil peut bien avoir me proposer?-Voyez-vous, reprend-il, aprs qui sest pass hier...Je linterromps.-Hier?Cest pourtant vrai quil fait grand jour.(I)Lire Laissez tomber la fille et Les Souris ont la peau tendre.

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Alors en ai cras pendant des heures? Ils sont gentils de mavoir laiss dormir, les sulOui, hier, en gare de cette ville... Jesuppose que vous nallez pas vous donner la peine de nier, avec la somme des tmoignages que je puis vous opposer.-Il nest pas question de mer. Je reconnais volontier que cest moi qui ai envoy vos deux wagons dans les nuages.Parfait. Conscutivement cet acte de sabotage...Ilsinterrompt et me regarde.Conscutivement est-il franais? de-le-t-il dun air soucieux.Oh, passez la paluche, je lui fais; vous savez, moi, je suis pas un puriste du langage.LAcadmie, cest ltage au-dessus...Bien, poursuit-il, conscutivement cet attentat, car cest le terme qui convient, nest-ce pas?Exactement, dis-je non sans noblesse. Nous avons arrt vingt personnes titre dotages. Elles seront excutes demain matin si le coupable nest pas dcouvert.Alors, relchez-les...Ah oui?-Dame, puisque vous me tenez...-Pour moi, un vrai coupable est un individu qui a non seulement avou son crime, mais encore a expliqu comment il la commis et a dit les noms de ceux qui lont aid le~mmettr~

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-Facile, fais-je, jai fait sauter votre train en permettant un petit Polonais dattacher une valise dexplosifs sur le tampon dune locomotive que jai, ensuite, dirige sur le convoi dtruire... Le petit Polonais est mort. Ctait mon unique complice. Voil, je suis un vrai cou pable tel que vous lentendez; librez les otages et attachez-moi un bout de bois plant en terre... -Non, non, dit-il en tripotant son bout oc verre; pas avant de savoir certaines choses..,-Lesquelles, par exemple?-Par exemple, la faon dont v~appris que nous dirigions les deux prototypes de bombes tlguides vers la cte Atlantique en passant ~ar oette ligne dtourne-Je nai rien appris du tout, von Macmn, Excusez-moi, je n ai pas la mmoire des noms. Le petit Polonais voulait dtruire les wagons; je lui ai donn un coup de main en ignorant ce que ces derniers transportaient-Cest ce que vous cherchez me faire croire?-Je ne cherche pas vous faire cro~ quoi que ce soit; je vous dis la vrit; un point cest tout.-Dommage, pour les otages...-Hein?-Car cette vrit ne me convient pas. Vous allez me parler du groupe secret pour le compte duquel vous travaillez... Et auquei appartenaient les deux Polonais... La femme

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qui travaillait avec eux nous a chapp, son nom et nous essayerons de nous entendre.-Je ne la connais pas. Bon Dieu, mettez-vous dans le cr5ne que je suis entr tout fait accessoirement dans cette histoire et que je nen connais pas du tout les rouages...Ilfait claquer ses doigts avec agacement.-Vous cherchez toujours ruser, vous autres Franais, vous nous jetez du grain aux7CUL..-De la poudre, cher major. On dit de la poudre aux yeux...Sur ces entrefaites, la porte souvre et, devinez qui fait une entre fort savante dans le bureau? Tout bonnement ma brave amie Gertrude.Elle ouvre des yeux de chat en transes et sapproche de moi.-Par exemple! balbutie-t-elle...Vous connaissez oet homme? demandelofficier.-Si je le connais. Cest lui qui devait mabattre. Avant-hier, nous lavons laiss sur le plateau dune scie en mouvement; mais il faut croire que le diable le protge...Le major joue enflammer des allumettes quil envoie promener dune chiquenaude dans la pice.-Vous ne perdez pas de temps, commissaire... Mes compliments.Gertrude sapproche de moj. Cette fille, faut que je vous affranchisse sur sa gographie une fois pour toutes. Laissez-moi dabord

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vous dire quelle a des oranges sur ietagtre qui vous feraient traiter de touche--tout! Ses yeux sont fendus en amande, leur couleur est mdfinissable. Mettons verdtre et nen parlons plus. Lorsquelle les pose sur vous, un grand malaise vous envahit. Vos doigts de pieds se recroquevillent comme des fleurs fanes et vous avez la fois envie de la prendre dans vos fumerons et de lui filer une danse. Elle est brune, sa bouche est juste comme jaime les bouches des ppes; pulpeuse et goulue...Drle de type, murmure-t-elle...-Drle de fille, je dis du tac au tac el sur le mme ton.Elle se tourne vers le major.-Ainsi cest lui qui a fait sauter le convoi ~-Oui, dit von Truquemuche, il le reconnat de fort bonne grce du reste. Par contre~ il se refuse obstinment nous donner d dtails sur lorganisation qui a des ramifications jusqu nos usines dItalie...-Amnsie? me fait-elle dun petit au vachard.-Ignorance, lui rponds-je.-Vous avez empioy certains.., certains mettons arguments? demande-t-elle sot copain.-Ces moyens-l sont, je le crains, inop& rants sur un homme de cette trempe, soupir le major. Je lui propose par contre la vie d vingt de ses compatriotes contre quelqu petites confidences.

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Moi, je ne sais pas si vous le comprenez, je sens que ma temprature commence grimper srieusement. Il est gentil, dans son genre, le monocl, mais il me fait tartir copieusement avec son marchandage de ngrier.-Je ne ceux pas vous inventer une histoire, h, major de mes trucs! je gueule brusquement; je suis pas romancier! Sans blague, je me tue vous dire que jignore absolument tout de cette organisation. Les deux seuls membres quil ma t donn de connatre sont mortibus. Je les ai vus cinq minutes chacun, le premier ne jasait pas un mot de franouze et lautre tranait sa valise de ptards comme un besoin de pisser... Cest tout!-Voyons, reprend le major dune voix douce, vous devez bien tre au courant de leur activit. Je ne vous demande que le nom de la femme qui travaillait pour eux et que nous navons pu apprhender... Je sais que cest elle qui tenait le contact avec ux de Lyon. Il me la faut.-Malheureusement je ne la connais pas.-Malheureusement pour vous, reprend-il.-Malheureusement pour moi si vous voulez...Ilpasse un bout de langue rose sur ses lvres minces et rajuste, une fois de plus, sa rondelle.-Nous sommes dcids mettre le prix. Si vous parlez, non seulement je libre immdiatement les otages, mais je vous promets la vie sauve...

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Jclate de rire.-a y est, je fais, vl le grand truc lch:la vie sauve. Avec une liasse de billets de mille paisse comme une tranche de pudding, et peut-&re aussi un passeport vise pour la Suisse.-Yous avez ma parole dofficier que...-Ecoutez, major, dis-je bien tranquillement, votre parole dofficier, si vous permettez, je la mets sous mes fesses.IIa un sursaut.Ilse tourne vers sa secrtaire : une petite blonde gentiment carrosse qui noircit imperturbablement du papier. Ce gars, il doit avoir un sens de lhonneur aussi dvelopp quune molaire dlphant. Devant les infrieurs, a le heurte quon lui parle sur ce ton.Ilgrommelle quelque chose en allemand.-Si cest moi que vous parlez, dis-je, faudra rpter en franais, because jai oubli mon dictionnaire french-deutsch.Gertrude qui a suivi ces derniers changes sans mot dire, intervient.-Nusez pas votre salive, mon commandant! La parole est aux actes, comme disent ces porcs, sans faire autre chose que de parler, dailleurs.Le major se lve; il est plus long quun cierge de crmonie. Il fait une drle de bouille, le gars; si le directeur du muse Grvin le voyait, il se ruinerait pour lavoli dans sa collection.-A propos, major, je demande, quest

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devenu ce vieil ivrogne de docteur qui ma fait mon pansement?-En prison! dit schement mon interlocuteur.-Tiens, vous ne lavez pas encore coup en quatre?Je fais exprs de paratre dsintress; cest le meilleur moyen de lui tre utile au pre Martin.-Cet homme ne nous intresse pas, dit lAllemand avec un haussement d paules mprisant. Il ne mrite mme pas que nous rservions douze balles pour sa carcasse, cest un rat, un rat comme la France en compte tant. Nous en faisons cadeau la France...Ilrit. En ce qui me concerne, si je ne mcoutais pas, je lui collerais bien un paquet dosselets dune livre sur la muselire, seulement je mcoute. Mon subconscient qui tient le crachoir me dit de rester calme et de voir venir. Le pre Martin semble se tirer miraculeusement les pattes de ce bourbier, tant mieux, je ne vais pas risquer de le compromettre par un clat.-Vous navez rien ajouter? insiste von Machin.-A ajouter quoi?-A vos dclarations...-Faites pas rire, jai les lvres gerces, von Truc; vous appelez a des dclarations...Ila enfin un mouvement de colre. Je vois son poing rac se serrer et devenir tout blanc sous la contraction. Il sempare dun crayon,

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le casse dun coup sec; puis il clate:-Cet individu est im~,ossible! Gertrude... Il sera fusill demain matin...-Mon cher, murmure la donzelle, vous tes terriblement conformiste.-Sil vous plat?-Pourquoi le matin? Toujours le matin! Parce que cest lhabitude q~ui le veut? Il faut se lever tt ; il fait frais, on s enrhume, souvent il y a du brouillard. A quoi bon remettre au lendemain ce quon peut faire le jour mme?-Comme il vous plaira, Fraulein.Elle demande, langoureusement:-Vous me le laissez?Ila un mouvement des lvres comme pour demander: Pour quoi faire , puis il comprend sa pense et acquies.-Prenez-le, Gertrude, et essayez de lui soutirer le petit renseignement qui me serait si agrable.-Comptez sur moi, dit-elle.Le major fait claquer ses doigts. Les deux soldats qui mescortent mempoignent par le bras et mentranent dans le couloir. Nous redescendons lescalier, je crois dabord que cest pour regagner ma cuisine-cellule, mais nous descendons encore. Je suis bon pour le sous-sol, jai compris.La villa a le confort ultra-moderne: chauffage central et chambre de torture. La chaudire du chauffage et la pice rserve aux interrogatoires se trouvent la cave, comme il se doit. Mes gardiens mintroduisent sans

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mnagement dans le local de la question . Jen fais linventaire dun rapide coup doeil. Il y a l un fauteuil en bois massif qui ressemble une espce de trne, une baignoire, une table, une chaise et, accroche aux murs, toute une panoplie pouvantable que je prfre ne pas dtailler.Ils me font asseoir dans le fauteuil et me lient les jambes aprs les pieds du meuble tandis que mes poignets sont fixs aux accoudoirs.Ceci fait, ils sortent.Je me dis que les rjouissances ne vont pas tarder commencer, mais, contre toute attente, rien ne vient. Sans doute un long recueillement fait-il partie du programme?Je me fais salement tarur dans cette cave! Il ny a pas dissue, pas le moindre soupirail, rien! Cest bouch comme le cerveau dun gendarme... Une ampoule lectrique poussireuse pend au bout dun fil; un vrai dcor raliste, je vous le dis! Avec quelques chauves-souris, on attraperait mme le style mdival...Un temps infini scoule, dont je nai pas la notion exacte. Je loccupe rflchir sur les alas de ma situation. Vous conviendrez sans peine que, mme considr avec le maximum doptimisme, mon baromtre personnel est loin dtre au beau fixe! Il est plutt la gadoue, et, moins dune manifestation occulte, ce soir jaurai termin ma brillante carrire.IIva avoir droit au salut militaire, le petit

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San-Antonio, madame, et, tout de suite aprs, au salut ternel.On a beau sy attendre, a fait tout de mme 9uelque chose.Larrive de Gertrude fait diversion. Elle est flanque de la petite secrtaire de von Chose. Elle referme la porte derrire elles, posment, et coule sur ma pauvre personne son trange regard.-Connaissez-vous la recette du fringant agent secret la broche? demande-t-elle.-Oui, je fais, mais si vous avez une recette particulire, allez-y.-Par quoi commenons-nous? sinforme-t-elle.-Quelques coups de nerf de boeuf me paraissent tout indiqus pour une mise en train?...Elle se tourne vers la petite blonde.-Il est courageux, hein? lui dit-elle avec une pointe dadmiration dans la voix. Jaime les hommes courageux, ils mexcitent. Et vous, Gretta, ils vous excitent aussi?Linterpelle rougit et ne rpond rien. Gertrude clate de rire.-Jai envie de goter petit terroriste, murmure-t-elle...Elle sapproche de moi, sassied en biais sur mes genoux et pose ses lvres sur les miennes. Sa langue incisive pntre entre mes dents, sans faon.Croyez-moi, on a beau avoir un pied dans la tombe et lautre sur une peau de banane,

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un machin de ce genre, excut par une gerce baraque comme lest Gertrude, a flanquerait du nerf un ours en peluche.Comme ils ne mont pas attach la langue, je lui rends sa politesse; je peux mme vous avouer que je lui paie les intrts.La fille blonde qui assiste la scne nen revient pas. Elle nous contemple dun air ravag qui me ferait marrer en toute autre circonstance.Comme ltre humain a besoin de respirer de temps autre, Gertrude scarte de moi. Nous revenons la surface.- Il nest pas mauvais, fait-elle dune voix faussement ironique...Sa poitrine se soulve avec force et tend la soie du corsage.- Vous pouvez y goter, Gretta, dit-elle. Greua baisse la tete et ne fait pas un mouvement.- Embrassez-le! ordonne schement Gertrude.Cette souris, croyez-en ma vieille exprience, cest une drle de vicelarde. Elle est truffe de complexes comme une dinde de No~l lest de marrons.Gretta fait quelques pas vers moi. Elle se penche avec raideur et dpose un baiser furtif sur ma joue gauche.- Mein Gottl Ce que vous tes timide, sexclame Gertrude, vous appelez a un baiser? Il faut vous dgourdir, ma fille! Sur la bouche! Je veux que vous lembrassiez sur la

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bouche. Vous verrez comme cest bon, le baiser dun homme courageux qui va mourir...-Avec vos manigances, je fais, cest t~as dun caveau de f~milIe, cest plutt dun canap que jaurais besoin.-Sur la bouche! rpte Gertrude, haletante... Sur la bouche, petite niaise!Grena pose ses lvres sur ma bouche. Des lvres fraiches comme de leau de source, dures et fruites.Puis elle se recule vivement.-Bon, je fais, maintenant vous allez vous mettre au travail, je suppose, non?Gertrude dcroche une cravache. Elle carte la mme blonde et fait siffler son morceau de cuir.Elle sen donne un petit coup lger sur le poignet gauche et pousse un petit cri.-Mais oela fait horriblement mal, dit-elle. Elle lve la cravache et men balance un coup formidable en pleine poire. Pardon! Elle doit faire quelque chose comme culture physique, la cocotte, pour avoir une force pareille. La lanire me mord les pommettes et loreille. Une barre de feu consume mon visage. Rappelez-vous quil a la tte drlement solide, votre copain San-A., pour supporter des trucs de genre.Je nai pas pouss le moindre soupir.-Que pensez-vous de cela, cher ami?-Hum, dis-je en mefforant de sourire, cest trs surfait comme sensation, vous savez...

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Elle pince les lvres et remet a plusieurs reprises; je suis oblig de drlement serrer les dents pour ne pas gueuler.Gertrude cogne comme une perdue; elle est chevele, livide, la sueur ruisselle sur ses tempes.-Ne vous fatiguez pas, fais-je, en conjuguant mes dernires forces. Vous ne me ferez pas parler, dabord parce que je ne sais rien, et puis parce que la douleur et moi avons pass depuis belle lurette un pacte damiti.-Oh! toi, grince-t-elle.Elle se tourne vers Gretta.-Allez prvenir von Gleiss quil commande le peloton! je veux que cet homme soit fusill immdiatement.Gretta quitte la pice sans un mot.-Je serai l, dit-elle, et je vous regarderai dgringoler, commissaire. Avez-vous vu fusiller des hommes? Ils reoivent une secousse terrible et ont des soubresauts de carpe...-Gertrude, je murmure, je voudrais que vous me fassiez une promesse ultime, vous ne pouvez pas refuser cela un homme qui va quitter ce monde.-Ah, ahi triomphe-t-elle, le lion sattendrit. Voyons ce que vous dsirez...-Gertrude, en mmoire de moi, promettez-moi daller consulter un psychiatre!Elle pousse un pouvantable juron et megifle deux reprises.-Vous tes un..., commence-t-elle.

- Je sais, interromps-je. Cest de naissance...Elle sort en faisant claquer ses talons sur le ciment.Les soldats radinent, me dlient et me grimpent ma cuisine pour que jy attende lheure de ce que les journaleux ont baptis le chtiment suprme .Je maffale sur le carrelage, la tterre pleine de sons de cloche. Je pousse un cri, en tombant, quelque chose m a meurtri la hanche. Je regarde le sol, il ny a rien. Je mets la main ma poche, je sais pourtant que je ne puis rien y dcouvrir car jai t fouill de fond en comble et on ne ma pas laiss un bouton de col.Je tire un couteau. Une superbe lame cran darrt. Do quil sort celui-l? Cest le petit Jsus qui me l~a gliss dans le sac morlingue ou bien le pre No~l?Je le regarde dun oeil rveur.a ne serait pas plutt la mme Gretta?

DEUXIME PARTIE

FRANCO DE PORT

cHAPrrRE V

Personne na iamais gagn la guerre avec un couteau, ft-ce un couteau cran darrt. Dans ma situation, cette lame mest peu prs aussi utile quune bote de bouillon Kub.Une lame contre une compagnie dAilemands en armes, cest pas lerche, tous en conviendrez.Plus jy songe, plus e