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Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans un contexte d’ajustement structurel:1980-2000 Thèse Abdourahmane Konaté Doctorat en sociologie Philosophiae doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Abdourahmane Konaté, 2014

Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

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Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans un contexte d’ajustement structurel:1980-2000

Thèse

Abdourahmane Konaté

Doctorat en sociologie

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Abdourahmane Konaté, 2014

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Résumé :

Contrairement à une idée bien répandue en Afrique et dans le monde, le Sénégal n’est pas

une démocratie, mais plutôt une démocratie institutionnelle; une forme de gestion de l’État

qui s’est révélée avec la mise en place du Programme des Ajustements Structurels. Dans ce

type de démocratie où le chef de l’État est aussi chef d’un parti politique, le pouvoir

législatif ne joue pas son rôle. En effet, la dynamique du parti-État fait du parlement un

lieu de subordination au pouvoir exécutif (dominé par le président) plutôt qu’un contre-

pouvoir. À ce manque de contrôle du parlement, il faudrait ajouter l’existence d’organes de

contrôle dépourvus de pouvoir de décision, et dont les recommandations sont laissées à la

libre appréciation du président de la République. L’un des traits les plus marquants dans ce

type de démocratie réside d’ailleurs dans les pouvoirs exorbitants voire hors norme du chef

de l’exécutif. En effet, la puissance et l’étendue de son pouvoir de nomination en fait un

personnage central qui est ressenti autant dans la sphère législative que dans la sphère

judiciaire. C’est ce qui fait que le principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs

est dans la pratique inopérant, à la limite nul et sans effet. Adossée à l’État de droit, la

démocratie institutionnelle est aussi caractérisée par une série de révisions et de

modifications de la Constitution. Par ce procédé légal, la Constitution devient un

instrument pour réaliser les ambitions du chef de l’État. Autrement dit, la légalité, pivot de

l’État de droit, devient un outil de gestion de la société et de légitimation des politiques au

détriment de la légitimité des populations. Dans ce type de démocratie, la liberté de presse

est loin d’être une réalité. En effet, alors que celle publique est sous la tutelle du ministère

de l’information, la liberté de la presse privée, soumise elle aussi à la tutelle, est encore

atténuée par la menace, l’intimidation et les représailles que peuvent subir ses agents de la

part des responsables politiques gouvernementaux. On trouve enfin dans une démocratie

institutionnelle une prolifération d’institutions dignes des grandes démocraties, mais sans

grande efficacité.

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Abstract

Contrary to a quite widespread idea in Africa and in the world, Senegal is not a democracy,

but rather an institutional democracy, a form of management of the State which appeared

with the installation of the Program of the Structural adjustments. In this kind of democracy

where the Head of the State is also chief of a political party, the legislative power does not

play its part. Indeed, the dynamics of the party-State rather makes Parliament a place of

subordination to the executive power (dominated by the president) than a countervailing

power. For this lack of control of the Parliament, it would be necessary to add the existence

of control committees deprived of power of decision, and whose recommendations are left

with the free appreciation of the president of the Republic. One of the most outstanding

features in this kind of democracy resides besides in the exorbitant powers even except

standard of the chief of the executive. Indeed, power and extent of its power to appoint in

fact a central figure who is felt as much in the legislative sphere as in the legal one. It is

what that the principle of balance and separation of powers is in practice inoperative, in a

way null and without effect. Leaned with the Rule of law, the institutional democracy is

also characterized by a series of revisions and of modifications of the Constitution. By this

legal process, the Constitution becomes an instrument to carry out the ambitions of the

Head of the State. In other words, legality, pivot of the Rule of law, becomes management

tools of the company and legitimation of the policies to the detriment of the legitimacy of

the populations. In this kind of democracy, freedom of press is far from being a reality.

Indeed, whereas that public is under the supervision of the ministry for information, the

private freedom of the press, also subjected to the supervision, is still attenuated by the

threat, the intimidation and the reprisals which its agents on behalf of the governmental

political officials can undergo. What one finally finds in an institutional democracy, is a

proliferation of institutions worthy of the great democracies, but without much

effectiveness.

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vi

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Table des matières Résumé : .............................................................................................................................................. iii

Abstract ................................................................................................................................................ v

Table des matières ............................................................................................................................. vii

Liste des abréviations et sigles ............................................................................................................ ix

Dédicace .............................................................................................................................................. xi

Remerciements ................................................................................................................................. xiii

Avant-propos ...................................................................................................................................... xv

INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1

I.LES OBJECTIFS POLITIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS ......................... 37

I.I. METTRE UN TERME À LA MISSION SOCIALE DE L’ÉTAT ........................................................... 46

I.II INSTAURER L’ÉTAT MINIMAL .................................................................................................. 52

I.III RESPONSABLISER L’INDIVIDU ................................................................................................. 57

II.LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS .................. 61

II.I PRIVATISER ET LIBÉRALISER L’ÉCONOMIE ............................................................................... 62

II.II INSTAURER L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ ................................................................................... 67

II.III AMÉLIORER LA QUALITÉ DE VIE DE L’INDIVIDU .................................................................... 72

III. LA CONCRÉTISATION PAR LES POLITIQUES DU DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT ......................... 81

III.I LA RESTRUCTURATION DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC ............................................... 82

III.II LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE ...................................................................................... 87

III.III LA NOUVELLE POLITIQUE INDUSTRIELLE .............................................................................. 94

IV LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES AU PLAN SOCIAL. ....................................... 107

IV.I UNE AUGMENTATION DU CHÔMAGE ET DE LA PAUVRETÉ ................................................. 110

IV.II LA DÉTÉRIORATION DU POUVOIR DE DÉPENSER DES POPULATIONS ................................. 117

IV.III UNE EXACERBATION DE LA TENSION SOCIALE ................................................................... 124

V. LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES AU PLAN POLITIQUE .................................. 141

V.I UN ÉTAT SUBSTANTIELLEMENT GENDARME ......................................................................... 146

V.II. UN GOUVERNEMENT SANS POUVOIR DE DÉCISION DANS LA FORMULATION DES

POLITIQUES PUBLIQUES .............................................................................................................. 167

V. III UN PARLEMENT SANS POUVOIR DE CONTRÔLE SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES .......... 192

VI. LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES SUR LE RÉGIME POLITIQUE ....................... 217

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VI.I DE L’ABSENCE DE CONSULTATION ET DU MANQUE DE CONSENTEMENT DES POPULATIONS

DANS LA MISE EN PLACE DES GRANDES POLITIQUES PUBLIQUES .............................................. 218

VI. II DE LA PRÉPONDÉRANCE DU FORMALISME DANS LA MISE EN PLACE DES

INSTITUTIONS. ........................................................................................................................ 235

VI.III DE LA DÉMOCRATIE INSITUTIONNELLE .............................................................................. 267

CONCLUSION ................................................................................................................................... 291

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................... 303

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Liste des abréviations et sigles

AFP : Alliance des Forces Progressistes

APR : Alliance Pour la République

ASS : Afrique Sub-Saharienne

BIRD : Banque International pour la Reconstruction et le Développement

BM : Banque Mondiale

BNDS : Banque Nationale pour le Développement du Sénégal

CFD : Coordination des Forces Démocratiques

CNT : Compagnies Transnationales ou TNC : Transnational Corporations

CNTS : Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal

COUD : Centre des Œuvres Universitaires de Dakar

DIC : Division des Investigations Criminelles

DSRP : Document de Stratégie pour une Réduction de la Pauvreté

ESAM : Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages

ESP : Enquête Sur les Priorités

FASR : Facilitation d’Ajustement Renforcé

FMI : Fonds Monétaire International

FESMAN : Festival Mondial des Arts Nègres

GMI : Groupement Mobile d’Intervention

GMPE : Gouvernement de Majorité Présidentielle Élargie

GROC : Gouvernement de large Rassemblement, d’Ouverture et de Consensus

IGE : Inspection Générale d’État

IPRES : Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal

LDMPT : Ligue Démocratique

MDFC : Mouvement Démocratique des Forces Casamançaises

NPA : Nouvelle Politique Agricole

NPI : Nouvelle Politique Industrielle

ONCAD : Office National de Coopération et d’Assistance au Développement

ONU : Organisation des Nations Unies

OPCE : Office des Postes et de la Caisse d’Épargne

OPTS : Office des Postes et des Télécommunications du Sénégal

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PAS: Programme des Ajustements Structurels

PALM T : Plan de Redressement Économique et Financier à Long et Moyen Terme

PAMSCAD: Programme of Action to Mitigate the Social Coast of Adjustment

PCS : Pouvoir Central Sénégalais

PDS : Parti Démocratique du Sénégal

PDS/R : Parti Démocratique du Sénégal/Rénovation

PIT : Parti pour l’Indépendance et le Travail

PMA : Pays les Moins Avancés

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

PREF : Plan de Redressement Économique et Financier

PS : Parti Socialiste

UEMOA : Union Économique Monétaire Ouest Africaine

UNICEF : United Nations International Children's Emergency Fund

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UNTS : Union Nationale des Travailleurs du Sénégal

UPS : Union Progressiste Sénégalaise

URD : Union pour le Renouveau Démocratique

URD/FAL : Union pour le Renouveau Démocratique

URSS : Union des Républiques Soviétiques Socialistes

RDC : République Démocratique du Congo

SENELEC : Société Nationale d’Électricité

SICAP : Société Immobilière du Cap Vert

SNR : Société Nationale de Recouvrement

SONAR : Société Nationale d’Assistance au monde Rural

SONES : Société Nationale des Eaux du Sénégal

SO : Service Officiel

SONATEL : Société Nationale des Télécommunications

TEC : Tarif Extérieur Commun

TVA : Taxe de Valeur Ajoutée

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Dédicace

Je dédie ce travail à mes défunts parents qui m’ont inculqué le goût des études et de la

réflexion. À ma mère Khady Sow pour son soutien et son support affectif constant, et qui

m’a aidé à faire face à la vie avec la plus grande confiance. À mon père Sogui Konaté qui

n’a jamais cessé de me dire, par le rappel mais aussi par l’encadrement, l’importance du

sérieux dans les études, et par extension dans le travail.

Je dédie aussi ce travail à mes enfants pour leur soutien désintéressé et sans faille dans un

contexte où rien n’était évident. Leur soutien a été une source inestimable de motivation.

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Remerciements

AL HAM DOU LILAH. Merci DIEU. Pour sa grâce, sa volonté et son support sans

lesquels ce travail n’aurait jamais vu le jour.

À tout seigneur, tout honneur pour parler du professeur Gilles Gagné, un esprit brillant

certes, mais aussi un humaniste attentif. Une mise en contexte me paraît nécessaire pour

illustrer mes propos.

Expulsé du département de science politique alors que j’étais dans le programme de

doctorat pour des raisons qui n’ont jamais été porté à ma connaissance, le professeur Gilles

Gagné, par empathie, avait accepté de m’épauler d’abord et de m’encadrer ensuite. Il m’a

redonné le moral dans un moment où j’ai été sérieusement déstabilisé par cette expulsion

que je n’ai jamais compris, et jusqu’à présent. Admis sans condition au programme de

doctorat en sociologie, le professeur Gilles Gagné avait pris la responsabilité de m’encadrer

pour poursuivre le travail entamé au département de science politique.

En hiver 2004, lors de mon examen de synthèse, le professeur Gilles Gagné est intervenu

en ma faveur. Que l’on me permette de ne pas rentrer dans les détails, tout en précisant par

souci de clarté que le second congrès de Berlin, convoqué par Bismarck, a été le moment

où l’Afrique a été partagée comme un gâteau entre les puissances coloniales. C’est

l’histoire, du moins celle qui nous été enseignée au Sénégal.

Revenu aux études après une absence de huit (8) années, plus précisément en 2013, le

professeur Gilles Gagné avait accepté de continuer à poursuivre son engagement initial. Il

ne m’a posé aucune question. Il ne m’a fait aucun reproche alors qu’il était dans ce droit en

vertu de son implication dans mon cheminement académique. Dans nos correspondances

téléphoniques et électroniques, il avait fait montre, comme par le passé, d’un support qui

était encourageant à tous les niveaux.

Pour ce qui est de l’encadrement, il s’est assuré par une contre interrogation constante et

espacée du bien fondé de ma pensée et de ma démarche. Attentif au moindre détail dans

ses lectures, soucieux de la clarté et de l’argumentation, rigoureux et professionnel, Le

professeur Gilles Gagné a rendu possible une préoccupation, mais aussi une vision. Pour

cet encadrement sans lequel ce travail n’aurait jamais vu le jour, je lui dis MERCI.

Que la professeure Marie Brossier du département de science politique soit profondément

remerciée pour ses commentaires non seulement pertinents, mais aussi et surtout

extrêmement constructifs. Qu’elle excuse notre oubli de la citer après la soutenance, oubli

qui ne fait que confirmer cet adage en wolof qui dit que ; Kou lime dioum = la personne qui

cite des noms pour remercier se trompe. Elle pourra certainement vérifier cette assertion

compte tenu de la place qu’elle accorde au Sénégal dans ses champs de recherche.

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xiv

Que le professeur Joseph Yvon Thériault soit également et vivement remercié pour son

implication. Il n’a jamais cessé de se montrer disponible. J’ai été son étudiant, il a été mon

directeur de thèse pour la maîtrise. Le professeur Thériault n’a jamais cessé par ses

commentaires constructifs, alors que cette étude était à son stade embryonnaire, de me

demander de faire preuve de discernement et de rigueur. Un esprit brillant, devenu par le

sérieux de son travail, un incontournable dans ses champs de recherche.

Que le professeur André. C Drainville soit également remercié pour son implication, son

support et surtout pour ses pertinentes remarques. Un esprit brillant, mais aussi un

humaniste attentif.

Que les professeurs Réjean Pelletier du département de science politique et Nicole

Bousquet du département de sociologie, anciennement membres du jury, soient également

remerciés pour leur implication et contribution.

Que le professeur Richard Marcoux, en tant que directeur du programme de doctorat, soit

aussi remercié pour m’avoir facilité un retour sans grande difficulté. Que l’homme soit

également remercié pour sa modestie, sa disponibilité, son sens de l’écoute et ses conseils.

Que monsieur Harold Germain, directeur exécutif de la Faculté des sciences sociales, soit

profondément remercié pour son écoute, son support, son empathie, sa générosité et son

sens élevé du respect de l’humain.

Que monsieur Fernand Gervais, en tant que vice doyen de la FESP (Faculté des Études

Supérieures et Post doctorales) soit aussi remercié pour son implication et ses conseils.

Que madame Sarah-Côté Delisle et madame Manon Deschêsnes soient également

remerciées pour leur support dans un contexte où Ŕ je rappelle Ŕ rien n’était évident.

Que monsieur Jean Philippe De Melo, employé à l’université d’Ottawa, soit profondément

remercié pour le soutien technique.

Que madame Marie-Joe Nemnom, employée à l’université d’Ottawa, soit également et

profondément remerciée pour le soutien technique.

Je remercie enfin toutes les personnes, de près ou de loin qui m’ont apporté leur support ou

leur réconfort, dans le cadre de ce travail.

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xv

Avant-propos

La démocratie et l’idéal de liberté qui la supporte, me semble être une valeur

incontournable.

Liberté pour l’individu, mais aussi liberté pour la communauté des individus, c’est-à-dire la

société.

C’est d’ailleurs l’intérêt pour cette « promesse » qui m’avait amené dans le cadre de mes

études de maîtrise, à travailler ou plutôt à réfléchir sur son exercice dans un cadre de

gestion néolibérale.

En raison de la prépondérance du marché et de son extension, qui est allé jusqu’à affecter le

cadre national, certains auteurs comme David Held par exemple, ont proposé son

dépassement pour la mise sur pied d’un cadre supranational. Mais, ce cadre, et telle fut ma

pensée en m’appuyant sur des auteurs comme Thibault et Thériault, déconnecté ou en

déphasage avec les réalités nationales, serait un recul pour la démocratie entendue comme

cadre de liberté. Et sur cette base, j’ai quant à moi rappelé que le cadre adéquat voire

approprié (historiquement parlant) était et reste l’État nation.

Toujours intéressé par la démocratie et convaincu qu’elle a joué un grand rôle dans le

développement des nations développées, j’ai jugé utile de réfléchir sur ce qui se passe au

Sénégal : mon pays de naissance. Un pays pauvre, mais qui a la chance de ne pas être

confronté à des problèmes ethniques : ce mal, disons ce cancer pour l’Afrique.

J’ai donc jugé utile de réfléchir sur sa supposée démocratie. Les politiques d’ajustement

structurel se sont présentées à moi comme une opportunité, une occasion, je dirais même un

prétexte pour entamer cette réflexion. En termes plus clair : j’ai fait une analyse des

ajustements pour réfléchir à la supposée ou prétendue démocratie qui existe au Sénégal. Je

parle de supposée démocratie pour la seule et simple raison que ce qui s’est passé de 1980 à

2000 me paraissait fort différent de ce que j’avais vu dans ce Canada ou je vis depuis 1993,

et qui est une grande démocratie.

Au Canada, j’ai vu la vigilance des parlementaires pour l’intérêt national tant au fédéral

qu’au provincial. J’ai vu aussi l’acharnement de l’opposition parlementaire dont ses

membres, bénéficiant des mêmes avantages et faveurs que ceux de la majorité, faire leur

travail avec comme seul viatique : servir loyalement le citoyen et la société et agir en

fonction de l’intérêt suprême de leur communauté. Je n’idéalise pas. Je raconte des faits.

Bref, je privilégie l’empirie dans mon appréciation.

J’ai remarqué également que la presse jouait un rôle important pour la manifestation de la

vérité, non suffisante peut être, pour accompagner l’individu en particulier et la société en

général, dans leur quête constante d’un plus de liberté et de transparence. La liberté de ton

des journalistes et leur aisance vis-à-vis de leur interlocuteur, fut-il le premier ministre, sont

des indicateurs de cette liberté de presse. J’ai aussi remarqué que le devoir de vigilance

somnole dans chaque individu, attentif au moindre dérapage de tout un chacun, y compris

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xvi

celui des plus hautes autorités. C’était pour moi une belle attitude et un bel exemple de

solidarité dans ces sociétés jugées pourtant individualistes, mais où l’individu offre sa

collaboration spontanée qui en définitive, n’est que le fruit d’un construit civique, pour la

sauvegarde de l’intérêt général ou du bien commun public.

L’indépendance des juges est aussi une réalité pour ne citer que ces faits qui sont loin d’être

exhaustifs.

Prétexte ou opportunité ne pouvait donc être plus approprié que le PAS (Programme des

Ajustements Structurels) pour réfléchir sur la marche de la démocratie au Sénégal, en ce

sens que des politiques s’y sont déroulées, et sur une longue période, en ignorant totalement

l’avis des populations. Dit autrement, les autorités gouvernementales se sont passées de

leur consentement. Mieux, se passer de l’avis des populations était devenue une habitude

et à la limite même une tendance chez les autorités, et cette tendance pose problème au

regard de la démocratie et de son processus. Curieusement, c’est durant cette période que

le Sénégal a été présenté comme un pays phare, voire de référence pour la qualité de sa

démocratie jugée et réputée exceptionnelle et exemplaire. Cette appréciation pose des

problèmes, que la présente étude a tenté de faire ressortir.

Notre recours à la rencontre de la Baule n’est pas gratuit, mais se veut plutôt un repère pour

mettre en exergue cette invitation du président Mitterrand à ses homologues africains, pour

leur demander, dans un langage de raison, de démocratiser leur espace public. Nous

partageons la pensée du Président Mitterrand lorsqu’il affirme que « la démocratie mène au

développement ».

Sur la base de mon vécu au Canada et vu le contraste entre ce qui se passe ici et qui est

complétement différent de ce qui s’est passé et qui se passe encore au Sénégal, j’ai entamé

une remise en cause de cette « démocratie », la nôtre, et j’en suis arrivé à la conclusion que

la démocratie entendue comme cadre de liberté n’a jamais existé au Sénégal. Ce qui a

existé et qui existe toujours, est ce que nous avons appelé dans cette thèse une démocratie

institutionnelle; un régime qui malheureusement continue à faire son chemin, à moins que

des correctifs soient apportés.

Cela précisé, il y a des convictions, voire des certitudes que le texte qui suit a essayé de

faire ressortir. Ces convictions sont au nombre de trois`

1. Nous ne croyons pas que la démocratie, comme cadre de liberté, soit l’apanage des

pays riches ou développés. Elle est à la portée des pays pauvres.

2. Nous ne croyons pas non plus que le marché soit une entrave à la bonne marche de

la démocratie. Il n’est pas son ennemi. Ce sont plutôt ses excès, sa démesure dans la

recherche du profit, encouragés et soutenus par des non démocrates, qui posent problème.

Si le marché était une entrave à la démocratie, celle-ci n’aurait jamais existé dans les pays

capitalistes, et c’est pourtant dans ces lieux, et en dépit de ses insuffisances et imperfections

que la démocratie continue à faire son chemin avec comme arme : l’interrogation voire le

questionnement pour une éventuelle remise en cause du fait, du construit, bref de l’acte

humain.

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xvii

3. Le mal ou bien l’ennemi pour les démocraties émergentes ou en voie de

construction en Afrique, n’est ni le FMI et encore moins la Banque mondiale. La

conditionnalité, au-delà de ses excès, est une composante avec laquelle il faudrait composer

et à tous les niveaux. En plus, cette conditionnalité est intrinsèque au monde de la finance.

Elle en est à la fois l’essence et la substance. Le mal sénégalais en particulier et africain en

général, est dans les politiques, dépourvues de deux éléments qui restent, et quel que soit le

secteur d’activité, les garants de la voie du développement : la concrétisation des

mécanismes de contrôle, précédée par le devoir de vigilance qui doit être présent chez

chaque individu, et impérativement chez les parlementaires, et la transparence dans la

gestion de la chose publique.

Ces précisions Ŕ nous pensons Ŕ pourraient être d’une certaine utilité pour comprendre ou

mieux comprendre notre travail avec ses insuffisances, mais aussi avec ses limites.

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xviii

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1

INTRODUCTION

La mondialisation de l’économie et des marchés a entraîné une victoire quasi exclusive de

l’idéologie libérale, caractérisée par une libre circulation Ŕ nous dit-on Ŕ des biens, des

personnes, des services et des capitaux. Cette mondialisation, grande consécration de

l’économie marchande, a engendré des rapports nouveaux entre l’État et les citoyens d’une

part, et entre les entreprises (publiques ou privées) et les autorités gouvernementales d’autre

part. Elle a aussi favorisé au plan politique, non seulement la victoire de la démocratie,

mais également et surtout la généralisation puis l’extension de l’idée démocratique. On

ressent ses effets autant dans les pays du Nord que du Sud. On les ressent même en

Afrique, et ce, en dépit de la pauvreté qui la caractérise. Il y a là une réalité certes, et en

même temps, une dynamique qui heurte et fait bouger les politiques les plus

protectionnistes comme en attestent ces propos :

À l’orée de la décennie de 1980, les multinationales les plus capitalisées et les

mieux positionnées se métamorphosent en compagnies transnationales (CNT)

ou Transnational corporations (TNC) comme on les appelle dans leur pays de

prédilection, les États-Unis. Une appellation qui signale que ces méga-

entreprises se situent au-delà des États-Unis ou au-dessus, avec des moyens

financiers et technologiques qui défient les frontières et transcendent les

pouvoirs étatiques. Les fusions, les acquisitions et les alliances se multipliant,

la concentration de la richesse au sommet atteint un degré tel que, pour la

première fois dans l’histoire, le pouvoir économique réussit à s’affranchir du

cadre juridique national et du pouvoir politique, lequel s’excuse tout platement

de son impuissance1.

Aucun État n’est donc à l’abri, pour ainsi dire que ni les États-Unis (en raison de sa

puissance politique et économique) et encore moins le Laos (en raison de son extrême

pauvreté), ne sont épargnés par ses effets au plan politique, économique et social. Pour ce

qui est du rapport entre l’État et le citoyen, on assiste de plus en plus à un retrait de l’État

par rapport aux aspirations légitimes de l’individu en matière de droit du travail et en

matière d’éducation par exemple. En effet, si dans des pays comme la France par exemple,

l’éducation est gratuite, donc accessible à tous, il en est autrement au Canada et aux États-

1 Gélinas, Jacques B, La globalisation du monde : laisser faire ou faire ? Montréal : Éditions Écosociété,

2000 : 38-39.

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2

Unis ou la gratuité est quasiment inexistante pour les études universitaires. Pour ce qui est

du droit au travail, il ne signifie plus pour les gouvernements de garantir du travail aux

individus, mais plutôt de créer les conditions pour rendre possible et viable un tel droit.

Alors que dans les pays riches, ce droit s’essouffle ou est en perte de vitesse présentement,

il est malheureusement sérieusement compromis dans les pays pauvres, où d’ailleurs son

effectivité n’a jamais été réelle, non pas seulement par manque de volonté politique, mais

surtout par manque de moyens financiers. Nous voulons parler de cette Afrique qui accuse

un retard énorme par rapport aux pays du Nord.

Au nom de ces rapports nouveaux, il n’est plus maintenant de la responsabilité de l’État de

procurer du travail à l’individu, et encore moins de lui garantir une éducation. L’individu

est renvoyé à lui-même avec l’obligation de reconnaître l’autorité de l’État qui, malgré tout,

reste intacte et entière. Dit autrement, dans ses rapports avec le citoyen, l’État lui demande

et exige qu’il le reconnaisse comme instance attitrée pour parler et agir en son nom, tout en

se disqualifiant pour lui apporter par exemple cette nécessaire protection contre les

licenciements abusifs du patronat. La passivité du citoyen est aussi demandée face aux

décisions visant à apporter les correctifs nécessaires pour redonner une certaine vitalité à

l’économie nationale, qui ultimement devrait être à son service.

C’est d’ailleurs au nom de cette logique qu’il faut comprendre le sacrifice demandé aux

citoyens grecs par un gouvernement contraint d’appliquer des politiques, qui même si elles

ont été avalisées formellement par le parlement, n’ont pas obtenu l’assentiment du corps

social légitime. Ce fait rappelle à bien des égards les politiques du programme des

ajustements structurels du gouvernement du Sénégal au début des années 80. C’est aussi au

nom de la mise sur pied d’impératifs économiques qu’il faudrait comprendre les mesures

d’austérité qui avaient accompagné ce programme et qui étaient demandées par des

instances internationales, en l’occurrence le FMI (Fonds Monétaire International) et la

Banque mondiale.

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3

Ce retrait de l’État est aussi perceptible dans ses rapports avec les entreprises publiques et

privées. Ainsi, loin de bénéficier de certains avantages leur permettant d’avoir une gestion

axée sur le social et sur le long terme, il leur est désormais demandé de faire preuve

d’innovation et de rentabilité. La quête du profit devient ainsi la valeur prépondérante avec

comme victimes l’individu et la communauté qui, faut-il le rappeler, sont pourtant à la base

de la création de l’État. Abandonnés d’abord par un gouvernement censé leur porter aide et

assistance, ils deviennent ensuite et sont d’ailleurs devenus les victimes d’un système de

gestion soucieux de faire uniquement du profit.

Recevant des gouvernants (gouvernement et parlement) les législations appropriées pour

rechercher et faire ce profit, le secteur privé par exemple va mettre sur pied des politiques à

caractère contractuel pour atteindre son objectif et pour répercuter les contraintes en amont.

Ce retrait de l’État est également perceptible dans les pertes d’emploi, une tendance qui non

seulement n’épargne aucun secteur, mais est souvent justifiée par la quête du profit. La

sécurité d’emploi, jadis un acquis, est de nos jours perdue. Il ne serait donc pas faux de

soutenir que la mondialisation a engendré le ponce pilatisme de bien des dirigeants. Et

Rosavalon de soutenir :

Et pourtant, le développement de l’État providence était presque parvenu à

vaincre la vielle insécurité sociale et à éliminer la peur du lendemain. A l’issue

des « trente glorieuses », vers la fin des années 1970, l’utopie d’une société

libérée du besoin et d’un individu protégé des principaux risques de l’existence

paraissait à portée de main. Depuis le début des années 1980, la croissance du

chômage et l’apparition de nouvelles formes de pauvreté ont au contraire

semblé nous ramener loin en arrière2.

C’est d’ailleurs au nom de ces politiques que certaines entreprises choisissent par exemple

la délocalisation de leur main d’œuvre, de manière à profiter de celle à bon marché et non

syndiquée. C’est aussi au nom de ces politiques que le secteur bancaire fait d’énormes

profits, récemment dénoncé par le mouvement dit des indignés. C’est enfin, au nom de ces

politiques que le monde de la finance dicte ses règles et impose sa loi à la fois aux

2 Rosavalon, Pierre, La nouvelle question sociale : Repenser l’État-providence, Paris : Éditions du Seuil :

1995 : p 7

Page 22: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

4

gouvernements et aux individus, et cela dans un contexte mondial ou la démocratie tient

valeur de référence. Jadis, protecteur des couches sociales les plus défavorisées, l’État est

devenu avec la mondialisation de l’économie et des marchés un État soi-disant neutre, mais

en réalité au service des intérêts privés, c’est-à-dire, de certaines oligarchies financières

dont la seule et unique préoccupation est la recherche du profit. Il y a lieu de convenir que

cette réalité est inquiétante.

Cette réalité inquiétante suscite des interrogations quant au rôle de l’État, mais aussi de la

démocratie qui reste et se veut avant tout un cadre de liberté. Ces interrogations ont

présentement toute leur pertinence en raison surtout du contexte actuel de la gestion de

l’État où, les agences de notation, au nom d’une logique de marché, dictent aux

gouvernements européens par exemple, une ligne de conduite en rupture totale avec les

aspirations réelles des populations. En disant oui au marché et en lui accordant la

prépondérance dans la gestion de la chose publique, il ne serait pas illogique de soutenir

que les gouvernements ont cessé d’être les mandataires de ceux et celles dont ils tirent

pourtant leur légitimité. Il est aussi important de mettre une telle attitude en relation avec

les logiques de base de la démocratie que sont la consultation et la prise de décision via le

vote, et d’examiner leurs conséquences sur le fonctionnement de la démocratie.

Cette victoire de l’économie de marché est présentée par ses tenants qui ne sont pas

seulement des monétaristes, mais aussi des hommes d’État, des universitaires et des

entrepreneurs, comme étant une réalité incontournable, le résultat d’une prépondérance de

l’économique sur le social dont il est permis de se demander si elle ne serait pas plutôt le

résultat d’une suprématie orchestrée du capital sur la démocratie. L’individu et la

communauté, malgré leurs agissements pour dénoncer cette dynamique sourde et insensible

à leurs légitimes aspirations et doléances, sont contraints de s’ajuster, du moins pour le

moment. Cette réalité, dont la dynamique semble commander l’action politique de bon

nombre de chefs d’État et de gouvernements, bénéficie toutefois d’un soutien implicite des

hommes politiques comme en attestent ces propos :

Page 23: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

5

Alliés objectifs de l’oligarchie globale, nos politiciens sont loin d’être les

victimes innocentes de la globalisation. Ils s’en font au contraire les serviteurs

empressés, se livrant volontairement aux forces même qu’ils ont le devoir de

contester. Et cela survient non seulement dans les dictatures du tiers-monde,

mais ici même, dans nos vielles et respectables démocraties d’Europe et

d’Amérique. En effet, ce sont les gouvernants eux-mêmes qui organisent leur

propre capitulation. Traité après traité, loi après loi, les gouvernements et les

parlements éliminent les obstacles qui gênent la concentration de la richesse et

du pouvoir dans les mains des maîtres du monde3.

« Après la décision irresponsable du gouvernement allemand de fixer à 1% le taux de

change entre mark occidental et mark oriental afin de favoriser la réunification Ŕ soutient

dans le même sens Manuel Castels Ŕ la Bundesbank, pour garder le contrôle de l’inflation

en Allemagne, a relevé les taux d’intérêt et imposé la déflation à toute l’Europe,

indépendamment du comportement de chaque économie nationale »4. Face à cette

impuissance de ceux et celles qui sont aux commandes de l’État, il y a lieu de reconnaître

que cela n’est pas sans conséquence sur le rôle de l’État, mais aussi sur le fonctionnement

de la démocratie. Le Sénégal n’a pas fait exception à cette réalité avec l’acceptation du

programme des ajustements structurels dont il fut l’objet.

A. DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

Ce programme qui a commencé en 1979, s’était déroulé sur quatre périodes. D’abord, il y

a eu le plan de stabilisation à court terme d’une année, c’est-à-dire de 1979 à 1980. Il y a

eu ensuite le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) qui s’était échelonné

sur une période de cinq années, soit de 1980 à 1985. Il y a eu ensuite le PALM (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) d’une durée de sept

années, soit de 1985 à 1992. Et il y a eu enfin, suite au rapport Berg5, le Plan d’urgence de

3 Gélinas, Jacques B, La globalisation du monde : laisser faire ou faire ? Montréal : Éditions Écosociété, 2000,

p 133 4 Castels, Manuel, L’État impuissant dans Le pouvoir de l’identité. L’ère de l’information, Paris, Fayard,

1999, p 298 5 Ce rapport avait souligné des manquements dans l’application des réformes préconisées par les bailleurs de

fond, en l’occurrence, le FMI et la Banque Mondiale. En termes plus clairs, le gouvernement selon le rapport

Berg, avait manqué de volonté voire de rigueur Ŕ nous disons courage Ŕ pour mettre en pratique les mesures

demandées, lesquelles allaient se concrétiser dans le plan d’urgence de 1993. En parlant de courage, nous

tenons à donner du crédit aux tenants de la thèse qu’il y avait une résistance par le haut, et elle désignait celle

des autorités gouvernementales qui étaient aussi des acteurs politiques locaux, préoccupés certainement de

Page 24: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

6

1993 avec une série de mesures qui n’allaient épargner personne. « Durant le deuxième

semestre de 1993, après une période de rapports devenus difficiles avec la Banque

mondiale, le pouvoir central sénégalais (PCS) a été obligé d’affronter les syndicats et les

partis politiques, en prenant des mesures destinées à corriger les déséquilibres macro-

économiques »6. Et Makhtar Diouf faisant l’historique du programme des ajustements

structurels de faire remarquer :

En février 1980, le ministre des finances en place avait porté un jugement peu

flatteur sur la gestion de son prédécesseur : « De 1973 à 1977, l’évolution des

finances publiques a été marquée par de graves erreurs de gestion au niveau de

l’État et des services parapublics ». C’est dans ces conditions que démarre

dans le pays la politique d’ajustement structurel. Les premières mesures de

redressement sont prises en 1979, avec un Plan de stabilisation à court terme

d’un an; il sera suivi par un Plan de redressement économique et financier

(1980/85) et un Plan d’ajustement à moyen et long terme (1986/92). La période

1981/91, couverte par cette étude, est ainsi celle de l’application des premiers

programmes d’ajustement structurel au Sénégal. Elle correspond à dix années

d’exercice du pouvoir par Abdou Diouf, qui, rappelons-le, a été aussi au cours

des dix années précédentes le Premier ministre, responsable de la politique

économique... Au tout début des années 80, on ne parle que d’ajustement

conjoncturel avec les interventions à court terme du FMI. C’est l’entrée en

scène de la Banque mondiale, agence de développement sur le moyen et le long

terme, qui a rendu l’ajustement structurel. Dans l’ensemble, l’objectif déclaré

est, comme dans toute politique économique conjoncturelle, le rétablissement

des grands équilibres : stabilité des prix, équilibre des finances publiques et de

la balance des paiements, croissance économique, plein emploi7

C’est donc sur la base de l’atteinte des objectifs mentionnés par l’auteur que le programme

des ajustements structurels aurait vu le jour avec comme objectif de résultat de corriger le

déficit d’abord, et de donner à l’économie affaiblie un certain regain d’énergie ensuite.

Sous l’égide du FMI (Fonds Monétaire International) et de la Banque mondiale, il sera

demandé aux autorités gouvernementales de libéraliser le secteur économique, mais

maintenir leur base politique : gage de leur légitimité d’action. Cette résistance par le haut est éloquemment

révélatrice du caractère contraignant des politiques demandées et préconisées par les institutions créditrices

(FMI et Banque Mondiale). 6 Diop, Momar Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de l’État

au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, p 67 7 Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : la démocratie à

l’épreuve : 1992, pp 62-63

Page 25: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

7

également de mettre fin à toute politique sociale. Autrement dit, l’État devait cesser

d’intervenir dans l’économie et dans le domaine social, le marché demeurant, selon ses

tenants, la seule alternative pour corriger le déficit public et donner à l’économie paralysée

sa pleine croissance. Une suppression considérable des programmes et de politiques à

caractère social, soutenue et renforcée par des politiques qui avaient pour nom : Réduction

des dépenses publiques Ŕ Assainissement de la fonction publique Ŕ Privatisation du secteur

public en étaient les grandes lignes.

Les populations (urbaines et rurales) en général et les travailleurs ou salariés en particulier,

déjà affligés par des politiques comme celles de la Nouvelle Politique du secteur para

public, la Nouvelle Politique Agricole et la Nouvelle Politique Économique, allaient voir

leurs conditions sociales et économiques se détériorer davantage avec le plan d’urgence. Il

ne serait donc pas faux de soutenir que la rupture entre l’État, entendu comme

gouvernement, et les populations, entendues comme social, amorcée voire entamée

concrètement en 1985, allait s’accentuer avec les mesures qui avaient accompagné le Plan

d’urgence. En effet, les conséquences de ces mesures sur les populations rurales et

urbaines (baisse du pouvoir d’achat Ŕ augmentation du chômage et de la pauvreté) et les

salariés (baisse du salaire par exemple) avaient suscité auprès des concernés ce sentiment

légitime de contestation qui avait commencé en 1988, c’est à dire après les élections

présidentielles de février.

À la cherté des prix des denrées de premières nécessités en raison de la fin de toute

politique de subvention consécutive aux nouvelles politiques, devait s’ajouter une baisse

considérable de leur pouvoir d’achat à cause de la Dévaluation du franc CFA intervenue en

1994. « La dévaluation du franc CFA avait provoqué un véritable retournement dans les

relations entre la Banque mondiale et le Sénégal. En effet, dans le courant de la même

année, le Gouvernement avait enclenché des réformes structurelles se traduisant, entre

autres, par l’adoption d’un appareil législatif et réglementaire assez dense en vue

Page 26: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

8

d’accélérer la libéralisation de l’économie8 ». Cette rupture avait fait naître un nouveau

type de rapport entre le gouvernement et les populations.

Dit autrement, au rapport d’assistance né de la tutelle coloniale et ayant également existé

dans l’État postcolonial, s’était succédé un rapport de responsabilisation, justifié et

conditionné par les nouvelles politiques du programme des ajustements structurels. A

travers ce nouveau type de rapport, le gouvernement renvoyait la communauté d’abord, et

l’individu ensuite à eux-mêmes, marquant ainsi la fin du contrat social tacite. L’État (le

gouvernement), en raison de ses nouvelles priorités qui étaient essentiellement

économiques, s’était donné un nouveau rôle qui Ŕ il est important de le mentionner Ŕ était

au détriment des populations. Cette remise en cause du rôle social de l’État Ŕ il est

important de le souligner Ŕ occasionnée et justifiée par une logique économique, n’a pas été

sans conséquence pour la liberté d’action des autorités gouvernementales. Ce programme

qui fut présenté par le gouvernement de l’époque comme incontournable, voire inévitable et

dont la légitimation reposait sur la notion du désengagement de l’État, en réduisant la

capacité d’intervention du gouvernement, avait amené le gouvernement à s’inscrire dans

une dynamique qui était étrangère et éloignée de la démocratie. Et c’est pourtant dans le

cadre de ce programme que l’on a parlé de l’exception sénégalaise, pour mettre en exergue

sa « démocratie », qui était jugée exemplaire.

B. DE LA DÉMOCRATIE EN GÉNÉRAL ET DE SA DIFFICILE PERCÉE EN

AFRIQUE

Cela précisé, il est important de mentionner que si la mondialisation de l’économie et des

marchés a favorisé au plan économique, le triomphe de l’économie de marché, il y a lieu de

constater qu’elle a aussi favorisé, et implicitement au plan politique, celle de la démocratie

qui est devenue de nos jours, une exigence pour tous les États, et cela sans exception. Cette

exigence est devenue plus visible en 1989 avec l’éclatement de l’ex URSS (Union des

Républiques Socialistes Soviétiques) longtemps ancrée dans une logique totalitaire. Cette

date confirme la démocratie à titre de référence universelle, entendue comme modèle de

88

Diop, Momar Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, p 67

Page 27: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

9

gestion du social, de l’économie mais aussi et surtout du politique. Depuis cette date

également, et à l’échelle internationale, aucune forme de gestion du pouvoir autre que

démocratique n’est acceptée dorénavant et encore moins tolérée : en somme, la fin des

alternatives signe la fin des possibles.

Les récentes interventions des forces de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique

Nord) en Lybie, légitimées par l’ONU (Organisation des Nations Unies), et celles

françaises en Côte d’Ivoire démontrent, encore une fois, que la communauté internationale

entend promouvoir la démocratie et par tous les moyens. Les soulèvements populaires

dans les pays du Maghreb notamment en Tunisie d’abord, puis en Égypte ensuite et qui se

sont soldés par la chute des chefs d’États Ben Ali et Hosni Moubarak, illustrent de façon

fort éloquente, que les individus ont une soif de liberté que la répression armée ne pourrait

étouffer. « Dans certains endroits Ŕ fait remarquer Todorov - le mouvement a été couronné

de succès, dans d’autres il s’est heurté à une résistance acharnée, et l’issue du conflit y est

encore incertaine. Mais, quel que soit le destin politique de tous ces pays, on peut déjà

considérer comme établi que le modèle démocratique exerce aujourd’hui une grande

attraction au-delà du monde occidental qui l’a vu naître9 ».

Toutefois, il est important de noter que même si la démocratie n’a pas complètement

éradiqué la pratique totalitaire, il serait juste de reconnaître qu’elle l’a sérieusement ébranlé,

voire fragilisé, compromettant ainsi à jamais sa survie. Il existe certes des poches de

résistances, reposant ou s’appuyant sur une quelconque tradition sociale, religieuse et

même dans l’art de gérer la cité, mais elles demeurent fragiles face à la démocratie qui

postule par exemple l’égalité de tous les individus devant la loi. Elle fait naître l’espoir et

donne à l’individu et à la société la réelle possibilité de s’interroger d’abord et de

s’améliorer ensuite, et c’est à ce niveau qu’elle suscite et provoque chez ses adversaires les

plus redoutables cette panique ou cette peur à l’endroit des manifestations ou des

mouvements de contestation. Et Todorov de faire encore remarquer :

9 Todorov, Tzvetan, Les ennemis intimes de la démocratie, Paris : Éditions Robert Laffont : 2012, p 17

Page 28: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

10

Il est vrai que plusieurs pays dans le monde continuent de se réclamer de

l’idéologie communiste, mais on ne les perçoit plus comme une menace, mais

plutôt comme des anachronismes qui ne sauraient survivre longtemps. Le seul

parmi eux qui représente une grande puissance, la Chine, ne correspond plus au

« type idéal » du régime totalitaire selon l’auteur, et apparaît plutôt aux yeux

des observateurs comme un hybride baroque de rhétorique communiste,

d’administration centralisée répressive et d’économie de marché qui permet,

voire favorise Ŕ chose inconcevable du temps du communisme soviétique ou

maoïste - l’ouverture au monde extérieur et l’enrichissement des individus10

.

En démocratie, le peuple est souverain et doit le rester. Tel est le credo de ce modèle qui

entend être partout présent. Par ce mode de gestion, l’individu et la communauté restent et

sont maîtres d’un projet qui en finalité, entend les servir. « Elle n’a plus d’ennemis

déclarés » Ŕ pour parler comme Marcel Gauchet qui rappelle toutefois que « si son

existence est à l’abri de la contestation, la façon dont ses acteurs la comprennent tend à

dissoudre les bases sur lesquelles repose son fonctionnement »11

« Tout examen, même

rapide de la situation de la démocratie dans les sociétés postindustrielles de type libéral Ŕ

déplore André Vachet - ne peut que relever le caractère formel ou institutionnel de sa

pratique, tandis que son contenu se limite surtout à des symboles ou concepts abstraits

quand il n’est pas simplement réduit à un pur discours couvrant les entreprises d’un pouvoir

en expansion12

».

Ce constat Ŕ il est important de le mentionner - devient plus alarmant sur le continent

africain ou la quasi-totalité des dirigeants, suspicieux par rapport à la démocratie et à ses

exigences, ont toujours géré le pouvoir comme un patrimoine personnel et, cela malgré que

le fait que la démocratie soit inscrite dans leur constitution. « Les pays eux-mêmes ne se

sentent constitutionnellement à l’aise que s’ils affichent Ŕ faisait remarquer le Président

Abdou Diouf - dans leurs dénominations, le qualificatif, comme pour se parer des paumes

10

Todorov, Tzvetan, Les ennemis intimes de la démocratie, Paris : Éditions Robert Laffont : 2012, p 11 11

Gauchet, Marcel, La démocratie d’une crise à l’autre. Nantes : Éditions Cécile Defaut : 2007, pp 11-12.

Nous sommes en accord total avec Marcel Gauchet en ce sens que ce sont précisément les bases sur lesquelles

reposent le fonctionnement de la démocratie pour le paraphraser, qui expliquent et justifient entre autres notre

étude, pour faire ressortir ce que Gilles Gagné considère comme « les conditions essentielles et non

suffisantes » [Gagné : 2013] pour parler de démocratie. 12

Vachet, André, « L’État contre le politique : pour une pratique de la démocratie » dans La démocratie au-

delà du libéralisme : Perspectives critiques, Québec : Éditions Athéna : 2009, p 16

Page 29: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

11

de la démocratie13

. C’est d’ailleurs au nom de cette gestion patrimoniale que des

successions se sont produites au Gabon, au Togo, et en République démocratique du Congo

(ex Zaïre), ou les chefs d’États Joseph Kabila (RDC), Eyadema (Togo) et Omar Bongo

(Gabon) ont été remplacés par leurs fils après leur décès. Une telle gestion est d’ailleurs

toujours d’actualité, et cela en dépit des appels incessants de la communauté internationale

pour une gouvernance démocratique.

Dit autrement, outre la personnalisation de l’exercice du pouvoir, s’y ajoute une gestion

patrimoniale et partisane du pouvoir, qui sont perceptibles dans la gestion de beaucoup de

pays de la sous-région. « Les pays africains ont certes accompli des progrès significatifs

sur la voie de la démocratisation, mais les résistances rencontrées démontrent que les

perspectives prometteuses que l’ouverture démocratique au début des années 1990 avait

laissé entrevoir semblent être dans une impasse préoccupante14

. Le recours à la force par

exemple, via la résolution 1975 de l’ONU pour faire partir Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire)

après son refus de reconnaître la victoire de son adversaire lors du second tour de la

présidentielle du 28 novembre 2010, témoigne du peu de considérations qu’une certaine

élite africaine se fait de la démocratie et de son processus.

Au Niger également, la tentative de l’ancien président de la République Tandjan de briguer

un troisième mandat, et cela malgré l’interdiction de la constitution, tout comme la gestion

patrimoniale et monarchique de l’ancien chef de l’État Abdoulaye Wade (Sénégal) avec

cette ambition (heureusement dénoncée et combattue) de vouloir se faire succéder par son

fils, ministre d’État, avec des pouvoirs exorbitants, sont révélateurs de la grande difficulté

que rencontre la démocratie pour s’y établir. « Le décret délimitant son champ de

compétences et ses attributions donne une idée de l’immensité des pouvoirs du fils du chef

de l’État. C’est son statut de président du Conseil de surveillance de l’Anoci (Agence

13

Diouf, Abdou, Colloque sur « Le bilan et les perspectives de la démocratie dans les États du Tiers monde »

dans Propos choisis : Tome 6. Abdou Diouf et la démocratie, Dakar, 1984, p 4 14

Gueye, Babacar, « La démocratie en Afrique : succès et résistances » dans Pouvoirs; no 129 : La

démocratie en Afrique, 2009, p 25.

Page 30: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

12

nationale pour l’organisation de la conférence islamique), ou plutôt son statut incontestable

de patron de l’agence créée sur mesure pour lui, qui lui a mis le pied à l’étrier »15

.

Une autre difficulté qui freine l’avènement de la démocratie sur le continent africain, est la

gestion du pouvoir par des militaires (Burkina Faso, RDC) par exemple, qui non seulement

sont réfractaires au changement, mais arrivent au pouvoir par la voie du coup d’État avec

tout ce que cela comporte de préjudiciable pour l’économie et les populations. Pour faire

bref, c’est dans ces maux, et aussi dans cette absence de vertu politique dont parle

Montesquieu, « ce renoncement à soi-même qui est toujours une chose très pénible »16

que

se trouvent entre autres le mal de l’Afrique en générale et de l’Afrique noire en particulier.

Profondément aux antipodes du mode de gestion totalitaire où la liberté17

de choisir ses

dirigeants est quasiment inexistante ou simplement formelle si elle existe, celle-ci est par

contre fortement valorisée en démocratie. Cette liberté, entendue comme la possibilité de

choisir ses dirigeants, mais aussi de se prononcer sur les choix offerts, en constitue

l’essence voire la substance.

La démocratie est une construction sociale, une manière d’organiser les

rapports collectifs, économiques, politiques, sociaux, en permettant à chacun

d’y prendre part. Elle est donc un processus social, constamment en

construction, non seulement à cause de l’institutionnalisation nécessaire à sa

reproduction dans le temps, mais aussi et surtout, parce que les réalités

sociales changent sans arrêt et qu’il faut réorganiser, légiférer, réorienter les

mécanismes garantissant la démocratie elle-même18

.

15

Coulibaly, Abdou Latif, Contes et mécomptes de l’ANOCI, Paris, Éditions L’Harmattan : 2009, p 23. 16

Montesquieu, Charles Louis de Seconda, De l’esprit des lois. 1. Paris, Éditions Gallimard, 1995, p 137 17

Notes de cours de Droit Constitutionnel (1990)/Université de Dakar. L’article 6 de la constitution de 1977

de l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) permettait l’existence des libertés, mais dans le

sens des lignes édictées par le parti (seule référence nous ajoutons). Nous opposons à cette liberté

conditionnée, celle canalisée qui est le propre des sociétés démocratiques occidentales. Cette liberté n’est pas

exempte de contrainte, mais cette contrainte est voulue par l’individu et sa communauté, parce que essentielle

à son effectivité. 18

Centre Tricontinental, Éditorial : « Marché et démocratie sont-ils compatibles ? » dans Démocratie et

marché, Paris : L’Harmattan, 1999, p 6.

Page 31: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

13

Elle est selon Claude Lefort et nous en convenons, « le lieu où la parole est donnée et non

confisquée »19

. Elle est donc un cadre de liberté. La liberté est l’une de ses valeurs

fondamentales, elle lui est d’ailleurs intrinsèque. La liberté n’est possible qu’en démocratie

et, il y a aussi de liberté qu’en démocratie. « La liberté est la condition d’existence du

pouvoir démocratique, et seul un pouvoir auquel des citoyens ont consenti est démocratique

»20

. La démocratie permet la liberté de pensée, mais aussi d’action et est ainsi recherchée

par tous les individus qui cherchent à améliorer leur sort. Elle fascine et séduit également

par ce qu’elle offre ou peut offrir via cette liberté qu’elle refuse par principe, de limiter,

d’encadrer ou de restreindre. Elle permet aussi la contestation, en permettant à l’individu

ou à la communauté des individus, d’exprimer un point de vue autre et est virtuellement

complice du désordre qui pourrait en résulter.

Elle est ainsi recherchée activement par le citoyen du Nord tout comme celui du Sud. Elle

est même convoitée par les sujets pour parler de ces lieux où l’individu est muselé dans un

silence assourdissant parce que privé d’opinion comme par exemple dans certaines

monarchies du Maghreb. Elle permet l’interrogation et refuse par principe d’en dispenser

la tradition et ses acquis, donnant ainsi du sens et du crédit à sa volonté d’être au service

exclusif de l’individu et de sa communauté. La démocratie offre et encourage le débat.

Elle est pourrait-on dire un cadre pour débattre et, ne doit sa survie qu’au débat, mais

contradictoire. Elle est contre le formalisme et dans toutes ses formes.

La démocratie n’est pas un simple énoncé formel, c’est une culture, une

manière de vivre, qui doit être apprise, intériorisée et traduite quotidiennement

dans les pratiques sociales. L’une des premières tâches des nouveaux États

africains est donc d’éduquer, de socialiser les populations à la démocratie.

Mais un écueil important doit être évité, et qui réside dans le fait de chercher à

relativiser la démocratie. En fait, écrit Edem Kodjo « il n’existe pas une

démocratie pour Blancs d’Occident, et une démocratie pour Nègres d’Afrique.

La démocratie est comme le Bien, le Vrai, le Juste, l’un de ces « universaux »

qu’il est dangereux de chercher à relativiser à tout prix. Partout, elle appelle

une organisation spécifique, des institutions précises, des règles

incontournables » (Kodjo, 1990). Elle suppose partout pluralisme organisé et

19

Lefort, Claude, Manuscrit 20

Lenoir, Norbert, La démocratie et son histoire, Paris : Presses universitaires de France, 2006, p 11

Page 32: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

14

d’opinions, séparation des pouvoirs, contrôle des élus par le peuple, libertés

accordées à tous, transparence, etc. Dans les pays de l’Afrique noire moderne,

cette culture démocratique est problématique, principalement à cause de ce «

despotisme obscur » caractérisé par la propension des Africains à assimiler tout

pouvoir à une volonté divine, à l’autoritarisme, et au népotisme21

.

Exigée désormais par un contexte international qui n’est plus bipolaire, du moins qui ne se

pense plus expressément comme tel, la démocratie est aussi devenue une exigence pour les

pays ouest africains avec la conférence de la Baule de juin 1990. L’aide de la France à

l’endroit de ses anciennes colonies était désormais assortie d’une condition, à savoir celle

de voir les chefs d’État africains démocratiser leur espace politique, parce que garante de

leur développement. C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre les propos du

président François Mitterrand, lors de cette rencontre qui s’était tenue dans le cadre de la

France-Afrique. « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque que je dis

que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité

d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif,

élections libres, multipartisme, liberté de presse, indépendance de la magistrature, refus de

la censure, voilà le schéma dont nous disposons22

».

C’est d’ailleurs au nom de l’atteinte de cette exigence qu’il faudrait comprendre la mise sur

pied d’une charte africaine sur la démocratie et la gouvernance en janvier 2007 dans

laquelle les États membres ont réaffirmé dans le préambule, « leur volonté d’œuvrer sans

relâche pour l’approfondissement et la consolidation de la démocratie, de l’État de droit,

de la paix, de la sécurité et du développement 23

» dans leur pays respectif. Toujours au

niveau du préambule, les États membres se disant « préoccupés aussi par les changements

anticonstitutionnels de gouvernement qui constituent l’une des causes essentielles

d’insécurité, d’instabilité de crise et même de violents affrontements », se sont dits «

résolus à promouvoir et à renforcer la bonne gouvernance par l’institutionnalisation de la

transparence, de l’obligation de rendre compte et de la démocratie participative ».

21

Assogba, Yao, L’Afrique au fil de la démocratisation, du développement et de la mondialisation, Paris :

L’Harmattan : 2012, p 32 22

Mitterrand, François, Allocution, Séance solennelle d’ouverture de la 16 ème conférence des chefs d’État

de France et d’Afrique, Baule, 1990 23

Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, Addis Abeba : Éthiopie, 2007

Page 33: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

15

Depuis les années 90, les droits et les libertés fondamentaux sont inscrits et

garantis dans les différentes Constitutions de la plupart des pays africains. Il ne

fait plus de doute, aujourd’hui, que le développement socio-économique ne

peut intervenir en l’absence de conditions civiles et politiques, à même de

forger la cohésion sociale, protéger les droits et la propriété privée, garantir la

liberté individuelle, faire exécuter les contrats et assurer un gouvernement plus

réceptif, transparent et tenu de rendre compte24

.

Face à cet appel de l’ancien maître dont le « support affectif » à l’endroit de l’ancienne

colonie est bien connu, Abdou Diouf et son gouvernement, soucieux d’être toujours

appréciés au niveau international, mais également préoccupés par l’idée de ne pas déplaire

à l’ancienne puissance coloniale, avaient ce devoir d’obligation de renforcer les gestes

démocratiques posés depuis son ascension à la magistrature suprême, notamment dans la

soirée du 31 décembre 1980 suite à la démission du Président Senghor. Ne pouvant donc

pas se passer de cette aide, mais aussi du soutien de la France, et pour plusieurs raisons, les

dirigeants ouest africains étaient donc obligés de poser des gestes concrets. Le Sénégal, à

l’instar des autres pays ouest africains, était donc interpellé, et avait cette obligation de ne

pas décevoir au regard surtout de l’image projetée par ses dirigeants au plan international

comme en attestent les propos de l’auteur, alors ministre des affaires étrangères :

Sur la scène internationale, le Sénégal, malgré ses dimensions géographiques et

son poids démographique et économique modestes, est un pays influent. C’est

un État qui compte en Afrique et au sein des pays du tiers monde. Il a su

trouver son originalité et ses marques dans le concert des nations grâce à une

politique étrangère bâtie sur des principes qui forgent le respect. État de droit,

attaché à la liberté des peuples et à la démocratie, partisan du dialogue pour le

règlement des différends, le Sénégal a la diplomatie qui est celle d’un État

crédible, qui inspire respect et considération dans le monde. Il a été observé

que même pendant la confrontation « Est-Ouest », le Sénégal, quoique classé

parmi les pays « modérés » était assez bien vu au sein du « bloc communiste ».

Son appartenance à la famille des pays sous influence occidentale ne l’avait pas

empêché d’entretenir des relations normales avec l’URRS, la chine populaire

(rupture avec Formose en 1971) et les deux Corée25

24

PNUD, Rapport national sur le développement: Sénégal : Dakar : 2001 25

KA, Djibo Leïty Ka, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar, Les Nouvelles

Éditions Africaines du Sénégal : 2005, pp 76-77.

Page 34: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

16

C. DE LA DÉMOCRATIE AU SÉNÉGAL SELON LA REVUE DE LA LITTÉRATURE

Mais, « le coup de semonce de la Baule ne visait certainement pas le Sénégal, et pour

cause, ce pays faisait à tort ou à raison, figure d’exception »26

. Dit autrement, le Sénégal

pour sa part n’a pas attendu la Baule pour renforcer ou se familiariser avec le processus

démocratique. « Le vote y a une histoire, et il est l’un des pays africains qui a la plus

ancienne expérience du vote »27

.

De 1848 aux années 1890, son électorat restreint et concentré dans les villes de

Saint-Louis et de Gorée était appelé à élire son représentant à la chambre des

députés français. Dès juin 1879, l’exercice du suffrage universel va se

matérialiser aussi à travers le scrutin « départemental » (élections au conseil

général) et local (élections municipales)… Après l’indépendance, la tradition

séculaire du vote va être garantie par la constitution en son article 2…, et cette

dernière est marquée par la volonté affirmée de consolider les acquis

démocratiques mais aussi d’exercer un contrôle du jeu politique,

particulièrement l’acte de voter qui signifie « être pour » ou « être avec »28

.

Il est vrai que le vote est très important en démocratie, mais il perd tout son sens dans un

contexte de domination ou l’avis de l’individu ou de la communauté même demandé, n’est

que pure formalisme. Et tel fut le cas dans ce Sénégal où était citoyen celui que le

colonisateur désignait comme tel. Le citoyen sénégalais n’a existé qu’avec l’indépendance,

et c’est à partir de cette date (4 avril 1960) que le droit de vote doit être considéré comme

acquis démocratique. « Le colonialisme, c’est le refus même de la démocratie aux

colonisés, et aucune tradition démocratique n’a donc existé en ces temps. Tout au plus, à la

veille des indépendances, on faisait allusion à quelques idées de libertés et d’égalité héritées

du 18ème

siècle ou des révolutions qui ont eu lieu 200 ans plus tôt en Europe ou en

Amérique »29

.

26

Diop, Alioune Badara, Le Sénégal, une démocratie du phénix ? Paris : Éditions Karthala : 2009, p 14 27

Ibidem, p 15 28

Ibidem, p 16 29

Assogba, Yao, L’Afrique au fil de la démocratisation, du développement et de la mondialisation, Paris :

L’Harmattan, pp 91-92

Page 35: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

17

Selon Abdou Latif Coulibaly, la démocratie comme modèle de gestion a été une

préoccupation constante des acteurs politiques et ce fait remonte au début des

indépendances. C’est cette constance pour la mise sur pied d’une démocratie qui explique

et justifie selon lui le fait assez singulier que le Sénégal n’a jamais connu de coup d’État

militaire, et sa place prépondérante dans une Afrique où fait légion le règne par la force et

l’instabilité politique.

« Le Sénégal a essayé, tant bien que mal, depuis presque l’indépendance du

pays, à asseoir une démocratie et à entrer de plain-pied dans la modernité

politique. Cette option que notre pays a faite dès le début des années 70 lui a

permis de prendre une longueur d’avance sur les autres États du continent

africain en la matière. Dans la période allant de l’année charnière 1974 à 2000,

le Sénégal a réussi à construire une démocratie, citée en exemple en Afrique,

car ayant favorisé une alternance politique, là où le seul moyen de changement

de régime, demeurait presque dans l’absolu, la violence. Il a su éviter les

aventures militaires, en favorisant l’avènement d’une transition cooptée bien

avant que cela ne survienne ailleurs en Afrique »30

.

Toutefois, si la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule constituent des facteurs à

considérer dans ce processus de démocratisation en Afrique, ils ne sont que de simples

détonateurs de ce processus selon le professeur Abdoulaye Bathily. Selon lui, le combat

démocratique a d’abord eu pour cible le parti unique, qui après les indépendances des pays

africains, était justifié par une préoccupation d’unité, voire d’unifier les sensibilités dans un

contexte où la réalité ethnique pouvait être un obstacle à la mise en place d’une nation. Ce

parti unique selon Bathily a plutôt favorisé l’émergence de dictateurs qui ont confisqué et

étouffé la liberté d’expression. Ce combat démocratique se poursuit toujours selon Bathily

avec comme cible le programme des ajustements structurels, qu’il pense comme étant un

produit du néolibéralisme, tout en déplorant ses effets sur le social et l’économie.

En effet, la revendication démocratique telle qu’illustrée par le pluralisme

politique et identitaire actuel, plonge ses racines dans l’échec du parti unique en

tant qu’instrument de construction de l’État-nation qui avait été le projet

politique des coalitions de libération anticoloniale. Presque partout, dans les

30

Coulibaly, Abdou Latif, Une démocratie prise en otage par ses élites : Essai politique sur la pratique de la

démocratie au Sénégal, Dakar : Éditions Sentinelles : 2006, pp 271-272

Page 36: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

18

pays libérés du colonialisme, le parti unique ou dit dominant a abouti au

mimétisme idéologique, au culte de la personnalité du « père de la nation » ou

du dictateur militaire et par voie de conséquence, à l’étouffement des idées

politiques, à l’oppression des identités considérées comme minoritaires dans

l’espace national. Cette revendication démocratique a été aussi impulsée avant

tout par un vaste mouvement de résistance des acteurs des différents secteurs

des sociétés africaines face à la dégradation de leurs conditions d’existence sous

les effets cumulés de l’échec du projet national et des PAS. En d’autres termes,

la démocratisation en tant que processus, reflète un complexe revendicatif

extrêmement contradictoire qui se fonde sur le rejet de l’autoritarisme des

régimes « nationalistes » issus de la décolonisation, tout en exprimant la révolte

contre les effets économiques et sociaux des politiques libérales mises en œuvre

par l’ajustement structurel31

.

« La crise des régimes de parti unique Ŕ fait remarquer François Bayart - la montée de la

revendication démocratique dans les nouvelles générations de cadres africains étaient

sensibles dès la fin des années soixante »32

. « La chute du mur de Berlin tout comme le

discours de la Baule ont certes joué un rôle décisif dans la mobilisation des masses qui ont

balayé la plupart des États subsahariens au début de la décennie, mais leur impact doit être

relativisé »33

. Indépendant depuis le 4 avril 1960, le Sénégal n’a jamais connu de coup

d’État militaire. Il a donc toujours été gouverné par des civils, s’octroyant ainsi une

certaine singularité dans la sous-région où la quasi-totalité des pays ont connu des chefs

d’État militaires. « Il offre cette singularité d’être l’un des pays les plus stables d’Afrique

avec cette particularité d’avoir entrepris bien avant les autres, la libéralisation de sa vie

politique, faisant ainsi œuvre de pionnier sur le continent »34

. Cette stabilité, selon l’avis

du constitutionaliste Ismaïla Madior Fall, est à mettre au crédit des acteurs politiques avec

la mise sur pied d’un système pluraliste inséré dans la constitution au lendemain de

l’indépendance.

31

Bathily, Abdoulaye, « La démocratie en Afrique de l’Ouest : état des lieux » Forum des partis politiques,

des medias et de la société civile en Afrique de l’ouest, Cotonou : 2005, p 3 32

Bayart, Jean-François, « La problématique de la démocratie en Afrique noire : la Baule, et puis après ? »

Politique Africaine : no 43 ; Quelle démocratie pour l’Afrique ? 1991, p 5 33

Bayart, Jean-François, « La démocratie à l’épreuve de la tradition en Afrique subsaharienne » Pouvoirs : no

129 : La démocratie en Afrique, 2009, p 32 34

Coulon, Christian, « La démocratie sénégalaise : Bilan d’une expérience » Politique Africaine : no 45 :

Sénégal : la démocratie à l’épreuve, 1992, p 3

Page 37: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

19

Le Sénégal est un pays d’une continuité politique remarquable, n’ayant jamais

de rupture inconstitutionnelle ou brusque dans sa vie politique. Sa particularité

est certainement d’avoir expérimenté presque sans discontinuité le

multipartisme qui fut la règle dans l’évolution politique du Sénégal

contemporain. Du parti unique de fait Ŕ et non de droit Ŕ puisque le pluralisme

a toujours été inscrit dans la constitution Ŕ le système politique a évolué vers le

multipartisme limité d’abord à trois, ensuite à quatre partis, et enfin, vers le

multipartisme intégral depuis 1981. Les sénégalais ont commencé bien avant

leurs voisins l’apprentissage du jeu démocratique pluraliste35

.

« Le premier instrument de la construction de l’État sénégalais Ŕ font remarquer les auteurs

Diop et Diouf pour aborder dans le même sens - fut la rédaction et le vote d’une

constitution, celle-là même qui définit un espace politique et les modalités des relations

entre l’État, ses institutions et les citoyens »36

. Le Sénégal se singularise aussi par le fait

qu’il n’a jamais connu de problèmes interreligieux malgré le fait que les musulmans y

soient majoritaires et à une écrasante majorité (plus de 90%). Il est aussi un symbole de la

tolérance religieuse dans une époque où le religieux, notamment islamique, pose problème

comme en est le cas présentement dans le Nord du Mali par exemple, qui était occupé par

les forces islamistes du mouvement terroriste Al Quaïda, récemment délocalisé par les

forces armées françaises.

Le Sénégal fut d’ailleurs dirigé, après son indépendance en 1960, par un chrétien en la

personne du poète académicien Léopold Sédar Senghor pendant presque deux décennies.

Le Pape Jean Paul II y a effectué une visite officielle sur invitation du Président Abdou

Diouf, musulman de surcroît, et dont l’épouse est une catholique pratiquante. La liberté de

religion et de culte y est aussi une réalité. Il est et se veut un pays laïc qui connaît toutefois,

des revendications à connotation indépendantiste avec le MDFC (Mouvement

Démocratique des Forces Casamançaises). Le Sénégal ne connaît pas également de

problèmes ethniques, ajouté au fait que musulmans et chrétiens cohabitent de façon

pacifique. « Le peuple sénégalais fortement influencé par un islam humaniste et un

35

Fall, Ismaïla Madior, « Une démocratie ancienne en mal de réforme » Rapport sur l’État de la démocratie et

de la participation politique au Sénégal, Dakar : une étude d’AfriMAP et de l’Open Initiative for West Africa

(OSIWA), 2012, p 14 36

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Éditions Karthala, 1990,

p 34

Page 38: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

20

christianisme tolérant, rejette généralement la violence ou le coup de force comme solution

aux problèmes politiques »37

. Ces faits constituent une réalité qui est propre aux régimes

démocratiques, et cela en raison du principe de laïcité.

C’est donc au nom de cette tradition politique pour ce qui est de cet apprentissage des

libertés selon les termes du président Mitterrand, symbolisée par ce culte de la tolérance

religieuse et par l’absence de coup d’État pour la prise du pouvoir qu’il est vu, nous

présumons, comme une démocratie. C’est aussi au nom de ces faits que certains ont peut-

être parlé de l’exception sénégalaise, pour marquer la singularité d’un parcours dans une

Afrique de l’Ouest marquée par l’instabilité politique et le règne de la force en raison de la

prolifération des coups d’État militaires. « Le Sénégal est l’un des pays d’Afrique noire

dont la réputation « démocratique » est bien établie et, son image au niveau international

est celle d’un pays modéré, qui depuis l’indépendance n’a connu ni coup d’État ni crise de

succession »38

. « Ce qui lui a valu le label d’exception de vitrine démocratique, d’oasis

démocratique, dans un désert d’autoritarisme. Ce statut démocratique particulier qui lui est

décerné par la doctrine africaniste et les observateurs des processus politiques africaines

demeure une réalité mais revêt certainement une dimension d’exagération »39

.

En effet, D. B. Cruise O’brien, analysant l’impact du soutien des confréries religieuses

musulmanes au gouvernement lors des élections présidentielle et législative de 1988, a

apporté des observations à ne pas passer sous silence :

Dans une démocratie comme celle du Sénégal, ce soutien équivaut en fait à un

choix très rationnel : aucun gouvernement sortant n’a perdu les élections au

Sénégal depuis l’indépendance. D’ailleurs, on peut se demander comment il en

serait autrement, tant que le vote à bulletin secret restera « optionnel » - faisant

du vote pour l’opposition un acte frisant la témérité Ŕ que les capacités de

clientélisme du gouvernement, tout comme les médias, joueront en faveur de la

37

Fall, Badara, « La démocratie sénégalaise à l’épreuve de l’alternance » dans Afrilex : no 5, 2006, p 11 38

Coulon, Christian, « La démocratie sénégalaise : Bilan d’une expérience » in C. Jaffrelot (dir), Démocraties

d’ailleurs. Démocraties et démocratisation hors d’occident, Paris : Karthala, 2000, p 67 39

Fall, Ismaïla Madior, « Une démocratie ancienne en mal de réforme » Rapport sur l’État de la démocratie et

de la participation politique au Sénégal, Dakar : une étude d’AfriMAP et de l’Open Initiative for West Africa

(OSIWA), 2012, p 3

Page 39: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

21

campagne du Parti socialiste, et enfin tant que le décompte des voix sera

effectué par des fonctionnaires (dont beaucoup sont membres du parti

socialiste) en l’absence de tout parti d’opposition. Dans ces conditions, il serait

facile de ne voir dans l’expérience démocratique du Sénégal qu’une pure

pantomime, un rituel politique destiné peut-être à apaiser les créditeurs

occidentaux Ŕ et autres Ŕ du pays, mais jamais dans l’intention de permettre le

transfert du pouvoir à d’autres dirigeants. Si l’on y regarde d’un point de vue «

sicilien », on peut dire qu’en organisant des élections, le gouvernement

sénégalais fait à l’électorat une proposition que ce dernier ne peut refuser.

Personne pourtant ne peut se désintéresser totalement d’un processus électoral

qui révèle des lézardes traversant l’édifice du pouvoir, alors qu’elles étaient

jusque-là insoupçonnées. En réalité, en légalisant l’existence de pas moins de

seize partis politiques, le pouvoir n’envisage pas de se faire subtiliser le pouvoir

par l’un d’entre eux, encore moins par une coalition (illégale) des partis

d’opposition40

.

Toutefois, en dépit de la pertinence de ces remarques, fondées et soulevant des

incohérences incompatibles avec la logique démocratique, et au-delà des appréciations

positives émises sur le fonctionnement de la démocratie au Sénégal, il n’est toutefois pas

exagéré de soutenir qu’une certaine culture démocratique y est établie, et cela bien avant

1989. « Même si, en Afrique, l’idée, au bout de quarante ans d’indépendance, d’un

modèle politique sénégalais n’est pas facilement soutenable Ŕ soutient Abdoul Aziz Diop -

il ne fait aucun doute que les débats et polémiques politiques ont, sur la période, contribué à

jeter les bases d’une démocratie en construction »41

.

En effet, il est important de mentionner que la démocratisation, entendue comme processus

de transition par la mise en place de dispositifs institutionnels et de mécanismes de contrôle

pour une concrétisation de la démocratie a débuté en 1981, plus précisément avec l’arrivée

d’Abdou Diouf aux commandes de l’État. Désigné comme chef de l’État après la

démission du Président Senghor le 31 décembre 1980, il s’est voulu différent de son

prédécesseur dont il fut le premier ministre pendant dix années consécutives. Pour ce qui

est de la gestion de l’État, il a voulu faire et a fait autrement. « Rien ne sera plus comme

avant » avait dit son nouveau premier ministre Habib Thiam. En effet, alors que sous

40

Cruise O’Brien, Donald, B « Le contrat social sénégalais à l’épreuve » Politique Africaine : no 45 :

Sénégal : la démocratie à l’épreuve, 1992, p 16 41

Diop, Abdoul Aziz, Une succession en démocratie : les sénégalais face à l’inattendu, Paris, Éditions

L’Harmattan : 2009, p 27

Page 40: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

22

Senghor, la loi des courants de pensée (socialisme Ŕ libéralisme Ŕ conservatisme Ŕ

communisme) de 1976 limitait le nombre de partis politiques à quatre, il en sera autrement

avec Abdou Diouf qui, avec la loi du 6 mai 1981 portant révision constitutionnelle, avait

introduit un multipartisme sans limite.

La loi constitutionnelle de 1976 avait institué un régime de tripartisme complété

en 1978 avec la reconnaissance d’un parti conservateur, qui devenait le

quatrième parti. Le Président Abdou Diouf avait mis fin à ce régime restrictif

et désormais, non seulement il n’y avait plus de limitation du nombre de parti,

mais on ne parlait plus de courant de pensée. C’était donc l’ouverture

démocratique totale et quinze partis politiques avaient obtenu leur récépissé42

.

« Réconforté par les élections de 1983 dont il fut le vainqueur avec plus de 80% des

suffrages exprimés et légitimé par le verdict des urnes Ŕ fait remarquer O’brien - Il n’est

plus l’homme de Senghor, l’héritier de la présidence par le simple jeu d’une technique

constitutionnelle, il est désormais président de par la volonté populaire »43

. C’est en effet

sous son règne que l’on a assisté à la dépolitisation des portefeuilles ministériels pour faire

appel à des compétences non partisanes et cela, juste après les élections présidentielles et

législatives du 27 février 1983. C’est aussi sous sa gouverne que l’on a assisté à l’entrée de

certains leaders de l’opposition au gouvernement.

L’ancien chef de l’État, Me Abdoulaye Wade, a été ministre d’État sans portefeuille dans le

cadre du GMPE (Gouvernement de Majorité Présidentielle Élargie) du 7 avril 1991, tout

comme dans celui du GROC (Gouvernement de large Rassemblement, d’Ouverture et de

Consensus) de 1995. C’est aussi sous son magistère que l’on assisté à la suppression du

visa de sortie du territoire national, « tant décrié par les Sénégalaises et les Sénégalais, qui

pouvaient désormais aller et venir à leur guise »44

. C’est enfin sous sa gestion, sans être

exhaustif, que le code électoral (témoin de sa défaite le 19 mars 2000) s’est vu révisé,

amélioré et promulgué le 7 février 1992 :

42

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique : 1960 Ŕ

2008, Paris : Éditions Karthala, p 131 43

Cruise O’Brien, Donald B, « Les élections sénégalaises du 27 février 1983 » Politique Africaine, no 11 :

Les chemins de la démocratie, 1983, p 7 44

Niang, Mody, Abdou Diouf : 40 ans au cœur de l’État Socialiste au Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2009, p 61

Page 41: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

23

Le nouveau Code électoral constituait un net progrès par rapport à ces

prédécesseurs qui ne permettaient pas une élection transparente. Il introduisait

des innovations majeures : baisse de l’âge électoral de 21 à 18 ans, octroi du

droit de vote aux émigrés, identification des électeurs sur tout le processus

électoral (au moment des inscriptions sur les listes électorales, du retrait des

cartes d’électeurs auprès des commissions de distributions desdites cartes, du

vote dans les bureaux préparés à cet effet, encre indélébile obligatoire après

l’opération de vote, contrôle de toutes les opérations par les partis politiques,

révisions des listes électorales, fichier électoral, signatures des procès-verbaux,

recensements des votes aussi bien au niveau départemental que national, etc),

supervision des élections par la cour d’appel dont le Premier président préside

ou fait présider par un magistrat les commissions de recensement des votes et

proclame les résultats provisoires, tandis que le contentieux électoral et la

proclamation des résultats définitifs relevaient du Conseil Constitutionnel45

.

On a donc assisté avec Abdou Diouf à un renforcement de l’effervescence de la culture

démocratique, au nom de laquelle, faut-il le rappeler, il a accepté sa défaite en mars 2000.

« L’observation de la trajectoire politique sénégalaise dans la longue durée montre que la

phase qui commence à la fin des années 1980 constitue un progrès par rapport au contexte

qui a suivi les indépendances (renforcement de la liberté d’expression et d’association, rôle

de plus en plus important des ONG dans les activités nationales, meilleure prise en compte

des droits des femmes, diversification des moyens d’information) »46

.

Cela précisé, il est important de mentionner que le Sénégal partage toutefois avec les autres

pays de l’Afrique en général et ceux de l’Afrique de l’Ouest en particulier un dénominateur

commun à savoir : la pauvreté. « Sur les 6 milliards d’habitants de la planète, 2,8 milliards,

soit presque la moitié, vivent avec moins de deux dollars par jour et 1,2 milliards ont moins

d’un dollar par jour pour vivre. Le Sénégal n’est pas épargné avec plus de 65% de la

population vivant au-dessous du seuil de pauvreté »47

. Il est un pays sous-développé et

avec une économie extrêmement faible. « Il est confronté à une pauvreté de type structurel

45

Niang, Mody, Abdou Diouf : 40 ans au cœur de l’État Socialiste au Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2009, p

113 46

Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris, Karthala, 2002, p 73 47

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar : 2001, p 14

Page 42: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

24

qui est la principale caractéristique du sous-développement »48

. C’est dans cette optique

qu’il faudrait comprendre le recours par son gouvernement, au début des années 80 à des

instances comme le FMI et la Banque mondiale, pour apporter les correctifs appropriés à

son économie qui était fortement affaiblie. Mais le support des créditeurs Ŕ il est important

de le mentionner Ŕ n’était pas sans conditions.

D. DES EXIGENCES OU CONDITIONNALITÉS DU FMI ET DE LA BANQUE

MONDIALE

Face à la dégradation sévère des finances publiques Ŕ fait remarquer Gilles Duruflé Ŕ les

autorités sénégalaises avaient adopté en 1979 un « plan à moyen terme de redressement

économique » et avaient fait appel au FMI avec lequel a été conclu en août 1980 un accord

de facilité élargie pour une durée de trois ans49

. Appelés donc par un gouvernement à

l’économie agonisante, les créditeurs (FMI et Banque Mondiale) allaient poser un certain

nombre de conditions que le gouvernement du Sénégal était dans l’obligation d’accepter

pour pouvoir bénéficier du PAS.

Pour solutionner l’état de crise dans lequel se sont trouvées plongées les

économies africaines, les Institutions Financières Internationales (IFI) ont

progressivement imposé un nouveau paradigme : la mise en place de réformes

visant à corriger les distorsions de ces économies et, de ce fait, créer un climat

propice à la croissance. Dans pareil contexte, l’approche du FMI et de la

Banque mondiale consiste à vouloir modifier les structures de l’État qui

encadrent l’environnement économique pour les rapprocher du modèle du libre

marché50

.

Une nouvelle approche dans la manière de gérer la société et de nouvelles mesures

politiques pour rendre concrète et efficace cette gestion allaient ainsi caractériser le

programme des ajustements structurels. Une place importante et même prépondérante allait

48

Diouf, Makhtar & Al, « Le Sénégal à l’épreuve du document stratégique de réduction de la pauvreté

(DSRP) : une analyse indépendante de la société civile au Sénégal. Évaluation du DSPR : approche

économique » dans Pauvreté et hégémonismes : les sociétés civiles face aux ajustements de type nouveau,

Dakar, 2002, p 86 49

Duruflé, Gilles, L’ajustement structurel en Afrique : Sénégal Ŕ Côte d’Ivoire Ŕ Madagascar, Paris : Éditions

Karthala, 1988, p 37 50

Gervais, Myriam, « Dimensions politique de l’ajustement et redéfinition du rôle de l’État africain : position

de l’aide canadienne » Centre d’études sur les régions en développement, Montréal, 1996, p 69

Page 43: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

25

être accordée à l’économie. Le Sénégal pour parler comme Jacques Sapir « était confronté

à cette double tendance qui voyait l’économie s’imposer comme une forme privilégiée de

l’action politique tout en se dépolitisant et en se réduisant à une technique »51

.

L’adoption de la thérapie économique du FMI n’est pas seulement une

condition à l’obtention de nouveaux prêts de la part des institutions

multilatérales. Elle donne aussi le « feu vert » aux clubs de Paris et de Londres,

aux investisseurs étrangers, aux banques commerciales et aux donateurs

bilatéraux. Les pays qui refusent d’adopter les recommandations du FMI

rencontrent de graves difficultés dans le rééchelonnement de leur dette. De

plus, le FMI dispose de moyens qui peuvent perturber sérieusement une

économie nationale. Les pays réfractaires sont placés sur une liste noire : le

crédit à court terme est bloqué, provoquant du même coup le gel du commerce

international52

.

Des politiques publiques qui sont « affaire de démocratie53

» pour parler comme Giraud &

Warin, furent érigées dans la mise en application du PAS avec le seul consentement d’un

pouvoir exécutif soutenu en raison de l’architecture constitutionnelle, par des

parlementaires militants et partisans dans cette démocratie d’exception. Ainsi, au niveau de

la fonction publique, les fonctionnaires sénégalais avaient assisté sans possibilité de s’y

soustraire à la politique des départs volontaires tout comme les masses rurales et paysannes

avaient assisté sans autre alternative à la Nouvelle politique Agricole qui allait mettre un

terme aux subventions des produits agricoles.

C’est également au nom du PAS (Programme d’Ajustement Structurel) que le sort des

travailleurs sénégalais s’était vu fragilisé par une législation du travail revue et corrigée

pour être au service du patronat sénégalais en particulier et étranger en général. Pour faire

51

Sapir, Jacques, Les économistes contre la démocratie : Pouvoir, mondialisation et démocratie, Paris :

Éditions Albin Michel, 2002, p 14 52

Chossudovsky, Michel, La mondialisation de la pauvreté, Montréal : Éditions Écosociété, 1998, p 47 53

« Qu’elles soient locales, nationales ou européennes, ou même de plusieurs niveaux à la fois, les politiques

Ŕ selon les auteurs et nous partageons leur avis Ŕ sont conçues, décidées et mises en œuvre à travers

l’intervention d’acteurs politiques et administratifs désignés ou autorisés pour accomplir une mission d’intérêt

général, censée être l’expression du processus démocratique » [Giraud, Olivier, Warin, Philippe, « Les

politiques publiques : une pragmatique de la démocratie » dans Politiques publiques et démocratie,

Recherches. Recherches, Paris, Éditions La Découverte : 2008, p 8].

Page 44: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

26

bref, c’est avec la mise en application dudit programme que les autorités gouvernementales

avaient commencé à parler du désengagement de l’État pour asseoir en vérité, des

politiques publiques qui n’allaient être ni discutées et encore moins débattues. Privatisation

et Déréglementation allaient être les supports des nouvelles politiques issues de ce

programme. Même si, dans la pratique, il s’agissait « d’une réglementation de second ordre

»54

, il ne serait pas faux de soutenir que ce désengagement avait pour objectif entre autres

de mettre un terme à la mission sociale de l’État. Dit autrement, ce désengagement

signifiait pour les autorités gouvernementales d’assigner à l’État un nouveau rôle, une autre

mission avec comme mandat d’être au service exclusif du secteur économique.

Le tournant cognitif a permis de porter un regard nouveau sur les tournants des

politiques publiques à l’échelon national et international à tel point que les

idées globales, sous forme de paradigmes ou de référentiels constituant des

ensembles discursifs relativement cohérents, ne représentent pas seulement des

infrastructures idéationnelles reflétant les évolutions réelles, mais sont des

forces majeurs contribuant à déterminer le choix des options, à éliminer

certaines conceptions du problème et des politiques et à fournir les symboles et

les philosophies du monde qui légitiment les décisions prises55

.

En renvoyant donc le citoyen et son groupe social à eux-mêmes, au nom du respect des

conditionnalités émises par le FMI et la Banque Mondiale, il est légitime de soutenir que le

gouvernement avait choisi de compromettre sa légitimité. En évoquant par exemple

l’efficacité de l’État minimal par l’entremise du slogan : moins d’État mieux d’État, le

gouvernement entendait ainsi justifier non seulement son choix, mais également et surtout

procéder à la légitimation de ces nouvelles politiques Ŕ publiques nous rappelons Ŕ qui

devraient faire normalement l’objet d’un débat auprès des parlementaires dans un pays qui

se considère comme une démocratie.

54

Vachet, André, L’idéologie libérale. L’individu et sa propriété, Ottawa : les Presses de l’Université

d’Ottawa, 1988, p 13 55

Merrien, François-Xavier, « Du néolibéralisme à la nouvelle gouvernance libérale » dans Politiques

publiques et démocratie, Recherches, Paris : Édition La Découverte : 2008, p 321

Page 45: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

27

Par souci également de s’inscrire dans sa logique d’ouverture et d’innovation démocratique

le gouvernement avait choisi d’expliquer aux populations les choix de ses nouvelles

politiques qui, faudrait-il le rappeler, avaient été formulées d’avance par des instances

autres que locales ou nationales. C’est dans ce sens qu’il faudrait situer et comprendre la

politique des départs volontaires qui, dans le fond, n’avait rien de volontaire en ce sens

qu’elle avait pour objectif de désengorger la fonction publique. C’est aussi dans ce sens

également qu’il faudrait également situer les tournées auprès des populations pour

expliquer Ŕ nous disons justifier - par l’entremise du slogan l’ajustement structurel à visage

humain, l’impératif d’un programme qui n’allait épargner personne. Les socialistes,

pourrait-on dire, s’étaient organisés pour être politiquement corrects.

C. DE LA PERTINENCE SOCIALE ET SCIENTIFIQUE DE NOTRE ÉTUDE

Nous tenons à préciser que notre étude ou réflexion est justifiée par le fait que si les

conséquences des politiques du PAS (Programme d’Ajustement Structurel) au plan

économique ont été vigoureusement dénoncées et bien documentées, celles par contre au

plan politique et surtout dans un contexte d’ajustement et d’innovation au regard de la

démocratie et de ses exigences ont été peu évoquées56

pour ne pas dire inexistantes. Les

effets des politiques issues du PAS au plan social sont connus : perte d’emplois Ŕ baisse du

56

« L’analyse a montré que le système politique sénégalais Ŕ selon les auteurs Diop & Diouf Ŕ malgré les

masques du discours officiel ne peut pas être assimilé à une démocratie libérale » [Diop, Momar, Diouf,

Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Éditions Karthala : 1990, p 411]. « Etienne Leroy Ŕ selon les

auteurs Ŕ dans son article intitulé : Enjeux, contraintes et limites d’une démocratisation d’une administration

territoriale : Les communautés rurales sénégalaises (1972-1980) dans Annuaire du Tiers monde, 8 : 1982/83,

Paris : Nathan, 1984, pp 61-64 « s’est penché sur cette question et a montré que des facteurs comme la

difficulté de participation à l’élaboration des décisions, le rôle du clientélisme dans le contrôle de l’appareil

d’État ne permettent pas l’intervention directe du peuple » [Ibidem]. « Ce phénomène a été accentué ces

dernières années Ŕ selon les auteurs Ŕ par le fait que le contexte des programmes d’ajustement structurel est

marqué par une forte pression des institutions financières qui diffusent la restructuration économique »

[Ibidem]. « L’élaboration de ce projet économique échappe de plus en plus aux élites locales et menace même

certaines franges de la bourgeoisie bureaucratique, c’est-à-dire l’espace social qui fonde le régime politique

du côté des classes dominantes qui en font théoriquement partie intégrante » (Habib El Maliki : 18) [Ibidem].

« L’enjeu de cette restructuration pour la bourgeoisie d’État est qu’une partie du pouvoir économique peut lui

échapper, et la restructuration des banques illustre bien ce phénomène » [Ibidem]. « Etienne Leroy Ŕ font

remarquer les auteurs Ŕ résume bien cette situation lorsqu’il note que le peuple et la nation, puissances

légitimantes de la compétition politique, sont en fait exclus de la gestion directe des affaires qui relève d’une

autre réalité : c’est la capacité de négociation des diverses factions politiques entre elles et avec les forces qui

assurent le financement du développement (État français, Fonds européen de Développement, Banque

mondiale, clients de produits phosphatés, banques arabes, etc.) qui détermine réellement les orientations

politiques et les options institutionnelles et idéologiques » [Ibidem].

Page 46: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

28

pouvoir d’achat Ŕ nouvelle forme de pauvreté [Rapport national sur le développement

humain : PNUD 2001 Ŕ Diop & Diouf : 1990 Ŕ Diouf : 1992]. Au plan économique, il a

été prouvé que les objectifs visés Ŕ du moins pour les pays africains Ŕ n’ont pas été atteints

[Rapport national sur le développement humain : PNUD : 2001 Ŕ Duruflé : 1988] alors que

les conséquences politiques ou dans le cheminement politique des pays dans un contexte où

a coexisté politique d’ajustement et démocratisation ou tentative de démocratiser l’espace

public n’ont pas fait l’objet d’une étude ou analyse rigoureuse pour des démocraties

émergentes ou en construction.

Élève modèle des politiques d’ajustement depuis 1981, la Côte d’Ivoire s’est

déclarée en cessation de paiement. Premier pays africain bénéficiaire d’un prêt

d’ajustement de la BIRD en 1980, le Sénégal est sous perfusion depuis lors.

Contraint par la pénurie de devises d’appliquer les conditions du FMI,

Madagascar va de dévaluation en dévaluation sans qu’aucun rétablissement ne

soit en vue et la liste pourrait être allongée. Il est très peu de pays d’Afrique

noire qui ne soient ainsi surendettés et engagés dans des programmes

d’ajustement dont on ne voit guère le terme. Elle pourrait être complétée par

une longue suite de témoignages alarmants sur la dégradation des conditions de

vie des populations : émeutes face au renchérissement des produits de première

nécessité comme en Zambie, progression de la malnutrition et apparition de la

faim à Madagascar, ou encore dans la plupart des pays Ŕ dont le Sénégal et la

Côte d’Ivoire Ŕ stagnation ou dégradation des services sociaux de base, comme

la santé et l’éducation, et appauvrissement de couches importantes de la

population57

.

E. DE NOS INTERROGATIONS ET DE LEUR PERTINENCE ACTUELLE

Considérant que le PAS (Programme des Ajustements structurels) préconisé par les

bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque Mondiale) et dont les conditionnalités avaient donné

naissance à des politiques publiques telles que la Nouvelle Politique Agricole et la Nouvelle

Politique Industrielle par exemple, par quoi expliquer ou comprendre que de telles

politiques n’aient pas été soumises à la sanction du peuple souverain ? Autrement dit, était-

il démocratique de se soustraire de l’avis des populations pour mettre en place des

politiques même censées les servir ? Une telle attitude était-elle acceptable ou concevable

en démocratie ?

57

Duruflé, Gilles, L’ajustement structurel en Afrique : Sénégal Ŕ Côte d’Ivoire Ŕ Madagascar, Paris : Éditions

Karthala, 1988, p 5

Page 47: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

29

Assurément non, pour rappeler que la démocratie ne pourrait en aucun cas se réduire à une

méthode pour aboutir à des décisions politiques (Schumpeter)58

ou, à un mécanisme ou une

procédure pour choisir des dirigeants ou des décisions de gouvernement (Hayek). Elle est

bien plus que cela en ce sens qu’elle se veut aussi projet de société. « Quand on confie à

des économistes Ŕ fait remarquer Jacques Sapir et nous en convenons - ou simplement au

raisonnement économique, le soin de guider des décisions dont l’ampleur et les

conséquences dépassent de loin l’économie, cette question devient légitime »59

. « Un

pouvoir Ŕ de rappeler avec force Norbert Lenoir et nous en convenons également Ŕ s’il est

démocratique, n’est pas responsable devant des experts, mais devant des citoyens »60

.

Aussi, il est important de mentionner que bien que le choix des responsables

gouvernementaux par le biais des élections soit une des valeurs les plus sûres et attrayantes

en démocratie, il comporte malheureusement des limites qui font que la démocratie ne peut

se limiter au simple choix des gouvernants ou à des décisions politiques :

« La réalisation de la démocratie postule l’intervention des citoyens, et dans la

perspective de l’individualisme libéral, l’intervention normale passe par la

participation à l’élection. Le choix d’un bulletin de vote pour la désignation de

représentants en constitue l’acte essentiel selon lui. Mais à l’évidence, cette

intervention est trop rare, trop épisodique pour que s’estompe le clivage entre

gouvernants et gouvernés. L’intervention multiforme des citoyens dans la

58

Il existe des idéaux et intérêts suprêmes Ŕ nous dit Schumpeter - que le plus ardent démocrate place au-

dessus de la démocratie et, en professant une allégeance inébranlable à ce régime, il exprime simplement sa

conviction profonde que la démocratie garantira ces idéaux et ces intérêts Ŕ liberté de conscience, liberté de la

presse, gouvernement honnête, et ainsi de suite. Or Ŕ poursuit Schumpeter Ŕ il n’est pas besoin de chercher

bien loin pour découvrir la raison pour laquelle la démocratie ne saurait être tenue pour un idéal suprême. La

démocratie est une méthode politique Ŕ poursuit-il - en d’autres termes, un certain type d’organisation

institutionnelle visant à aboutir à des décisions politiques Ŕ législatives et administratives Ŕ et, par

conséquent, elle ne peut constituer une fin en soi, indépendamment des décisions qu’elle sécrète dans des

conditions historiques données [Schumpeter, Joseph, Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris : Payot :

1951, pp : 367-368]. C’est précisément cette conception fonctionnelle qui doit servir de point de départ à

toute tentative visant à définir la démocratie (ibidem, p 368). Nous rappelons simplement que cette méthode

politique pour paraphraser Schumpeter se veut aussi vigilance via ses mécanismes de contrôle, et transparence

pour ce qui est des agissements des gouvernants, et c’est pour cela qu’elle est plus qu’une méthode politique.

Nous disons qu’elle est certes une méthode pour gouverner, mais qui ne se limite pas seulement aux choix des

dirigeants et à leurs décisions. Elle exige que ces derniers rendent compte et sachent également qu’ils

peuvent être interpelés et à tout moment dans le cadre de leur gestion, et cela au nom de l’individu et de la

communauté. Elle est par conséquent un projet de société. 59

Sapir, Jacques, Les économistes contre la démocratie : Pouvoir, mondialisation et démocratie, Paris :

Éditions Albin Michel : 2002, pp 14-15 60

Lenoir, Norbert, La démocratie et son histoire, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p 14

Page 48: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

30

quotidienneté peut seule permettre une participation assez intense pour donner

réalité à la démocratie61

.

À cette première modalité d’intervention qui est l’élection, et qui interpelle directement

l’individu, il y a aussi le référendum qui par contre interpelle directement le peuple ou la

communauté des individus sur des questions pour lesquelles leur avis doit être connu, et

éventuellement pris en compte (dans le meilleur des cas) en démocratie. Ces méthodes

démocratiques (l’élection et le référendum) sont ainsi (et non les seuls d’ailleurs) des

mécanismes indispensables au bon fonctionnement de la démocratie (Hayek)62

.

De telles interrogations sont d’actualité et interpellent directement la démocratie en raison

de ce qui se passe en Grèce par exemple. En effet, dans un contexte international devenu

exigeant pour une effectivité concrète et non formelle de la liberté de l’individu et de sa

communauté, et qui continue à travers le forum de l’ONU (Organisation des Nations Unies)

à dénoncer et à combattre les régimes autoritaires, comment expliquer ou comprendre par

exemple que des politiques économiques décidées pour un pays par une instance

61

Leroy, Paul, Les régimes politiques du monde contemporain. Introduction générale. Tome 1 : Les régimes

politiques des États Libéraux, Grenoble : Les Presses universitaires de Grenoble : 1992, p 60 62

« Il sera probablement clair pour le lecteur que tout le travail a été inspiré par une appréhension croissante

devant la direction prise par l’ordre politique, dans les pays que l’on regardait jadis comme les plus évolués.

Ma conviction grandissante, dont le livre donne les raisons, que ce dangereux glissement vers l’État totalitaire

est rendu inévitable par certains vices de construction, profondément situés dans le type généralement accepté

de gouvernement dit démocratique, m’a obligé à envisager attentivement des solutions de remplacement. Je

tiens à redire ici que je crois profondément aux principes de base de la démocratie en tant que seule méthode

encore connue pour rendre possible des changements non violents; je suis par conséquent très inquiet de voir

combien la désillusion grandit chez ses partisans en tant que méthode souhaitable de gouvernement Ŕ

désillusion considérablement renforcée par l’abus de plus en plus fréquent du mot pour désigner des

prétendues finalités de gouvernement. Quoi qu’il en soit, je suis chaque jour plus convaincu que nous allons

vers une impasse dont les dirigeants politiques proposeront de nous arracher par des moyens désespérés »

[Hayek, Friedrich, L’ordre politique d’un peuple libre, tome 3 Droit, législation et liberté, Paris : Presses

universitaires de France : 1995, p 11]. Tels sont les propos tenus par Friedrich Hayek comme avant-propos

dans le troisième tome de son ouvrage intitulé Droit, législation et liberté : l’ordre politique d’un peuple libre.

Nous tenons d’emblée à faire la remarque suivante : croire aux principes de bases de la démocratie en tant que

seule méthode [encore] connue : (ce mot n’est pas neutre) pour rendre possible des changements non violents

Ŕ ne fait pas de Hayek un démocrate. Son hostilité envers le principe de majorité et son refus de voir dans la

démocratie une finalité pour des raisons que nous qualifions de fallacieuses, restent des indicateurs sur l’idée

qu’il s’est fait de la démocratie, à savoir un mécanisme pour prendre des décisions de gouvernement. Ce qui

est réducteur, parce que privant la démocratie de substance, c’est-à-dire d’être un cadre pour combattre

l’arbitraire dans toutes ses formes.

Page 49: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

31

régionale63

légitime soit-elle et souvent asociale dans son approche, et qui remettent

profondément en cause la liberté de la personne ne soient pas dénoncées par les instances

internationales appropriées ?

Il y’a finalement des questions et des problèmes politiques qui concernent en

propre des communautés (historiques et géographiques) de destin, question qui

ne peuvent bien souvent être prises en charge que par elles. Un pouvoir ou des

institutions supranationales qui s’occuperaient des services de proximité ou des

mesures de redistribution du revenu liées aux programmes sociaux

apparaîtraient comme détours inutiles et seraient dans bien des cas condamnés à

l’inefficacité la plus banale64

.

Si ce silence est donc révélateur du malaise démocratique et de ses apories ou est à mettre à

l’actif du « mal démocratique » pour emprunter l’expression à Marcel Gauchet, comment

comprendre par exemple que de grandes démocraties comme la France et l’Allemagne en

sont arrivées à reléguer au second plan le droit des individus à se prononcer sur des

politiques qui les concerne au premier plan ?

Notre travail ambitionne de préciser, de rappeler voire d’édifier ainsi sur l’acceptable et le

faisable en démocratie, et plus précisément en Afrique, où elle sert présentement de cité

refuge pour presque tous les chefs d’État peu soucieux et dans certains cas, indifférents

voire hostiles à son effectivité. Notre travail ambitionne également à ce niveau de faire

comprendre et de faire saisir que la démocratie ne saurait se réduire et ne se réduit pas à

l’organisation d’élections libres et transparentes soient elles ou à une alternance plurielle

soit-elle pour ce qui est de la gestion de l’État. Elle est plus que cela.

63

C’est le lieu de souligner notre opposition, par souci de protéger et de préserver la liberté de l’individu et de

la société, et cela dans le but de ne pas la rendre formelle, à une instance régionale dont la légale légitimité

est uniquement soutenue par des impératifs exclusivement économiques. Cette instance régionale, rêvée et

tant souhaitée par les partisans ou adeptes du post national (David Held), en déphasage complet avec les

réalités nationales (Joseph Yvon Thériault), ne pourrait être en aucun cas une avancée pour la démocratie. Le

cadre adéquat et approprié pour prendre des décisions dont l’ampleur et la portée sur l’individu et la société

dépassent, et de loin la compétence et la vigilance des experts, reste l’État nation. C’est cette idée que nous

avons soutenue dans le cadre de notre étude de maîtrise sous le titre : L’exercice de la démocratie dans un

contexte de gestion néolibérale (2000). 64

Gagné, Gilles, « Essai sur la situation politique au Québec » dans Société no 27 : La suite du monde, 2007,

p 163

Page 50: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

32

L’alternance ne signifie nullement que la démocratie est définitivement acquise

et/ou consolidée. Au contraire, une fois cette phase atteinte, le plus difficile

résidera dans le maintien et le renforcement des acquis démocratiques au

quotidien. En d’autres termes, la démocratie ne s’installe pas sur un fait

(l’alternance), mais sur une longue période de faits qui créent chez le

gouvernant comme chez le citoyen une maturité et une culture telles qu’un seuil

minimum de respect des libertés individuelles et des principes de l’État de droit

soit une constante des valeurs qui caractérisent le pays. Cette exigence est un

pari difficile qui dépasse nécessairement la période coïncidant avec un

changement d’homme, fût-il important à la tête de l’État65

.

E. DE NOTRE QUESTION SPÉCIQUE ET DE NOTRE ORIENTATION

THÉORIQUE

Il est important de préciser que la notion d’exception sénégalaise a pris naissance dans un

contexte où des politiques publiques ont été décidées par des instances autres que locales,

voire nationales. Ces politiques ont été mises en exécution par le gouvernement sous

l’emprise d’une certaine conditionnalité qui lui a été imposée par les principaux créditeurs

ou bailleurs de fonds (FMI et la Banque mondiale). À ce procédé extérieur et étranger à la

démocratie, devait s’y ajouter un autre qui n’était pas sans affecter le processus

démocratique. Lors de la mise en place du PAS (Programme des Ajustements Structurels),

le consentement des populations (urbaines et rurales) avait été ignoré dans la mise en

application de ces politiques publiques.

Cette absence de consentement des populations dans la mise en place de certaines

politiques publiques n’était pas sans affecter la démocratie et son processus. La démocratie

a fait de la consultation à la fois un outil et un mécanisme de gestion des différentes

sensibilités qui forment la société. Le processus démocratique fait de cette consultation une

obligation parce que source de légitimité, qui ne puise sa source que dans et par le

consentement des populations. Le consentement de l’individu et de la société confèrent et

donnent une légitimité pleine et entière à la mise en place de toute politique publique. Cela

est d’autant plus vrai si l’on considère que la légitimité est l’essence même de la

démocratie.

65

Fall, Badara, « La démocratie sénégalaise à l’épreuve de l’alternance » dans Afrilex : no 5, 2006, p 62

Page 51: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

33

Cette absence de consentement des populations Ŕ il est important de le mentionner - était

par conséquent un déni au processus démocratique. Nous sommes ainsi en accord total

avec Locke qui fait du consentement la dimension la plus importante du lien social, et par

extension la plus importante en démocratie. A ce manque d’implication des populations, il

faut y ajouter le fait que leurs légitimes représentants, c’est-à-dire les députés, étaient

exclus du processus lors de la mise en place du PAS (Programme des Ajustements

Structurels). Considérant que ces manquements précités sont étrangers à la démocratie et à

son processus, et compte tenu de l’impuissance du gouvernement sénégalais face aux

exigences des créditeurs (FMI & Banque mondiale), et surtout lorsque ces exigences

remettent profondément en cause sa souveraineté pour la formulation de ses politiques

internes ou nationales, il nous apparait non seulement légitime mais fondamental de nous

poser la question suivante : Pouvons-nous considérer le Sénégal comme une démocratie

souveraine ? Mieux, pouvons- nous considérer le Sénégal comme une véritable démocratie

?

Comme va le démontrer notre travail, nous répondons par la négative en soutenant que la

démocratie est un régime politique dans lequel les gouvernants (autorités

gouvernementales) ont la liberté réelle (pouvoir souverain) et non formelle de décider des

politiques qu’ils jugent essentielles et vitales à l’intérêt général des populations (rurales et

urbaines). Nous appelons liberté formelle celle qui est fondée sur ce sentiment ou cette

impression, renforcée par cette conviction et cette certitude d’avoir la liberté de choisir ou

de pouvoir choisir alors qu’en réalité, une telle possibilité est inexistante. La démocratie

est aussi un régime politique dans lequel les pouvoirs (exécutif Ŕ législatif- judiciaire) sont

équilibrés en raison du principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs. Notre

travail se propose sur la base des constats mentionnés plus haut, et de notre questionnement

de faire une analyse de la mise en place du PAS, et de ses conséquences sur le rôle de l’État

d’une part et sur le type de démocratie d’autre part.

Page 52: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

34

Autrement dit, il s’agit dans le présent travail de faire une analyse politique de certaines

décisions économiques dans l’objectif de faire ressortir leur influence sur le nouveau rôle

de l’État entendu comme gouvernement et sur le type de démocratie engendré par le «

choix » et la nature des politiques. Notre thèse va montrer que les politiques issues de ces

ajustements, au regard de leur mise en place et dans un contexte où non seulement l’avis,

mais aussi le consentement des populations ont été ignorés, y compris celui de leurs

légitimes représentants, ne permettent en aucun cas de considérer le Sénégal comme une

démocratie sociétale, mais plutôt comme une démocratie institutionnelle.

Il y a lieu de préciser qu’il existe des fondamentaux en démocratie. Par fondamentaux,

nous entendons des critères qui doivent obligatoirement exister en démocratie. Ces critères

en constituent l’âme, voire l’esprit de la démocratie. Ils ne peuvent pas être contournés au

risque de les dénaturer, c’est-à-dire de les dépouiller de leur substance qui fait leur essence.

Il y a d’abord le critère de la majorité pour la mise en place d’un gouvernement qui serait le

reflet de la volonté des populations. Il y a ensuite un parlement qui contrôle et surveille le

travail du gouvernement. Il y a enfin des mécanismes de contrôle pour une utilisation

saine, voire transparente des finances publiques. Ces fondamentaux sont d’ailleurs résumés

dans le schéma présenté par le Président Mitterrand à ses homologues chefs d’états

africains lors de la rencontre de la Baule de juin 1990 pour les exhorter à choisir la

démocratie comme modèle de gestion de la cité.

Une telle intention exigera de notre part une analyse du contenu de cette démocratie pour

en extraire les caractéristiques, et éventuellement les soumettre ou procéder à une analyse

comparative avec la démocratie dite sociétale, inclusive parce que ouverte à tous les

citoyens, reposant entre autres sur les appréhensions émises par Mill66

et Montesquieu67

, et

66

Des hommes foncièrement bons et vertueux Ŕ avertit Mill Ŕ peuvent cultiver les intérêts les plus égoïstes

une fois qu’ils s’assurent des leviers de commande du gouvernement, d’où l’urgente nécessité de mettre selon

lui - un ou des mécanismes de contrôle pour contrer et empêcher cette virtualité. « L’un des plus grands

dangers qui guettent la démocratie, au même titre que toutes les autres formes de gouvernement, réside dans

les intérêts sinistres des détenteurs du pouvoir : c’est le danger d’une législation de classe, d’un gouvernement

destiné à satisfaire (qu’il y parvienne ou non) les intérêts immédiats de la classe dominante au détriment

durable de tout. Et l’une des questions les plus importantes à prendre en considération pour déterminer ce

que sera la meilleure constitution d’un gouvernement représentatif concerne la manière d’introduire des

Page 53: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

35

faisant office dans toutes les grandes démocraties (États-Unis Ŕ France - Canada) en ce sens

que, ni la forme de l’État (unitaire, fédérale ou confédérale), et encore moins le type de

régime (présidentiel-parlementaire ou autre) ne constituent une entrave ou un obstacle à sa

mise en place ou à son existence. Nous faisons allusion au principe de l’équilibre et de la

séparation des pouvoirs qui est un absolu en démocratie.

Nous allons utiliser comme grille d’analyse ce schéma dont parle le Président Mitterrand

pour présenter schématiquement la démocratie sociétale française ou occidentale (système

représentatif Ŕ élections libres Ŕ multipartisme Ŕ liberté de presse Ŕ indépendance de la

magistrature Ŕ refus de la censure) après une analyse de la démocratie Ŕ il est important de

le mentionner Ŕ dans son versant liberté pour faire ressortir l’importance du consentement

en démocratie et également par rapport au processus démocratique. À ce dernier niveau,

nous voulons surtout faire ressortir l’importance de prendre en considération ce que nous

appelons cette exigence impérative en démocratie et qui consiste à demander l’avis des

populations, et dans le meilleur des cas à prendre en considération cet avis dans la

formulation des politiques.

F. DE NOTRE PLAN DE TRAVAIL

Ainsi, en ce qui a trait à notre plan de travail, nous parlerons dans une première section des

objectifs politiques (1) du programme des ajustements structurels. Dans cette section, nous

parlerons d’abord de l’intention des créditeurs de vouloir mettre un terme à la mission

garde-fous efficaces contre ce mal » [Mill, John Stuart, Considérations sur le gouvernement représentatif,

Paris : Gallimard, 2009, p 118]. 67

« C’est une expérience éternelle Ŕ dit Montesquieu Ŕ que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser,

il va jusqu’ à ce qu’il trouve des limites… Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la

disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » [Montesquieu, Charles Louis de seconda, De l’esprit des

lois. 1. Paris : Éditions Gallimard, 1995, p 326]. En accord total avec Mill pour contrer cette virtualité

présente chez le genre humain, et en accord total également avec Montesquieu sur le principe d’un pouvoir

qui arrête les excès ou la démesure d’un autre pouvoir, nous affirmons que la démocratie telle qu’elle est

pratiquée aux États-Unis, en France ou au Canada, accorde une place importante, voire prépondérante au

parlement, faisant ainsi des parlementaires les premiers agents de contrôle de ceux et celles qui sont aux

commandes de l’État. Ce qui nous permet de soutenir Ŕ et sans réserve Ŕ que ni la nature du régime

(présidentielle Ŕ parlementaire Ŕ monarchie constitutionnelle ou autre) et encore moins la forme de l’État

(unitaire Ŕ fédérale ou confédérale) ne justifient en aucun cas que le parlement ne puisse jouer son rôle de

contrepoids et de contrôle. Ce qui malheureusement fait défaut dans ce que nous appelons la démocratie

institutionnelle.

Page 54: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

36

sociale de l’État (1.1) à travers le démantèlement de l’État-assistance, la promotion et

l’instauration de l’État minimal (1.2) et la responsabilisation de l’individu (1.3). Dans une

deuxième section, nous parlerons des objectifs économiques (2) dudit programme à travers

la privatisation et la libéralisation du secteur économique (2.1), l’instauration d’une

économie de marché (2.2) et l’amélioration de la qualité de l’individu (2.3).

La troisième section sera consacrée à la concrétisation du désengagement de l’État par la

mise en place des trois nouvelles politiques (3) à savoir : la Restructuration du secteur

public et parapublic (3.1), la Nouvelle Politique Agricole (3.2) et la Nouvelle Politique

Industrielle (3.3) qui étaient la marque de l’insertion de plain-pied du gouvernement dans

l’économie de marché d’obédience néolibérale. Les conséquences de ses nouvelles

politiques au plan social (4) vont constituer la quatrième section ou nous parlerons de

l’augmentation du chômage et de la pauvreté (4.1), de la baisse du pouvoir de dépenser ou

d’achat des populations (4.2) avec une exacerbation de la tension sociale (4.3).

La cinquième section sera consacrée à une analyse des conséquences des trois nouvelles

politiques (5) au plan politique sur le nouveau rôle de l’État (5.1) et sur la capacité d’action

de ses mandataires à savoir; le pouvoir exécutif (gouvernement) (5.2) et le pouvoir législatif

(parlement) (5.3). La sixième et dernière section sera consacrée aux conséquences de cette

perte de pouvoir des autorités exécutive et législative et son impact sur le système politique

(6). Nous palerons d’abord du manque de consultation des populations (6.1) qui était

devenu une tendance avec le PAS (Programme des Ajustements Structurels). Cette

tendance était, et est un déni au processus en démocratie en ce sens que la consultation des

gouvernés est une exigence impérative en démocratie. Nous parlerons ensuite de la

prépondérance du formalisme institutionnel (6.2) pour mettre l’emphase sur le caractère

consultatif ou inopérant des différentes institutions existantes. Ces deux faits précités sont

des attributs spécifiques et font partie entre autres des caractéristiques de la démocratie dite

institutionnelle (6.3) et qui est celle qui sévit au Sénégal, et qui est contemporaine au

programme des ajustements structurels.

Page 55: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

37

I.LES OBJECTIFS POLITIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

L’ajustement structurel, comme politique économique, s’était donné un objectif politique

dont la mise en application devait permettre l’atteinte des objectifs économiques. Si les

objectifs économiques (Libéralisation et Privatisation du secteur économique Ŕ Instauration

de l’économie de marché Ŕ Amélioration de la qualité de vie de l’individu) obéissaient à

une mise en application directe d’une certaine doctrine ou de certains principes théoriques,

il en était différemment pour les objectifs politiques (Mettre un terme à la mission sociale

de l’État Ŕ Instaurer l’État minimal Ŕ Améliorer la qualité de vie de l’individu). Dit

autrement, le programme des ajustements structurels (PAS), qui était une résultante du

Consensus du Washington, nécessitait dans son objectif politique, que la forme ou les

moyens pour y parvenir relèvent de la responsabilité exclusive des dirigeants locaux. En

termes plus clairs, il appartenait aux gouvernements bénéficiaires de trouver les voies et

moyens pour la mise sur pied des objectifs politiques.

Les idées et intentions qui ont présidé à la création des institutions

internationales étaient bonnes mais au fil des ans, elles ont peu à peu évolué et

se sont totalement transformées. L’orientation keynésienne du FMI qui

soulignait les insuffisances du marché et le rôle de l’État dans la création

d’emploi, a cédé la place à l’hymne au libre marché des années quatre-vingt,

dans le cadre d’un nouveau consensus de Washington Ŕ le consensus entre le

FMI, la Banque mondiale et le trésor américain sur la bonne politique à suivre

pour les pays en développement Ŕ qui a marqué un tournant radical dans la

conception du développement et de la stabilisation. Les idées qui constituaient

ce consensus avaient souvent été élaborées en réactions aux problèmes de

l’Amérique latine, où des États avaient totalement perdu le contrôle de leur

budget et mené des politiques monétaires fort peu rigoureuses qui avaient

déchaîné une inflation galopante. Une poussée de croissance dans certains pays

de la région au cours des premières décennies de l’après-guerre n’avait pas eu

de suite, et l’on disait que c’était à cause d’une intervention excessive de l’État

dans l’économie. Conçus pour répondre à des problèmes que l’on pouvait

considérer comme spécifiques aux pays latino-américain, ces principes ont

ensuite été jugés applicables au monde entier. On a préconisé la libéralisation

des marchés financiers sans avoir la moindre preuve qu’elle stimulait la

croissance économique. Dans d’autres cas, cette politique économique,

devenue le consensus de Washington, s’est révélée inadaptée à des pays qui se

Page 56: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

38

trouvaient aux toutes premières phases du développement, ou au tout début de

la transition68

.

Ces objectifs politiques (Démantèlement de l’État-assistance69

Ŕ Promotion et Instauration

de l’État minimal Ŕ Responsabilisation de l’individu) étaient les conditions préalables à

remplir par les gouvernements désireux de bénéficier du programme des ajustements

structurels. Comme tels, les objectifs politiques relevaient d’une volonté politique que tout

bénéficiaire du programme des ajustements structurels, se devait de réaliser. Il appartenait

donc aux gouvernements bénéficiaires du dit programme de prendre les dispositions

nécessaires pour une effectivité des politiques requises. Ces objectifs politiques Ŕ il est

important de le mentionner - n’étaient toutefois pas en contradiction avec les objectifs

économiques, bien au contraire. Endettés et n’ayant pas d’autres alternatives que de

contracter d’autres prêts pour face aux réalités nationales, le gouvernement du Sénégal à

l’instar des autres pays africains, était obligé de demander la collaboration du FMI (Fonds

Monétaire International) et de la Banque mondiale. Cette obligation était justifiée par l’état

dégradant de la situation économique qui non seulement exigeait des réformes, mais

demandait pour la mise en place de ces réformes, un certain soutien que seuls les bailleurs

de fonds pouvaient apporter.

68

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris : Fayard, 2002, pp 41-42 69

Nous jugeons plus pertinent, académiquement parlant, d’utiliser le concept d’État assistance pour parler du

Sénégal en particulier et de l’Afrique en général pour la raison suivante. Nous soutenons que l’État

providence tel qu’il a existé en Occident et présenté par Rosavalon [1995 : 7] n’a jamais existé en Afrique.

Cet État que Momar Coumba Diop, qualifie d’État providence pour parler de la première décennie des

indépendances [Diop, Momar Coumba, Du « socialisme » au « libéralisme » : les légitimités de l’État dans

Sénégal : Trajectoires d’un État, Paris, Éditions Karthala, 1992, p 18], renvoie plutôt à ce que nous appelons

l’État-assistance. En fait, ce qui a existé pour les pays de l’Afrique de l’Ouest par exemple, c’est plutôt, un

État légué par la tutelle coloniale (cadre d’encadrement et d’assistance pour des objectifs impérialistes), et

dont les acteurs, après l’indépendance de leurs pays respectifs, avaient trouvé légitime de prendre en charge la

demande sociale, et ce d’autant plus que la prise en charge de cette demande sociale était et pouvait constituer

un gage de légitimité de leurs actions politiques. Faisant la genèse de l’État postcolonial, Mamadou Diouf fait

remarquer que « L’environnement institutionnel que le nouvel État mit en place autorise à affirmer que la

continuité coloniale fut maintenue; les formes anciennes et coloniales de pouvoir et de leadership se

consolidèrent en s’investissant directement ou par clients interposés dans les nouveaux espaces d’autorité et

d’influence aménagés en articulation avec une classe dirigeante en construction, maîtresse d’un centre, à

l’écoute des périphéries réintroduites partiellement dans les processus de décision et de gestion du politique

[Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après ? dans Sénégal : Trajectoires d’un État, Paris,

Éditions Karthala, 1992, p 248]. Ainsi, nous entendons par État-assistance cet État qui protège, sécurise et

assiste à la fois ses ressortissants et les entreprises. Il est aussi un État qui par l’entremise de son

gouvernement, intervient pour porter une assistance matérielle et financière aux populations et à leurs

initiatives économiques. Nous avons privilégié l’empirie pour la définition de notre concept.

Page 57: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

39

En réalité, c’est en 1979 que le FMI et la BM qui avaient toujours opéré

parallèlement, entreprenaient pour la première fois une collaboration pour

implanter en Afrique des politiques économiques appelées programme

d’ajustement structurel. Une des raisons pour lesquelles les gouvernements

africains s’y soumettaient, était que ne pouvant plus faire face au

remboursement de leur dette extérieure auprès des gouvernements occidentaux

et des banques commerciales, la condition qui leur était posée pour le

rééchelonnement (recul de l’échéance de remboursement) était d’accepter les

programmes d’ajustement70

.

Ainsi le FMI et la Banque mondiale, en raison de leur mandat et de leurs objectifs,

largement inspirés et influencés par ce précédent historique d’un Occident aux prises avec

des antagonismes économiques déchirants, apparaissaient aux yeux des leaders africains,

comme un mal nécessaire. « The Fund has played an active role in supporting the

adjustment efforts of its African members in recent years. At the end of 1984, total

obligations of African countries to the Fund subject to repurchase, including repayments to

the Trust Fund, amounted to SDR 7.2 billion »71

. Le mal renvoyait certainement à la

rigidité de leurs exigences ou conditionnalités qui ne laissaient pratiquement aucune place

aux gouvernements locaux pour alléger la souffrance des populations qui étaient devenues

les cobayes de politiques dont elles n’étaient même pas sûres de tirer l’usufruit.

La nécessité de ce mal quant à elle devait être comprise et entendue par cette main tendue

par le FMI et la Banque mondiale pour venir en aide à des économies qui avaient perdu le

crédit de la solvabilité. « Ainsi, durant ces quelques trente dernières années Ŕ fait

remarquer Dominique Carreau Ŕ le fonds vit sa clientèle se réduire comme un peau de

chagrin pour se limiter à celle des pays les plus pauvres dénués de toute solution alternative

»72

. En acceptant donc de soutenir les gouvernements ouest africains par exemple, il y a

lieu de reconnaître que le FMI tout comme la Banque mondiale avaient fait preuve d’un

certain humanisme en élargissant leur mandat à des pays sous-développés qui avaient des

problèmes spécifiques comme en illustrent ces propos :

70

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : L’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 22 71

Erb, Richard D,« A View from the Fund », in Africa and the International Monetary Fund, Toronto ; Library

of Congress, 1986, p 20 72

Carreau, Dominique, Le Fonds Monétaire International, Paris : Éditions A. PEDONE, 2009, p 16

Page 58: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

40

L’avènement de l’Afrique en tant que continent de nations indépendantes a

fortement influencé la taille et la diversité du FMI. Le Fonds a, en outre, été

obligé de développer sensiblement ses activités dans les pays emprunteurs et

d’intensifier la surveillance de ces pays. Dans la plupart de ces pays, situés

surtout au sud du Sahara, le revenu par habitant était très faible. Leurs

problèmes économiques étaient d’abord structurels avant d’être

macroéconomiques; ils concernaient avant tout l’éducation, la santé, les

infrastructures et la gouvernance, plutôt que la finance; et ils étaient plus

profondément enracinés que dans d’autres régions. Pour résoudre ces

problèmes, les pays avaient besoin de prêts à des conditions avantageuses et de

compétences techniques très diverses. C’est ainsi que le FMI a été amené à

étendre ses activités au-delà de son mandat initial, et que la collaboration avec

la Banque mondiale et les autres organismes de développement est devenue

impérative73

.

Le FMI ainsi que la Banque mondiale ont donc vu le jour pour empêcher que des

événements tels que la crise économique de 1929 ne se reproduise. Ainsi, comme

institutions, elles se voulaient à la fois un support et un conseil avec un mandat axé en

grande partie sur la collaboration entre les pays membres. Pour les pays initiateurs, en

l’occurrence les États-Unis et la Grande-Bretagne, le seul rempart pour éviter un tel

précédent résidait dans la mise en place d’une institution qui prendrait et veillerait aux

intérêts de ses membres, dans le but de contrer des attitudes et comportement porteurs

d’instabilité et d’antagonisme.

Lorsque les participants à la conférence de Bretton Woods se réunissent, en

juillet 1944, ils ont tous en mémoire le profond désordre économique de l’entre-

deux-guerres, notamment le grand krach de Wall Street en 1929 et la terrible

dépression économique et la misère sociale qui l’ont suivi. Tous les

participants tentent alors de répondre à la même question : par quel mécanisme

international peut-on éviter le retour aux terribles conditions économiques qui

ont précédé la seconde guerre mondiale ? Pour éviter un retour au désordre

monétaire de l’entre deux guerre, les États-Unis et la Grande-Bretagne décident

de jeter les fondements d’un nouveau système capable d’assurer la stabilité

dans l’économie mondiale de l’après-guerre74

.

73

Cuny, Olivier, La gouvernance économique et financière internationale, Paris : Montchrestien, 2006, 15 74

Lenain, Patrick, Le FMI, Paris, Éditions La Découverte, 2002, p 9

Page 59: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

41

Ainsi, à l’article I des statuts du Fonds Monétaire International, on peut y lire les buts

suivants : « Promouvoir la coopération monétaire internationale au moyen d’une institution

permanente fournissant un mécanisme de consultation et de collaboration en ce qui

concerne les problèmes monétaires internationaux Ŕ Faciliter l’expansion et l’accroissement

harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de

niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives

de tous les États membres, objectifs premiers de la politique économique - Promouvoir la

stabilité des changes, maintenir entre les États membres des régimes de changes ordonnés

et éviter les dépréciations concurrentielles des changes Ŕ Aider à établir un système

multilatéral de règlement des transactions courantes entre les États membres et à éliminer

les restrictions de change qui entravent le développement du commerce mondial Ŕ Donner

confiance aux États membres en mettant les ressources générales du Fonds temporairement

à leur disposition moyennant des garanties adéquates, leur fournissant ainsi la possibilité de

corriger les déséquilibres de leurs balances des paiements sans recourir à des mesures

préjudiciables à la prospérité nationale ou internationale Ŕ Abréger la durée et réduire

l’ampleur des déséquilibres des balances de paiements des États membres »75

.

Cela précisé, il est également important de savoir que le souci qui a été à l’origine de la

création du FMI est le même que celui de la Banque mondiale. Dit autrement, le précédent

historique qui a justifié la mise en place du Fonds Monétaire International est le même que

celui qui a également justifié la création de la Banque mondiale. Bien qu’elle soit rentrée

en vigueur en 1946, la Banque mondiale, du moins l’esprit qui a prévalu à sa mise sur pied

remonte en 1944. Elle se voulait un support pour les pays membres, pour les aider et

assister dans leurs projets de reconstruction et de construction.

La Banque mondiale est le nom généralement donné, par commodité à la

Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD).

Créée en 1944 à Bretton Woods en même temps que le Fonds monétaire, elle

est entrée en activité en 1946. La mission est de « promouvoir le progrès social

et économique » dans les pays en développement, en canalisant vers eux des

ressources émanant des pays développés ». Elle apporte aussi son aide

75

Fonds Monétaire International, Statuts, Washington : FMI, 1998, p 2

Page 60: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

42

technique et des conseils pour l’élaboration de leur politique de développement.

L’assistance de la Banque s’est surtout concentrée sur le financement de projets

d’aménagement et de réformes structurelles à long terme. Les ressources dont

elle dispose proviennent des cotisations de ses membres (les mêmes que ceux

du FMI, bien qu’un pays membre du Fonds ne soit nullement contraint de

rejoindre la Banque). La Banque mondiale se finance également par des

emprunts sur le marché des capitaux, grâce aux remboursements des prêts

consentis. La Banque parvient même à réaliser des bénéfices substantiels.

Depuis 1960, elle a une filiale : l’Association Internationale de

Développement76

.

« Ces deux institutions que l’opinion publique confond souvent Ŕ fait remarquer le prix

Nobel d’économie - présentent des contrastes marqués : elles diffèrent par leurs cultures,

par leurs styles et par leurs missions. L’une est vouée à l’éradication de la pauvreté, l’autre

au maintien de la stabilité mondiale »77

. « Le rôle de la BIRD, encore appelée Banque

mondiale, est de fournir des prêts à moyen et long terme pour favoriser le développement.

Destinée dans un premier temps à aider la reconstruction de l’Europe, la Banque mondiale

allait recentrer la totalité de ces activités vers les pays en développement »78

Most people have only the vaguest idea of what these institutions do, and very

few people indeed could, if pressed on the point, say why and how they differ.

Even John Maynard Keynes, a founding father of the two institutions and

considered by many the most brilliant economist of the twentieth century,

admitted at the inaugural meeting of the International Monetary Fund that he

was confused by the names : he thought the Fund should be called, and the

Bank should be called a fund. Confusion has reigned ever since… Similarities

between them do little to resolve the confusion. Superficially the Bank and

Fund exhibit many common characteristics. Both are in sense owned and

directed by the governments of their 151 member nations… Both institutions

concern themselves with economic issues and concentrate their efforts on

broadening and strengthening the economies of their member nations. Both

have headquarters in Washington, D.C., where popular confusion over what

they do and how they differ is about as pronounced as everywhere else.

Despite these and other similarities, however, the Bank and the Fund remain

distinct. The fundamental difference is this: the Bank is primarily a

development institution: the Fund seeks to maintain an orderly system of

receipts and payments between nations… Each has a different purpose, a

76

Dauvergne, Alain, Le Fonds Monétaire International : un monde sous influence, Paris : Éditions Alain

Moreau, 1988, p 10 77

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris, Fayard : 2002, p 51 78

Lagadec, Olivier, Le FMI dans tous ses États, Paris, Hatier, 1993, p 15

Page 61: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

43

distinct structure, receives its funding from different sources, assists different

categories of members, and strives to achieve distinct goals through methods

peculiar to itself79

.

Un certain souci de préserver le monde occidental de certaines difficultés engendrées par

certaines politiques est donc à l’origine de la création du FMI et de la Banque mondiale. Il

y a lieu par conséquent de souligner qu’une certaine noblesse était au cœur de ce qui a

justifié leur création. Ces deux institutions qui sont depuis le début des années 80 les

principaux bailleurs de fond des gouvernements africains ont toutefois mauvaise presse

auprès de certains économistes africains et mêmes occidentaux. Autrement dit, malgré la

noblesse des idées qui ont justifié leur création, elles apparaissent Ŕ à tort ou à raison Ŕ avec

la mise en place du PAS comme les argentiers d’une certaine politique ultra libérale qui ne

dit pas son nom d’où le constat suivant :

Depuis sa naissance, le FMI a beaucoup changé. On l’a créé parce qu’on

estimait que les marchés fonctionnaient souvent mal, et le voici devenu le

champion fanatique de l’hégémonie du marché. On l’a fondé parce qu’on

jugeait nécessaire d’exercer sur les États une pression internationale pour les

amener à adopter des politiques expansionnistes (augmentation des dépenses

publiques, réductions d’impôts ou baisse des taux d’intérêts pour stimuler

l’économie), et voici qu’aujourd’hui, en général, il ne leur fournit des fonds que

s’ils mènent des politiques d’austérités (réduction des déficits, augmentation

d’impôts ou hausse des taux d’intérêt entraînant une contraction de

l’économie). Le bouleversement le plus spectaculaire dans ces organismes

internationaux a eu lieu au cours des années quatre-vingt, quand Ronald Reagan

et Margaret Thatcher prêchaient l’idéologie du libre marché aux États-Unis et

en Grande-Bretagne. Le FMI et la Banque mondiale sont alors devenus les

nouvelles institutions missionnaires chargées d’imposer ces idées aux pays

pauvres réticents, mais qui avaient souvent le plus grand besoin de leurs prêts et

de leurs dons80

.

C’est donc dans ce revirement qu’il faudrait situer les politiques d’austérités qui

accompagnent le programme des ajustements structurels. Dans leur approche avec les pays

bénéficiaires de leur soutien financier et de leur support technique, le FMI et la Banque se

79

Driscoll, David D, The IMF and the World Bank: How do they differ?, Washington : International

Monetary Fund, 1988, pp 1-2 80

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002, pp 37-38

Page 62: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

44

pensent et se veulent thérapeutes. Ils sont par conséquent attachés à la stricte observance de

leur consigne et au respect de leurs conditionnalités qui Ŕ il est important de le mentionner

Ŕ n’étaient pas uniquement spécifiques au programme des ajustements structurels. «

Inscrite dans le premier amendement de 1968, la conditionnalité était déjà en pratique

depuis 1947 dans le mécanisme des tranches de crédit et les accords de confirmation qui le

mettent en œuvre »81

.

Ainsi, il est justifié et même légitime de soutenir que le FMI tout comme la Banque

mondiale ont en Afrique, un mandat par défaut, qui explique et justifie peut être leur

réticence à réorienter la conditionnalité ou à repenser les conditions de leur conditionnalité.

Celle du FMI en particulier, mise en place par des technocrates soucieux certes de corriger

le mal, souffre toutefois Ŕ c’est notre sentiment mais aussi notre conviction Ŕ d’une certaine

faiblesse consécutive à leur silence complice sur les dépenses publiques des autorités

politiques gouvernementales qui échappent à tout contrôle dans un contexte Ŕ nous le

rappelons Ŕ d’ajustement, et c’est à ce niveau que réside la grande faille de leur prescription

dans un environnement international attaché à la gouvernance démocratique, c’est-à-dire à

cette transparence indispensable et nécessaire dans la gestion de la chose publique.

La première des conditions à remplir, toutefois, est d’avoir une balance des

paiements suffisamment dégradée pour justifier l’appel au FMI, puisque la

fonction essentielle du Fonds est précisément d’aider ses membres à rétablir

leurs balances des paiements. Dans cette institution où tout est soigneusement

dosé et codifié, trois critères servent à déterminer si le SOS lancé par un pays

est justifié : la position de sa balance des paiements, bien sûr; la situation de ses

réserves de change (en gros : combien reste-t-il d’argent, en monnaies fortes,

dans les coffres de sa banque centrale); enfin l’évolution de ses réserves (si

elles filent à toute allure, c’est mauvais signe)... Si ces indicateurs sont au

rouge, l’intervention du Fonds est justifiée. Les économistes du Fonds sont les

missi dominici qui viendront enquêter sur place, recueilleront tous les éléments

d’appréciation sur le pays « malade », tireront de cette auscultation un

diagnostic et préconiseront, en conséquence, une cure. Ceci, en prenant quand

même, l’avis du patient et en s’efforçant d’obtenir son assentiment à propos des

remèdes proposés, comme de la posologie… Tâche malaisée, car les

gouvernements ont toujours tendance à considérer que la cure suggérée tient

81

Blardone, Gilbert, Le Fonds Monétaire International : l’ajustement et les coûts de l’homme, Paris, 1990, p

43

Page 63: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

45

carrément de la purge. Et beaucoup estiment Ŕ surtout dans les pays en

développement, qui constituent le gros de la clientèle du Fonds depuis la fin des

années 1970 Ŕ que la conditionnalité telle qu’elle est pratiquée est tellement

contraignante qu’elle devient une servitude82

Face à un continent (Afrique) qui en dépit des aides consenties continue toujours à ignorer

la croissance et ses retombées, et qui est aussi souvent témoin des changements de

gouvernement aux procédés violents, et dont la moralité des dirigeants pose problème

notamment par rapport à cette obligation de transparence relative à la gestion de la chose

publique, il est souhaitable mais aussi impératif que la conditionnalité des institutions

financières soit repensée ou réorientée pour prendre en considération cet aspect. Exiger des

gouvernements africains une clarté et une clarification des fonds donnés ou consentis,

trouverait auprès des populations et de la société civile, un soutien qui va conférer à cette

démarche, nécessaire et vitale entre autres, une certaine légitimité que ni la rhétorique des

intellectuels, et encore moins le discours fallacieux des hommes politiques, ne pourraient

compromettre. Le salut du Sénégal en particulier et de l’Afrique en général réside en

grande partie à ce niveau :

Depuis l’effondrement du système communiste totalitaire, la vision

fondamentale de Bretton Woods est devenue la base d’un consensus mondial :

la stabilité économique et la stabilité politique vont de pair, comme l’affirme le

G7 à chacun de ses sommets : « La démocratie, les droits de l’homme et la

``bonne gouvernance`` sont les composantes indispensables du développement.

Les liens entre l’économie de marché et les institutions politiques sont

désormais interprétés de manière beaucoup plus précise qu’à l’époque de

Bretton Woods. Il faut à la fois progresser vers l’économie de marché et ses

règles, et vers la démocratie et ses institutions. L’intérêt des États-Unis Ŕ et de

leurs alliés Ŕ est de favoriser cette évolution83

.

82

Dauvergne, Alain, Le Fonds Monétaire International : un monde sous influence, Paris, Éditions Alain

Moreau, 1988, pp 19-20 83

Henry, Gérard Marie, Le FMI, Levallois-Perret : Studyrama, 2006, p 103

Page 64: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

46

I.I. METTRE UN TERME À LA MISSION SOCIALE DE L’ÉTAT

Concrètement, il s’agissait de procéder au démantèlement de l’État-assistance par rapport à

sa mission sociale, entendue comme cet État qui protège, sécurise et assiste à la fois ses

ressortissants et ses entreprises tant publiques que privées. Il est aussi un État qui, par

l’entremise de son gouvernement, intervient pour porter assistance matérielle et financière

aux populations et à leurs initiatives économiques. Nous parlons de mission sociale pour

faire ressortir la perception que les populations africaines en général et la population

sénégalaise en particulier avaient de l’État au lendemain des indépendances, de cet État qui

au sortir de la tutelle coloniale Ŕ il est important de le mentionner Ŕ a voulu jouer et a joué

un rôle de premier plan dans la prise en charge de la demande sociale. Sous l’égide du FMI

(Fonds Monétaire International) et de la BM (Banque mondiale), l’ajustement structurel,

comme politique économique a vu le jour au Sénégal au début des années 1980.

Présenté par les autorités gouvernementales comme nécessaire et incontournable, le PAS

qui se voulait un remède pour l’économie sénégalaise qui était agonisante, s’était

singularisé par la rigidité de ses conditions tant au plan social qu’économique. Au plan

social, il légitime de présumer que ce qui était demandé aux autorités gouvernementales par

les créditeurs (FMI Ŕ Banque mondiale) n’était donc rien d’autre que de rompre avec cette

habitude née après l’indépendance, et qui consistait à apporter un soutien aux populations

d’abord et à l’individu ensuite. Il est donc important de retenir que c’est par rapport à ce

contexte qu’il faut situer et comprendre le discours qui portait sur le désengagement de

l’État et dont la finalité était de préparer les populations aux mesures de ruptures

qu’exigeait le programme des ajustements structurels. Il est toutefois important de

mentionner que ce soutien des autorités politiques gouvernementales à l’endroit des

populations était attendu par les masses rurales et urbaines, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, cette attente a été favorisée par la perception que les dites masses avaient de celui

ou de ceux qui détenaient le pouvoir pendant et durant l’époque coloniale. En effet, dans ce

contexte de domination où les initiatives et volontés des populations indigènes étaient

pratiquement interdites, la dépendance des populations à l’endroit du colon relevait d’une

Page 65: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

47

double évidence. Pour les populations d’abord qui, privées de tout leur droit pour agir,

attendaient tout de l’État colonial, et ensuite pour les autorités coloniales qui, en privant les

populations de leurs droits, devaient tout faire pour elles.

La mise en place de la gestion coloniale, dans les pays d’administration directe,

a eu deux phases, dont les logiques ont structuré les trajectoires du politique, le

tissu social et les relations entre les populations et l’État colonial. La première

séquence est bornée par la période entre la fin de la première guerre mondiale et

la première moitié des années 20. Le pouvoir colonial a très tôt acquis l’idée

que les sujets ne pouvaient qu’être dirigés par la médiation de chefs indigènes.

La position auxiliaire des chefs a une incidence dans les relations entre l’État et

les populations et sur la nature de la réception du pouvoir colonial et de sa

symbolique. Ainsi dans l’exemple des pays wolof où l’arachide s’est

développée, les chefs choisis par l’administration coloniale étaient détenteurs

d’une certaine légitimité politique ou sociale. Mais, le canton sous leur autorité

était souvent plus étendu que leur terroir de légitimité. La chefferie est définie

de manière très claire par le Gouverneur Van Vollenhoven dans une circulaire

administrative de 1917 : les chefs n’ont aucun pouvoir propre d’aucune espèce

car il n’y en a qu’une; seul le commandant de cercle commande. Le chef

indigène n’est qu’un instrument, un auxiliaire de transmission. L’autoritarisme

colonial et le centralisme administratif leur laissa peu de possibilités pour

légitimer leur propre autorité et de gagner la confiance de leurs administrés84

.

Ensuite, cette perception quant au rôle social de l’État a perduré après 1960 (date à laquelle

le Sénégal a obtenu son indépendance) et a été renforcée entre autres par le taux

d’analphabétisme des populations autant rurales qu’urbaines. Elle était la même que celle

que les populations colonisées avaient à l’endroit de la tutelle coloniale. Ce soutien du

gouvernement à l’endroit des populations rurales et urbaines Ŕ il est important de le

mentionner Ŕ était non seulement socialement attendu, et peut être même exigé, mais il était

aussi politiquement utile et efficace. Au plan politique, ce soutien des autorités politiques

gouvernementales était un gage de légitimité de leur action autant sociale que politique, en

ce sens que cette action se voulait et s’est voulue conforme avec les préoccupations ou

ambitions politiques des précurseurs de l’indépendance :

84

Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après ? Dans Sénégal : Trajectoires d’un état,

Paris : Éditions Karthala, 1992, p 240.

Page 66: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

48

De 1960 à nos jours, l’État a été au Sénégal un important thème de débat

politique. Sur cette question, les positions idéologiques des dirigeants

sénégalais ont considérablement évolué. Elles seront d’abord le support d’une

politique d’intervention massive de l’État dans l’activité économique, option

favorisée par les pressions nationalistes des indépendances et par la volonté

d’asseoir et de consolider la base matérielle du pouvoir politique. Cette

démarche dont Léopold Sédar Senghor sera le théoricien à travers sa doctrine

du socialisme africain, conduira progressivement la bureaucratie d’État à

rechercher des responsabilités de plus en plus importantes dans la stratégie du

développement. Pendant cette phase, qui va de l’indépendance à la fin des

années 1970, le personnel politique a trouvé en Léopold S. Senghor son

intellectuel et a exprimé à travers lui sa volonté de faire de l’État, l’agent du

rattrapage des nations occidentales. Cette volonté s’est traduite par une

extension croissante du service public et parapublic car, pour des raisons

historiques et structurelles (liées à la domination du tissu industriel sénégalais

par des entreprises implantées pendant la colonisation et contrôlant les circuits

de distribution, et à l’absence d’une accumulation interne pouvant générer la

bourgeoisie), il n’y avait pas une classe capable de se substituer à l’État comme

agent central du développement85

.

Cette perception du rôle social de l’État était également présente chez certains des

intellectuels. Légitimée d’abord par un corps social habitué à voir l’État assister les

populations, cette perception a été renforcée par la conviction auprès de certains

intellectuels, notamment de gauche, qui trouvaient juste et légitime que l’État assiste les

populations. C’est donc cette intervention envers le social entendue comme la société que

le programme des ajustements, dans ses objectifs politiques, a cherché à supprimer. Elle

était à l’origine du mal, c’est à dire de la très mauvaise santé de l’économie selon les

bailleurs de fonds (F.M.I & Banque mondiale). Elle était la cible à abattre, et il revenait

aux autorités gouvernementales la délicate tâche de la faire. « Conçu au moment des

indépendances comme une machine efficace pour stimuler la croissance économique, l’État

apparait aujourd’hui, à travers les publications de la classe dirigeante et des bailleurs de

fonds, comme un appareil monstrueux et parasitaire. Accusé de mal gérer les ressources

publiques, de mal investir, il a de nos jours mauvaise presse »86

comme en témoignent ces

propos de l’auteur, alors ministre du plan et de la coopération sous Abdou Diouf :

85

Diop, Momar Coumba, Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Éditions Karthala, 1990, pp

7-8 86

Diop, Momar Coumba, Du « socialisme » au « libéralisme » : les légitimités de l’État dans Sénégal :

Trajectoires d’un État, Paris, Éditions Karthala, 1992, p 14

Page 67: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

49

Une des formes qu’a revêtue l’expansion du secteur public a été la

multiplication des organismes paraétatiques. Aujourd’hui, tout le monde

reconnaît que ces organismes, pour la plupart des entreprises publiques, ont

déçu au regard de l’espoir dont ils étaient porteurs au moment de leur création.

On espérait que les entreprises d’État seraient le fer de lance de la

modernisation et de l’innovation technologique et qu’elles secréteraient une

épargne publique qui pourrait relancer l’investissement et la croissance

économique. Il n’en fut rien, car elles ont été victimes d’une gestion négligente

dont une part seulement leur incombe, l’autre partie ayant pour origine les

orientations confuses dont elles étaient l’objet. Les causes de cet état de fait

sont multiples, mais le résultat est unique : les entreprises publiques, au lieu de

contribuer à l’épargne publique, ont surtout opéré des ponctions sur le budget et

fait peser une charge supplémentaire sur les consommateurs87

.

Cette mauvaise presse de l’État Ŕ il est important de le souligner Ŕ était en vérité une

critique et une remise en cause de son interventionnisme tant au plan social

qu’économique. Cette critique qui venait de la part de son mandataire en chef, en

l’occurrence le gouvernement, trouvait sa justification dans le programme des ajustements

structurels qui exigeait pour sa réussite et son efficacité le retrait de l’État non seulement de

la sphère sociale, mais également et surtout économique. Le discours portant sur le

désengagement de l’État allait ainsi prendre une place importante dans le discours officiel

gouvernemental. Ce discours avait pour objectif non seulement de justifier et de légitimer

les nouvelles politiques, mais également et surtout de rompre avec ce devoir d’assistance

auquel les populations s’étaient habituées.

Ne plus rien attendre de l’État pour le paysan, par exemple pour ce qui est des semences,

s’offrir et se trouver du travail par soi-même dans un cadre et un contexte marqué par le

clientélisme politique, mettre le travailleur à la solde du patronat, diminuer le nombre des

employés de la fonction publique et ne plus faire de recrutement, bref renvoyer le citoyen

sénégalais à lui-même : tels étaient le contenu de la nouvelle orientation des nouvelles

politiques que le gouvernement entendait adopter à l’endroit des populations rurales et

urbaines.

87

Kane, Cheikh Hamidou « La nouvelle planification du développement économique et social »

Communication au Conseil national du parti socialiste, Dakar, 1986, p 21

Page 68: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

50

Le désengagement de l’État qui constituait l’une des charpentes de la «

nouvelle politique économique » s’était accentué avec notamment la

privatisation de plusieurs entreprises à partir de novembre 1995. Les

conséquences générales de cette politique étaient une libéralisation des marchés

nationaux, la réduction de la participation de l’État aux activités économiques

et une nette priorité aux politiques budgétaires88

.

Présenter l’intervention de l’État comme un mal dans sa noble et légitime tâche de porter

assistance aux populations, paraissait ainsi justifié pour un gouvernement soit dit en passant

socialiste. Le mal selon ses tenants (FMI - Banque Mondiale Ŕ Gouvernement), n’était pas

dans la gestion des autorités gouvernementales, mais plutôt dans le fait que l’État s’activait

à prendre en charge la demande sociale sans en avoir les moyens. Cette demande sociale Ŕ

il est important de le souligner Ŕ n’était pas dans la sécurité du revenu et encore moins la

garantie d’un emploi. Elle était dans ce droit, légitime des populations d’avoir la

possibilité d’aller à l’école ou d’y envoyer leurs enfants, de recevoir les soins de santé

appropriés par la mise en place des services compétents. Il était de la responsabilité du

gouvernement et de tout gouvernement d’ailleurs, de créer les conditions pour qu’un tel

droit puisse se matérialiser.

Cette demande sociale était aussi dans ce droit des populations de pouvoir se soigner dans

une région ou le paludisme, pour ne citer que ce fléau, faisait des victimes. Cette demande

sociale était également dans ce droit pour les diplômés de l’université, d’avoir la possibilité

de trouver auprès des autorités gouvernementales d’abord et administratives ensuite, le

support nécessaire pour pouvoir être actif. Cette demande sociale était également dans ce

droit pour les masses paysannes d’avoir la possibilité de recevoir un support et une

assistance concrète des autorités gouvernementales pour assurer une bonne production, et

cela dans un contexte où le climat et les conditions climatiques, se voulaient des obstacles

pour le travail et le rendement paysan.

88

Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, pp 67-68

Page 69: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

51

Il convient de ne pas perdre de vue qu’au Sénégal comme dans les autres pays

africains, la croissance économique est surtout tributaire de facteurs exogènes,

sans rapport avec les mesures de politiques économiques, ceci compte tenu de

la structure extravertie de l’économie. Ici, la croissance économique se

maintient à un niveau satisfaisant, tant que la pluviométrie est bonne et que les

cours de l’arachide et des phosphates ne se détériorent pas trop89

.

Cette demande sociale, pour les entreprises publiques ou à vocation publique, était dans ce

droit de s’attendre à des subventions pour mieux servir les populations. Pour faire bref,

cette demande sociale était dans ce droit non seulement légitime, mais normale entre autres,

d’attendre des autorités gouvernementales de créer les conditions favorables à

l’épanouissement de l’individu et de la société. Dans cette attente légitime entre autres où

le social justifiait l’orientation des politiques comme en était le cas sous Senghor, il fallait

même soutenir l’initiative privée en ce sens que son succès ne pouvait en aucun cas être

préjudiciable à l’économie nationale et aux populations. En parlant donc de

désengagement de l’État pour justifier et mettre en pratique des politiques conditionnées

par des impératifs économiques, il est légitime de soutenir que ce discours annonçait certes

la fin d’un certain rapport entre l’État et les populations, mais aussi en proposait un autre

qui consistait fondamentalement à renvoyer la société (l’individu et sa communauté) à elle-

même.

Concrètement, cela signifiait la fin des subventions, et de certaines pratiques à caractère

social, mais aussi la naissance d’un nouveau type de rapport entre l’État et ses

ressortissants. Le redressement des finances publiques devenait dans pareil contexte un

rouleau compresseur qui allait tout absorber lors de son passage. « Le recrutement dans la

fonction publique était bloqué, et les départs à la retraite ne pouvaient faire l’objet de

remplacements, lesquels n’étaient dorénavant possibles qu’en cas de décès ou de démission

»90

. Les populations autant rurales qu’urbaines étaient à la fois ébranlées et éprouvées par

la rigueur des politiques d’austérité combinée à la baisse considérable de leur pouvoir

d’achat consécutive entre autres à la Dévaluation du Franc CFA en 1994 qui était

89

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des Institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 145 90

Ibidem, p 144

Page 70: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

52

demandée par les principaux bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque

mondiale.

La politique libérale mise en œuvre en diminuant les sinécures et les dépenses

de légitimation, en concentrant les ressources à la Présidence de la République,

favorisait l’émergence d’une nouvelle configuration politique tout en

provoquant en même temps les crises les plus violentes qui avaient secoué

l’État. En effet, dans les nouvelles politiques, le désengagement de l’État au

profit du secteur privé n’était pas seulement en jeu. Plusieurs facteurs étaient

des indices de la clôture définitive du compromis postcolonial sur lequel s’était

édifié le système politique sénégalais. L’épuisement du compromis mettait en

évidence le problème de répartition de revenus et de pouvoirs entre les groupes

sociaux. Problème dévoilé aujourd’hui par les politiques de dégraissage de la

fonction publique réduisant à néant la classe des fonctionnaires, qui fut le

principal élément de la stabilisation sociale91

.

Par la brutalité des mesures (suppression de 6000 emplois au niveau de la fonction

publique, allégement du Code du travail), la perception des populations quant au rôle social

de l’État, jadis fondée sur cette attente de voir l’État leur apporter secours et assistance,

allait disparaître. Contraint par la logique du redressement des finances publiques, exigée

et demandée par les bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale), l’État était appelé à agir

autrement. Dit autrement, il s’était donné une nouvelle vocation à savoir : être au service

du marché. C’est par rapport à cette logique qu’il faudrait comprendre et situer le discours

sur l’efficacité de l’État minimal via le slogan moins d’État, mieux d’État dont la finalité

recherchée était sa mise en place, mais aussi celle de l’économie de marché.

I.II INSTAURER L’ÉTAT MINIMAL

Le démantèlement de l’État-assistance, justifié par la nécessité d’assainir les finances

publiques, avait pour objectif entre autres, de mettre sur pied l’État minimal. Se voulant

différent et l’opposé de l’État-assistance, l’État minimal aurait comme vocation principale

de servir et de promouvoir exclusivement les intérêts du marché. Autrement dit, l’État

minimal avait pour finalité principale de créer les conditions favorables à la liberté

91

Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après? Dans Sénégal : Trajectoires d’un État,

Paris, Éditions Karthala, 1992, p 264

Page 71: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

53

d’entreprise. Cet État, contrairement à l’État assistance, n’avait pas dans ses objectifs à

court et moyen terme, une quelconque intention d’être au service des populations. Ainsi

Abdou Diouf de soutenir:

Promouvoir le progrès, c’est d’abord, réaliser le plan à moyen terme de

redressement économique et financier qui a pour but de donner de nouveaux

ressorts à notre économie. Les perspectives de l’économie mondiale, au soir de

ce second millénaire, restent aux yeux des esprits les plus avisés, toujours

sombre. Il est certain que les efforts de la récession continueront de mettre à

rude épreuve les pays industrialisés et encore davantage notre fragile tiers

monde. C’est dire que nous aurons devant nous des années difficiles, mais je

réaffirme notre volonté tenace de progresser, quoi qu’il advienne, pour nous

arracher à cette situation dramatique92

.

À travers donc son Sursaut national, cette « cette doctrine aux contours mal définis, cette

restructuration idéologique qui mettait en veilleuse la négritude,»93

, Abdou Diouf annonçait

son intention de rompre avec des pratiques veilles de deux décennies, et acquises durant

l’époque coloniale. En invoquant la nécessité de mettre en œuvre le PALMT (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) qui allait s’échelonner sur

sept années, c’est-à-dire de 1985 à 1992 et qui contenait des mesures plus drastiques en ce

sens que les mesures prises dans le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier)

avaient été jugées par les bailleurs de fonds, le président Abdou Diouf annonçait son

intention d’aller plus en profondeur dans les réformes demandées par ses créditeurs. « La

mise en œuvre du PREF n’avait pas été jugée satisfaisante par les bailleurs de fonds,

notamment dans sa dimension structurelle »94

.

Les objectifs du PALM étaient de deux types, se situant à deux niveaux,

conjoncturel et structurel. Au niveau conjoncturel, il s’agissait de redresser les

finances publiques en priorité pour la période 1985/88, c’est-à-dire au cours des

trois premières années. Pour cela, il était prévu les mesures suivantes : réduire

le rythme de croissance de 2,5% par an à 1%, la part des salaires dans les

92

Diouf, Abdou, Le sursaut national avec Abdou Diouf, Publication du parti socialiste. Dakar, NIS, 1981, pp

89-90 93

Diop, Momar Coumba, Du « socialisme » au « libéralisme » : les légitimités de l’État dans Sénégal :

Trajectoires d’un État, Paris : Éditions Karthala, 1992, p 19 94

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 139

Page 72: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

54

dépenses courantes devant être ramenée de 52% à 49% ; réduire le rythme de

consommation des ménages de 4,3% à 2,5% ; porter le déficit extérieur à 1,4%

du PIB en 1992 contre 18% en 1981 et 10,2% en 1983; porter la part de

l’épargne dans le PIB à 10,4% en 1989 et à 13,7% en 1992 (elle était de 4,7%

en 1981) ; porter le taux d’autofinancement intérieur à 67,4% en 1989 et à

89,7% en 1992 (il était de -9,3% en 1981); à la fin du PALM, l’État ne devait

plus contracter d’emprunts extérieurs au titre de l’aide budgétaire. Au niveau

structurel, les objectifs étaient ainsi fixés : consolider les bases de la croissance

économique dans l’agriculture, l’industrie, le commerce; promouvoir l’emploi;

restructurer le service parapublic; améliorer la programmation des

investissements publics par la réorganisation du système de planification qui

devrait accorder la priorité aux projets rentables; préserver les bases de la

croissance à long terme par le développement du potentiel humain; réduire le

taux de croissance démographique de 3% à 2,8%. Les mesures prises pour

réaliser les objectifs du PALM se présentaient comme suit : Nouvelle Politique

Agricole, Nouvelle Politique Industrielle, restructuration du secteur parapublic,

redressement des finances publiques95

.

En annonçant ainsi la nécessité de mettre en pratique « le plan à moyen terme de

redressement économique et financier » qu’il jugeait comme la solution appropriée pour

donner de « nouveaux ressorts à l’économie », en invoquant également un contexte

mondial aux prises avec des difficultés qui obligeaient des reconsidérations même pour les

pays nantis, et en annonçant aux populations que les années à venir allaient être difficiles,

Abdou Diouf les préparaient aux trois nouvelles politiques que son gouvernement entendait

mettre en pratique à savoir : la Nouvelle Politique Agricole Ŕ la Nouvelle Politique

Industrielle et celle de la restructuration du secteur public et parapublic comme l’illustre

cette assertion :

Je ne crois pas au miracle qui apporterait une solution universelle à nos

problèmes; s’il y a miracle, il est le fruit de nos ambitions, de nos efforts

persévérants, méthodiques. Seuls comptent, pour aller de l’avant, la volonté qui

fait surmonter les obstacles, l’esprit de méthode et d’organisation qui permet de

trouver des solutions rationnelles aux problèmes et, enfin, le sens de la rigueur

et de l’austérité qui arme, moralement et civiquement, et incite au dépassement

perpétuel. C’est, plus que jamais, le moment de rompre avec le laxisme, le goût

de la facilité et de la futilité, la mentalité d’assisté et le mythe de l’État-

providence. À cet effet, il convient d’opérer une conversion dans notre

95

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, pp 139-140

Page 73: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

55

philosophie sociale pour consacrer le travail et non l’affairisme, le sens des

responsabilités et non le ponce-pilatisme, l’effort personnel et collectif et non le

recours systématique à l’État. Une démarche nouvelle s’impose qui fera place à

l’esprit d’initiative, au sens de la rigueur, de l’abnégation. À chacun et

chacune, il est demandé d’accroître la contribution personnelle qu’il apporte

aux efforts de l’État pour lutter contre la récession et le sous-développement. Il

s’agit, plus précisément, de s’accorder avec les impératifs de la conjoncture et,

ce faisant, de se surpasser dans le travail quotidien96

.

Il est légitime de penser que ce réquisitoire sévère du nouveau Président de la république à

l’endroit des populations, et son appel à une citoyenneté patriotique étaient loin d’être

gratuits en ce sens qu’il savait que les mesures qui allaient accompagner ces politiques

pouvaient susciter une vive indignation auprès des populations rurales et urbaines. En

exhortant les citoyens à rompre avec cette mentalité d’assisté qu’il condamnait entre autres

pour récuser cette vérité construite autour de l’État-providence, et pour finir avec un appel à

la John Fitzgerald Kennedy97

pour un nouveau type de sénégalais, Abdou Diouf annonçait

et de façon expresse son intention de rompre avec les pratiques de la gestion économique

de Senghor dont il fut Ŕ il est important de le rappeler Ŕ le premier ministre et « le

successeur à la faveur d’une mesure constitutionnelle »98

.

Le slogan du moins d’État, mieux d’État, utilisé dans le discours officiel gouvernemental

allait servir comme outil de légitimation pour le nouveau rôle de l’État, tout en ayant pour

but ou finalité de situer les nouvelles priorités du gouvernement. Ce slogan, clair dans son

énoncé et dans sa formulation, annonçait non seulement la fin de l’interventionnisme

gouvernemental dans la sphère sociale et publique, mais également et surtout la fin de

l’État-assistance. Si le moins d’État renvoyait à la recherche d’une présupposée efficacité

de l’intervention étatique, il demeurait clair dans l’esprit de ses tenants (gouvernement et

bailleurs de fonds) qu’il fallait mettre un terme à toute demande sociale et pour les raisons

suivantes : son rejet était non seulement une condition à remplir pour le redressement des

96

Diouf, Abdou, Le sursaut national avec Abdou Diouf, Publication du parti socialiste. Dakar, NIS, 1981, pp

90-91 97

« Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais demande toi ce que tu peux faire pour ton

pays » : Extrait du discours d’investiture du 20 janvier 1961 de John Fitzgerald Kennedy, président des États-

Unis d’Amérique de 1961 à 1963. Nous sommes conscients du caractère allégorique de notre métaphore. 98

Diaw, Aminata, « La démocratie des lettrés » dans Sénégal : Trajectoires d’un État, Paris, Éditions

Karthala, 1992, p 321

Page 74: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

56

finances publiques, mais le mieux d’État ne pouvait être effectif qu’avec des objectifs

centrés et orientés vers le marché, c’est-à-dire la liberté d’entreprise. Le mieux d’État

signifiait par conséquent la mise en place de la législation ou réglementation appropriée

pour assurer une effectivité du laissez-faire.

Ainsi, l’État minimal, contrairement à l’État assistance, avait pour tâche exclusive de servir

le marché, mais aussi ses intérêts et cela au détriment des populations en général et de ses

travailleurs ou salariés en particulier. Support du marché et de tout ce qui s’y rattache,

orienté et uniquement préoccupé par l’activité économique, l’État minimal avait dans son

viseur non seulement les syndicats, mais également la société entendue comme la

communauté des individus. L’état minimal se voulait dans le fond un État de rupture par

rapport aux légitimes attentes et doléances des populations, en ce sens qu’il entendait être

au service exclusif de l’initiative économique, celle privée plus particulièrement. Comme

tel, l’État minimal entendait servir les entreprises privées d’abord et les entreprises

publiques ensuite que les autorités gouvernementales entendaient privatiser.

Dans l’esprit de ses tenants, en l’occurrence le gouvernement et les bailleurs de fonds, il

fallait via de nouvelles réglementations fragiliser d’abord puis démanteler ensuite tout

cadre susceptible de favoriser ou d’encourager des réseaux de solidarité. Concrètement,

cela signifiait pour les autorités gouvernementales de renforcer les pouvoirs du patronat

pour lui permettre de se soustraire sans difficulté aux objectifs de la contestation, arme par

excellence du monde salarié et des syndicats.

Le Code du Travail en vigueur depuis 1961 allait faire l’objet de

réaménagement : les missions de la Banque mondiale envoyées au Sénégal

avaient estimé que la législation du travail du pays renfermait des dispositions

trop protectionnistes pour les travailleurs, et étaient ainsi de nature à freiner le

dynamisme des entreprises. Deux dispositions du code du Travail étaient

visées, l’article 35 selon lequel le contrat de travail à durée limitée ne pouvait

être renouvelé qu’une seule fois, et cette disposition visait à mettre les

travailleurs à l’abri de la menace de non renouvellement, de leur permettre de

revendiquer leur droit sans risque et de militer dans le syndicat de leur choix ;

parce que pendant la période coloniale, un employeur pouvait à sa guise,

utiliser en permanence de la main d’œuvre temporaire, pour des postes de

Page 75: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

57

travail permanents. L’article 199, qui avait fait du service de la main d’œuvre

un Service public, lui accordant le monopole de bureau de placement et

d’emploi, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Une loi prise en

juillet 1987 dans le cadre du PALM et de la NPI avait supprimé ces deux

dispositions. Dorénavant, les employeurs pouvaient recourir sans limite au

contrat de travail à durée temporaire, et le service de la main d’œuvre n’avait

plus le monopole du placement des travailleurs99

.

I.III RESPONSABLISER L’INDIVIDU

En démantelant l’État-assistance d’abord et en prônant l’efficacité de l’État minimal

ensuite, il est légitime de présumer que la finalité recherchée par les bailleurs de fonds

(FMI Ŕ Banque mondiale) et le gouvernement était de responsabiliser l’individu. Cette

responsabilisation de l’individu avait pour objectif de le rendre autonome afin qu’il ne soit

plus une charge pour l’État. Dit autrement, cette volonté de responsabiliser le citoyen ou la

citoyenne, avait pour objectif, entre autres, de l’amener à se prendre en charge, de ne plus

dépendre de l’État, en somme de rompre avec cette mentalité d’assisté pour paraphraser le

président Abdou Diouf. Concrètement, on lui demandera d’innover et l’État minimal se

fera le devoir de soutenir cette innovation.

En misant sur l’individu et non sur le collectif, c’est-à-dire la société, il ne serait pas faux

de soutenir que « le libéralisme était devenu le référentiel doctrinal explicite de l’État »100

,

en ce sens qu’au Sénégal en particulier et en Afrique dans sa globalité, la communauté a

prépondérance sur la société. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il n’est pas faux de

soutenir que dans l’esprit des créditeurs (FMI Ŕ Banque mondiale), la prépondérance était

accordée à l’individu et non à la société, donnant ainsi par cette faille un argumentaire de

plus au discrédit dont font l’objet la Banque mondiale et le FMI dans leur recherche d’une

solution appropriée pour les pays africains.

99

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, pp 142-143 100

Diop, Momar-Coumba, Du « socialisme » au « libéralisme » : les légitimités de l’État dans Sénégal :

trajectoires d’un État, Paris : Karthala, 1992, p 35

Page 76: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

58

Il est évident que cet appel à la Kennedy lancé par le président Abdou Diouf aux

populations avait pour objectif de voir naître un nouveau type de sénégalais, entreprenant,

débrouillard, se prenant en charge et n’ayant aucune attente sociale envers l’État. Son

nihilisme volontaire envers l’État-providence, et ce au nom de la ferme volonté de son

gouvernement d’éprouver les populations, illustre et de façon fort éloquente que le social

n’était plus à l’ordre du jour pour son gouvernement. Face au social qu’il devait servir, et

face également aux légitimes aspirations de la communauté et de l’individu que son

gouvernement devait prendre en considération, Abdou Diouf avait choisi de rompre avec le

social sénégalais, pour asseoir des politiques qui ultimement devaient bénéficier aux

populations. « Si personne ne se réjouissait des souffrances qui accompagnaient souvent

les plans du Fonds monétaire international à l’intérieur de l’institution Ŕ fait remarquer

Stiglitz - on postulait simplement que c’était l’une des expériences douloureuses par où un

pays doit nécessairement passer pour devenir une économie de marché »101

.

Dans un contexte où le politique historiquement avait pris en considération dans ses

agissements le collectif, entendu comme la collectivité des individus, et le social entendu

comme cette obligation morale d’humanisme de porter assistance à la population avec ses

valides et invalides, justifiée par la revendication des autorités exécutives d’avoir la

compétence requise pour la gestion de la chose publique, le gouvernement socialiste avait

choisi de s’adresser et curieusement à l’individu pour lui demander de se prendre en charge.

Cette position du gouvernement justifiée par la nécessité de répondre aux conditionnalités

du FMI et de la Banque mondiale, trouvait sa justification Ŕ nous présumons - dans le fait

que le Sénégal était gouverné par un technocrate102

, et non un politique, nouvellement

promu aux hautes charges de l’État, et dépourvu de cette légitimité politique dont pouvait

se prévaloir Senghor. En parlant de cette technocratie arrivée aux commandes de l’État,

101

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris : Fayard : 2002, p 23 102

Abdou Diouf fut choisi par Senghor en 1970 pour occuper le poste de Premier ministre et contre toute

attente en ce sens qu’il n’avait pas cette base politique qui pouvait favoriser cet accès aux plus hautes charges

de L’État. Il fut également choisi par Senghor pour le remplacer comme Président de la République après sa

démission à la suite d’une modification constitutionnelle. Bien qu’il fut le secrétaire général adjoint du parti

socialiste, il est important de préciser que ce deuxième rang dans l’architecture du parti était dû au fait qu’il

était le premier ministre du Président Senghor (Secrétaire général du parti socialiste). En vérité, Abdou Diouf

n’était pas un politicien au sens péjoratif du terme. Il était plutôt un gestionnaire, un technocrate avec un sens

élevé de l’État. Aussi, il est important de préciser que le Président Senghor dans son dernier message à la

nation l’avait défini en ces termes : c’est une main de fer gantée de velours.

Page 77: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

59

Mamadou Diouf fait remarquer que « son avènement correspondait avec la mise sous

tutelle économique du Sénégal par le FMI et la Banque mondiale »103

.

La construction de l’État « technocratique » était très fortement liée à la mise en

œuvre d’une nouvelle politique économique qui nécessitait l’arrivée au pouvoir

d’un nouveau segment de la classe dirigeante, porteur de la nouvelle rationalité

promue par le FMI et la Banque mondiale. Celle-ci allait commander les

modalités de la construction hégémonique du nouveau président qui, bien que

secrétaire général adjoint du Parti Socialiste, n’avait jamais pu y faire accepter

un leadership incontestable. Le contexte très difficile de son avènement au

pouvoir imposait une nouvelle démarche, la recherche d’une plus grande

institutionnalisation des procédures politiques afin de mettre en œuvre, sans

danger les politiques d’austérité indispensables aux sources de financement104

.

« L’immixtion de plus en plus marquée des bailleurs de fonds dans la définition des

objectifs économiques Ŕ fait remarquer Aminata Diaw - avait renforcé la position de ces «

technocrates » exécutants de programme »105

. En renvoyant ainsi les populations à elles-

mêmes, en leur demandant de rompre avec des habitudes vielles de deux décennies, et cela

au nom de la mise en application de politiques économiques soustraites de leur avis,

opinion ou consentement, il ne serait faux de soutenir que le gouvernement avait choisi de

rompre avec les populations auprès de qui Ŕ il est important de le rappeler- il tirait sa

légitimité. Cette position, que la fidélité à l’orthodoxie monétaire justifiait, annonçait

toutefois la fin de ce contrat tacite non écrit qui lie et justifie les rapports entre les

gouvernants (autorités gouvernementales) et les gouvernés (l’individu et la société). En

vérité, l’atteinte des objectifs économiques justifiait la nouvelle démarche du

gouvernement.

103

Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après ? Dans Sénégal : Trajectoires d’un État,

Paris : Karthala : 1992, pp 259-260 104

Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après ? Dans Sénégal : Trajectoires d’un État,

Paris : Karthala, 1992, p 260 105

Diaw, Aminata, « La démocratie des Lettrés » dans Sénégal : Trajectoires d’un État, Paris : Karthala, 1992,

p 321

Page 78: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

60

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61

II.LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

Les objectifs économiques, contrairement aux objectifs politiques dont la formulation et les

moyens pour y arriver étaient laissés à la libre appréciation des gouvernements locaux,

étaient par contre définis par les bailleurs de fonds (Fonds Monétaire International et

Banque mondiale). Autrement dit, si les bénéficiaires du programme des ajustements

structurels pouvaient donner leur avis pour ce qui est des objectifs politiques, en choisissant

par exemple, la forme et le style du discours (ajustement structurel à visage humain,

désengagement de l’État, moins d’État mieux d’État), il en était autrement pour la mise en

application des objectifs économiques.

En effet, pour ce qui est de leur mise en application, l’accent ou l’emphase avait été mis sur

la doctrine ou l’idéologie, en somme sur ce qui avait servi de bible pour les initiateurs du

programme des ajustements structurels, à savoir : le consensus de Washington avec lequel

est née « cette volonté d’accroître la liberté des marchés au détriment des interventions de

la puissance publique, volonté qui entraîne dérégulations et recul de la protection sociale

»106

. Ce consensus s’est inspiré sur les idées émises par John Williamson qui Ŕ il est

important de le savoir Ŕ est un produit de l’école de Chicago qui est « un groupe informel

d’économistes libéraux, généralement associés à la théorie néoclassique des prix, au libre

marché libertarien et au monétarisme ainsi qu’à une opposition au keynésianisme »

[fr.wikipedia.org/wiki/Consensus_de_Washington]. Dix propositions résument la pensée

de l’économiste, à savoir :

1.- Une stricte discipline budgétaire Ŕ 2. Cette discipline budgétaire doit

s’accompagner d’une réorientation des dépenses publiques vers des secteurs

offrant à la fois un fort retour économique sur les investissements, et la

possibilité de diminuer les inégalités de revenu (soins médicaux de base Ŕ

éducation primaire Ŕ dépenses d’infrastructure) Ŕ 3. La réforme fiscale

(élargissement de l’assiette fiscale, diminution des taux marginaux) Ŕ 4.

Une libéralisation des taux d’intérêt Ŕ 5. Un taux de change unique et

compétitif Ŕ 6. La libéralisation du commerce extérieur Ŕ 7. L’élimination

des barrières aux investissements directs de l’étranger Ŕ 8. La privatisation

106

Amendola, Mario. Gaffard, Jean-Luc, Capitalisme et cohésion sociale, Paris : Economica, 2012, p 23

Page 80: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

62

des monopoles ou participations ou entreprises de l’État, qu’il soit Ŕ

idéologiquement - considéré comme un mauvais actionnaire ou Ŕ

pragmatiquement - dans une optique de désendettement Ŕ 9. La

déréglementation des marchés (par l’abolition des barrières à l’entrée ou à

la sortie) Ŕ 10. La protection de la propriété privée, dont la propriété

intellectuelle

II.I PRIVATISER ET LIBÉRALISER L’ÉCONOMIE

La privatisation et la libéralisation du secteur économique constituaient les principaux

objectifs qui étaient recherchés par les bailleurs de fonds (FMI & Banque mondiale). Pour

les initiateurs du programme, des monétaristes entre autres, la privatisation et la

libéralisation de l’économie étaient les options appropriées pour permettre à l’économie

affaiblie de créer les bases de son succès. La libéralisation du secteur économique allait

non seulement favoriser la venue de nouveaux acteurs, mais également elle était porteuse

d’emploi en ce sens que les nouveaux investisseurs Ŕ dans la logique de ses tenants Ŕ

étaient de potentiels créateurs d’emploi. Elle apparaissait donc au regard de cette logique,

soutenue par l’expertise des créditeurs (FMI et Banque mondiale) comme une option qui

faisait sens, mais aussi qui pouvait séduire les autorités politiques gouvernementales en ce

sens que le non emploi était non seulement préjudiciable pour l’économie nationale en

général, mais également pour les autorités politiques gouvernementales. La privatisation à

l’instar de la libéralisation était également Ŕ dans la logique de ses tenants Ŕ porteuse et

créatrice d’emploi, mais aussi et surtout d’efficacité. Ce choix du gouvernement

apparaissait ainsi sous un certain angle comme celui de la classe politique dans son

ensemble comme en attestent ses propos :

La libéralisation renforcée de l’économie a été facilitée par les mutations

observées au sein de la classe politique dont la tendance à l’insensibilité aux

questions sociales constituait l’une des données de structure. En effet, alors que

durant les années 1970 les partis politiques, notamment ceux de l’opposition,

proposaient une critique détaillée des politiques économiques du

Gouvernement, pendant les années 1990, la baisse de la contestation par

l’intelligentsia urbaine des choix économiques des institutions de Bretton

Woods était devenue un élément de structure de la vie politique sénégalaise107

.

107

Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002, p 67

Page 81: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

63

Dans un contexte de désengagement de l’État au nom des conditionnalités qui

accompagnaient le programme des ajustements structurels, et en raison également du rejet

du keynésianisme, la libéralisation et la privatisation qui sont des fondamentaux dans

l’approche du laissez-faire, apparaissaient pour le FMI et la Banque mondiale, comme les

voies de substitution appropriées pour corriger les maux de l’économie nationale tout en

assurant dans le court terme son efficacité et son succès dans le long terme. Par le laissez-

faire au sens néolibéral du terme, le marché pourrait s’autoréguler et apporter, rien que par

la libre-concurrence, les réponses adéquates pour corriger tout dysfonctionnement qui en

résulterait. Tel est le postulat sur lequel repose la doctrine du laissez-faire néolibéral, qui

perçoit et voit en l’intervention de l’État non seulement un problème, mais la source même

du problème.

Officiellement lancé en 1987, le programme de privatisation a connu un

démarrage effectif à partir de 1988. La première vague (1988-91) a concerné

des entreprises du secteur marchand de petites et moyennes envergures avec des

enjeux modestes. Elle a permis au Trésor de faire rentrer dans ses caisses la

somme de 13,7 milliards F.CFA, représentant seulement 4% des recettes de

l’exercice budgétaire de 1990-91. La seconde vague a été plus ambitieuse et a

inclus certaines entreprises du secteur non marchand. À travers ce nouveau

programme, l’État a décidé de se désengager totalement ou partiellement du

secteur marchand, de confier la gestion des entreprises dites « stratégiques » au

secteur privé tout en conservant la propriété des actifs publics, et de plafonner

sa prise de participation au capital des sociétés d’encadrement rural, d’habitat

social et de prospection minière à 50%. Globalement, le programme de

privatisation des entreprises non financières réalisé au cours des années 90 a

permis de réduire le volume des entreprises du portefeuille de l’État de 25%.

Au niveau du portefeuille des entreprises du secteur privé, l’État ne détient

désormais qu’une participation minoritaire108

.

Il n’est donc pas surprenant que la libéralisation et la privatisation aient été au centre des

politiques des ajustements structurels. Leur mise en place comme support aux politiques

économiques constituaient une réponse adéquate voire appropriée pour atteindre

efficacement le premier objectif politique du dit programme à savoir le démantèlement de

l’État-assistance. Elles permettaient au gouvernement par la simplicité de son postulat

théorique, en l’occurrence, le laissez-faire, de s’inscrire dans la logique de l’hérétique

108

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 84

Page 82: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

64

notion de désengagement de l’État, tout en le conduisant et paradoxalement à mettre sur

pied la législation appropriée pour sa concrétisation.

Dans les années 80, avec les premiers programmes d’ajustement, il n’était

question de privatisation que pour les entreprises publiques déficitaires, parce

que les subventions dont elles bénéficiaient participaient au déficit des finances

publiques. Avec la relance de la mondialisation dans les années 90, un nouveau

pas était franchi : la privatisation dans les pays du tiers monde, devait s’étendre

à l’ensemble du secteur parapublic, à commencer par les secteurs de fourniture

de services publics comme l’eau, l’électricité, les télécommunications

traditionnellement excédentaires109

.

Les sociétés comme la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES), la Société

Nationale d’Électricité (SENELEC), qui avaient pour mandat de « ravitailler les

populations et non de faire des bénéfices », allaient avec leur privatisation changer de

devise pour s’inscrire dans une logique de recherche de profit. « Dans le domaine de l’eau,

l’État a concédé le développement et la gestion du patrimoine de l’hydraulique urbaine à la

SONES et a confié l’exploitation, la production et la distribution d’eau potable à une

société privée, la SDE »110

. L’Office des Postes et des Télécommunications du

Sénégal(OPTS) privatisé, avait donné naissance à la Société Nationale des

Télécommunications (SONATEL) qui allait être une succursale de France Telecom (une

société française) et l’Office des Postes et de la Caisse d’Épargne (OPCE). La Banque

Nationale pour le Développement du Sénégal (BNDS) privatisée allait devenir la Société

Nationale de Recouvrement (SNR). Aucun secteur en fait n’a été épargné quoique certains

comme la santé et l’éducation, bien qu’ayant continué à fonctionner avec une logique du

service public avaient connu une forte réduction du budget qui leur était alloué.

Cette privatisation et son corollaire la libéralisation, allaient atteindre leur plénitude avec la

Nouvelle Politique industrielle avec laquelle, le gouvernement allait apporter la

réglementation adéquate pour leur concrétisation. Dit autrement, la libéralisation et la

privatisation comme choix et option de gestion de l’économie allaient trouver dans et avec

109

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

Éditions L’ Harmattan, 2002, p 174 110

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 86

Page 83: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

65

la Nouvelle Politique Industrielle les lois, mieux la législation appropriée pour permettre au

secteur économique dans son ensemble de pouvoir fonctionner sans difficulté et en toute

quiétude. C’est dans cette logique que certaines sociétés nationales furent privatisées, et

dans sa logique d’être en parfaite adéquation avec sa notion du désengagement de l’État, le

gouvernement avait porté son choix sur l’expertise étrangère :

« C’est ainsi que la société française de télécommunications, France Télécom

fait son entrée comme actionnaire principal dans le capital de la Société

Nationale de Télécommunications (SONATEL). La Société Nationale des

Eaux du Sénégal (SONES) passe sous le contrôle de la Saur, société commune

à Bouygues et Électricité de France (EDF). La Société Nationale d’Électricité

(SENELEC) est rachetée par Hydro Québec (Canada) et Elyo (France). Dans

ce dernier cas, le contrat est rompu en janvier 2001 par le nouveau

gouvernement d’alternance, les partenaires extérieurs n’ayant pas tenu leurs

engagements »111

.

Toutefois, il est important de mentionner que la libéralisation et la privatisation n’avaient

pas apporté les attentes dont elles faisaient l’objet, et cela malgré le fait que les populations

payaient désormais plus cher pour avoir le service. La qualité du service n’avait pas connu

une amélioration en ce sens que les populations étaient toujours confrontées à des

problèmes de ravitaillement pour l’eau et l’électricité par exemple. « Ces privatisations

posaient bien des problèmes : la qualité du service ne s’était guère améliorée, avec la

fréquence des coupures d’eau et d’électricité, tandis que les tarifs étaient régulièrement à la

hausse. À cette insatisfaction des usagers, s’ajoutait celle des travailleurs opérant dans ces

secteurs et qui se manifestait par la fréquence des grèves »112

. Le résultat est toutefois autre

au plan économique comme en attestent ces propos du PNUD :

Il importe de noter que le programme de privatisation des sociétés et

établissements public n’a pas encore été achevé. Sur les 19 entreprises restant à

privatiser en 1999-2000, seule Air Sénégal a été effectivement cédé. Le

processus de privatisation devrait cependant se poursuivre d’autant que les

entreprises déjà privatisées connaissant des améliorations certaines. En effet,

avec l’entrée de partenaires stratégiques étrangers dans le capital des entreprises

111

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

Éditions L’ Harmattan, 2002, pp 174-175 112

Ibidem p 175

Page 84: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

66

nationales, de nouvelles marques managériales se font jour et le savoir-faire

technologique est importé. Ces entreprises deviennent plus visibles,

communiquent mieux et certaines d’entre elles ont amélioré la qualité de leurs

prestations (SONATEL). Quant à la SDE, née de la scission de l’ancienne

SONES en société de patrimoine et société d’exploitation, elle gagne en

compétitivité et a connu son premier exercice bénéficiaire en 1998. Par

ailleurs, l’État tire de la cession de ses parts dans les sociétés publiques des

recettes exceptionnelles. Celles des privatisations qui se sont élevés à 32,2

milliards de francs en 1997 et à 30, 9 milliards en 1998 ont permis une nette

amélioration de la trésorerie de l’État113

.

Il convient toutefois de souligner que des secteurs tels que la télévision et la radio avaient

été épargnés par cette politique de privatisation. La raison, selon l’auteur alors ministre de

l’information et des télécommunications, chargé en relation avec les assemblées et en

même temps porte-parole du gouvernement, relevait d’une option, mieux d’un choix Ŕ que

nous qualifions de stratégique Ŕ qui traduisait et démasquait en même temps ce faux

enthousiasme des nouvelles autorités à s’inscrire concrètement dans la voie d’une réelle

démocratisation ou d’être en phase avec les conseils de nature démocratique du Président

Mitterrand. Ainsi, il est juste et même légitime de s’interroger sur la pertinence ou la

signification de certains gestes posés par le Président Abdou Diouf Ŕ significatifs entre

autres pour la démocratie Ŕ tels que la suppression du visa de sortie du territoire,

l’instauration du multipartisme intégral ou la mise en place d’un Ombudsman, en rapport

avec cette volonté de l’État ou de son gouvernement d’exempter114

la radio et la télévision

de la politique de privatisation, dans un contexte où les mesures ou les voies appropriées à

prendre pour relancer l’économie asphyxiée, étaient définies et sans aucun doute, par les

institutions de Bretton Woods.

Seul le secteur de la Radio-Télévision restait encore sous l’emprise de l’État.

La vision et l’option des pouvoirs publics étaient que ces moyens

d’information, en raison de leur impact, devaient demeurer dans le champ de

l’intervention de la puissance publique. Personnellement, je partageais cette

vision qui, aujourd’hui est inopérante. L’information est en effet parmi les

libertés les plus fondamentales. Elle ne peut dépendre d’un monopole, fût-il

celui de l’État. En conséquence, il est indispensable de libérer l’information,

113

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 86 114

Nous considérons ce fait comme une stratégie bien pensée par Abdou Diouf et son gouvernement. Nous

demandons au lecteur ou à la lectrice d’en tenir compte pour une meilleure compréhension de notre travail.

Page 85: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

67

sous toutes ses formes. Les débuts notés depuis 1994, dans le domaine de la

Radio, sont encourageants. Ils doivent se généraliser. La télévision, elle aussi,

ne peut échapper à cette nécessité115

.

II.II INSTAURER L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ

Il constitue le second objectif économique du Programme des Ajustements Structurels

parce qu’il est le cadre, le support et le réceptacle pour mettre en application les politiques

de libéralisation et de privatisation. La mise en place de l’économie de marché s’inscrit en

fait comme une logique intrinsèque au PAS, au regard de ses deux premiers objectifs

politiques à savoir : le démantèlement de l’État-assistance et la mise en place de l’État

minimal. En effet, en soutenant que le mal de l’économie résidait en général dans cette

intervention de l’État dans l’économie, les créditeurs (FMI Ŕ Banque mondiale), disciples

d’un certain libéralisme économique qui fait du marché le cadre non seulement adéquat,

mais parfait pour la liberté d’entreprise, allaient donc le substituer à l’État. Autrement dit,

pour la Banque mondiale et le FMI, le gouvernement ne devait plus intervenir dans le

fonctionnement du secteur économique, si ce n’est que pour lui apporter le support

législatif nécessaire à son effectivité. Ce retrait de l’État dans le secteur économique c’est-

à-dire sa non immixtion dans le fonctionnement des activités économiques, exigé et

demandé pour les finalités des réformes du PAS (Programme des Ajustements structurels),

n’était valable qu’à l’endroit des populations et de leurs attentes.

Contrairement à une croyance trop répandue, les pouvoirs publics ont un rôle

essentiel à jouer dans une économie de marché, pas seulement pour gérer la

monnaie. Non pas un rôle prépondérant, car ils n’ont pas à prendre le pas sur

les opérateurs privés. Non pas un rôle prépondérant mais un rôle essentiel,

parce que sans eux l’économie de marché dégénérerait en anarchie, ou plus

précisément en anarcho-libéralisme. Les interventions publiques répondent à

plusieurs objectifs différents : assurer les solidarités, répartir les charges

communes, fixer et faire respecter les règles du jeu, freiner les mouvements

perturbateurs, seconder les efforts116

.

115

KA, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines du Sénégal, 2005, p 34 116

Rivoire, Jean, L’économie de marché, Paris : Presses universitaires de France, 1994, p 59

Page 86: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

68

La libéralisation et la privatisation étant les caractéristiques essentielles de la doctrine du

laissez-faire, allait trouver dans le marché leur cadre adéquat voire approprié pour leur

effectivité. Le marché avec la libre concurrence, apparaissait ainsi pour les bailleurs de

fonds (FMI & Banque mondiale) comme la solution appropriée pour vitaliser l’économie

nationale affaiblie et cette option s’imposait à tout prestataire du PAS (Programme des

Ajustements Structurels). Concrètement, cela signifiait que l’État devait cesser d’intervenir

dans l’économie et laisser le marché s’autogérer voire s’autoréguler. Ce principe théorique

de la doctrine du laissez-faire véhiculée par les créditeurs (FMI & Banque mondiale) avait

trouvé à travers le gouvernement un exécutant qui avait pour tâche essentielle de trouver la

législation appropriée et de veiller à son observance.

Il incombait donc à l’État, c’est-à-dire le gouvernement qui l’incarnait au premier plan, à

mettre en place par l’entremise de sa main invisible la législation appropriée pour permettre

la libéralisation et la privatisation de l’activité économique tout en la protégeant des

éventuelles et virtuelles turpitudes qui pourraient en résulter. « Mes recherches sur la

théorie économique de l’information Ŕ fait toutefois remarquer le prix Nobel d’économie Ŕ

ont montré que, chaque fois que l’information est imparfaite, en particulier quand il y a

asymétries d’informations Ŕ lorsque certains savent quelque chose que les autres ignorent

(autrement dit, toujours) Ŕ la main invisible est invisible pour la bonne raison qu’elle

n’existe pas. Sans réglementations et interventions appropriées de l’État, les marchés ne

conduisent pas à l’efficacité économique117

.

À partir de la dévaluation du F CFA commence pour le Sénégal une séquence

marquée par le renforcement de la libéralisation de son économie, grâce à

d’importantes réformes structurelles destinées à consolider les bases d’une

croissance durable, à assainir la gestion des ressources publiques et à redéfinir

le domaine d’intervention de l’État. En contrepartie, des accords de

confirmation et des accords de facilitation d’ajustement structurel renforcé

(FASR) ont été signés avec les institutions de Bretton Woods. Les réformes

entreprises après la dévaluation tiennent mieux compte de l’intégration

régionale, notamment avec la signature, en janvier 1994, du traité de

l’UEMOA, l’entrée en vigueur du Tarif extérieur commun (TEC) en janvier

2000 et les mesures relatives du taux unique de TVA entrées en vigueur en

117

Stiglitz, Joseph E, Un autre monde : Contre le fanatisme du marché, Paris : Fayard, 2006, p 15

Page 87: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

69

septembre 2001. Ces réformes affichent également mieux que par le passé, des

objectifs relatifs à la réduction de la pauvreté, en particulier avec l’affectation

d’une part plus importante des ressources à la santé et à l’éducation de base, la

mise en place de filets de protection sociale et une meilleure défense de

l’environnement118

.

Cette intention des créditeurs d’implanter chez les prestataires (gouvernements) de leurs

services (PAS) l’économie de marché apparaissait donc non seulement comme une logique

de doctrine, mais également et surtout comme un impératif voire une exigence justifiée par

leur thérapie. En effet, compte tenu du fait que le contenu du programme des ajustements

structurels était l’œuvre de monétaristes, il est important de mentionner que ces derniers

étaient favorables à la mise en place de l’économie de marché comme cadre approprié pour

la bonne marche de l’économie. Au souci donc de trouver une ou des solutions aux maux

de l’économie sénégalaise, était également présent chez les créditeurs (FMI Ŕ Banque

mondiale), une volonté d’asseoir l’activité économique dans un cadre qui lui serait

bénéfique dans le court et le long terme et ce cadre avait pour nom : le marché.

C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre Philippe Hugon lorsqu’il soutient que «

Les fondements libéraux des politiques d’ajustement sont doctrinalement compatibles avec

l’intégration par le marché »119

. Suzanne Quiers-Valette qui décrit l’ajustement structurel

comme un processus d’apprentissage [Quiers-Valette, 1991: 79], soutient que « l’objectif

est l’établissement et/ou l’activation d’une économie de marché, passant par le

démantèlement au moins partiel et en tous cas nécessairement progressif, d’une économie

administrée. En bref, il s’agit d’organiser le marché selon une séquence qui n’est pas

propre à l’A.S.S »120

.

118

Diop, Momar-Coumba, Réformes économiques et recompositions sociales dans La construction de l’État

au Sénégal, Paris, Karthala, 2002, p 68 119

Hugon, Philippe, « Les politiques d’ajustement structurel et les différentes formes d’intégration régionale

» dans Intégration régionale et ajustement structurel en Afrique sub-saharienne, Ministère de la coopération et

du développement, Paris : La documentation française, 1991, p198 120

Quiers, Suzanne « L’ajustement structurel : Politique incitatrice à l’intégration régionale » dans

Intégration régionale et ajustement structurel en Afrique sub-saharienne, Ministère de la coopération et du

développement, Paris : La documentation française, 1991, p 80

Page 88: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

70

C’est le lieu toutefois de souligner que l’économie de marché ne signifie pas et n’a jamais

signifié un retrait total de l’État. C’est une pure fiction, un alibi théorique pour dire que tel

ne fut pas le cas au lendemain de la crise de 1929 où l’État, par l’entremise d’une assistance

mesurée, avait contribué à son succès « aux États-Unis, en Europe et au Japon pendant trois

décennies après la Deuxième Guerre mondiale »121

. Elle a servi et sert encore de modèle

dans les grandes démocraties et n’a point empêché l’État, bien au contraire, d’assurer son

rôle de protecteur social. À ce niveau, il serait important de citer la gratuité du service de

santé par exemple en France ou au Canada, le soutien apporté aux familles démunies et la

gratuité de l’éducation scolaire jusqu’au secondaire pour insister et souligner que ces

acquis ne sont pas nés d’une économie planifiée ou à la soviétique comme en attestent ces

propos :

Une chose est certaine : les enseignements de la Grande Dépression demeurent.

Ils doivent être jugés à l’aune des succès de la reconstruction et des choix

politiques qui les ont permis. Ils ont conduit à emprunter un chemin qui n’est

ni le laisser-faire, ni la planification centralisée, mais qui est celui d’une

économie de marché régulée, c’est-à-dire une économie dont la stabilité est

assurée grâce à des interventions des pouvoirs publics qui conservent au marché

sa fonction d’allocation des ressources de sélection, mais veillent à la

croissance en lisant les fluctuations grâce au développement de l’investissement

public et à la généralisation de la protection sociale. C’est cette économie-là

qui l’a emporté sur les économies administrées et qui a assuré la réussite de la

reconstruction et de la convergence des pays de l’Europe Occidentale vers

l’économie la plus développée. C’est cette économie aussi qui l’a emporté dans

les pays émergents de l’Asie orientale qui n’ont pas souscrit aux règles du

consensus de Washington et où l’État a joué un rôle actif de promotion du

développement en permettant aux mécanismes de marché d’être efficaces122

.

C’est donc l’économie de marché d’obédience néolibérale, apathique et insensible au social

et à ses demandes, et qui fut celle du Consensus de Washington que les créditeurs ont voulu

implanter en Afrique Sub-Saharienne (A.S.S). C’est d’ailleurs à ce niveau que réside la

grande lacune ou la faiblesse du PAS. Mais cette lacune - il est important de le mentionner

- ne saurait en aucun cas expliquer ou justifier le déficit démocratique criard qui sévit au

Sénégal et en Afrique. Certes la conditionnalité au regard de ses objectifs politiques à

121

Amendola, Mario. Gaffard, Jean-Luc, Capitalisme et Cohésion sociale, Paris : Economica, 2012, p 8 122

Ibidem, pp 29-30

Page 89: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

71

travers le démantèlement de l’État assistance et économiques par la mise en place d’une

économie de marché néolibérale, constituait un obstacle et même une entrave au processus

de démocratisation, et à la limite, un obstacle majeur, mais non définitif, pour l’avènement

de la démocratie en Afrique.

La conditionnalité des institutions financières internationales Ŕ faut-il le préciser Ŕ acceptée

dans le respect de la procédure démocratique aurait certainement une légitimité qui sans

rien enlever à la dureté des mesures d’austérité, allait probablement trouver refuge et

support dans la conscience collective qui pourrait se prévaloir du fait moral, mais

hautement important, d’avoir consenti aux dures politiques engendrées par elle-même. Il

appartient seulement et uniquement aux populations ou seulement et uniquement à leurs

légitimes représentants de conférer cette légitimité requise et nécessaire pour mettre en

place une telle politique. Leur implication devient par conséquent un devoir, mais aussi une

nécessité.

On se rend compte aussi de plus en plus qu’il n’y a pas une seule forme de

capitalisme, une seule « bonne » façon de gérer l’économie. Il existe, par

exemple, d’autres formes d’économie de marché (comme celle de la Suède, où

la croissance est restée vigoureuse) qui ont créé des sociétés tout à fait

différentes, avec de meilleurs systèmes de santé et d’éducation et moins

d’inégalité. S’il est vrai que la version suédoise fonctionnerait peut être moins

bien ailleurs, ou serait inadaptée à tel ou tel pays en développement, son succès

démontre qu’il y a d’autres formes possibles d’économie de marché efficaces.

Et du moment qu’il y a des alternatives et des choix, ce sont les processus

politiques démocratiques qui doivent être au centre des prises de décision, et

non pas les technocrates. L’une des critiques que j’adresse aux institutions

économiques internationales, c’est d’avoir tenté de faire croire qu’il n’y avait

pas de concessions possibles Ŕ qu’un seul et même ensemble de politiques allait

améliorer la situation de tous -, alors que l’essence même de la science

économique repose dans le choix, et qu’il existe différentes options, dont

certaines bénéficient à des intérêts précis (les capitalistes étrangers, par

exemple) aux dépens d’autres, dont certaines imposent des risques à des

catégories précises (comme les salariés) pour permettre à d’autres de ne pas les

subir123

.

123

Stiglitz, Joseph E, Un autre monde : Contre le fanatisme du marché, Paris : Fayard, 2006, p 16

Page 90: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

72

Ce consentement citoyen par lequel s’est fait les grandes nations et les grandes démocraties

et qui favorise entre autres le patriotisme fait défaut dans un contexte où les attentes du

corps social avaient été rejetées par le gouvernement. Ce patriotisme qui est ce sentiment

de reconnaissance, d’attachement à un nous, à un collectif que nous nommerons État qui,

au-delà de ses fonctions régaliennes, a été historiquement au service de l’individu et de sa

collectivité, est important pour plusieurs raisons et doit être préservé, parce que nécessaire

et fondamental pour l’avènement d’une République. Pour le Sénégal, ce sentiment que

l’État post colonial a tenté d’entretenir a été profondément fragilisé par des choix

politiques, qui sous le couvert de la conditionnalité ont renvoyé l’individu et la société à

eux-mêmes dans un contexte où rien n’était évident, si ce n’était pas l’incivisme avec tout

ce qu’il pouvait engendrer comme préjudices à la fois pour la société et son économie.

II.III AMÉLIORER LA QUALITÉ DE VIE DE L’INDIVIDU

La finalité de l’économie est d’être au service de l’individu et de la communauté : nous

partons de cette prémisse pour soutenir que la finalité recherchée par les initiateurs du PAS

(Programme d’Ajustement Structurel) était d’améliorer la qualité de vie de l’individu

d’abord et de la société ensuite. En effet, même si la thérapie préconisée pour corriger le

déficit et relancer la croissance a été dure pour les populations, et en dépit du technicisme et

de l’économisme du PAS (Programme des Ajustements structurels), il n’est pas juste de

soutenir que le désir d’améliorer la qualité de vie à la fois de l’individu et de la société

n’était pas présent chez les initiateurs du consensus de Washington. Autrement dit, même

s’il est permis de soutenir que les monétaristes sont par vocation insensibles au social et à

ses composantes, le professionnalisme et la compétence dont ils se réclament les

empêchent, du moins les condamnent à ne pas être indifférents à la finalité de leur thérapie

qui ultimement devrait permettre à l’individu et à la société de mieux vivre. Dans l’esprit

des penseurs du PAS et de ses coachs (FMI & Banque mondiale), il était clair que la mise

en place des réformes exigées auprès des prestataires de leurs services en l’occurrence (les

gouvernements locaux), et éventuellement de leurs respects allait dans le long terme

permettre aux individus, c’est-à-dire aux populations de mieux vivre comme en attestent

ses propos du prix Nobel d’économie:

Page 91: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

73

Ce qui me paraissait stupéfiant, c’est que chez beaucoup de hauts dirigeants du

FMI et de la Banque mondiale, ceux qui prenaient les décisions cruciales, il n’y

avait pas le moindre doute sur le bien-fondé de ces politiques. Des doutes, il y

en avait, certes chez les gouvernants des pays en développement. Cependant,

beaucoup craignaient tant de risquer de perdre les financements du FMI, et avec

eux bien d’autres fonds, qu’ils les exprimaient avec la plus grande prudence Ŕ

quand ils le faisaient Ŕ et seulement en privé. Mais, si personne ne se

réjouissait des souffrances qui accompagnaient souvent les plans du Fonds

monétaire international, à l’intérieur de l’institution on postulait simplement

que c’était l’une des expériences douloureuses par où un pays doit

nécessairement passer pour devenir une économie de marché prospère, et que

les mesures du FMI allaient en fin de compte alléger les épreuves que ce pays

aurait à affronter à long terme124

.

Toutefois, il est important de préciser que c’est l’individu et non la société qui était au

centre de la préoccupation des tenants de la doctrine du laissez-faire néolibéral, et c’est à

cet individu que s’adressaient les initiateurs du PAS (Programme des Ajustements

Structurels). En fait, c’est en sa qualité d’être rationnel, calculateur et égoïste entre autres,

doté de cette capacité de faire face au marché et à ses exigences, qui a amené les

monétaristes et leurs alliés à miser sur lui. Comme tel, l’individu pour les tenants du

marché néolibéral, s’oppose à la société pensée et jugée émotive, par conséquent

irrationnelle. Ainsi, la société, comme agrégat d’individus, était exclue dans leur approche

pour solutionner les dysfonctionnements qui pourraient résulter du marché. C’est donc à

cet individu, apatride dans leur logique, que les « fondamentalistes du marché

»125

promettaient d’améliorer la qualité de vie.

Il convient toutefois de faire remarquer que malgré la noblesse de leur intention et des

solutions préconisées pour relancer l’économie et sa pleine croissance, les bailleurs de

fonds ou les créditeurs (FMI et Banque mondiale) n’avaient pas pu atteindre cet objectif en

ce sens que les politiques d’austérité avaient non seulement entrainé une baisse

considérable du pouvoir d’achat des populations, mais avaient aussi favorisé l’émergence

d’une nouvelle catégorie de pauvres suite à la politique de dégraissage de la fonction

publique. À ce niveau, il est important de préciser que malgré les sommes versées aux

124

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris : Fayard, 2002, p 23 125

Amendola, Mario. Gaffard, Jean-Luc, Capitalisme et Cohésion sociale, Paris : Economica, 2012, p 9

Page 92: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

74

déflatés dans le cadre de la politique dite des départs volontaires, cet argent avait permis de

régler des problèmes ponctuels et ne pouvaient en aucun cas servir de fonds de commerce

ou de départ pour la création d’une quelconque activité lucrative. Il est aussi important de

prendre en considération la notion de famille élargie, propre aux sociétés africaines et

d’imaginer les conséquences d’un licenciement sur l’ensemble des personnes qui

dépendaient ou qui comptaient sur un revenu qui était loin de couvrir les besoins de bases

(nourriture Ŕ logement Ŕ habillement) de la famille immédiate ou nucléaire.

Il y a lieu donc de mentionner que l’individu comme entité, et partie intégrante de la société

n’avait pas connu une amélioration de sa qualité de vie. Renvoyé à lui-même par en

gouvernement censé lui apporter soutien et assistance, et privé de supports adéquats pour

vivre décemment, le citoyen devait et allait innover pour se prendre en charge tel que voulu

et souhaité par le gouvernement et ses créditeurs (FMI & Banque mondiale), avec comme

seule, unique et légitime préoccupation : la survie. Et cette quête de survie allait se faire et

s’était fait le plus souvent, ou la plupart du temps pour ne pas dire toujours, en marge de

l’État et de ses circuits officiels. Du marchand ambulant aux vendeurs réguliers ou

occasionnels, du chauffeur des transports en commun et son apprenti, des cars rapides aux

clandos (parce qu’opérant dans une clandestinité connue et reconnue des autorités), des

taximan ou des mobylettes taxi, en somme le secteur informel dans son ensemble allait et

fonctionnait selon des critères qui échappaient aux contrôleurs de l’État.

En vérité, il s’en était résulté un nouveau type de citoyen sénégalais, façonné certes par les

épreuves issues, voire engendrées par la rigueur du PAS (Programme des Ajustements

structurels), mais débrouillard et qui allait fonctionner en marge des circuits étatiques pour

assurer sa survie. La débrouillardise ou l’esprit gorgolou allait prendre une dimension et

une proportion certes importante mais qui était également inquiétante en ce sens qu’elle

avait favorisé en même temps la création et l’émergence d’un certain incivisme ou selon les

termes de Gilles Gagné, ce « recul du devoir civique et de l’impôt »126

avec tout ce que

pouvait comporter comme conséquences préjudiciables pour un pays dont l’économie était

126

Gagné, Gilles « Essai sur la situation politique du Québec » dans Société La suite du monde : 27, 2007, p

142

Page 93: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

75

fortement affaiblie et qui devait, et doit compter sur ses fils, ses ressortissants, sa jeunesse

quelles que soient l’ampleur et la générosité du support ou de l’assistance technique

internationale pour assurer son développement.

Le défaut ou une carence de patriotisme était certes latent, mais en gestation chez ces

populations qui n’avaient plus rien à attendre des autorités gouvernementales. En effet, le

gouvernement avait choisi de mettre un terme à toute politique ou programme de nature ou

à caractère social, au prétexte d’incontournables réformes économiques qui n’avaient pas

empêcher par exemple aux autorités gouvernementales en premier plan, et à la classe

politique majoritaire dans son ensemble de maintenir un train de vie qui faisait contraste

avec les politiques d’austérité préconisées et demandées par les principaux créditeurs ou

bailleurs de fonds, en l’occurrence, le FMI et la Banque mondiale comme en témoignent

ces propos :

Il est significatif que le gaspillage effréné de l’État africain soit passé sous

silence par les économistes de l’ajustement. Ainsi peut-on lire sous la plume de

l’un d’eux, membre du FMI «… à défaut de comprimer les autres dépenses

courantes, les autorités seront peut-être amenées à réduire les subventions à la

consommation ainsi que les transferts aux entreprises publiques » (Calamitsis

1985 : 18). Pourquoi les `` autres dépenses `` ne peuvent-elles pas être réduites

? Quelles sont au fait, ces `` autres dépenses ``? Elles ne sont pas désignées,

mais on peut les saisir par élimination : ce sont tous les postes de dépenses

budgétaires à caractère non social et improductives : armée, police, prestige

(avions présidentiels, parcs automobiles, réceptions, voyages, pléthore de

ministères et autres institutions inutiles pour placer des amis politiques…). Et

ce sont ces dépenses qui sont appelées `` dépenses de souveraineté `` et

considérées comme intouchables, alors qu’au seul plan de l’analyse de la

conjoncture dans le court terme, elles sont une source puissante d’importations,

donc de déficit des paiements extérieurs. Ce propos reflète en même temps

l’option antisociale en vigueur au FMI127

.

Il est par conséquent légitime de soutenir que les politiques préconisées n’avaient pu

améliorer la qualité de vie des populations, bien au contraire. Dit autrement, les politiques

de rupture issues du PAS (Programme des Ajustements Structurels) n’avaient pas permis à

127

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, p 85

Page 94: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

76

l’individu sénégalais en particulier et à la société sénégalaise en général de mieux vivre en

ce sens qu’elles n’avaient pu répondre aux attentes dont elles étaient porteurs. La création

d’emploi par exemple qui était attendue de la politique de privatisation n’avait pas eu lieu,

et cette réalité alliée à celle des nouveaux sans emploi qui était générée par la politique de

dégraissage de la fonction publique n’avaient fait que contribuer au mal vivre des

populations qui étaient déjà éprouvées par les politiques asociales du gouvernement. Cette

rupture entre le gouvernement et les populations rurale et urbaine qui était perceptible dans

le discours officiel, avec les notions de désengagement de l’État, d’État minimal allait se

concrétiser avec les trois nouvelles politiques (Nouvelle politique du secteur public et

parapublic Ŕ Nouvelle Politique Agricole Ŕ Nouvelle Politique Industrielle) qui allaient

marquer l’entrée de plain-pied du gouvernement ou son adhésion au néolibéralisme

économique.

Si donc au plan social, il est pertinent de soutenir que le PAS a été un échec au regard des

conséquences sociales de ses politiques sur les populations, il y a lieu de souligner qu’il a

été reconnu - par les initiés de l’économie - que la thérapie des créditeurs ou des bailleurs

de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale a été bénéfique à l’économie

sénégalaise en particulier et aux économies africaines en particulier. S’il est donc avéré

que les indicateurs d’une relance de l’économie étaient clignotants ou commençaient à

clignoter après 1995 pour le Sénégal, il convient par honnêteté d’esprit de s’accorder sur

une relativité de cet échec en ce sens que la réplique des créditeurs pourrait se réfugier dans

ce long terme, certes imprécis pour sa durée, mais quand même clair dans sa finalité, et qui

est ultimement de permettre aux populations de mieux vivre après leur thérapie.

Pourtant il y a bien un sens à cet aphorisme de Keynes « à long terme nous

sommes tous morts », un sens qui n’est pas celui que l’on veut bien lui donner

habituellement. Pour le comprendre, il suffit de se rapporter à la totalité du

texte incriminé. « Le long terme, écrit Keynes, est un guide trompeur pour les

événements actuels. À long terme nous serons tous morts. Les économistes se

donnent une tâche trop facile et trop inutile si, dans une période orageuse, ils se

contentent de nous dire que lorsque la tempête est passée l’océan redevient

calme » (Keynes, 1923, p. 65). La critique s’adressait à la théorie quantitative

de la monnaie prédisant que seuls les prix nominaux seraient affectés à long

terme par une création excessive de monnaie. Elle a une portée beaucoup plus

Page 95: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

77

générale comme quelques-uns se sont plus à le souligner (Lerner, 1972;

Vickrey, 1994; Colander, 1998). Le message qu’il faut entendre ici est que le

court terme détermine ce que sera le long terme, que la demande courante

façonne l’avenir, mais aussi qu’il n’y a pas à sacrifier l’emploi d’aujourd’hui à

celui de demain, que le bonheur des générations présentes est le garant de celui

des générations futures, qu’à moins de traiter les problèmes à court terme, le

système économique ne survivra pas. Dès lors, il ne peut y avoir un bon usage

et encore moins une nécessité des temps difficiles : ce sont des temps qu’il faut

savoir réduire. Il n’y a pas à s’accommoder d’un chômage de masse car c’est la

meilleure façon de le pérenniser et d’attenter au bien-être des générations

suivantes. Il y a place pour une inflation modérée quand elle facilite les

ajustements structurels ou, mieux encore, quand elle aide les ménages à revenu

moyen à se constituer un patrimoine. Non seulement le futur s’ancre dans le

présent, mais ni le bien-être à court terme, ni une réelle équité dans la

répartition des revenus ne sauraient être sacrifiés à un long terme mythique128

.

Le virage ambulatoire, parce que nécessaire et vital pour permettre aux populations de

mieux vivre dans le long terme, discuté et expliqué aux populations, est de l’ordre du

possible si et seulement si, il trouve un écho favorable auprès de ceux et celles qui décident

ou peuvent décider par leur vote d’accorder leur confiance à tout gouvernement. C’est à ce

niveau Ŕ nous soutenons Ŕ que réside la grande faille de cette thérapie, et cette faillite

renseigne sur la nécessité dès à présent d’un dialogue démocratique avec les populations,

ces censeurs de toute activité gouvernementale et dont la patience devant l’arbitraire de

toute politique n’est pas toujours acquise historiquement parlant. Dans trois pays Ŕ nous dit

l’économiste Makhtar Diouf Ŕ (Sénégal Ŕ Côte d’Ivoire Ŕ Ghana), « dans chacun de ces

trois pays, dans des élections pour une fois transparentes, les populations ont renversé les

régimes maitres - d’œuvre des politiques d’ajustement, bons élèves du FMI et de la BM,

manifestant par la même occasion leur sanction à l’égard des institutions de Bretton-

Woods »129

.

128

Amendola, Mario. Gaffard, Jean-Luc, Capitalisme et Cohésion sociale, Paris : Economica, 2012, pp 11-12 129

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, pp 191-192

Page 96: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

78

Au-delà de la querelle opposant les tenants de l’échec ou de la réussite du PAS (Programme

des Ajustements Structurels), l’urgence requiert de se pencher pour le Sénégal en

particulier et l’Afrique en général, sur les motifs originaux et non économiques de cette

approche ou thérapie des bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale) issue du Consensus

de Washington. Ces motifs, au-delà du malaise économique ou de la mauvaise santé de

l’économie consécutive selon ses tenants, à un interventionnisme humaniste de l’État,

étaient justifiés par des maux qui avaient pour noms : corruption Ŕ gabegie Ŕ administration

pléthorique pour ne citer que ceux-là, et qui malheureusement sont des vertus pour la quasi-

totalité des dirigeants en Afrique. Que ce qui a justifié cette approche ait pris naissance

dans un endroit au système politique non démocratique oblige un questionnement, une

interrogation ou une attitude critique faite de ce doute méthodique dont parle Weber avec

comme seule et unique préoccupation de comprendre ce qui a été à l’origine de ces faits,

ces faits dont le préjudice pour l’État et comparable à celui du cancer pour l’organisme

humain.

La thérapie est à ce niveau, en ce sens que la non mise en place ou l’absence de mécanisme

de contrôle de l’action de ceux et celles qui sont aux plus hautes commandes de l’État

favorise ce vice, cette vertu du banditisme d’État qui fait légion en Afrique, et

probablement ailleurs. Le FMI et la Banque mondiale ont bon dos, et les critiques dont

elles font l’objet, malgré leur pertinence, semblent avoir oubliées que ces organisations sont

tout sauf des philanthropies. Qu’elles aient été perçues ou pressenties comme un obstacle

sérieux à la mise en place ou à l’avènement d’une véritable démocratie en Afrique, comme

celle existant dans les grandes démocraties, en raison des conditionnalités qu’elles

imposent aux pays prestataires, comporte des limites, et relève d’une certaine exagération,

qui a usé d’une habile rhétorique et d’un discours fallacieux, à la limite nihiliste, qui a

refusé et qui refuse d’ailleurs toujours de reconnaître que le mal africain est dans les

politiques instaurées par les dirigeants. Pour exagérer, mais aussi pour simplifier, disons

que ces institutions ont tout exigé, sauf l’opacité dans la gestion de la chose publique, et

plus particulièrement dans les fonds publics. Cette opacité est pourtant ce qui caractérise ce

nébuleux appelé « fonds politiques » ou « fonds spéciaux » (nous y reviendrons), mis à la

disposition du Chef de l’État, et qui est la source principale de ces maux qui ont pour

Page 97: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

79

noms : clientélisme Ŕ esprit partisan Ŕ gabegie Ŕ détournement des fonds publics ou

enrichissement illicite, qui font que les populations sont reléguées, par les politiques, au

second plan pour ce qui est de la gestion de l’État.

Page 98: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

80

Page 99: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

81

III. LA CONCRÉTISATION PAR LES POLITIQUES DU DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT

Cette concrétisation est la manifestation, au plan pratique de la notion du désengagement de

l’État, avec la mise en place des trois grandes politiques publiques suivantes : la

Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ la Nouvelle Politique Industrielle et la

Nouvelle Politique Agricole. Ces trois nouvelles politiques ont été Ŕ pourrait-on dire Ŕ les

moyens d’actions pris par le gouvernement pour atteindre à la fois, les objectifs politiques

et économiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Si le PREF (Plan de

Redressement Économique et Financier) par lequel a débuté le PAS s’était caractérisé par

une série de mesures dont la finalité était d’assainir les finances publiques, le PALMT (Plan

d’Ajustement Économique à Long et Moyen Terme) dans lequel sont nées les trois

politiques précitées, s’est voulu le cadre de la politique de rupture qui allait décréter la mort

de l’État assistance. Il est donc comme tel, le cadre dans lequel et par lequel allait se

concrétiser le désengagement de l’État comme discours. Et le ministre du Plan et de la

Coopération à l’époque de porter cette précision à propos du PALMT:

Le programme se proposait de rétablir les équilibres macroéconomiques et

macrofinanciers rompus depuis plusieurs années pour relancer la croissance

économique, par l’investissement dans les secteurs productifs et la promotion

des exportations. Il était le couronnement de trois séries de « nouvelles

politiques » adoptées par le gouvernement, en 1984/1985 : La Nouvelle

politique du secteur para-public, marquée par le désengagement de l’État des

activités marchandes, avec comme conséquence immédiate la réduction, voire

la suppression des subventions publiques aux nombreux établissements publics

qui pesaient lourdement sur les finances publiques. La Nouvelle politique

industrielle (NPI), centrée autour de la suppression des protections diverses,

d’ordre tarifaire et non tarifaire, en vue de libéraliser le secteur industriel, de

l’ouvrir à la concurrence extérieure. La Nouvelle politique agricole (NPA),

axée essentiellement sur les notions contradictoires de désengagement de l’État

et de responsabilisation des paysans. En fait, il s’agissait de laisser les paysans

à eux-mêmes, en privatisant le marché des semences et des engrais, après la

suppression du Programme agricole (PA) qui permettait l’équipement en

matériels des producteurs du monde rural. Parallèlement à ces nouvelles

politiques, le Sénégal s’était engagé à opérer « le dégraissage » ou la déflation

de la fonction publique, dont le coût pour le budget de l’État était déjà assez

onéreux. En définitive, l’essentiel des objectifs du programme, conforté par les

conclusions de la réunion du Groupe consultatif sur le Sénégal, tenu en 1985,

était d’ordre financier et budgétaire. L’équilibre des finances publiques était

Page 100: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

82

l’axe central du programme, avec toutes les conséquences sur des secteurs

vitaux, comme la santé, l’éducation et le logement social. Ce fut, à coup sûr, le

déclenchement du processus de paupérisation du pays. Rares étaient les

initiatives destinées à encourager la relance des activités de production, d’autant

que les investissements privés tardaient à se manifester, au même moment les

investissements publics, dans la logique du désengagement de l’État du secteur

productif et marchand, devenaient rares130

.

Ces trois nouvelles politiques étaient la marque de l’insertion de plain-pied du

gouvernement sénégalais dans cette économie de marché d’obédience néolibérale, qui a fait

du marché et de son succès, sa seule et unique préoccupation. Ainsi, ces nouvelles

politiques se sont voulues, au-delà de l’atteinte des objectifs économiques, un mécanisme

pour traduire et introduire un nouveau type de rapport, que les autorités gouvernementales

entendaient désormais, entretenir avec ses citoyens et citoyennes.

III.I LA RESTRUCTURATION DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC

Elle est née dans le cadre du PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long

et Moyen Terme) qui s’était échelonné sur une période de sept années, plus précisément de

1985 à 1992. Elle a vu le jour comme politique publique, parce que les réformes qui

avaient été prises dans le cadre du PREF (Plan de Redressement Économique et Financier)

durant la période 1980-1985, avaient été jugé insuffisantes par les créditeurs ou bailleurs de

fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque Mondiale. « Le PREF a été mis au point par le

FMI et la Banque mondiale qui accorde son premier prêt d’ajustement structurel en

Afrique de l’Ouest avec les objectifs suivants : stabiliser la situation financière de l’État;

augmenter l’épargne publique; orienter l’investissement dans les secteurs productifs;

réduire l’intervention de l’État dans l’économie et restructurer le secteur parapublic »131

.

Le PREF comportait pourtant des signes annonciateurs de la nouvelle vision économique

des nouveaux dirigeants gouvernementaux dans la mesure où, il renfermait une série de

mesures qui allaient affecter directement le quotidien des populations, comme la hausse des

prix des denrées dites de premières nécessités (riz Ŕ huile Ŕ sucre). Autrement dit, même si

130

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines, 2005, p 131

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, p 138

Page 101: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

83

les mesures qu’il renfermait n’avaient pas rencontré la satisfaction des bailleurs de fonds

(FMI et Banque mondiale), le PREF annonçait timidement la volonté du gouvernement

Diouf de rompre avec la politique d’assistance qui était en vigueur durant le règne du

Président Senghor (1960-1980).

Les premières mesures concernent l’assainissement des finances publiques;

fermetures de 23 ambassades et représentations consulaires; réduction du parc

automobile de l’État et des dépenses de carburant de l’ordre de 40%; réduction

de l’assistance technique française de 150 unités; réductions des subventions

aux denrées de consommation de première nécessité comme le riz, l’huile, le

sucre : ce qui va se traduire par de fortes hausses de prix en février 1980 et en

août 1983; fermetures des internats dans les établissements secondaires132

.

En annonçant ses intentions dans le cadre du PREF (Plan de Redressement Économique et

Financier), lesquelles avaient été jugées insuffisantes par les bailleurs de fonds (FMI et

Banque Mondiale), le gouvernement était dans l’obligation de se monter plus déterminé

dans les réformes demandées, tout en se montrant plus asocial dans le PALMT (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) qui s’était fixé un double

objectif, à savoir conjoncturel et structurel : Autrement dit, la nouvelle orientation

économique qui avait toujours pour priorité d’assainir les finances publiques, avait décidé

de soustraire l’État, entendu comme gouvernement, de certaines charges qui n’étaient

d’aucune utilité pour l’économie nationale.

Au niveau conjoncturel, il s’agit de redresser les finances publiques en priorité

pour la période 1985/88, c’est-à-dire au cours des trois premières années avec

les mesures suivantes : réduire le rythme de croissance de la consommation

publique de 2,5% par an à 1%, la part des salaires dans les dépenses courantes

devant être ramenée de 52% à 49 %; réduire le rythme de consommation des

ménages, de 4,3% (1979/83) à 2,5%; porter le déficit extérieur à 1.4% du PIB

en 1992, contre 18% en 1981, et 10.2% en 1983; porter la part de l’épargne

dans le PIB à 10,4% en 1989 et à 13,7% en 1992 (elle était de 4,7% en 1981);

porter le taux d’autofinancement intérieur à 67.4% en 1989 et à 89.7% en 1992

(il était de -9.3% en 1981). Au niveau structurel, les objectifs étaient les

suivants : consolider les bases de la croissance économique dans l’agriculture,

132

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, p138.

Page 102: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

84

l’industrie et le commerce; promouvoir l’emploi; restructurer le secteur

parapublic; améliorer la programmation des investissements publics par

réorganisation du système de planification, qui devra accorder la priorité aux

projets rentables; préserver les bases de la croissance à long terme par le

développement du potentiel humain; réduire le taux de croissance

démographique de 3% à 2,8%133

.

La Restructuration du secteur public et parapublic comme politique publique, avait pour

principal objectif de corriger la crise des finances publiques auquel était confrontée entre

autres, l’économie sénégalaise. Ainsi, comme politique, elle devait réduire à la fois les

dépenses et les charges qui pesaient lourdement sur le budget de l’État. Il était question

pour une efficacité de cette politique de Restructuration du secteur public et parapublic de

mettre fin aux subventions à l’endroit des entreprises publiques, et éventuellement de

procéder à leur liquidation ou fermeture au cas où, leur privatisation n’était pas

envisageable ou possible. Compte tenu du fait que la crise des finances était entre autres

causée par une prise en charge de la demande sociale, Il était question pour les nouveaux

dirigeants de rompre avec une telle pratique. En mettant fin par exemple aux internats qui

avaient donné l’opportunité à ceux et celles dont les parents n’avaient pas les moyens pour

supporter les études de leurs enfants, le gouvernement Diouf, guidé par des impératifs

économiques, n’avait pas hésité à sabrer dans le social. L’heure était à la suppression des

subventions, ce sésame qui était distribué sous le régime de Senghor, et qui était aussi

également une marque de sa sensibilité politique : le socialisme.

Dans la logique d’alléger les finances publiques, cette Restructuration du secteur public et

parapublic devait et allait également s’appliquer au secteur de la Fonction publique, dont le

nombre de travailleurs ou de fonctionnaires avait été jugé pléthorique par les créditeurs ou

bailleurs de fond, en l’occurrence le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque

mondiale. Il fallait donc non seulement réduire le nombre de travailleurs, mais également

et surtout, arrêter ou de cesser le recrutement. Le licenciement apparaissait dès lors comme

la seule arme dont disposait le gouvernement, pour satisfaire et honorer cette exigence

émise par les bailleurs de fonds. C’est d’ailleurs dans la mise en place de cette politique

133

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, p 140

Page 103: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

85

qu’il faudrait situer la politique dite des départs volontaires, qui avait pour finalité, de

réduire la taille des fonctionnaires de la fonction publique.

Les maux du secteur parapublic au Sénégal, comme du reste partout ailleurs en

Afrique, ont été ainsi diagnostiqués : pléthore de personnel du fait des pressions

politiques sur le recrutement, choix des responsables sur des critères de

clientélisme politique et non de compétence, financement du parti politique au

pouvoir, d’où la mauvaise gestion et le recours chronique aux subventions de

l’État pour combler les déficits; cela a été particulièrement le cas des

entreprises publiques du monde rural, qui à elles seules, recueillent 60% du

total des subventions134

.

En décidant donc de mettre fin un terme à la politique des subventions à l’endroit des

entreprises publiques, il était donc loisible de comprendre également à ce niveau, que

l’intention des autorités gouvernementales, en plus du retrait de leur soutien financier pour

le fonctionnement des dites entreprises, était de procéder à des licenciements collectifs, en

ce sens que la fermeture, pour défaut d’efficacité, figurait parmi les options envisagées ou

préconisées. Il fallait certes privatiser, mais cette étape précédée par le retrait du soutien à

leur fonctionnement, devait préalablement amener les autorités à licencier une partie

considérable du personnel qui travaillait au niveau des entreprises en question. « Les

privatisations ont le plus souvent entraînés des « licenciements négociés » sous formes de «

départs volontaires » avec des indemnités assez consistantes pour éviter à l’entreprise

privatisée de traîner une pléthore d’effectifs »135

. En procédant de la sorte et sans se

soucier des conséquences qui pourraient résulter de ses licenciements, il n’est faux de

soutenir que les socialistes avaient perdu cette empathie propre à la sensibilité dite de

gauche, du moins réputée ou pensée comme telle.

Dans un Sénégal où l’emploi de façon générale, et plus particulièrement celui de la fonction

publique, en plus d’être une denrée rare, ne permettait pas et ne permet pas au salarié de

vivre décemment, instaurer une politique qui favorise le licenciement relève sous un certain

angle d’une certaine insensibilité propre, mais compatible avec cette gestion technocratique

134

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, p 143 135

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 87

Page 104: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

86

de la cité ou de la chose publique, peu aux faits des réalités auxquelles sont confrontées les

gens sans travail. En effet, en faisant fi des aspirations primaires et légitimes des

populations, tel que ce droit d’avoir du travail, en mettant en place une « politique » qui

étouffait et rendait impossible une telle aspiration au nom de la nécessité d’une « politique

» censée ultimement servir ces mêmes populations, il est légitime de soutenir que le

gouvernement avait choisi de sacrifier les populations, créant par la même occasion un

climat de tension entre lui et ses mandataires.

Supprimer les subventions aux entreprises publiques - procéder à la fermeture de celles

dont la privatisation n’était pas possible Ŕ réduire la taille de la fonction publique

constituaient Ŕ pourrait-on dire - l’essentiel de la politique de restructuration du secteur

public. Elle cadrait parfaitement avec les objectifs économiques du PAS (Programme des

Ajustements Structurels) dont les objectifs étaient de part et d’autres l’instauration d’une

économie de marché Ŕ la libéralisation et la privatisation du secteur économique Ŕ et

l’amélioration de la qualité de vie de l’individu et des populations. Cette politique de

Restructuration du secteur public et parapublic cadrait aussi parfaitement avec les objectifs

politiques du dit programme, en ce sens que les mesures qui en constituaient le fondement

ou l’ossature, allaient et avaient fragilisé l’État-assistance qui, privé de sa substance et

atteint dans son essence, était condamné à disparaître, obligeant ainsi l’individu et les

populations à se prendre en charge eux-mêmes. Ainsi la Restructuration du secteur public

et parapublic apparaissait à bien des égards comme la solution économique pour mettre un

terme à la mission sociale de l’État.

En véhiculant dans le discours officiel l’impératif économique et sa nécessité de procéder à

des réformes au nom du moins d’État, mieux d’État, le gouvernement avec la mise en place

d’une telle politique, entendait en effet rompre avec les pratiques de cet État-assistance qui

s’est voulu durant deux décennies, plus précisément de 1960 à 1980, un État support pour

l’économie et de ses activités, proche des populations et de leurs légitimes aspirations.

Inachevé dans ses prétentions, fragile dans son essence même parce qu’il était en

construction, cet État par son support, avait su et avait pu faire naître cette utile illusion ou

cette nécessaire utopie, qui avait permis et permettait aux masses paysannes et citadines

Page 105: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

87

sénégalaises en particulier et africaines en général, de croire que le gouvernement ou l’État

avaient les solutions appropriées à leurs légitimes et primaires aspirations.

Cette politique de Restructuration du secteur public et parapublic qui était antisociale dans

son fondement et hérétique dans ses aspirations, en favorisant la perte d’emploi,

occasionnait en même temps d’autres maux, qui non résolus dans le long terme allaient être

préjudiciables à l’économie. Comme telle, elle apparaissait à bien des égards comme une

approche préventive et non curative aux problèmes de la crise des finances publiques qui Ŕ

il est important de le rappeler Ŕ dans sa quête de solution pour une meilleure gestion de

l’économie, avait choisi de ne pas s’intéresser aux dépenses dites de souveraineté. Comme

politique publique, elle favorisait et portait en elle-même les germes d’une instabilité

sociale dont les effets, en termes de dommages, ne pouvaient et n’allaient en aucun cas

profiter à l’économie dans son ensemble.

La Restructuration du secteur public et parapublic visait à assainir les finances de l’État,

elle était y certes parvenue, mais en engendrant des maux qui avaient pour noms : chômage

pour les déflatés de la fonction publique en raison de la politique des départs volontaires –

accroissement de la pauvreté conjointement lié à la hausse des denrées de premières

nécessités (riz-huile-sucre) en raison également de la suppression de toute politique de

subvention. Le calvaire des populations rurales et urbaines, était loin d’être pourtant

terminé avec la Nouvelle Politique Agricole et la Nouvelle Politique Industrielle, qui se

voulaient dans le fond, des politiques de rupture avec la gestion assistance sous le régime

de Senghor.

III.II LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE

La Nouvelle Politique Agricole qui était un produit du PALMT (Plan d’Ajustement

Économique et Financier à Long et Moyen Terme) visait exclusivement le monde paysan,

c’est-à-dire les agriculteurs qui Ŕ faudrait-il le rappeler Ŕ vivaient et vivent essentiellement

de la terre et de l’élevage. Comme politique, la Nouvelle Politique Agricole s’est voulue

celle de la rupture en ce sens qu’elle allait mettre un terme aux subventions qui étaient

Page 106: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

88

accordées au monde paysan, c’est-à-dire aux agriculteurs pour les assister et aider dans leur

activité agropastorale. Ce soutien avait été jugé par les autorités politiques post

indépendance non seulement nécessaire, mais également et surtout vital pour une activité

qui ne bénéficiait pas du support naturel de la nature. La pluie se faisait rare durant

l’hivernage, et cela avait des répercussions négatives sur la production agricole, mais

également sur l’élevage, dont la survie dépendait en grande partie d’une bonne

pluviométrie. Il y a lieu de souligner que même lorsque la pluie était abondante, elle

pouvait être une corvée Ŕ tel a été souvent le cas d’ailleurs Ŕ pour le monde paysan qui ne

bénéficiait d’aucune structure pour faire face aux potentielles inondations qui pouvaient en

découler.

La sécheresse, avec tout ce qu’elle comporte comme préjudice et dommage pour les

populations, était une donnée avec laquelle les masses paysannes devaient composer si l’on

considère le manque de palliatifs technologiques pour contrecarrer ce phénomène. Le

monde paysan était donc confronté à une certaine fatalité, que les autorités politiques post

indépendance ont voulu corriger, en dotant la population paysanne d’un ministère pour le

développement rural en plus de certaines structures comme l’ONCAD (Office National de

Coopération et d’Assistance au Développement) par exemple, pour l’assister et l’encadrer

dans ses activités agropastorales. Cette prise en charge par l’État des activités du monde

rural apparaissait ainsi comme une obligation morale. L’intervention de l’État pour assister

matériellement et financièrement le monde rural, en plus d’encadrer également ses activités

était donc non seulement justifiée, mais légitime de surcroît. Elle fut malheureusement

interdite, au nom de l’assainissement des finances publiques, par les créditeurs ou bailleurs

de fonds (FMI et Banque Mondiale) pour solutionner des maux dont les populations

paysannes étaient loin d’être responsables.

Prenant prétexte de la mauvaise gestion administrative de l’ONCAD (Office National de

Coopération et d’Assistance au Développement), le gouvernement avait décidé de se

désengager pour ce qui était de la gestion du secteur agricole. Dans un contexte où la

préoccupation des créditeurs ou des bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale) était la

recherche d’un certain équilibre budgétaire, la suppression de soutien de tout ce qui n’était

Page 107: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

89

pas rentable pour l’économie devait être prise en considération par le gouvernement, et le

secteur agricole en était la parfaite illustration. Non seulement, la production agricole était

loin de répondre aux attentes du gouvernement et des créditeurs, mais l’assistance au

monde paysan en termes de de semences, d’engrais et de matériels commençait à peser

lourdement sur le budget de l’État. La nouvelle orientation politique, née du PAS

(Programme des Ajustements Structurels) imposait des recommandations allant dans le

sens comme en attestent ces propos du Président de la République :

Notre pays va fêter dans quelques mois le 25ème

anniversaire de son ascension à

l’indépendance. Vingt-cinq années d’un parcours semé d’écueils à surmonter et

de contours à franchir, auront permis d’accumuler une moisson d’expériences

mais aussi de résultats positifs. Une adolescence tourmentée par une série de

longue sécheresse, secouée par les retombées d’une crise économique

internationale sévère et persistante, aura valu au Sénégal, à l’âge de raison, de

passer en revue les étapes significatives du chemin parcouru et d’en tirer les

enseignements nécessaires pour son meilleur devenir. Il est naturel que les

enseignements à dégager concernent en premier lieu l’Éducation et

l’Agriculture qui constituent les deux piliers du développement économique et

social de la nation sénégalaise. Après les états généraux de l’Éducation, le

secteur de l’Agriculture ne pouvait donc pas être en reste. C’est pourquoi, dès

les premiers mois de 1984, fidèle à sa tradition de dialogue et d’ouverture, le

Sénégal avait convié ses partenaires au développement à une analyse critique de

la situation de l’Agriculture sénégalaise en vue de détecter les principaux maux

dont elle souffrait afin que de ce diagnostic, puisse être tirées les conclusions

propres à en assainir les bases et à en assurer l’évolution future. Des journées

de réflexion pour la politique agricole et la stratégie alimentaire aux rencontres

entre experts sénégalais et représentants des bailleurs de fonds en octobre et

décembre 1983, la mise en forme de la nouvelle politique agricole sénégalaise

ont fait l’objet de discussions et d’échanges fructueux. Cette nouvelle

politique agricole, fruit de la coopération tissée avec les pays et institutions qui

ont toujours appuyé notre pays dans son développement, reflète cette double

vocation d’enracinement et d’ouverture. Enracinement parce que puisant son

essence même dans la plus pure tradition séculaire qui dit bien que : Yala, Yala,

bay so tol (il faut compter avant tout sur soi), mais aussi ouverture parce que la

promotion du secteur agricole reste un des cadres essentiels de notre politique

de coopération. Au demeurant, la nouvelle politique agricole met fortement

l’accent sur une intensification des efforts de la nation sénégalaise, au seul

profit des vrais acteurs et bénéficiaires du développement agricole que sont les

Page 108: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

90

producteurs, en libérant ceux-ci des différentes contraintes structurelles

négatives et en les rendant maitres de leur destin136

.

Il appartenait donc aux paysans, peu aux faits des autres réalités hormis les siennes, de se

prendre malheureusement en main, c’est-à-dire de s’organiser via des coopératives pour

assurer la gestion de leurs activités. Il était désormais de leurs responsabilités de se

procurer les semences, les engrais et le matériel requis y compris de la vente ou de

l’écoulement de leur production. Et dans un contexte où cela était loin d’être facile et

encore moins évident. Non avertis et non-initiés aux principes d’une telle gestion, mais

contraints par la NPA (Nouvelle Politique Agricole) d’y faire face, les paysans étaient sans

soutien administratif pertinent, pour combiner à la fois les exigences de leurs activités

agropastorales et celle nouvelle de gestionnaire, née de la NPA. En fait et en vérité, la

Nouvelle politique Agricole voulait en faire des créanciers d’une activité dont ils n’étaient

même pas certain de tirer un certain bénéfice.

La NPA (Nouvelle Politique Agricole) cherche à responsabiliser les paysans, en

les dégageant de la tutelle des sociétés rurales d’encadrement; celles-ci avaient

été créées en grand nombre comme manifestation du socialisme africain par le

président Senghor, dans les années 60. Les dispositions de la NPA sont les

suivantes : réorganisation du monde rural par la constitution de groupements de

producteurs appelés « sections villageoises » ayant accès au crédit bancaire :

4472 sections villageoises ont été créées à ce jour Ŕ restructuration des sociétés

rurales d’intervention selon deux modalités : désengagement de l’État dans

certaines, allègement de l’encadrement en ce qui concerne les autres Ŕ réforme

de la gestion des facteurs de productions (semences et engrais) : la gestion des

engrais passe de la SONAR aux huileries; dorénavant, les engrais seront vendus

directement aux paysans, la subvention publique étant supprimée, ce qui va

entraîner pour eux une augmentation sensible des charges d’exploitation137

.

En tant que politique publique, elle se voulait avant tout une orientation de l’activité

agricole, mais souffrait d’un manque de vision, en ce sens qu’elle avait fait le diagnostic du

mal agricole sénégalais, en occultant que les agriculteurs faisaient face à une nature qui

136

Diouf, Abdou, Préface dans Nouvelle Politique Agricole, Dakar : Ministère du développement rural, 1984,

pp 1-3 137

Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : La démocratie à

l’épreuve, 1992, p 66

Page 109: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

91

avait décidé de ne pas les accompagner dans leur labeur quotidien. Le climat faisant défaut

et avec des conséquences incalculables, un examen sérieux et responsable des « maux de

l’Agriculture » selon les propres termes du président Abdou Diouf, devait et devrait Ŕ nous

semble-t-il Ŕ accorder une place considérable, voire prépondérante à cette question afin d’y

trouver une solution ou des palliatifs.

En terme concret, cela équivaudrait à une politique qui réfléchirait sur la façon de rendre

l’eau accessible pour le monde rural de manière à permettre aux agriculteurs de s’activer

concrètement pour commencer leurs activités agropastorales. Une politique réellement

soucieuse de solutionner les « maux de l’Agriculture » devrait s’accorder à trouver, via la

technologie, une solution aux ennemis naturels des agricultures et qui ont pour nom par

exemple : criquets Ŕ sauterelles, etc, qui portent un sérieux préjudice au monde paysan. La

voie l’autonomie du monde paysan était à ce niveau, et non simplement et uniquement dans

la mise en place d’une politique qui avait la prétention de responsabiliser le monde paysan,

de le rendre autonome, sans créer les conditions d’une réelle autonomie.

Les Programmes de réformes que de nombreux pays africains ont adoptés au

milieu des années 80, avec le soutien du Fonds monétaire, de la Banque

mondiale et d’autres bailleurs de fonds, reposaient sur un modèle nouveau.

Leur but était de limiter le rôle de l’État dans la production et dans le contrôle

de l’activité privée. Ils faisaient une plus large place aux exportations, en

particulier à celles d’une agriculture négligée. Ils mettaient aussi davantage

l’accent sur la stabilité macroéconomique et sur la nécessité d’éviter la

surévaluation des monnaies. La réorganisation du cadre législatif et

réglementaire sur la base de ce nouveau modèle a fini par s’appeler ajustement

structurel. L’un des principaux changements intervenus dans la stratégie de

développent en Afrique a été de considérer l’agriculture, non plus comme un

secteur rétrograde, mais comme le moteur de la croissance Ŕ comme une

importante source de recettes d’exportation et comme le principal moyen de

faire reculer la pauvreté. L’amélioration des incitations et des services

d’infrastructures destinés aux agriculteurs est donc au centre des programmes

d’ajustement138

.

138

Banque mondiale, Rapport sur les politiques de développent, L’ajustement en Afrique : Réformes, résultats

et chemin à parcourir, Washington, Banque mondiale, 1994, p 39

Page 110: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

92

« Le désengagement de l’État Ŕ fait remarquer Gilles Duruflé Ŕ dans un contexte de revenu

rural insuffisant et de pluviométrie incertaine aura pour effet la poursuite du sous-

investissement dans l’agriculture pluviale : équipements, intrants, entretien de la fertilité

des terroirs, semences améliorées »139

. Toutefois, il est important de faire remarquer que le

fait de convier des « partenaires » à un examen critique sur la situation de l’Agriculture en

occultant les vrais raison du mal paysan était et est explicite de ces rencontres où le

formalisme est à l’honneur et, souvent au mépris des populations concernées. Il

n’appartenait pas aux « partenaires étrangers » par exemple et encore moins aux bailleurs

de fonds de situer la source du problème en ce sens qu’une telle attitude était et est

contraire à une certaine tradition en diplomatie qui interdit à l’hôte de se prononcer sur ce

qui relève de la politique intérieure d’un État.

Il est temps, par honnêteté d’esprit, de déculpabiliser les investisseurs étrangers et les

partenaires au développement, souvent accusés à tort, d’être en déphasage avec la réalité

des populations. On peut certes leur reprocher leur silence complice, mais il ne serait pas

juste et à la limite acceptable de les désigner pour responsables du malaise social

sénégalais en particulier et africain en général, alors que l’origine de ce malaise est dans les

politiques et le comportement dépourvu de vertu politique des dirigeants gouvernementaux.

Que les dirigeants décident, au prétexte d’une exigence de réformes demandée par les

créditeurs ou bailleurs de fonds, de ne plus soutenir et assister efficacement les agriculteurs,

relève d’un manque de vision et de responsabilité, donnant ainsi tout son sens à ce ponce

pilatisme de beaucoup de dirigeants qui fait office avec la mondialisation de l’économie.

La tentative récente du président de la République sortant : Me Abdoulaye Wade, de

vouloir « acheter la conscience » de monsieur Alex Segura, fonctionnaire du FMI, après la

fin de séjour de ce denier, est profondément révélateur du sérieux problème auquel sont

confrontés ces « partenaires étrangers » dans un pays où la corruption déguisée en « cadeau

» dit de tradition, est monnaie courante. Ce problème sénégalais, transposable et sans

réserve à toute l’Afrique de l’Ouest et Centrale, demeure et constitue le pernicieux

139

Duruflé, Gilles, Le Sénégal peut-il sortir de la crise ? Douze ans d’ajustement structurel au Sénégal, Paris :

Karthala, 1994, pp 119-121.

Page 111: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

93

problème auquel sont confrontés les investisseurs étrangers et bailleurs de fonds qui

doivent, dans beaucoup de cas, avaler des couleuvres pour ne pas subir la « plume » du

gouvernement pour demander leur rappel à leur poste d’attache.

La peur justifiée, entre autres, d’être déclarée persona non grata, donne souvent lieu à des

cas de corruption avérée et souvent néfaste pour l’économie nationale et les populations.

Mais, dans les grandes démocraties comme la France, le Canada ou les États-Unis par

exemple, lorsqu’une telle situation est connue et documentée par la presse et les

parlementaires, elle entraîne immédiatement le retrait avec sanction de la personne

impliquée. Tel est le cas, du moins pour le Canada où les fonctionnaires, y compris tous les

citoyens, contraints par la loi à faire une déclaration de revenu, sont dans l’obligation de

faire preuve de la plus grande prudence pour éviter d’être cités dans des cas semblables ou

similaires.

C’est le lieu de souligner la haute importance des mécanismes de contrôle pour une gestion

efficace et transparente de la chose publique. Dans la démocratie dite sociétale et qui fait

office dans les grandes démocraties comme la France, le Canada et les États-Unis par

exemple, ces mécanismes de contrôle sont assurés au plan politique, explicitement par les

parlementaires d’abord, et implicitement par une presse libre et totalement indépendante,

qui agit sans subir aucune entrave provenant du gouvernement. « Le rôle essentiel que joue

une presse libre et bien informée Ŕ fait remarquer le prix Nobel d’économie Ŕ pour tenir en

lisière même nos gouvernements démocratiquement élus nous paraît tout à fait naturel.

Tout délit, toute incartade, tout favoritisme est passé au crible, et la pression de l’opinion

publique est rude »140

.

140

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris : Fayard, 2002, p 294

Page 112: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

94

III.III LA NOUVELLE POLITIQUE INDUSTRIELLE

Elle a vu le jour également sous le PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à

Long et Moyen terme) qui s’était échelonné sur une période de sept années, plus

précisément de 1985 à 1992. La Nouvelle Politique Industrielle avait pour premier objectif

d’être la voie du gouvernement Diouf pour traduire sa nouvelle vision économique qui

reposait essentiellement sur le laissez-faire. En tant que politique publique, elle se voulait

un cadre rassurant pour l’investissement privé en particulier et public en général. Elle avait

pour second objectif d’être un support, voire un allié pour tous les investisseurs et

entrepreneurs. Autrement dit, la Nouvelle Politique Industrielle en se voulant un

mécanisme d’incitation à l’investissement, n’entendait apporter aucune entrave à l’initiative

privée.

La NPI (Nouvelle Politique Industrielle) vise à redynamiser l’industrie, par des

mesures fiscales et douanières, et par la révision du Code du travail. Les

mesures fiscales et douanières prises dans le cadre de la NPI sont les suivantes :

suppression des restrictions quantitatives d’importation pour certains produits :

métaux, emballages, matériaux de construction, produits de l’agro-industrie;

libéralisation des prix; mise en place d’un nouveau Code des douanes qui réduit

et harmonise les droits, tout en renforçant la lutte contre la fraude; révision de la

procédure de subvention à l’exportation : la subvention à l’exportation,

introduite par le PREF et qui était basée sur la valeur FOB, sera dorénavant

calculée à partir de la valeur ajoutée; mise en place d’un nouveau Code des

impôts, pour améliorer le rendement fiscal; révision du Code des

investissements, pour rationaliser les avantages accordées aux entreprises

(l’accent étant mis sur la décentralisation géographique des activités) et réduire

les formalités administratives : l’ancien Comité interministériel des

investissements est remplacé par un seul guichet au niveau du ministère des

Finances, pour l’examen des dossiers d’agrément au Code. Le Code du travail,

en vigueur depuis 1961, va faire l’objet de réaménagements : les missions de la

Banque mondiale envoyées au Sénégal ont estimé que la législation du travail

du pays renferme des dispositions trop protectionnistes pour les travailleurs, et

sont ainsi de nature à freiner le dynamisme des entreprises141

.

141

Diouf, Makhtar, p, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : La démocratie à

l’épreuve, 1992, pp 66-67

Page 113: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

95

La NPI (Nouvelle Politique Industrielle) a été le signe le plus manifeste, de l’insertion de

plain-pied du gouvernement, aux directives émises par les institutions de Bretton Woods.

Cette politique était la réponse appropriée, donnée par le gouvernement sénégalais à ses

créanciers ou bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI (Fonds Monétaire International) et

la Banque mondiale. En effet, la Nouvelle Politique Industrielle, en plus d’être un outil

parfait pour la mise en place d’une économie de marché, traduisait également le nouvel état

esprit des autorités gouvernementales, qui était pro-marché et antisociale, parce qu’ajusté

en fonction du vouloir des créditeurs comme souligné par le rapport du PNUD (Programme

des Nations Unies pour le Développement) :

La précipitation avec laquelle certaines réformes ont été engagées par le

gouvernement s’explique davantage par l’urgence d’accéder aux ressources des

institutions financières internationales que par une adhésion consciente à ces

mesures. Cet empressement explique que le gouvernement s’abstienne souvent

d’examiner et de juger les schémas de réforme proposée lors des négociations

avec les bailleurs de fonds142

.

La Nouvelle Politique Industrielle traduisait en fait la nouvelle vision économique des

autorités gouvernementales qui avaient décidé de libéraliser et de privatiser le secteur

économique qui, auparavant était sous le contrôle exclusif de l’État. Elle se voulait ainsi un

outil approprié pour rendre concret la politique du désengagement de l’État. En tant

politique publique, la Nouvelle Politique Industrielle, se voulait à la fois un plaidoyer pour

le secteur économique et un réquisitoire pour les salariés et les syndicats. Elle était en effet

un plaidoyer pour le secteur économique, en ce sens qu’elle s’était fixée comme principal

objectif de faire la propagande et la promotion de l’utilité d’une activité économique,

libérée de toute pesanteur ou contrainte de nature administrative ou juridique. Elle se

voulait ainsi un allié inconditionnel du patronat, en lui permettant via des dispositions

réglementaires, de s’activer en toute quiétude, à la fois devant la loi, les travailleurs et les

syndicats.

142

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 83

Page 114: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

96

Elle se voulait par ailleurs un réquisitoire pour les salariés et les syndicats, en ce sens

qu’elle avait pour objectif entre autres, de fragiliser le mouvement syndical dont le credo a

toujours été de défendre et de protéger le salarié, entendu comme travailleur. Compte tenu

de la pléthore de syndicat qui existait dans un contexte où les politiques d’austérité étaient

finalement devenues la marque de commerce du gouvernement, il était nécessaire pour les

bailleurs de fonds (FMI et Banque Mondiale) et utile pour les autorités gouvernementales

d’avoir un outil efficace pour contrer et contourner les exigences du monde syndical. La

Nouvelle Politique Industrielle, en tant que reflet et orientation de la nouvelle vision

économique du gouvernement, devait se concrétiser par la mise en place d’une législation,

qui allait préciser les nouveaux rapports entre employeurs et employés. Elle se voulait pro-

marché dans le fond, au regard des nouvelles dispositions du code de travail qui donnait

désormais à l’employeur, la possibilité de mettre fin par exemple à un contrat de travail

pour des motifs exclusivement économiques.

Il est important de préciser qu’elle avait cherché et voulu avant tout, à rassurer les

investisseurs étrangers en particulier, et les entrepreneurs nationaux en général. Elle était

une demande des créditeurs (FMI et Banque Mondiale) et le gouvernement avait

l’obligation d’y répondre favorablement et cela pour plusieurs raisons. Il y avait certes

pour le gouvernement le besoin de se faire octroyer les fonds attendus en contrepartie de

son accord pour apporter les réformes demandées, mais il y avait aussi et surtout cette

volonté des bailleurs de fonds (FMI et Banque Mondiale) de trouver une solution au mal

économique sénégalais. Cette solution se trouvait entre autres par la mise en place de

l’économie de marché qui exigeait pour sa concrétisation, la libéralisation et la privatisation

du secteur économique dans son ensemble.

La Nouvelle Politique Industrielle devait être donc par conséquent, à la fois un moyen et un

outil pour les créditeurs ou les bailleurs de fonds, afin de les permettre d’atteindre les

objectifs économiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels) à savoir : la mise

en place d’une économie de marché, la libéralisation et la privatisation de l’économie, qui

en étaient les fondamentaux. Par son support prononcé au patronat, la Nouvelle Politique

Industrielle était en fait contre les salariés entendu comme travailleurs, en ce sens qu’elle

Page 115: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

97

avait apporté des modifications importantes au niveau du code de travail en vigueur depuis

1961, plus exactement en ses articles 35 et 199 pour renforcer les pouvoirs du patronat au

détriment de la sécurité du travail des salariés comme en attestent ces propos :

Deux dispositions du Code du travail sont visées, l’article 35 selon lequel le

contrat de travail à durée limitée ne pouvait être renouvelé qu’une seule fois, et

cette disposition visait à mettre les travailleurs à l’abri de la menace de non

renouvellement, de leur permettre de revendiquer leur droit sans risque et de

militer dans le syndicat de leur choix; parce que pendant la période coloniale,

un employeur pouvait à sa guise, utiliser en permanence de la main d’œuvre

temporaire, pour des postes de travail permanents. L’article 199, qui avait fait

du service de la Main d’œuvre un Service public, lui accordant le monopole de

bureau de placement et d’emploi, dans le secteur public comme dans le secteur

privé. Une loi prise en juillet 1987 dans le cadre du PALM et de la NPI

supprime ces deux dispositions. Dorénavant, les employeurs peuvent recourir

sans limite au contrat de travail à durée temporaire, et le Service de la Main-

d’œuvre n’a plus le monopole du placement des travailleurs143

.

Ces modifications qui étaient une commande des créditeurs (FMI et Banque Mondiale) qui

« avaient estimé que la législation du travail en vigueur renfermait des dispositions trop

protectionnistes pour les travailleurs et étaient ainsi de nature à freiner le dynamisme des

entreprises»144

avaient pour but de déstabiliser dans le fond, l’enthousiasme et l’ardeur des

syndicalistes dont la passion, par vocation, était de contester. La Nouvelle Politique

Industrielle constituait ainsi, par son appui affiché au patronat, un outil efficace pour

satisfaire les exigences des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI et Banque Mondiale) tout

en étant aussi un outil efficace pour trouver une solution économique au mal économique

sénégalais.

Aussi, elle s’est voulue apathique voire insensible au sort des travailleurs qui étaient en fait

laissés à la solde d’un patronat protégé dont le seul souci ou la seule préoccupation était de

faire uniquement du profit. Jamais, il n’a été question pour le gouvernement de se soucier

du sort des travailleurs dans un contexte où l’arbitraire de l’employeur n’était pas

143

Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : La démocratie à

l’épreuve, 1992, p 67 144

Ibidem, p 67

Page 116: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

98

seulement virtuel, mais probable et possible. Les travailleurs, comme partie intégrante de

la société, allaient faire les frais d’une réforme commanditée par les bailleurs de fonds

(FMI et Banque Mondiale) que le gouvernement, censé les protéger, devait pourtant

exécuter pour honorer son insertion dans le PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Les modifications apportées au code du travail, notamment en ses articles 35 et 199

ouvraient ainsi la voie à un arbitraire sans précédent du patronat.

Dans le cadre du « redressement des finances publiques », les institutions de

Bretton Woods exigent le débauchage massif de salariés et la fermeture des

entreprises d’État « malades ». Le vocabulaire de l’orthodoxie économique est

volontiers médical : les sociétés d’État « souffrantes » sont soumises à un

programme d’« assainissement » sous la surveillance de la Banque mondiale,

phase préalable à la privatisation dans le cadre de la renégociation de la dette

extérieure145

.

Le licenciement pour motif économique apparaissait dans ce contexte pro-marché et

asocial, non seulement comme un sérieux prétexte pour les employeurs, mais pouvait servir

d’alibi pour licencier abusivement. Au nom de la rentabilité et de l’efficacité, au nom de

l’innovation et du profit, le patronat entendu comme les investisseurs étrangers et les

entrepreneurs nationaux, avait désormais la possibilité d’opérer avec béatitude. Protégé par

une nouvelle politique, appuyé par les créditeurs ou les bailleurs de fonds (FMI et Banque

mondiale), supporté par le gouvernement, le patronat avait la liberté de poser ses conditions

aux employés et à leurs syndicats affaiblis par la nouvelle orientation économique du

gouvernement.

Anéantis, ils leur restaient par contre cette arme qui fait leur identité, à savoir la

contestation, et cette détermination qui forgent leur personnalité. Ils avaient toujours ainsi

la possibilité de contester, de faire des sit-in, d’aller en grève pour revendiquer une

amélioration de leurs conditions de travail. Les travailleurs avaient toujours la possibilité

de protester, et les syndicats se devaient de les accompagner dans ce droit sans issu, dans ce

contexte où les résultats du jeu étaient connus d’avance. En effet, outre le discours officiel

145

Chossudovsky, Michel, La mondialisation de la pauvreté, Montréal : Écosociété, 1998, p 54

Page 117: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

99

qui portait sur le désengagement de l’État, s’y ajoutait la fragilisation du mouvement

syndical dans son ensemble, au regard de la politique d’affiliation qui liait la CNTS

(Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal) au gouvernement. Le gouvernement

pouvait en effet compter sur le soutien de la centrale la plus représentative, en l’occurrence

la CNTS, dont le secrétaire général était et a toujours été un membre du parti socialiste

siégeant au bureau politique. Sous le vocable de la notion de participation responsable, le

gouvernement savait ultimement qu’il pouvait compter sur l’appui total et indéfectible du

bureau confédéral qui avait en son sein et comme par le passé, des députés siégeant au parti

socialiste : parrain du PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Excepté Madia Diop, le secrétaire général de la CNTS durant la mise en application du

PAS, qui était vice-président dans le bureau de l’Assemblée Nationale et membre du

bureau politique du parti socialiste, les anciens secrétaires généraux de la dite centrale

étaient dans le passé des membres du gouvernement, avec rang de ministre. Tel fut le cas

de Doudou Ngom qui fut ministre de 1970 à 1977. Lors du départ de Senghor au soir du 31

décembre 1980, le secrétaire général de la CNTS : Babacar Diagne qui avait succédé à

Doudou Ngom dans le gouvernement en 1978, était ministre de l’action sociale. Il fut

confirmé à ce poste par Abdou Diouf lors de la formation du nouveau gouvernement du 06

janvier 1981 dirigé par Habib Thiam. Parmi les six nouveaux qui faisaient leur entrée au

gouvernement, figurait un syndicaliste en la personne de Sogui Konaté qui était le

secrétaire général du syndicat de l’OPTS (Office des Postes et des Télécommunications du

Sénégal) et député du parti socialiste depuis 1973.

Vieux combattant de la Classe ouvrière à la tête d’une des plus importantes

centrales syndicales du pays, Madia DIOP est réellement une figure

emblématique du syndicalisme africain. Il présidait aux destinées de la CNTS;

il a marqué l’organisation de l’Unité syndicale africain (OUSA) pendant

plusieurs années. Son autorité morale était incontestable dans le monde

ouvrier, voire dans le pays. Siégeant au Bureau politique du Parti socialiste, au

nom du principe de l’affiliation de la CNTS au Parti, il y jouissait du respect et

de l’écoute des dirigeants146

.

146

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines du Sénégal, 2005, p 129

Page 118: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

100

Au nom de cette profonde complicité et de ce deal qui les liait le gouvernement à la

centrale syndicale la plus représentative, nés sous Senghor et entretenus avec Abdou Diouf,

il est légitime de soutenir que la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du

Sénégal), en plus de verser dans le formalisme pour la revendication d’une amélioration des

conditions de ses syndiqués, avait pour tâche entre autres, de fragiliser le mouvement

syndical dans son ensemble au nom de leur engagement partisan, c’est-à-dire pro-

gouvernemental. « En favorisant les alliances entre certains syndicats dits autonomes et la

Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal, les dirigeants sénégalais ont tenté de

fissurer le front des travailleurs pour accentuer l’atomicité politique indispensable à

l’application du PAS »147

. Il est vrai que la CNTS s’était opposée à la modification du code

du travail qui était demandée par les bailleurs de fonds (FMI et Banque Mondiale), mais sa

collaboration avec le pouvoir oblige légitimement à voir dans cette soi-disant opposition,

un formalisme justifié pour donner du crédit à cette théâtralité comme en attestent ces

propos :

Malgré le caractère parfois radical du discours de ses dirigeants, la CNTS fait

partie des instruments de gestion politique du gouvernement; elle est censée

être à son service, c’est pourquoi, au nom de la « participation responsable »,

idéologie de contrôle des ouvriers par excellence, des avantages importants sont

accordés à ses dirigeants conformément aux directives du rapport Magatte Lô

sur l’orientation syndicale de l’UPS : « l’association du mouvement syndical à

l’élaboration, à l’exécution et au contrôle de l’exécution des plans de

développement économique et social doit se traduire par la représentation des

travailleurs désignés par les organisations syndicales, à la Commission

nationale du Plan et au Conseil économique, ainsi qu’aux délibérations des

Commissions ou instances du parti traitant des questions économiques et

sociales et aux conseils d’administration des sociétés para-étatiques à but

économique et social ». La représentation de la centrale au niveau des

instances du parti au pouvoir est un aspect important de la participation

responsable. Un autre aspect se dégage à travers ces principes : « le

mouvement syndical doit se convaincre que l’étude des revendications par la

voie du dialogue, de la conciliation et de l’arbitrage, dans le cadre de la

procédure légale, au déroulement de laquelle la participation de techniciens et

147

Diop, Momar Coumba, Du « socialisme» au «libéralisme»: les légitimités de l’État dans Sénégal :

Trajectoires d’un État, Paris : Karthala, 1992, p 23

Page 119: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

101

de magistrats apporte toutes les garanties de compétence et d’objectivité est à

coup sûr plus payante que le recours anarchique à la grève »148

.

Ce contexte de division, déjà présent sous Senghor et entretenu par Abdou Diouf et son

gouvernement, avait facilité la mise en place de la Nouvelle Politique Industrielle qui

pourtant, annonçait son intention de légaliser et de légitimer l’arbitraire que lui octroyait

des prédispositions légales, qui puisaient sa seule légitimité dans cette volonté des

créditeurs ou des bailleurs de fonds, qui exigeait au gouvernement de procéder à des

réformes économiques pour sortir le pays de son mal économique. Ce recours à

l’arbitraire par le patronat était et se voulait virtuel en ce sens que la nécessité d’asseoir

une politique pour inciter et encourager les investisseurs étrangers et les entrepreneurs

locaux, avait prépondérance sur toute autre question.

Cela nous conduit à dire que la Nouvelle Politique Industrielle a été donc réellement

combattue, mais sans succès par les autres syndicats, c’est-à-dire ceux qui étaient opposés

au régime. Pour la CNTS, le formalisme, outil de gestion par excellence du gouvernement,

s’était manifesté dans la théâtralité des actes posés par ses dirigeants. Elle était en fait de

connivence avec le gouvernement et le parti socialiste dont Abdou Diouf, président de la

République et chef du gouvernement au moment de la mise en place du PALMT (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Moyen et Long Terme), était le secrétaire général.

En procédant et en encourageant le licenciement pour des motifs économiques imposés

comme thérapie par les créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale), en

mettant également sur pied des politiques publiques comme celles de la Restructuration du

secteur public et parapublic et la Nouvelle Politique Industrielle pour y arriver, le

gouvernement avait choisi de se distancer de ses populations rurales et urbaines qui allaient

et avaient fait de toute évidence les frais d’une telle option.

148

Diop, Momar Coumba. Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Karthala, 1990, pp 233-

234

Page 120: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

102

En mettant aussi sur pied une politique publique comme celle de Nouvelle Politique

Agricole pour demander aux agriculteurs, c’est-à-dire au monde paysan et rural, de se

prendre en charge, Abdou Diouf et son gouvernement, au nom de la nécessité de trouver

une solution au mal économique, avait choisi de sacrifier ces éternels oubliés de la gestion

étatique. En effet, les paysans n’avaient pas profité de l’urbanisation, ils étaient toujours

dans des conditions primaires et ne comptaient que sur leurs activités, que le gouvernement

avait décidé de ne plus subventionner, et cela malgré l’existence des conditions climatiques

qui ne leur étaient pas favorables.

Par la mise en place de politiques qui comportaient des mesures assez éprouvantes pour les

populations rurales et urbaines, le gouvernement ne mesurait peut être pas Ŕ nous

présumons - l’ampleur de leurs conséquences au plan social. Les réformes exigées par les

créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI et Banque Mondiale) pour solutionner les maux de

l’économie avaient occasionné d’autres maux qui avaient pour noms : augmentation du

taux de chômage Ŕ augmentation de la pauvreté - détérioration ou affaiblissement

considérable du pouvoir d’achat. De ces maux sans solution parce que résultant de la mise

en place de réformes jugées indispensables voire inévitables, s’en est résulté un climat de la

tension qui a été marqué par des séries de grèves et de manifestation violente pour traduire

le mécontentement social.

Aux trois politiques précitées et qui avaient durement affecté les populations, était venu s’y

ajouter celle du Plan d’Urgence ou des mesures d’urgence qui avait succédé au PALMT

(Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme). Ces mesures

d’urgence étaient en fait « une commande » des créditeurs ou bailleurs de bailleurs de

fonds (FMI et Banque Mondiale) qui, à la suite du rapport Berg, avaient demandé au

gouvernement d’apporter les correctifs appropriés comme en atteste ces écrits :

Après les élections présidentielles et législatives de 1993, le déficit budgétaire

s’est aggravé au moment même où les bailleurs de fonds, à suite du Rapport

Berg, ont suspendu leurs aides budgétaires en attendant que le Sénégal s’engage

dans un processus de réformes de façon plus volontariste. C’est dans ces

conditions que le gouvernement met en place le plan d’urgence en août 1993

Page 121: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

103

qui devrait se traduire par des mesures encore plus drastiques à l’égard des

dépenses publiques. Les mesures prises, en ce qui concerne les salaires et les

tarifs des services sociaux de base notamment, n’ont fait qu’accentuer la crise

sociale149

.

Ce Rapport avait en effet jugé insuffisant les réponses qui étaient données par le

gouvernement pour solutionner le mal économique. Des mesures plus drastiques devaient

donc être prises les autorités gouvernementales pour satisfaire les exigences des créditeurs

ou bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque Mondiale. Ces mesures

d’urgence, parce qu’elles se voulaient un gage de bonne volonté du gouvernement à l’égard

des créditeurs, allaient et avaient en effet augmenté le mal vivre des sénégalaises et

sénégalais. Elles étaient radicales et étaient de nature essentiellement économique. Par sa

froideur et sa rigidité, dénudé de toute empathie envers le social, c’est-à-dire les

populations, ce Plan d’Urgence apparaissait aussi comme le signe le plus manifeste de

cette gestion technocratique dont le pays faisait l’objet depuis l’arrivée de Diouf à la plus

haute charge de l’État. Mais ces genres mesures, c’est-à-dire éprouvantes pour les

populations au plan social, étaient déjà présentes sous formes de « recommandations » dans

le Rapport Berg de 1981

Les réformes de politique qui s’imposent seront difficiles à prendre sur le plan

technique et épineuses sur le plan politique. Les gouvernements africains et les

donateurs devront mettre au point des relations qui tiennent compte de ces

réalités, faute de quoi le programme d’action recommandé dans le présent

Rapport ne pourra réussir. Mais ceux qui auront le courage de tenter l’épreuve

seront largement récompensés. Si l’on associe les mesures de politique

générale et l’assistance étrangère de façon que les urnes renforcent l’autre et

vice-versa on parviendra sûrement à bâtir dans un avenir proche un continent

portant des marques de progrès réel au point de vue du développement et du

revenu150

.

Il est légitime de soutenir que ce plan d’urgence, au regard de ses mesures, se voulait en

fait un affront à l’endroit des populations qui étaient déjà durement éprouvées par les

politiques d’austérités combinées du PREF (Plan de Redressement Économique et

149

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 80 150

Banque Mondiale, Le développent accéléré en Afrique au sud du Sahara : Programme incitatif d’action

Washington, Banque mondiale, 1981, pp 157-158

Page 122: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

104

Financier) et du PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen

Terme). Ces mesures d’urgence avaient suscité une vive indignation chez les tous

travailleurs en ce sens qu’elles venaient affecter leur pouvoir d’achat. En fait, toute

personne qui avait un salaire, était concernée par ce plan d’urgence qui se voulait le relais,

sous un certain angle, du PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et

Moyen Terme) qui venait de se terminer. Affligées pendant douze années consécutives par

des politiques d’austérités, les populations étaient loin de se douter que le gouvernement

allait prendre encore des mesures socialement éprouvantes. Et ce qui fut malheureusement

le cas avec le Plan d’Urgence de 1993, et la Dévaluation du franc CFA en 1994.

Si les trois grandes politiques publiques (Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ

Nouvelle Politique Agricole Ŕ Nouvelle Politique Industrielle) avaient favorisé une

augmentation du chômage et de la pauvreté, le Plan d’urgence de 1993 et la dévaluation de

1994 avaient comme conséquences immédiates une baisse considérable du pouvoir d’achat

et une détérioration de la qualité de vie des populations. Il est même pertinent de dire que

ces deux politiques (Plan d’Urgence Ŕ Dévaluation du franc CFA) avaient paupérisé les

populations autant urbaines que rurales. Le Plan d’urgence avait également amené les

travailleurs en particulier à contester, et la population en général à s’indigner, en raison de

la nature de ses mesures qui n’avaient épargné personne.

Durant le deuxième semestre de 1993, après une période de rapports devenus

difficiles avec la Banque mondiale, le PCS (Pouvoir Central Sénégalais) a été

obligé d’affronter les syndicats et les partis politiques, en prenant des mesures

destinées à corriger les déséquilibres macro-économiques. Il avait alors adopté

un programme d’assainissement connu sous le nom de Plan Sakho-Loum151

, se

151

Pape Ousmane Sakho était le ministre des finances et Mamadou Lamine Loum était le ministre délégué

auprès du ministre des finances chargé du Budget sous le second gouvernement de Habib Thiam. Mamadou

Lamine Loum deviendra plus tard le troisième premier ministre sous Abdou Diouf, plus précisément le 4

juillet 1998. Ils étaient tous deux des technocrates, c’est-à-dire éloignés de la politique entendue comme ce

lien existant entre un élu et sa base politique. Ils ne devaient leurs postes qu’à leur réputée et présumée

compétence, et ne devaient par conséquent rendre compte qu’à leur maître, en l’occurrence le président de

République, qui bien que amputé également de cette légitimité politique, pouvait s’appuyer sur la machine

électorale du parti socialiste pour combler cette lacune. Cet appui était même une certitude en ce que c’était

Abdou Diouf qui nommait et révoquait aux fonctions civiles et militaires en raison de ses prérogatives

constitutionnelles. Il était ainsi virtuellement courtisé administrativement et politiquement parlant. Depuis la

mise place du PAS (Programme des Ajustements Structurels) en 1979, et qui a coïncidé avec la prise du

Page 123: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

105

traduisant, entre autres, par une baisse des salaires des fonctionnaires. Les

performances médiocres obtenues durant les années 1980, la persistance des

crises politiques post-électorales et les épreuves de force au sein des différents

segments de l’élite politique urbaine ont fragilisé le PCS (arrimé à la gestion à

très court terme, en raison de la dureté des contraintes politiques et

économiques). Elles ont aussi favorisé l’accentuation de la mise sous tutelle

renforcée du pays par les institutions de Bretton Woods ainsi que la

transformation de l’architecture de l’État. Ce processus a été aggravé par le fait

que, face à la profondeur de la crise économique et sociale, aucune alternative

politique et économique digne ce nom n’est disponible dans le discours

politique de l’élite152

.

pouvoir par Abdou Diouf le 31 décembre 1980, le ministère de l’économie des finances, étaient confiés,

depuis le départ d’Ousmane Seck, à des technocrates dans l’âme. 152

Diop, Momar Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002 p 67

Page 124: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

106

Page 125: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

107

IV LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES AU PLAN SOCIAL.

La Restructuration du secteur public et para public, la Nouvelle Politique Agricole et la

Nouvelle Politique Industrielle qui ont été les trois grandes politiques publiques pour rendre

concret la politique désengagement de l’État du gouvernement, ont été néfastes pour les

populations autant urbaines que rurales. Par ce fait, il est important de noter que cette

réalité était contraire aux objectifs économiques du PAS (Programme des Ajustements

Structurels), en ce sens que la mise en place des politiques précitées devait améliorer la

condition de vie de l’individu et de la société. Ce qui malheureusement n’était pas le cas.

Bien qu’ils aient varié selon la situation de chaque pays, les programmes

d’ajustement Ŕ appellation recouvrant globalement les programmes de

stabilisation financés par le FMI et les programmes d’ajustement appuyés par la

Banque mondiale Ŕ ont généralement eu trois objectifs principaux : Assurer

l’équilibre macroéconomique, en alignant les dépenses nationales sur les

ressources nationales. Allouer les ressources de manière plus efficace, en

opérant des transferts entre secteurs économiques. Mobiliser à plus long terme

d’avantage de ressources pour améliorer le taux de croissance économiques et

les conditions de vie, en particulier celles des populations pauvres153

.

En effet, ces politiques qui se voulaient un reflet de la nouvelle orientation économique du

gouvernement Diouf, comportaient des mesures qui étaient venues aggraver le mal vivre

des populations qui avait débuté avec la mise en place du PREF (Plan de Redressement

Économique et Financier) et, qui s’était échelonné sur une période de cinq années, plus

précisément de 1980 à 1985. Ce plan comportait déjà des mesures qui avaient directement

affecté le social comme par exemple, l’augmentation des denrées dites de premières

nécessités (riz Ŕ huile Ŕ sucre), et la fermeture des internats qui accueillaient en grande

partie des élèves qui étaient d’origine sociale extrêmement modeste.

153

Banque mondiale, Les dimensions sociales de l’ajustement en Afrique : programme d’action, Washington :

1990, p 3

Page 126: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

108

Les premières mesures concernent l’assainissement des finances publiques :

fermetures de 23 ambassades et représentations consulaires; réduction du parc

automobile de l’État et des dépenses de carburant de l’ordre de 40%; réduction

de l’assistance technique française de 150 unités; réduction des subventions aux

denrées de consommation de première nécessité comme le riz, l’huile, le sucre :

ce qui va se traduire par de fortes hausses de prix en février 1980 et en août

1983; fermeture des internats dans les établissements secondaires154

.

Compte tenu de cette volonté des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI et Banque

mondiale) d’assainir les finances publiques, le gouvernement avait procédé à la fermeture

de certaines structures jugées inefficaces et non rentables pour l’économie. C’est dans ce

contexte qu’est intervenue la fermeture de l’ONCAD (Office National de Coopération et

d’Assistance au Développement « qui employait au moins 5000 personnes »155

. Ces

compressions, dans un pays où le salaire ne nourrit pas son homme, ajouté au fait que

plusieurs personnes dépendaient de ce salaire, allaient engendrer des conséquences

négatives, et dont l’ampleur la portée échappait à toute étude ou statistique. Si le PREF

(Plan de Redressement Économique et Financier) a été le cadre dans lequel avaient débuté

les politiques d’austérité, c’est sous le PALMT (Plan de Redressement Économique et

Financier à Long et Moyen Terme) que les populations avaient réellement commencé à

ressentir les effets désastreux du PAS (Programme des Ajustements Structurels) au plan

social.

Outre les trois politiques (Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ Nouvelle

Politique Industrielle Ŕ Nouvelle Politique Agricole) qui sont nées durant son application

(1985-1992), c’est avec sa mise en place que se sont faites les grandes compressions ou

licenciements. En effet, même si la Nouvelle Politique Agricole avait pour cible le monde

rural, c’est-à-dire les agriculteurs, elle avait occasionné des licenciements qui avaient des

incidences directes sur le social de certains citadins, en raison de la fermeture de certaines

structures qui étaient en lien avec le monde paysan. « C’est ainsi que la SONAR (Société

nationale d’assistance au monde rural, créée pour remplacer l’ONCAD lors du PREF) et la

STN (Société des terres neuves) sont dissoutes en 1985 et en 1987 respectivement. La

154

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 138 155

Ibidem, p 139

Page 127: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

109

SODEVA (Société de développement et de vulgarisation) subit une déflation de personnel

de 75%, étalée sur une période de 5 ans »156

.

La NPI (Nouvelle Politique Industrielle) née également sous le PALMT (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme), en donnant des pouvoirs

et certaines faveurs au patronat (investisseurs étrangers et entrepreneurs locaux), avait fait

du licenciement un indicateur d’efficacité. En effet, il était désormais possible pour

l’employeur au nom de l’efficacité et de la rentabilité de procéder à des fermetures de

postes ou de procéder par licenciement sans aucun égard aux conséquences qui pourraient

en résulter. Dans ce contexte qui était dénudé d’empathie et de considération pour le

social, entendu comme les populations, et où les considérations économiques avaient une

prépondérance de fait sur toute autre question, les licenciés ou déflatés du PAS

(Programme des Ajustements Structurels) n’avaient comme recours que la contestation ou

la grève. Ils ne s’en étaient pas privés pour manifester leur désarroi et leur mécontentement

par rapport à une politique et un cadre pro-marché, qui ne leur donnait aucune chance de

procéder à un examen sérieux de leurs revendications et doléances.

Aux travailleurs de la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal), bernés

par un bureau confédéral qui était de connivence avec le gouvernement, aux travailleurs des

autres centrales syndicales opposés au régime socialiste, et dont les dirigeants n’avaient

aucun recours pour améliorer la situation de leurs syndiqués, la résignation apparaissait

comme le dernier recours. Contraints au même titre que les autorités gouvernementales au

regard de la conditionnalité du PAS (Programme des Ajustements Structurels), les

populations autant urbaines que sociales, les travailleurs du secteur privé comme du secteur

public, étaient dans l’obligation de vivre avec les conséquences engendrées par la politique

d’austérité du PAS.

156

Diouf Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : La démocratie à

l’épreuve, 1992, p 66

Page 128: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

110

IV.I UNE AUGMENTATION DU CHÔMAGE ET DE LA PAUVRETÉ

« Le gouvernement ne tient pas de statistiques du chômage, mais au milieu des années 80,

on estimait le nombre de chômeurs à près de 20% de la population active »157

. Il n’existe

pas d’étude pour mesurer le taux de chômage, suite aux compressions ou licenciements

engendrés par les politiques engendrées par le PAS (Programme des Ajustements

Structurels). Cette assertion est aussi valable aussi pour la pauvreté. En effet même si elle

est une constante au Sénégal et dans la sous-région, il n’existe pas d’étude ou de statistique

relative sur l’impact des politiques d’ajustement et la pauvreté. La pauvreté, par contre qui

constitue une réalité inquiétante en Afrique, et notamment au Sénégal, a fait l’objet d’une

étude ou de plusieurs études. Des études en ont d’ailleurs décrié l’écho pour en chercher

des solutions comme celle faite par la société civile en 2002 et portant sur une « évaluation

du DSRP (Document de Stratégie pour une Réduction de la Pauvreté).

C’est un ressortissant du Tiers Monde, l’indien Amartya Sen, qui reçoit le prix

Nobel d’Économie en 1998 pour ses travaux sur la pauvreté, lesquels pourtant

remontent au début des années 1960. Selon l’Académie suédoise qui décerne le

prix, Amartya Sen a « restauré la dimension éthique dans l’économie ». Cette

reconnaissance du thème de la pauvreté dans la recherche économique

académique n’en en fait que le prolongement de préoccupations apparues dans

les années 90. L’intérêt subit manifesté à l’égard de la pauvreté n’est toutefois

pas suscité par les poches de pauvreté qui existent dans les pays industrialisés;

ni même par la pauvreté structurelle classique inhérente au sous-

développement. Il se trouve que la pauvreté, dans les pays africains surtout, a

pris des proportions sans précédent, tant en extension qu’en intensité à partir

des années 80, période de l’endettement massif et des programmes d’ajustement

structurel). Le ton est donné en 1987 par une publication de l’UNICEF qui s’en

prend à l’approche exclusivement économique des programmes d’ajustement

structurel, pour réclamer un ajustement à visage humain. L’appel est entendu :

en 1989, le PNUD, la Banque africaine de développement et la Banque

mondiale lance le programme « Dimension sociale de l’ajustement ». Le

Rapport de la Banque mondiale de 1990 sur le développement dans le monde

pose explicitement le problème de la pauvreté. Le Rapport de 1994 revient sur

la question en liant la pauvreté à la croissance économique158

.

157

Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement », Politique Africaine : no 45, Sénégal : la démocratie à

l’épreuve, 1992, p 74 158

Diouf, Makhtar & Al, « Le Sénégal à l’épreuve du document de stratégie de réduction de la pauvreté

(DSRP) : une analyse indépendante de la société civile. Évaluation du DSRP : approche économique » dans

Pauvretés et Hégémonismes : les sociétés civiles africaines face aux ajustements de type nouveau, Dakar,

2002, p 85

Page 129: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

111

Le Sénégal est un pays extrêmement pauvre. Il fait toujours partie des PMA (Pays les

Moins Avancés) et cela depuis 1971, date où fut créée cette catégorie de pays par l’ONU

(Organisation des Nations Unies). Même s’il n’existe donc pas d’études statistiques pour

quantifier avec exactitude la pauvreté consécutive à la suite de la mise sur pied du PAS, il

existe par contre des chiffres des compressions ou licenciements qui ont été engendré par

cette politique économique. « De janvier 1981, à janvier 1989, près de 20 000 emplois ont

été perdus (soit 14% de la population salariée). Le processus de déflation de main d’œuvre

s’est poursuivi avec la NPI qui a fait perdre au secteur industriel le tiers de ses effectifs (10

000 emplois supprimés), sans compter que certains employeurs ont profité de la

conjoncture pour procéder à des licenciements arbitraires de personnel…»159

.

Sur les 6 milliards d’habitants de la planète, 2,8 milliards, soit presque la

moitié, vivent avec moins de deux dollars par jour et 1,2 milliards ont moins

d’un dollar par jour pour vivre. En mettant la croissance économique au centre

des préoccupations de développement, les processus de modernisation de nos

sociétés se sont accompagnés de toutes sortes d’exclusions. Les rapports de

pouvoir économique ont surclassé les préoccupations de bien-être. La

répartition du pouvoir politique s’est avérée généralement inégale et le mode de

fonctionnement des Institutions publiques continue à accentuer la fracture

sociale en jouant, souvent, un rôle particulièrement néfaste pour les pauvres.

Le Sénégal n’est pas épargné avec plus de 65% de la population vivant au-

dessous du seuil de pauvreté. À l’ère des réseaux technologiques, un tel

dénuement est devenu inadmissible. Des réformes s’imposent et nécessitent

une mobilisation de tous les acteurs économiques et sociaux. Ces réformes

passent par une meilleure répartition des ressources et une redistribution plus

adéquate des richesses créées. Elles supposent un large consensus social par le

biais du jeu démocratique160

.

Il existe toutefois, des chiffres qui font état du nombre de déflatés de la fonction publique

engendré par les politiques du PAS. La Restructuration du secteur public et parapublic et

la Nouvelle Politique Industrielle ont été en raison de leurs objectifs, des politiques qui

devaient utiliser le licenciement et la fermeture de structures ou de société, comme un

moyen utile et indispensable à leur succès. Pour ce qui était de la fermeture d’une ou des

sociétés par exemple, elle se faisait pour défaut de non rentabilité, et entrainait par

159

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, pp 160

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 14

Page 130: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

112

conséquent des mises à pied. Ce procédé a été utilisé par le gouvernement aussi bien dans

la Restructuration du secteur public et parapublic que dans la Nouvelle Politique

Industrielle. En effet, au nom de l’assainissement des finances publiques, et de la Fonction

publique, où il était question de réduire la charge des dépenses publiques, la réduction du

personnel évoluant dans le secteur public, a été choisi par le gouvernement, non seulement,

comme la seule alternative, mais aussi et surtout comme la plus efficace. Ce qui n’était pas

sans conséquence négative sur la vie des populations.

Les programmes d’ajustement structurel, partout où ils sont appliqués, et quel

que soit le résultat au plan économique, ont toujours des conséquences sociales

néfastes sur les populations, surtout les plus déshéritées. Ce sont de telles

préoccupations qui sont à l’origine du concept d’ajustement à visage humain

lancé par l’UNICEF (Cornia, 1987). Une initiative concrète a été prise dans ce

sens : un Mécanisme régional a été créé par le PNUD, la Banque mondiale, la

Banque africaine de développement, et le gouvernement norvégien, pour

financer un projet « Évaluation des dimensions sociales de l’ajustement » d’un

montant de 11 millions de dollars, afin d’aider les États de l’Afrique au sud du

Sahara à inclure des objectifs sociaux dans la formulation de leurs programme

d’ajustement. Le pays pionnier dans l’application de ces mesures a été le

Ghana, avec la mise en place en 1987 du PAMSCAD (Programme of Action to

Mitigate the Social Coast of Adjustment). Le gouvernement du Sénégal a

obtenu en 1988 d’être inclus dans le mécanisme régional161

.

La fermeture de société ou le licenciement a été également utilisé comme procédé par le

gouvernement, entendu comme l’État, avec la mise en place de la NPI (Nouvelle Politique

Industrielle). En effet, au nom de l’atteinte des objectifs qui lui ont été assignés et attendus,

et pour donner aux entreprises ce dynamisme dont elles avaient besoin pour atteindre cette

rentabilité attendue et souhaitée par le gouvernement et ses créditeurs (FMI Ŕ Banque

mondiale), la NPI devait considérer et favoriser le licenciement comme un outil de gestion

pour le secteur privé. Avec la privatisation, qui fut le moyen par lequel la libéralisation de

l’économie devrait atteindre son objectif, beaucoup d’emplois ont été supprimés au nom de

la recherche de la rentabilité et de l’efficacité. Ces mises à pied, dans un contexte où se

161

Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : La démocratie à

l’épreuve, 1992, pp 73-74

Page 131: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

113

nourrir et se vêtir décemment étaient loin d’être évident pour les familles, ne pouvaient

qu’être préjudiciables pour les concernées et leur famille.

Même si leur continu varie, les politiques d’ajustement mises en œuvre au

Sénégal ont cherché à assainir le cadre macroéconomique afin d’instaurer une

croissance durable et équitable et favoriser l’amélioration du niveau de vie des

populations. Les réformes mises en œuvre dans le cadre de ces programmes

ont cependant eu une faible incidence sur les conditions de vie des populations.

Leur efficacité en termes de développement humain peut être appréciée au

niveau de l’évaluation de la croissance de l’économie, de la situation budgétaire

et monétaire ainsi que des effets économiques et sociaux des réformes162

.

Ces licenciements ont eu, à coup sûr, des conséquences négatives sur les populations et à

plusieurs niveaux. Dans ce contexte où il fallait assurer sa propre survie, l’esprit gorgolou,

c’est-à-dire de débrouillardise, allait faire et avait fait sa naissance, avec tout ce qu’il

comportait comme pratique et comportement dégradants, et à la limite indécents. Si

l’homme devait user de son bras pour s’en sortir, la femme sénégalaise, sa jeunesse

féminine en grande partie, allait user de leur charme pour s’en sortir, dans une pratique qui

ne disait certes pas son nom, mais qui en vérité, était de la prostitution ajustée en fonction

des circonstances.

Elle n’était pas l’apanage des femmes, il était aussi l’astuce de certains jeunes hommes,

souvent d’origine extrêmement modeste, dans ces endroits pittoresques où faisait légion un

certain tourisme sexuel. La pauvreté ou la peur d`être pauvre ou plus pauvre, avait amené

les populations en grande partie, à rompre avec ce gêne (la kersa) et ces valeurs

sénégalaises qui avaient pour noms : le mougne (la patience) et le rouss (la honte) pour ne

citer que celles-là. Le reniement de ces valeurs, fragilisées entre autres, par un contexte

audio-visuel friand d’hédonisme, allaient amener les populations à être autre et à agir

autrement. Pour faire bref, disons que l’être sénégalais avait osé oser en défiant les us et

coutumes.

162

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 94

Page 132: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

114

Le Sénégal est confronté à une pauvreté de type structurel qui est la principale

caractéristique du sous-développement. Cette pauvreté qui se retrouve dans

tous les pays sous-développés n’est pas celle qui a suscité l’attention des

institutions de Brettons Woods et les autres bailleurs de fonds à partir de 1990.

Les stratégies actuelles de lutte contre la pauvreté ont été déclenchées par ce

qu’on pourrait appeler la « nouvelle pauvreté » apparue au cours des vingt

dernières années et contemporaine des programmes d’ajustement structurel.

Elle se manifeste par une double paupérisation : approfondissement de la

pauvreté dans les couches de la population traditionnellement affectées, et

paupérisation de certaines couches moyennes de la population (à la suite de

pertes d’emplois, d’élévation du coût de la vie…), particulièrement en milieu

urbain163

.

Ainsi, la pudeur, jadis présente dans les attitudes et comportements des populations, avait

disparu avec les effets cumulés des politiques du PAS (Programme des Ajustements

Structurels). L’instinct de survie, avait en effet amené les populations, rurales comme

urbaines, à reléguer au second plan l’orgueil et la fierté. Les ruraux qui avaient quitté leur

localité pour faire fortune en ville, allaient cohabiter avec des citadins qui tiraient le diable

par la queue. Ils s’exposaient ainsi virtuellement vers l’illicite moral, économique et

religieux au nom de cette réussite sociale, qui était devenue impossible, voire illusoire avec

les politiques combinées du PAS, et de l’attitude asocial du gouvernement.

L’on ne se gênait plus pour demander et quémander. Une pratique qui était par le passé,

l’apanage des gawlos, c’est-à-dire des griots. La mendicité se faisait de plus en plus visible

et n’était plus également l’apanage des invalides ou des handicapés. De vaillants

personnages, des familles parfois, prenaient places devant les mosquées les jours de prières

ou devant les centres d’achat pour citer Dakar, pour tendre la main avec la dignité requise

du pauvre qui ne cherchait que sa survie.

Le profil de la croissance économique sénégalaise est ainsi marqué par une

aggravation de la pauvreté alors que la reprise de l’activité économique aurait

dû se traduire par le relèvement du niveau de vie des populations. Si l’on en

163

Diouf, Makhtar & Al, « Le Sénégal à l’épreuve du document de stratégie de réduction de la pauvreté

(DSRP) : une analyse indépendante de la société civile au Sénégal. Évaluation du DSRP : approche

économique » dans Pauvreté et hégémonismes : les sociétés civiles africaines face aux ajustements de type

nouveau. Dakar 2002, pp 86-87

Page 133: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

115

croit l’Enquête sur les priorités (ESP) de 1991 et de l’Enquête sénégalaise

auprès des ménages (ESAM) de 1994, on serait passé en quatre ans d’un tiers

(33%) à près de trois cinquièmes (58%) des ménages vivant au-dessous du seuil

de pauvreté. Ainsi plus d’un ménage sur deux ne dispose pas de ressources

permettant un niveau de consommation de 2 400 calories par jour et par

équivalent adulte. La pauvreté affecte beaucoup plus les zones rurales ou 79%

des ménages sont pauvres, soit quatre ménages sur cinq, contre moins d’un

ménage sur cinq à Dakar (DPS). Par ailleurs, les 20% de la population les plus

riches détiennent plus de la moitié du revenu national, et le revenu de ce groupe

est 17 fois plus élevé que celui des 20% les plus pauvres164

.

C’est dans ce contexte que les pharmacies furent abandonnées par les populations

déshéritées pour acheter les médicaments de rues, ces génériques souvent contre indiqués et

expirés, pour le substituer aux vrais médicaments qui, malheureusement, n’étaient plus pas

à leur portée. « Le meilleur indicateur de la dégradation économique, et qui peut se passer

de statistiques, est le développement de la pauvreté que chacun peut constater dans les rues

des grandes villes, surtout à Dakar, cible privilégié de l’exode rural. La pauvreté n’avait

jamais atteint de telles proportions dans le pays »165

. La capitale nationale, à savoir, Dakar

a été témoin de ces faits où des groupes composés de jeunes et de grandes personnes,

fouillant des poubelles dans une école sise dans une grande avenue, pour chercher de quoi

manger.

Devant les restaurants du COUD (Centre des Œuvres Universitaires de Dakar),

s’agenouillaient des personnes de tous âges qui attendaient que les étudiants leur remettent

le restant de leur plat pour pouvoir manger. De telles réalités étaient méconnues par les

études les plus sérieuses, pour dire que l’impact et la portée de cette pauvreté consécutive

au PAS (Programme des Ajustements Structurels), allait échapper à toute statistique. Il

fallait le voir pour y croire, et en parler ou porter ces faits à l’attention des responsables

politiques pourrait vous octroyer le statut d’un attardé mental ou d’un utopiste dans un

Sénégal où la mendicité était acceptée par la conscience populaire.

164

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 100 165

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : L’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

L’Harmattan, p 173

Page 134: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

116

Depuis une dizaine d’années, la société sénégalaise est dans une situation de

crise sans précédent; elle est en proie à la paupérisation à un rythme croissant et

inquiétant. La pauvreté se manifeste sous des formes très apparentes,

particulièrement dans la capitale, Dakar, qui en est le révélateur le plus

éloquent : les groupes de mendiants à chaque feu rouge de la circulation; les

quémandes régulières dans les rues, de la part d’homme et de femmes, qui par

leur aspect vestimentaire, ne laissent rien paraître de leur nouvelle pratique pour

faire la mendicité; les innombrables laveurs de voitures à la devanture des

supermarchés, les défilés de jeunes prostituées le soir sur la corniche Ouest, les

arnaques sur les bijoux et portefeuilles des passants en plein jour et en plein

centre-ville, au marché Sandaga; le développement de la délinquance et de la

drogue chez les jeunes… etc. L’exode rural massif, parce qu’il n’y a rien dans

les campagnes, contribue à alimenter fortement le phénomène. Une enquête

des ménages réalisée en 1995 révèle qu’une proportion de 65% de la population

vit en dessous du seuil de pauvreté, ne disposant pas de 392 francs CFA (moins

d’un dollar) par jour et par adulte (Republic of Senegal 2000)166

.

Cette paupérisation des masses rurales et urbaines, qui était perceptible dans le quotidien

des populations, était intimement liée aux licenciements massifs qui étaient exigés par les

nouvelles politiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Elle pouvait se

percevoir par le nombre de marchands ambulants à travers les rues, dans les marchés et

garages (lieux où se trouve les moyens de transports pour voyager entre les villes) où

adultes et enfants se côtoyaient, pour vendre sa marchandise afin d’assurer son quotidien

ou celui de sa famille. Dans ce contexte de promiscuité ou tout était possible, la prudence

n’y avait plus sa place, et ouvrait ainsi la voie à un certain laxisme au niveau des attitudes,

qui traduisait et renseignait sur le désarroi d’une population qui ne cherchait qu’à survivre.

Il fallait survivre, c’est-à-dire s’adapter à la conjoncture, et cette préoccupation était

présente chez tous les sénégalais qui s’étaient ajustés pour faire face aux nouvelles réalités.

De nouvelles structures d’adaptation à la nouvelle situation voient le jour :

marché de la friperie, monopolisé au début par les économiquement faibles,

mais de plus en plus fréquenté par les cadres moyens pour s’habiller avec leurs

familles; apparition de magasins de vente de voitures d’occasions, les venants

de France comme on les appelle, et depuis tout récemment, de réfrigérateurs

d’occasion en provenance d’Allemagne; la prolifération sur les trottoirs, de

librairies par terre devenues incontournables, pour bon nombre de pères de

166

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 166

Page 135: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

117

famille venant y acheter les fournitures scolaires de leurs enfants, à des prix

défiant toute concurrence. Ces nouveaux circuits de commercialisation attirent

de plus en plus de cadres moyens et supérieurs, autrefois abonnés au luxe des

grandes sociétés commerciales du centre-ville de Dakar. Bien entendu, la

plupart de celles-ci, faute d’une masse de clientèle suffisante et soumise à une

lourde pression fiscale, se résignent à la cessation d’activité167

.

La Restructuration du secteur public et parapublic et la Nouvelle Politique Industrielle ont

été les politiques publiques qui avaient engendré le plus de compressions massives. C’est

avec leur mise en application que le mal vivre des populations s’était aggravé. Même si les

politiques préconisées avaient atteint leurs objectifs économiques, elles avaient provoqué

une crise sociale sans précédent qui ne pouvait en aucun cas profiter à l’économie. En

essayant d’éradiquer le mal économique, le gouvernement et ses créditeurs ou bailleurs de

fonds (FMI Ŕ Banque mondiale) avaient provoqué un certain malaise sociale, qui allait

atteindre son paroxysme avec la mise en place du Plan d’urgence ou des mesures

d’urgence de septembre 1993. Au-delà de son rejet par les populations, ses mesures

avaient engendré une détérioration de leur pouvoir de dépenser. Elles avaient occasionné la

pauvreté de la classe moyenne. La Dévaluation du franc CFA, qui était intervenue l’année

suivante, c’est-à-dire en 1994, avait enlevé aux traditionnellement pauvres, la possibilité de

mener une vie décente.

IV.II LA DÉTÉRIORATION DU POUVOIR DE DÉPENSER DES POPULATIONS

Il est important d’emblée de préciser que le pouvoir de dépenser était quasiment faible pour

les populations urbaines en particulier et rurales en général. Il était et a été toujours

quasiment nul pour la quasi-totalité du monde rural. Le sous-emploi était présent avant la

mise en place du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Ce manque de travail

avait augmenté certes, en raison des politiques préconisées par les créditeurs ou bailleurs de

fonds (FMI Ŕ Banque mondiale), mais il constituait déjà une donnée qui faisait partie de la

réalité de l’économie sénégalaise. À cette précision de taille, il faudrait y ajouter que le

salaire comme source de revenu, autant dans le secteur public que privé, était loin d’être

167

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan , pp 166-167

Page 136: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

118

suffisant pour entretenir l’employé, et par extension sa famille. Les fonctionnaires

sénégalais ont toujours été mal rémunérés. Ce fait n’était pas consécutif au PAS même si

cette mauvaise rémunération allait connaître son point culminant avec les mesures

d’urgences de 1993. Il est important par conséquent de retenir que les sénégalais étaient, et

sont d’ailleurs toujours mal payés, sous-payés même.

Il est même juste de soutenir que la Fonction publique au Sénégal ne paye pas et ne nourrit

pas son employé de façon générale. Ses fonctionnaires ont par conséquent un pouvoir

d’achat faible, mais non inexistant. Nous entendons par pouvoir de dépenser, la possibilité

pour toute personne d’avoir une source de revenu, c’est-à-dire un salaire qui lui permet de

pouvoir acheter. Il est important aussi de préciser que le pouvoir de dépenser était loin

d’être seulement l’apanage des salariés du secteur public ou privé. Il était présent dans le

secteur dit informel, et pouvait même être plus élevé que celui de certains fonctionnaires.

Dans ce secteur s’y trouvait les commerçants, les marchands ambulants, les domestiques,

les transporteurs, les chauffeurs de taxi et de clando (moyens de transport accessible au

pauvre), les travailleurs de la construction, les artisans, les vendeurs de poissons, les

boulangers, en somme, toutes les personnes s’activant dans un secteur autre que celui de la

fonction publique ou du secteur privé légalement constitué.

« Le secteur informel émerge comme la seule alternative pour de larges segments des

populations dont il permet de satisfaire les besoins les plus élémentaires. Cependant, il est

caractérisé par de bas salaires, de mauvaises conditions de travail, le manque de protection

sociale »168

. Ce secteur informel était composait en grande partie par des gens qui aimaient

s’activer en marge des circuits officiels, rendant ainsi la tâche difficile aux agents du

contrôle des impôts et domaines. Il se caractérisait par cet esprit gorgolou (débrouillardise),

né de ces temps difficiles consécutifs et contemporain au PAS. En vérité, c’est ce pouvoir

de dépenser extrêmement faible des populations, que le Plan d’urgence avait ciblé pour

l’affaiblir de nouveau, dans un contexte où, les mêmes populations devaient conjuguer avec

des politiques qui étaient déjà assez éprouvantes et affligeantes pour elles-mêmes.

168

Diop, Momar Coumba, « réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002, p 71

Page 137: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

119

Par la nature de ses mesures, le Plan d’urgence apparaissait comme un plus d’obligation de

contraintes, que le gouvernement demandait aux populations, et plus particulièrement aux

salariés par une baisse considérable de leur revenu. « Au second semestre de l’année 1993,

le gouvernement confronté avec un déficit budgétaire alarmant, et la déficience du

financement extérieur habituel, lance un Plan d’Urgence dont les grandes lignes »169

étaient

les suivantes :

- Réduction de 15% des salaires de la fonction publique de :

- * 15% pour les salaires supérieurs à 50 000 f par mois

- * 5% pour les salaires inférieurs à 50 000

- * 25% pour les ministres et députés

- * 50% pour le président de la République

- Prélèvement exceptionnel (sur les revenus mensuels) de :

- * 4% pour les cadres et ouvriers du secteur privé, de septembre 1993 à décembre

1995 inclus

- * 15% pour les directeurs des sociétés nationales et publiques

- * 25% pour les présidents des conseils d’administration des sociétés nationales et

des sociétés publiques

- Augmentation de 15% de l’impôt sur les revenus non salariaux (revenus de capitaux

mobiliers, revenus fonciers, bénéfices non commerciaux, bénéfices industriels et

commerciaux, bénéfices agricoles) des années 1992, 1993 et 1994.

- Emprunt forcé sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales, pour une

durée de 6 ans avec différé, au taux annuel de 6%.

- Extension du champ d’application et augmentation du taux du timbre douanier

(institué en 1991) sur les marchandises importées : le taux varie entre 6% et 12%

- Augmentation du prix du carburant : 4,5% sur l’essence170

.

169

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, pp 168 170

Ibid, pp 168 -169

Page 138: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

120

Au regard de ses mesures, qui se sont voulues une réponse pour apaiser l’insatisfaction des

créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI-Banque mondiale), il est légitime de soutenir que le

gouvernement avait encore manqué d’empathie envers les populations qui étaient déjà

assez éprouvées par les politiques d’austérité. En effet, du PREF (Plan de Redressement

Économique et Financier) au PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long

et Moyen Terme), les populations avaient fait les frais de certaines mesures et politiques

qui ont été très affligeantes au plan social. En effet, de l’augmentation des denrées dites de

premières nécessités depuis 1981, en passant par les licenciements massifs occasionnés par

les politiques du PALMT, les populations avaient fait face, dans l’impuissance certes, aux

difficultés qui étaient engendrées par la rigueur et le caractère austères des mesures qui

étaient issues du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Dit autrement, les masses

rurales et urbaines avaient enduré les contraintes avec une relative passivité, dans laquelle

coexistait une certaine tension qui oscillait entre contestation et résignation.

Le Plan d’Urgence ainsi conçu se réduit en un ensemble de mesures fiscales,

dont le seul objectif est la réduction du déficit budgétaire. Il est profondément

déflationniste : il pénalise aussi bien la demande intérieure des ménages qui

soutient l’activité économique, que les entreprises. C’est pour cela qu’il a fait

l’objet d’un rejet massif des syndicats. Ce qui a donné lieu à une grève

générale totalement suivie (opération villes mortes) le 2 septembre 1993, à six

journées de grève partielles au mois d’octobre, et à tout un programme de

grèves du zèle en novembre. La mission du FMI venue à Dakar n’a pas admis

le Plan d’Urgence tel quel, reconnaissant qu’il ne comportait aucune mesure de

relance économique. En réalité, ce plan ne se distingue des programmes

d’ajustement antérieurs que par son champ plus réduit, étant confiné à des

mesures budgétaires. Pour ce qui est de son impact économique et social, il

n’est agi de rien d’autre que d’une opération de clonage de la médecine FMI171

.

Se sentant acculées par ces mesures d’urgence, les populations, autant urbaines que rurales,

fatiguées par le caractère accumulé et continue des réformes qui continuaient à aggraver

leur mal vivre, avaient opposé un non catégorique au Plan d’urgence. Les syndicats

unanimement, y compris la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal),

avaient fait un front commun pour parler d’une même voix afin de s’opposer au caractère

171

,Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002 p 169

Page 139: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

121

anti social de ces mesures. Les travailleurs également, secteur public et privé confondus,

syndiqués comme non syndiqués, avaient fait un front commun, pour dénoncer le caractère

asocial de ces mesures.

Le Plan d’urgence avait donc rejeté unanimement par les populations et les syndicats, qui

l’avaient perçu et reçu comme « la goutte de trop dans le vase ». Le social était de

nouveau, encore affligé par les politiques du PAS (Programme des Ajustements

Structurels). Ces mesures qui n’avaient reçu, ni l’assentiment et encore moins le soutien

des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale), traduisaient de façon fort

éloquente, que le pays était dirigé par des technocrates. Ces mesures non cautionnées par

les bailleurs de fonds, en l’occurrence, le FMI et la Banque mondiale, donnaient un crédit

fort pertinent sur cet empressement des autorités gouvernementales dénoncé par le PNUD,

beaucoup plus préoccupées par les décaissements, que par un examen sérieux et approfondi

des réformes qui leur était proposées par les créditeurs ou bailleurs de fond (FMI Ŕ Banque

mondiale). Ce Plan d’urgence, en se proposant de réduire le salaire déjà insuffisant du

travailleur sénégalais, mal rémunéré pour être plus précis, allait encore aggraver la dure

condition dans laquelle se trouvaient déjà les populations depuis la mise en place du PAS.

A ce Plan d’urgence qui avait réduit le pouvoir de dépenser des populations, devait s’y

ajouter la Dévaluation du franc CFA de 1994 qui allait également affecter et de moitié, le

pouvoir d’achat de toute la société. En effet, en affaiblissant la monnaie locale, cette

dévaluation qui était encore une demande des créditeurs ou des bailleurs de fonds (FMI Ŕ

Banque mondiale), avait sérieusement affecté la qualité de vie des populations. « La

dévaluation du franc CFA (1994) a provoqué un véritable retournement dans les relations

entre la Banque mondiale et le Sénégal. En effet, dans le courant de la même année, le

gouvernement a initié des réformes structurelles se traduisant, entre autres, par l’adoption

d’un appareil législatif et réglementaire en vue d’accélérer la libéralisation de l’économie

»172

.

172

Diop, Momar Coumba, « réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002, p 67

Page 140: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

122

Par son incidence directe sur les produits et services, cette Dévaluation du franc CFA avait

rendu certains produits de consommation, hors de la portée des masses citadines et rurales.

Les denrées dites de premières nécessités (riz-huile-sucre) devaient voir leur prix se

doubler, alors que le salaire était réduit de moitié, affectant ainsi le panier de marché de

tous les ménages. Le mal vivre des populations s’était ainsi amplifié, pour atteindre une

dimension à la fois alarmante et inquiétante comme en témoignait la multiplication de la

vente de nourriture dans presque tous les quartiers pour servir de rempart à ceux et celles

qui n’étaient plus capables de se payer le luxe de prendre chez soi les trois repas (petit

déjeuner Ŕ diner Ŕ souper).

Du sandwich peu nutritif, au petit bol de riz que l’on pouvait prendre dans beaucoup de

coin de rue, la paupérisation des populations avait amené la disparition du social et de la

socialité, entendus comme ces valeurs de partage et d’entraide qui étaient ancré dans la

Téranga ou l’hospitalité sénégalaise. La paupérisation l’avait en effet profondément

fragilisé, en ce sens que la quête de survie pour les masses rurales citadines, et ce souci des

nantis de préserver leur train de vie, avait amené les sénégalais à user du prétexte de la

conjoncture ou des temps difficile pour se passer du social, auquel ils étaient pourtant ils

attachés. Il est légitime de soutenir que la Dévaluation du franc CFA comme mesure

économique, avait engendré une dégradation assez sévère des conditions de vie des

populations en raison de son impact direct sur le pouvoir d’achat extrêmement faible et

limité des ménages

Le Sénégal est confronté à l’aggravation de la pauvreté. Une partie importante

de la population n’a pas accès à une eau de bonne qualité, à la santé, à

l’éducation et vit dans des conditions précaires. 44% des ménages sont

alimentés par des puits (68% des ruraux et 13% des urbains). L’eau courante

privée, dont on peut s’interroger sur la qualité, reste un privilège urbain. 77%

des ménages n’ont pas accès à l’électricité. La lampe à pétrole est le premier

mode d’éclairage pour 80% de ménages ruraux et 30% de ménages urbains…

Malgré la publication d’indicateurs de performance relative à la croissance

économique, la dévaluation du franc CFA a entraîné une plus grande insécurité,

en particulier au sein de la classe moyenne en raison de la baisse du pouvoir

d’achat urbain. Parallèlement, les groupes dits vulnérables éprouvent de plus

en plus de difficultés pour accéder aux services sociaux de base. Le

Gouvernement lui-même et ses principaux bailleurs de fonds le reconnaissent.

Page 141: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

123

C’est ce qui explique, après l’admission du Sénégal à l’initiative HIPC (Heavily

Indebted Poor Countries Initiative), l’élaboration du Document cadre relatif à

la stratégie de lutte contre la pauvreté173

.

Ce mal vivre des populations, consécutif en grande partie aux politiques du PAS

(Programme des Ajustements Structurels) avait commencé à plonger le pays dans une

certaine tension sociale depuis 1988, c’est à dire au moment de l’application du PALMT

(Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) qui avait débuté en

1985 et avait pris fin en 1992. Trois ans donc après sa mise en application, une certaine

crise sociale, latente certes, mais manifeste, était perceptible dans les agissements des

populations. Elle avait pour indicateurs la grève, les manifestions de rue, les marches de

protestation. Elle avait coïncidé avec l’année du second mandat du président Abdou Diouf,

et dans un contexte où les politiques qui étaient mises en place, devaient normalement lui

porter préjudice, socialement et politiquement parlant. C’est curieusement dans ce contexte

que le parti socialiste et son candidat ont été réélus, lors des élections présidentielles et

législatives de février 1988.

Elle fut aussi une année banche pour l’enseignement secondaire et supérieur en raison

d’une série de mouvement de grève. Les élèves et les étudiants refusaient de prendre une

trêve et, cela malgré les nombreux appels du gouvernement pour sauver l’année scolaire.

C’était également l’année de la « jeunesse malsaine » pour reprendre les propos du candidat

Diouf, qui était pris au dépourvu par des jeunes certes politisés, voire instrumentalisés,

mais qui avaient choisi d’exprimer violement leur mécontentement pour désapprouver des

politiques qui étaient sans issue pour leur avenir. C’était aussi l’année où les leaders de

l’opposition avaient été qualifiés de « bandits de grand chemin » par le candidat Abdou

Diouf qui était également dépourvu devant la récupération politique que les leaders de

l’opposition avait fait de ses mesures impopulaires. C’était enfin l’année où beaucoup de

leaders de l’opposition avaient été arrêté et emprisonné.

173

Diop, Momar Coumba, « réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002, pp 71-72

Page 142: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

124

Mais comme dans beaucoup de pays du tiers monde soumis à des programmes

d’ajustement structurel, les populations, au Sénégal, tout au moins dans les

centres urbains, ne restent pas longtemps passives face à cette détérioration sans

précédent de leur pouvoir d’achat. À la suite des élections controversées de

février 1988, et en plein état d’urgence, des manifestations populaires animées

par les partis politiques d’opposition ont eu lieu à Dakar; comme la fameuse

marche des femmes dans le centre-ville, pour protester contre la vie chère. Le

gouvernement est alors obligé de faire des concessions dans le courant du mois

de mai. Dans un discours radiotélévisé, le Chef de l’État annonce des mesures

d’apaisement social : baisse des prix des denrées suivantes : le riz, de 160 ($

0.53) à 130 Fr ($ 0.43), soit une baisse de 18.75% : le sucre, de 375 Fr le kilo ($

1.25) à 330 Fr ($ 1.13), soit 12%; l’huile d’arachide de 500 Fr le litre ($ 1.66) à

380 Fr (1.260, soit 24%174

.

Cette tension était aussi présente durant l’année 1993 qui fut une année électorale et où

encore curieusement, les populations avaient reporté Abdou Diouf au pouvoir pour une

troisième fois consécutive. Cette tension était difficile à étouffer parce que inhérente au

PAS (Programme des Ajustements Structurels). Cela pour dire que, lorsque le mal vivre

des populations est intimement lié à la mise en place des politiques censées améliorer leur

conditions de vie Ŕ et tel fut le cas avec le PAS Ŕ c’est parce qu’il y a un problème au

niveau de la gestion. Ce problème avait trouvé dans la contestation pacifique ou violente,

un moyen pour se faire entendre auprès des autorités gouvernementales.

IV.III UNE EXACERBATION DE LA TENSION SOCIALE

Cette exacerbation de la tension sociale était consécutive à la mise en place de certaines

politiques qui avaient débuté avec le PREF (Plan de Redressement Économique et

Financier) qui s’était échelonné sur une période de cinq ans, soit de 1980 à 1985. C’est

avec la mise en place du PREF que les politiques asociales du gouvernement avaient

commencé, pour se maintenir et se poursuivre avec le PALMT (Plan d’Ajustement

Économique et Financier à Long et Moyen Terme) qui avait une durée de sept ans, avant de

prendre fin avec le Plan d’Urgence de septembre 1993 et la dévaluation du franc CFA en

1994. En effet, de 1985 à 1992, les populations rurales et urbaines avaient subi les assauts

des trois grandes politiques du PALMT (Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ

174

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 161

Page 143: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

125

Nouvelle Politique Agricole Ŕ Nouvelle Politique industrielle), qui avaient installé un

profond malaise social au sein de la population en général. À travers ses nombreux

licenciements, qui étaient motivés par le souci du gouvernement et de ses créditeurs ou

bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale) de redonner à l’économie nationale une

certaine prospérité, le PALMT avait amené les populations à se trouver dans une situation

de mal vivre sans précédent dans l’histoire du Sénégal indépendant.

Le Plan d’urgence de 1993 et la dévaluation du franc CFA, en détériorant le pouvoir de

dépenser des populations, les avaient enfoncé dans un inconfort total qui devaient amener

les sénégalais à faire preuve d’imagination pour survivre, c’est à dire s’ajuster aux dures

réalités du PAS (Programme d’Ajustement Structurel). Ainsi, pendant quatorze années

consécutives, les populations, dont l’avis et le consentement, avaient été totalement ignorés

par le pouvoir exécutif, entendu comme le gouvernement, avaient vécu l’enfer de leur

existence, à cause de la mise en place de politiques et de réformes censées pourtant

améliorer leur situation économique et sociale. Réputées passives dans une sous-région où

la violence de la rue semblait faire partie du quotidien des ressortissants, les populations

n’avaient pas tardé d’exprimer leur ras le bol à l’endroit du PAS et de ses politiques.

Les premières lueurs de cette désapprobation des politiques sous tutelle du FMI et de la

Banque mondiale avaient débuté dès 1988, soit huit années après la mise en place du PAS

(Programme des Ajustements Structurels), avant de s’intensifier avec la mise en place du

Plan d’Urgence ou des mesures d’urgence en 1993. Il est important toutefois de faire

remarquer que cette tension n’était pas seulement l’apanage des populations ou de la

société, elle est était également présente chez les autorités gouvernementales comme en

témoigne cette radiation d’un nombre important de policiers en 1987, suite à une grève de

zèle pour contester une décision de justice (nous y reviendrons). Dans l’histoire du Sénégal

indépendant, cet événement était d’abord un précédent par la nature de ses acteurs, en ce

sens que c’était la première fois que des éléments chargés de la sécurité intérieure étaient en

grève. C’était également un précédent dans l’histoire du Sénégal indépendant, en ce sens

que c’était la première fois aussi que des travailleurs particuliers certes, parce que mandatés

Page 144: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

126

pour veiller à la sécurité intérieure des ressortissants, aient été immédiatement radiés après

une marche de protestation.

Cette parenthèse fermée et sur laquelle nous reviendrons pour expliquer et non justifier

cette radiation, nous amène à soutenir que c’était sous le PALMT (Plan d’Ajustement

Économique et Financier à Long et Moyen Terme), c’est-à-dire durant sa mise en

application (1985-1992) que les premières lueurs de la tension sociale avaient fait leur

apparition. Les effets de la rigueur des politiques d’austérité au plan strictement social

commençaient en effet à se faire sentir, et avaient amené les populations en général et les

travailleurs en particulier, à adopter une attitude offensive (marche de protestation Ŕ grève)

envers le gouvernement. C’est donc dire que les sénégalais avaient accordé une période de

grâce au nouveau pouvoir exécutif qui peinait toutefois à trouver une alternative aux

doléances de mieux vivre des populations. A la froideur de cette technocratie dans sa

gestion du social, symbolisée par des mesures qui étaient devenues trop affligeantes pour

les ménages, les populations avaient décidé d’y répondre par des manifestations et des

rassemblements qui prenaient parfois des tournures assez violentes.

Au mécontentement des populations traditionnellement pauvres, il fallait y ajouter celui

des nouveaux déflatés de la Fonction publique et des travailleurs salariés qui avaient de la

difficulté à joindre les deux bouts, en plus de celui des élèves et étudiants qui

revendiquaient de meilleures conditions pour l’enseignement secondaire et universitaire.

C’est dans ce contexte de tension que s’était tenu le second rendez-vous électoral du

candidat Abdou Diouf avec les populations dans le cadre des élections présidentielles et

législatives du 28 février 1988. Curieusement et contre toute logique, Abdou Diouf et le

parti socialiste avaient remporté cette rencontre qui s’était déroulée dans un contexte où le

mécontentement populaire, justifié par les mesures impopulaires prises par le

gouvernement dans le cadre des exigences du PAS, devrait leur être défavorable politiquent

et socialement parlant. Ce mécontentement des différents segments de la population,

quoique récupéré par l’opposition durant la campagne électorale, avait pourtant fait écho

auprès de l’opinion sans engendrer ce vote sanction pour dire non aux politiques

économiques qui étaient vigueur.

Page 145: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

127

L’année 1988 a été aussi particulièrement celle où la loi sur les mesures de guerre avait été

appliquée. En effet, elle a été témoin de la proclamation, par décret présidentiel de l’état

d’urgence, qui voulait mettre fin au climat de désordre qui existait avant et après les

élections. Les voitures officielles et celles de l’administration qui étaient immatriculées

S.O (Service Officiel) étaient devenues la cible préférée des manifestants qui n’hésitaient

pas à les brûler. C’était la période où les dignitaires du régime avaient également la vie

difficile dans leur zone d’habitation. Une certaine jeunesse, « malsaine » peut-être,

manipulée certes par des « bandits de grands chemin » avait décidé d’exprimer par le

désordre, légitime entre autres, leur mécontentement par rapport à une gestion qui n’avait

pas de solution à leur inactivité à court terme, et à leur avenir à long terme.

Pendant cette phase de tension consécutive aux élections de 1988, les

institutions qui constituent la structure de base de la classe dirigeante ont tenté

de s’adapter à la situation ainsi créée. Ces mutations étaient repérables dans les

propositions de la CNTS, affiliée au Parti socialiste, relative à la formation d’un

gouvernement d’union nationale. Selon les dirigeants de la CNTS, la crise

politique et sociale de février/mars 1988 provient essentiellement de

l’application, par le gouvernement, de la politique économique et sociale dictée

par les bailleurs de fonds. Leur analyse insiste sur l’origine exogène de la crise.

Une telle approche leur permet de procéder à la critique des effets sociaux du

programme d’ajustement structurel sans pour autant reproduire le discours de

l’opposition sénégalaise relatif à la responsabilité gouvernementale dans la mise

en œuvre d’une telle politique175

.

Cette tension était également vive en 1993 avec la mise en place du Plan d’Urgence et la

Dévaluation du franc CFA en 1994 qui étaient venu affecter directement le panier de

ménages des populations. En effet, si le Plan d’Urgence avait la particularité de concerner

spécifiquement les salariés, c’est-à-dire ceux et celles qui avaient un revenu, il était

différent de la Dévaluation du Franc CFA qui, comme politique économique, avait des

répercussions sur la population dans son ensemble et cela, sans exception. La population

qui était pauvre dans son ensemble avait subi les effets de cette décision des créditeurs ou

bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque Mondiale) après son annonce. Les prix des denrées dites

de premières nécessités (Riz Ŕ huile Ŕ sucre) avaient vu leur prix doublé, devenant ainsi

175

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, ´« Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf Abdoulaye Wade, et

après ? » dans La construction de l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002, pp 111-112

Page 146: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

128

subitement inaccessibles pour les masses rurales et urbaines. Il est donc juste de soutenir

que ces deux mesures (Plan d’Urgence Ŕ Dévaluation du franc CFA) ont été les politiques

les plus asociales du gouvernement et des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque

mondiale). Et le ministre de l’Intérieur de l’époque de préciser :

À la crise politique, consécutive aux élections présidentielles et législatives de

février et mai 1993, succéda une crise sociale de grande ampleur, à la suite de

l’adoption par le gouvernement du « Plan d’Urgence » économique, en août

1993. Tous les secteurs d’activités, y compris le Commerce et les Transports,

observèrent un mouvement de grève, dont le point culminant fut l’opération «

Ville morte » du 02 septembre 1993 à Dakar. De mémoire de Sénégalais,

aucune journée ne ressemble à celle du 02 septembre 1993. Ce fut

véritablement un « septembre blanc ». Tout s’arrêta ! Pas de circulation

automobile ! Pas de commerce ! Pas de piétons ! Chacun était resté chez soi.

Réuni le lendemain, 03 septembre, autour du Premier Ministre, le

gouvernement, au complet, examina sérieusement la situation ainsi créée dans

tous les secteurs d’activités. À la demande du Premier Ministre, le Ministre de

l’Intérieur que j’étais présenta un rapport exhaustif « complet », d’après les

participants, et insista sur la nécessité de prendre des initiatives pour débloquer

la situation : « Le pays était à l’écoute du gouvernement », conclus-je ! 176

.

Le mécontentement populaire avait amené le religieux à s’immiscer dans le terrain

politique, non pas, pour soutenir le président de la République et son gouvernement comme

fut le cas en 1988, mais plutôt pour fustiger l’action gouvernementale qu’il tenait pour

responsable du mal vivre des populations rurales et citadines. Malgré la mise en place des

politiques d’austérité depuis l’arrivée de Diouf à la magistrature suprême, La puissante

communauté religieuse mouride avait apporté un soutien sans faille au gouvernement lors

des élections présidentielles et législatives de 1998. Le Khalife général Abdoul Ahad

Mbacké, avait en effet donné publiquement l’ordre à tous les disciples mourides, via son

fameux ndigueul signifiant littéralement conseil, de voter pour Abdou Diouf. Sachant la

haute importance et le crédit que les talibés (disciples) accordaient à sa parole et plus

particulièrement à ses consignes, il avait précisé que le non-respect de son ndigueul, serait

considéré comme une pure trahison. Il avait par cet acte, affiché son attachement non pas à

176

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines du Sénégal, 2005, pp 127-128

Page 147: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

129

l’action gouvernementale, mais en la personne du président Abdou Diouf. La rumeur disait

que le Khalife lui vouait une affection sincère et profonde.

Ce soutien public de la communauté mouride fut absent lors du troisième rendez-vous

électoral en 1993 qui Ŕ il est important de le rappeler Ŕ s’était soldé par l’assassinat du

président Constitutionnel qui avait en charge la publication des résultats. Contrairement

donc en 1988, un chef religieux de la confrérie dite tidjane avait condamné publiquement

l’action gouvernementale le 23 octobre 1993, dans le cadre du rassemblement de la CFD

(Coordination des Forces Démocratiques), née de la lutte contre le Plan d’Urgence.

L’insatisfaction des populations, causée par les politiques d’austérité, avait amené les

leaders syndicaux et politiques, mais également la société civile à parler d’une même voix,

pour s’opposer à ce qui était considéré comme la politique ou la mesure de trop. Dans son

adresse, le leader du mouvement religieux des moustarchidines, s’était livré à une critique

assez intense du gouvernement, et de son action qui était selon lui, dénudée de toute

légitimité en raison de la trop grande insatisfaction des populations. Ces propos tenus dans

un contexte où l’indignation des populations était vive, avait amené le gouvernement à

procéder à l’arrestation de Moustapha Sy, qui, selon le ministre de l’intérieur de l’époque

était justifiée, comme en attestent ses propos :

C’est au cours de ce rassemblement, post-électoral et post « Plan d’Urgence »

que monsieur Moustapha SY prononça un réquisitoire virulent contre le régime

et accusa le Sénégal d’être dans un système frappé par une triple crise : « crise

d’autorité Ŕ crise de compétence Ŕ crise de légitimité ». Aux yeux des

responsables de la Sécurité intérieure, de l’Ordre public et de la Police

judiciaire, les éléments constitutifs d’un délit « d’atteinte à la sûreté de l’État et

de discrédit des institutions177

» étaient suffisamment réunis pour justifier

l’interpellation de Moustapha SY. Ce qui fut fait, le samedi 30 octobre 1993 au

matin, au domicile de l’intéressé. La suite fut du domaine exclusif de la

Justice178

.

177

Nous reviendrons sur ces motifs que nous qualifions de « fourre-tout » et qui étaient souvent utilisés par le

gouvernement en ayant recours à sa police politique pour faire taire ou intimider. Cette attitude fait partie des

caractéristiques de ce que nous avons appelé la démocratie dite institutionnelle et qui est celle qui existe au

Sénégal et qui est contemporaine au PAS (Programme des Ajustements Structurels). Nous y reviendrons. 178

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines du Sénégal, 2005, p 132

Page 148: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

130

Il est important de faire remarquer que la mise sur pied de la CFD (Coordination des Forces

Démocratiques) n’avait pas réussi à faire reculer le gouvernement dans sa politique

d’austérité. En effet, même si les denrées dites de premières nécessités (riz- huile Ŕ sucre)

avaient connu une certaine baisse des prix pour apaiser la tension sociale, le gouvernement

devait subir encore une fois au courant de l’année suivante, la foudre de ses créditeurs ou

bailleurs de fonds, en l’occurrence : le FMI et la Banque mondiale. En effet, malgré sa

volonté affichée d’apaiser le climat de tension qui sévissait dans presque toutes les régions,

la Dévaluation du franc CFA de 1994, imposée dans le cadre du PAS (Programme des

Ajustements Structurels) avait réveillé de nouveau ce sentiment de contestation, que la mise

sur pied d’un gouvernement à sensibilité plurielle, devait étouffer. En effet, cette nouvelle

politique économique, qui avait des conséquences plus nuisibles au plan social que le Plan

d’Urgence de septembre 1993, avait redonné du tonus au CFD (Coordination des Forces

Démocratiques), et cela malgré la présence des certains leaders de l’opposition dans le

gouvernement formé le 02 juin 1993, c’est-à-dire quatre mois après les élections

présidentielles et législatives de 1993.

Toutefois, il est important de retenir que la mise sur pied d’un gouvernement dit de

majorité présidentielle élargie en 1995, obéissait et s’inscrivait plus dans une logique

d’apaisement de la tension sociale qui sévissait, plutôt que dans une volonté de donner une

suite favorable aux légitimes revendications de mieux être des populations. Cette ouverture

affichée par le gouvernement qui était en mal de légitimité, obéissait Ŕ nous précisons Ŕ à

une stratégie de conservation de pouvoir (nous y reviendrons), en ce sens qu’il n’a jamais

été question pour le président de la République de revenir sur les grandes orientations

économiques. Cette stratégie de conservation du pouvoir avait amené d’ailleurs Abdou

Diouf, à réintroduire le poste de premier ministre dans l’architecture gouvernemental, afin

que ce dernier lui serve d’interface, voire de paravent, pour ne plus subir directement les

foudres de l’opposition, des syndicats et des travailleurs d’une part, mais également celles

des populations rurales, et surtout urbaines d’autre part..

Page 149: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

131

En 1991, le paysage socio-politique du Sénégal subit quelques changements,

avec l’entrée dans le gouvernement de deux partis politiques d’opposition, la

refonte du Code Électoral, l’accès de l’opposition aux médias d’État. Ces

percées démocratiques (qui ne sont en fait que retour à la tradition de

démocratie politique du pays, confisquée pendant trente ans), sont

accompagnées sur le front social par de légères diminutions de prix, portant sur

l’essence, le ciment, et l’électricité179

.

C’est d’ailleurs avec le retour du poste de premier dans le gouvernement formé le 08 avril

1991 que le « chef » de l’opposition avait fait sa première entrée dans le gouvernement

avec rang de ministre d’État auprès du président de la République. Abdoulaye Wade,

deuxième personnalité dans l’ordre de préséance, siégeait au conseil des ministres avec

trois ministres de son parti. Abdou Diouf savait au sortir de la crise de 1988 que l’entrée

du leader principal de l’opposition, était non seulement salutaire pour son gouvernement,

mais allait renforcer cette image de « démocrate » qu’il tenait à projeter depuis son

ascension à la magistrature suprême. Il savait également, au sortir de la crise électorale de

1993 et du plan d’Urgence, qu’il fallait tendre la main à l’opposition et la présence des

principaux leaders de l’opposition dans le gouvernement dit de majorité présidentielle

élargie, formé le 15 mars 1995 était à la fois une utilité publique au plan national et un gain

politique au plan international.

En effet, cette entrée des leaders de l’opposition dans le gouvernement, avait conféré un

souffle de légitimité pour les tenants du pouvoir, qui étaient devenus impopulaires à cause

des politiques économiques. Cette entrée des ténors de l’opposition mettait ainsi une fin à

leur contestation des résultats électoraux, qui faisaient du candidat Abdou Diouf et du parti

socialiste, les vainqueurs des élections présidentielles et législatives de 1993. Par cette

entrée dans un gouvernement à sensibilité socialiste d’une part, et en acceptant en effet de

siéger dans le gouvernement dit de majorité présidentielle élargie d’autre part, l’opposition

reconnaissait ainsi explicitement Abdou Diouf comme président de la République. Le

gouvernement de majorité présidentielle élargie, dirigé par un premier ministre qui devait

179

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement: l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris:

L’Harmattan, 2002, p 161

Page 150: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

132

conduire la politique définie par le chef de l’État, était à bien des égards, une bouffée

d’oxygène pour le président Abdou Diouf.

Cette entrée des ténors de l’opposition allait permettre au président de la République, de

partager une démarche politique qu’il devait certes, obligatoirement assumer depuis la mise

sur pied du PAS (Programme des Ajustements Structurels), mais sans la partager avec le

gouvernement après les élections présidentielles et législatives du 28 février 1983. En

effet, s’il était habilité par la constitution à déterminer la politique de la nation, la

suppression du poste de premier ministre en 1983, l’avait amené à conduire également la

politique de la nation. Il était devenu par la combinaison de ces deux prérogatives puisant

au sens constitutionnel du terme. Il est pertinent de soutenir que cette présence de

l’opposition conférait aux politiques du président Diouf un souffle de légitimité.

En effet, le pouvoir exécutif qui était bicéphale lors de son ascension à la magistrature

suprême, était devenu monocéphale avec la suppression de l’article 35, qui faisait du

premier ministre le successeur du chef de l’État en cas d’empêchement définitif ou de

démission. Avec cette suppression, Abdou Diouf devenait de fait et de droit, le pouvoir

exécutif et entièrement le pouvoir exécutif. « Un des traits les plus marquants du système

d’exécutif bicéphale est qu’il affaiblit le contrôle et l’autorité centrale sans procurer les

avantages de la décentralisation180

». Il avait réussi ainsi à mette sur pied les politiques

nécessaires à la mise en application du PALMT (Plan d’Ajustement Économique à Long et

Moyen Terme), sans se soumettre à cette obligation de courtoisie envers un premier

ministre avec qui, il pouvait en discuter. Fort en raison de ses prérogatives

constitutionnelles, il était devenu, avec cette suppression, politiquement puissant en ce sens

que tout devait passer par ses services, dirigés au plan administratif par le secrétariat

général de la présidence de la République.

180

Erza N. Suleiman, « L’exécutif bicéphale et son impact sur l’administration en France » dans La

démocratie dans tous ses États : Argentine Ŕ Canada Ŕ France, Québec : Les Presses de l’Université Laval,

1993, p 121

Page 151: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

133

Enfin, au plan extérieur, c’est-à-dire au niveau international, cette entrée des principaux

leaders de l’opposition dans le gouvernement allait contribuer à renforcer la bonne image

dont le Sénégal jouissait déjà sur la scène internationale. En effet, le Sénégal allait gagner

des points dans un contexte international qui avait fait de la marche vers la démocratie, une

exigence que devrait prendre en considération tous les pays et les gouvernements, plus

particulièrement ceux d’Afrique, dont la quasi-totalité des dirigeants étaient le plus souvent

hostiles à la pratique démocratique. La mise en place d’un gouvernement dit de majorité

présidentielle élargie, s’inscrivait donc en droite ligne avec les attentes d’un système

international, qui avait décidé de conditionner l’aide consentie aux gouvernements

demandeurs, aux regards des efforts qui seront fait pour asseoir la démocratie comme

modèle de gestion du social, de l’économie et du politique.

Toutefois, il est important de faire remarquer, que malgré la mise sur pied du gouvernement

dit de majorité présidentielle élargie pour désamorcer la tension sociale qui s’était

accentuée avec les élections présidentielles et le Plan d’Urgence durant l’année 1993, les

populations, notamment urbaines, continuaient de manifester leur mécontentement, en

ayant recours à des émeutes assez similaires que celles engendrées par le Plan d’Urgence

comme en fut le cas lors du rassemblement organisé le 16 février 1994 par la CFD

(Coordination des Forces Démocratiques) et, qui avait entrainé « cinq morts et des blessés

graves parmi les policiers »181

selon l’auteur, à l’époque ministre de l’intérieur, qui a tenu à

préciser ce qui suit :

Il est évident, et c’était connu de tous les services évoluant dans le domaine des

Renseignements, que l’ambiance politique, économique et sociale était lourde

et chargée, compte tenu de tous les éléments évoqués plus haut : contentieux

électoral non vidé, situation post « Plan d’Urgence », l’après dévaluation du

franc CFA, en janvier 1994, etc. Tout cela rendait le contexte national

particulièrement instable, propice à toute velléité de manifestations

contestataires contre le Pouvoir. C’est dire qu’il existait depuis les dernières

élections présidentielles et législatives de 1993 des menaces à la stabilité et à la

paix civile. Cet état de fait n’avait pas échappé à la vigilance des services de

renseignements de la Sûreté nationale qui n’ont jamais manqué de le souligner.

181

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines du Sénégal, 2005, p 134

Page 152: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

134

Les autorités responsables suivaient avec attention la situation générale du

pays; c’est sans doute ce qui permit de maintenir la paix et la tranquillité malgré

diverses manifestations des Partis politiques et des organisations syndicales,

tout au long du dernier semestre de 1993 et de l’année 1994182

.

Si les politiques précédentes, plus précisément la Restructuration du secteur public et

parapublic, la Nouvelle Politique Agricole et la Nouvelle Politique Industrielle avaient

assoiffé les populations, le Plan d’Urgence et la Dévaluation du franc CFA les avaient

affamés, en ce sens qu’ils les avaient privés de cette possibilité de se nourrir et de s’habiller

décemment. En effet, en tant que politiques économiques, le Plan d’Urgence et la

Dévaluation du franc CFA avaient tellement détérioré le pouvoir de dépenser des

populations, que ces dernières n’avaient plus les moyens de se procurer convenablement le

minimum vital. Si les denrées dites de premières nécessités (riz Ŕ huile Ŕ sucre) étaient

devenus subitement inaccessibles pour un nombre considérable de ruraux et de citadins,

l’accès au service de base de certains soins de santé étaient devenus également hors de

portée pour beaucoup d’entre eux, les exposant ainsi à une précarité à la fois inquiétante et

alarmante. En tant que mesures économiques, il est pertinent de soutenir que le Plan

d’Urgence et la Dévaluation du franc CFA avaient contribué, et de façon décisive, à la

paupérisation des masses urbaines et rurales

Malgré la publication d’indicateurs de croissance de performance relative à la

croissance économique, la dévaluation du franc CFA a entraîné une plus grande

insécurité matérielle, en particulier au sein de la classe moyenne en raison de la

baisse du pouvoir d’achat urbain. Parallèlement, les groupes dits vulnérables

éprouvent de plus en plus de difficultés pour accéder aux services de base. Le

Gouvernement lui-même et ses principaux bailleurs de fonds le reconnaissent.

C’est ce qui explique, après l’admission du Sénégal à l’initiative HIPC (Heaily

Poor Countries Initiative), l’élaboration du Document cadre relatif à la stratégie

de lutte contre la pauvreté183

.

182

Ibidem, p 136 183

Diop, Momar Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris: Karthala, 2002, p 72

Page 153: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

135

Ne pouvant plus s’alimenter convenablement, et contraintes de recourir en grande partie à

la médecine dite traditionnelle ou à des médicaments vendus dans des conditions et des

endroits inappropriés pour se faire soigner, les populations autant urbaines que rurales

s’étaient retrouvées, en raison des politiques du PAS (Programmes des Ajustements

Structurels), dans un inconfort assez criard. Ainsi, au-delà du recours à la contestation et

aux manifestations de rue sans issue, pour exprimer à la fois leur mécontentement et leur

désaccord par rapport à des politiques qui les enfonçaient davantage dans un mal vivre sans

précédent, les populations en général et les travailleurs en particulier, devaient prendre leur

mal en patience, et se « résigner » encore devant les effets du PAS. Ni les mouvements de

grève, autant chez les travailleurs que chez les élèves et étudiants, et encore moins le mal

vivre manifeste et visible des populations, n’avaient pu amener le gouvernement, à

abandonner ou à renoncer à ses politiques impopulaires, lesquelles Ŕ il est important est de

le rappeler Ŕ leur avaient été imposées par les principaux créditeurs ou bailleurs de fonds

(FMI Ŕ Banque mondiale).

Cela précisé, il est important de faire remarquer que la tension sociale, que les appels au

dialogue des tenants du pouvoir, avait pu canaliser et encadrer, était dormante mais pas

évacuée, en ce sens que les raisons pour qui la justifiait, étaient toujours présentes et se

résumaient au mal vivre des populations. Le mécontentement des citoyens à l’endroit du

gouvernement était toujours présent, et devait finalement servir d’agenda politique à

l’opposition pour s’organiser en vue du prochain rendez-vous électoral. En effet, le

mécontentement social devait servir d’agenda à la fois pour la nouvelle opposition, mais

également à la société civile et à une certaine presse, qui avaient décidé de tabler là-dessus

pour convaincre le corps électoral, c’est-à-dire les populations, de la nécessité de se

débarrasser du parti socialiste et de son candidat-président. À ce mécontentement des

populations, il fallait ajouter celui des anciens socialistes expulsés du parti socialistes, qui

incarnaient une « nouvelle opposition » qui allait et avait posé un préjudice sérieux au

président Abdou Diouf en 2000.

Page 154: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

136

Pour Djibo Ka, cet habitué des gouvernements et du bureau politique du parti socialiste, qui

n’avait jamais compris ni accepté son départ du gouvernement lors du remaniement

ministériel du 15 mars 1995, et son expulsion du parti socialiste, la création de l’URD

(Union pour le Renouveau Démocratique) comme parti politique après le congrès sans

débats du parti socialiste de 1996, était à la fois un moyen pour survivre politiquement,

mais également et surtout pour fragiliser Abdou Diouf lors de la prochaine élection

présidentielle prévue en 2000. « Le pays aspirait depuis plusieurs années au changement :

changement de politique, de méthodes, de structures et d’hommes, pour engager les

réformes arrivées à maturité. Or pour changer le Sénégal, il fallait changer le parti

majoritaire, le PS, dont le programme et le projet politique étaient censés inspirer l’action

du gouvernement »184

. Tels étaient les propos de l’ancien ministre de l’intérieur, qui s’était

inscrit dans la logique d’une opposition crypto-personnelle, pour faire partir Abdou Diouf

qui, à ses yeux, n’avait aucune légitimité historique au sein même du parti socialiste.

Pour Moustapha Niasse également, ce « senghorien » dans l’âme, non reconduit dans ses

fonctions de ministre d’État chargé des Affaires étrangères lors du remaniement du 04

juillet 1998, suite à la démission du premier ministre Habib Thiam, la création de l’AFP

(Alliance des Forces Progressistes) comme parti politique en juin 1999, était un moyen

pour survivre politiquement, mais également et surtout, pour porter préjudice à Abdou

Diouf et au parti socialiste lors de la prochaine élection présidentielle. Démis de sa

fonction de ministre d’État chargé des affaires étrangères lors du remaniement du 09

octobre 1984, il devait revenir sur la scène politique gouvernementale le 02 juin 1993.

Éphémère premier ministre sous Abdou Diouf, parce que chargé de travailler sur la

suppression du poste de premier ministre (article 35 de la Constitution), cet ancien directeur

de cabinet de cabinet avait probablement compris avec le choix de Mamadou Lamine Loum

comme premier ministre en 1998, qu’il ne devait pas avec Abdou Diouf, avoir d’autres

ambitions que ministérielles.

184

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les nouvelles

éditions africaines du Sénégal, 2005, p 232

Page 155: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

137

Le choix de Mamadou Lamine Loum comme premier ministre était à ses yeux un désaveu,

et son expulsion du parti socialiste, qui était son âme politique, constituaient des blessures

que devaient payer cash Abdou Diouf et « son » parti socialiste. « Des ruptures sont

parfois nécessaires quand vient le temps du destin. Je les accepte. Je suis prêt » avait-il fait

mention dans sa déclaration du 16 juin 1999 intitulée « J’ai choisi l’espoir », et dans

laquelle également, il manifestait son intention de se porter candidat à la prochaine élection

présidentielle de 2000. « Advenant un deuxième tour Ŕ avait-il fait savoir durant la

campagne électorale - Je me rangerai derrière le candidat qui serait le mieux placé pour

battre le candidat du parti socialiste ». Réputé revanchard et rancunier, son réquisitoire

virulent et accusateur à l’endroit du parti socialiste et du gouvernement, qu’il venait à peine

de quitter, étaient assez illustratif du sentiment et de l’idée qu’il se faisait d’Abdou Diouf et

du parti socialiste.

Après tant de promesses non tenues, tant de rendez-vous manqués, et tant

d’occasions ratées, les Sénégalais en sont arrivées, hélas, à osciller devant

l’impossible choix entre la résignation et la révolte. Jamais, sans doute, depuis

1960, le fossé n’a été aussi grand entre ceux qui sont censés assurer la direction

de notre pays et nos populations. Jamais, depuis l’indépendance, face aux

espoirs légitimes d’une nation qui s’est voulue toujours plus unie et solidaire,

alors que les gouvernants devaient avoir pour seule ambition de servir, le

discrédit et la méfiance n’ont été aussi forts à l’égard des dirigeants. Et tout se

passe comme si les Sénégalais désespéraient définitivement de leurs

responsables et comme s’ils ne voyaient plus dans le jeu politique qu’une

affaire d’ambitions personnelles et d’intérêts particuliers. Là où, précisément,

la recherche de l’intérêt général devait constituer l’unique finalité de l’action

politique, l’on se rend compte, le plus souvent, qu’une succession de

manipulations d’appareils, que des démarches marquées du sceau d’un

clientélisme archaïque et étriqué ou des luttes d’influence, synonymes de

courses acharnées et de dérives qui sapent, gravement, le moral des Sénégalais.

Sous prétexte que le Sénégal est victime des retombées de la crise économique

mondiale, la voie a été ouverte à tous les abus d’une gestion menée au jour le

jour et rythmée au gré des aides fournies par la communauté internationale. Il

en est résulté une absence totale de projet de société dans lequel le Sénégal

puisse se reconnaître et identifier une alternative crédible et durable aux seules

formules administrées par les Institutions multilatérales. (…). Mais chaque

pays Ŕ et le Sénégal ne peut faire exception Ŕ a l’obligation d’assumer

l’essentiel de ses progrès économiques et sociaux, au profit de tous. L’aide ne

Page 156: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

138

fait pas le développement. Nulle part au monde, aucun pays ne s’est développé

sur la base de l’aide185

.

A la tension sociale qui existait, et qui traduisait le mécontentement des populations à

l’égard de la politique générale du gouvernement, sévissait une autre tension au plan

politique, mais au sein du parti socialiste et qui était consécutive au mode de désignation

des responsables. En effet, le choix du président Abdou Diouf de confier le poste de

secrétaire général du parti à son directeur de cabinet et homme de confiance d’alors, qui

était dépourvu de cette légitimité historique dont pouvait se prévaloir les barons, devait

provoquer les départs de Djibo Ka d’abord, et celui de Moustapha Niasse ensuite. Ces

départs allaient et avaient porté un sérieux préjudice au candidat président lors des élections

présidentielles de 2000. Mis en ballotage lors du premier tour avec (41%), le refus de

Moustapha Niasse (17%) de prendre langage avec son ancien camarade de parti tout en

apportant son soutien sans réserve au candidat de l’opposition Abdoulaye Wade (30%),

Abdou Diouf allait quitter le pouvoir au soir du 19 mars 2000.

Les résultats du premier tour proclamés par la Commission nationale de

recensement des votes ont mis en évidence la présence de trois principales

forces. Sur les 2 741 840 inscrits, 1 694 828 ont voté, parmi lesquels on compte

23 385 suffrages nuls. Le candidat Abdou Diouf a obtenu 41, 33% des

suffrages, Abdoulaye Wade 30,97 %, Moustapha Niasse 16,76%, Djibo Ka 7,

09%. Aucun des autres candidats n’a atteint la barre des 1,5%, Iba Der Thiam,

qui est arrivé à la cinquième place, obtenant 1,20%, contre 1,12% pour

Ousseynou Fall, 0,97% pour Cheikh Abdoulaye Dièye et 0,56% pour Mademba

Sock. Les dissidences conduites par Djibo Ka et Moustapha Niasse ont été

fatales au Parti socialiste. C’est la raison pour laquelle, dès la publication des

résultats, plusieurs tentatives ont été faites auprès de ces derniers pour

reconstruire l’unité autour de Diouf. S’étant inscrit dès le départ dans une

stratégie visant à faire perdre Diouf, Niasse ne pouvait pas faire volte-face.

Djibo Kâ, en revanche, après une série de déclarations contradictoires, a

finalement rejoint Diouf. Mais ce retournement de veste eut des effets assez

limités en raison de la rébellion immédiate des segments de son parti issus de la

gauche marxiste sénégalaise, qui firent scission et se constituèrent

immédiatement en URD/FAL186

.

185

Niasse, Moustapha, Déclaration du 16 juin « J’ai choisi l’espoir », Dakar, 1999 186

Diop, Momar Coumba. Diouf, Mamadou, ´« Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf Abdoulaye Wade, et

après ? » dans La construction de l’État au Sénégal, Paris : Karthala, 2002, pp 133-134

Page 157: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

139

Les politiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels), auxquelles Abdou Diouf

s’était évertué à suivre scrupuleusement ne lui avaient pas servi, malgré des indicateurs

macroéconomiques qui étaient jugés satisfaisant par les créditeurs ou bailleurs de fonds, en

l’occurrence le FMI et La Banque mondiale. Des signes positifs et encourageants pour

l’économie, et cette croissance qui peinait à faire signe, n’avaient pas réussi à faire

comprendre au peuple et notamment aux populations écœurées par la sévérité des

politiques, que le PAS commençait à porter ses fruits d’où ce constat pertinent de

l’économiste Makhtar Diouf : « Des événements survenus au cours de l’année 2000 dans

tous les pays d’ajustement structurel fort (Sénégal, Côte-d’Ivoire, Ghana) méritent de

retenir l’attention. Dans chacun de ces trois pays, dans des élections pour une fois

transparentes, les populations ont renversé les régimes maitres - d’œuvre des politiques

d’ajustement, bons élèves du FMI et de la BM. Ce qui revêt aussi le sens de sanction à

l’égard des institutions de Bretton-Woods »187

.

Cela précisé, il est important de comprendre que les populations n’étaient pas les seuls

otages des exigences imposées par les créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque

mondiale), les gouvernants (pouvoir exécutif et pouvoir législatif) l’étaient également et au

premier niveau dans cette « démocratie d’exception ». L’exécutif, incarné par le

gouvernement et le législatif signifiant l’Assemblée nationale, avaient subi avec

impuissance les contraintes de la conditionnalité, dont l’acceptation Ŕ il est important de le

mentionner Ŕ constituait le préalable pour être prestataire du PAS (Programme des

Ajustements Structurels). Si les populations urbaines et rurales avaient été les cobayes des

politiques engendrées par le PAS (Programme des Ajustements Structurels), les

gouvernants, en particulier, le pouvoir exécutif incarné par le gouvernement, en étaient les

exécutants. Les parlementaires, en raison de l’architecture constitutionnelle, étaient

confinés dans un rôle de subordination qui les confinaient dans un rôle d’exclus, autant

dans la formulation des grandes politiques publiques, que dans la prise des décisions. Et ce

tout, dans une démocratie, jugée et réputée pourtant, comme étant exemplaire.

187

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement: l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

Karthala, 2002, pp 191-192

Page 158: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

140

Page 159: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

141

V. LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES AU PLAN POLITIQUE

Le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) qui s’était échelonné sur cinq

années (1980 Ŕ 1985) tout comme le PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier

à Long et Moyen Terme) qui avait duré sept ans (1885 Ŕ 1992), ont eu des incidences

directes sur le fonctionnement du pouvoir exécutif (gouvernement) et le pouvoir législatif

(Assemblée Nationale). Il est de même pour le Plan d’Urgence de septembre 1993 et la

Dévaluation du franc CFA de 1994, même si elles ont eu comme politiques, une durée

d’échelonnement qui n’était pas comparable au PREF et au PALMT. Leurs effets se

faisaient toujours sentir et cela jusqu’au la fin du régime socialiste le 19 mars 2000. Durant

donc quatorze années consécutives, des politiques économiques, avec des incidences

directes sur la vie des populations, avaient été appliquées par le gouvernement dans le cadre

du PAS. Cela avait amené le gouvernement : incarnation à la fois pouvoir exécutif, mais

également de l’État, à jouer un rôle de premier plan pour la mise en application de ces

politiques qui Ŕ il est important est de la rappeler - étaient formulées par le FMI et la

Banque mondiale.

Ce rôle de premier plan pour la concrétisation du PAS avait amené les autorités étatiques,

c’est-à-dire le gouvernement, à mettre sur pied la législation appropriée pour sécuriser à la

fois les nouvelles politiques et les investisseurs privés. Ce rôle de premier plan Ŕ il est

important de le préciser Ŕ avait aussi amené le gouvernement à s’effacer devant les

directives de ses créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale) pour se

confiner dans ses prérogatives régaliennes, plus spécifiquement, celle relative au maintien

de l’ordre et de la sécurité. Il est également important de préciser que cet effacement du

pouvoir exécutif devant les créditeurs ou bailleurs de fonds, n’avait pas suscité la moindre

réaction ou indignation auprès des parlementaires, dont la subordination au pouvoir

exécutif Ŕ il est également important de le préciser - est un fait constant depuis 1962, donc

antérieur à la mise en place du PAS.

Page 160: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

142

En se donnant des objectifs à la fois politiques et économiques, le PAS (Programme des

Ajustements structurels) visait à assigner à l’État, par l’entremise du gouvernement qui en

est la première incarnation, un nouveau rôle. Ce nouveau rôle Ŕ il est important de le

souligner Ŕ était non seulement nécessaire mais indispensable à la mise en place du PAS

(Programme des Ajustements Structurels). En effet, Les objectifs économiques, à savoir la

libéralisation et la privatisation du secteur économique, la mise en place ou l’instauration

d’une économie de marché, etc, exigeaient une implication directe et soutenue du

gouvernement.

Cette implication exigeait toutefois des autorités à revoir ou à repenser leur rapport avec les

populations qui percevaient l’État Ŕ il est également important de le souligner - non

seulement un protecteur mais aussi et surtout comme un support. Cette perception qui

datait de l’ère coloniale, fut renforcée par les leaders de l’indépendance qui avaient attribué

à l’État un rôle de premier plan dans la prise en considération de la demande sociale. «

Entrer dans la politique Ŕ nous dit Raymond Aron - c’est participer à des conflits dont

l’enjeu est la puissance Ŕ puissance d’influer sur l’État et par là même sur la collectivité188

.

Cette « puissance », dont Senghor avait amplement usé, avait donné à l’État-assistance, qui

se voulait d’abord et avant tout, un support pour les populations.

Ce rôle de l’État était toutefois justifié en grande partie par leur allégeance idéologique, à

savoir le socialisme et qui s’est traduit par « une politique d’intervention massive de l’État

dans l’activité économique, option favorisée par les pressions nationalistes des

indépendances et par la volonté d’asseoir et de consolider la base matérielle du pouvoir

politique »189

. A ce dernier niveau, cette intervention de l’État s’était voulue un support à

l’endroit des populations, qui devait permettre aux leaders du Sénégal post colonial, de se

doter et de se donner une certaine légitimité d’action, que le « père de la nation », entendu

comme le chef de l’État et président de la République, devait rendre concret. C’est donc

dans cette volonté de concrétiser les attentes légitimes des populations qu’il faudrait situer

la mise sur pied de l’État-assistance, que le PAS avait décidé de supprimer.

188

Aron, Raymond, Introduction dans Le Savant et le politique, Paris : librairie Plon, 1959, p 27 189

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris: Karthala, 1990, p 7

Page 161: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

143

En effet, le démantèlement de l’État-assistance qui Ŕ il est important de le rappeler Ŕ était le

premier objectif du PAS (Programme d’Ajustement Structurel) et qui était en même temps

le préalable nécessaire à sa mise en place, avait pour ultime finalité d’instaurer, voire

d’établir un nouveau type de rapport entre les plus hauts représentants de l’État (le

gouvernement) et les représentés entendus comme les populations urbaines et rurales. Il

était question dans ce nouveau type de rapport de « responsabiliser » les populations de

manière à les amener à rompre avec « cette mentalité d’assisté » selon les termes d’Abdou

Diouf, et que le PAS devait combattre avec la plus grande énergie. L’État sénégalais allait

donc radicalement changé de rôle avec la mise en place du PAS.

En effet, par l’entremise de son gouvernement qui l’incarnait en premier et toujours au

premier plan, il s’était éloigné des populations rurales et urbaines en raison de la nature de

sa politique économique. Si les politiques du PAS avaient mis fin à l’État-assistance

entendu comme cet État qui portait secours et assistance aux populations et à leurs

différentes activités, il convient toutefois de faire remarquer que ces mêmes politiques

avaient fait de l’État un allié inconditionnel du secteur économique. Autrement dit, il

devait porter assistance et secours au secteur économique, c’est-à-dire au marché, pour

atteindre les objectifs économiques (libéralisation et privatisation de l’économie Ŕ

instauration de l’économie de marché Ŕ amélioration de la qualité de vie de l’individu).

Ainsi, l’État, c’est-à-dire le gouvernement avait maintenu le principe de sa politique

d’assistance, mais pour en faire bénéficier uniquement et exclusivement le secteur

économique.

Un marché libre, avec sa libre concurrence pensée et perçue comme gage d’une certaine

efficacité des activités qui en découleraient, ne pouvait par contre exister qu’avec une

intervention de l’État, c’est-à-dire du gouvernement. Cela pour dire que le moins d’État, le

mieux d’État, ce slogan avec lequel a été discrédité l’intervention de l’État, ne pouvait se

concrétiser qu’avec une intervention des autorités gouvernementales qui devaient lui

procurer la substance qui était recherchée et attendue, à la fois par les concepteurs et les

principaux bailleurs de fonds du PAS en l’occurrence le FMI (Fonds Monétaire

international) et la Banque mondiale. Il revenait par conséquent aux premiers représentants

Page 162: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

144

de l’État, c’est-à-dire le gouvernement, de fournir les voies et moyens et d’organiser le

cadre adéquat pour une effectivité de cet angélisme néolibéral. Paradoxalement, on

demandait explicitement à l’État, c’est-à-dire au gouvernement de ne plus intervenir dans

l’économie tout en lui demandant implicitement, d’être un allié et un support du marché.

Il revenait ainsi à l’État comme entité institutionnelle, détenant « la compétence des

compétences » selon les mots de Jelinek d’en organiser la faisabilité. Il était donc de la

tâche exclusive du gouvernement qui l’incarne au premier plan d’en assurer le rôle, qui

passait d’abord et avant tout, par le discrédit de son support aux populations. « Dans tous

les pays, l’exécutif est la branche du gouvernement qui manie le pouvoir immédiat et se

trouve au contact direct du public; les espoirs et les craintes des individus sont

principalement dirigés vers lui et c’est d’abord par lui que sont représentés à la vue du

public à la fois les bienfaits et les terreurs ainsi que le prestige du gouvernement »190

.

De tous les phénomènes à travers lesquels nous connaissons le Pouvoir, le plus

proche de nous, celui dont nous saisissons la réalité de la manière la plus

concrète, c’est l’existence des gouvernants. Ce sont les hommes qui, ayant reçu

compétence pour gérer les affaires publiques, prennent les décisions initiales,

c’est-à-dire celles par lesquelles, dans tel secteur d’activité, se trouve engagée

la vie nationale. Ils détiennent dans l’État, à la fois le pouvoir de décider et

l’exercice de la force contraignante. Par rapport à celle dont peuvent disposer

les autres agents de l’État, le propre de leur autorité est d’être inconditionné.

Sous la seule réserve de respecter leur statut constitutionnel, ils peuvent tout

faire. C’est par là qu’ils se distinguent des agents ou administrations qui, eux,

ne peuvent agir que dans le cadre d’une réglementation préexistante191

.

Il revenait par conséquent au gouvernement d’engager sa responsabilité, mieux d’user à la

fois de son poids et de son influence pour permettre la concrétisation d’un tel « idéal ».

Autrement dit, il fallait par la critique de son interventionnisme autant dans le social que

dans l’économie, réputé et pensé responsable en grande partie de la mauvaise performance

de l’économie, de faire la promotion d’un plus de rentabilité de l’économie avec un

prétendu retrait de l’État dans le secteur économique. Il fallait corriger le mal économique,

190

Mill, John Stuart, Considérations sur le gouvernement représentatif, Paris : Gallimard, 2009, 191

Burdeau, Gorges, L’État, Paris: Éditions du Seuil, 1992, pp 65-66

Page 163: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

145

et cela devait commencer par cette obligation de repenser la manière dont l’économie avait

été gérée au lendemain de l’indépendance.

Compte tenu que le PAS (Programme des Ajustements Structurels) avait un double objectif

(politique et économique), il incombait aux autorités étatiques d’en assumer la faisabilité.

Autrement dit, il revenait au gouvernement d’utiliser les voies et moyens ou les ressources

appropriées pour atteindre les objectifs précités. Contrairement aux objectifs politiques

(démantèlement de l’État-assistance Ŕ instauration de l’État minimal - responsabilisation de

l’individu) qui étaient du ressort exclusif du gouvernement, les objectifs économiques

(libéralisation et privatisation de l’économie Ŕ instauration de l’économie de marché Ŕ

amélioration de la qualité de vie de l’individu) étaient formulés par les créditeurs ou

bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale). Toutefois, leur mise en application

nécessitait une intervention des autorités gouvernementales. En effet, la concrétisation des

objectifs économiques exigeait et nécessitait la mise en place d’un dispositif légal voire

juridique, qui devait servir à la fois de gage mais aussi et surtout d’outil de motivation pour

les investisseurs étrangers et les entrepreneurs locaux.

Si donc l’intervention de l’État était socialement condamnable (démantèlement de l’État-

assistance) pour les initiateurs ou concepteurs du Programme des Ajustements Structurels,

elle était en revanche économiquement nécessaire et même indispensable pour la mise en

place de l’économie de marché. Ainsi, après avoir fait la promotion de l’État minimal par

le discours, via le slogan du moins d’État, mieux d’État, après en avoir assuré la

concrétisation avec le démantèlement de l’État-assistance, il revenait au gouvernement

d’en assurer le succès par la mise en place d’une réglementation appropriée. Cela pour dire

que l’atteinte des objectifs économiques nécessitait impérativement une implication des

autorités étatiques, c’est-à-dire du gouvernement. Ce rôle assumé, il revenait au

gouvernement, dans ce contexte où il était confiné dans un rôle de gestionnaire, et compte

tenu de la pesanteur et du caractère impopulaire des politiques engendrées par le PAS

(Programme des Ajustements Structurels), d’assumer pleinement sa fonction traditionnelle

ou régalienne, pour contrer le climat de désordre et de tension qui allait résulter des

nouvelles politiques

Page 164: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

146

L’État est au cœur de l’ajustement structurel et doit remplir une fonction

stratégique face aux nouveaux défis de la mondialisation. Il lui est alors imparti

de réduire au minimum son immixtion dans la gestion des affaires

économiques, de créer un environnement incitatif pour les entreprises en vue de

promouvoir l’investissement, de réformer son administration et de réallouer son

engagement vers les secteurs sociaux de base considérés comme déterminants

dans les nouvelles approches de la croissance (théorie de la croissance

endogène et le rôle du capital humain). Cette restructuration devait conduire à

moins d’État ou à un État-minimal192

.

Ainsi, faire accepter aux populations urbaines et rurales la nécessité de la mise en place

d’une économie libérée de la tutelle contraignante de l’État, et assurer la sécurité intérieure

et extérieure de ses ressortissants, telles étaient les principales tâches du gouvernement dans

un contexte où il avait cessé d’être initiateur et maître des décisions dans la conception ou

la formulation des politiques. Confiné en effet dans un rôle d’exécutant en raison des

orientations édictées par ses créditeurs ou bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI (Fonds

Monétaire International) et la Banque mondiale, le gouvernement avait la responsabilité

pleine et entière d’assurer un cadre sécuritaire aux activités économiques. Dit autrement,

outre la mise en place du dispositif institutionnel comme incitatif pour l’investissement

privé, le gouvernement devait également assurer et garantir l’ordre et la sécurité dans un

contexte où Ŕ il est important de le préciser Ŕ la contestation et les manifestations de rue

n’étaient pas seulement probables, mais virtuels, voire certaines. Et le gouvernement le

savait.

V.I UN ÉTAT SUBSTANTIELLEMENT GENDARME

En effet, au regard des mesures impopulaires engendrées par le PAS (Programme des

Ajustements Structurels) sous le PREF (Plan d’Ajustement Économique et Financier) et

sous le PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme), et

qui avaient atteint leur paroxysme avec le Plan d’Urgence et la Dévaluation du franc CFA,

les populations urbaines, mais aussi rurales étaient dans leur droit, profondément légitime

de contester et de s’opposer à ces politiques. Cette contestation et cette opposition Ŕ il est

important de le mentionner Ŕ étaient doublement légitime. En effet, face à des politiques

192

PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 81

Page 165: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

147

qui favorisaient et accentuaient le mal vivre des populations, il était légitime pour celles-ci

d’exprimer leur désapprobation et leur mécontentement, pacifiquement ou autrement, pour

se faire comprendre et entendre. Aussi, face également à un gouvernement qui n’avait pas

jugé utile et important de recueillir l’avis des populations pour les associer à des politiques

censées les servir, il était légitime pour celles-ci de manifester leur opposition

pacifiquement, idéalement parlant.

Ces revendications Ŕ il est important de le préciser Ŕ étaient celles du peuple en général,

mais elles étaient aussi et surtout celles des travailleurs en particulier, qui étaient visaient

par les politiques économiques du PAS (Programme d’Ajustement Structurel) depuis sa

mise en place au début des années 80. Devant la ténacité et la détermination du

gouvernement à maintenir ses politiques, les populations avaient malheureusement recours

à la violence qui même légitime, était et est éthiquement condamnable. Contraint

d’apporter une solution par rapport aux légitimes revendications des populations, le

gouvernement, conscient de son incapacité à apporter une solution appropriée, avait opté

de recourir au dilatoire d’abord, avant de faire usage de la répression ensuite.

En effet, s’il est une tradition que la fête du travail soit une occasion pour le chef de l’État

de rencontrer les différents leaders syndicaux et de recevoir leurs doléances, il est important

de faire remarquer que ce genre de rencontre s’inscrivait dans le formalisme qui Ŕ nous

rappelons Ŕ était un outil de gestion du chef de l’État et de son gouvernement. Il est

important de préciser que cette rencontre du 1er

mai ne réunissait dans un premier temps

que la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal) dont le secrétaire

général sous Abdou Diouf, était député et membre du bureau politique du parti socialiste,

avec rang de vice-président dans le bureau de l’Assemblée nationale, dont les membres Ŕ il

est important de le préciser Ŕ étaient choisis par le président de la république

Page 166: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

148

La participation ou l’implication tardive des autres leaders syndicaux, à ce genre de

rencontre, allait conforter le gouvernement dans son formalisme, qui était souvent pensé et

malheureusement présenté comme un geste d’ouverture, non seulement par les différents

outils de propagande du parti socialiste et du gouvernement, mais également et surtout, par

les hauts responsables militants et partisans de la presse d’État. Lors de ces rencontres

parrainées par la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal) et qui

étaient bien relayées et transmises par la presse d’État (radio et télévision) et où le

formalisme : outil de gestion du pouvoir, était à l’honneur, le gouvernement exprimait

souvent son désarroi par rapport à ses politiques qui étaient affligeantes pour les salariés,

tout en les présentant comme nécessaires et indispensables, voire incontournables. Au nom

de la « participation responsable », la CTNS (Confédération Nationale des Travailleurs du

Sénégal) exprimait à son tour le mal que subissaient les « masses laborieuses » tout en

demandant au gouvernement de s’atteler pour les sortir de cette impasse engendrée par les

politiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Les propos virulents que pouvait tenir le secrétaire général de la centrale la plus

significative à l’endroit des politiques économiques, tout comme celui des autres députés

syndicalistes affiliés au parti socialiste, s’inscrivaient dans ce formalisme que permettait la

« participation responsable ». Madia Diop siégeait au bureau politique du parti socialiste

dont Abdou Diouf, président de la République, était le secrétaire général. Les autres

députés étaient souvent membre du comité central du parti socialiste, cela pour dire que les

travailleurs affiliés à la CNTS n’avaient aucunement la chance d’être réellement défendu

auprès du gouvernement, qui avait pour l’obligation de respecter son engagement auprès

des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale).

Il est ainsi juste et pertinent de soutenir que depuis la mise en place du PAS (Programme

des Ajustements structurels), le gouvernement avait puisé dans le dilatoire par rapport aux

justes et légitimes revendications des travailleurs et à leurs syndicats, en ce sens qu’il

n’avait aucunement l’intention et encore moins la motivation, d’améliorer les conditions de

vie des travailleurs. En effet, au-delà de la politique du démantèlement de l’État-assistance

qui s’inscrivait dans le nouveau mode de gestion du pouvoir qui était le désengagement de

Page 167: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

149

l’État, il y’avait la NPI (Nouvelle Politique Industrielle) qui était à la fois un pamphlet,

mais aussi un réquisitoire pour le monde syndical. En disant non au social, en demandant

également aux populations urbaines et rurales de rompre avec leur « mentalité d’assisté »

selon les termes d’Abdou Diouf, le gouvernement était dans une dynamique de rupture

avec les populations en général, et les travailleurs ou salariés en particulier.

Pendant donc plus d’une décennie, le gouvernement avait puisé dans le dilatoire pour

répercuter en amont les légitimes aspirations de mieux être des populations, mais également

des travailleurs en particulier, qui avaient fait les frais des grandes politiques publiques.

D’abord, la Restructuration du service public et parapublic, dans son objectif d’assainir les

finances publiques, avait réduit le personnel de la fonction publique par l’entremise de la

politique dite des « départs volontaires ». Ensuite, la NPA (Nouvelle Politique Agricole),

en ambitionnant de rendre autonome l’agriculteur sénégalais, avait procédé à la suppression

de certaines structures qui servaient de support et d’encadrement au monde rural.

« Ce sont les entreprises publiques d’encadrement du monde rural qui ont été les plus

touchées par les suppressions d’emplois avec la Nouvelle Politique Agricole »193

. Les

travailleurs qui étaient affiliés à ces structures s’étaient retrouvés sans travail, et devaient

par la suite recourir au gorgolou (esprit de débrouillardise) dans un contexte où l’embauche

ou le recrutement ne se faisait plus au niveau de la fonction publique. Enfin, la NPI

(Nouvelle Politique Industrielle), qui s’était voulue à la fois un cadre et un mécanisme

d’incitation à l’investissement, avait occasionné des licenciements parfois arbitraires de

certains employeurs qui procédaient « à des fermetures pures et simples d’usines, pour se

transformer en importateurs »194

.

À côté de ce dilatoire qu’utilisait le gouvernement qui était dans l’incapacité de donner une

suite favorable aux légitimes revendications et aspirations des populations en général et des

travailleurs ou salariés en particulier, il y avait également et aussi l’usage de répression

193

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement: l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris:

L’Harmattan, 2002, p 156 194

Ibidem, Makhtar, p 156

Page 168: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

150

comme outil de gestion des situations conflictuelles. Cette répression faisait partie du

dispositif de gestion du gouvernement qui s’en servait dans des situations où il jugeait que

la force devait rester à la loi. Outil de premier plan pour déstabiliser tout mouvement ou

manifestation qui était de nature à déstabiliser l’ordre social et la tranquillité des

populations, la répression, dans l’esprit des autorités gouvernementales, avait pour objectif

principal de décourager les mouvements perturbateurs. Dans un contexte où le

gouvernement s’était éloigné des aspirations de mieux être des populations, au nom de la

réhabilitation des finances publiques, son usage était de l’ordre du prévisible. Par cette

virtualité, l’État, c’est-à-dire le gouvernement entendait également honorer son devoir

régalien à l’endroit de ses ressortissants et des étrangers qui vivaient sur son territoire.

Il faut noter que la logique du PAS (Programme des Ajustements Structurels) avait amené

le gouvernement à confiner l’État dans son rôle initial ou original, qui était d’assurer

d’abord et avant tout, la sécurité des individus. Le besoin de sécurité, relaté et défendu par

Hobbes, garde toute sa pertinence pour parler de l’origine de l’État, qui s’est d’abord voulu

un cadre pour encadrer le comportement humain et sanctionner, c’est à dire corriger au

besoin, tout comportement qui serait de nature à troubler la paix et la sécurité des autres

individus. Il était question donc avec la mise sur pied de l’État, de discipliner l’indiscipline

virtuel du genre humain, de l’encadrer avec sérénité et fermeté, pour une cohabitation

apaisée de la communauté des individus. Il était du rôle de l’État, entendu d’abord comme

produit et projet de vivre des individus, et ensuite comme institution, de sécuriser leur

habitat social, et de faire du respect de cette sécurisation des lieux publics et privés, une

norme à respecter.

Le premier besoin identifié par une collectivité est sa sécurité car elle est la

condition même de sa survie. Celle-ci concerne les personnes et les biens. Elle

signifie la paix civile et la sécurité des frontières. Il revient dès lors, à l’État de

répondre aux menaces et d’assurer cette quiétude. Dans toutes les sociétés de

primates, le rôle du chef est d’abord la protection du groupe; c’est là-dessus

qu’il sera jugé, et éventuellement destitué. Voilà pourquoi l’État se trouve, en

raison de sa souveraineté revendiquée, être celui qui définira et sera garant de la

protection de cet ordre, qualifié de public195

.

195

Baguenard, Jacques, L’État: incontournable garde-fou, Brest : Éditions-dialogues.fr, 2009, p 98

Page 169: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

151

Pensé d’abord par le genre humain, il est donc son produit comme en atteste sa mise en

place comme institution pour organiser, dans la plus grande discipline, ses faits et gestes. «

Construit par référence directe à la raison, il ne peut que se prétendre universel et ses

principes de fonctionnement ne peuvent que viser à réduire la variété des ordres politiques

qui composent le système international »196

. L’État s’est voulu avant tout un cadre pour

assurer la sécurité et la tranquillité de ses membres. Il a été pensé pour être au service

exclusif du genre humain en le mettant d’abord et avant tout à l’abri de l’arbitraire. Il est

pertinent par conséquent de soutenir que la création de l’État répondait d’abord à un besoin

de sécurité ou de bien être (État gendarme) avant que les hommes ne développent ensuite

une aspiration de mieux être (État providence), qui devrait prendre en considération la

demande sociale de l’individu et de la société. L’État s’est donc voulu avant tout, comme

un cadre pour assurer la sécurité et la tranquillité des individus.

Ce n’est pas par hasard qu’au moment où s’est formée l’idée moderne de l’État,

le danger de l’arbitraire fut de ceux qui retinrent le plus souvent les esprits.

Déjà les théologiens de la fin du Moyen Age posaient le problème Ŕ de la

résistance à l’oppression. Mais, avec les luttes religieuses du XVIe siècle c’est

la tyrannie qui est en cause. Or il est certain que le problème qui préoccupe les

philosophes n’est que la transposition doctrinale d’un souci éprouvé par le

commun. On a le sentiment que si le Pouvoir est, pour le chef, une prérogative

personnelle, rien ne pourra empêcher que les attributs de l’autorité, la sanction,

la puissance soient détournés de leurs fins pour être utilisés à sa convenance.

De l’arbitraire dont ils avaient l’expérience, naquit dans la conscience des

gouvernés, un dilemme qui fut un puissant levier de l’évolution politique : ou

bien le Pouvoir est lié à une fonction où il trouve à la fois son titre et ses fins,

ou bien il est une propriété de certains individus et par conséquent, l’instrument

de leurs volontés ou de leurs fantaisies. De l’alternative une fois clairement

posée, il était inévitable que le second terme fût condamné. « La royauté est un

office, ce n’est pas un héritage » déclarait Philippe Pot aux États généraux de

1484. L’idée de l’État s’imposait, en dehors de toutes autres considérations

plus relevées, par sa vertu pratique. Elle était, comme le dira plus tard

Schopenhauer, « la muselière dont le but est de rendre inoffensive cette bête

carnassière, l’homme »197

.

196

Badié, Bertrand, L’État importé: Essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris : Fayard, 1992, p

70 197

Burdeau, Georges, L’État, Paris : Éditions du Seuil, 1992, pp 41-42

Page 170: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

152

Avec la mise en place des politiques impopulaires engendrée par le PAS (Programme des

Ajustements Structurels), assurer l’ordre et la sécurité des individus était devenu pour le

gouvernement, plus qu’un devoir mais une nécessité. En effet, le mécontentement des

populations urbaines et rurales était non seulement grandissant, mais le mal vivre de

sénégalais qui était quasiment général, rendaient inacceptables les justifications apportées

par le gouvernement et ses différentes structures de réflexion. Le discours partisan des

membres du Bureau politique du parti socialiste tout comme celui du comité central étaient

frappés d’une une fin de non-recevoir auprès des masses rurales, mais surtout citadines qui

devaient se nourrir mais payer également le loyer pour se loger. Ce qui était loin d’être

évident, dans un contexte où les politiques d’austérité faisaient légion. Le discours

également des intellectuels du parti socialiste à travers le Club nation et développement ou

du GRESEN (Groupe de rencontres et d’échanges pour un Sénégal nouveau) tardaient à

faire sens auprès des populations citadines, dont la frustration avait été récupérée par

l’opposition.

Avec les mesures que renfermaient le Plan d’urgence de septembre 1993, lesquelles

avaient été rejetées à la fois par les populations et les travailleurs, le gouvernement n’avait

pas d’autres alternatives que de recourir aux forces de l’ordre pour parer aux différentes

manifestations qui pouvaient basculer dans la violence, et plonger le pays dans le chaos. «

Ce programme fut combattu par tous les syndicats de travailleurs et de commerçants, car il

prévoyait une baisse des salaires d’environ 15%. Il en résulta la première grève générale du

pays depuis 25 ans. Elle dura les 2 et 3 septembre 1993 »198

. Les signes de ce chaos

étaient déjà perceptibles avec l’assassinat du président du Conseil Constitutionnel en mai

1993.

Ce crime politique était révélateur d’une certaine audace jusque-là insoupçonnée chez les

Sénégalais, réputés débonnaires et philosophes, dans une sous-région où le différend

politique pouvait amenait les populations à basculer dans une violence inouïe. En ayant

donc recours à l’assassinat, c’est dire à la violence pour régler leur désaccord par rapport au

198

Ndao, El hadj Ibrahima, Sénégal, Histoire des conquêtes démocratiques, Dakar : Les Nouvelles Éditions

Africaines du Sénégal, 2003, p 460

Page 171: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

153

projet politique existant, le gouvernement n’avait pas le choix de prendre ses dispositions,

et ce d’autant plus le contexte favorisait ou encourageait le comportement déviant. Le

gouvernement était dorénavant condamné à faire preuve de la plus grande vigilance, dans

ce contexte où le difficile quotidien des populations en faisait des proies faciles pour les

inciter vers l’entropie.

Il était donc important pour les autorités gouvernementales de ne pas céder devant le climat

de désordre qui pouvait résulter des politiques du PAS qui étaient en vigueur, et qui

suscitaient de vives indignations auprès des populations. Il était clair dans l’esprit du

gouvernement que la stabilité sociale était un incitatif hautement important à

l’investissement. Il lui revenait par conséquent de sécuriser et de protéger l’ensemble de la

population, par l’entremise de sa police et des corps affiliés ou similaires, tels que la

gendarmerie nationale ou le GMI (Groupement Mobile d’Intervention). Le gouvernement,

pour honorer ainsi son devoir régalien à l’intérieur du territoire, devait compter d’abord et

avant sur les forces policières dans un premier temps, réputées et censées veiller au

maintien et au respect de l’ordre. Que cette police dont la vocation essentielle est de

combattre le désordre, sans s’interroger sur les raisons qui pourraient le justifier, puisse se

livrer à des actes contraires et opposés à sa raison d’être, avait amené le gouvernement à

procéder à la radiation pure et simple de beaucoup de policiers.

La révolte policière des 13 et 14 avril 1987 n’est pas facile à analyser en ce qui

concerne ses véritables déterminants. Elle a un précédent car en juillet 1983,

des policiers avaient également menacé d’aller en grève pour des raisons liées à

la condamnation de gardiens de la paix à des peines de prison pour coups et

blessures ayant entraîné la mort d’un individu au cours d’une enquête. En

1987, les policiers ne sont pas contentés de menacer, ils sont passés à l’acte. Le

prétexte de la rébellion se trouvait dans la condamnation, le 10 avril 1987, de 7

policiers accusés d’avoir fait subir à un jeune commerçant des sévices ayant

entraîné sa mort. Des manifestations de protestation furent organisés à Dakar et

à Thiès les 13 et 14 avril, manifestation que l’État a décidé de gérer par la

manière forte en faisant intervenir sa brigade spécialisée dans la répression des

émeutes, la Légion de gendarmerie d’intervention, pour disperser le 14 avril,

vers 10h 30, une marche de policiers qui se dirigeait vers le ministère de

l’Intérieur en empruntant une avenue passant devant le palais de la République.

Des sources proches du gouvernement indiquent que des policiers ont saccagé

tables, chaises et dossiers du tribunal régional de Thiès, ville située à 70 km de

Page 172: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

154

Dakar où se trouve le siège du groupe mobile d’intervention, autre corps d’élite

spécialisé dans les opérations de « maintien de l’ordre ». Prenant conscience de

la gravité de la situation pour le fonctionnement des institutions, l’État a réagi

avec fermeté en remerciant le ministre de l’intérieur et ses principaux assistants.

Les personnels de police seront successivement suspendus et radiés. 6265

policiers seront concernés par cette mesure199

.

Cette radiation renseignait toutefois sur l’état d’esprit du gouvernement. Elle se voulait un

indicateur de l’esprit de tension qui prévalait chez les autorités, et plus particulièrement

chez le président de la République, qui incarnait en sa personne, la totalité du pouvoir

exécutif (nous y reviendrons). Elle renseignait certes sur la gestion technocratique du

gouvernementale, mais également et surtout sur la détermination du Chef de l’État et de ses

hommes, de ne pas céder devant les agitations populaires. Si cette radiation était

administrativement justifiée et compréhensible entre autres, elle était socialement

condamnable en ce sens qu’elle avait des répercussions négatives qui ne se limitaient

seulement aux policiers radiés, mais également et surtout à leurs familles. « La main de fer

gantée de velours » dont parlait le président Senghor, avait frappé et dans un contexte où

les politiques économiques avaient provoqué et engendré la paupérisation des masses

rurales et urbaines.

Pour remplir donc pleinement et avec efficacité son rôle de garant de la sécurité des biens et

des personnes, le gouvernement devait recourir à la répression pour décourager d’abord et

intimider ensuite pour mettre un terme à tout comportement perturbateur. Au même titre

que le « dilatoire », la répression a été utilisée à la fois comme un moyen et un outil de

gestion, pour intimider et décourager les comportements violents et virtuels, qui pouvaient

découler naturellement du Plan d’Urgence ou des mesures d’urgence de septembre 1993.

Il est important de préciser que ce recours à la répression était toutefois antérieur à 1’année

1993 en ce sens que cette répression s’était bien illustrée en 1988 avec l’État d’urgence qui

avait été décrété par le gouvernement après l’arrestation des principaux leaders de

l’opposition.

199

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Karthala, 1990, pp 285-

286

Page 173: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

155

Ces arrestations étaient justifiées selon le gouvernement qui accusait l’opposition d’avoir

incité les populations à user de la violence. Des émeutes accompagnées d’une certaine

violence dans certaines localités urbaines, avaient plongé le pays dans une situation

alarmante, qui justifiait et nécessitait une intervention des forces de l’ordre. Elles

traduisaient, et sans aucun doute, la lassitude et l’exaspération des populations face à des

politiques et réformes économiques qui ne cessaient de dégrader leur condition de vie.

Cette violence était loin d’être gratuite, elle avait une cible et un objectif dans la mesure où

les émeutiers s’attaquaient en grande partie aux biens dit publics (voitures officielles et

administratives Ŕ établissements publics) et aux maisons de certains responsables et

dignitaires du parti socialiste.

Les émeutes qui ont atteint leur point culminant le lundi 29 février ont touché

tous les grands centres urbains et plus particulièrement Dakar la capitale. Saint-

Louis, Louga, Kaolack, Kébémer, Rufisque, ont connu des violences et des

destructions importantes à divers degrés. Dakar mérite dans cette analyse une

attention particulière à cause de sa position de capitale, de site regroupant le

pouvoir et l’essentiel des activités socio-économiques du Sénégal et de la

concentration démographique et de l’hétérogénéité sociale et spatiale très

marquées. Le premier phénomène à noter est que les émeutes ont été

circonscrites aux quartiers populaires. L’explication est d’ordre sociologique et

topographique. Sociologique en ce sens que les chômeurs, marginaux et autres

déclassés vivent dans ces quartiers où l’urbanisation est défectueuse.

Topographique parce que l’urbanisation coloniale de Dakar a mis en place une

ceinture de sécurité sanitaire et policière avec l’avenue Malick Sy qui isole le

Plateau dont les points d’accès sont facilement contrôlables. Les émeutiers s’en

sont surtout pris à tout ce qui représentait l’État : bâtiments (comme le centre

d’état civil du Grand-Dakar détruit et incendié), les bus de la Société de

transports du Cap-Vert (SOTRAC) (80 bus endommagés selon le quotidien

national), les cabines de téléphone public, les voitures du gouvernement ou de

l’administration immatriculées service officiel (ou) établissement public (EP).

Les actes de vandalisme ont été tout aussi nombreux avec la destruction et

l’incendie de stations d’essence, de magasins et boutiques qui ont été pillés.

Les acteurs du « Lundi noir » ont attaqué les maisons des militants et individus

proches du PS ou du pouvoir200

.

200

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Karthala, 1990, pp 336-

337

Page 174: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

156

Toutefois, au-delà du mouvement des forces de police, de la crise post-électorale et des

agitations populaires propres au Plan d’Urgence de septembre 1993, Il est important de

retenir que ce recours à la répression était une conséquence, voire une résultante de la

politique du Désengagement de l’État qui, en vérité, avait confiné l’État, c’est-à-dire le

gouvernement, uniquement dans ses prérogatives régaliennes. Ce recours à la répression

s’imposait par elle-même en raison de la logique du PAS (Programme des Ajustements

Structurels) dont la dynamique ne permettait pas au gouvernement de prendre en

considération la demande sociale. Le recours à la répression pour contrer le

mécontentement des populations devenait dès lors pour les autorités gouvernementales,

plus qu’un devoir, mais une nécessité. Il s’imposait dès lors comme un outil de gestion du

corps social.

Le recours à la répression s’imposait en effet comme une politique de gestion de la société,

dont les aspirations et revendications Ŕ faut-il le mentionner - avaient été royalement

ignorées par le président de la République et son gouvernement. L’usage ou le recours à la

répression devenait par conséquent une politique au même titre que toute autre politique

publique, parce que décidé et pensé comme une alternative inévitable pour faire face au

mécontentement populaire. Le gouvernement était parfaitement conscient que la passiveté

des populations était temporaire, contrairement à sa politique économique qui s’inscrivait

dans le long terme. L’État, c’est-à-dire le gouvernement devait dès lors s’appuyer et

compter sur les forces armées chargées de la sécurité intérieure, telles que la police et la

gendarmerie, pour faire respecter l’ordre et garantir la sécurité. Il entendait remplir

pleinement, et avec efficacité ce rôle qui lui était dévolu par la Constitution.

Il est vrai que l’on ne demande pas à l’État d’essayer de comprendre les

comportements délictueux; son rôle est d’être le garant de la règle. Les actions

régulièrement menées pour dissuader des immigrés clandestins de tenter

l’aventure en payant chèrement à des passeurs sans scrupules un voyage pour

nulle part s’inscrivent dans cette logique. Garant de la sécurité, l’État ne peut

se départir de ce rôle, existentiel pour lui. Il en a reçu le mandat; il est

redevable de cette mission de sécurité. S’il s’en départait, ce serait sa propre

survie qui serait en cause. Le déploiement de cette mission se réalise sur des

plans complémentaires qui correspondent, pour une large part, aux fonctions

dites régaliennes de l’État. Elles se sont assimilées aux marques de sa

Page 175: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

157

souveraineté. Elles recouvrent trois dimensions principales : la sécurité qui

s’exprime à l’intérieur Ŕ prise en charge par un ministère de l’Intérieur ou des

Affaires Intérieures Ŕ comme à l’extérieur Ŕ Ministère de la défense, Ministère

des Affaires étrangères -, la justice que prend en charge le Ministère de la

Justice, mais à interpréter plus largement comme la production du droit, et la

monnaie dont le monopole d’émission fut traditionnellement perçu comme une

marque de souveraineté201

.

Il revenait donc au gouvernement, dans ce contexte d’insatisfaction populaire, de prendre

toutes ses dispositions pour sécuriser à la fois les personnes, les lieux et les biens publics.

On comprend dès lors le poids et l’importance du ministre de l’intérieur dans l’architecture

gouvernementale, et les attentes placées en sa personne pour le maintien de l’ordre et de la

sécurité dans tout le pays. On peut comprendre également pourquoi sa responsabilité est

engagée en cas de troubles ou de manifestations portant atteinte à la sécurité des lieux et

des personnes. On peut comprendre ainsi l’importance que le pouvoir exécutif et en

premier lieu son chef : le président de la République : garant de l’ordre public selon la

constitution, accorde aux forces de police et de gendarmerie. C’est dans ce sens qu’il

convient de comprendre la radiation d’un nombre important de policiers suite à une « grève

de zèle » pour contester une décision de justice. « En tout état de cause, l’approche

disciplinaire mise en œuvre pour résoudre cette crise a permis à l’État un « nettoyage » et

une reprise en main de l’appareil répressif »202

.

Incapable donc de donner une suite favorable aux légitimes revendications des populations,

qui étaient suffisamment affligées par la dureté des politiques économiques, le

gouvernement devait se replier sur ses prérogatives régaliennes. Ces prérogatives,

encadrées par la constitution, devaient s’articuler autour de deux points à savoir; assurer

d’abord l’ordre et la sécurité de la communauté à l’intérieur du pays, et veiller ensuite au

bon fonctionnement de la justice. Il est important toutefois de faire remarquer que le

gouvernement était totalement maître dans ce sens rôle de « vigile » nécessaire, entre

autres, à la mise en œuvre des politiques du PAS (Programmes des Ajustements

Structurels).

201

Baguenard, Jacques, L’État: incontournable garde-fou, Brest: Éditions-dialogues.fr, 2009, p 99 202

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Karthala, 1990, p 292

Page 176: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

158

Soumis aux contraintes de ses créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale),

soumission par laquelle, il avait joué un rôle de témoin, plutôt que d’acteur dans la

formulation des politiques publiques du Programme des Ajustements Structurels, le

gouvernement allait, et avait retrouvé sa souveraineté pleine et entière à travers ses

prérogatives régaliennes. En remplissant en effet son devoir régalien, devoir que son

mandat lui permettait, et que les circonstances exigeaient, le gouvernement bénéficiait

d’une opportunité pour se refaire une certaine légitimité auprès des populations qu’il avait

renoncé à assister avec la mise en place du PAS.

Avec le démantèlement de l’État-assistance, le gouvernement avait en effet décidé de

s’éloigner des aspirations de mieux être des populations, pour les renvoyer à elles-mêmes.

Concrètement, cela signifiait que l’individu tout comme la société, devaient dorénavant se

prendre en charge par eux-mêmes et ne plus compter sur l’État, comme en état le cas sous

le magistère de Senghor. Le gouvernement avait ainsi décidé de ne plus prendre en charge

la demande sociale, pour être en phase avec les concepteurs du PAS qui l’avaient pensé

comme un fardeau assez lourd pour les finances publiques. Au nom de sa volonté

d’assainir les finances publiques, le gouvernement avait procédé à des licenciements

massifs au niveau de la fonction publique, ajouté au fait que sa politique de libéralisation

avait amené les acteurs privés à aller également dans le même sens. Sa volonté

conditionnée de privatiser le secteur économique, l’avait également amené à mettre sur pied

une législation qui devait favoriser le patronat, au détriment des travailleurs ou des

employés.

En mettant donc un terme aux attentes légitimes de mieux être des populations rurales et

urbaines, le gouvernement avait compromis sa légitimité d’action. Il avait perdu en fait

cette légitimité qui fonde et justifie en premier l’action des gouvernants, à savoir celle

justifiée par la mise en place d’une politique pour répondre aux attentes Ŕ légitimes entre

autres - du corps électoral, qui n’était rien d’autre que ces mêmes populations. En effet, si

la légitimité de l’action politique repose sur le postulat d’une certaine attente de mieux être

des populations à l’endroit de ceux et celles qui sont habilités à prendre des décisions en

son nom, celle du gouvernement qui était déficitaire à ce niveau, n’était plus justifiée au

Page 177: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

159

regard de son incapacité à améliorer la situation de ses ressortissants. L’action

gouvernementale souffrait d’un défaut de légitimité, entendu comme ce justificatif qui a

servi, et qui servira toujours d’incitatif pour agir au nom des populations.

La contestation populaire et les dérives occasionnées et engendrées par le mécontentement

urbain avaient ainsi donné au gouvernement l’opportunité, de se légitimer de nouveau,

c’est-à-dire, de se sentir utile, en ayant recours à la répression pour faire respecter « l’ordre

républicain et la stabilité, si nécessaires à la démocratie »203

selon les propres termes du

ministre de l’intérieur de l’époque. Au-delà donc des inconvénients qui pouvaient

découler de la violence urbaine, la crise urbaine avait donné l’opportunité au gouvernement

la possibilité de se refaire ou de se redonner du crédit auprès de ses mandataires, sous le

prétexte ou l’alibi de la nécessité d’un « ordre public », dont le maintien était du ressort

exclusif des forces de l’ordre. Recourir à la répression, pour assurer son devoir régalien,

permettait ainsi au gouvernement d’exister comme entité réellement souveraine, dans un

contexte où les contraintes et les exigences de ses créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI-

Banque mondiale) l’avaient confiné dans un simple rôle d’exécutant.

Toutefois, il important de saisir que cette dynamique répressive, comme résultante du PAS

(Programme des Ajustements Structurels) pour assurer cet « ordre républicain et cette

stabilité », n’était pas seulement et uniquement l’apanage des forces visibles, c’est-à-dire

des forces policières, de la gendarmerie nationale ou du GMI (Groupement Mobile

d’Intervention). Autrement dit, ces forces armées précitées n’avaient pas le monopole de la

répression. Il existait en effet un autre type de répression qui était, silencieux dans ses

procédés, plus précis dans ses cibles et à l’autorité diffuse. Si la répression des forces

précitées n’était visible qu’en cas de troubles justifiés, appréhendés ou pressentis de l’ordre

dit « public », celle de la police politique, fonctionnant avec l’alibi profondément fallacieux

de la « sureté de l’État », n’était activée que lorsque la situation politique ou les

circonstances politiques l’exigeaient.

203

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions du Sénégal, 2005, p 127

Page 178: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

160

Donc, à la répression visible des forces policières ou des forces chargées d’assurer la

sécurité intérieure, parrainée et assurée par le ministre de l’intérieur, sévissait un autre type

de répression, plus subtile dans ses manifestations, plus tenace dans ses visées, et plus

dangereuse dans ses objectifs. Ses agents, hommes de l’ombre le plus souvent, agissaient

sur les instructions du politique, dont l’identité n’était connue que par les hauts placés de la

police politique. Contrairement à la répression de type classique, armée et visible qui

visait à corriger, déstabiliser ou empêcher le comportement entropique, celle de la police

politique cherchait avant tout à intimider et à décourager tout « comportement ou attitude »

susceptible de causer des torts ou un quelconque préjudice au bon fonctionnement de l’État,

et plus concrètement du gouvernement. La police politique devenait dès lors un mécanisme

de contrôle pour les autorités gouvernementales qui n’hésitaient pas à l’utiliser, dans un

premier temps pour faire taire.

Plus dangereuse donc que la première, c’est-à-dire celle des forces de police qui visait et

cherchait à atteindre l’intégrité physique des personnes, celle de la police politique visait

par contre à porter préjudice à l’intégrité morale de la personne. Cette répression ne visait

pas le corps humain, mais plutôt l’esprit humain qu’elle ambitionnait d’affaiblir et à

anéantir, par l’intimation d’abord et la dissuasion ensuite. Elle avait pour finalité de faire

taire, non seulement la parole, mais aussi le comportement qui cherchait à déstabiliser le

gouvernement ou le régime. En procédant à l’intimidation des personnes convoquées, et

par son pouvoir de compromettre les personnes ciblées, la police politique était par

conséquent un outil de contrôle que le gouvernement pouvait actionner à tout moment, et

plus précisément, lorsque les circonstances pouvaient donner du crédit à ses services,

comme en était le cas durant et après les élections présidentielles et législatives de février

1988. En définitive, elle visait par la contrainte, à renforcer le gouvernement en place,

c’est-à-dire celui des socialistes.

En effet, à travers ce premier objectif qui était d’empêcher à la parole qui dénonçait les

tares ou les dérives du gouvernement ou du régime, de faire sens et de prendre sens auprès

des populations, la police politique était chargée par conséquent, de contrer le discours ou

le comportement perturbateur à ses débuts. Concrètement, il s’agissait d’étouffer à la

Page 179: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

161

source, tout discours de nature politique, pressentit ou jugé comme incitant les populations

à poser des actes, qui seraient de nature à troubler l’ordre public ou qui pourraient porter

atteinte à la « sûreté de l’État ». Le décryptage de ce discours Ŕ il est important de le

mentionner - était fait d’abord par le gouvernement, qui s’en offusquait avant que la police

politique ne soit saisie par le « politique » pour agir, au soit disant nom de l’État. Juge de

fait, le politique, c’est-à-dire l’autorité gouvernementale, octroyait un sens au discours,

donnait une signification aux attitudes et aux comportements, et décidait du sort qu’il

entendait réserver à ses cibles.

En effet, au cas où la justice devait être saisie comme en était le cas par exemple en 1988,

avec l’arrestation du leader le plus important de l’opposition, le garde des sceaux, ministre

de la justice, se saisissait du « dossier » et actionnait le parquet, dont les juges étaient sous

son autorité. Dans un procès où les accusés n’avaient aucune chance de s’en sortir, parce

que reposant sur des motifs, estimés au départ, comme étant graves par le gouvernement, il

n’était pas nécessaire d’être un initié ou un avertit du fonctionnement d’une justice

conditionnée pour deviner le jugement qui allait être rendu. Parce que le procès était

politique, le jugement sur commande du politique, ne pouvait être que politique. Dans un

Sénégal où l’influence du politique se faisait sentir à tous les niveaux, y compris dans le

secteur judiciaire supposé être pourtant autonome, il est important de faire remarquer que

cette autonomie était en réalité formelle, en ce sens que les magistrats habilités pour rendre

justice étaient sous la tutelle du parquet, qui à son tour était sous celle du garde des sceaux,

ministre de la justice. Ce dernier, en raison de sa position pouvait exercer, et sans aucun

doute une certaine influence sur le travail des juges. Le garde des sceaux disposait en effet

d’un pouvoir de contrainte dans la mesure où il avait le pouvoir de les déplacer sans leur

consentement.

Cette étape était toutefois précédée par la pression que la police politique exerçait sur ses

cibles, dont l’autorité était placée hiérarchiquement parlant Ŕ il est important de le

mentionner Ŕ sous la direction du ministère de l’intérieur, « ce cœur de l’État dont les

responsabilités en période trouble sont essentielles pour le maintien de l’ordre républicain

Page 180: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

162

et la stabilité, si nécessaires à la démocratie »204

. Ce ministère de l’intérieur était souvent

dirigé, et par tradition, par un homme de confiance du président de la République ou du

Chef de l’État. Responsable de la sécurité intérieure, tâche qui était de la responsabilité

personnelle du président de la République en raison de ses prérogatives constitutionnelles

et régaliennes, le ministre de l’intérieur traduisait par conséquent la vision que le chef de

l’État se faisait de la sécurité nationale. Il devait par conséquent être, non seulement un

proche collaborateur du président de la République, mais surtout avoir sa confiance et son

soutien. Homme politique, avant que l’opposition ne s’arroge le droit de contester la

nomination d’un politique à la tête de ce ministère qui jouait un rôle central dans le

déroulement des élections présidentielles et législatives, ce personnage partisan était, de

fait, le parrain de la répression politique. Et le ministre de l’intérieur de l’époque de

mentionner ce qui suit :

Exercer les responsabilités de Ministre de l’Intérieur dans un pays

démocratique, confronté à une crise économique et sociale aigue, requiert

l’esprit d’initiative, pour trouver les moyens indispensables pour disposer de

l’autorité nécessaire au titulaire de ce poste névralgique, à la fois politique,

social et stratégique, au carrefour des contradictions qui traversent et les

pouvoirs et la société. Il n’existe pas de responsabilités plus importantes que

celles du Ministre de l’Intérieur, de missions plus délicates, de tâches plus

prenantes que les siennes. Il est rare qu’il soit populaire, car il est perçu comme

l’homme de la « répression », alors qu’il ne fait qu’appliquer la Loi, égale pour

tous. Il a besoin, en même temps, de moyens adéquat à la mesure de ses

missions multiples, qui vont de l’Administration du Territoire, à la sécurité

intérieure, en passant par la protection civile. Il a besoin du soutien effectif du

Président de la République, de qui tout procède dans un régime présidentiel,

même déconcentré comme celui du Sénégal. Un soutien sans nuance205

.

Premier parmi les policiers, dont le rôle était d’assurer la sécurité intérieure des lieux

publics, le ministre de l’intérieur était le mandataire désigné du gouvernement pour

s’offusquer ou s’indigner contre les discours ou comportement dits ou jugés dérangeants,

et également pour porter ou répercuter « l’accusation » auprès des services compétents

(police politique Ŕ justice) pour faire taire et déstabiliser l’autre, c’est-à-dire l’opposant,

204

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions du Sénégal, 2005, p 127 205

Ibidem139-140

Page 181: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

163

dont le seul tort a été d’être critique envers un gouvernement qui avait en toute objectivité,

et même en toute vérité, un problème de légitimité et de crédibilité comme l’avait

mentionné ce guide religieux, victime de sa lucidité d’analyse. Pour avoir soutenu que le

Sénégal traversait une crise d’autorité, de compétence et de légitimité, dans un contexte

d’agitation sociale, ce jugement avait amené les « responsables de la Sécurité intérieure et

de la Police judiciaire »206

à soutenir que « les éléments constitutifs d’un délit d’atteinte à

la sûreté de l’État et de discrédit des institutions étaient réunis pour justifier l’interpellation

de Moustapha Sy »207

.

Cette pratique n’était pas méconnue par la classe politique, qui devait prendre le risque de

composer avec la police du gouvernement, qui sous le vocable de police d’État, pouvait

justifier ses champs de compétence sous le faux prétexte de cette impérieuse nécessité de la

« sûreté de l’État » ou de la « raison d’État ». Doté d’un immense pouvoir d’investigation à

tous les niveaux et aux hauts plus niveaux, la police politique était également dotée d’un

immense pouvoir de contrainte auquel il n’était pas facile de résister et, encore moins d’y

échapper. Ayant pour mission essentielle de faire taire, la police politique opérait en

fragilisant d’abord ses cibles pour les amener ensuite, à renoncer même provisoirement, à

leurs faits et gestes, pour bénéficier du « pardon de l’exécutif » ou de la grâce

présidentielle. La police politique offrait ainsi une certaine protection à l’autorité

gouvernementale. Elle protégeait l’image du gouvernement. Elle faisait un travail

remarquable pour éviter que cette image si chère au président Diouf ne soit pas ternie par

des accusations qui pouvaient lui causer de sérieux préjudices, tout lui permettant d’écarter

les opposants les plus sérieux pour la prise du pouvoir. Ses cibles se trouvaient certes dans

la classe politique, mais également dans les syndicats ou dans la société civile, porteuse par

essence des mouvements sociaux. Ses actions mûries et planifiées pouvaient être justifiées.

206

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions du Sénégal, 2005, p132 207

Ibidem, p 132

Page 182: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

164

Les divers abus contre les « libertés fondamentales » sont expliqués, soit par les

dysfonctions bureaucratiques, soit par la sécurité de l’État, la raison d’État

légitimant la pesanteur bureaucratique et la pesanteur judiciaire. Les

dysfonctions bureaucratiques font partie de l’organisation de la production

réglementaire généralisée. Ce « totalitarisme tranquille » présente les

caractéristiques suivantes : il s’adapte sans difficulté aux notions floues du droit

positif et de justice fondamentale208

.

Outil de gestion du gouvernement pour mieux museler l’opposition, la police politique,

avait réussi à « enterrer » des opposants qui pouvaient nuire à la bonne marche du

gouvernement. Alliée du gouvernement, elle s’activait aussi pour le compte du parti

socialiste dont le chef Ŕ faut-il le rappeler Ŕ était le président de la République qui en était

le secrétaire général. Elle pouvait être actionnée par le pouvoir exécutif, et à tout moment,

dans toutes les circonstances d’intérêt politique, et cela, dans le but exclusif, de servir le

gouvernement et le parti socialiste. Elle pouvait jouer autant un rôle de médiateur que de

bourreau, comme en attestent ces propos de l’ancien ministre de l’intérieur, qui s’activait

pour la mise en place du « Renouveau » comme courant de pensée, au sein du parti

socialiste :

Les onze membres de la délégation du courant du Renouveau, qui avaient

rencontré celle du Bureau politique, furent suspendus pour une période de trois

mois, au cours desquels ils subirent tous les harcèlements et menaces

inimaginables. Cette décision fut prise par le Bureau politique sans donner

l’occasion aux accusés de se défendre. Même la police d’État fut mise à

contribution pour résoudre des divergences au sein d’un Parti politique,

confirmant ainsi notre conviction, encore plus forte : hors du pouvoir d’État, les

refondateurs n’avaient aucune influence politique, aucune légitimité, aucun

poids leur permettant de diriger le PS qui, loin d’inspirer l’action de l’État, était

devenu l’instrument de la puissance publique. C’est ce caractère de Parti-État

que le Renouveau se proposait de combattre pour restituer au PS toute sa

personnalité, recouvrer son identité de Parti de gauche, social-démocrate

moderne209

.

208

Zylberberg, Jacques « Les structures dissipatives du politique : la démocratie en mal d’État » dans La

démocratie dans tous ses États : Argentine Ŕ Canada Ŕ France, Québec : Les Presses de l’Université Laval,

1993, p 8 209

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions du Sénégal, 2005, p 231

Page 183: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

165

Il est important de faire également remarquer que cette police politique avait contribué à la

déstabilisation de l’opposition, mieux, à sa fragmentation et à la récupération de ses

hommes pour le compte du parti socialiste. Le PDS (Parti Démocratique du Sénégal) dont

le secrétaire général, a succédé à Abdou Diouf après sa défaite en mars 2000, avait été

réduit presque en cendre par le pouvoir, qui l’avait débarrassé de ses hommes les plus

engagés au plan militant, et les plus tenaces au plan intellectuel. Il fallait certes les

démarcher, les convaincre de quitter la sphère critique de l’opposition, pour prendre place

auprès du « pouvoir », pour soit disant servir, mais à un autre niveau, leur pays : le Sénégal.

Compte tenu de l’omniprésence du politique à tous les niveaux et dans tous les secteurs,

compte tenu également de sa main mise sur l’administration autant civile que militaire, il

était facile pour les socialistes et leur gouvernement, de faire marcher à leur rythme les

politiciens qui étaient tout pour exagérer, sauf des saints.

À l’entrepreneur ou à l’homme d’affaire récalcitrant, il suffisait de dépêcher le service des

Impôts et Domaines pour en faire un collaborateur au service du parti socialiste et du

gouvernement. A ces enseignants du supérieur qui faisaient frémir par la pertinence de

leurs idées, il fallait bloquer leur avancement, en faire des sénégalais lamda, c’est-à-dire

ordinaires, pour les amener à prendre langage avec le « pouvoir », qui disposait du pouvoir

de nommer au poste civil et militaire. Au juge attaché à rendre une justice impartiale, il

suffisait de l’asphyxier, c’est-à-dire de retarder ou de bloquer ses avantages de droit, ou de

le déplacer dans les régions reculées, pour le contraindre à prendre langage également avec

le régime socialiste.

Ces pratiques à la russe ou à la soviétique, dans cette « démocratie d’exception » n’étaient

pas méconnue par les autorités gouvernementales, et encore moins par le président de la

République. Elles faisaient partie des outils de gestion du gouvernement et du parti

socialiste, et dont la DIC (Division des Investigations Criminelles) : outil principal de la

police politique, avait pour tâche de matérialiser (nous y reviendrons). Le pouvoir et ses

services pouvaient même décider des allées et des venues de tous les opposants, y compris

ceux qui militaient au sein même du parti socialiste, comme en fait mention cet aveu de

l’ancien ministre de l’intérieur :

Page 184: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

166

Le Ministre de l’Intérieur, Abdourahmane Sow, instrument de la Refondation,

qui ne formulait aucun projet autre que la carte blanche pour le choix des

dirigeants du Parti, décida de m’interdire de sortir du Territoire national, le 02

décembre 1997, au moment où je devais me rendre à Paris pour des rencontres

au Quai d’Orsay et à la rue Solferino, siège du Parti Socialiste français.

Fermement, je dénonçai cette décision illégale et indigne d’un Ministre de la

République, dont l’abus d’autorité déshonorait la police et l’État lui-même210

.

Par son pouvoir de contrainte, la police politique avait amené les opposants les plus tenaces

à prendre langage avec le pouvoir. De l’emprisonnement à l’asphyxie financière, en

passant par la menace et les blocages pour contrer tout avancement au niveau professionnel,

la police politique avait fini par atteindre son objectif principal qui était de faire taire, la

parole ou le comportement, qui était susceptible de porter un préjudice sérieux au

gouvernement. Elle a était très active sous Jean Colin, tout puissant ministre d’État, qui

était craint, autant par l’opposition que par ses camarades socialistes. Secrétaire général de

présidence de la République, avec rang de ministre d’État durant la crise de 1988, et

homme de confiance du président Diouf, il avait réussi à faire du secrétariat général de la

présidence l’endroit où se faisait et se défaisait les hommes politiques. Son limogeage en

1990 a été d’ailleurs salué autant par l’opposition que par le parti socialiste.

Jean Colin a été le surveillant de la règle néo-patrimoniale. Ce rôle l’obligeait

sans cesse à accentuer le contrôle informel sur le personnel de son parti et à

rechercher, à capturer ou à discréditer les personnalités de l’opposition

susceptibles de perturber son jeu politique. Les responsables politiques qui ont

pu mobiliser à la marge de l’État des ressources et informations leur permettant

de disposer d’une relative autonomie ont le mieux résisté à de telles opérations

politiques. Dans l’ensemble, au sien du Parti socialiste et de l’État, compte

tenu du fait que le secrétariat général de la présidence de la République s’est

progressivement transformé en Direction politique et administrative de l’État,

les possibilités de résister à de telles manœuvres étaient très minces211

.

210

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions du Sénégal, 2005, p 232 211

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Éditions Karthala, 1990,

p 113

Page 185: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

167

Cette pratique, qui s’était poursuivie même après son départ du gouvernement, avait réussi

à fragiliser profondément l’opposition, à tel enseigne que le gouvernement s’était retrouvé

sans une réelle opposition, en ce sens que tous ses leaders, et les plus significatifs, avaient

pris part à la gestion du pouvoir. Au-delà des justificatifs apportés, aussi bien par le

pouvoir que par l’opposition, pour justifier cette « coalition » au nom du soit disant intérêt

de l’État, l’opinion avait retenu le partage du pouvoir, comme seule résultante de ce deal,

qui était loin de résoudre les difficultés des populations, et qui s’était fait dans un contexte

où le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le gouvernement, n’était pas maître de la formulation

des politiques. Ce pouvoir, incarné par le président de la République et le gouvernement,

devait uniquement s’activer pour le compte du PAS (Programme des Ajustements

Structurels) dont la logique et la dynamique traduisaient le rôle prépondérant des créditeurs

ou bailleurs de fond dans la conception des politiques publiques. Ce qui n’est sans poser un

problème dans un régime qui se proclamait démocratique.

V.II. UN GOUVERNEMENT SANS POUVOIR DE DÉCISION DANS LA FORMULATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

Le Programme des Ajustements Structurels - il est important de le rappeler Ŕ a vu le jour

dans un contexte où l’économie nationale était dans une situation alarmante. Il était donc

question pour le gouvernement de corriger la situation par la mise en place d’une nouvelle

politique économique ou d’une nouvelle orientation de l’économie, pour relancer celle

nationale qui était déficitaire. Avec une économie déficitaire, c’est-à-dire souffrant de

liquidités pour faire face aux exigences courantes, tel que le paiement des fonctionnaires ou

des agents de l’État, le gouvernement n’avait pas le choix de contracter des emprunts pour

éviter de tomber dans un chaos social. L’endettement était donc pour le gouvernement une

option non seulement inévitable, mais utile et nécessaire, voire incontournable. Mais loin

d’être facile à obtenir, l’endettement n’était pas aussi sans contraintes pour le

gouvernement qui était obligé d’offrir des garanties pour pouvoir bénéficier de ces « prêts »

qui étaient loin d’être un « sésame ».

Page 186: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

168

Au cours des dernières années, les pays africains ont accumulé de lourds

arriérés de dettes commerciales, ce qui explique la réticence des banques

commerciales à se lancer dans de nouveaux engagements. Si bien que seuls les

prêts d’ajustement structurels sont en mesure de financer les importations

requises par les programmes de restructuration. Ces prêts, faut-il encore le

préciser, sont à distinguer formellement des prêts classiques destinés à financer

des projets de développement. Ces prêts sont très prisés par les gouvernements

africains, uniquement préoccupés par le court terme, parce qu’ils sont encaissés

plus rapidement, même s’ils sont de loin plus contraignants212

.

« Malade » et désireux de se faire soigner, mais n’ayant pas d’assurance-maladie et encore

moins d’argent pour couvrir les frais à la fois du diagnostic et du traitement, le

gouvernement, tel ce « malade » conscient de sa vulnérabilité et ses limites, devait écouter

religieusement le « médecin », réputé et pensé apte à faire guérir, c’est-à-dire de corriger le

marasme économique. À cette écoute religieuse devait suivre le respect par le « malade »

de la « prescription » pour obtenir les résultats attendus et souhaités. Et comme dans toute

« pédiatrie » où la consigne est de ne pas faire confiance aux « enfants malades » pour la

prise régulière des « médicaments », l’encadrement ou l’assistance s’imposait de fait et de

droit. Le patient hospitalisé accepte de recevoir le traitement requis qui donne ainsi au

médecin la latitude de procéder légalement et légitimement.

Le gouvernement qui était dans une certaine impasse devait donc faire appel aux

institutions de Bretton Woods pour s’en sortir. « À l’automne 1979, les Gouverneurs

africains de la Banque mondiale ont adressé un mémorandum au Président de la Banque,

exprimant l’inquiétude que leur inspiraient les sombres perspectives économiques des

nations au sud du Sahara et demandent que la Banque préparent « un rapport spécial sur les

problèmes de développement économique de ces pays » et un programme approprié en vue

de les aider »213

. Outre le fait de trouver impérativement des sources de financement pour

pallier aux dépenses dites courantes, il fallait aussi et surtout mettre en place les politiques

requises, c’est-à-dire appropriées, pour permettre à l’économie nationale d’être prospère à

212

Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton Woods, Paris :

L’Harmattan, 2002, p 70 213

Banque mondiale, Le développement accéléré en Afrique au sud du Sahara : Programme indicatif d’action,

Washington, 1981, p 1

Page 187: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

169

l’avenir. Le Rapport Berg Ŕ il est important de le préciser Ŕ qui a vu le jour à la demande

des États africains de préciser ce qui suit:

Le programme d’action présenté ici est de caractère général; il préconise une

politique et des options globales, des priorités d’ensemble pour l’action et attise

l’attention des donateurs sur les domaines clés. Il n’aborde pas Ŕ ce qui, du

reste, n’eut pas été possible Ŕ de programmes spécifiques ni les problèmes des

pays pris individuellement… Le Rapport s’inspire, en particulier, du Plan

d’action de Lagos, déclaration de stratégie de développement adoptée par les

chefs d’État africains à la réunion de l’Organisation de l’unité africaine qui

s’est tenue en avril 1980. Le Plan de Lagos soutient le principe suivant lequel

les États africains doivent tendre vers le renforcement de l’autodépendance et

de l’intégration économique de l’Afrique d’ici à l’an 2000. Le présent rapport

traite des mesures à prendre à court et moyen termes pour remédier aux

difficultés économiques actuelles de l’Afrique. Il met l’accent sur les moyens

d’accélérer la croissance et d’obtenir les ressources nécessaires pour réaliser les

objectifs à plus long terme fixés par les gouvernements africains, avec le

soutien de la communauté internationale. Comme le Plan de Lagos, il

reconnaît l’immense potentiel économique de l’Afrique, potentiel encore en

grande partie inexploité214

.

Cela exigeait des réformes, c’est dire à dire des changements à apporter au niveau politique

et administratif, que le gouvernement en place devait mettre en place. Il était un devoir

pour le gouvernement de veiller au respect et à la mise en place de ces réformes qui étaient

en fait inévitables. Il est important à ce niveau de faire remarquer que la nécessité de

procéder à des réformes, était même reconnue par le président Senghor dans son dernier

message à la nation, et dans lequel il avait également tenu à dire au peuple sénégalais que

des temps difficiles s’annonçaient.

Il se trouve, précisément que les principaux problèmes avec lesquels,

aujourd’hui, le Sénégal comme les autres pays du monde sont confrontés, et

d’abord les pays en développement, sont des problèmes économiques et

financiers. Et Monsieur Abdou Diouf est, précisément, orfèvre en la matière,

comme le prouvent le « Plan de Stabilisation Économique et Financier à court

Terme » qu’il a mis sur pied au début de 1979, mais surtout, le « Plan de

Redressement Économique et Financier à Moyen Terme » qu’il a lancé il y a,

214

Banque mondiale, Le développement accéléré en Afrique au sud du Sahara : Programme indicatif d’action,

Washington, 1981, p 1

Page 188: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

170

environ, un an et qui se prolongera jusqu’en 1984. Retenez cette dernière date

et vous verrez, tout à l’heure, pourquoi… Je ne vous le cacherai pas, nous

allons avoir quatre années difficiles, jusqu’en 1984215

Affaiblit par une économie agonisante et obligé de faire fonctionner le pays, le

gouvernement s’était présenté devant les principaux créditeurs ou bailleurs de fonds, en

l’occurrence le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque mondiale, avec cette

docilité justifiée et souvent présente chez le sinistré, pour bénéficier du soutien de ces «

bienfaiteurs » qui ont fait leurs humanités à l’École de Chicago. Le mal étant d’origine

économique, la solution devait être économique. Préoccupés à apporter des solutions et

non à faire des jugements de valeur, l’emphase dans leur approche en guise de thérapie, a

été d’apporter les remèdes qui avaient contribué à faire le succès du monde capitaliste, à

savoir, l’économie de marché.

Clairs et déterminés dans leur approche, et préoccupés par les objectifs de résultats, le FMI

et la Banque Mondiale avaient accepté de soutenir les gouvernements prestataires de leurs

services, en l’occurrence le PAS (Programme des Ajustements Structurels) à la condition

que ces derniers s’engagent à respecter les exigences relatives à la mise en place des

politiques ou des réformes. N’étant à la recherche d’aucun suffrage, et éloignés des

sensibilités politiques des gouvernements prestataires, leurs fonctionnaires devaient s’en

tenir, à veiller au respect et à la stricte observance par les gouvernements, des solutions

préconisées par leurs économistes. De nature souvent affligeante pour les populations

entendu comme société, ces solutions qui s’imposaient aux gouvernements bénéficiaires,

étaient présentées comme incontournables, voire indispensables. Il revenait dès lors aux

gouvernements non seulement de mettre en place les réformes exigées, mais également de

les justifier, ce qui n’était pas toujours évident. Le gouvernement du Sénégal n’avait pas

échappé à cette logique.

215

Senghor, Léopold Sédar, Message à la Nation, Dakar: 1980

Page 189: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

171

Il était donc de la responsabilité du pouvoir exécutif entendu comme gouvernement, non

seulement de s’activer pour rendre les réformes viables, faisables et opérationnelles, mais

aussi de renoncer à un préalable fondamental, vital et nécessaire à la mise en place du

Programme des Ajustements Structurels. Concrètement, il s’agissait pour le gouvernement,

incarnation du pouvoir exécutif et responsable selon la constitution, de l’initiative dans la

formulation des politiques, de renoncer à cette prérogative constitutionnelle. Autrement

dit, il fallait faciliter la tâche aux « thérapeutes », c’est à dire aux créditeurs ou bailleurs de

fonds (FMI-Banque mondiale), en leur donnant un mandat assez clair pour arriver aux

résultats souhaités et attendus surtout par le gouvernement. Et cela devait amener le

gouvernement à accepter de faire sienne les propositions de réformes qui lui étaient

présentées. Il devait même s’en approprier pour se donner bonne conscience auprès des

populations.

C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre les propos du Président Senghor, dans son

dernier message à la Nation, qui imputaient à Abdou Diouf la paternité du « Plan de

Stabilisation Économique et Financier » de 1979. Il n’y avait pas par le moindre doute que

l’esprit, et non la lettre de ce plan, était à mettre à l’actif des institutions de Bretton Woods.

Autrement dit, il revenait au gouvernement de traduire et de rendre concret les directives

qui étaient émises par les principaux créditeurs ou bailleurs de fonds, en l’occurrence le

FMI et la Banque mondiale. « Les priorités définies par le Chef de l’État Ŕ fait d’ailleurs

remarquer le ministre du plan de l’époque - lorsqu’il était question d’insérer une dimension

sociale au PAS demeurent plutôt théoriques, en raison du rôle prépondérant des bailleurs de

fonds dans la définition de la politique économique du pays »216

.

La résolution du « mal économique » avait engendré toutefois un profond malaise social, en

ce sens que les politiques ou réformes préconisées avaient provoqué, voire engendré un mal

vivre sans précédent des populations. Elles étaient en fait les victimes désignées de ces

réformes qui devaient ultimement améliorer leur condition de vie. Elles avaient fait les

frais des grandes politiques d’austérité. Cette réalité n’était d’ailleurs pas sans inquiéter le

216

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions Africaines du Sénégal, 2005, p 52

Page 190: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

172

gouvernement comme en attestent ces propos du ministre du plan et de la coopération,

acteur important entre autres, dans la mise en application de toute politique, témoin par

conséquent du PALMT (Plan d’ajustement économique et financier à moyen et long terme)

et de ses répercussions négatives au plan social : « La dimension sociale de l’ajustement

était devenue la préoccupation majeure des pouvoirs publics. Il importe d’insister à ce

propos sur la détermination du Président de la République, qui se plaignait souvent de ne

plus pouvoir définir, en réalité, la politique de la Nation, car l’intervention quasi généralisée

des institutions de Bretton Woods dénaturait cette fonction constitutionnelle essentielle

»217

.

En effet, à l’article 36 de la Constitution 1963218

, il était mentionné ce qui suit : « Le

Président de la République est le gardien de la Constitution. Il détermine la politique de la

Nation que le gouvernement applique sous la direction du Premier ministre »219

. Seul

décideur donc de droit, mais aussi de fait dans la mise en application des politiques

préconisées et exigées par les créditeurs ou les bailleurs de fonds (FMI-Banque mondiale)

dans le cadre du PAS (Programme des Ajustements Structurels), Abdou Diouf, économiste

217

Ka, Djibo Leïty, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar : Les Nouvelles

Éditions Africaines du Sénégal, 2005, p 42 218

Le Sénégal a connu quatre Constitutions, et le Sénégal indépendant trois. « Après l’éclatement de la

Fédération du Mali, le 20 août 1960, le Sénégal indépendant se dote d’une nouvelle constitution, qui remplace

celle du 24 janvier 1959. La nouvelle constitution est votée par l’Assemblée le 26 août 1960, puis

promulguée le 29 août 1960 » [Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à

l’alternance politique 1960-2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 17]. Après donc celle du 29 août 1960, il

y a eu celle du 7 mars 1963 et celle du 22 janvier 2001 avec la venue d’Abdoulaye Wade au pouvoir en mars

2000. Le président Abdou Diouf a dirigé le pays avec la constitution du 7 mars 1963 qui a connu « une

vingtaine de révision constitutionnelle » [Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à

2007, Dakar : Centre de recherche, d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations

Africaines, Collection du CREDILA XXIII, 2007, p 14]. La constitution du 7 mars 1963 qui se voulait une

réponse à la crise politique et institutionnelle de 1962, avait renforcé les pouvoirs du Président de la

République qui était devenu la totalité du pouvoir exécutif. L’exécutif redeviendra bicéphale avec la révision

constitutionnelle du 26 février 1970 avec la création du poste de premier ministre. Cette même constitution a

connu avec Abdou Diouf plusieurs modifications constitutionnelles dont celle du 1er

mai 1983 (suppression

du poste de premier ministre), celle du 5 avril 1991 qui réintroduit le poste de premier ministre dans

l’architecture gouvernementale, celle du 24 mars 1984 portant réduction du mandat du président de

l’Assemblée nationale de cinq ans à une année renouvelable, et celle du 5 avril 1991 pour restaurer le mandat

initial du président de l’Assemblée, pour ne citer que celles-là.

219 Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Études et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines, Collection du CREDILA

XXIII, 2007, p 82

Page 191: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

173

de formation, technocrate et non politique, avait également renforcé ses pouvoirs pour

mener à terme les réformes qui s’imposait.

En effet, si le gouvernement, entendu comme partie intégrante du pouvoir exécutif, devait

conduire la politique définie par le Président de la République tel que précisé par l’article

36 de la Constitution, la suppression du poste de premier ministre : chef du gouvernement,

au lendemain des élections présidentielles et législatives, rendait Abdou Diouf totalement

maître du pouvoir exécutif qui était Ŕ il est important de le rappeler Ŕ bicéphale depuis

1970, c’est-à-dire partagé entre le Président de la République qui détermine la politique de

la Nation (article 36) et le gouvernement qui conduit sous la direction du premier ministre,

la dite politique selon le même article. Les ministres étaient par conséquent directement

sous son autorité tout en étant également soumis au contrôle de l’Assemblée nationale tel

que mentionné à l’article 43 de la Constitution :

« - Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions,

entraînant ainsi la démission collective du Gouvernement qui sera chargé de l’expédition

des affaires courantes jusqu’à la formation du nouveau Gouvernement. - Sur proposition du

Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et fixe leurs attributions.

- Il met fin à leurs fonctions. Ŕ Le Premier ministre et les autres membres du

Gouvernement sont responsables devant le Président de République. Le Gouvernement est

soumis au contrôle de l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 74220

et 75221

de la Constitution222

».

220

L’article 74 était libellé comme suit : « Les députés peuvent poser des questions aux autres membres du

gouvernement qui sont tenus d’y répondre, des questions écrites et des questions orales avec ou sans débat.

Les questions ou les réponses qui leur sont faites ne sont pas suivies de vote. La loi détermine les conditions

d’organisation et de fonctionnement ainsi que les pouvoirs des commissions d’enquête ». Fall, Ismaïla

Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche, d’Études et de

Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines, Collection CREDILA XXIII, 2007, p 86 221

L’article 75 était libellé comme suit : « - L’Assemblée nationale peut provoquer la démission du

Gouvernement par le vote d’une motion de censure. La motion de censure doit, à peine d’irrecevabilité, être

revêtue de la signature du quart des membres composant l’Assemblée nationale. - Le vote de la motion de

censure ne peut intervenir que deux jours francs après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale. - La

censure est votée au scrutin public, à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale; seuls sont

recensés les votes favorables à la motion de censure. - Si la motion de censure est adoptée, le Premier

ministre doit remettre immédiatement au Président de la République la démission collective du

Gouvernement. - Le Gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes jusqu’à la formation du

Page 192: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

174

En supprimant donc le poste de Premier Ministre, Abdou Diouf s’était emparé de la totalité

du pouvoir exécutif. Il était devenu puissant au sens constitutionnel du terme, et tel un

monarque, pouvait décider de tout sans se soumettre à cette obligation de courtoisie

républicaine à l’égard d’un Premier Ministre. « Le cumul d’autorité s’effectue au sommet

de l’État, au profit du Président de la République. Le gouvernement est directement sous

son autorité, il peut ainsi cumuler la direction des affaires et se protéger grâce à

l’irresponsabilité devant l’Assemblée nationale que lui confère le pouvoir suprême »223

Le Premier ministre ayant disparu de l’Exécutif, c’est désormais le Président de

la République qui rassemble entre ses mains tout le pouvoir du gouvernement et

de réglementation. Gardien de la constitution, le Président de la République est

le détenteur du pouvoir exécutif. Il détermine tout seul, et conduit la politique

de la Nation. Il assure donc l’exécution des lois, dispose du pouvoir

règlementaire et, à ce titre, dispose de l’Administration et nomme à tous les

emplois civils. Comme chef de l’Exécutif, il est assisté par les ministres et

secrétaires d’État, choisis et nommés par lui, dont il fixe les attributions et met

fin aux fonctions224

.

nouveau Gouvernement. - Si la motion de censure est rejetée, ses signataires ne peuvent proposer une

nouvelle motion au cours de la même session » Article 75 bis : « - Le Président de la République peut

prononcer par décret la dissolution de l’Assemblée nationale, après avis de son président, lorsqu’elle a adopté

une motion de censure à l’encontre du Gouvernement dans les conditions fixées à l’article 75. Ŕ Le décret de

dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu quarante-cinq jours au moins

et soixante jours au plus après la date de la publication dudit décret. Ŕ Il ne peut être procédé à une nouvelle

dissolution dans l’année qui suit la proclamation définitive de cette élection. Ŕ L’Assemblée nationale

dissoute ne peut se réunir; toutefois, le mandat des députés n’expire qu’à la date de la proclamation de

l’élection des membres de la nouvelle Assemblée nationale ». Ibidem, pp 86-87. 222

Nous faisons référence à la constitution du 7 mars 1963 avec les modifications apportées en 1970 pour

introduire le poste de premier ministre. C’est avec cette constitution qu’Abdou Diouf a gouverné. Elle a fait

l’objet de plusieurs modifications constitutionnelles. Les articles précités reflètent la constitution avant que le

poste de premier ministre ne soit supprimé en 1983. Ce poste fut réintroduit en 1991 et maintenu jusqu’à son

départ du pouvoir en mars 2000. Pour ce qui est par conséquent des pouvoirs du président de la République,

nous comptons par conséquent faire référence à la constitution de 1963, et plus précisément avec la

modification apportée en 1970 pour introduire le poste de premier ministre. Ce poste fut supprimé en 1984, et

réintroduit en 1991 justifiant ainsi notre référence à la constitution du 26 février 1970. 223

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Éditions Karthala, 1990,

p 103 224

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 135

Page 193: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

175

En sa personne s’était ainsi regroupée les deux institutions qui représentaient le pouvoir

exécutif, à savoir : la Présidence de la République et la Primature. Chef d’État, chef du

gouvernement, mais aussi chef de parti avec un pouvoir de nomination aux postes civils et

militaires selon les articles 38225

et 39226

de la Constitution, il était devenu roi dans « sa »

République. Technocrate, mais doté de ce reflexe politique appris sous Senghor, il s’était

donné en fait les moyens pour bien mener à terme les réformes qui s’imposaient, et sans

difficulté.

La signification de la suppression du poste de Premier ministre est sans

ambiguïté : le Président Abdou Diouf s’engage de la sorte personnellement et

au tout premier chef comme responsable unique de la politique du

gouvernement. Ainsi, placé en première ligne, le Président fait appel, pour

entrer au gouvernement issu des élections, à des hommes et des femmes choisis

pour leur capacité à conduire le sursaut national. Des technocrates, des

personnalités non affiliées à des Partis politiques, des cadres du PS forment le

premier gouvernement d’Abdou Diouf, au sortir des élections du 27 février

1983227

Légitimé par les urnes, qui marque la fin de l’ère Senghor, il avait entamé son mandat par

la mise en place du PALMT (Plan d’Ajustement économique et financier à moyen et long

terme) qui devait s’échelonner sur une période de sept ans, plus spécifiquement de 1985 à

1992. Il est important de faire remarquer que le PALMT comportait les politiques qui ont

été les plus affligeantes pour les populations, à savoir la Restructuration du secteur public

et parapublic, la Nouvelle Politique Agricole et la Novelle Politique Industrielle.

Contrairement donc aux prévisions du Président Sénégal qui affirmait dans son dernier

message à la Nation que 1984 allait être la dernière année « des temps difficiles », 1984

était en fait celle du début des temps difficiles. Il faisait allusion au PREF (Plan de

225

L’article 38 était libellé comme suit : « - Le Président de la République nomme à tous les emplois civils. Ŕ

Le Premier ministre dispose de l’administration », Fall, Ismaïla Madior, Textes Constitutionnels du Sénégal

de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche, d’Études et de Documentation sur les Institutions et les

Législations Africaines, Collection CREDILA XXIII, 2007, p 82 226

L’article 39 était libellé comme suit : « - Le Président de la République est le garant de l’indépendance

nationale et de l’intégrité du territoire. Ŕ Il est responsable de la Défense nationale. - Il préside le Conseil

supérieur de la Défense nationale. - Il est le Chef suprême des Armées ; il nomme à tous les emplois

militaires et dispose de la force armée » : Ibidem, p 82 227

Ndao, El hadj Ibrahima, Sénégal, histoire des conquêtes démocratiques, Dakar : Les Nouvelles Éditions

Africaines du Sénégal, 2003, p 412

Page 194: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

176

Redressement Économique et Financier) qui avait commencé en 1980 et qui devait finir en

1895.

Ce plan Ŕ il est également important de le rappeler Ŕ, au regard de ses mesures, n’était pas à

la satisfaction des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI-Banque mondiale), et devait par

conséquent amener le gouvernement à se montrer plus déterminé dans le PALMT (Plan

d’ajustement économique et financier à moyen et long terme). « La mise en œuvre du

PREF Ŕ avait fait remarquer l’économiste Makhtar Diouf - n’avait pas été jugée

satisfaisante par les bailleurs de fonds, notamment dans sa dimension structurelle. Les

réformes de structures vont être plus accentuées dans le PALM »228

. Après la mise en place

du PALMT qui s’était échelonné sur une période de sept années (1985-1992), cette même

insatisfaction des principaux bailleurs de fonds par rapport aux politiques d’austérité qui

étaient en vigueur, avait amené le gouvernement à mettre sur pied le Plan d’urgence de

septembre 1993. C’était également cette même insatisfaction des créditeurs à l’égard de

ces politiques qui étaient déjà assez éprouvantes pour les populations, qui a été à l’origine

de la Dévaluation du Franc CFA en 1994. Le gouvernement ajustait par conséquent ses

politiques en fonction des exigences de ses principaux créditeurs ou bailleurs de fonds, en

l’occurrence le FMI et la Banque mondiale. « Le FMI et la Banque mondiale Ŕ avait

soutenu Abdou Diouf devant la presse internationale Ŕ rendent tous les gouvernements

impopulaires ».

Souverain dans les textes, qui lui conféraient la prérogative pour la formulation des

politiques autant économiques que sociales, le gouvernement avait dans la pratique perdu

ce rôle. Même si il avait gardé cette prérogative, entendue comme cette liberté

profondément souveraine de proposer une démarche ou des solutions à ses créditeurs ou

bailleurs de fonds (FMI-Banque mondiale), sa proposition devait forcément et

obligatoirement recevoir la sanction de ces derniers pour pouvoir être effective. Autrement

dit, le gouvernement pouvait et avait toujours la latitude de recourir à ce formalisme, c’est-

à-dire, de faire des propositions, tout en étant conscient de son incapacité à imposer sa

228

Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine: no 45 ; Sénégal: la démocratie à

l’épreuve, 1992, p 65

Page 195: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

177

vision ou une démarche à ceux qui avaient le financement. Le mal économique était

profond et préoccupant, et le souci du gouvernement de lui trouver une solution l’avait

amené à se soustraire devant l’autorité financière, pressentie et jugée entre autres, comme

capable de le sortir de cette impasse.

Cette réalité affectait la souveraineté nationale et s’inscrivait même en porte à faux avec le

principe même de la République Sénégal qui était et est toujours : « le gouvernement du

peuple, par le peuple, et pour le peuple ». Elle rendait également caduc et sans fondement,

le contenu du titre premier de la Constitution relatif à l’État et à la souveraineté, pour la

seule et simple raison que ce procédé ou cette façon de procéder était étrangère à la

démocratie. En démocratie, le gouvernement est souverain dans ses politiques nationales

comme internationales. Ainsi pouvait-on à l’article premier de la Constitution: « - La

République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la

loi de tous les citoyens, sans distinction de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes

les croyances. La langue officielle du Sénégal est le Français. Sa devise est : « Un Peuple

Ŕ Un But Ŕ Une Foi ». Le drapeau de la République du Sénégal est composé de trois

bandes verticales et égales de couleur verte, or et rouge. Il porte, en vert, au centre de la

bande or, une étoile à cinq branches. - La loi détermine le sceau et l’hymne national. Le

principe de la République du Sénégal est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le

peuple229

».

Cela pour dire que l’acceptation a priori par le gouvernement, de politiques formulées par

des instances autres que celles nationales, pose problème au regard de la démocratie

entendue comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Loin d’être

un idéal, et encore moins une utopie, cette formule très explicite dans ses prétentions,

renvoie à l’essence même de la démocratie, entendue comme ce régime où les dirigeants

choisis librement par le peuple, s’activent et inscrivent toutes leurs actions pour un meilleur

être des populations. L’intention et la prétention pour diriger, c’est-à-dire de gouverner

229

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar: Centre de recherche,

d’Études et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines, Collection CREDILA XXIII,

2007, p 58

Page 196: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

178

doivent reposer sur un préalable, entendu comme cette supposée compétence qui doit avoir

pour résultante la capacité de pouvoir améliorer les conditions de vie des populations.

La démocratie est un régime qui non seulement permet l’espoir, mais développe et

encourage l’espoir qui est à la base, consciemment ou inconsciemment, de cette motivation

ou détermination qui justifie et donne sens aux actions des individus, et par extension à la

société, c’est à dire au peuple. Le gouvernement en démocratie, et dans une démocratie,

doit être au service exclusif du peuple. Que les attentes de mieux être du corps social Ŕ

légitimes entre autres Ŕ soit compromises par des politiques économiques supposées

ultimement les servir, formulées et décidées par des instances autres que locales, voire

nationales, pose problème dans une République qui se perçoit comme une démocratie.

Est-il par conséquent important de rappeler ou de préciser que la démocratie fonctionne et

ne peut fonctionner qu’en respectant les règles de droit. Autrement dit, elle a besoin du

légal pour fonctionner mais n’en fait pas un absolu en ce sens que ce « légal » n’en est pas

l’élément le plus important, et le plus déterminant. Cela pour dire que le fait que le

Président de la République, légitimé par les prérogatives constitutionnelles, puisse « décider

» unilatéralement des politiques sans pouvoir être concrètement contredit d’abord par

l’Assemblée nationale, ou par le Conseil Économique et Social, inquiète et oblige un

questionnement sur le bien-fondé ou la pertinence de ces institutions (nous y reviendrons).

Mieux, même légitimé et sans aucune ambiguïté par les urnes, ajouté à ses pouvoirs légaux

octroyés par la Constitution, ne sauraient servir de justificatifs à ce procédé unilatéral du

Chef de l’État qui manquait et souffrait de cette légitimité230

. C’est cette légitimité qui

230

Nous faisons nôtre l’idée que Maurice Duverger se fait de la légitimité, et rappelée par Quermonne, Jean-

Louis dans la cinquième édition de son ouvrage intitulé : Les régimes politiques occidentaux, Paris : Éditions

du Seuil, 2006, p 10. « Serait légitime Ŕ soutient-il en parlant de Duverger Ŕ tout régime qui se conformerait

au consensus populaire » « Mais, une telle exigence Ŕ d’ajouter Quermonne Ŕ s’inscrit déjà dans une vision

démocratique. Et de ce point de vue, serait légitime non seulement le régime pratiqué conformément à ses

propres valeurs, mais encore celui qui répondrait, au moins implicitement, aux aspirations populaires, ce qui

pourrait exclure certains principes de légitimité ». Sans chercher à verser dans le débat philosophique, lieu de

la pluralité des opinions, donc du sophisme et de la rhétorique, nous soutenons qu’il y’a de légitimité que

celle qui puise son fondement dans la volonté populaire, c’est-à-dire, celle qui est l’expression de la volonté

des populations.

Page 197: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

179

confère à l’action gouvernementale en démocratie, à la fois un sens et une crédibilité. Si la

légitimité en démocratie est supérieure et extérieure au droit, si elle est aussi ce procédé qui

émane directement de la libre volonté des populations, volonté porteuse entre autres de leur

désir et aspiration de mieux être et d’être, elle doit impérativement et obligatoirement être

prise en considération par le gouvernement, censé être en démocratie, au service de

l’individu et de la communauté.

L’urgence de solutionner le mal économique, justifiée soit elle, ne pouvait en aucun cas

amener le Président de la République et son gouvernement, à se soustraire de l’avis de ceux

et celles qui donnent un sens à ses actions, une portée à ses démarches, et qui lui confèrent

cette légitimité de pouvoir parler, d’agir et de prendre des décisions en leur nom.

Empressons nous toutefois de préciser cette prise de décision dans le cadre de ses activités

courantes comporte toutefois des limites qui obligent ou doivent obliger le Chef de l’État, à

recueillir l’avis des populations idéalement parlant, ou de ses légitimes représentants,

comme le conseille et l’exige le processus démocratique.

Cela pour dire que toute politique qui nécessite et oblige de la part des populations un

certain sacrifice, doit être non seulement connue par celles-ci et leurs légitimes

mandataires, mais doit également et surtout faire l’objet d’un débat en lieu et place, ou à la

limite, soumise directement à la sanction des populations par le biais du référendum. C’est

une exigence en démocratie. Cette exigence fait partie du processus démocratique qui est

un dogme, et à la limite même, un absolu en démocratie. Sa mise en pratique ne se discute

pas, et ne saurait se discuter, au risque d’en dénaturer substantiellement le processus lui-

même.

Le processus démocratique est, et reste un mécanisme de consultation, que ni les «

urgences » de l’heure ou du moment, ne doivent empêcher. Il se veut aussi un outil

d’expression, voire de concertation, mis à la disposition des populations, avec pour objectif

principal, de permettre aux gouvernants de prendre la « meilleure » décision. En donnant

en effet, à l’individu et à la société, la possibilité de s’exprimer sur les choix et les

Page 198: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

180

alternatives offerts par l’agenda politique, il est par conséquent un outil pour prendre la «

meilleure » décision pour la communauté en démocratie. Loin d’être formel dans les

démocraties sociétales, le processus démocratique se veut sentence, en ce sens qu’il peut

décider du sort ou de l’avenir à réserver, aux intentions politiques. Autrement dit, il peut

décider de la poursuite ou non, d’un projet, d’un programme, ou d’une politique

économique ou sociale.

Cela précisé, il est important de mentionner qu’il y a des réalités qui sont, et seront toujours

étrangères à la démocratie. La concentration de tous les pouvoirs, ou de pouvoirs trop

importants entre les mains d’un seul homme, ou d’un groupe, fait partie de ces réalités. La

démocratie est un régime d’équilibre des pouvoirs, qui a fait du principe de la séparation

des pouvoirs, un principe fondamental, en autant qu’il ne soit pas formel. Autrement dit, ce

principe ne doit pas être simplement inséré dans les textes. Il doit être effectif, c’est-à-dire

vérifiable dans la pratique. Qu’un seul homme puisse décider tout seul, et sans devoir

rendre compte après, fait partie des vertus de la pratique totalitaire qui dénie à l’Autre,

entendu comme individu, société ou parlement, ce légitime droit de se prononcer, si ce

n’est pour apporter un soutien sans réserve au « monarque ».

Aux États-Unis, qui sont une fédération d’États pour parler de la forme de l’État, le régime

est de type présidentiel. Mais, les pouvoirs du président ne sont pas excessifs, c’est-à-dire

démesurés. Chef du pouvoir exécutif, le président est l’exécutif, rien que l’exécutif, mais

tout l’exécutif. Il est toutefois « surveillé » dans l’exécution de ses fonctions, par le Sénat

et la Chambre des représentants, dont les avis et le soutien sont nécessaires à la mise en

place de toute politique de nature économique, sociale ou militaire. « Le président

américain ne peut pas abuser de ses pouvoirs sans risquer, très rapidement, d’être rappelé à

l’ordre soit par le peuple, soit par de véritables contre-pouvoirs231

». Il dispose du pouvoir

de nomination aux postes civils et militaires, mais ce pouvoir est atténué par le contrôle

que le Sénat exerce sur les candidats pressentis. « En vertu de la Constitution, il appartient

au Sénat de donner son consentement à la nomination des hauts fonctionnaires fédéraux et

231

Cohendet, Marie-Anne, Le Président de la République, Paris : Dalloz, 2002, p 12

Page 199: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

181

des juges à la Cour suprême et d’approuver, à la majorité des deux tiers, les traités

internationaux232

». Autrement dit, le Congrès, tout en lui reconnaissant le droit

d’initiative, peut s’opposer et empêcher au président de procéder.

Un président américain nouvellement élu a un pouvoir de nomination bien plus

limité que son homologue français. Il y a environ 2 600 000 fonctionnaires

fédéraux aux États-Unis. Le président nomme entre 2 500 et 3000 de ces

fonctionnaires, et la nomination des plus importantes d’entre eux (les membres

du cabinet, les juges de la Cour suprême, et mêmes les ambassadeurs) doit être

confirmée par le Sénat. L’instabilité relative qui découle du pouvoir d’effectuer

des changements au sommet de la hiérarchie administrative permet au président

de disposer d’administrateurs loyaux, même au prix d’une certaine instabilité.

Mais au-delà du pouvoir de nommer un nombre relativement restreint de

fonctionnaires fédéraux, un président américain n’a pas de pouvoir sur les

nominations de fonctionnaires au niveau local ni sur la désignation de

fonctionnaires dans d’autres secteurs de l’économie et de la société233

.

Loin de vouloir fragiliser le président, qui est aussi le chef du gouvernement, le constituant

américain à chercher simplement à tempérer les ardeurs et les excès qui pouvaient résulter

de la gestion des pouvoirs résultant de la fonction. Est-il besoin de rappeler que ces

pouvoirs sont, et doivent être gérés par le genre humain avec ses vices et ses vertus, ses

forces et ses faiblesses, mais aussi ses tendances faites de raison, mais également de

passion. Cette prudence du législateur américain Ŕ il est important de le préciser Ŕ qui

trouve son origine dans les appréhensions émises par Mill et Montesquieu a fait défaut chez

le constituant sénégalais, fortement influencé par l’autorité coloniale qui était dans une

logique totalitaire qui s’articulait autour de deux objectifs : dominer et dénier. En tenant

donc un faux procès au parlementarisme, responsable selon ses tenants, de la crise politique

et institutionnelle de 1962, le constituant sénégalais, en permettant au pouvoir exécutif de

dominer le pouvoir législatif, et en reléguant ce dernier dans un rôle de second plan,

s’inscrivait en porte à faux avec cet esprit qui a justifié la mise en place du parlement.

232

Quermonne, Jean-Louis, Les régimes politiques occidentaux, Paris : Éditions du Seuil, 2006, p 161 233

Erza N. Suleiman, « L’exécutif bicéphale et son impact sur l’administration en France » dans La

démocratie dans tous ses États : Argentine Ŕ Canada Ŕ France, Québec : Les Presses de l’Université Laval,

1993, pp 124

Page 200: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

182

Dans le monde occidental, les assemblées législatives sont nées d’une double

lutte dont les fondements sont interreliés. Lutte d’abord pour la mise en place

d’institutions « représentatives » de la population, ce qui se fera

progressivement par l’extension du droit de vote et une série de réformes

électorales. Ces institutions représentatives, symboles de la démocratie

libérale, vont s’affirmer de plus en plus en menant aussi la lutte contre les

pouvoirs du monarque qu’elles cherchaient à restreindre constamment. En

Grande-Bretagne, comme dans d’autres pays occidentaux, les parlements

naissants ont réussi à obtenir plus de pouvoirs et d’autorité en dépouillant le

monarque de l’essentiel de ses prérogatives. Le Canada, dans son cheminement

politique, a suivi la trajectoire britannique234

On retrouve donc cette même prudence chez le constituant ou le législateur au Canada. En

effet, les pouvoirs du premier ministre, véritable détenteur du pouvoir exécutif, sont

tempérés voire atténués par le pouvoir législatif. « Selon les règles établies dès 1848 Ŕ fait

remarquer l’historien René Castonguay - le député doit, en plus d’analyser et de se

prononcer sur les projets de loi présentés au Parlement, surveiller les gestes de l’exécutif et

les juger. Ainsi est-il permis au député de critiquer les actions d’un ministre ou même du

premier ministre235

». Dans cette fédération d’États qui est une monarchie

constitutionnelle, le pouvoir exécutif est responsable devant le parlement qui est bicaméral,

c’est-à-dire composé d’une chambre haute qui est le Sénat, et d’une chambre basse qui est

la chambre des communes. Cette dernière composée d’élus, a prépondérance sur le Sénat

qui représente les provinces, et dont les membres sont nommés par le premier ministre qui

est le chef du gouvernement.

La Chambre des communes dans son ensemble, c’est-à-dire, la majorité comme

l’opposition, se veut et s’est toujours voulu un contrepoids par rapport au pouvoir exécutif.

En d’autres termes, les parlementaires surveillent le gouvernement qui est tenu en raison de

l’obligation qui lui est faite par la loi, de répondre de ses actions devant la chambre des

communes. Ce rôle de contrepoids est d’ailleurs plus perceptible lorsque le gouvernement

234

Montigny Éric & Pelletier, Réjean, « Le pouvoir législatif : le Sénat et la Chambre des communes » dans

Le parlementarisme canadien, Québec : Presses de l’Université Laval, 2013, p 331 235

Castonguay, René, « A propos de certains effets du gouvernement responsable sur le système politique

canadien » dans Bulletin d’histoire politique, vol. 6, n0 3 Genèse et historique du gouvernement responsable

au Canada, 1998, p 68

Page 201: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

183

est minoritaire, Dans un tel scénario, il est obligé de privilégier la collaboration pour

pouvoir gouverner au risque de perdre la confiance de la Chambre.

En parlant de « gouvernement responsable » dans le contexte britannico-

canadien, on veut signifier que l’exécutif doit répondre de ses actes devant

l’Assemblée législatives (ou les communes britanniques), et non plus devant le

monarque, représenté par le gouverneur au Canada. L’Assemblée décide donc

des éléments qui forment l’exécutif, c’est-à-dire le gouvernement. Elle peut

même décider de retirer sa confiance à un ou à tous les membres de l’exécutif et

ainsi leur montrer le chemin de la sortie. L’exécutif est donc ici entre les mains

du groupe parlementaire le plus nombreux (car c’est lui qui obtient

nécessairement le plus de votes) qui devient le premier de tous les ministres du

monarque. Le poste de premier ministre prend alors tout son sens236

.

Il est vrai que le premier ministre peut procéder ou poser des gestes hautement partisans

pour parler de la nomination de certaines personnes dans la fonction publique, mais il y a

lieu de considérer que ces faits commandités par un esprit partisan ne remettent

aucunement en cause le principe du contrepoids. Ils sont souvent dénoncés avec hargne et

détermination par l’opposition parlementaire, obligeant le pouvoir exécutif à faire preuve

d’une certaine retenue. La détermination de l’opposition comparable à celui d’un chien

enragé, et poursuivant le bien de son maître, pourrait suffire à elle seule sans aucune

exagération, de contrepoids pour discipliner et contrecarrer les excès probables et virtuels

du premier ministre et de son gouvernement. Tel est l’essence du régime parlementaire qui

a fait de la surveillance et de la vigilance envers l’action gouvernementale son crédo. Et

Mill parlant de la nécessité de ce contrôle par le corps législatif de faire remarquer :

Il y a gouvernement représentatif quand la totalité du peuple ou une partie

significative de celui-ci exerce par le biais de députés qu’il nomme

périodiquement le pouvoir de contrôle ultime qui, dans toute constitution, doit

appartenir à une instance quelconque. Le peuple doit posséder ce pouvoir

ultime dans son entièreté. Il doit être le maître, quand il le veut, de toutes les

opérations du gouvernement. Il n’est pas nécessaire que la loi constitutionnelle

elle-même lui attribue cette position ultime237

.

236

Castonguay, René, « A propos de certains effets du gouvernement responsable sur le système politique

canadien » dans Bulletin d’histoire politique, vol. 6, n0 3 Genèse et historique du gouvernement responsable

au Canada, 1998, p 6 237

Mill, John Stuart, Considérations sur le gouvernement représentatif, Paris : Gallimard, 2009, p 84

Page 202: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

184

On retrouve également en France une telle prudence chez le constituant, avec le régime

présidentiel. « Au demeurant Ŕ fait remarquer Marc Frangi - les expériences malheureuses

d’institution d’un pouvoir exécutif fort dans le cadre de régimes autoritaires, césaristes (1er

et II ème empire) ou corporatistes (Régime de Vichy), incita les constituants, en 1875

comme en 1946, à se méfier de toute velléité de renforcement du rôle du chef de l’État et à

subordonner strictement le pouvoir exécutif responsable devant les chambres à un contrôle

parlementaire238

». Le fait de vouloir donc tempérer les ardeurs ou les probables et virtuels

excès du détenteur ou des détenteurs du pouvoir exécutif est une attitude profondément

démocratique. Ce contrôle Ŕ il est important de le souligner Ŕ ne cherche pas et ne vise pas

non plus à fragiliser le pouvoir exécutif, mais vise plutôt à corriger tout disfonctionnement

qui pourrait résulter d’une gestion arbitraire de ce pouvoir. Le contrôle, entendu comme

garde-fou, acquiert ainsi et garde tout son sens dans un régime démocratique. Il lui confère,

en vérité, sa crédibilité.

L’exécutif en France est partagé par le président de la République et un premier ministre

qui faut-il le souligner est et, reste le chef des ministres. En raison du caractère bicéphale

du pouvoir exécutif, les pouvoirs sont répartis entre le président de la République et le

premier ministre. Il faut souligner d’emblée que le premier ministre, bien que nommé par

le président de la République n’est pas responsable devant lui, mais plutôt devant

l’Assemblée nationale. Les pouvoirs de l’exécutif étant partagés entre le président de la

République et le premier ministre, il est facile de comprendre que le constituant français a

cherché à éviter la concentration du pouvoir au profit du chef de l’État, même si la pratique

est autre sauf en cas de cohabitation.

La Vème République, tout en partageant le pouvoir exécutif entre le chef de

l’État et le chef du gouvernement a institué une véritable primauté du Président

de la République. Cela alimenta les craintes des adversaires de la nouvelle

Constitution de voir apparaître une forme de gouvernement personnel du chef

de l’État, débat auquel fait encore écho de nos jours la dénonciation par certains

d’une « hyperprésidence ». Le texte de la Constitution du 4 octobre 1958

institue, comme cela était imposé au constituant par la loi du 3 juin 1958, un

régime parlementaire. Rappelons qu’il s’agit d’un régime représentatif de

238

Frangi, Marc, Le Président de la République : Arbitrer, diriger, négocier, Paris : L’Harmattan, 2012, p 12

Page 203: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

185

séparation souple des pouvoirs qui garantit l’équilibre entre les pouvoirs

exécutif et législatif par la possibilité de mise en action de moyens d’action

réciproque (dissolution du législatif ou renversement du Gouvernement par le

vote motion de censure). Dans un régime parlementaire, l’exécutif est

bicéphale : il comprend donc un chef d’État et un chef de Gouvernement assisté

d’un cabinet. Dans le régime parlementaire moniste, qui est désormais le plus

répandu, le chef de l’État a un rôle symbolique et ne dispose que de

compétences liées (Allemagne, Espagne, Irlande, Italie…), le véritable du

pouvoir exécutif étant le chef du Gouvernement responsable devant l’organe

législatif. Dans un régime parlementaire dualiste le chef de l’État, bien que

politiquement irresponsable devant le parlement détient des pouvoirs propres

sous réserve qu’ils soient contresignés, c’est-à-dire endossés par le Premier

ministre et le gouvernement, responsables devant l’organe législatif mais aussi

devant le chef de l’État. Depuis 1958, en partie par le texte, en partie par la

pratique constitutionnelle, la Vème République se rattache à dernier modèle…

Maurice Duverger qualifia jadis la Vème République de régime semi-

présidentiel afin de souligner ces particularismes cependant qu’Olivier

Duhamel l’a appelé régime présidentialiste lorsqu’il n’y a pas de

cohabitation239

.

Donc loin d’être uniquement une réalité du régime parlementaire, le contrôle de l’action

gouvernementale par les députés, est aussi une caractéristique du régime présidentiel. Nous

entendons donc par contrôle, le fait que les représentants du pouvoir exécutif qui peuvent

être au nombre de trois : Chef d’État (États-Unis) Ŕ Président de la République et premier

ministre (France) Ŕ premier ministre (Canada) soient conscients que leurs actions sont

surveillées par le pouvoir législatif, conformément à la volonté du constituant. Pouvait-il

en être autrement pour le constituant sénégalais ? Autrement dit, était-il facile pour le

constituant sénégalais de se soustraire aux influences du fait colonial ? Pour le Sénégal,

qui fut le siège de la capitale de l’AOF (Afrique Occidentale Française) à travers la ville de

Saint-Louis, c’était loin d’être évident comme en attestent ces propos :

Les régimes politiques sont, d’abord, la résultante d’une expérience historique.

Il n’existe pas de régime Ŕ même directement issu d’une révolution Ŕ qui ne

soit pas tributaire du passé. Dans L’Ancien Régime et la Révolution,

Tocqueville a mesuré la portée de la « table rase » juridique; spectaculaire à

court terme, elle résiste mal aux courants du long terme. Et l’histoire modèle

plus profondément l’évolution d’un régime politique que n’y parviennent les

239

Frangi, Marc, Le Président de la République : Arbitrer, diriger, négocier, Paris : L’Harmattan, 2012, pp 13-

14

Page 204: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

186

révisions successives de sa charte constitutionnelle. Par conséquent, les

pesanteurs historiques façonnent les régimes politiques en leur imprimant leur

rythme. Tout régime naît, vit et meurt. Et son degré de longévité, qui peut

varier de quelques mois à quelques siècles, dépend de l’enracinement de ses

institutions dans la société civile : seul le processus historique en commande la

durée240

.

Déjà puissant en raison des pouvoirs qui lui étaient accordés par la Constitution en tant que

président de la République (nous y reviendrons), les pouvoirs d’Abdou Diouf s’étaient

renforcés du fait qu’il était également chef de gouvernement de 1983 à 1991, et aussi chef

de parti, jusqu’à son départ du pouvoir en mars 2000. Il est par conséquent juste de

soutenir, qu’Abdou Diouf avait en droit, mais aussi dans les faits, tous les avantages de la «

Royauté » sans en avoir les inconvénients. Il pouvait en effet décider de tout, et décidait

même de tout, et informait au besoin, selon la sensibilité du moment, avec la certitude de

pouvoir compter sur le parti socialiste et sa « machine politique ».

Il est important de faire remarquer que cette certitude de pouvoir compter sur le parti

socialiste et sa « machine politique » ne reposait point sur une allégeance à sa personne,

mais plutôt, sur celle relative à l’institution qu’il représentait, à savoir : la Présidence de la

République. Autrement dit, les « socialistes » qui lui reprochaient de ne pas être un «

militant de la première heure », savaient mieux que quiconque, qu’il disposait du pouvoir

de nomination, et devaient par conséquent, au nom de l’intérêt du parti socialiste, donc de

leurs propres intérêts, « travailler » pour maintenir Abdou Diouf au pouvoir. Au niveau du

parti, de la Fonction publique, c’est-à-dire de l’Administration, de l’Armée, et même de la

Magistrature, son approbation était non seulement nécessaire, mais incontournable. Il était

César (nous y reviendrons).

Il pouvait à tout moment, mettre un terme à la carrière d’un homme, et cela quel que soit

son importance et son secteur d’activité. Du militaire au magistrat, en passant par

l’administrateur civil, le président de la République avait le pouvoir de faire et de défaire

des individus, et sans rendre compte à personne sinon qu’à sa propre conscience. Le

240

Quermonne, Jean-Louis, Les régimes politiques occidentaux, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p 27

Page 205: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

187

fameux pouvoir discrétionnaire pour ce qui était des nominations, lui permettait et l’avait

d’ailleurs permis de se débarrasser des personnes, qui étaient politiquement gênants au

niveau du parti socialiste, et celles qui étaient indésirables au plan administratif, dans les

secteurs de la justice et de l’armée. Il n’y avait, certes, rien d’illégal dans ces agissements,

en ce sens qu’ils puisaient leur « légitimité » dans la Constitution, dont le respect a valeur

de dogme en démocratie.

Mais, cette absence d’illégalité Ŕ il est important de la faire remarquer Ŕ ne signifiait pas

qu’il n’y avait pas de l’arbitraire dans ces agissements. Ce pouvoir que rien n’arrêtait, pour

nous inscrire dans la pensée de Montesquieu, avait donné lieu à des faits, qui sous le

couvert pertinent, mais fallacieux de la légalité, avaient pourtant un soubassement

profondément arbitraire parce qu’ils obéissaient à une rationalité politique, voire

politicienne. Sous le sceau de la « réforme constitutionnelle », disons que des institutions

avaient subi des aménagements qui ne se justifiaient pas par la recherche d’un plus

d’efficacité, mais plutôt par le désir profondément politique de régenter, de fragiliser ou de

se débarrasser de certains hommes, qui étaient politiquement gênant ou administrativement

indésirables. Et l’agrégé des facultés de droit El Hadj Mbodj de faire remarquer :

La Constitution est-elle une loi fondamentale ou un texte manipulable ? Cette

interrogation trouve toute sa signification dans les régimes politiques africains.

La Constitution est, à l’épreuve de sa dynamique, manipulée au gré des

gouvernants du moment, en particulier du président de la République dont les

ressources institutionnelles et politiques sont telles qu’il peut transformer la

constitution en instrument de légitimation de sa politique. Il peut ainsi orienter

le sens d’une règle constitutionnelle ou contourner les obstacles dressés par le

constituant pour sécuriser les principes, mécanismes et règles inscrits dans la

charte fondamentale241

.

C’est dans ce sens qu’il faudrait comprendre la suppression du poste de premier ministre en

1983, et sa réapparition dans l’architecture gouvernementale en 1991. La concentration des

pouvoirs se justifiait dans la mesure où il fallait mettre en place le PALMT (Plan

241

Mbodj, El Hadj, « Préface », Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de

Recherche, d’Études et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines, Collection

CREDILA XXIII, 2007, p 9

Page 206: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

188

d’ajustement économique et financier à moyen et long terme) qui Ŕ il est important de le

rappeler Ŕ comportaient les politiques qui ont été les plus éprouvantes pour les populations.

Échelonné sur une période de sept ans, plus spécifiquement de 1984 à 1992, il avait donné

naissance à la mise en place de trois politiques qui étaient de part et d’autre : la

Restructuration du secteur public et parapublic, la Nouvelle Politique Agricole et la

Nouvelle Politique Industrielle. Avec donc la suppression de l’article 35 de la Constitution,

le président Abdou Diouf avait ainsi écarté l’hypothétique probabilité de devoir faire face à

un premier ministre, qui pouvait refuser ou qui pouvait être tenté d’atténuer la sévérité des

réformes à apporter.

C’est dans ce sens également qu’il faudrait comprendre la réduction du mandat du président

de l’Assemblée nationale avec la loi du 15 mars 1984 (nous y reviendrons). D’une durée

initiale de cinq ans, qui coïncidait avec la durée du mandat des députés, il devait désormais

durer une année lorsqu’il était question de se débarrasser du président de l’Assemblée

nationale de l’époque. Il était clair dans l’esprit des avertis ou des initiés de la pratique

politique que ce changement ne se justifiait pas par un souci de procurer à cette institution,

si importante et vitale en démocratie, ce plus d’efficacité qui devrait en principe, et

normalement être à la base de certaines modifications, et de toute modification d’ailleurs,

de nature constitutionnelle ou réglementaire. Le président de la République, secrétaire

général du parti socialiste, qui était majoritaire à l’Assemblée nationale, avait des intentions

politiques, que les députés, censés être pourtant souverains, devaient obligatoirement

satisfaire par allégeance et par calcul politique.

C’est dans ce sens aussi qu’il faudrait comprendre la modification dont la Cour suprême

avait fait l’objet en 1992. Contrairement donc à toute attente, les magistrats mais aussi

l’ensemble des citoyens avaient pris connaissance de cette nouvelle avec le plus grand

étonnement. Suite à un profond réaménagent, la suppression de la Cour suprême avait

engendré la naissance de la Cour de Cassation, du Conseil Constitutionnel et du Conseil

d’État. « Cette mutation a été possible, parce que le corps judiciaire s’est étoffé de

nouveaux magistrats, qui manquaient dans les années 1960, juste après l’indépendance

politique du pays. La Cour suprême compétente en toutes les matières désormais séparée

Page 207: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

189

était la seule solution praticable à l’époque, malgré la présence de magistrats de l’assistance

technique fournis par la France242

».

Toutefois, au-delà des justificatifs qui pouvaient être apportés pour motiver une telle

décision, le non-dit de cette suppression trouvait son origine selon une certaine indiscrétion,

dans la liberté de ton du Premier président de la Cour Suprême de l’époque (Assane

Bassirou Diouf) lors la traditionnelle rentrée des Cours et tribunaux. Et Ousmane Camara,

prédécesseur immédiat du Président Assane Bassirou Diouf, et Médiateur de la République

à l’époque de préciser ce qui suit :

Le mercredi 6 novembre, jour de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux,

je suis à la Cour suprême non pour recevoir des invités, mais pour être reçu

moi-même en tant qu’invité. C’est la première cérémonie qu’organise le

Premier Président Assane Bassirou Diouf. À 10 heures, avec l’arrivée du

Président de la République Abdou Diouf, l’audience commence. Au fil des

discours, je me surprends à somnoler bercé par la monotonie des discours

convenus. Et voilà que, dernier orateur avant le Président de la République, le

Premier Président Assane Diouf me sort brusquement de ma torpeur.

Abasourdi, je l’entends, à l’entame de son allocution interpeller le Président de

la République en s’étonnant de voir à ses côtés, non pas le ministre chargé des

relations avec les Institutions, mais un ministre dit de la justice. Pourquoi

s’indigne-t-il des trois pouvoirs établis par notre Constitution, seul le pouvoir

judiciaire à un tuteur ? Je vois Serigne Lamine Diop, ministre de la Justice se

tasser sur son siège tandis que le Président de la République, le visage fermé a

le regard lointain. Le connaissant bien, je sais qu’Abdou Diouf va réagir contre

ce qu’il considère comme un affront. Sa riposte ne va pas tarder. À défaut de

pouvoir « débarquer » le Premier Président de la Cour suprême censé

inamovible, le président Diouf choisit la formule du « marteau-pilon pour

écraser une mouche ». Par une révision de la Constitution, la Cour suprême est

démolie ensevelissant sous ses décombres le Premier Président et ses collègues.

Trois institutions se partagent les débris de la Cour suprême pulvérisée : le

Conseil Constitutionnel, le Conseil d’État, et la Cour de Cassation243

.

242

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 147 243

Camara, Ousmane, Mémoires d’un juge africain : itinéraire d’un homme libre, Paris : Éditions Karthala,

2010 pp 281-282.

Page 208: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

190

En trouvant archaïque et dépassé l’appellation de « garde des sceaux » attribué au ministre

de la justice pour demander sa suppression, et en plaidant pour une indépendance réelle de

la justice dans son adresse au président de la République, le Premier président de la Cour

suprême avait tenu à préciser que malgré l’insuffisance des conditions de travail à laquelle

étaient confrontés les magistrats dans l’exercice de leur fonction, la majorité accomplissait

leur devoir avec la plus grande dignité. « Je suis convaincu Ŕ avait-il tenu à préciser - qu’il

y a dans cette salle des hommes qui ont plus soif de fierté que d’appétit ». Ce discours qui

ressemblait beaucoup plus à un réquisitoire qu’à une demande de doléances, n’avait pas

manqué de faire les titres de la presse. Assane Bassirou Diouf devait payer le prix de cette

audace. Et Mody Niang, en parlant des « limites de la présidence de Diouf » de faire

remarquer.

Le président Abdou Diouf savait donc se mettre en colère de temps en temps.

Il savait même être impitoyable devant certaines circonstances, lorsque surtout

son pouvoir était menacé. Il en fut ainsi lors de la grève des policiers en avril

1987… Le président Diouf fit montre de la même intransigeance quand, disait-

on, par suite d’une rentrée solennelle des Cours et Tribunaux, le Premier

Président de la Cour suprême d’alors, M. Assane Bassirou Diouf, s’était permis

de suggérer, dans son discours, la suppression des fonctions de Garde des

Sceaux, Ministre de la Justice. Le président n’appréciait guère cette sortie et

procéda pratiquement de la même manière qu’en 1987, quand les Forces de

Police entrèrent en rébellion. Il convoqua d’urgence l’Assemblée nationale et

fit modifier la Constitution. Trois lois organiques furent votées, portant

respectivement création du Conseil constitutionnel (Loi no 92-23 du 30 mai

1992), du Conseil d’État (Loi no 92-24 du 30 mai 1992) et de la Cour de

Cassation (Loi no 92-25 du 30 mai 1992). Toutes les compétences qui

relevaient de la Cour suprême, désormais supprimé, furent distribuées à travers

les trois nouvelles institutions. Du coup, des magistrats de haut rang se

retrouvèrent, du jour au lendemain, comme des électrons libres, sur les carreaux

et sans affectation. Ils seront mis par la suite à la disposition de la Primature ou

d’autres ministères. C’était l’humiliation totale, que le président Assane

Bassirou Diouf, qu’on présentait pourtant comme un ami de Diouf, supporta

très mal. Il sera plus tard nommé Représentant permanent du Sénégal auprès de

l’Unesco. Rentré plus tard au Sénégal pour faire valoir ses droits à une pension

de retraite, il mourut peu après. Ses proches avancent que le chagrin et

l’humiliation de 1992 ne l’ont jamais quitté et auront peut-être contribué à

Page 209: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

191

précipiter sa mort, que Dieu était évidemment Seul à décider. Ils avancèrent

aussi Ŕ un euphémisme Ŕ qu’il n’est pas mort dans l’opulence244

.

Que les institutions fassent l’objet de certaines modifications pour permettre au président

de la République de satisfaire ses calculs politiques, et de prouver sa volonté de puissance

étaient connue par la classe politique dans son ensemble. Le parti socialiste tout comme

l’opposition étaient conscients de ces pratiques, révélateurs entre autres, du déficit, voire du

manque de culture démocratique de l’autorité suprême, dont le rôle Ŕ il est important de le

mentionner - devait être déterminant, dans un contexte où la démocratisation de l’espace

publique, était devenue une exigence du système international. La rencontre de la Baule de

1990 s’était inscrite dans cette dynamique. Ce déficit était aussi perceptible dans l’attitude

des parlementaires, qui se voulaient et se pensaient « militants et partisans », alors que leur

rôle était de défendre et de servir leurs mandataires, à savoir, les populations. C’est dans

cette attitude, et dans cette perception déformée de leur rôle, qu’il faudrait comprendre leur

passivité et leur docilité, durant la mise en place des politiques asociales du PAS

(Programme des Ajustements Structurels).

Cela précisé, il est important de faire remarquer que si le manque ou l’absence d’initiative

dans la formulation des politiques publiques par le gouvernement est acceptable et tolérable

dans un régime totalitaire, il est inconcevable et à la limite même impensable dans un

régime démocratique. Aussi, si le manque ou l’absence de pouvoir décision par le

gouvernement, dans la mise en place des politiques publiques, peut se comprendre dans un

régime totalitaire, il est par contre inacceptable dans une démocratie. En effet, en

démocratie, il est du ressort exclusif des citoyens, à travers leur gouvernement et leur

parlement de décider et de choisir les politiques censées déterminer leur quotidien et leur

avenir.

244

Niang, Mody, Abdou Diouf : 40 ans au cœur de l’État socialiste au Sénégal, Paris : L’Harmattan, pp 166-

168

Page 210: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

192

Les politiques publiques sont affaire de démocratie… Qu’elles soient locales,

nationales ou européennes, ou même de plusieurs niveaux à la fois, les

politiques sont conçues, décidées et mises en œuvre à travers l’intervention

d’acteurs politiques et administratifs désignés ou autorisés pour accomplir une

mission d’intérêt général, sensée [sic] être l’expression du processus

démocratique. De plus, la production des politiques, d’un bout à l’autre de leur

cycle, est ouverte à des formes de participation destinées à intégrer l’expression

d’intérêts sociaux divers. De la définition de leur contenu à leur pilotage le plus

fin, les politiques publiques sont soumises à des échanges politiques multiples

pour tenter d’intégrer des attentes et logiques contradictoires dans la résolution

de problèmes publics. Bien entendu, selon les époques et les pays, et ainsi

suivant les régimes politiques à l’œuvre, ce fonctionnement démocratique

admet de larges variations245

.

En démocratie, il est même des politiques ou des intentions politiques qui doivent

obligatoirement recevoir la sanction directe du peuple, ce qui donne au référendum, par

essence profondément démocratique, tout son sens comme procédé et mécanisme de

consultation pour recueillir directement l’avis de l’individu et de la société. Mais que des

parlementaires adoptent une attitude passive par rapport à des politiques qui devaient

recueillir dans les normes, leur approbation, dans une supposée démocratie - et tel fut le

cas avec la mise en application des politiques du PAS (Programme des Ajustements

structurels) - nous conduit à nous interroger sur la pertinence de l’Assemblée nationale,

censée être le lieu pour défendre et protéger les légitimes aspirations et intérêts du peuple,

c’est à dire des populations.

V. III UN PARLEMENT SANS POUVOIR DE CONTRÔLE SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES

La mise en place du PAS (Programme des Ajustements Structurels) avait donné naissance à

des politiques qui ont été très éprouvantes pour les populations, tant au plan économique

que sociale. Grande politique économique censée améliorer la condition de vie des

populations, le PAS avait en effet engendré au plan économique une baisse considérable du

pouvoir de dépenser de l’ensemble de la population, et cela sans exception. Du chef de

l’État au simple fonctionnaire, en passant par l’ouvrier, la Dévaluation du Franc CFA de

245

Giraud Olivier & Warin Philippe, « Les politiques publiques : une pragmatique de la démocratie » dans

Politiques publiques et démocratie, Paris : Éditions la Découverte, 2008, p 7

Page 211: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

193

1994, qui s’était voulu le couronnement des grandes politiques économiques du PAS

(Programme des Ajustements Structurels), avait provoqué une diminution notoire du

pouvoir d’achat de tous les ménages.

Les populations avaient compris sans trop grande difficulté que le franc CFA avait perdu la

moitié sa valeur, et que dorénavant, il fallait débourser plus pour avoir moins. Les

conséquences ont été désastreuses, en ce sens que les prix des denrées dites de premières

nécessités (riz Ŕhuile Ŕ sucre) n’avaient pas connu une baisse, obligeant les populations à

payer doublement le prix du sac de riz par exemple. Le salaire étant lourdement affecté, se

procurer ce minimum commençait à être difficile pour la classe moyenne, et à ne plus être à

la portée des ménages traditionnellement pauvres. Cette dévaluation avait donc des effets

assez désastreux sur la « qualité » de vie des populations qui étaient déjà assez éprouvées

par les politiques du PALMT (Plan d’ajustement économique et financier à long et moyen

terme) qui avait débuté en 1985 pour se terminer en 1992.

En effet, de la Nouvelle Politique Agricole à la Nouvelle Politique Industrielle, en passant

par la Restructuration du secteur public et parapublic, ces politiques avaient occasionnées

des réformes, qui sous le sceau de l’assainissement des finances publiques et de la

libéralisation de l’économie, avaient provoqué un mal vivre sans précédent des populations,

à la fois rurales et urbaines. Les nombreux licenciements occasionnés par la politique des

départs volontaires de la fonction publique, ajoutés à ceux du secteur privé au nom de

l’efficacité et de la rentabilité, avaient favorisé la paupérisation des populations, notamment

urbaines. Ces politiques impopulaires, renforcée par la détermination du gouvernement de

prêter toujours attention aux exigences de ses principaux créditeurs ou bailleurs de fonds,

en l’occurrence, le FMI et la Banque mondiale, devait amener les populations, sous l’égide

des syndicats et des partis d’opposition, à protester vigoureusement avec la mise en place

des mesures ou du Plan d’urgence de septembre 1993.

Page 212: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

194

Cette protestation, justifiée et légitime des populations, devait se faire sans le « support »

des députés du parti socialiste, qui étaient majoritaires à l’Assemblée Nationale. En effet,

lorsque les populations étaient dans les rues en 1988, les députés du parti socialiste,

majoritaires lors de la deuxième législature sous Abdou Diouf, avaient pris fait et cause

pour le secrétaire général du parti socialiste et de son gouvernement. Curieusement

majoritaires lors de la troisième législature (1993), dans un contexte où les politiques

d’austérités devaient normalement profiter à l’opposition, les députés socialistes avaient

également apporté leur support et leur « soutien » au secrétaire général du parti socialiste et

au gouvernement.

Cela pour dire que malgré le caractère impopulaire des politiques d’austérité, et en dépit

des manifestations dès fois houleuses et violentes pour protester contre le caractère asocial

de certaines réformes comme celles qui étaient relatives au Code du travail, les

parlementaires socialistes n’avaient pas juger et estimer nécessaire de s’opposer à ces

politiques. Non seulement, ils n’avaient pas jugé utile d’être du côté de leurs légitimes

mandataires qui étaient les populations, mais ils n’avaient même pas tenté d’exiger du

gouvernement la mise en place de certaines réformes pour apaiser la tension sociale, ou

pour soulager le mal vivre des populations.

Ignorés par le pouvoir exécutif qui n’avait pas jugé nécessaire de les associer lors des

pourparlers relatifs à la mise en place du Programme des Ajustements Structurels, les

parlementaires sénégalais avaient adopté une attitude de docilité au moment même où leurs

légitimes mandataires étaient dans les rues pour protester contre la dureté des politiques

d’austérités engendrées par les réformes qui étaient exigées par les principaux créditeurs ou

bailleurs de fonds (FMI-Banque mondiale). « L’une des tendances lourdes observées avec

la mise en application des programmes d’ajustement structurel (PAS) Ŕ avait fait d’ailleurs

remarquer Momar-Coumba Diop - réside dans l’affaiblissement du rôle de la représentation

parlementaire dans l’élaboration des politiques économiques. En effet, le PAS dépend

Page 213: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

195

principalement de l’Exécutif et de la clientèle technocratique des bailleurs de fonds246

».

Une telle réalité est pourtant étrangère à la pratique démocratique comme l’avait d’ailleurs

mentionné le président Abdou Diouf en ces termes :

Le fonctionnement harmonieux et sans entraves de l’Assemblée nationale me

paraît être le meilleur signe de la vitalité de notre jeune démocratie. A l’heure

du renforcement du pluralisme politique intégral, je veillerai donc

particulièrement à ce que cette institution puisse être le haut lieu de l’expression

nationale parce que de la démocratie. Face à l’État et à la raison d’État,

l’Assemblée nationale se présente comme la volonté nationale. Aucune œuvre

ne vaut la peine d’être accomplie fondamentalement si elle ne vise à satisfaire

nos besoins nationaux lesquels, en principe, ne sont jamais mieux formulés que

dans cette institution. Sans l’Assemblée, l’État n’est jamais assuré de pouvoir

bien faire la part entre la raison et l’arbitraire, l’intérêt général et l’intérêt

particulier, l’essentiel et l’accessoire247

.

Il faut toutefois faire remarquer que cette façon de procéder du gouvernement avec le

pouvoir législatif, que la mise en application du PAS (Programme des Ajustements

Structurels) avait aidé à rendre visible, renseigne à certains égards sur la perception et la

vision que les plus hautes autorités de l’État, entendu comme gouvernement, se faisait des

parlementaires. Le gouvernement socialiste, sous Senghor après la crise de 1962, savait

son importance comme institution dans la configuration d’un ordre international dans

lequel, le Sénégal nouvellement indépendant devrait, et voulait prendre place. Il fallait

donc maintenir l’Assemblé nationale, mais en prenant les moyens de la domestiquer, c’est-

à-dire en faisant de ses membres, des collaborateurs et non des adversaires, à défaut de leur

enlever leur légitime pouvoir.

Pour Senghor, cet esprit brillant, légitimé et confirmé par ses titres universitaires, il fallait

amener les députés socialistes à s’inscrire, comme leurs collègues syndicalistes, dans une

logique et dans une dynamique, comparables à celle de la participation responsable. Il

s’agissait en fait de conférer au parlementaire socialiste la « liberté » de parler pour l’intérêt

des populations, de défendre cet « intérêt » avec énergie tout en privilégiant le dialogue

246

Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, p 66 247

Parti socialiste, Le sursaut national avec Abdou Diouf, Dakar, NIS, p 61

Page 214: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

196

avec le gouvernement, la négociation voire la concertation, et non la confrontation. La

crise de mai 1968 qui a failli emporter le régime socialiste, et celle de 1969 qui a favorisé la

dissolution de l’UNTS (Union Nationale des Travailleurs du Sénégal) et qui a vu la mise

sur pied de la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal), ont été des

tests assez édifiant pour le président Senghor, également secrétaire général de l’UPS

(Union Progressiste Sénégalaise), pour mesurer et apprécier l’attitude des députés

socialistes. « Dans l’ensemble Ŕ fait remarquer Magatte Lô Ŕ à partir des crises de 1968 et

1969, notre parti a déployé des efforts importants en vue de la formation idéologique de ses

militants. Une telle option témoignait de notre volonté de mettre en place tous les moyens

d’une nouvelle politique après la houle 1968-1969248

».

Le gouvernement socialiste sous Abdou Diouf a hérité de cette perception, mais avec des

enjeux similaires et relativement différents. En effet, pour Abdou Diouf et son

gouvernement, il n’a jamais été question de revenir sur la fragilisation dont le pouvoir

législatif avait été l’objet depuis la crise institutionnelle et politique de 1962. Il fallait donc

maintenir l’Assemblée Nationale pour des préoccupations esthétiques par rapport à un

contexte international « attaché » à l’État de droit et à la démocratie. Loin de rompre avec

la pensée de son ancien maître, Abdou Diouf était également conscient qu’il fallait faire des

parlementaires des collaborateurs et non des adversaires. Mais n’ayant pas la même

légitimité et le même charisme que le président Senghor avait auprès des députés

socialistes, et n’étant pas sûr de pouvoir compter sur la loyauté de l’Assemblée nationale et

son bureau, le nouveau président avait opté pour une fragilisation renforcée de l’institution

parlementaire (nous y reviendrons).

Militants à part entière du parti socialiste, attachés au parti et à son fondateur, les députés

socialistes se voulaient d’abord et avant tout partisans. Dans l’esprit de ces mandataires du

peuple, le parti devait passer avant l’État. Les parlementaires socialistes avaient pour le

président Senghor, non seulement un profond respect, mais également et surtout, une

profonde admiration qui avait pour résultante, une subordination prononcée, exclusive et

248

Lô, Magatte, Syndicalisme et participation responsable, Paris : Éditions L’Harmattan, 1987, p 70

Page 215: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

197

sans faille pour ses causes, mais également pour ses idées. Le poète qu’il était, séduisait, et

l’agrégé de grammaire qu’il était également, membre de l’académie française en plus,

fascinait. Pour faire bref, disons qu’il avait réussi à ne pas faire usage de son pouvoir de

dissolution dans le contexte de la crise de mai 1968. Avec tact et finesse, il avait réussi à

entretenir avec les parlementaires une relation de partenariat pour éviter des crises

similaires à celles de 1962, 1968 et 1969.

Le parti socialiste étant une grande famille dans leur esprit, il fallait par conséquent la

protéger avant tout et par rapport à tout. Tel était la perception que se faisaient les députés

du parti socialiste par rapport à leur rôle de parlementaire. La discipline de parti n’avait pas

besoin d’être activée ou rappelée pour amener les députés à être « cool », en ce qu’ils

avaient parfaitement conscience qu’ils devaient observer une certaine discipline pour

bénéficier de certains avantages connus, mais pas les seuls, comme par exemple, le fait de

se retrouver membre du bureau de l’Assemblée nationale, du CES (Conseil Économique et

Social) ou du gouvernement. Il était possible de cumuler la fonction de député avec celle

de ministre jusqu’en 1983. Le comportement par rapport au parti à son secrétaire général

devait être par conséquent exempt de reproches pour bénéficier des largesses du président.

Toutefois, il est important de faire remarquer qu’une telle attitude ne peut se comprendre

sans référence à la crise politique, voire institutionnelle de 1962. Loin de pouvoir justifier

la docilité et l’esprit partisan voire non républicain des parlementaires249

, elle offre

toutefois l’opportunité de comprendre ce comportement qui Ŕ il est également important de

le mentionner - est antérieur et même extérieur à la mise en place du PAS (Programme des

Ajustements Structurels). En effet, c’est la crise de 1962 qui a amené le législateur

sénégalais à signer l’acte de décès du système parlementaire, pour le remplacer par un

système présidentiel qui octroyait au président de la République, chef de l’exécutif, un

pouvoir fort, voire démesuré.

249

Nous voulons attirer l’attention du public que comportement a été observé sous la gouverne de Abdoulaye

Wade (2000-2012), et avait même atteint des proportions inquiétantes. Il est toujours d'actuel quoique

dénoncé par certains parlementaires de la majorité

Page 216: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

198

Le législateur a cherché par la mise en place d’un tel système, à corriger « les erreurs de

l’époque » qui se trouvaient dans les pouvoirs que détenait le président du Conseil. C’est

d’ailleurs à la suite de cette crise, à la fois institutionnelle et politique, que le pouvoir

exécutif, qui était bicéphale avec un président de la République et un président du Conseil,

allait être monocéphale, c’est à dire regroupé et concentré entre les mains du président de la

République. « La loi constitutionnelle de 1963 a eu pour objectif Ŕ fait remarquer le

constitutionaliste Ismaïla-Madior Fall Ŕ de promouvoir la stabilité politique au Sénégal qui

sort du traumatisme de la crise de décembre 1962. À cet égard Ŕ poursuit-il Ŕ par rapport à

l’ordre existant, la loi constitutionnelle du 7 mars 1963 ambitionnait de s’inscrire dans une

perspective de rupture qui intégrait le legs du cycle précédent et consacrait l’avènement du

cycle présidentialiste »250

. Parmi donc les « correctifs » apportés par le législateur, pour

trouver une solution à la crise de 1962, Il faut donc noter deux faits importants, à savoir :

un renforcement du pouvoir du président de la République et un affaiblissement du pouvoir

législatif.

Les élites gouvernementales ont toujours réussi à inféoder la représentation

nationale, en la ravalant au rang de simple instrument de légitimation et de

validation des politiques publiques. L’Assemblée nationale du Sénégal a cessé

d’être le centre de ces politiques publiques après la crise institutionnelle qui a

secoué le pays à travers le conflit Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor et à

la suite duquel un régime présidentiel fort a été institué. En ayant donc renoncé

au parlementarisme comme sous la quatrième République en France (1946-

1958), le Sénégal optait également pour un affaiblissement considérable de son

Assemblée nationale. Le texte constitutionnel a consacré une subordination

terrible du Parlement à la volonté de l’exécutif. Une telle subordination a été

rendue davantage inhibitrice pour les parlementaires par le phénomène

politique dit majoritaire qui impose une discipline de vote qui enlève toute

liberté aux députés dans la conduite de leur mission. Ces données politiques et

juridiques ont conduit le Parlement à deux formes de renonciation qui ont aidé

les élites gouvernementales dans leur volonté de confiscation de la démocratie :

il s’agit de la renonciation des députés à l’initiative de la loi et de leur

abdication de leur droit de contrôler l’action gouvernementale. Ces deux

fonctions fondent l’essence du travail parlementaire et la mission des députés.

Il suffit à cet égard de considérer que le gouvernement a la haute main sur

250

Fall, Ismaïla-Madior, Évolution constitutionnelle du Sénégal : De la veille de l’indépendance aux élections

de 2007, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 49

Page 217: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

199

l’ordre du jour et une maîtrise totale de l’agenda de travail de l’Assemblée

nationale pour se rendre à l’évidence251

.

Abdou Diouf avait hérité de cette perception militaire des députés qui se voulaient et se

pensaient uniquement mandatés pour soutenir le président de la République et ses actions.

Il avait aussi bénéficié d’une autre perception, celle reposant sur la croyance de devoir son

poste de député à la simple volonté du président de la République. Le secrétaire général du

parti socialiste qu’il était pouvait et avait bénéficié de ce soutien « affectif » de ces députés

qui étaient désignés, voire choisis par le canal de la liste nationale pour les élections

législatives. Figuraient donc en première position dans cette liste, pour résumer, les

personnes choisies directement par le Président de la République, et dont la représentativité

électorale faisait ou pouvait faire défaut.

En effet, si les candidats qui étaient en tête de liste ou sur la liste départementale devaient «

mouiller le maillot », c’est-à-dire, mener et faire une campagne électorale active et intense

pour gagner, les premiers candidats qui figuraient sur la liste nationale étaient quasiment

sûrs de se retrouver à l’Assemblée nationale. Ce « parachutage » permettait au président de

la République, en tant que chef de parti, de « choisir » ses candidats, donc de « nommer »

comme député, des personnes qui n’avaient pas le nombre de militants nécessaire, c’est à

dire cette source de légitimité, pour se retrouver se faire élire. Pour ces choisis, qui

pouvaient être soit des intellectuels ou des analphabètes, il leur était difficile de se penser

mandataire ou député du peuple. Ils se percevaient d’abord et avant tout, comme des

députés du président.

Donc, en plus de la crise de 1962, et à ce choix de certains députés via le mécanisme du

parachutage pour comprendre cette perception déformée des parlementaires par rapport à

leur rôle, qui explique leur attitude passive et docile à l’endroit du pouvoir exécutif, il

faudrait y ajouter un troisième élément à savoir : le désir des élus de figurer comme

membre du bureau de l’Assemblée national d’abord et de rentrer dans les bonnes grâces du

251

Coulibaly, Abdou Latif, Une démocratie prise en otage par ses élites : Essai politique sur la pratique de la

démocratie au Sénégal, Dakar : Les Éditions Sentinelles, 2006, pp 35-36

Page 218: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

200

chef du président de la République ensuite. Pour la composition des membres du dit

bureau, la liste était et a d’ailleurs toujours été confectionnée par le chef de l’État. C’était

César252

qui choisissait, sous l’œil attentif de son secrétariat253

général, les membres du

bureau de l’Assemblée Nationale. C’était connu et accepté par les parlementaires

socialistes, qui loin de s’en offusquer, justifiaient un tel « empiétement » par la prérogative

accordée par la Constitution, au chef de l’État, de nommer aux postes civils et militaires.

Ils avaient oubliés à cause de l’hypnose ou de l’hypnotisme présidentiel, qu’ils étaient un

pouvoir de contre poids et non de support.

La volonté de suprématie est ressentie universellement par les gouvernements.

Qui croit aux vertus d’une politique est évidemment désireux de la réaliser et,

pour cela, de dominer l’opposition qui entrave son action. Passant pour être

plus efficace que le régime parlementaire, le régime présidentiel lui est

fréquemment substitué. L’Afrique francophone comme anglophone en donne

de très nombreux exemples dans les années 60. Ce changement ne fait pas

sortir du cadre libéral mais facilite la dérive vers le régime totalitaire. La

déviation « présidentialiste » du régime présidentiel, qui aboutit à la

concentration des pouvoirs en faveur du président, se produit sous deux formes.

Selon, en premier lieu, une pratique qui fut assez courante en Amérique latine,

le régime présidentiel est dénaturé par l’extension des compétences du

président. Le parlement, sans réelle volonté autonome, accepte toutes les

délégations de pouvoir législatif qui lui sont demandées. Les pouvoirs de crise

prévus par la constitution sont exercés en permanence. Les libertés

individuelles sont suspendues. Éventuellement le président, s’il n’est pas

rééligible, selon les dispositions constitutionnelles, obtient leur modification ou

est remplacé par un homme de paille. C’est à cette pratique que s’essaie

encore, en avril 1992, au Pérou, le président A. Fujimori lorsque, devant

252

Cette référence à Jules César a été faite par certains constitutionnalistes qui ont utilisé la notion de régime

présidentialiste pour mettre en exergue les pouvoirs exorbitants du président de la République. On peut aussi

parler de régime césarien dans lequel le militaire se civilise pour gérer le pouvoir. Notons au passage que la

métaphore est non seulement justifiée, mais également pertinente en ce sens que le président de la République

est «le chef suprême des armées » selon la Constitution. 253

Le secrétariat général de la présidence de la République était devenu important avec la suppression du

poste de premier ministre en 1983. Cette importance a été connue avec Jean Colin, tout puissant ministre

d’État et secrétaire général de la présidence. Même après son départ du gouvernement en 1990, et malgré la

réintroduction du poste de premier ministre dans l’architecture constitutionnelle en 1991, le secrétariat de la

présidence avait continué à avoir des pouvoirs importants avec Ousmane Tanor Dieng, homme de confiance

du président, et qui a fini par être le patron désigné du parti socialiste suite au congrès sans débat de 1996. Il

a été intronisé par Abdou Diouf qui lui avait d’ailleurs crée et taillé un poste sur mesure dans le gouvernement

du 02 juin 1993 dirigé par Habib Thiam, comme ministre d’État, ministre chargé des services et affaires

présidentielles. Plus technocrate que politique, cet ancien conseiller diplomatique du président Senghor, qui a

été également directeur de cabinet du président Abdou Diouf avant de faire son entrée au gouvernement, avait

des pratiques similaires à celles de Jean Colin. Il faisait et défaisait des hommes politiques.

Page 219: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

201

l’opposition parlementaire, il procède à la dissolution des chambres, décide

l’incarcération d’opposants, prive le pouvoir judiciaire de toute indépendance…

Selon, en second lieu, une pratique retenue, notamment en Afrique, le régime

présidentiel évolue vers l’autoritarisme avec l’instauration, de fait ou en droit,

du système de parti unique. Tel est le cas par exemple au Gabon, au Cameroun,

ou en Côte-d’Ivoire… Par un moyen, la manipulation des institutions, ou un

autre, la manipulation électorale, tout le pouvoir de l’État revient au président.

Le régime politique libéral n’est plus alors qu’apparence et dissimule la

dictature254

.

Il faut toutefois souligner que cet empiétement du pouvoir exécutif dans le pouvoir

législatif était également accepté par la conscience politique sénégalaise. En effet, si

l’opposition avait tenu à une certaine époque à focaliser son combat sur la modification ou

la suppression de l’article 35255

de la Constitution de 1976, cette mainmise du pouvoir

exécutif dans la désignation des membres du bureau de l’Assemblée nationale, ne semblait

pas avoir une certaine gravité pour être dénoncée, à défaut d’être combattue. Cet

empiétement était pourtant, autant dans la forme que dans le fond, une atteinte au principe

de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs qui est un des piliers fondamentaux en

démocratie. Ce principe a rang de dogme en démocratie. Il lui est intrinsèque. Il n’y a

d’ailleurs pas de démocratie sans une réelle séparation des pouvoirs.

Ce principe confère à la démocratie une certaine crédibilité et à la limite, toute sa

crédibilité. Le principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs est à la démocratie ce

que la consultation ou la prise en considération de l’avis du citoyen et de la communauté

est au processus démocratique. Son respect est non seulement sacré, mais également

indispensable pour la mise en place d’une véritable démocratie. Au-delà donc de ce fait,

justifié fallacieusement par un pouvoir de nomination, il y a lieu de noter que le pouvoir

254

Leroy, Paul, Les régimes politiques du monde contemporain II-Les régimes politiques des États socialistes

et des États du tiers-monde, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 2003, pp 101-103 255

L’article 35, alinéa 2 était libellé ainsi « En cas de décès ou de démission du Président de la République ou

lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour suprême, le Premier ministre exerce les fonctions de

Président de la République jusqu’à l’expiration normale du mandat en cours. Il nomme un nouveau Premier

ministre et un nouveau Gouvernement dans les conditions fixées à l’article 43 », [Fall, Ismaïla Madior, Textes

constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche, d’Études et de Documentation sur

les Institutions et les Législations Africaines, Collection du CREDILA XXIII, p 92]. C’est d’ailleurs à la

faveur de cet article qu’Abdou Diouf est devenu président de la République après la démission du président

Senghor au soir du 31 décembre 1980. L’opposition parlementaire avait pressentit l’intention de Senghor, et

avait dénoncé ce « dauphinat », mais en vain.

Page 220: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

202

exécutif s’était subtilement autorisé à s’immiscer dans la sphère intérieure du pouvoir

législatif, violant et rendant ainsi caduque et sans fondement l’exposé des motifs de la loi du

1er

mai 1983 relatif à la suppression du poste de premier ministre, comme en atteste cet

extrait :

Si la volonté de décentralisation et de déconcentration s’est déjà clairement

manifestée, le dernier exemple en étant la réforme de l’organisation de la

Région du Cap-Vert, il devient nécessaire d’instituer un mode de gouvernement

central nouveau où il est clair que c’est le président qui détermine et conduit la

politique de la Nation et où l’Assemblée nationale légifère sans entrave.

L’heure semble donc venue pour que le Sénégal adopte un régime véritablement

présidentiel, ce qui implique une plus grande indépendance du parlement; Du

point de vue de la conduite des affaires de l’État, cela signifie une

démédiatisation des décisions, une réduction du nombre des intermédiaires, une

accélération des procédures, et une appréhension directe des problèmes du

peuple sénégalais par le Chef de l’État lui-même et son équipe. Du point de vue

du législateur, contrairement à une opinion répandue, un surcroît

d’indépendance et de puissance. En effet, outre le fait que le Président de

l’Assemblée nationale devient le deuxième personnage de l’État et qu’il est

appelé à suppléer le Président de la République en cas d’empêchement,

l’Assemblée nationale ne peut être dissoute; il est vrai qu’elle ne peut pas non

plus censurer le Gouvernement, mais cette absence de possibilité de censure la

rend paradoxalement plus libre et plus exigeante : elle peut critiquer un projet de

loi, le modifier, refuser de le voter, sans devoir tirer les conséquences extrêmes

de son attitude en provoquant la chute du Gouvernement. Il faut ajouter que

l’Assemblée nationale détient par le vote de la loi des finances un instrument de

contrôle d’une efficacité redoutable256

.

Justifié fallacieusement, et sans se soucier des conséquences qu’une telle immixtion

pouvait avoir sur le fonctionnement du parlement, il n’est pas faux de soutenir que les

détenteurs du pouvoir exécutif voulaient contrôler le pouvoir législatif, censé être autonome

au nom du principe de séparation des pouvoirs proclamé par la Constitution. La dualité

Dia/Senghor était encore dans les esprits, et les témoins d’hier arrivés aux plus hautes

256

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection CREDILA XXIII,

2007, p 108. Les propos relatifs au parlement relèvent d’un idéal, mais sont loin de traduire la réalité.

D’abord, il faut mettre en exergue l’intention réelle du constituant qui, depuis la crise politique et

institutionnelle de 1962, avait vu dans les pouvoirs du parlement, une source d’instabilité politique. Ensuite, à

travers cet exposé des motifs, il aisé de constater qu’il y avait toujours une certaine volonté chez le constituant

de ne pas faire de l’Assemblée nationale un lieu de contre-pouvoir, mais plutôt de support du pouvoir, ce qui

est contraire à l’essence même du parlement.

Page 221: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

203

commandes de l’État comme Abdou Diouf, était conscient et, malgré ses prérogatives

constitutionnelles, qu’il fallait avoir un certain contrôle sur le parlement comme en attestent

ses propos, tenus lors du colloque de l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe sur

le thème « Démocratie et développement en Afrique » « L’expérience des pays africains et

du groupe ACP »

Mais si l’essentiel est que la participation et la transparence soient assurées,

nous pensons qu’elles le sont mieux, aujourd’hui, au moyen de la démocratie

multipartisane, avec l’existence d’un Parlement ou s’expriment les

représentants élus par les citoyens pour défendre leurs intérêts. D’ailleurs, le

Parlement s’est tellement identifié avec la liberté qu’on conçoit difficilement

qu’il puisse exister une véritable démocratie sans parlement, ou plutôt sans

véritable parlement tant il est vrai, comme l’a dit le Président François

MITTERRAND devant votre institution, « qu’il n’y a de démocratie que là où

délibère un véritable parlement ». Mais je m’empresse de préciser, avec lui,

que « si pas assez de parlement menace la démocratie trop de parlement menace

l’État ». Nous voici donc revenus au problème fondamental auquel sont

confrontés les gouvernements africains pour satisfaire les aspirations de leurs

peuples à la démocratie. J’ai indiqué, à travers l’exemple du Sénégal, comment

on pouvait s’essayer à le résoudre. J’ajouterai que la formule idoine ne devrait

pas être éloignée de l’existence d’une structure de représentation des citoyens

où la nécessité de la confrontation des idées ne ferait pas obstacle à la

concertation et à la recherche du consensus par quoi était caractérisée la société

africaine d’hier. Si nous la trouvons, plus personne en Afrique ne pourrait

craindre de voir les soubresauts de la démocratie freiner le développement et les

lenteurs de celui-ci empêcher les avancées de celle-là. C’est à nous africains

qu’il revient d’abord de la rechercher257

.

Il est toutefois important de faire remarquer qu’au-delà de la crise politique et

institutionnelle de 1962 pour situer les origines de la fragilisation de l’Assemblée nationale,

et en plus de la logique clientéliste entretenue par le pouvoir exécutif pour entacher

l’autonomie des parlementaires, on a noté sous le magistère du président Abdou Diouf deux

faits similaires, et qui étaient engendrés par la crise de 1962, à savoir : un renforcement du

pouvoir exécutif d’une part, et un affaiblissement de l'institution parlementaire d’autre part.

Ce qui nous amène à soutenir que si la crise politique et institutionnelle avait amené le

257

Diouf’ Abdou, Discours d’ouverture, Colloque de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur

le thème : « Démocratie et développement en Afrique » « L’expérience des pays africains et du groupe ACP

», dans Propos choisis : Abdou Diouf et la démocratie. Tome 6, Dakar, 1991, p 106

Page 222: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

204

constituant sénégalais à avoir une certaine méfiance à l’endroit du pouvoir législatif, il est

important de faire remarquer que l’on a noté la même méfiance chez Abdou Diouf. C’est

d’ailleurs au nom de cette méfiance qu’il faudrait comprendre et interpréter la fragilisation

dont l’institution parlementaire avait été l’objet avec la réduction de la durée du mandat de

son président.

D’abord, pour ce qui est du renforcement du pouvoir exécutif, il faut noter la suppression

du poste de premier ministre en 1983, contre toute attente et tout pronostic. Cette

suppression devait, et avait conféré au président Abdou Diouf des pouvoirs exorbitants. Il

devait asseoir son pouvoir que la légitimité populaire venait de lui octroyer, en ce sens qu’il

n’était plus dans la continuation du mandat de Senghor avec sa victoire lors des élections

présidentielles et législatives de 1983. On a donc assisté à un renforcement des pouvoirs du

chef de l’État dans la mesure où, il s’était retrouvé chef de gouvernement avec la

suppression de l’article 35 de la Constitution. Il était devenu par conséquent la totalité du

pouvoir exécutif. Il avait certes des pouvoirs en raison des prérogatives qui lui étaient

conférés par la Constitution, mais devenait par l’effet de cette suppression, à la fois

l’architecte et le maçon pour la mise en place des politiques.

Pour ce qui est l’affaiblissement du pouvoir législatif, on a noté en effet un renforcement de

la fragilisation de l’institution parlementaire depuis la crise politique et institutionnelle de

1962. En effet, en 1984, contre toute attente et tout pronostic, la durée du mandat du

président de l’Assemblée nationale a été subitement réduite avec la loi du 15 mars 1984. «

Le 15 mars 1984, les députés réunis en session extraordinaire, votent une loi destinée à

réduire la durée du mandat du mandat du président de l’Assemblée nationale de cinq ans à

un an renouvelable258

». Alors qu’il était initialement d’une durée de cinq années, ce qui

coïncidait avec la durée de la législature, le mandat devait dorénavant durer une année.

Pour respecter les apparences en raison du principe de l’équilibre de la séparation des

pouvoirs sous-entendu, et non proclamé dans la constitution, l’initiative était parrainée par

un député qui devrait s’en approprier.

258

Niang, Mody, Abdou Diouf : 40 ans au cœur de l’État socialiste au Sénégal, Paris : L’Harmattan, 2009, 84

Page 223: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

205

Habituellement, les Présidents de l’Assemblée nationale étaient des

responsables du Parti socialiste à l’autorité incontestée. Ce fut le cas de Lamine

Gueye, Président de l’Assemblée nationale jusqu’à sa mort en 1968. Il fut

remplacé par un autre ténor du Parti socialiste, fidèle d’entre les fidèles de

Senghor, Amadaou Cissé Dia. C’est pourquoi, la réforme de 1984 suscita

quelques remous dans le parti. Les auteurs de la proposition expliquèrent leur

démarche par un argument fondé sur l’équité. Il s’agissait d’uniformiser la

durée du mandat des membres du bureau de l’Assemblée nationale : tous les

membres seraient élus pour un an et seraient renouvelables. Le deuxième

argument consistait à dire que la démocratie veut qu’un élu ne puisse pas

continuer à occuper une fonction, lorsque ses mandants changent d’avis et

souhaitent son départ. Il faut que les membres de l’Assemblée puissent

contrôler les membres du bureau, tous sans exception. La loi mérite d’être citée

textuellement, car un passage du texte valait pour le passé, puisque l’occupant

actuel, élu en 1983, se voyait appliquer rétroactivement une loi qui devait valoir

pour l’avenir. Voici le texte de loi de la loi : Article premier : Le 1er

de l’article

51 de la constitution est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

Article 51… 1er

– La composition, les règles de fonctionnement du bureau ainsi

que les pouvoirs et prérogatives de son Président qui est élu pour un an

renouvelable. Article 2 – Les dispositions de la présente loi constitutionnelle

s’appliquent au mandat en cours du Président de l’Assemblée nationale. Le

règlement intérieur de l’Assemblée nationale fut modifié en conséquence en ses

articles 7 et 14 alinéa 1er

par une loi datée du même jour. Ainsi l’idée de

globalité l’a emporté : c’est le bureau dans son ensemble qui devait être

renouvelé à la première session ordinaire de l’Assemblée nationale259

.

En vérité, ce député était désigné par le président de la République ou ses services, qui lui

donnaient les instructions et la démarche à suivre. Des modifications par rapport au

règlement intérieur de l’institution parlementaire devaient être apportées pour atteindre

l’objectif visé. Ce procédé qui n’était rien d’autre qu’un plan de liquidation de la seconde

personnalité de l’État, commandité par la présidence de la République, avait contraint les

présidents Habib Thiam d’abord et Daouda Sow ensuite à la démission. Et Mody de faire

remarquer à propos de cette loi du 15 mars 1984 ce qui suit :

Habib Thiam la considéra comme une basse besogne, une loi de circonstance

destinée uniquement à régler son compte à un président qui refusait de plier

l’échine et d’accepter n’importe quoi. Une loi qui était probablement

d’inspiration colline (de Jean Collin). Cette loi violait manifestement le

259

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 138

Page 224: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

206

principe sacré de la non rétroactivité. C’est pourquoi, le président Thiam s’y

opposa de toutes ses forces et tenta même, avant qu’elle ne fût votée, d’obtenir

auprès du Secrétaire général du Ps une réunion du bureau politique ou du

groupe parlementaire pour en discuter. Ce fut, évidemment, peine perdue. A

partir de ce moment, il s’était faite une religion et avait opté pour la seule

solution honorable : démissionner, pour couper l’herbe sous les pieds des

comploteurs et leur ôter ainsi le plaisir de profiter de la séance ordinaire d’avril

(1984) de l’Assemblée pour le « débarquer ». Il adressa effectivement à Abdou

Diouf une lettre de démission de toutes ses fonctions politiques : de la

présidence de l’Assemblée nationale, de son poste de député, de secrétaire

général adjoint de l’Union régionale du Fleuve (aujourd’hui de Saint-Louis), de

membre du bureau politique, etc. En quelque sorte, il coupait le cordon

ombilical qui le liait à ce monde politique pourri, où il avait souvent côtoyé la

déception, le dégoût, la trahison, les cabales les plus sordides. Il avait pris le

soin, en même temps qu’il envoyait sa lettre de démission, de faire publier un

communiqué de presse y afférent. Pour parer à toute éventualité, pour prévenir

tout coup tordu. Surtout que, pendant toute cette période au cours de laquelle la

trappe se fermait irrémédiablement sur lui, Abdou Diouf, son ami de toujours,

n’avait pas, apparemment, levé le plus petit doigt260

.

Au-delà donc des motifs politiques, les seuls d’ailleurs pour expliquer et justifier une telle

initiative, il faut constater que cette réduction avait conduit à un affaiblissement du rôle de

l’institution parlementaire et de ses représentants attitrés. Le pouvoir exécutif, et plus

précisément le gouvernement socialiste allait, et devait dorénavant tenir en liesse ses

députés y compris le président Ŕ qui nous rappelons Ŕ était désigné par le président de la

République, par ailleurs secrétaire général du parti socialiste. Les députés, ces militants de

la première heure, devaient désormais s’inscrire dans une logique de calcul des avantages à

obtenir, plutôt que de vouloir tenir en haleine le gouvernement.

En effet, la réduction de cinq à une année de la durée du mandat du président de

l’Assemblée nationale, qui devenait par conséquent la même que celle des membres du

bureau de l’Assemblée nationale composé de vice-présidents, de secrétaires élus, de

questeurs, de présidents de commission, devait aussi amener les membres dudit bureau à

adopter une attitude passive, c’est-à-dire à inscrire leurs actions dans une logique qui

pouvait leur assurer leur reconduction, leur « réélection » ou plutôt leur désignation. Au-

260

Niang, Mody, Abdou Diouf : 40 ans au cœur de l’État socialiste au Sénégal, Paris : L’Harmattan, 2009, pp

86-87

Page 225: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

207

delà même de se voir copter dans le dit bureau, les députés socialistes en général, se

déployaient en fonction des intentions du président, comme en attestent ces propos relatifs

à la loi constitutionnelle du 5 avril 1991, qui devait ramener le mandat du président de

l’Assemblée nationale à cinq ans comme par le passé :

En 1984, les députés parlaient de globalisation, lorsqu’il s’agissait d’élire les

membres du bureau de l’Assemblée nationale. Tous les membres devaient être

élus pour un an, renouvelable sans doute. Mais voilà que l’expérience montre

que cette position aboutit à l’instabilité de la Présidence : en l’espace de sept

ans, trois présidents se sont succédés : ce qui donne une moyenne de deux à peu

près par président! On pourrait s’inquiéter, en effet, si l’on veut donner à la

fonction une certaine dignité susceptible de rejaillir sur l’Assemblée elle-même,

au moment où son président est le deuxième personnage de l’État. Il est

heureux que le bon sens ait repris le dessus en 1991. D’où ce passage de

l’exposé des motifs, digne d’une anthologie de poésie parlementaire : Cette

disposition, il faut bien en convenir, porte en elle-même, les sources de

l’instabilité d’une fonction aussi éminente que celle de Président de

l’Assemblée nationale qui, pour des raisons d’éthique politique, de stabilité et

d’efficacité dans le travail, doit inscrire son action dans la durée261

.

Donc, les députés du parti socialiste qui n’étaient donc membres du dit bureau, mais qui

nourrissaient l’ambition d’y accéder, devaient adopter la même attitude. Ils devaient avoir

un comportement partisan et engagé envers le président de la République qui était aussi le

secrétaire général du parti socialiste. Ce comportement devait être exempt de reproche, et

sans ambigüité à l’endroit du gouvernement et de ses politiques. Un soutien total et sans

faille; tel était le comportement que devait adopter les parlementaires pour bénéficier des

largesses du secrétaire général, et cela dans un contexte de politique d’austérité ou l’argent

à distribuer aux militants se faisait rare. Ce qui nous permet de dire que le Président avait

obtenu la possibilité de « discipliner » les parlementaires socialistes sans enfreindre, du

point de la forme, le principe sacré de la séparation des pouvoirs. Il avait réussi par une

démarche, et des procédés légaux, à fragiliser davantage le pouvoir législatif. Abdou Diouf

avait réussi, par l’entremise de cette réduction du mandat du président et du bureau, qui

261

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 143

Page 226: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

208

n’était rien d’autre qu’empiétement voilé, à avoir un contrôle sur l’institution parlementaire

pour contrer toute dissidence.

Même si le nouveau président n’avait pas de prise directe sur l’appareil de son

parti pendant qu’il était premier ministre (1970-1980), il a rapidement montré

sa capacité à construire son pouvoir en jouant les différents responsables de son

parti les uns contre les autres. La création d’associations satellites du Parti

socialiste (PS) se réclamant uniquement de la légitimité présidentielle facilitait

la capture des élites politiques promues par Abdou Diouf. La caractéristique

essentielle de ces dernières est qu’elles ne disposent pas des ressources et de la

popularité des chefs politiques traditionnels. Abdou Diouf n’avait pas intérêt à

s’investir dans le contrôle du Parti socialiste à la base car il avait confié ce

travail à son premier collaborateur, Jean Collin. Cependant, il avait réussi à

renforcer la dépendance des cadres de son parti vis-à-vis de la direction

politique et administrative de l’État, en augmentant les rivalités et la lutte des

clans et en rééquilibrant les relations entre son parti et l’administration. Cette

lutte des clans avait pour objectif l’accès à des ressources contrôlées par le

Président et Jean Collin. Elle a été accentuée par la situation économique qui,

en provoquant le rétrécissement des domaines d’interventions de l’État, a

diminué le nombre de sinécures mises en compétition262

.

Cette réduction du mandat ne visait pas à rendre plus efficace le fonctionnement de

l’institution, mais visait plutôt à avoir une mainmise sur l’Assemblée nationale et de son

président dont le poids politique dérangeait, pour parler du cas de Daouda Sow. Président

de l’Assemblée nationale, il était par conséquent pour ce qui était de l’ordre de préséance

protocolaire, la seconde personnalité de l’État. Cette position dans l’architecture étatique,

lui conférait de fait, le poste de numéro deux au niveau du parti socialiste avec le poste de

secrétaire général adjoint. Dans un contexte où le nouveau président faisait une chasse aux

sorcières aux « barons » pour asseoir son autorité et sa vision, ce « baron », dans l’esprit

politique du président, pouvait compromettre son autorité au sein du parti. « La

construction de l’hégémonie d’A. Diouf Ŕ avaient fait d’ailleurs remarquer Momar Coumba

Diop et Mamadou Diouf Ŕ reposait en grande partie sur le contrôle des appareils politico-

bureaucratiques se traduisant par des réformes constitutionnelles, un renouvellement du

262

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, « Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, et

après ? » dans La construction de l’État au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, p 104

Page 227: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

209

personnel politique, une tentative de moralisation de la vie publique (cour de répression de

l’enrichissement illicite), un rééquilibrage des rapports entre son parti et la CNTS263

».

Il ne serait donc pas faux de soutenir que la crise politique et institutionnelle de 1962 avait

amené les détenteurs du pouvoir exécutif à percevoir et à considérer le pouvoir législatif

comme une menace et un danger pour la stabilité politique, mais aussi et surtout un rival

qu’il fallait priver de ses réels pouvoirs. Cette perception avait ainsi amené le constituant

sénégalais à conférer aux détenteurs du pouvoir exécutif les pleins pouvoirs, et cela au

détriment du pouvoir législatif qui est à la démocratie, ce que le cœur est à l’organisme

humain. Un pouvoir exécutif fort, trop fort et assez fort pour s’arroger la prétention de

devoir dire, ce à quoi devrait être le pouvoir des légitimes représentants du peuple, inquiète

et surtout dans un contexte d’une demande de démocratisation de l’espace public pour

parler de l’esprit de la Baule.

En effet, pour le Président Mitterrand, compte tenu du fait que la démocratie, comme

modèle de gestion de la cité était incontournable, il était dans l’intérêt des gouvernements

africains de s’y préparer. Concrètement, il s’agissait pour les dirigeants gouvernementaux

africains de s’inscrire dans une dynamique réelle, et non formelle pour donner et accorder

une place réelle et égale à l’autre, entendu comme individu et société, opposition et société

civile, organisme et association, pour une gestion plus efficace de la cité. Autrement dit,

les responsables gouvernementaux devaient associer les précités à la gestion du pouvoir,

rendant ainsi l’ouverture démocratique nécessaire, indispensable voire incontournable.

Il nous faut parler de démocratie. C’est un principe universel qui vient

d’apparaître aux peuples de l’Europe centrale comme une évidence absolue au

point qu’en l’espace de quelques semaines, les régimes, considérés comme les

plus forts, ont été bouleversés. Le peuple était dans les rues, sur les places et le

pouvoir ancien sentant sa fragilité, cessait toute résistance comme s’il était déjà,

et depuis longtemps, vidait de substance et qu’il le savait. Et cette révolution

des peuples, la plus importante que l’on eut connue depuis la révolution

française de 1789, va continuer. Je le disais récemment à propos de l’Union

263

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Éditions Karthala, 1990,

p 115

Page 228: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

210

Soviétique, cette révolution est partie de là et elle reviendra de là. Celui qui la

dirige le sait bien, qui conduit avec courage et intelligence une réforme qui,

déjà, voit se dresser devant elle, toutes les formes d’opposition celles qui s’y

refusent, attachés au système ancien et celles qui veulent aller plus vite. Si bien

que l’histoire reste encore un jeu. Il faut bien dire que ce souffle fera le tour de

la planète. Désormais on le sait bien : que survienne une glaciation ou un

réchauffement sur l’un des pôles et voilà que le globe tout entier en ressent les

effets. Cette réflexion ne doit pas rester climatique, elle s’applique à la société

des hommes!...Enfin, on respire, enfin, on espère, parce que la démocratie est

un principe universel. Mais il ne faut pas oublier les différences de structures,

de civilisations, de traditions, de mœurs. Il est impossible de proposer un

système tout fait. La France n’a pas à dicter je ne sais quelle loi

constitutionnelle qui s’imposerait de facto à l’ensemble des peuples qui ont leur

propre conscience et leur propre histoire et qui doivent savoir comment se

diriger vers le principe universel qu’est la démocratie. Et il n’a pas trente-six

chemins vers la démocratie. Comme le rappelait M. le Président du Sénégal, il

faut un État, il faut le développement et il faut l’apprentissage des libertés…

Les mœurs, les traditions aussi respectables que les vôtres, l’histoire et la nature

des peuples, leur propre culture, leur propre façon de penser, tout cela pourrait

se réduire à une équation décidée dans une capitale du nord ? Vraiment, je fais

appel à votre raison, et je pense que nous nous connaissons assez pour savoir

que rien ne se fera entre nous en dehors du respect et de la considération que

nous nous devons. S’il y a contestation dans tel État particulier, eh bien ! Que

les dirigeants de ces pays en débattent avec leurs citoyens. Lorsque je parle de

démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis c’est la façon de parvenir

à un État d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande

liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections

libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature,

refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons 264

Au regard donc de ce qui est relaté pour comprendre la docilité des parlementaires à l’égard

du pouvoir exécutif et de ses politiques, il est aisé de comprendre, mais également pertinent

de soutenir, que les députés n’étaient pas dans une logique de contre poids ou de contre-

pouvoir, mais plutôt de support et de soutien. Élus pour la majorité d’entre eux, et sans être

préparés à ce rôle, il n’était pas évident pour eux de comprendre et de saisir la grandeur et

l’importance de leur rôle, surtout dans une République qui se définit comme une

démocratie. En vérité, le pouvoir exécutif socialiste ne leur demandait pas de comprendre

ce rôle, mais plutôt de comprendre leur rôle par rapport au parti socialiste et à ses militants,

et la logique clientéliste qui était générée par la realpolitik sénégalaise, devait amener les

264

Mitterrand François, Allocution : Séance solennelle d’ouverture de la 16ème

conférence des chefs d’États de

France et d’Afrique, Baule, 1990.

Page 229: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

211

parlementaires à penser à eux-mêmes d’abord, avant de s’occuper du militant et de la

société ensuite.

Les militants avaient des préoccupations qui n’étaient pas forcément les mêmes que ce

fameux « intérêt du peuple » que la conscience civique, voire républicaine exhorte à

privilégier. Ils avaient le plus souvent des problèmes ponctuels qui nécessitaient des

réponses ponctuelles, c’est-à-dire immédiates, et de nature souvent financière. Ils n’avaient

aucune conscience de ce pouvait être ou signifiait un « empiétement du pouvoir exécutif »

ou « un excès de pouvoir ». Ils n’avaient non plus aucune conscience de que pouvaient être

ou signifier « les directives du FMI ou de la Banque mondiale », ils pouvaient par contre

comprendre et sans grande difficulté que ça ne marchait pas bien dans leur pays, en ce sens

qu’ils n’avaient pas de travail pour la majorité d’entre eux, et qu’ils devaient passer par

l’autorité politique pour avoir une place dans certains établissements publics pour y

recevoir un « service ». Loin d’être un privilège, ce « service » était pourtant un droit.

Ce « droit », que la pratique clientéliste avait étouffé, nécessitait dans de nombreux cas,

l’intervention de l’autorité politique, pour pouvoir être effectif. Pour des choses simples, et

relevant même du simple fonctionnaire, l’intervention de l’autorité politique était souvent

demandée pour leur obtention. Les politiciens, socialistes pour être plus précis, s’étaient

accaparés de l’Administration et de ses agents, et cela pour le compte du parti socialiste.

Cette réalité avait amené les populations, urbaines et rurales, de sensibilité socialiste ou

autre, à les solliciter sporadiquement ou régulièrement, et presque dans tout. Grandes

victime du PAS (Programme des Ajustements Structurelles) et de ses politiques, le

gouvernement n’avait pas estimé utile et important de consulter les populations pour

recueillir leur avis, ou à obtenir leur consentement pour la mise en application d’un

programme qui Ŕ faut-il le rappeler Ŕ avait pour finalité ultime de les servir.

D’une manière générale, s’agissant de l’organisation des pouvoirs, on remarque

que les différentes constitutions sénégalaises ont servi non à diminuer et à

permettre un contrôle mais à fortifier le pouvoir de l’exécutif. Elles ont

toujours déterminé les détenteurs de l’autorité, localisé les subordonnés, exclu

les dominés du champ politique et fixés les rôles respectifs dominants/dominés,

Page 230: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

212

insisté sur la consécration du leader et affirmé l’unité du pouvoir et le

monocentrisme265

Que les populations aient été exclues lors de la mise en place des grandes politiques était un

caractère de la pratique gouvernementale sénégalaise. Cette exclusion de ces premiers

concernés était un indicateur de l’indifférence que les autorités gouvernementales avaient à

l’endroit des populations. Que cette indifférence ait été justifiée par la nécessité de mettre

en place des politiques économiques jugées nécessaires voire indispensables, ne saurait

légitimer une attitude qui n’avait pas sa place dans une République. Cette attitude ne

pouvait avoir sa place que dans le cadre d’une gestion totalitaire de la cité, et tel était le cas

avec la mise en place du PAS. Contrairement donc à son prédécesseur, le président Abdou

Diouf avait choisi de pas informer les populations.

Le président Senghor, en partant, avait tenu à avertir les populations dans son dernier

message à la nation. Il les avait préparé à la dureté des mesures qui allaient être prises par

son successeur qui Ŕ il est important de le rappeler Ŕ a été son premier ministre pendant une

décennie, plus précisément de 1970 à 1980, donc comptable de cette gestion, et au premier

plan. Il avait ainsi tenu à préciser aux populations que leur endurance allait durer quatre

années, et devait par conséquent prendre fin en 1984. Vérité ou mensonge, il ne nous

apparaît pas pertinent de vérifier l’exactitude ou la fausseté de cette assertion. Nous tenons

par contre à préciser que c’est toutefois après cette date que les populations devaient

commencer à vivre les effets désastreux du PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Elles ont été mises devant le fait accompli. La mise en œuvre du PALMT (Plan de

redressement économique et financier à long et moyen terme) sur une période de sept ans

(1985-1992) avait provoqué un mal vivre profond des populations en raison des politiques

qui étaient appliquées. Elles en ont souffert, et à tous les niveaux

265

Diop, Momar Coumba & Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris : Éditions Karthala, 1990,

p 113

Page 231: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

213

Les travailleurs dans leur immense majorité, avaient subi avec la plus grande impuissance,

les assauts de certaines réformes économiques qui devaient les amener vers la perte de

toutes les garanties qui pouvaient provenir de l’employeur. Par contre, ils avaient une

certitude : ils savaient qu’ils pouvaient perdre leur emploi à tout moment. Les populations

autant urbaines que rurales, qui étaient les grandes cobayes du PAS, devaient également

subir les assauts de ces réformes, censées pourtant améliorer leur sort, mais dans le long

terme selon le gouvernements et ses principaux créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI-

Banque mondiale). Elles n’avaient aucune idée de la durée de ce « long terme », et le

gouvernement tout comme le FMI et la Banque mondiale ne le savaient pas non plus. Elles

savaient par contre que ça n’allait pas bien comme l’indiquait leur quotidien qui était

difficile à tous les niveaux. Se nourrir adéquatement ou décemment était loin d’être évident

pour la majorité des ménages, qui devaient composer avec la hausse des denrées dites de

premières nécessités (riz- huile Ŕ sucre) et une dévaluation qui avait affaiblit la monnaie

locale.

L’assainissement des finances publiques qui était la grande et l’unique préoccupation du

gouvernement, avait amené le président Abdou Diouf et ses hommes, à privilégier et à

suivre méticuleusement la démarche qui était prescrite par les principaux créditeurs ou

bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale. Augmenter les denrées

dites de premières nécessités, réduire de façon considérable la taille de la fonction publique,

considérer le licenciement comme une méthode de gestion de l’économie au nom de

l’efficacité et de la rentabilité, tels étaient l’essence et la substance des grandes politiques

du PAS.

A la passiveté et au support partisan des parlementaires du parti socialistes, les populations

avaient exprimé, par le canal des manifestations, leur désaccord mais également leur

opposition par rapport à ces politiques qui étaient imposées par des instances autres que

celles nationales. En ignorant les représentants du peuple dans la mise en place du PAS, et

en faisant abstraction totale de l’avis et du consentement des populations, le gouvernement

savait pertinemment que sa démarche était en porte à faux avec celle que prescrit le procédé

démocratique, en ce sens que la démocratie se veut, et s’est toujours voulu un cadre de

Page 232: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

214

concertation et de consultation. C’est ce qui d’ailleurs fait et fonde à la fois sa particularité,

mais aussi sa singularité, et cela par rapport à toute autre méthode de gestion du corps

social.

Recueillir l’avis des populations et prendre en considération cet avis dans le meilleur des

cas, est indissociable de la pratique démocratique. Une démocratie s’apprécie, et ne peut

d’ailleurs s’apprécier que par rapport à l’intérêt, et à l’importance que ses acteurs accordent

au processus démocratique qui Ŕ faut-il le souligner - confère à la démocratie toute sa

crédibilité. Aussi est-il important de souligner qu’il y a des intentions politiques qui, nobles

et pieuses soient elles, doivent être soumises à la sanction des populations ou de ses

légitimes représentants en raison des conséquences que la mise en pratique de ces

intentions pourrait avoir sur la vie des populations. Ce n’est ni le hasard et encore moins la

coïncidence qui ont amené l’individu et la communauté, à combattre ces procédés qui

réduisent au silence et qui ont pour noms : absolutisme, despotisme ou totalitarisme. C’est

au nom de la liberté certes, mais également au nom de ce besoin de rappeler à l’autorité en

charge de leur cité qu’ils existent, et que par conséquent, leur avis devrait être pris en

considération.

Sous cet angle la démocratie est, et reste un cadre de refus. Ce refus qui peut être pluriel

dans ses formes, est perceptible chez le citoyen dans les républiques ou le sujet dans

certaines monarchies, dans ces manifestations de rue ou dans ces marches pacifiques qui

ont pour but de revendiquer, de dénoncer ou combattre tout arbitraire provenant de

l’autorité du politique ou de ses représentants attitrés. Respectueuse de l’individu et de la

collectivité, la démocratie est aussi un cadre d’écoute qui donne aux membres de n’importe

quelle société, la possibilité de pouvoir exprimer sa pensée, de la défendre, de la faire valoir

et prévaloir en autant qu’elle s’article et emprunte une démarche qui ne porte pas préjudice

aux autres membres de la collectivité. Elle ne peut et sous aucun prétexte exclure un

individu ou une partie de la société au motif que leur avis ou leur opinion n’est pas

important ou n’est pas pertinent pour l’intérêt général ou national. C’est cette raison et la

seule d’ailleurs qui fait que la démocratie à fait de l’égalité des conditions une valeur aussi

sacrée et fondamentale que la liberté.

Page 233: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

215

Une véritable démocratie doit donc être respectueuse envers l’individu, et la collectivité des

individus qui n’est rien d’autre que la société. Elle se doit non seulement de prendre en

considération leur avis, mais se doit d’aller les chercher directement ou indirectement via

les canaux de la représentation et de l’expression citoyenne. Autrement dit, il incombe aux

autorités dirigeantes le devoir, mais aussi l’obligation d’offrir aux populations, la possibilité

de pouvoir s’exprimer par eux-mêmes ou par la voie de leurs légitimes représentants. Une

démocratie ne s’apprécie pas à travers un texte, si important soit-il, mais dans la pratique.

Cela pour dire que son inscription dans la Constitution ne lui confère aucune crédibilité.

Aussi, est-il important de faire remarquer que seules les populations sont habilitées à faire

cette appréciation.

Que la mise en place d’une politique économique jugée inévitable et incontournable amène

les autorités gouvernementales à se soustraire de l’avis des populations n’est pas

respectueuse de la démocratie qui se veut un cadre d’écoute et de consultation. Cette

attitude du gouvernement n’est pas également conforme au processus démocratique qui

exige l’obligation d’aller recueillir l’avis des populations. Ce procédé, imputé au PAS

(Programme des Ajustements Structurels) comporte toutefois des limites dans la mesure où

il a rang de coutume dans la pratique gouvernementale en raison de certaines similarités

observables d’abord avec les institutions existantes, et avec la mise en place de certaines

institutions ensuite. Se soustraire de l’avis des populations, mais également de celui des

institutions que la mise en place des politiques (Restructuration du secteur public et

parapublic Ŕ Nouvelle Politique Agricole Ŕ Nouvelle politique industrielle) avait permis à

rendre visible ce que nous avons appelé une démocratie institutionnelle et qui est

contemporaine au PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Page 234: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

216

Page 235: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

217

VI. LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES SUR LE RÉGIME POLITIQUE

Les politiques préconisées dans le cadre du PAS (Programme des Ajustements Structurels),

au-delà de leurs conséquences sociales assez néfastes sur les populations, ont engendré

aussi des conséquences au plan politique. Autrement dit, la mise en place des grandes

politiques publiques (Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ Nouvelle Politique

Agricole Ŕ Nouvelle Politique Industrielle) avait favorisé une redéfinition du rôle de l’État

en tant qu’entité institutionnelle, qui n’était pas sans répercussions sur le pouvoir exécutif

et le pouvoir législatif. En effet, le rôle prépondérant joué par les premiers représentants de

l’État, à savoir le gouvernement, devait les amener à renoncer à leur prérogative

constitutionnelle pour la mise en place des réformes qui étaient dictées par les principaux

créditeurs ou bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale.

Le pouvoir exécutif, habilité par la Constitution à avoir l’initiative dans la formulation des

politiques publiques, devait s’éclipser devant ses argentiers qui devaient s’en approprier

pour ensuite en définir les grandes lignes. Cet effacement de l’autorité exécutive devait le

confiner dans ses prérogatives régaliennes pour assurer l’ordre et la sécurité dans un

contexte où le mécontentement des populations devait être encadré. Un tel fait n’était pas

sans répercussions sur le régime politique entendu comme « la façon dont un gouvernement

s’organise sur les plans politique, économique et social pour gouverner un État266

». Il

fallait sécuriser l’espace public, nécessaire et indispensable au succès de l’économie, et le

pouvoir exécutif garant de l’ordre et de la sécurité selon la Constitution devait s’en

acquitter avec détermination et efficacité.

À cette première conséquence au plan politique occasionnée par la mise en place des

réformes exigées par les créditeurs ou bailleurs de fonds, devait s’ajouter le manque ou

l’absence d’implication du corps législatif dans la mise en place des grandes politiques. La

détermination du président de République de mettre en pratique les directives du FMI et de

266

Ouellette, Réjean, Le système politique canadien et ses institutions, Moncton : Les Éditions d’Acadie,

1990, p 11

Page 236: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

218

la Banque mondiale, l’avait amené à se soustraire de l’avis des parlementaires. Cette

attitude était toutefois justifiée par la quasi-certitude du chef de l’État, mais également chef

du parti socialiste, de pouvoir compter sur le soutien des parlementaires socialistes qui

étaient majoritaire à l’Assemblée nationale. En dépit des politiques impopulaires,

confirmées par des manifestations urbaines accompagnées d’une certaine violence, les

parlementaires socialistes avaient pris fait et cause pour le secrétaire général du parti

socialiste.

Cette prépondérance de fait affichée du pouvoir exécutif par rapport au pouvoir législatif,

loin d’être imputable au PAS (Programme des Ajustements structurels) était la résultante de

la volonté du constituant. En se passant donc de l’avis des légitimes représentants du

peuple, il est légitime de présumer de le gouvernement n’avait point songé à recueillir

l’avis des populations, et encore moins chercher à avoir leur consentement pour la mise en

place de ces politiques censées pourtant les servir. Ce comportement qui était aux

antipodes de ce que prescrit et conseille la pratique démocratique, était une pratique

courante sous le magistère du président Abdou Diouf (1980-2000).

VI.I DE L’ABSENCE DE CONSULTATION ET DU MANQUE DE CONSENTEMENT DES POPULATIONS DANS LA MISE EN PLACE DES GRANDES POLITIQUES PUBLIQUES

La mise en place du Programme des Ajustements Structurels a été faite de façon

unilatérale. En effet, cette mise en place a été gérée exclusivement par le gouvernement, et

plus particulièrement par le président de la République qui était la totalité du pouvoir

exécutif après la suppression du poste de premier ministre en 1983. « Le Sénégal retrouve

donc le régime présidentiel d’avant 1970. Fort de sa légitimité populaire, le président

Diouf peut reprendre en main tout le pouvoir exécutif et se retrouver seul commandant à

bord267

». Loin d’être un hasard, cette suppression devait permettre au chef de l’État

d’avoir les mains libres pour mettre en place les réformes qui étaient demandées par le FMI

(Fonds Monétaire Internationale) et la Banque Mondiale.

267

Niang, Mody, Abdou Diouf: 40 ans au Cœur de l’État socialiste au Sénégal, Paris: L’Harmattan, 2009, p

77

Page 237: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

219

Le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) touchait à son terme en 1984

pour se voir succéder par le PALMT (Plan d’ajustement économique et financier à long et

moyen terme) dont les politiques (Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ

Nouvelle Politique Agricole Ŕ Nouvelle Politique Industrielle) ont été très affligeantes pour

les populations. Si le président Senghor avait pris la précaution dans son dernier message à

la nation au soir du 31 décembre 1980 de porter à l’attention des populations que les quatre

prochaines années allaient être difficiles, il en était différemment avec le président Abdou

Diouf. Ce plan qui avait une durée de sept années (1985-1992) a été un véritable calvaire

pour les populations.

Au même titre donc que les parlementaires, les populations autant urbaines que rurales

devaient se contenter d’être devant le fait accompli. Autrement dit, elles devaient prendre

acte que le gouvernement avait unilatéralement décidé de mettre en place certaines

politiques et réformes jugées nécessaires et incontournables. Ignorées par le gouvernement

lors de la mise en place du PAS dont les politiques et les réformes allaient être assez

éprouvantes au plan social, les populations devaient tout simplement en subir les

conséquences. Le gouvernement savait par contre que les nouvelles politiques qui devaient

être prises dans le cadre du PALMT (Plan d’ajustement économique et financier à long et

moyen terme) allaient être difficiles pour les populations au plan social. A ce denier

niveau, Abdou Diouf avait opté la politique du silence.

Bien que la notion du désengagement de l’État avait pris place dans le discours

gouvernemental, les populations étaient loin de s’imaginer que cette politique qui était tant

vantée par les autorités, allait leur causer un préjudice sans précédent. Les médias d’État en

avaient certes parlé, mais dans l’esprit de la majorité des populations, ces politiques étaient

loin d’être bien comprises. Les populations étaient loin également de s’imaginer que le

slogan du moins d’État, mieux d’État était porteur d’une rupture qui devait se matérialiser

par la disparition de l’empathie et de l’humanisme étatique. Le PAS (Programme des

Ajustements Structurels) qui avait pour objectif principal de corriger le mal économique,

devait amener le gouvernement à mettre un terme à tout programme ou politique ayant un

caractère social.

Page 238: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

220

Les populations étaient loin de comprendre les mesures que le gouvernement leur annonçait

avaient été prises par des instances autres que celles nationales. Ces mesures présentées

non seulement comme nécessaires, mais indispensables et incontournables devaient

faciliter leur réceptivité auprès des populations. Loin de les approuver, les populations ne

devaient pas tarder à exprimer leur mécontentement. La cherté des denrées dites de

premières nécessités, les compressions du personnel au niveau de la fonction publique, les

licenciements massifs du secteur privé, la suppression des subventions, etc, avaient amené

les populations à user de la violence pour amener le gouvernement à revoir ses politiques.

Découragées par des politiques censées améliorer leur condition de vie, les populations

autant urbaines que rurales étaient déterminées à y mettre un terme en raison de leur

condition de vie qui ne cessait de se dégrader. Instrumentalisées par l’opposition et les

centrales syndicales opposées au régime, elles demandaient implicitement au gouvernement

de renoncer aux réformes exigées et demandées par les principaux créditeurs ou bailleurs

de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale. Elles n’étaient associées ni de

près ni de loin à la mise en place de ces politiques qui peinaient à donner les résultats

attendus par le gouvernements et ses principaux créditeurs ou bailleurs de fonds.

On peut comprendre leur amertume et leur mécontentement qui étaient non seulement

justifiés, mais légitimes de surcroît. On peut également comprendre leur exaspération et

leur désespoir par rapport à des politiques ou des réformes qui les avaient placées dans un

mal vivre sans précédent. On peut aussi comprendre le rejet du PAS par ces mêmes

populations dans la mesure où elles ont été exclues dans tout le processus de sa mise en

œuvre. Mais une question s’impose et doit être posée, était-il dans l’intérêt des populations

de surseoir au PAS ?

Page 239: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

221

Une telle question mérite d’être posée dans la mesure où les raisons qui ont justifiées la

mise en place du Programme des Ajustements Structurels sont toujours présentes.

Autrement dit, les raisons qui avaient amené les gouvernements africains à faire appel au

Fonds monétaire international et à la Banque mondiale sont toujours d’actualité.

L’économie n’est pas seulement en crise, elle suffoque également et les gouvernements ont

de la peine à assurer les services sociaux de base que sont la santé et l’éducation. Le mal

vivre est saisissant et est amplement illustré par ces populations qui envahissent les

pirogues artisanales pour s’exiler illégalement vers les cieux du nord pour donner un sens à

une vie qui les condamne à ne pas être. Barsakh (l’au-delà) ou Barça, tel est maintenant au

Sénégal, la devise de ceux et celles qui empruntent les chemins meurtriers de la mer, au

prix de toute leur économie pour se faire une place au soleil.

Le Sénégal est toujours sous ajustement, et la Banque mondiale et le FMI continuent à

émettre leur « recommandation », et ce qui est valable pour le Sénégal l’est également pour

les autres pays de la sous-région. Il est unanimement accepté que le mal vivre des

populations ne peut trouver sa solution que dans une économie prospère, créatrice par

conséquent d’emploi, donc de source de revenu. Mais cette économie « salvatrice » n’est

pas donnée pour dire simplement qu’elle se travaille, et nécessite des sacrifices qui rendent

obligatoire l’implication des populations. Mais Ŕ fait remarquer la Banque mondiale, il faut

« mener l’ajustement à son terme268

». Le consentement des populations pour la mise en

place des politiques pour parvenir à cette économie salvatrice, est même suggéré par les

bailleurs de fonds comme en attestent ces propos :

Un programme de réforme économique ne peut réussir que si l’État en prend la

responsabilité. Mais, cette prise de responsabilité ne doit pas se limiter aux

pouvoirs publics. Les responsables politiques doivent favoriser la création d’un

large consensus sur la nécessité des réformes, afin que le bénéfice du

programme d’ajustement ne soit pas accaparé par de puissants groupes

d’intérêts. L’un des principaux défis que posera aux États comme aux bailleurs

de fonds la prochaine génération de programmes d’ajustement sera de trouver le

268

Banque mondiale, Rapport sur les politiques de développement : L’Ajustement en Afrique : Réformes,

résultats et chemin à parcourir, Washington, 1994, p 10

Page 240: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

222

moyen d’en faire reconnaître de plus en plus la nécessité et l’intérêt par la

population269

.

Ces propos de Michael Bruno; vice-président; Économie du développement et économiste

en chef à la Banque mondiale renvoie à deux constats. Pour ce qui est du premier constat,

il porte sur une information à la fois importante, mais également surprenante Le PAS

(Programme des Ajustements structurels) n’est pas terminé pour les pays africains. Il n’est

pas terminé non pas parce que le FMI et la Banque ont échoué dans leurs nobles objectifs,

mais parce que les objectifs n’ont pas encore été atteints, et surtout au plan social. Au plan

économique, il est important de mentionner que l’objectif n’a pas encore été atteint, même

si les indicateurs affichaient pour le Sénégal, un certain succès vers la fin de règne du

président Abdou Diouf.

La dévaluation et les réformes qui ont suivi ont permis au Gouvernement

d’obtenir des résultats tangibles au plan des performances macro-économiques,

comme le montre plusieurs indicateurs tels que le niveau du déficit global des

finances publiques, le solde de la balance des paiements, le taux de l’épargne

intérieure et le taux de croissance. Mais on note aussi, depuis la dévaluation du

F CFA, une tendance à la baisse des flux d’aide extérieure, alors que les besoins

en financement du Sénégal augmentent270

.

Le mal économique responsable de la pauvreté dans la quasi-totalité des pays africains doit

être corrigé. Les économistes du nord comme sud, et leurs gouvernements respectifs sont

d’accord à ce niveau. Il y a donc unanimité des points de vue à ce niveau. Il est

unanimement admis que la situation des pays africains dans leur quasi généralité est

profondément inquiétante. Que ça soit en Afrique de l’Ouest ou en Afrique Centrale et

même dans certains pays du Maghreb, la situation est pratiquement la même. On constate

une pauvreté criarde qui interpelle la conscience humaine. Il faut trouver une solution, et

cet impératif a rang d’absolu.

269

Banque mondiale, « Avant-propos », Rapport sur les politiques de développement: L’Ajustement en

Afrique: Réformes, résultats et chemin à parcourir, Washington : Banque mondiale, 1994. 270

Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

l’État au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, p 68

Page 241: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

223

Pour ce qui est du deuxième constat, il porte sur la nécessité d’impliquer les populations

pour parvenir à un consensus qui Ŕ nous rappelons Ŕ est indispensable au succès des nobles

objectifs du PAS. Est-il besoin de préciser qu’il n’a jamais été dans l’intention des

concepteurs du PAS d’appauvrir les masses de l’Amérique latines ou celles africaines. Est-

il également besoin de rappeler que la dureté de la thérapie du PAS s’est voulue

initialement une démarche pour corriger un mal économique qui avait pour origine des

maux qui avaient pour noms : corruption Ŕ concussions Ŕ détournements de fonds publics Ŕ

gabegie, etc. La prise en considération de la dimension sociale qui est intervenue 1990

après le constat d’une paupérisation des populations des pays africains qui étaient sous

ajustement, fonde un espoir sur lequel il faudrait miser. Il faudrait toutefois selon la

Banque mondiale `« mener l’ajustement à son terme » et de préciser ce qui suit :

Si l’on s’inspire des expériences réussies ailleurs tout en tenant compte des

conditions propres aux pays d’Afrique subsaharienne, trois principes devraient

guider les gouvernements africains dans leurs futurs programmes de réformes.

Appliquer la politique macroéconomique qui s’impose. Il faut contenir les

déficits budgétaires de manière à maîtriser l’inflation et éviter les problèmes de

balance de paiements, et pratiquer des taux de change réalistes pour être plus

compétitif sur les marchés internationaux et soutenir la convertibilité de la

monnaie. Encourager la concurrence. Comme la concurrence incite aux

gains de productivité et que les entreprises soumises à la concurrence sont plus

efficaces que celles qui ont un accès privilégié aux crédits ou aux devises, il

faut impérativement la renforcer en Afrique par la déréglementation, la réforme

du commerce et la privatisation des entreprises publiques. Utiliser au mieux

des moyens institutionnels limités. Parce que la plupart des pays africains ont

des moyens limités pour bien gouverner, la priorité devrait aller aux réformes

de nature à réduire au maximum les interventions injustifiées de l’État sur les

marchés. Il faudrait, par exemple, supprimer les offices de commercialisation,

privatiser les entreprises publiques et remplacer les restrictions à l’importation

par des tarifs douaniers271

.

271

Banque mondiale, Rapport sur les politiques de développement : L’ajustement en Afrique : Réformes,

résultats et chemin à parcourir, Washington, Banque mondiale, 1994, p 10

Page 242: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

224

Le FMI et la Banque mondiale, malgré les critiques les plus acerbes dont ils ont été l’objet,

acceptent de continuer de faire leur chemin avec une Afrique qui a perdu sa crédibilité

devant les créditeurs ou bailleurs de fonds classiques, mais également et surtout auprès de

sa population. Le constat du citoyen ou de la citoyenne est la même dans presque toutes les

pays africains : ça ne marche pas. Et malgré ce constat qui est quasiment le même partout,

certains de ses fils continuent encore à expliquer ce retard en ayant recours à ces faits

historiques qui ont pour nom esclavage et colonisation, pour inscrire leur action dans un

combat qui a pour nom néocolonialisme, et qui a perdu au fil du temps sa pertinence. Un

tel combat, loin d’aider concrètement les masses africaines de nos jours, a choisi

volontairement de ne pas porter un regard sur la gestion post coloniale, responsable en

grande partie du mal économique et sociale.

En dépit donc des critiques formulées à l’endroit du PAS (Programme des Ajustements

Structurels), plus précisément au regard de l’impact de ses politiques en rapport avec le

difficile quotidien des populations, il convient de faire remarquer qu’il constitue, du moins

pour le moment, la seule alternative qui s’offre aux gouvernements africains. Mais cette

alternative doit consacrer une part importante à la mise en place de mécanisme de contrôle

pour un suivi efficace des décaissements qui - faut-il le rappeler Ŕ avait rang de priorité

pour les gouvernements. Et rien ne nous garantit que les décaissements qui ont été fait

jusqu’à maintenant ont été utilisés par les gouvernements pour trouver une solution au mal

endémique des populations.

Il est d’ailleurs plus pertinent de penser le contraire en ce sens que le train de vie de l’État,

supposé pourtant pauvre et sans ressources, oblige et soulève des questionnements.

Voyageant le plus souvent en première classe, logeant dans des hôtels qui ont pour noms

Waldorf ou Ritz durant leur séjour dans des villes comme New York ou Paris, circulant

dans des véhicules de marque pour parler des membres du pouvoir exécutif, il est non

seulement pertinent mais légitime de penser que les politiques d’austérité ne s’appliquaient

pas pour les dirigeants gouvernementaux. Ce sont de tels faits Ŕ et pas les seuls Ŕ qui ont

fait que les populations ont perdu toute confiance envers leurs hommes politiques. Ce sont

Page 243: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

225

également de tels faits qui ont fait également que les dirigeants gouvernementaux ont perdu

toute crédibilité devant les populations.

Que le FMI et la Banque mondiale acceptent d’accompagner les pays africains malgré cette

double perte de crédibilité est assez illustratif de ce souci que se fait une certaine

communauté internationale face à une Afrique qui a de la difficulté à s’en sortir. Que ces

institutions décident surtout de les accompagner dans la quête d’une solution pour la mise

en place d’une économie non déficitaire, seule alternative crédible pour combattre le

chômage criard et son corollaire la pauvreté, est un geste qui mérite d’être encouragé. Mais

il faut se faire une religion en ce sens que cette démarche, mieux cet accompagnement ne se

fera pas sans conditions. Cet accompagnement se fera avec les conditions des principaux

créditeurs et des bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale qui Ŕ est-

il nécessaire de le rappeler Ŕ ne sont pas des sociétés philanthropiques. Cet

accompagnement se fera selon les exigences et la rigueur de cette conditionnalité qui Ŕ

faut-il le rappeler Ŕ fait partie des outils de gestions du FMI et de la Banque mondiale.

Il est également important de se rappeler que la liberté qui est à la fois la substance et

l’essence de la démocratie, importante et utile soit elle, n’est pas sans conditions. Mieux

elle n’a jamais existé sans condition pour dire tout simplement qu’elle est faite de

contraintes qui sont nécessaires à son effectivité. Elle a pour première contrainte la « Loi »

qui n’interdit pas tout, mais également ne permet pas tout. Cette liberté a également pour

contrainte la société avec ses normes et ses valeurs sans lesquelles son existence ne serait

pas possible. Cette liberté des sociétés démocratiques à enfin comme contrainte Ŕ sans être

exhaustif Ŕ l’individu, c’est-à-dire l’autre dont le respect et la prise en considération sont

nécessaires pour une meilleure effectivité de cette liberté.

Vue et considérée sous cet angle, la « conditionnalité » des créditeurs ou des bailleurs de

fonds, soumise à l’appréciation des populations ou de leurs légitimes représentants, n’est

plus une perte de souveraineté une fois qu’elle est acceptée par la société ou ses

représentants attitrés. L’acceptation des contraintes par les populations, loin d’être une

Page 244: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

226

perte de souveraineté, est plutôt une manifestation de cette souveraineté dans la mesure où

elles le reflet de leur libre choix. Cette acceptation par les populations confère par la même

occasion une légitimité pleine et entière aux principaux créditeurs ou bailleurs de fonds

pour agir en toute quiétude et liberté. Ils auront ainsi non seulement leur accord, mais

également leur support et leur soutien pour mettre en place les réformes appropriées qui Ŕ

faut-il le rappeler Ŕ ne visent ultimement qu’à améliorer leur condition sociale et

économique.

S’il est vrai que les gouvernements africains n’ont pas d’autres recours présentement pour

faire face au mal endémique et chronique de leur économie, s’il est vrai également que la

solution pour les gouvernements est de mener à terme les réformes exigées et demandées, il

s’avère par conséquent «obligatoire» d’impliquer ceux et celles qui devraient faire les frais

des politiques d’austérité. Cette obligation d’implication que nous considérons comme un

impératif démocratique doit s’entendre comme ce devoir moral des autorités exécutives

d’aller vers les populations que les urgences de l’heure recommandent. Les gouvernements

sous cet angle doivent aller vers les populations non pas seulement par devoir

démocratique, mais également par obligation civique dont la portée Ŕ est-il important de le

mentionner - est éminemment démocratique. Ils doivent par conséquent porter à l’attention

et à la sanction des populations le PAS en tant que projet économique pour légitimer une

démarche qui ne vise qu’à profiter ultérieurement à l’ensemble de la société.

Concrètement il s’agit de les associer dans le processus de mise en place des politiques du

PAS. Autrement dit, il s’agit de les amener à s’approprier le PAS, de le percevoir comme

une politique d’utilité publique, et éventuellement de comprendre que sa réussite exige des

sacrifices de leur part. À la manière d’un médecin qui explique à un malade que le

traitement de son cancer doit nécessairement passer par la chimiothérapie qui n’est pas sans

conséquence sur son physique, les autorités gouvernementales doivent avoir le courage et la

sagesse de faire comprendre aux populations, que les politiques d’austérité sont

incontournables. Cela n’est rien d’autre que la transparence, et loin de fragiliser l’action

gouvernementale, cette attitude salutaire et nécessaire en démocratie, lui donne du crédit

dans ce présent où l’apathie politique des masses est à son comble.

Page 245: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

227

Cette démarche renvoie également au-delà de la forme et du fond, à l’essence même de la

vie en société qui requiert le consentement de l’ensemble ou de la majorité de ses membres

pour la mise en place de ses projets. Elle suscite autant chez l’individu que la collectivité,

le sentiment de se sentir utile et d’être également considéré par leurs légitimes mandataires.

Cela pour dire que dans un contexte où la solution pour les gouvernements africains se

trouve dans le PAS, le fait d’impliquer les populations dans la mise en place des politiques

ou des réformes exigées, en plus d’être une exigence par rapport au processus

démocratique, est également une nécessité au regard des avantages que les populations

pourraient en tirer.

Par ailleurs, la résistance par le haut observée dans la mise en place de certaines politiques

ou réformes exigées par les principaux ou créditeurs bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque

mondiale), qui n’était rien d’autre que le refus, entendu comme cette réticence ou cette

lenteur des dirigeants gouvernementaux à mettre en place les réformes exigées, rend plus

que nécessaire cette implication des populations. Cette lenteur ou cette réticence des

dirigeants gouvernementaux à s’exécuter, loin d’être de la mauvaise foi, a été souvent

déclenchée par les pressions que les populations exerçaient sur le gouvernement pour

l’amener à revoir ses politiques.

Instrumentalisées par l’opposition, et soutenues par les différentes centrales syndicales, les

populations par le canal des manifestations ou des émeutes assez violentes, avaient amené

le gouvernement à revoir ses mesures d’urgences de septembre 1993. De telles scènes

amènent les dirigeants gouvernement à faire preuve de bon sens, mieux à faire ce que le

devoir républicain suggère ou conseille de faire, à savoir ; surseoir ou différer la décision,

tempérer pour faire reculer la colère des masses. De telles scènes qui obligent les

gouvernements à dénaturer la substance même des réformes ou des politiques, rendent

encore une fois de plus nécessaire l’implication, mais surtout le consentement des

populations pour la mise en place et le succès du PAS (Programme des Ajustements

Structurels)

Page 246: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

228

Le consentement qui est l’adhésion ou l’acceptation des populations au projet, programme

ou politique des autorités exécutives, donne non seulement du crédit à l’action

gouvernementale, mais lui confère également une légitimité pleine et entière. Il permet au

gouvernement de faire l’économie des grèves et des contestations qui peuvent ralentir ou

compromettre les ambitions les plus nobles. Le consentement suscite autant chez l’individu

que la collectivité ce sentiment citoyen, empreint de civisme qui amène à prendre soin du

bien public, plus particulièrement de ce bien auquel les populations ont consentit.

L’adhésion volontaire des populations au PAS, seule alternative du moment pour corriger

le mal économique, devrait toutefois amener les institutions de Bretton Woods à renforcer

leurs conditionnalités en exigeant des gouvernements africains la mise sur pied d’un outil

de contrôle pour sécuriser les décaissements.

Concrètement, cela veut dire que le FMI et la Banque mondiale devraient exiger des

gouvernements prestataires du PAS une gestion transparente des décaissements pour

s’assurer qu’ils seront utilisés dans l’intérêt des populations. Ce plus de conditionnalité,

dont le fond se trouve déjà élaboré dans la gouvernance économique, viserait plutôt à

encadrer les décaissements au nom des populations, ces laissés pour compte des

gouvernements, de manière à les faire bénéficier et profiter des retombées positives des

politiques ou des réformes. Est-il nécessaire de rappeler que le PAS n’a pas partout

échoué. Il a été un succès dans certains lieux en ce sens qu’il a donné les résultats

économiques attendus, devant permettre aux populations d’en tirer l’usufruit. Mais cet

usufruit, dans un contexte où les autorités exécutives sont déficitaires par rapport à cette

vertu politique dont fait état Montesquieu, « ce renoncement à soi-même qui est toujours

une chose très pénible272

» rend plus que jamais nécessaire la mise en place de cet outil de

contrôle.

272

Montesquieu, Charles Louis de Seconda, De l’esprit des lois, Paris : Éditions Gallimard, 1995, p 137

Page 247: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

229

Loin d’être une quelconque ingérence à la politique intérieure, loin également de fragiliser

cette fameuse souveraineté, déjà fragilisée par un manque de moyens à tous les niveaux, ce

plus de conditionnalité, que l’empathie envers les masses pauvres et sans alternative

salutaire justifie ou justifierait, aurait rang d’un outil de contrôle. La situation des pays

africains dans leur quasi-totalité pose problème, et la gestion des dirigeants

gouvernementaux n’est pas étrangère à cela. Les populations restent les cobayes des

politiques, mais font également les frais de cette mauvaise gestion. Elles continueront d’en

faire les frais tant et aussi et longtemps que fera défaut l’existence de véritables

mécanismes de contrôle pour veiller à une saine utilisation des finances publiques. Cet

outil de contrôle serait également un moyen pour sécuriser le consentement des populations

advenant le cas. Sa mise en place est de l’ordre du possible.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le processus démocratique repose essentiellement sur la

consultation. Ce processus qui n’est rien d’autre qu’une démarche, est justifié par la

recherche de ces consentements qui ont pour noms unanimité ou consensus, et qui sont

nécessaires à la mise en place de structures à travers lesquelles les populations puissent se

reconnaitre pour adopter un comportement empreint de civisme. Cette attitude citoyenne,

garant de la pérennité de toute institution, passe par la prise en considération de l’individu

et de la collectivité dans la mise en place des politiques publiques, qu’elles soient de nature

sociale, économique ou autre. Ce processus ou cette démarche qui vise à recueillir l’avis

du corps citoyen est incontournable en démocratie. Il n’est d’ailleurs pas exagéré de

soutenir que cette démarche a un rang d’absolu. Cette démarche doit se faire, et elle

s’impose aux dirigeants gouvernementaux comme une obligation à remplir.

Le fait donc de recueillir l’avis des populations dans la mise en place des politiques, traduit

au-delà de la démarche ou du procédé démocratique, un appel à l’implication de l’individu

et de la collectivité que les gouvernants ont le devoir de rendre possible. Le projet ou le

programme n’est pas la propriété des gouvernants, ils partagent ce projet avec les autres

membres de la société. Mais cette perception, cette attitude faite civisme et garante du

patriotisme doit être entretenue, et cela est de la responsabilité des autorités

gouvernementales. Cette attitude renvoie à cette vertu politique dont parle Montesquieu,

Page 248: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

230

dont l’apprentissage est plus que jamais nécessaire pour permettre aux hommes politiques

redorer le noble blason de « serviteurs de la république ». Les populations sénégalaises,

ont perdu confiance dans la pratique politique et non dans la politique. Elles ont apprises

toutefois à sanctionner, et l’esprit alerte de la société civile qui se veut la vigilance des

masses oubliées, renforce cet esprit de sanction273

.

Cette perte de confiance à l’endroit des dirigeants, et le peu de sympathie que les

populations ont également à l’égard du FMI et de la Banque mondiale qui sont décrits aux

masses profanes comme des bourreaux et non des sauveurs, rendent encore une fois plus

que jamais nécessaire la mise sur pied de cet outil de contrôle, pour amener les populations

à s’approprier le PAS. Elles ont enduré les politiques du PAS avec l’endurance requise

273

L’actuel président de la République (Macky Sall) est venu au pouvoir en mars 2012, donc après les deux

mandats du président Abdoulaye Wade qui avait remporté la victoire aux élections présidentielles de mars

2000 face au candidat Abdou Diouf grâce à une coalition de partis politiques. Abdoulaye Wade s’était séparé

après de ses principaux souteneurs pour mettre en place une pratique politique dont son fils, qui était méconnu

par les populations, était au centre. Il lui avait donné des pouvoirs similaires, mais plus importants que ceux

de Jean Colin sous Abdou Diouf. Ministre d’État, ministre de la Coopération internationale, de

l’Aménagement du territoire, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Énergie, le prince avait aussi

un mouvement politique dénommé « Génération du concret », et avait des ministres dans le gouvernement.

Le président Abdoulaye Wade le préparait pour en faire son successeur et il fut combattu en premier lieu par

son propre camp en la personne de son ancien premier ministre Idrissa Seck qui fut le premier à dire tout haut

ce que les sénégalais pensaient tout bas ; la dévolution monarchique. C’est d’ailleurs au nom de cette

intention qu’il n’avait pas reconduit son premier ministre (Macky Sall) après sa réélection en 2007, après que

ce dernier ait fait un travail remarquable en tant que directeur de campagne. Donc non reconduit comme

premier ministre, il est placé à l’Assemblée nationale comme président. Il eut l’imprudence de convoquer le

fils du président afin que ce dernier s’explique sur sa gestion de l’ANOCI (Agence nationale pour

l’organisation de la conférence islamique) devant les députés. Non seulement, le prince n’avait pas répondu,

mais le président Abdoulaye Wade en recevant Macky Sall lui avait fait savoir sans détour qu’il venait de

commettre une certaine erreur politique qui devrait se payer cash. C’étaient ses propres termes, et avait

demandé au président de l’Assemblée nationale (Macky Sall) de se retirer. Devant le refus de ce dernier et

face à sa détermination, il avait finalement usé de la même stratégie que le président Abdou Diouf avait utilisé

pour contraindre le président de l’institution parlementaire de l’époque (Habib Thiam) à démissionner. La loi

Sada Ndiaye, nom du député qui fut utilisé pour la besogne, se proposait de réduire la durée du mandat

président de l’Assemblée nationale qui était de cinq ans à un an renouvelable. La loi de la majorité activée,

Macky devait démissionner pour ne pas subir l’humiliation. C’est par son refus de signer sa mort politique

qu’il avait pris la résolution de créer un parti politique (Alliance Pour la République). Lors de l’élection

présidentielle de février 2012, il avait réussi à mettre en ballotage son ancien patron. Soutenu par une forte

coalition de partis politiques au second tour, plus précisément par tous les candidats qui venaient après lui, il

avait réussi à battre Abdoulaye avec un score qui avait rang de plébiscite. Certains analystes politiques

avaient même parlé de référendum contre Abdoulaye Wade pour mettre en exergue la détermination des

populations d’envoyer le vieux président au repos avec un score de 65% des suffrages. Les populations

avaient ainsi sanctionné un régime et une pratique. Elles l’avaient faites lors des municipales de 2009 où la

majorité présidentielle avait perdu dans presque toutes les localités. En mettant un terme aux quarante

années de règne sans partage du parti socialiste, les populations disposent donc depuis le 19 mars 2000 de ce

pouvoir légitime de sanctionner tout « pouvoir » qui s’éloignerait de leurs légitimes aspirations et intérêts.

Page 249: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

231

pour faire face à des politiques sur lesquelles elles n’ont même été invitées à se prononcer.

La désaffection des populations à l’endroit de la pratique politique ou cette apathie

politique, loin d’être une renonciation ou une fin d’intérêt à la politique, trouve sa

principale raison d’être en grande partie dans une gestion gouvernementale qui n’a pu

répondre aux attentes légitimes de mieux être des populations urbaines et rurales.

Le consentement, en tant que fondement du lien social, est également le soubassement de la

démocratie en tant que projet de société, c’est-à-dire d’une intention du vivre ensemble qui

a décidé de prendre en considération les différents avis de l’ensemble des membres de la

collectivité comme méthode de gestion de la communauté. Seul modèle de gestion du

social qui repose ou fait appel au consentement de l’individu et de la collectivité, la

démocratie, par opposition au totalitarisme, a fait de la prise en considération de l’avis du

corps citoyen sa méthode pour gérer ces différentes sensibilités pour la bonne marche d’une

société solidaire et unie autour de l’essentiel.

Loin de chercher à vouloir étouffer ces sensibilités plurielles, reflet des particularités de la

collectivité des individus, la démocratie dans son projet du vivre ensemble, leur donne cette

opportunité d’être, de faire valoir leurs idées et leurs opinions par une écoute active. Loin

d’imposer une façon de faire, d’agir ou de penser, fût-elle fondamentale et indispensable à

son projet de société, elle recommande plutôt une démarche et s’adresse par conséquent à la

raison humaine, à l’esprit humain; son allié, au nom de la recherche d’un consensus, d’une

unanimité ou d’un compromis qui ne sont en définitive que l’expression du consentement

de l’individu ou de la collectivité des individus. Et Locke parlant de l’importance, mais

également de la portée du « consentement » en société de faire remarquer :

Quiconque donc sort de l’état de nature, pour entrer dans une société, doit être

regardé comme ayant remis tout le pouvoir nécessaire, aux fins pour lesquels il

y est entré, entre les mains du plus grand nombre des membres, à moins que

ceux qui se sont joints pour composer un corps politique, ne soient convenus

expressément d’un plus grand nombre. Un homme qui s’est joint à une société,

a remis et donné ce pouvoir dont il s’agit, en consentant simplement de s’unir à

une société politique, laquelle contient en elle-même toute la convention, qui

est ou doit être, entre des particuliers qui se joignent pour former une

Page 250: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

232

communauté. Tellement que ce qui a donné naissance à une société politique,

et qui l’a établie, n’est autre chose que le consentement d’un certain nombre

d’hommes libres, capables d’être représentés par le plus grand nombre d’eux, et

c’est cela, et cela seul qui peut avoir donné commencement dans le monde à un

gouvernement légitime274

.

Le consentement, par essence volontaire est un acte de liberté, et la liberté est l’identité de

la démocratie. Il donne la légitimité qui est la substance, voire l’essence de la démocratie.

Cette légitimité Ŕ il est important de le souligner Ŕ est supérieure et extérieure au droit qui

est, et demeure pourtant le cadre en dehors duquel, l’existence de la démocratie pourrait

être compromise, et son effectivité impossible. Le consentement du corps social, c’est-à-

dire des populations est ce qui donne une légitimité d’action au gouvernement. Le

consentement traduit l’acceptation et l’adhésion des populations au projet qui leur a été

soumis par les gouvernants. Il est recherché en démocratie parce que indispensable à sa

survie.

Le consentement est par conséquent incontournable en raison du principe de la loi du « plus

grand nombre » pour parler comme Locke, qui est un absolu en démocratie, et qui n’est en

définitive que l’expression du consentement de la majorité. Qu’il soit obtenu directement

ou indirectement, c’est dire à par la voie du référendum ou par l’intermédiaire des légitimes

représentants des populations que sont les élus au sens large ou les parlementaires de façon

plus précise, le consentement donne du crédit au projet en démocratie, et confère une

légitimité pleine et entière à l’action des gouvernants. Il encourage la participation et

l’implication citoyenne, et prédispose l’individu et la communauté à adopter un

comportement et une attitude emprunts de civisme.

Que les populations ne soient pas consultées dans la mise en place de politiques publiques

dans une démocratie, et en démocratie pose problème, et est même un déni au regard du

processus démocratique. Le fait de ne pas songer à recueillir l’avis des populations et

encore moins leur consentement dans la mise en place du PAS dans une supposée

démocratie pose également problème, et soulève un questionnement relatif au pourquoi.

274

Locke, John, Traité du gouvernement civil, Paris, Flammarion, 1992, p 217

Page 251: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

233

Autrement dit, il nous apparaît important de comprendre pourquoi le gouvernement n’avait

pas songé à recueillir l’avis, mais également le consentement des populations dans la mise

en place des politiques du PAS. Ce comportement des autorités gouvernementales Ŕ il est

important de le souligner Ŕ est non seulement inacceptable en démocratie, mais également

impensable. Il est également non seulement contraire à la pratique démocratique, mais il

est aussi étranger au processus démocratique.

Cette attitude qui marque une certaine indifférence des autorités, n’est toutefois pas difficile

à comprendre au regard de la mise sur pied du PAS en tant que politique économique. Est-

il besoin de rappeler que le pouvoir exécutif et plus particulièrement le président de la

République s’était personnellement approprié de ce dossier. Est-il besoin de rappeler

également que les parlementaires, censés représenter et défendre les populations ont été

ignorés dans tout le processus de la mise en place du PAS (Programme des Ajustements

Structurels). Est-il besoin enfin de rappeler que le CES (Conseil Économique et Social),

censé émettre son avis sur les politiques sociales et économiques, n’a pas été consulté (nous

y reviendrons) dans la mise en place des politiques et des réformes qui étaient demandées,

voire exigées par le FMI et la Banque mondiale. Au regard des faits précités, il est aisé de

comprendre que les populations ne pouvaient pas être consultées.

Cela pour dire que la gestion technocratique dont le Sénégal était l’objet depuis le début de

la mise en place du PAS pouvait servir d’indice pour mieux comprendre une telle attitude.

Loin d’être démocratique, ce procédé unilatéral du président Abdou Diouf et de ses

hommes, qui puisait sa source dans les directives des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI

Ŕ Banque mondiale), était uniquement justifié par des objectifs de résultats. Préoccupés et

obnubilés en effet par le souci de corriger le mal économique, le président Abdou Diouf et

son gouvernement avaient privilégié les procédés légaux au détriment de ceux

démocratiques. Ils avaient consciemment et volontairement privilégié la légitimation plutôt

que la légitimité dans la mise en place du PAS (Programme des Ajustements Structurels),

qui dans le fond, était une politique économique publique.

Page 252: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

234

À la place donc de la légitimité qui ne peut être conférée que par les populations ou par

leurs légitimes représentants, les technocrates avaient choisi de recourir à la légitimation

pour justifier la mise en place PAS comme nouvelle orientation économique. Par ce

procédé qui n’était rien d’autre qu’une entreprise de justification pour expliquer les raisons

ou les motifs qui étaient à l’origine du PAS et de ses politiques, le président Diouf et ses

hommes avaient choisi de se détourner de ce que la démocratie et son processus

recommandaient. En effet, si le processus démocratique conseille et prescrit la consultation

des populations, directement ou indirectement, dans la mise en place de toute politique

publique, la démocratie qui a fait du consentement du plus grand nombre sa source de

crédibilité, encourage et recommande la recherche du consentement du populations qui est

source de légitimité.

Avec cette démarche unilatérale digne de la pratique totalitaire dans cette démocratie

d’exception, le président Abdou Diouf et ses hommes mettaient à nu l’idée et la conception

qu’ils se faisaient de la démocratie. Une démocratie sans réels pouvoirs pour le parlement,

et sans de réels parlementaires également pour s’opposer au règne absolu du Prince, seul

attitré de droit, mais aussi de fait à décider, le bien public symbolisé par le PAS

(Programme des Ajustements Structurels) dont il s’était voulu à la fois l’architecte et le

maçon. Démocratie d’exception en effet avec un pouvoir de nomination entre les mains du

Prince qui l’utilisait à sa guise, pour façonner à sa manière et selon ses humeurs, des

hommes et des femmes qui devaient lui manifester obéissance et sympathie pour ne pas

subir les foudres de sa plume avec lequel il pouvait légalement détruire une carrière et

même un avenir.

Démocratie d’exception également dans la mesure où cette plume qui puisait sa force et sa

puissance de la Constitution; « l’étalon des valeurs juridiques », et dont le respect en

démocratie et pour les démocrates est sacré, voire fondamental, pouvait causer des torts et

des préjudices sans pour autant que son détenteur ne soit le moindrement inquiété. Ce

recours à la Constitution conférait une certaine « légitimité » à cet agir du Prince qui n’était

pas dès fois éloigné de l’arbitraire. Démocratie d’exception enfin, sans être exhaustif, pour

parler ou faire mention de l’existence de certaines institutions dignes des grandes

Page 253: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

235

démocraties (France Ŕ Canada Ŕ États-Unis) mais dépouillées de leur âme, c’est-à-dire de

leur substance pour en laisser l’ossature à la visibilité d’une opinion internationale qui ne

pouvait se contenter que d’apprécier positivement.

VI. II DE LA PRÉPONDÉRANCE DU FORMALISME DANS LA MISE EN PLACE

DES INSTITUTIONS.

La démocratie en tant qu’idée, s’est matérialisée ensuite dans les institutions pour préserver

le projet dont il était porteur, c’est-à-dire la mise sur pied d’une communauté ou d’une

société dans laquelle le vivre ensemble devrait obligatoirement s’imprégner de ses valeurs

qui ont pour nom justice, liberté et égalité. En tant que projet de société, elle ambitionne la

mise sur pied d’une société dans laquelle les aspirations du corps social, c’est-à-dire celles

des populations devraient obligatoirement être prises en considération par leurs légitimes

mandataires, à savoir les gouvernants (gouvernement Ŕ parlement). Ayant vu le jour dans

le refus de certains hommes de subir l’arbitraire de l’autorité exécutive, la démocratie a su

trouver à travers les institutions, le cadre mais aussi le lieu pour pérenniser ses

fondamentaux (justice Ŕ liberté Ŕ égalité) dont la combinaison ne vise en définitive qu’à

éradiquer l’arbitraire dans, et par toutes ses formes.

C’est donc auprès de l’État, la maitresse de toutes les institutions, que la démocratie va

s’aduler pour porter son message à l’individu et à la collectivité qui en sont les principaux

destinataires. Auprès de l’État, reflet de la volonté de l’individu et de la communauté des

individus, la démocratie va donc s’appuyer sur son premier allié qui est le droit pour

combattre l’ennemi d’hier, comme d’aujourd’hui, c’est-à-dire l’arbitraire, dont la ténacité et

la capacité d’adaptation, exigent et requièrent une grande vigilance pour en déceler les

formes, mais également les contours. Cet allié inconditionnel et indispensable à son

effectivité, voire à sa mise en pratique, comporte le grand avantage d’être également le

reflet de la volonté de l’individu et de la collectivité des individus dans la mesure où il est

accepté par la communauté des citoyens. C’est d’ailleurs en raison de ce droit que l’égalité

des conditions est devenue une possibilité en démocratie. C’est aussi sous le sceau de

l’État de droit, et à travers la mise en place d’autres institutions, acceptées par l’individu et

la collectivité, que la démocratie va se déployer pour mieux asseoir ses fondamentaux.

Page 254: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

236

Et lorsque je parle ici de l’État, il faut l’entendre au sens précis de support d’un

pouvoir et non comme agrégat de services publics, entité géographique ou

synonyme de collectivité nationale. C’est en effet à propos du rôle du pouvoir

étatique dans la dialectique de l’ordre et du mouvement et, par conséquent,

comme facteur de réduction des antagonismes entre les diverses manières

d’entendre l’ordre désirable, qu’apparaît concrètement tout l’intérêt d’une

exacte théorie de l’État. L’État est siège d’un Pouvoir dont les gouvernants

sont les agents d’exercice. Siège d’un Pouvoir, cela veut dire qu’il incarne une

idée de droit. Seulement, cette idée, il appartient aux gouvernants d’en préciser

les contours, d’en déterminer la substance, en fonction de leurs responsabilités,

des résistances qu’ils rencontrent, des appels qui leur sont adressés.

Introducteurs de la volonté du souverain dans les décisions de l’État, ils

permettent d’imputer à celui-ci les aspirations ou les exigences de celui-là.

C’est ainsi par leur entremise que le mouvement, c’est-à-dire les impératifs

exprimés par les Pouvoirs de fait, est intégré à l’ordre, c’est-à-dire au système

de règles dont l’État est le garant275

.

Parmi ces institutions, il y a d’abord le président de la République ou le chef de l’État qui

est la plus haute incarnation de l’État. Ses actes sont par conséquent les actes de l’État. Il

est assisté dans son travail, en dehors de ses collaborateurs directs qui forment son cabinet,

par un gouvernement qui, sous son autorité, exécute la politique de l’État. En tant

qu’institution, elle comporte le grand avantage d’être le reflet de la volonté des populations

dans la mesure où il est choisi par le biais des urnes, et dispose par conséquent de la

légitimité pleine et entière d’un élu. Il est souvent issu d’une certaine formation politique

qui en fait d’ailleurs leur candidat pour demander les suffrages du corps électoral, c’est-à-

dire ceux des populations. Il est censé toutefois dans son travail de ne pas être partisan et

d’agir en fonction de l’intérêt général qui est également l’intérêt de l’État.

Première institution issue de la maîtresse des institutions qui est l’État, le président de la

République est donc assisté par une équipe qui est le gouvernement qui Ŕ il est important de

le mentionner - a rang également d’institution. Son rôle est de gérer et de conduire les

affaires de la cité. Il comporte aussi le grand avantage d’être le reflet de la volonté des

populations. Le gouvernement en démocratie est censé de rendre possible les attentes et les

aspirations de ces mêmes populations. Il représente l’État, et ses membres agissent en son

nom, donnant ainsi un caractère impersonnel à ce rôle. Dans un régime parlementaire, ses

275

Burdeau, Georges, L’État, Paris: Éditions du Seuil, 1992, pp 108-109

Page 255: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

237

membres sont des élus, c’est à dire choisis par les populations dont ils ne sont en fait que

les mandataires, disposant ainsi de cette légitimité pour agir et prendre des décisions en leur

nom, mais aussi au nom de l’État. Dans un régime présidentiel, ses membres ne sont pas

nécessairement des élus et sont nommés par le chef de l’État ou le Président de la

République.

Le gouvernement en démocratie, comme en est le cas dans les démocraties de type sociétal

comme le Canada, la France et les États-Unis, est surveillé par une autre institution qui est

le Parlement ou l’Assemblée nationale. Cette institution qui représente le pouvoir législatif

peut avoir une chambre ou deux chambres, mais son essence est d’être un contre-pouvoir

par rapport au gouvernement. L’Assemblée nationale ou le parlement comporte également

le grand avantage d’être aussi le reflet de la volonté des populations dans la mesure où ses

membres sont des élus. Ses membres disposent par conséquent d’une légitimité qui leur

permet de parler et d’agir au nom des populations. Ses membres sont les légitimes

représentants des populations, mais également et surtout les défenseurs de leurs intérêts. Ils

disposent d’un droit de regard sur le travail que fait le gouvernement. Dans les grandes

démocraties, les parlementaires ou les députés se veulent en fait les vigiles de la

démocratie.

A ces trois institutions que le sont le Président de la République ou le Chef de l’État, le

gouvernement et le parlement qui sont des résultantes de la maitresse des institutions qui

est l’État, va s’y ajouter une quatrième, à savoir la Cour suprême et les Cours et les

Tribunaux dont le rôle consiste à veiller au respect du droit, et à sanctionner au sens négatif

du terme les comportements délictueux pour préserver le climat de tranquillité et de

sécurité si nécessaires à l’ordre social. Les institutions qui symbolisent le pouvoir ou

l’autorité judiciaire, comportent également le grand avantage d’être aussi le reflet de la

volonté populaire, c’est à dire du consentement des populations. Ces institutions sont en

effet acceptées par les populations qui les perçoivent et les veulent neutres pour arbitrer les

différends pouvant résulter de leur interaction. Ses dirigeants sont désignés par le

gouvernement, et ses membres sont choisis selon des critères relatifs à l’éducation et à la

formation de façon générale. Les juges sont avant tout des professionnels du droit, et sont

Page 256: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

238

régis par un code de déontologie pour en assurer l’obligation d’impartialité que requiert la

fonction.

Il est important toutefois de préciser que ces quatre institutions précitées se retrouvent dans

tous les États du monde. Dans un contexte mondial où la référence à l’État de droit est

universellement acceptée, ces quatre institutions précitées sont présentes dans les États, et

cela indépendamment de la nature du régime politique ou de la forme de l’État. Que l’État

soit unitaire (France), fédéral (Canda Ŕ États-Unis) ou confédéral (Suisse), on y trouve ces

quatre institutions (Chef d’État Ŕ Gouvernement Ŕ Parlement Ŕ Cours et tribunaux) qui sont

même la substance même de l’État. Elles ne sont pas par conséquent l’apanage exclusif des

grandes démocraties. Toutefois, elles ont un sens et une portée qui varie d’un pays à

l’autre. « Les institutions de la République sont Ŕ selon l’article 5 de la Constitution du

Sénégal de 1963 Ŕ Le président de la République et le Gouvernement Ŕ l’Assemblée

nationale Ŕ la Cour suprême et les Cours et Tribunaux»276

. Dans les grandes démocraties,

ces différentes institutions collaborent sur la base du principe de l’équilibre et de la

séparation des pouvoirs.

Alors qu’elles jouent un rôle central et décisif dans les grandes démocraties comme la

France, le Canada et les États-Unis, en raison de leur respect et de leur attachement au sacré

principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs, elles jouent dans les États du tiers

monde et plus particulièrement en Afrique un rôle plus ou moins mitigé en raison

précisément du non-respect de ce principe qui a pourtant un rang d’absolu en démocratie.

La démocratie Ŕ est-il besoin de le rappeler Ŕ est née du refus de certains individus de vivre

et de subir l’arbitraire royal. Or cet arbitraire de l’autorité exécutive est dans la modernité,

non seulement une probabilité, mais une virtualité voire une certitude, rendant ainsi plus

que jamais nécessaire le respect de ce principe qui en est le garant. Le pouvoir donne des

forces et fait naître des prétentions, mais aussi des passions, qui non tempérées ou

276

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Études et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA

XXIII, 2007, p 113

Page 257: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

239

découragées, peuvent causer de sérieux préjudice à tout un pays, puissant et développé soit-

il.

Le principe de l’équilibre et de la séparation du pouvoir est le parrain du parlement qui se

veut le premier garde-fou de la démocratie. Son absence ou son irrespect dans l’architecture

et l’organigramme de la démocratie en dénature la substance et lui confère une essence

autre que celle initiale basée sur ce combat contre l’arbitraire. Il fait partie des

fondamentaux en démocratie. Une démocratie sans une séparation réelle et un équilibre des

pouvoirs n’est pas une démocratie. Une démocratie sans un pouvoir réel de contrôle de

l’action gouvernementale n’est pas une démocratie. Une démocratie sans organes de

contrôle des finances publiques n’est pas non plus une démocratie. L’article 16 de la

déclaration de 1789 stipule d’ailleurs que « toute société dans laquelle la garantie des droits

n’est assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a pas de constitution ». Ces deux

données sont des fondamentaux en démocratie, et lui confèrent en même temps sa

particularité et son essence. Elles résument sous un certain angle la mission politique de la

démocratie : contrôler l’action des détenteurs du pouvoir et séparer les pouvoirs pour

combattre efficacement l’arbitraire virtuel, voire probable qui pourrait résulter des pouvoirs

accordés à ceux et celles qui sont aux plus hautes commandes de l’État.

La démocratie et l’aristocratie ne sont point des États libres par leur nature. La

liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle

n’est pas toujours dans les États modérés; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas

du pouvoir; mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du

pouvoir est porté en a abuser; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le

dirait! la vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse abuser du

pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.

Une constitution peut être telle que personne ne sera contraint de faire les

choses auxquelles la loi ne l’oblige pas, et à ne point foire celles que la loi lui

permet277

.

277

Montesquieu, Charles De Seconda, De l’esprit des lois : 1, Paris : Gallimard, 1995, pp 325-326

Page 258: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

240

Ces institutions, loin d’être exhaustives, se veulent celles de base de l’État de droit. On

peut même dire qu’elles sont spécifiques à l’État. On les retrouve ainsi dans tous les États

du monde, et qu’ils soient démocratiques ou de sensibilité autre. Le chef de l’État, le

président de la république ou le commandant en chef (États-Unis), et le gouvernement

(premier ministre et les ministres) qui forment le pouvoir exécutif, le parlement ou

l’Assemblée nationale (pouvoir législatif), les cours et les tribunaux (pouvoir judiciaire)

sont des composantes de l’État et se retrouvent par conséquent dans les États, qu’ils soient

développés ou sous-développés, riches ou pauvres. Elles ne sont pas spécifiques aux États

démocratiques, mais Ŕ il est important de le préciser Ŕ ces institutions doivent

obligatoirement se retrouver dans tous les États qui ont choisi la démocratie comme modèle

de gestion du social, de l’économie et du politique.

Autrement dit, et dans un scénario purement hypothétique, la non présence par exemple des

cours et tribunaux dans un État dit totalitaire ne remet pas en cause la validité de l’État, et

encore moins l’absence d’un parlement en raison tout simplement de la logique de la

pratique totalitaire qui ne fait pas de place à d’autres structures, du moins formellement.

Tel ne saurait être le cas dans les États dits démocratiques. Ces institutions, à savoir les

cours et les tribunaux qui relèvent du pouvoir ou de l’autorité judiciaire, et le parlement

pour désigner le pouvoir législatif, sont toutefois présentes dans les États dits totalitaires,

avec une logique de fonctionnement différente des États dits démocratiques.

Ces institutions précitées et qui ne sauraient ne pas exister dans les États qui se réclament

de la démocratie, obéissent toutefois dans ces États à une logique de fonctionnement, qui

s’inspire du principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs. Ce principe est

d’ailleurs un absolu en démocratie. Le principe de l’équilibre et de la séparation des

pouvoirs a rang de dogme en démocratie, pour ainsi dire qu’il ne peut pas faire défaut à la

démocratie qui ne peut vérifier son authenticité, voire sa crédibilité Ŕ il est important de le

préciser - que par et dans la pratique. La démocratie ne se mesure pas et ne saurait se

mesurer dans le libellé d’un texte. Elle ne mesure pas non plus dans la prolifération

d’institutions, importantes soient-elles, si elles ne sont pas dotées de cette substance qui

constitue leur identité et donne un sens à leurs éventuelles actions.

Page 259: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

241

Une institution doit servir à quelque chose, et ne doit pas par conséquent avoir un rang de

figurant dans le profil d’un État. Elle véhicule dans la plupart des cas un message, et est

souvent porteur d’un projet. Elle est le reflet Ŕ pourrait-on dire - d’une ambition qui entend

être au service de l’individu et de la communauté. Elle se veut le plus souvent la voix des

populations auprès des autorités au sens large du terme, afin que ces dernières prennent en

considération dans leurs différents projets, mais également et surtout dans leur décision,

leurs préoccupations et aspirations. Les institutions sont pour le gouvernement

d’importants leviers pour mettre en place une politique ou un programme. Leur présence

dans le corpus de la Constitution traduit Ŕ nous pensons Ŕ la volonté des gouvernants de

trouver une solution à une préoccupation ou à des attentes. Leur création ou leur

innovation par l’autorité exécutive marque également Ŕ nous pensons Ŕ une volonté de

mieux servir l’individu et la communauté. Mais tel n’est malheureusement le cas pour le

Sénégal au regard par exemple du manque d’implication du CES (Conseil Économique et

Social) dans la mise en place du PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Le CES (Conseil Économique et Social) dont le président était le troisième personnage de

l’État avant la mise en place du Sénat, a vu le jour en juin 1961. Sa mission dans le texte

publié au Journal officiel de la République du Sénégal du 10 juillet 1961, était précisée à

l’article 4 qui lui assignait le pouvoir de s’autosaisir sur les questions de nature économique

et sociale. Il avait sa place dans le Sénégal nouvellement indépendant dans la mesure où

les leaders du Sénégal post indépendant devaient inscrire leurs actions dans une perspective

qui devait prendre en considération à la fois les attentes et aspirations de mieux être des

populations.

Le Conseil économique et social est saisi par le Président de la République, par

le Parlement ou le Gouvernement, de demandes d’avis ou d’études. Il peut se

saisir de l’examen de questions économiques, sociales et financières,

entreprendre à cet effet les études et enquêtes nécessaires et émettre en

conclusion, les avis et suggestions de réforme qui lui paraissent de nature à

favoriser le développement économique et social de la Nation. Il peut

notamment faire connaître au Président de la République son avis sur

l’exécution des programmes d’action à caractère économique et social278

.

278

Internet : Texte publié au Journal officiel de la République du Sénégal, 10 juillet 1961

Page 260: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

242

Son insertion dans la Constitution comme une structure habilitée à conseiller le

Gouvernement et l’Assemblée nationale n’était pas un simple mimétisme, mais traduisait

une certaine vision ou conception de l’économie et du social que les leaders politiques d’un

Sénégal nouvellement indépendant voulaient mettre sur pied. Le texte du 10 juillet le

présentait d’ailleurs en son article premier comme « une assemblée consultative » et « un

médiateur des conflits sociaux ». Pour Senghor qui se réclamait de l’idéologie socialiste,

l’État devait être au centre de tout. Se doter par conséquent d’une structure qui devait

servir de conseil pour le gouvernement dans le domaine de l’économie et du social, cadrait

parfaitement avec sa vision de ce que devait être le socialisme africain.

Dans la constitution de mars 1963, un seul article est consacré au nouveau

Conseil économique et social. Il déclare : « Le Conseil économique et social

donne son avis sur les questions qui lui sont renvoyées par le Président de la

République ou l’Assemblée nationale ». Une loi organique fixe la composition,

l’organisation et le fonctionnement du Conseil économique et social. Par

rapport au texte de 1960, il s’agit d’une innovation (cf. article 88 de la

constitution). La loi du 20 juin 1967 portant révision constitutionnelle a

complété les dispositions du texte initial de 1963279

.

Au regard du rang de son président dans l’ordre protocolaire, et de sa place dans la

Constitution, le CES (Conseil Économique et Social) était ainsi habilité à se prononcer sur

les questions économiques et sociales. Organe consultatif sans pouvoir de décision, et dont

les avis ne s’imposaient pas à l’autorité exécutive; acteur clé et décisif dans la mise en place

des politiques, le constituant rendait toutefois obligatoire sa consultation sur les projets ou

programme à caractère économique ou social. Ainsi pouvait-on lire à l’article 88 de la

Constitution ce qui suit :

Le Conseil économique et social assiste le Président de la République, le

Gouvernement et l’Assemblée nationale. Il donne son avis sur les questions qui

lui sont renvoyées par le Président de la République, le Gouvernement ou

l’Assemblée. Il est compétent pour examiner les projets et les propositions de

loi ainsi que les projets de décret à caractère économique et social, à l’exclusion

des lois de finances. Il est obligatoirement saisi pour avis des projets de loi de

279

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2007, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 77

Page 261: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

243

programme à caractère économique et social, à l’exclusion des lois des

finances. Il peut être saisi ou consulté sur tout problème intéressant la vie

économique et sociale de la Nation. Une loi organique fixe la composition,

l’organisation et le fonctionnement du Conseil économique et social280

.

Sous Abdou Diouf, le Conseil économique et social a connu trois présidents qui étaient tous

membres du parti socialiste. Il avait toujours parmi ses membres, en plus du président dont

l’attachement partisan au parti socialiste et affectif pour la personne du président était

connu, des députés du parti socialiste, et plus précisément des syndicalistes qui étaient

membres du bureau confédéral de la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du

Sénégal) dont la connivence avec le parti socialiste était également connue des populations.

On pouvait y retrouver tous les segments de la population. Ses membres dans leur totalité

se voulaient en fait le reflet de la société.

Le Conseil Économique et social comprend quatre catégories de membres : -

les représentants des salariés du secteur public et privé; Ŕ les représentants des

organisations patronales; - les représentants des organismes d’économie rurale;

- les personnalités choisies en raison de leur compétence en matière

économique, sociale, scientifique ou culturelle. Le premier Conseil

économique et social comprenait cinquante et un membre des trois premières

catégories et quinze membres de la quatrième catégorie. C’est ainsi que le

Recteur de l’université de Dakar est habituellement nommé comme membre de

la quatrième catégorie depuis la sénégalisation du poste intervenue en 1971, sur

la proposition du Président du Conseil de l’époque, Magatte Lô. Le Conseil

économique et social tient deux sessions ordinaires annuelles d’un mois

chacune. Les conseillers ne perçoivent pas de traitement, mais sont défrayés

par une indemnité de session plutôt symbolique281

.

Au regard de la mise en place du Programme des Ajustements Structurels, la seule politique

sous le magistère du président Abdou Diouf (1980-200), et qui était de nature

essentiellement économique, n’estŔil pas justifié de se demander la pertinence du Conseil

économique et social dans le dispositif institutionnel ? Une telle question mérite en effet

280

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude, et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA

XXIII, 2007, p 88 281

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, 78

Page 262: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

244

d’être posée et pour plusieurs raisons. D’abord, le Conseil économique et social en tant que

organe consultatif, était censé donner des conseils ou des suggestions au gouvernement sur

les questions ayant un caractère économique ou social. Le PAS était avant tout un

programme économique, et l’avis du Conseil devait Ŕ nous semble-t-il Ŕ être connu des

populations, c’est-à-dire du public, du moins en démocratie.

Ensuite, bien que le PAS fût un programme essentiellement économique, il avait des

répercussions sur le social qui, nous semble-t-il devait amener le Conseil économique à

s’autosaisir au regard des conséquences que certaines politiques avaient sur le quotidien des

populations en général et des travailleurs en particulier. Est-il nécessaire de rappeler que

les populations avaient fait les frais des politiques ou des réformes, avant de faire savoir au

gouvernement via les manifestations de rue et les émeutes urbaines, leur lassitude et leur

opposition. Cela pour dire que la tension sociale occasionnée par la mise en application du

PALMT (Plan d’ajustement économique et financier à long et moyen terme) devait amener

le Conseil économique et social à se prononcer, d’autant plus que la Constitution rendait

obligatoire sa saisie pour « les projets de loi de loi de programme à caractère économique et

social, à l’exclusion des lois des finances ».

A ce dernier niveau, il est important de préciser que le législateur faisait mention à une

procédure qui malheureusement avait fait défaut dans la mise en place du PAS (Programme

des Ajustements Structurels). En effet, sa mise en place avait emprunté un procédé, voire

une démarche qui devait le soustraire d’une certaine procédure. D’abord, La suppression

du poste de premier, loin d’être un hasard, était motivée par le dessein du président Abdou

Diouf de mettre unilatéralement en place les politiques qui étaient demandées, voire

exigées par les principaux créditeurs ou bailleurs ou fonds, en l’occurrence le FMI (Fonds

Monétaire International) et la Banque mondiale.

Aussi, la réduction du mandat du président de l’Assemblée nationale de cinq à un an

renouvelable, au même titre que celui des membres du bureau de l’Assemblée nationale,

loin d’être un hasard étaient motivés par le même dessein entre autres. Si la suppression

Page 263: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

245

du poste de premier permettait au président de la République d’être la totalité du pouvoir

exécutif, c’est-à-dire de l’article 36 de la Constitution, qui lui permettait de « déterminer et

de conduire la politique de la Nation », les changements apportés au niveau de l’Assemblée

lui permettait également de se soustraire d’une hypothétique mais plausible motion de

censure si l’on s’en tient à l’exposé des motifs de la loi constitutionnelle du 1er

mai 1983

portant révision de la Constitution.

Le présent projet de révision constitutionnelle a pour principal objet de

permettre une plus grande efficacité dans l’administration de développement

nécessaire à notre pays. Il est l’expression de changement clairement exprimé

lors des dernières élections, volonté de changement qui doit se traduire par un

contact direct entre le Président de la République et les citoyens d’une part, par

un renforcement de la représentation populaire d’autre part, et enfin par une

responsabilisation accrue au niveau local. Si la volonté de décentralisation et

de déconcentration s’est déjà clairement manifestée, le dernier exemple en étant

la réforme de l’organisation de la Région du Cap-Vert, il devient nécessaire

d’instituer un mode de gouvernement central nouveau où il est clair que c’est le

président qui détermine et conduit la politique de la Nation et où l’Assemblée

nationale légifère sans entrave. L’heure semble donc venue pour que le

Sénégal adopte un régime véritablement présidentiel, ce qui implique une plus

grande indépendance du parlement; Du point de vue de la conduite des affaires

de l’État, cela signifie une démédiatisation des décisions, une réduction du

nombre des intermédiaires, une accélération des procédures, et une

appréhension directe des problèmes du peuple sénégalais par le Chef de l’État

lui-même et son équipe. Du point de vue du législateur, contrairement à une

opinion répandue, un surcroît d’indépendance et de puissance. En effet, outre

le fait que le Président de l’Assemblée nationale devient le deuxième

personnage de l’État et qu’il est appelé à suppléer le Président de la République

en cas d’empêchement, l’Assemblée nationale ne peut être dissoute; il est vrai

qu’elle ne peut pas non plus censurer le Gouvernement, mais cette absence de

possibilité de censure la rend paradoxalement plus libre et plus exigeante : elle

peut critiquer un projet de loi, le modifier, refuser de le voter, sans devoir tirer

les conséquences extrêmes de son attitude en provoquant la chute du

Gouvernement. Il faut ajouter que l’Assemblée nationale détient par le vote de

la loi des finances un instrument de contrôle d’une efficacité redoutable. Ainsi,

dans un monde en crise qui exige des décisions rapides mais aussi dans un État

de droit attaché au vote serein de la loi et dans un pays qui exige de son

Président qu’il soit en permanence à l’écoute de ses concitoyens, cette révision

de la Constitution doit permettre la mise en œuvre d’une politique de

changement rigoureuse. La suppression du poste de Premier ministre, et partant

la correction de tous les articles se rapportant à cette fonction, au

Gouvernement ou à ses membres, oblige à modifier un nombre élevé d’articles.

Bien que beaucoup de ces modifications portent sur un ou quelques mots, il a

Page 264: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

246

été jugé plus clair d’abroger et remplacer tous les articles ou alinéas qui

subissaient une correction. Par ailleurs, cette révision constitutionnelle offre

l’occasion de préciser ou de modifier certains articles dont l’application a posé

des problèmes (computation et longueur des délais, quorum convocation de

l’Assemblée nouvellement élue, etc). Ces modifications et leurs raisons sont

commentées, article par article, dans cet exposé des motifs Là encore, il a paru

préférable, pour la clarté de la lecture, d’abroger et remplacer chaque article ou

alinéa remanié même quand il ne s’agissait que d’ajouter « franc après jour »282

.

En s’appropriant donc la totale exclusivité du Programme des Ajustements Structurels, le

président Abdou Diouf s’était donné les moyens pour mettre en place les reformes qui

étaient demandées par le FMI et la Banque mondiale. Subtilement mais avec habilité, il

avait utilisé la Constitution pour légitimer une démarche qui souffrait de légitimité. En

écartant en effet les populations et leurs légitimes représentants, par des procédés légaux

sans égard aux conséquences d’une telle démarche sur les institutions et les Hommes, il est

pertinent de soutenir que le Sénégal était bel et bien une démocratie d’exception. Au regard

de cette dynamique justifiée uniquement par une préoccupation d’ordre économique, il

serait illusoire de penser, ne serait-ce qu’un seul instant que le tout puissant président

Abdou Diouf allait consulter le Conseil économique et social.

Si donc sa mise en place dans le dispositif institutionnel au lendemain de l’indépendance

était justifiée par cette approche socialiste du social, qui faisait des autorités

gouvernementales des mécanismes de transmission de ce mode de gestion qui se voulait

proche de l’individu et de la collectivité des individus, sa pertinence dans un contexte d’une

profonde remise en cause de cette dite gestion n’était plus justifiée. Le PAS Ŕ est-il

nécessaire de le rappeler Ŕ s’est d’abord attaqué à l’État assistance qui en définitive, se

voulait une réponse que les populations autochtones attendaient de leurs autorités

gouvernementales dans un Sénégal devenu indépendant.

282

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA

XXIII, 2007, pp 108-109

Page 265: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

247

Les concepteurs du PAS qui ont fait leurs humanités à l’École de Chicago avaient en effet

condamné dans leur procès cette approche, responsable selon eux de ce mal économique

qui trouvait sa principale source dans l’interventionnisme étatique. Cette perception avait

trouvé un écho favorable auprès des autorités gouvernementales, plus précisément auprès

du président Abdou Diouf, un socialiste par défaut, qui avait une approche techniciste,

voire technocratique de la gestion de la citée. Le conseil économique et social fut donc

maintenu pour servir le parti socialiste, non pas comme organe de conseil, mais plutôt

comme lieu de récompense pour caser des responsables politiques. Sa présidence sous

Senghor tout comme sous Abdou Diouf était réservée à des membres du parti socialiste. Le

président qui était choisi par le président de la République, secrétaire général du parti

socialiste, se retrouvait membre du bureau politique, et était le troisième personnage de

l’État avec tous les honneurs et privilèges qu’exigeait son rang.

Une autre institution qui avait vu le jour dans ce contexte de politique d’austérité était la

Médiature de la République. Le Médiateur de la République ou l’Ombudsman,

l’équivalent du protecteur du citoyen au Québec avait vu le jour en 1991, c’est-à-dire une

année avant l’expiration du PALMT (Plan d’ajustement économique et financier à long et

moyen terme). Ce plan était échelonné sur une période de sept ans (1985-1992) et était

porteur Ŕ faudrait-il le rappeler Ŕ des politiques ont été les plus affligeantes pour les

populations à savoir; la Restructuration du secteur public et parapublic, la Nouvelle

Politique Agricole et la Nouvelle Politique Industrielle. C’est avec ces politiques, plus

précisément celle de la Restructuration du secteur public et parapublic que la Fonction

publique avait décidé de ne plus recruter, au nom de l’assainissement des finances

publiques. Et paradoxalement, le gouvernement socialiste avait décidé de recruter, mais à

un niveau plus que supérieur, voire hors norme, un de leur comme médiateur de le

République.

Dans un contexte où l’arbitraire était érigé en règle de gestion si l’en se réfère à l’esprit de

la Nouvelle Politique Industrielle, et ou la tendance était également au licenciement au nom

de la recherche de l’efficacité et de la rentabilité, la mise en place d’une institution au

service et à l’écoute du citoyen et de sa collectivité, quoique salutaire, comportait un fond

Page 266: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

248

d’hérésie. Et c’est pourtant dans ce contexte où les populations tiraient le diable par la

queue que ces mêmes populations ont assisté à la mise en place de la Médiature de la

République, avec à sa tête un socialiste de la première heure, et ami du président de la

République. Ministre sous Senghor pendant presque une décennie, ce magistrat de

formation qui était le président de la Cour suprême lors des inoubliables élections

présidentielles et législatives de février 1988, considéré comme partisan à tort ou à raison

par les populations, avait désormais pour tâche d’être la voie des lésés au plan administratif

et même juridique avec la loi du 91-14 du 11 février instituant un médiateur de la

République.

Article premier : Il est institué un médiateur de la République, autorité

indépendante qui reçoit, dans les conditions fixées par la présente loi, les

réclamations concernant le fonctionnement des administrations de l’État, des

collectivités locales, des établissements publics et tout autre organisme investi

d’une mission de service public. Dans l’exercice de ses attributions, il ne reçoit

d’instruction d’aucune autorité. Article 2 : Par ses recommandations, le

Médiateur de la République incite les services publics à rechercher l’esprit des

lois dans l’application des textes, notamment en cas de conflit avec les citoyens,

et à accepter de prendre en compte l’équité dans leurs relations avec les

citoyens, d’une manière compatible avec le respect des législations et

réglementations en vigueur. Il contribue, par les propositions de simplification

administrative ou de réforme qu’il formule, à la modernisation des services

publics. Article 3 : Le Médiateur de la République est nommé par décret pour

une période de six (6) ans non renouvelable. Il ne peut être mis fin à ses

fonctions, avant l’expiration de ce délai, qu’en cas d’empêchement constaté par

la Cour suprême. Article 4 : Le Médiateur de la République ne peut être

poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions qu’il émet

ou des actes qu’il accomplit pour l’exercice de sa mission. Article 7 : Toute

personne, physique ou morale, qui estime, à l’occasion d’une affaire la

concernant, qu’un organisme visé à l’article premier n’a pas fonctionné

conformément à la mission de service public qu’il doit assurer, peut, par

réclamation écrite, porter l’affaire à la connaissance du Médiateur de la

République. Le Président de la République peut soumettre également au

Médiateur de la République toute réclamation de même nature dont il aura été

saisi. La réclamation est recevable sans condition de délai, mais elle ne peut

être examinée que si le réclamant apporte la preuve qu’il a préalablement

accompli les démarches nécessaires pour permettre au service intéressé

d’examiner ses griefs. La réclamation n’interrompt pas les délais de recours,

notamment devant les juridictions compétentes, mais la saisine de celles-ci ne

fait pas obstacle à l’intervention du Médiateur de la République pour régler

amiablement le différend. Article 8 : Lorsqu’une réclamation lui paraît

Page 267: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

249

justifiée, le Médiateur de la République fait toutes les recommandations qui lui

paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi et, le cas échéant,

toutes propositions tendant à améliorer le fonctionnement de l’organisme

concerné. Lorsqu’il apparaît au Médiateur de la République, à l’occasion d’une

réclamation dont il a été saisi, que l’application des dispositions législatives ou

réglementaires aboutit à une iniquité, il peut proposer, à l’autorité compétente,

toutes mesures qu’il estime de nature à y remédier, et suggérer les

modifications qu’il lui paraît opportun d’apporter à ces dispositions. Article 9 :

Le Médiateur de la République est informé de la suite donnée aux

recommandations qu’il formule pour le traitement des réclamations

individuelles qu’il reçoit. À défaut de réponse satisfaisante dans le délai qu’il a

fixé, il propose au Président de la République de donner à l’autorité toute

directive qu’il juge utile. Article 12 : Le Médiateur de la République ne peut

intervenir dans une procédure devant une juridiction, ni remettre en cause le

bien fondée d’une décision juridictionnelle. Mais le respect des décisions ayant

acquis l’autorité de la chose jugée n’interdit pas au Médiateur de la République

de demander à la collectivité bénéficiaire de renoncer à tout ou une partie de ses

droits en cas d’iniquité283

Organe institutionnel doté d’un pouvoir de recommandation et non de décision, et n’ayant

comme unique recours le Président de la République en cas d’insatisfaction, cette

institution qui était dotée d’un budget de fonctionnement trop généreux selon l’opposition

de l’époque souffrait d’un non-sens et, était à la limite était même une hérésie. Sa mise en

place ne se justifiait pas, et n’était pas une priorité pour un gouvernement qui avait décidé

au nom d’un impérium économique, de sacrifier la collectivité des individus pour mettre en

place des politiques ou des réformes qui avaient occasionné un mal vivre sans précédent

dans l’histoire du Sénégal indépendant. Mettre en place une structure institutionnelle digne

des grandes démocraties, avec un budget de fonctionnement qui pouvait servir à solutionner

le problème des étudiants qui étaient en grève au même moment, était ni plus, ni moins que

ce mépris mal dissimulé que le président Abdou Diouf avait à l’endroit des populations.

L’indépendance du Médiateur de la République a été organisée et garantie par

la loi sur la base des principes suivant : 1) l’exercice d’un mandat suffisamment

long, mais à durée limitée (six ans), non renouvelable, mais durant lequel le

titulaire de la fonction jouit : a) d’une inamovibilité entière dans la mesure où,

avant le terme normal de son mandat, les fonctions de Médiateur de la

283

Internet. La loi porte seize (16) articles relatifs au Médiateur de la République. Nous avons fait ressortir

les articles qui nous semblaient les plus pertinents pour mieux faire ressortir l’importance et le rôle de cette

institution.

Page 268: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

250

République ne peuvent être interrompues que dans le cas exclusif d’un

empêchement dûment constaté par les hautes instances juridictionnelles de

l’État. b) d’une immunité de juridiction effective pour tous les actes accomplis,

les mesures prises ou les opinions émises dans l’exercice ou à l’occasion de

l’exercice de ses fonctions. 2) la garantie de la liberté d’initiative et d’action

dans le cadre de la mise en œuvre de sa mission, d’où il découle que le

Médiateur de la République ne saurait recevoir, sous quelque forme que ce soit,

de directive, d’instruction ou d’invitation à part « d’aucune autorité ». 3) la

liberté de choix par le Médiateur de la République de ses collaborateurs

immédiats parmi les fonctionnaires ou agents publics de l’État en activité, sans

la moindre entrave des autorités concernées. 4) l’adoption d’un régime financier

et comptable dérogatoire du droit commun et particulièrement souple, de nature

à mettre le Médiateur de la République totalement à l’abri du blocage tatillon de

la gestion des crédits mis à sa disposition, sous la forme d’une dotation annuelle

globale inscrite sur une ligne budgétaire individualisée dans le budget de la

Présidence de la République (« Dotation des pouvoirs publics »)284

.

Pendant donc que les sénégalais dans leur plus grande majorité peinait à joindre les deux

bouts, le gouvernement avait mis en place une nouvelle institution censée être au service de

l’individu et de la communauté pour corriger tout arbitraire pouvant provenir dans leur

rapport avec l’administration publique ou privée. Au regard du nombre quasiment

insignifiant de sénégalais qui était dans l’administration, au regard également de la mise en

place de la mise en place de certaines politiques du PAS (Programme des Ajustements

Structurels), notamment dans le cadre du PALMT (Plan d’ajustement économique et

financier à long et moyen terme) qui se voulaient asociales, au regard enfin et surtout de la

suppression de tout programme ou politique à caractère social, ce souci soudain du

gouvernement de vouloir mieux servir le citoyen par la création de la Médiature ne faisait

pas sens.

À ces populations abandonnées par un gouvernement qui, par sa politique du

désengagement de l’État, leur avait demandé explicitement de se prendre en charge. À ces

populations abandonnées par leurs légitimes représentants pour faire allusion aux

parlementaires qui avaient choisi de défendre et de protéger leur parti politique, à ces

travailleurs qui étaient désormais à la solde du patronat qui, en raison de la mise en place de

284

Sy, Seydou Madani, « L’institution du Médiateur de la République au Sénégal » Rapport Annuel, Dakar,

1999, pp 1-2

Page 269: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

251

certaines politiques, avait fait du licenciement un outil de gestion de leur activité, la

création d’une institution au service exclusif du citoyen pour corriger les soi-disant griefs,

potentiels ou futurs que pouvait subir l’individu ou des individus, ne pouvait pas faire sens.

La mise en place de la Médiature de la République ne pouvait en aucun suscitait cet

enthousiasme qui devait pourtant l’accompagner en raison de ces précédents précités qui

faisaient que les populations en général, et les travailleurs en particulier n’avaient plus de

grandes attentes à l’endroit du gouvernement. Aussi, dans un Sénégal où la politique

d’assainissement des finances publiques avait amené le gouvernement à réduire la taille de

la fonction publique, et à ne plus recruter, la mise en place d’une telle institution n’était ni

justifiée et encore moins appropriée. Les populations rurales et urbaines ne demandaient

pas des institutions, mais plutôt des politiques ou la mise en place de politiques capables de

les sortir de ce mal vivre criard auquel les avait exposé le PAS et ses réformes.

La Médiature qui était simplement dotée d’un simple pouvoir de recommandation, qui ne

liait pas en plus le ou les mis en cause, ne pouvait concrètement rien apporter par exemple à

ces déflatés de la fonction publique. Le Médiateur de la République qui ne pouvait recourir

qu’au Président de la République en cas de nécessité, était lié dans les faits à la volonté du

prince, même si le texte relatif à son statut le présentait comme une « autorité indépendante

». Il appartenait au Président de la République de donner une suite à ses recommandations,

et il n’en avait pas l’obligation. À l’instar d’autres institutions comme l’IGE (Inspection

Général d’État) ou de la Cour des Comptes créée en 1999 (nous y reviendrons), son

autonomie était compromise par le fait que la suite de ses recommandations était laissée à

la libre appréciation du Président de la République qui pouvait en faire ce qu’il voulait.

Aucune obligation ne lui était faite par la loi pour donner une suite à ce travail, si important

et si nécessaire soit-il, et pour une saine gestion des fonds publics. Les populations

sénégalaises pouvaient en vérité se passer de telles institutions qui étaient dépouillées de

leur essence et de leur substance pour rester finalement avec une carapace ou une ossature

qui les privait de toute efficacité. Dans un contexte international fortement et

Page 270: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

252

profondément attaché à l’État de droit, la mise en place d’une telle institution comme la

Médiature, ou d’institutions similaires, c’est-à-dire en phase avec la démocratie, était une

manière de s’octroyer un certain crédit ou une certaine audience auprès d’un G8 dont

l’estime ou la simple considération pouvait être d’un certain secours dans certaines

situations. Le président Abdou Diouf le savait, et tenait même beaucoup plus que le

président Senghor à cette bonne image que le Sénégal devait projeter sur la scène

internationale. Ce démocrate des textes, dont le respect et la considération pour l’État était

connu de tous, et qui avait à son actif des faits qui s’inscrivaient en droite ligne avec cette

ouverture démocratique qui était réclamée par la rencontre de la Baule, avait décidé d’aller

de l’avant avec les institutions.

Cité en exemple lors de la rencontre par le Président Mitterrand dans son adresse à ses

homologues chefs d’États africains, le Sénégal faisait figure d’exception au regard d’un

certain passé qui le plaçait en avance sur certains pays de la sous-région, renforcé par les

gestes posés par le président Abdou Diouf depuis son arrivée à la magistrature suprême au

lendemain de la démission du président Senghor au soir du 31 décembre 1980. La

suppression du visa de sortie, et celle de la loi des courants de pensées de 1976 pour

instaurer le multipartisme intégral, ajouté au fait de faire appel à des compétences autres,

c’est à dire non partisanes pour former le gouvernement après sa victoire lors des élections

présidentielles et législatives de février 1983, constituaient des atouts que le président

Mitterrand avait tenu à faire mention dans son discours pour exhorter les autres chefs

d’États à s’inscrire dans ce qu’il considérait comme un apprentissage de la liberté, et dans

lequel le Sénégal excellait. « Il n’y a pas trente-six chemins vers la démocratie comme le

rappelait M. le président du Sénégal, il faut un État, il faut le développement et il faut

l’apprentissage de la liberté285

».

Alors que la Médiature de la République avait vu le jour dans un moment où les

populations ne s’y attendaient pas, il en était de même pour le Sénat qui avait vu le jour

avec la loi du 2 mars 1998 portant révision de la Constitution et relative à la création du

285

Mitterrand, François, Allocution, Séance solennelle d’ouverture de la 16 ème conférence des chefs d’État

de France et d’Afrique, Baule, 1990

Page 271: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

253

Sénat. Le parti socialiste venait de remporter les élections législatives, et le président de la

République, chef de ce parti pouvait compter sur le soutien total et sans faille de ses

camarades socialistes qui siégeaient à l’Assemblée nationale. Loin d’être attendu par les

populations, le Sénat avait vu le jour dans un contexte où Ŕ il est important de le préciser Ŕ

le parlement était loin de jouer et de remplir son rôle. La crise institutionnelle et politique

de 1962 avait amené le constituant qui n’était rien d’autre que le président de la

République, à renforcer les pouvoirs de l’Exécutif au détriment du Législatif.

Par sa création, le parlement qui était monocaméral depuis l’indépendance (1960) devenait

par conséquent bicaméral, donnant ainsi l’impression que le pouvoir législatif avait besoin

d’une seconde chambre pour mieux remplir son rôle. Ce qui était loin d’être le cas. « Il

s’agit là d’un tournant dans le système constitutionnel sénégalais. En effet, depuis

l’indépendance du Sénégal, l’option pour un système monocaméral semblait définitivement

acquise. Certains auteurs l’expliquaient par le fait que le Sénégal avait connu à la fin de

l’époque coloniale une seule chambre, l’Assemblée territoriale. Des arguments d’économie

semblaient conforter cette tradition286

». Mais, les « raisons » qui avaient justifié sa mise

en place dans le dispositif institutionnel par le président Abdou Diouf se trouvaient dans

l’exposé des motifs de la loi no 98-11 du 2 mars 1998 portant révision de la Constitution et

relative à la création du Sénat, dont voici la teneur :

Le présent projet de loi constitutionnelle a pour objet d’introduire le

bicaméralisme dans notre constitution pour la création d’un Sénat. Cette

nouvelle Institution de la République constituera avec l’Assemblée nationale le

Parlement (article 5 de la Constitution). Cette réforme s’inscrit d’abord dans le

prolongement de la régionalisation. Ainsi, le Sénat assurera la représentation

des collectivités locales, qui procéderont à l’élection des trois des membres du

Sénat (article 49 bis de la Constitution). De même, les Sénégalais établis hors

du Sénégal disposeront de représentants au sein du Sénat. Enfin, une partie des

sénateurs sera nommée par le Président de la République. Le mandat des

sénateurs, à l’instar des autres élus locaux sera de cinq ans. Il est prévu qu’une

loi organique fixe, notamment, le nombre des sénateurs, le régime des

inéligibilités et les incompatibilités. Certaines dispositions constitutionnelles

relatives à l’Assemblée nationale sont étendues au Sénat. Il en est ainsi de la

286

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Karthala, 2009, p 150.

Page 272: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

254

consultation du Président de l’Assemblée en matière de référendum (article 46),

des immunités parlementaires (article 50), du règlement des assemblées (article

51), de la saisine du Conseil constitutionnel (article 63) et encore de la Haute

Cour de Justice (article 86). L’article 56, relatif au domaine de la loi, tient

compte de la création d’un Sénat : d’une part, il prévoit désormais que « la loi

est votée par le Parlement »; d’autre part, il ajoute au domaine législatif le

régime électoral du Sénat. Le Sénat est compétent en toute matière législative,

qu’il s’agisse des lois ordinaires (article 56), des lois de finances (article 57),

des lois organiques (article 67) ou des lois constitutionnelles (article 89). La

procédure législative est prévue par l’article 60, les projets ou propositions de

loi sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale. Le Sénat dispose

ensuite pour se prononcer d’un délai de vingt jours, réduit à sept jours en cas

d’urgence. Enfin, l’Assemblée nationale a toujours le dernier mot. Les

Sénateurs disposent de l’initiative des lois et du droit d’amendement, au même

titre que les députés (articles 69 et 71). Il est également prévu que les sénateurs

peuvent poser des questions écrites ou orales au premier ministre et aux

membres du gouvernement (article 74). En revanche, le droit de censure n’est

pas étendu aux sénateurs. Dans le même esprit, le Sénat ne peut faire l’objet de

dissolution. L’article 89 précise la procédure de révision constitutionnelle.

Dans une première étape, le projet ou la proposition de révision est adopté par

le Parlement selon la procédure législative ordinaire. Dans une seconde étape,

l’adoption définitive de la révision se fait soit par référendum soit par le

Parlement réuni en Congrès. Dans ce dernier cas, il est requis une majorité des

trois cinquièmes des suffrages exprimés. Enfin, le présent projet de loi

constitutionnelle comporte deux dispositions concernant le Conseil

constitutionnel : - d’une part, le Conseil constitutionnel est obligatoirement saisi

des règlements des assemblées (article 51); - d’autre part, la portée de ses

décisions est précisée à l’article 82, qui prévoit désormais que celles-ci ne sont

susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les

autorités administratives et juridictionnelles. Telle est l’économie du présent

projet de loi constitutionnelle287

.

Un souci donc de mieux servir les populations, était donc à la base du Sénat comme

seconde chambre. L’initiative était certes salutaire dans la mesure où, le président de la

République voulait renforcer la représentation nationale que justifiait la régionalisation. Un

souci de décentraliser la représentation nationale était également perceptible dans cette

noble et encourageante initiative, si l’on se réfère à l’argument consistant à octroyer aux

sénégalais de l’extérieur des représentants au Sénat. Tels étaient donc les motivations qui

avaient amené le président de la République et son gouvernement à mettre en place le

287

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection CREDILA XXIII,

2007, pp 150-151.

Page 273: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

255

Sénat, qui devait par conséquent renforcer le travail du pouvoir législatif. Tel était aussi la

thèse officielle pour justifier une institution que n’attendaient pas les populations, peu

intéressées par ces modifications constitutionnelles.

Mais au regard de la manière dont l’Assemblée nationale fonctionnait, c’est à dire un

support au pouvoir plutôt qu’un contre-pouvoir, allant même jusqu’à rendre nul, voire

inopérant le rôle des parlementaires, une seconde chambre qui devait être à majorité

socialiste ne présageait rien de bon. Le Sénat était virtuellement prédisposé à agir de la

même façon que l’Assemblée nationale. Autrement dit, les sénateurs allaient subir

l’emprise du pouvoir exécutif, plus particulièrement celui du président de la République et

pour les raisons suivantes. Au-delà de son pouvoir de nomination à tous les postes civils et

militaires tel que prévu par les articles 38 et 39 de la Constitution, le président Abdou Diouf

devait nommer un certain nombre de sénateurs, en plus de « devoir » désigner les membres

du bureau.

Ce sésame, en raison des privilèges qui s’y rattachaient (voiture Ŕ logement de fonction Ŕ

bureau avec secrétariat) pour les sénateurs qui avaient rang de vice-président) devait être

l’outil du pouvoir exécutif pour s’immiscer dans leur « travail ». Le président du Sénat,

qui était choisi par le président de la République, devenait le troisième personnage de l’État

avec un traitement comparable à celui du président de l’Assemblée nationale (fonds pour

ses déplacement de prestige Ŕ résidence surveillée Ŕ escorte discrète, etc). Il n’est d’ailleurs

pas exagéré de soutenir que le Sénat ne pouvait pas faire mieux que l’Assemblée nationale,

amenant une certaine opinion à penser que sa mise en place était une manière d’anticiper

sur le prochain rendez-vous électoral de 2000. La création de cette chambre (le sénat) Ŕ

avait d’ailleurs fait remarquer Mody Niang Ŕ n’avait d’autres objectifs que de trouver une

sinécure à certains socialistes et souteneurs du président Diouf laissés en rade lors des

élections législatives du 24 mai 1998. Il fallait prévenir les mécontentements qui se

Page 274: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

256

traduisaient souvent par des votes-sanction : on était à un an de l’élection présidentielle du

27 février 2000288

.

Loin de dire que sa mise en place n’était pas importante dans une République, nous

estimons que sa création ne se justifiait pas au regard du rapport de subordination qui

existait entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Il est par conséquent légitime de

penser, mais aussi de soutenir que le président de la République n’avait pas le souci de

rendre le travail des parlementaires plus efficace. L’Assemblée nationale était perçue par

une certaine presse et par une grande partie de la population comme une chambre

d’enregistrement. Le Sénat, censé être un lieu et cadre pour « revoir » et améliorer le

travail des députés, au regard de la composition de ses membres, n’était pas dans cette

dynamique. En effet, on avait assisté à un come-back des socialistes de la première heure,

c’est-à-dire les compagnons et souteneurs du président Senghor, qui étaient chassés du

pouvoir et de ses environs lors de la mise en place de l’hégémonie du président Abdou

Diouf. Le retour de ces barons dans l’esprit des populations donnait un goût de « déjà vu

».

Cette seconde chambre, pour parler du Sénat, est dans les grandes démocraties (France Ŕ

Canada Ŕ États-Unis) un cadre et lieu où s’effectue un travail sérieux, remarquable et utile

pour les populations. Qu’ils soient élus comme c’est le cas aux États-Unis ou nommés

comme au Canada, les sénateurs inscrivent leur travail dans une dynamique de supervision,

voire de « contrôle » du travail parlementaire. Les sénateurs, loin donc des figurants, se

font le devoir de se montrer également vigilants par rapport à l’action gouvernementale. À

ce dernier niveau, les États-Unis constituent un exemple à souligner si l’on se réfère au

pouvoir de nomination du président qui est soumis à l’approbation du Sénat dans certains

cas pour être effectif. Bien que nommés par le Premier ministre pour parler du Canada, les

sénateurs sont loin d’être de simples figurants comme en attestent ces propos :

288

Niang, Mody, Abdou Diouf, 40 ans au cœur de l’État socialiste au Sénégal, Paris : L’Harmattan, 2009, p

138

Page 275: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

257

Comme chambre haute du Parlement canadien, le Sénat jouit de tous les

pouvoirs législatifs conférés à la chambre basse, à une exception près qui est

importante. En effet, aucun projet de loi à caractère financier ne peut prendre

naissance au Sénat. Seule la chambre des communes, élue directement par la

population, a le pouvoir de présenter des projets de loi de nature fiscale ou de

crédits budgétaires qui y sont d’abord adoptés avant d’aboutir au Sénat. Pour

tous les autres projets de loi, le Sénat jouit des mêmes pouvoirs législatifs que

la Chambre des communes. Un tel pouvoir comporte une double dimension.

En premier lieu, tout projet de loi Ŕ autre que le cas mentionné précédemment Ŕ

peut prendre naissance à la chambre des communes (projet C suivi d’un

numéro, par exemple C-10) ou au Sénat (projet S suivi d’un numéro, par

exemple, S-32). Si la majorité des projets sont d’abord présentés à la Chambre

des communes, un certain nombre peuvent émaner du Sénat, selon ce que

souhaite le gouvernement en place (un sénateur peut évidemment présenter son

propre projet). C’est pourquoi le Sénat est plutôt réduit à attendre passivement

que la Chambre des communes se prononce d’abord et qu’ainsi, un bon nombre

de ces projets lui soient transmis en vrac vers la fin des sessions, ce qui réduit

d’autant son travail législatif. En second lieu, tout projet de loi, y compris les

amendements qu’on y apporte, doit être approuvé dans les mêmes termes par

l’une et l’autre chambre avant d’obtenir la sanction royale. C’est donc dire que

le Sénat dispose de pouvoirs législatifs importants, contrairement à la Chambre

des lords qui, en 1911 et 1949, a vu ses pouvoirs restreints. Cette dernière

chambre, dont s’inspirait le Sénat Canadien, ne peut plus s’opposer à un projet

de loi de nature financière et ne peut que retarder d’un an l’adoption des autres

projets de loi d’intérêt public. Le Sénat est ainsi appelé à jouer le rôle d’une

chambre qui porte un examen attentif, réfléchi et serein sur la législation,

pouvant calmer à l’occasion les ardeurs de la chambre basse. C’est donc une

vision temporisatrice et plutôt conservatrice qui a présidé à la naissance du

Sénat canadien, vision qui a encore cours aujourd’hui, même si l’on doit

maintenant nuancer davantage cette assertion289

.

La mise en place donc d’une institution comme le Sénat290

ne devrait pas par conséquent

reposer sur un motif autre que celui du renforcement de l’activité et du travail

parlementaire. Ce renforcement du travail de l’activité législative ne doit reposer à son tour

sur un motif autre que celui de servir les populations. Une institution Ŕnous rappelons Ŕ

289

Montigny, Éric et Pelletier Réjean, « Le pouvoir Législatif : le Sénat et la Chambre des communes » dans

Le parlementarisme canadien, Québec : Presses de l’Université Laval, 2013, pp 338-339. 290

Le Sénat a été supprimé lorsque le Président Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir. Cette suppression a

été bien accueillie par les populations qui ne voyaient pas son utilité. Supprimé en 2001, il sera recrée en mai

2007 par le président Abdoulaye Wade qui l’utilisa pour y caser ses souteneurs, avec à sa tête un de ses

inconditionnels comme président. Ce Sénat a été supprimé par le nouveau président de la République en août

2012. Revenu précipitamment d’un voyage à cause des sinistres engendrés par les inondations, le président

Macky Sall avait décidé de supprimer le Sénat pour allouer son budget aux populations sinistrées. Loin donc

d’être une seconde chambre pour renforcer le travail parlementaire, il sert à faire bonne image dans une

démocratie de type institutionnel.

Page 276: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

258

doit servir à quelque chose au sens positif du terme, dans la mesure où elle doit inscrire son

action dans la durée. Elle doit avoir un objectif précis qui devrait également faire l’objet

d’un consensus autour des principaux concernés. Elle ne se décrète pas, elle se construit, et

doit être le reflet de ce construit pour être accepté par les populations. Ce construit repose à

son tour sur un préalable; le besoin qui va faire de sa mise en place une priorité. Cela nous

conduit à soutenir que la mise en place d’une institution comme le Sénat, quoique salutaire

au regard de son rôle, ne se justifiait pas.

Déterminé dans ses objectifs institutionnels, le président Abdou Diouf avait mis en place

l’année suivante la Cour des Comptes. Dans un contexte d’assainissement et

redressement des finances publiques, une telle structure qui avait pour objectif de

sanctionner les comportements délictueux par rapport aux ressources publiques, avait toute

sa place. Présentée d’après l’exposé des motifs comme un achèvement de la réforme

judiciaire de 1992 qui avait engendré la disparition de la Cour suprême, il est important de

préciser que sa mise en place était justifiée au regard du comportement de certains agents

de l’État avec les fonds publics. La Cour des Comptes avait donc vu le jour avec la loi 99-

02 du 29 janvier 1999 portant révision de la Constitution

Au Sénégal, le Conseil d’État est seul juge de l’excès de pouvoir et de la

régularité des comptes des comptables publics, cumulant ainsi les fonctions

dévolues au Conseil d’État et à la Cour des Comptes. L’évolution récente notée

dans le paysage institutionnel du Sénégal et qui se caractérise par un formidable

mouvement de décentralisation a pour conséquence une extension des

compétences du Conseil d’État aux nouvelles personnes morales de droit public

issues de cette décentralisation, et un accroissement réel du volume des affaires

attraites devant cette haute juridiction. Cette situation nouvelle commande une

rationalisation de l’organisation judiciaire de notre pays, dont l’objectif est une

spécialisation dans les différentes branches du droit, afin de leur permettre

d’assurer avec plus d’efficacité, de célérité et de pertinence, leur rôle d’organes

de contrôle de la régularité, pour une plus grande transparence, de l’action

administrative. C’est ainsi que, pour parachever la réforme judiciaire entreprise

en 1992 et qui a vu l’éclatement de l’Ex Cour suprême en trois hautes

juridictions spécialisées, le Sénégal désormais va se doter d’une Cour des

Comptes, juridiction spécialisée du droit de la comptabilité publique, autonome

et de haut rang, et dont les compétences essentielles seront celles actuellement

dévolues à la deuxième section du Conseil d’État. Cette option fondamentale

qui consiste à faire le choix d’une juridiction autonome caractérise également

Page 277: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

259

les institutions sœurs francophones qui se sont développées de l’Afrique du

Nord à l’Afrique équatoriale où il a été noté que toutes les institutions

supérieures de contrôle des finances publiques, sauf celles dépendant encore

d’une Cour suprême ont opté pour un statut autonome. Depuis quelques années

on assiste ainsi à un mouvement important de réformes qui tendent, dans leur

ensemble, à distinguer les juridictions financières du système indiciaire

classique. Le Sénégal entend opter pour une juridiction autonome afin d’avoir

une Cour moderne et exemplaire. Cette autonomie est d’ailleurs requise par les

instances de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA) qui

recommandent également que les juges des comptes soient indépendants et

obéissent à des règles très spécifiques… Telle est l’économie du présent du

présent projet de loi de révision constitutionnelle291

.

Dotée d’une indépendance d’action totale, la Cour des Comptes était composée par des

magistrats choisis par leur paire sur une base strictement professionnelle. Ils avaient pour

principale mission de s’assurer de la gestion des finances publiques dans un Sénégal où la

gabegie était monnaie courante. Certains directeurs de société ou d’établissement à

vocation publique avaient tendance à considérer les ressources de l’État comme faisant

partie de leur patrimoine. Le détournement des fonds publics était une pratique courante, et

même encouragée par un État-parti qui avait tendance à protéger ses potentiels coupables.

Dans un Sénégal ou la prépondérance du politique était également connue de tous, y

compris par les étrangers qui y séjournaient, la possession de la carte du parti socialiste

était une source d’immunité qui était connue autant par les autorités policières et

judiciaires.

En effet, la « générosité » dont pouvait afficher certains directeurs de société ou

d’établissement public à l’endroit du parti pour l’aider à entretenir sa clientèle politique, les

mettaient à l’abri de toute poursuite. L’attachement profond et sincère au secrétaire général

du parti socialiste, c’est-à-dire au président de la République, connu par les pouvoirs

publics et inévitablement par les populations, permettait à certains directeurs de société ou

d’établissement publics de dilapider les fonds publics sans être inquiété. Le Sénégal a

même connu des personnes d’obédience politique ou religieuse qui se croyaient au-dessus

291

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA

XXIII, 2007, pp 161-163

Page 278: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

260

des lois. Le président Abdou Diouf a voulu y remédier au début de son magistère en créant

la loi sur l’enrichissement illicite. Cette loi avait fait des cobayes, et rien que des cobayes

dans la mesure où ceux et celles qui étaient chargés de son application avaient, comme par

hasard, oublier de s’attaquer aux responsables politiques. Elle était restée lettre morte.

Coïncidence, hasard ou calcul, la création de la Cour des Comptes en 1999, à un an de son

départ du pouvoir peut être légitimement interprété comme une volonté du président Abdou

Diouf de trouver une solution à une pratique qui était préjudiciable à la fois à l’économie et

aux populations. La Cour des Comptes avait donc pour noble mission de protéger, par son

travail, les finances publiques. Elle était par un tel objectif, un allié à la fois du

gouvernement et de ses principaux créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque

mondiale) qui avaient fait de l’assainissement ou du redressement des finances publiques le

pilier fondamental de leur politique. « La création de la Cour des comptes par la loi n° 99-

02 du 29 janvier 1999 portant révision de la Constitution - pouvait-on lire dans le Rapport

public 2001 en guise d’introduction - marque une étape majeure dans la promotion du

principe de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des affaires publiques292

». Ses compétences étaient précisées par l’article 82 de la Constitution.

Le Conseil d’État est juge en premier et dernier ressort de l’excès de pouvoir

des autorités exécutives. Il connaît des décisions de la Cour des Comptes par la

voie du recours en cassation. Il est compétent en dernier ressort dans les

contentieux des inscriptions sur les listes électorales et des élections aux

conseils des collectivités territoriales. Il connaît, par la voie du recours en

cassation, des décisions des Cours et Tribunaux relatives aux autres contentieux

administratifs, à l’exception de ceux que la loi organique attribue expressément

à la Cour de Cassation. En toute autre matière, la Cour de Cassation se

prononce par la voie du recours en cassation sur les jugements rendus en

dernier ressort par les juridictions subordonnées. La Cour des Comptes juge les

comptes des comptables publics. Elle vérifie la régularité des recettes et des

dépenses et s’assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les

services de l’État ou par les autres personnes morales de droit public. Elle

assure la vérification des comptes et de la gestion des entreprises publiques et

organismes à participation financière publique. Elle déclare et apure les

292

République du Sénégal, Rapport public 2001 : Résumé, Dakar : Cour des Comptes, 2001, p 5

Page 279: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

261

gestions de fait. Elle sanctionne les fautes de gestion commises à l’égard de

l’État, des collectivités locales et des organismes soumis à son contrôle293

.

Ses membres avaient l’immunité dans le cadre de leur pratique. Ils n’avaient d’instructions

à recevoir de quiconque si ce n’était de la loi. Ils avaient la liberté d’entreprendre à leur

rythme les actions qui étaient requises pour « pincer » ces « bandits à cravate » qui avaient

rang de dignitaires dans un Sénégal où les trois quart de la population avaient de la

difficulté à joindre les deux bouts. Ces « bandits » étaient connus par les magistrats de la

Cour des Comptes, et en dépit de la présomption d’innocence. La « générosité » dont ils

faisaient montre, et le train de vie qu’ils affichaient, permettaient et autorisaient de

présumer légitimement qu’ils utilisaient l’argent de l’État. Ces criminels à col blanc étaient

trahis, à leur insu peut-être, par des pratiques et des comportements emprunts d’ostentation.

On pouvait donc dire que les magistrats avaient pour travail principal d’établir la preuve de

leur comportement délictueux par rapport aux fonds publics. Ces « bandits » étaient

également connus des populations, mais aussi du président de la République et de ses

services de renseignements comme la DIC (Division des Investigations Criminelles), la

Sureté de l’État ou les Renseignements Généraux. Le président de la République, citoyen

le plus renseigné en vertu de ce qu’il incarne, était au parfum de ses agissements. Il

revenait par conséquent à ces magistrats qui n’étaient pas sous la tutelle du garde des

sceaux, ministre de la Justice de prouver le bien-fondé de leur juridiction. C’est à ce niveau

d’ailleurs que les populations les attendaient. Ainsi pouvait-on lire à l’article 80 ter de la

Constitution ce qui suit :

Les magistrats autres que les membres du Conseil constitutionnel et de la Cour

des Comptes sont nommés par le Président de la République après avis du

Conseil supérieur de la Magistrature. Les Magistrats de la Cour des Comptes

sont nommés par le Président de la République après avis du Conseil supérieur

de la Cour des Comptes. Les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs

fonctions, qu’à l’autorité de la loi. Les magistrats du siège sont inamovibles.

La compétence, l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la

293

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA

XXIII, 2007, p 188

Page 280: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

262

Magistrature ainsi que le statut des magistrats sont fixés par une loi

organique294

.

Les magistrats de la Cour des Comptes avaient en effet fait leur travail avec tout le

professionnalisme requis. Ils l’avaient fait avec l’objectivité et la rigueur qui étaient

requises pour ce genre de travail. Ces gendarmes des finances publiques avaient trouvé des

failles et de sérieuses entraves dans la gestion de certains établissements ou sociétés à

vocation publique. Ils avaient par conséquent donné la preuve de leur utilité, mais

également et surtout de leur efficacité. Compétente entre autres pour se prononcer sur de

pareils agissements, la Cour des Comptes avait rendu son verdict, tout en prenant le soin de

porter à l’attention du Président de la République les résultats de leur travail comme atteste

cet extrait de leur Rapport public 2001 :

La Cour a particulièrement suivi l’application des directives présidentielles

prises à la suite des conclusions définitives. Elle a, par ailleurs, déféré les

responsables fautifs devant la Chambre de Discipline financière de la Cour et

préparé des référés au Garde des Sceaux pour les poursuites pénales.

Cependant, elle n’a pas reçu de réponse à sa demande adressée au Ministre

d’État, Directeur de cabinet du Président de la République. Cette demande

concernait les suites données aux conclusions définitives transmises en 2001 et

l’état d’exécution des directives présidentielles antérieures. Centre des Œuvres

Universitaires de Dakar (Coud). Les conclusions définitives ont été

intégralement approuvées par le Président de la République. C’est ainsi que le

Directeur général et l’Agent comptable particulier ont été relevés de leurs

fonctions. Une instruction pour délit d’entrave au contrôle de la Cour, engagé

contre l’ancien Directeur, est en cours d’examen. Un référé à son encontre est

également transmis au Garde des sceaux pour différents faits susceptibles de

constituer des délits pénaux. Après un séjour en détention préventive, l’ancien

Directeur du Coud a bénéficié d’un non-lieu et s’est vu, à sa sortie de prison,

confirmer à un poste de responsabilité au sein du ministère qui assure la tutelle

technique de l’établissement qu’il dirigeait. La Poste : Les conclusions

définitives ont été intégralement approuvées par le Président de la République

en 2000 et le Directeur général avait été remplacé à la même époque. À la fin

de l’année 2000, la Cour a diligenté des déférés devant la Chambre de

Discipline financière et des référés au Garde des sceaux contre l’ancien

Directeur général, le Directeur financier et comptable et le Chef du Service des

Infrastructures et de la Logistique. Elle a condamné en 2001 l’ancien Directeur

294

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA

XXIII, 2007, p 187.

Page 281: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

263

général et deux de ses principaux collaborateurs à des amendes de 15, 10 et 7

millions de F CFA. Les autres poursuites sont en cours d’instruction. De

surcroît, plusieurs déférés sont en cours de préparation suite à l’exploitation des

rapports d’audit gouvernementaux, notamment ceux relatifs à la Sicap et à

l’Ipres. Cette procédure s’est accentuée début 2001 devant la Chambre de

Discipline financière avec l’exploitation systématique des rapports d’audit

gouvernementaux définitifs reçus par la Cour295

.

Ce Rapport Ŕ il est très important de le faire remarquer Ŕ a été certes adressé au Président

de la République, mais c’est le Président Abdoulaye Wade, nouvellement élu en mars 2000

qui a eu le privilège de le recevoir. Les principaux mis en cause Ŕ il est également très

important de le faire remarquer - étaient tous des responsables ou des militants du parti

socialistes. Dans un contexte où les populations venaient de mettre un terme à quarante

(40) années de gestion socialiste du pouvoir, un tel rapport y avait sa place, et le nouveau

président de la République qui avait été porté au pouvoir par une coalition de partis

politiques, devait inscrire ses actions dans une dynamique de rupture, mais aussi de

changement. En effet, il fallait rompre avec cette gestion socialiste qui encourageait

l’impunité, et il fallait nécessairement innover en donnant une suite aux recommandations

des corps de contrôle.

Tardivement créée, la Cour des Comptes avait prouvé son efficacité. Elle n’était pas

toutefois une nouveauté en tant qu’organe de contrôle. Sa nouveauté était dans d’abord

dans la composition de ses membres qui étaient des magistrats, mais du siège, c’est-à-dire

que l’on ne pouvait pas déplacer sur un coup de tête comme ceux du parquet. La

nouveauté résidait ensuite dans cette immunité qui leur garantissait une liberté d’action afin

de leur permettre de faire leur travail, et d’accomplir leur mission sans être inquiété par le

politique dont la prépondérance et l’influence étaient connus de tous. L’IGE (Inspection

Générale d’État) existait en tant qu’organe de contrôle depuis 1964, et avait ses services à

la présidence de la République, c’est-à-dire là où se trouvait les bureaux et les services de

proximité du Chef de l’État. Ainsi peut-on lire dans son portail que « l’IGE est une

institution administrative supérieure de contrôle placée sous l’autorité directe du Président

295

République du Sénégal, Rapport public 2001 : Résumé, Dakar : Cour des Comptes, 2001, pp 14-15

Page 282: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

264

de la République ». Jugée peu efficace par le nouveau pouvoir, l’IGE a connu des réformes

relatives à sa mission et à méthode de travail comme en atteste cet extrait :

L’IGE est une institution administrative supérieure de contrôle placée sous

l’autorité directe du Président de la République. La loi fixe des conditions de

sélection rigoureuse de ses membres et leur garantit une indépendance

fonctionnelle. À ce titre, elle est une source d’informations objectives sur la

gouvernance économique et financière. Les incertitudes nées du développement

de la pauvreté, la forte demande en services sociaux de base dans un contexte

de crise de légitimité du service public, la forte demande de transparence de la

société civile, les exigences des opinions publiques des pays donateurs qui

réclament plus de transparence et d’impacts dans l’utilisation des fonds

internationaux, ont été à l’origine de la réforme initiée en 2005 par le Chef de

l’État. L’IGE a donc procédé à la relecture de ses missions et méthodes

d’intervention296

Ses membres étaient des magistrats ou des administrateurs civils chevronnés, connus pour

leur intégrité morale avec un sens élevé du respect de l’État, de ses institutions et de ses

services. Ils n’avaient ni la passion des hommes politiques, et encore moins leur

complaisance. Ils se voulaient détachés et avaient souvent le tempérament nécessaire pour

faire le travail de contrôle requis au niveau de certains services de l’État. L’Inspection

Générale d’État était compétente pour regarder le travail des hauts fonctionnaires qui

avaient en charge la gestion de certaines sociétés ou établissements à vocation publique.

Les inspecteurs d’États, dans le cadre de leur travail, devaient obligatoirement rendre

compte au président de la République, sur qui ne pesait par contre aucune obligation pour

donner une suite à ce travail de contrôle. On peut présumer la portée et l’ampleur de leur

compétence sous le magistère du président Abdou Diouf au regard de cet extrait :

Les fonctionnaires de l’Inspection générale d’État effectuent et dirigent les

missions de vérification, d’études, de contrôle et d’enquête qui leur sont

confiées par le Président de la République. Ils sont chargés en particulier : de

contrôler dans tous les services publics de la République, l’observation des lois,

ordonnances, décrets, règlements et instructions qui en régissent le

fonctionnement administratif, financier et comptable ; d’étudier la qualité du

fonctionnement de ces services, la manière dont ils sont gérés et leurs résultats ;

296

Internet : Portail de l’Inspection Générale d’État.

Page 283: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

265

de vérifier l’utilisation des crédits publics et la régularité des opérations des

administrateurs, des ordonnateurs, des comptables et régisseurs de deniers et

matières ; de proposer toutes mesures utiles pour simplifier et améliorer la

qualité de l’Administration, abaisser ses coûts de fonctionnement et accroître

son efficacité ; de donner leur avis sur les projets de lois, ordonnances, décrets,

règlements, instructions et autres affaires qui leur sont soumises par le Président

de la République. Leur mission s’exerce sur : l’ensemble des services publics

de l’État quel que soit leur mode de gestion (service en régie, concédés et

autonomes) ou leur localisation géographique (services centraux, régionaux et

extérieurs) ; les établissements publics placés sous la tutelle de l’État quel que

soit le statut ou l’appellation de ces établissements ; les collectivités locales et

leurs établissements publics ; l’administration de l’Armée ; la gestion

administrative et financière des services judiciaires ; les sociétés nationales ; les

sociétés à participation publique majoritaire ; les personnes morales de droit

privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique ; les rapports

entre les institutions ou agents contrôlés et les tiers, notamment avec les

organismes bancaires publics et privés. Dans ce dernier cas, le secret

professionnel ne peut leur être opposé297

.

L’existence d’un organe contrôle pour scruter le travail de ceux et celles qui composent le

gouvernement est fondamentale et même obligatoire en démocratie. La mise en place de

structures ou d’organes de contrôle pour scruter également le travail de ceux et celles qui

forment l’Administration publique ou la Fonction publique, plus particulièrement les

gestionnaires, est non seulement nécessaire, mais également obligatoire en démocratie.

Cette obligation de contrôle à un rang de dogme, voire d’absolu parce que ne pouvant pas

ne pas exister. Cette obligation de contrôle est en effet sa substance, et en même temps son

essence. Cette obligation de contrôle est indissociable de la démocratie dans la mesure où

elle lui confère sa particularité voire sa singularité.

Ce pouvoir de contrôle doit toutefois être réel et non formel. Autrement dit, il ne suffit pas

de créer des organes de contrôle à travers les textes pour les octroyer simplement un

pouvoir de recommandation. L’efficacité d’un organe de contrôle Ŕ nous pensons Ŕ réside

dans son pouvoir de décision ou dans l’obligation faite à son destinataire Ŕ fut-il la plus

haute autorité - de donner une suite à ses recommandations. Les inspecteurs d’États

faisaient certainement leur travail sous Abdou Diouf, mais ne pouvaient rien faire d’autre

297

Internet : Portail de l’Inspection Général d’État

Page 284: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

266

après avoir remis leur rapport. Ces hauts fonctionnaires étaient également tenus de garder

secret le contenu de leur travail et de leur recommandation.

Sous Abdou Diouf, le contrôle de l’action gouvernementale par les députés bien que prévu

par le texte fondamentale, c’est-à-dire la Constitution, était dans la pratique inexistante en

raison de la dynamique du parti-État qui avait confiné le pouvoir législatif dans un rôle de

subordination, voire de support au pouvoir exécutif plutôt que de contre-pouvoir. Les

organes de contrôles pour parler de l’IGE (Inspection Générale d’État) et de la Cour des

Comptes, même dotés du pouvoir de s’autosaisir, ce qui n’était pas le cas pour l’IGE,

étaient frappés d’une limite qui, à la limite, rendait inefficace leur travail. Cette limite

n’était pas dans leur pouvoir de recommandation, mais se trouvait dans le pouvoir qui était

donné au président de la République de donner ou ne pas donner une suite à leur travail.

Ainsi était toutefois la volonté du constituant.

Cette réalité qui était toutefois étrangère à la démocratie, était spécifique à la démocratie

institutionnelle qui par un autoritarisme doux, et subtil, était parvenu à atteindre son

objectif principal à savoir; régenter et dominer. Elle puisait sa force dans la loi

fondamentale, c’est-à-dire la Constitution dont le respect Ŕ nous rappelons Ŕ est

fondamental en démocratie. La démocratie institutionnelle y tirait également sa puissance

d’action, et avait fait par conséquent de son recours constant à la légalité, un outil de

gestion de la société. Cette légalité; pivot de l’État de droit et qui était en phase avec la

Constitution, était sa source de légitimité. Mieux, la démocratie institutionnelle y puisait sa

« légitimité ». Elle est contemporaine au PAS (Programme des Ajustements Structurels) et

continue subtilement à faire son chemin. Le pire est que la démocratie de type

institutionnel est très éloignée de la démocratie occidentale de type sociétal, mais s’en

réclame.

Page 285: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

267

VI.III DE LA DÉMOCRATIE INSITUTIONNELLE

D’emblée, il est important de préciser qu’il est difficile et même impossible de trouver à la

démocratie une définition qui pourrait traduire concrètement ce qu’elle est. Mais cette

impossibilité d’une définition qui serait acceptée par tous ne nous permet pas de ne pas

comprendre ou de ne pas savoir ce qu’elle est ou devrait être, ou bien ce à quoi elle

ressemble ou pourrait ressembler. Elle est sous cet angle une dynamique et restera toujours

une dynamique en raison simplement du fait qu’elle a fait de l’interrogation ou du

questionnement son outil de travail au plan intellectuel et académique, mais aussi son outil

de gestion de la société en tant que volonté du vivre ensemble. La démocratie s’interroge

sur tout, et loin de vouloir relativiser, cherche ou vise plutôt à comprendre le fait, la

situation, la cause, disons pour faire bref, le pourquoi.

De ce point de vue, la démocratie est raison et raisonnement, même lorsqu’elle est réclamée

par les masses ou les foules jugées à tort comme simplement émotives, voire subjectives.

Cette masse ou cette foule Ŕ est-il besoin de le préciser Ŕ n’est rien d’autre en définitive

qu’une partie ou une composante de la collectivité des individus qui conditionne et donne

un sens et une portée à la démocratie en tant que méthode de gestion de la société. Ce qui

nous amène à dire que la masse ou la foule n’est pas inconsciente, mais plutôt réfléchie

surtout lorsqu’elle réclame ou scande la démocratie, ou plus précisément un de ses trois

piliers qui ont pour noms : liberté, égalité et justice.

Au plan politique, un gouvernement qui se dit démocratique, doit obligatoirement et non

impérativement être le reflet de la volonté populaire, c’est-à-dire des populations. Cela

veut dire que les autorités gouvernementales qui ont la charge de diriger le pays, doivent

être le reflet du libre choix de la communauté des citoyens. À ce premier critère s’ajoute un

second qui est en fait inséparable du premier en démocratie. En effet, ce libre choix doit à

son tour être le reflet de la volonté du « plus grand nombre » pour parler comme Locke.

Autrement dit, ce libre choix se doit d’être majoritaire, pour conférer au gouvernement une

liberté d’action légitime, parce que reflet de la volonté, donc du consentement de la volonté

du « plus grand nombre ».

Page 286: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

268

Lorsqu’un certain nombre d’hommes ont, par le consentement de chaque

individu, formé une communauté, ils ont par-là fait de cette communauté, un

corps qui a le pouvoir d’agir comme un corps doit faire, c’est-à-dire, de suivre

la volonté et la détermination du plus grand nombre; ainsi une société est bien

formée par le consentement de chaque individu; mais cette société étant alors

un corps, il faut que ce corps se meuve de quelque manière : or, il est nécessaire

qu’il se meuve du côté où le pousse et l’entraîne la plus grande force, qui est le

consentement du plus grand nombre; autrement il serait absolument impossible

qu’il agît ou continuât à être un corps et une société, comme le consentement de

chaque particulier, qui s’y est joint et uni, a voulu qu’il fût : chacun donc est

obligé, par ce consentement-là, de se conformer à ce que le plus grand nombre

conclut et résout. Aussi voyons-nous que dans les assemblées qui ont été

autorisées par des lois positives, et qui ont reçu de ces lois le pouvoir d’agir,

quoiqu’il arrive que le nombre ne soit pas déterminé pour conclure un point, ce

que fait et conclut le plus grand nombre, est considéré comme étant fait et

conclut par tous; les lois de la nature et de la raison dictant que la chose doit se

pratiquer et être regardée de la sorte298

.

Le consentement des populations, et la volonté du « plus grand nombre » de ce

consentement sont, et restent des critères pour la mise en place d’un gouvernement en

démocratie, faisant par conséquent des élections une donnée importante et indispensable en

démocratie. Les élections sont importantes pour la mise en place d’un gouvernement

légitime, mais encore faudrait-il que ces élections pour choisir le Chef de l’État ou du

Gouvernement (Pouvoir Exécutif) et les légitimes représentants des populations (Pouvoir

Législatif) se fassent et se déroulent dans la plus grande transparence, la seule et unique

condition de sa crédibilité, et éventuellement de sa validité. À ce dernier niveau, il est

important de mentionner qu’une élection peut manquer de crédibilité et se voir valider

comme c’est le cas souvent en Afrique299

(nous y reviendrons).

298

Locke, John, Traité du gouvernement civil, Paris: Flammarion, 1992, p 215 299

Le président Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire qui est actuellement entre les mains de la CPI (Cour

Pénale Internationale) avait fait valider les résultats des élections par la Cour suprême alors qu’il les avait

perdu devant Alassane Ouattara qui est l’actuel Chef d’État. À ce fait qui est coutumier des régimes africains,

il faut mentionner un autre fait profondément inquiétant et qui est relatif au comportement du pouvoir ou de

l’autorité judiciaire. Le candidat président Gbagbo avait demandé à la Cour suprême de promulguer les

résultats, mais à son avantage. C’est la même Cour Suprême qui a validé les résultats des élections qui a

également déclaré d’Alassane Ouattara ; vainqueur de la même élection, mais suite (ce qui est très salutaire) à

une résolution des Nations Unies qui avait autorisé à la France de restituer à la démocratie le légitime choix

des populations. Que la France ait d’autres motivations éloignées de la démocratie ne rentre pas dans nos

préoccupations tout en rappelant que nous sommes conscients que les États, y compris ceux de l’Afrique, «

n’ont pas des amis, mais des intérêts » en réponse à ceux et celles qui seraient tentés ou animés de voir dans

cette noble résolution une sorte ou un quelconque néocolonialisme qui a cessé de faire sens dans un monde

globalisé qui fonctionne désormais sur la base de deux critères : la raison et l’intérêt.

Page 287: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

269

En parlant donc de crédibilité, nous voulons simplement dire que ce critère hautement

important pour traduire le légitime choix des populations ne doit pas faire défaut, c’est-à-

dire qu’il doit obligatoirement et absolument exister pour conférer au vote son importance

d’abord, et sa portée ensuite. Par conséquent, une élection n’a de sens et une importance

que lorsqu’elle est capable de refléter le libre choix des populations. L’élection se veut à

priori une forme par la manière dont elle se déroule, mais elle se veut également et surtout

un esprit dans le sens où, elle traduit et véhicule le choix de l’individu ou des populations

par rapport au choix pluriel ou singulier que lui propose l’agenda politique. Et Quermonne

parlant des caractéristiques de la démocratie occidentale de préciser :

Cinq traits nous paraissent devoir être recensés, comme caractéristiques de la

démocratie occidentale : 1. Le premier concerne le choix des gouvernants : dans

une démocratie occidentale, il procède d’élections libres. Et l’on entend par là

des élections qui répondent au moins à trois conditions : - la liberté de

candidature, qui a pour corollaire la libre formation et le libre fonctionnement

des partis politiques; - la liberté de suffrage, qui implique le suffrage universel

et égal des hommes et des femmes (même si ce dernier est récent dans certains

pays), et qui obéit à l’adage anglais : One man, one vote ; - la liberté du scrutin

qui repose sur deux exigences : le secret (qui justifie l’isoloir) et l’égalité des

conditions d’information et de propagande au cours de la campagne électorale.

2. Le deuxième trait est relatif à l’exercice du gouvernement : il appartient à la

majorité; or, celle-ci peut se dégager soit à l’occasion d’un scrutin direct

(élection présidentielle), soit à la faveur d’un scrutin indirect (majorité

parlementaire et investiture du gouvernement par l’assemblée issue du suffrage

universel); dès lors, le gouvernement de la majorité est légitime, la distinction

du « pays réel » et du « pays légal », inventée par Charles Maurras, étant

contraire à la démocratie. 3. Le troisième caractère réside dans l’obligation, qui

en est le corollaire pour la majorité, de respecter l’opposition; ce qui entraîne

deux conséquences : le droit pour l’opposition à la libre critique, et le droit, à la

suite de nouvelles élections, à l’alternance au pouvoir. 4. Le quatrième principe

porte un nom : le constitutionnalisme; il signifie que les pouvoirs publics,

comme dans les citoyens, sont tenus au respect de la constitution, ce qui

entraîne pour les partis l’obligation de faire preuve d’un consensus minimal (à

condition, naturellement, que les institutions aient été démocratiquement

adoptées), et pour les pouvoirs publics de se soumettre au contrôle de la

constitutionnalité et de la légalité de leurs actes par un organe juridictionnel

indépendant. 5. Lié au constitutionnalisme, le cinquième facteur commun aux

régimes politiques qui se réfèrent à la démocratie occidentale, et qui est sans

nul doute le plus important, réside dans la garantie accordée aux droits

fondamentaux des citoyens et, le cas échéant, des communautés intermédiaires;

ces garanties exigent l’application de l’État de droit et son respect par

Page 288: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

270

quiconque. Telles qu’elles viennent d’être exposées, ces cinq caractéristiques

constituent les traits essentiels de la démocratie occidentale300

.

Ces caractéristiques énumérées par Quermonne constituent le préalable nécessaire à la mise

de la démocratie comme mode de gestion de la société. On serait même tenté de dire

qu’elles en sont la base dans la mesure où ces caractéristiques dans leur ensemble (élections

libres Ŕ majorité requise pour gouverner Ŕ respect de l’opposition Ŕ Respect de la

constitution - garantie des droits fondamentaux des citoyens dans un État de droit) se

retrouvent dans les toutes les grandes démocraties comme celles de la France, du Canada

ou des États-Unis d’Amérique. L’attachement, le respect et la stricte observation de ces

caractéristiques sont intériorisés dans la conscience de tous les acteurs politiques, et même

dans celle des populations. Mais ces préalables Ŕ faudrait-il le préciser Ŕ sont loin d’être

remplis par les États africains, et même par un État comme le Sénégal qui faisait figure

d’exception lors de la rencontre de la Baule de juin 1990.

En parlant de la première caractéristique relative à l’organisation d’élections libres pour le

libre choix des gouvernants, Quermonne y associe trois conditions pour les rendre

crédibles, et par conséquent valides. Il y a d’abord la liberté de candidature. Il y a ensuite

la liberté du suffrage, et enfin la liberté du scrutin. À ce dernier niveau, Quermonne y

associe deux exigences. Le secret (qui justifie l’isoloir) pour le paraphraser, et l’égalité des

conditions d’information et de propagande au cours de la campagne électorale. Au regard

donc des conditions dans lesquelles s’étaient déroulées les élections présidentielles et

législatives au Sénégal en 1983 et 1988, il y a lieu de préciser que la liberté du scrutin était

fortement entachée. S’exprimant sur le soutien qui était apporté par les communautés

religieuses au gouvernement à sa demande, Cruise O’Brien avait fait remarquer ce qui suit :

Dans une démocratie comme celle du Sénégal, ce soutien équivaut en fait à un

choix très rationnel : aucun gouvernement sortant n’a perdu les élections au

Sénégal depuis l’indépendance. D’ailleurs, on peut se demander comment il en

serait autrement, tant que le vote à bulletin secret restera « optionnel » - faisant

du vote pour l’opposition un acte frisant la témérité Ŕ que les capacités de

300

Quermonne, Jean-Louis, Les régimes politiques occidentaux, Paris : Éditions du Seuil, 2006, pp 17-19

Page 289: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

271

clientélisme du gouvernement, tout comme les médias, joueront en faveur de la

campagne du Parti socialiste, et enfin tant que le décompte des voix sera

effectué par des fonctionnaires (dont beaucoup sont membres du parti

socialiste) en l’absence de tout parti d’opposition. Dans ces conditions, il serait

facile de ne voir dans l’expérience démocratique du Sénégal qu’une pure

pantomime, un rituel politique destiné peut-être à apaiser les créditeurs

occidentaux Ŕ et autres Ŕ du pays, mais jamais dans l’intention de permettre le

transfert du pouvoir à d’autres dirigeants. Si l’on y regarde d’un point de vue «

sicilien », on peut dire qu’en organisant des élections, le gouvernement

sénégalais fait à l’électorat une proposition que ce dernier ne peut refuser.

Personne pourtant ne peut se désintéresser totalement d’un processus électoral

qui révèle des lézardes traversant l’édifice du pouvoir, alors qu’elles étaient

jusque-là insoupçonnées. En réalité, en légalisant l’existence de pas moins de

seize partis politiques, le pouvoir n’envisage pas de se faire subtiliser le pouvoir

par l’un d’entre eux, encore moins par une coalition (illégale) des partis

d’opposition301

Telles étaient la réalité des élections présidentielles et législatives de 1983 et de 1988. Les

réformes apportées au Code électoral de 1992 avaient mis un terme à certaine pratique,

mais la liberté du scrutin, plus précisément « l’égalité des conditions d’information et de

propagande au cours d’une campagne électorale » était toujours entachée. « Ce code

électoral, expression consensuelle de tous les partis politiques, a introduit de nombreuses et

importantes innovations qui visent à traduire le souci légitime de transparence et

d’objectivité au cours des différentes électorales. Ces innovations s’articulent autour de 7

principes directeurs302

dont la finalité est d’assurer l’équilibre interne du système électoral

301

Cruise O’Brien, Donald B, « Le contrat social sénégalais à l’épreuve » Politique Africaine : no 45 :

Sénégal : la démocratie à l’épreuve, 1992, p 16 302

Ces sept (7) principes directeurs étaient les suivants; 1. Extension du droit électoral avec abaissement de

l’âge électoral de 21 ans à 18 ans et l’octroi du droit de vote aux émigrés dans leur résidence. 2 Égalité des

candidatures ; interdiction des campagnes déguisées dans les médias publics un mois avant l’ouverture

officielle de la campagne électorale Ŕ interdiction de l’utilisation des biens et des moyens publics pendant les

campagnes électorales Ŕ prise en charge par l’État des frais d’impression des moyens de propagande et des

frais de transport des délégués des partis membres des commissions de distribution des cartes d’électeurs. 3

Transparence des opérations électorales par l’identification de tous les électeurs au moment des inscriptions

sur les listes électorales, du retrait des cartes d’électeur auprès des Commissions de distribution des cartes, du

vote dans les bureaux de vote, de l’encre indélébile après le vote pour chaque électeur, le contrôle politique à

toutes les phases des opérations électorales par les partis politiques (révisions des listes électorales,

distribution des cartes d’électeur, fichier électoral, bureaux de vote, signatures des procès-verbaux et

observations, recensement départemental et national des votes), contrôle des moyens audiovisuels par le Haut-

Conseil de l’Audiovisuel. 4 Représentation des différentes opinions publiques. 5 Séparation de la périodicité

des différentes élections, 7 ans pour le mandat présidentiel, 5 ans pour le mandat législatif, municipal, rural et

régional, par la libre compétition des partis politiques pour toutes les élections, y compris les coalitions de

partis et la possibilité des candidatures individuelles. 6 Contrôle juridictionnel des élections avec la

supervision des élections par la Cour d’Appel, dont le Premier président préside ou fait présider les

Page 290: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

272

et de donner plus de transparence à l’ensemble des opérations électorales303

». Autrement

dit, malgré les réformes apportées à ce Code électoral, les candidats n’étaient toujours pas

sur le même pied d’égalité durant la campagne électorale des élections présidentielles de

1993 et de 2000

D’abord il faut citer un fait, voire une pratique qui a rang de coutume au Sénégal et qui est

relatif au rapport existant entre la presse d’État et le pouvoir. La presse d’État et jusqu’à

maintenant a toujours pris faits et causes pour le parti au pouvoir. Cela a été le cas sous

Senghor et Diouf. Ce fut le cas sous Abdoulaye Wade, et c’est le cas présentement avec le

président Macky Sall. Toutefois, tout porte à croire que ce critère va trouver sa résolution

dans un très proche avenir en raison de l’existence des différentes chaines de télévision et

de station de radio d’une part, et de l’implication active de la société civile dans le débat

politique d’autre part. Cette parenthèse précisée nous conduit à dire que la dernière

exigence mentionnée par Quermonne relative à la liberté du scrutin, à savoir l’égalité des

conditions d’information et de propagande, faisait toujours défaut, et il y avait pire que

cela.

Non seulement la presse d’État était du côté du parti socialiste, mais dénigrer

systématiquement l’opposition par le canal de l’ORTS (Office de Radiodiffusion et de

Télévision du Sénégal) et le quotidien National : le Soleil qui ne brillait que pour le parti

socialiste. À cela, il faut ajouter que lors de la préparation des élections de 2000, le

directeur de campagne du candidat Abdou Diouf avait utilisé les services en

communication de Jacques Séguéla, et à un coût exorbitant pour faire réélire le président

candidat, dans un contexte où les sénégalais tiraient le diable par la queue, avec des

hôpitaux dépourvus par exemple de matériels et de médicaments. Les coûts de ce service

n’étaient pas connus du public et à rang probablement de secret d’État, mais on peut

légitimement présumer que le parti socialiste avait dépensé une fortune. Il est aussi

Commissions de recensement des votes et proclamer les résultats provisoires, tandis que la compétence du

Conseil Constitutionnel s’étend au Contentieux électoral et à la proclamation des résultats définitifs. 7

Sanction pénale des infractions au Code électoral [Ndao, El hadj Ibrahima, Sénégal, histoires des conquêtes

démocratiques, Dakar : Les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 2003, pp 445-446]. 303

Ndao, El hadj Ibrahima, Sénégal, histoires des conquêtes démocratiques, Dakar : Les Nouvelles Éditions

Africaines du Sénégal, 2003, p 445

Page 291: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

273

légitime de présumer que le président de la République, chef et candidat du parti socialiste

avait puisé dans ses « fonds politiques » ou « fonds spéciaux » (nous y reviendrons) pour

financer sa campagne électorale. C’est donc dire que malgré les réformes apportées par le

code électoral consensuel de 1992, il existait toujours des manquements par rapport à la

liberté du scrutin.

Cela précisé, il convient de faire remarquer qu’il existe des fondamentaux (nous y

reviendrons) en démocratie, autrement dit des conditions que doivent remplir

obligatoirement tout régime qui se dit démocratique. Ces fondamentaux clairement

résumés (implicitement) par le schéma du président Mitterrand (système représentatif -

élections libres Ŕ multipartisme - liberté de presse - indépendance de la magistrature - refus

de la censure) renvoient « aux conditions nécessaires, mais non suffisantes » 304

pour parler

de démocratie. Autrement dit, l’existence de ces conditions n’assure pas la démocratie,

mais leur absence rend nulle et non crédible toute référence ou comparaison à la

démocratie, qui - nous le rappelons - est avant tout un régime de contrôle.

Le principe du consentement et la loi du « plus grand nombre » sont donc des critères qui

ont un rang d’absolu en démocratie. Leur combinaison donne naissance à la légitimité qui

est d’ailleurs intrinsèque à la démocratie. Ces deux critères sont des conditions de validité

du choix de ceux et celles qui doivent agir et prendre des décisions au nom des populations,

faisant ainsi des gouvernants les mandataires des populations. C’est dans ces conditions, et

seulement dans ces conditions que la formule du président Lincoln (Gouvernement du

peuple, par le peuple et pour le peuple) acquiert un sens. « Gouvernement du peuple pour

le peuple » telle est la finalité qu’affichent aujourd’hui tous les États du monde. Et l’on a

déjà dit l’unanimité que recueille officiellement, notamment dans le cadre de l’Organisation

des Nations unies, la démocratie en tant que principe de légitimité305

».

304

Nous voulons simplement dire qu’il y a certains critères qui doivent obligatoirement se trouver dans une

démocratie. La présence de ces dits critères ou fondamentaux ne donne pas forcément une démocratie qui

serait apprécié par tous. 305

Quermonne, Jean-Louis, Les régimes politiques occidentaux, Paris : Éditions du Seuil, 2006, pp 14-15

Page 292: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

274

Il y a donc une unanimité à ces niveaux précités. Il faut donc le consentement des

populations, et ce consentement doit être le reflet de la majorité pour une première

condition de validité du libre choix des gouvernants, c’est-à-dire de ceux et celles qui

seront aux plus commandes de l’État, à savoir le Président de la République et le

gouvernement. En parlant donc de l’organisation d’élections libres comme premier critère

de son schéma, le président Mitterrand rejoint Quermonne qui le présente également

comme étant la première caractéristique de la démocratie occidentale.

Le système représentatif mentionné par le président Mitterrand fait partie des

caractéristiques de la démocratie. Le système représentatif est en fait une résultante de ces

élections libres pour le libre choix des gouvernants. Il est incontournable en démocratie.

En parlant donc de système représentatif, le président Mitterrand faisait allusion à la

nécessité, mais surtout à l’obligation d’avoir un gouvernement, mais aussi un parlement qui

serait le reflet du libre choix des populations. C’est donc dire qu’il y a en démocratie

d’autres gouvernants qui ont un rang de gouvernant dans la mesure ils participent à

l’exercice du pouvoir, mais à niveau autre, et différent de celui du gouvernement, pour

parler du parlement.

Simples « bras exécutifs » des parlements à l’origine, les gouvernements

forment aujourd’hui un pouvoir autonome. Il en a toujours été ainsi aux États-

Unis, où la Constitution de 1787 a institué trois pouvoirs égaux et séparés. En

effet, le cumul des fonctions de chef de l’État et de chef de gouvernement ne

pouvait que renforcer le rôle du président. Ainsi, sous l’effet des guerres

mondiales et de la crise de 1929, le système politique américain a-t-il évolué du

régime congressionnel au régime présidentiel306

.

Les populations en démocratie ont donc d’autres mandataires. Il s’agit des parlementaires

dont le rôle est de défendre et de protéger les intérêts des populations. Ils sont régis par les

mêmes critères que ceux des dirigeants gouvernementaux, c’est dire une élection avec la

transparence la plus absolue. Dans un régime parlementaire, ils ont un rang de

gouvernants, d’où le terme de « gouvernement des députés » pour mettre l’emphase sur le

306

Quermonne, Jean-Louis, Les régimes politiques occidentaux, Paris : Éditions du Seuil, 2006, p 148

Page 293: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

275

caractère profondément légitime de ces élus qui sont aux commandes des plus hautes

charges de l’État. Dans un tel régime, c’est le critère qu’il faut remplir pour prendre place

au gouvernement, contrairement au régime dit présidentiel, où le Chef de l’État :

Commandant en chef pour parler des États-Unis ou le Président de la République pour

parler du Sénégal ont la liberté de choisir les membres du gouvernement sur une base ou un

critère qui relève de leur pouvoir discrétionnaire qui puise sa source, mieux sa légitimité

dans la Constitution.

Le système représentatif renvoie donc à un gouvernement et un parlement qui sont le reflet

du libre choix des populations par le biais de libres élections. Le rôle des parlementaires Ŕ

nous rappelons Ŕ est de défendre et de protéger les intérêts des populations, et quel que soit

le type de régime politique. Que l’on soit dans un régime parlementaire ou présidentiel,

que l’on soit dans un État unitaire (France Ŕ Sénégal), fédéral (Canada Ŕ États-Unis

d’Amérique) ou confédéral (Suisse), le parlement a pour rôle de défendre et de protéger les

intérêts des populations, du moins en démocratie. Autrement dit, l’appartenance à un parti

politique qui est d’ailleurs normale et inévitable en démocratie, ne doit en aucun cas avoir

une prépondérance sur les intérêts des populations. Dans cette dynamique, il se doit d’être

aussi et surtout un lieu de contre-pouvoir et non de support comme en est le cas dans une

démocratie institutionnelle.

Très éloignée du schéma du président Mitterrand (système représentatif - élections libres Ŕ

multipartisme - liberté de presse - indépendance de la magistrature - refus de la censure ), la

démocratie institutionnelle est aussi loin de répondre aux cinq caractéristiques de la

démocratie occidentale énumérées par Jean- Louis Quermonne (élections libres Ŕ majorité

requise pour gouverner Ŕ respect de l’opposition Ŕ Respect de la constitution - garantie des

droits fondamentaux des citoyens dans un État de droit) mentionnées par Quermonne pour

parler de la démocratie occidentale.

Page 294: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

276

Cette démocratie institutionnelle se caractérise par :

1 - Un pouvoir hors normes entre les mains du pouvoir exécutif ou de celui qui l’incarne au

premier niveau

2 - Une absence totale d’un pouvoir de contrepoids pour atténuer les ardeurs du pouvoir

exécutif

3 - Une inefficacité de fait des mécanismes de contrôle

4 - Un pouvoir judiciaire sous tutelle et enfin

5 - Une presse également sous tutelle, c’est-à-dire contrôlée et intimidée.

Le Président de la République est dans une démocratie institutionnelle un véritable Chef. Il

est d’abord un Chef de parti politique, ce qui en fait naturellement un partisan, dans la

mesure où il participe sur une base régulière et non sporadique, aux activités de ce parti.

Secrétaire général du parti socialiste, le président Abdou Diouf disposait d’un pouvoir de

fait qui lui était donné par les textes du parti. Il disposait par la même occasion d’un

pouvoir de droit, en raison de ses prérogatives constitutionnelles qui lui permettait d’avoir

une certaine emprise et un certain contrôle sur le parti. Il disposait en effet d’un arsenal de

pouvoirs qui lui était octroyé, voire donné par la loi fondamentale, c’est-à-dire la

Constitution.

Gardien de la Constitution, le président de République nommait le Premier ministre et

pouvait le révoquer à tout moment et sans préavis. Il nommait aussi les ministres et mettait

fin à leurs fonctions sans préavis également. Cela relève de son pouvoir discrétionnaire

entendait-on le plus souvent. Chef suprême des forces armées, il nommait tous les

généraux des armées de terre, de mer et de l’air. Il nommait également le haut commandant

de la gendarmerie nationale et directeur de la justice militaire, le directeur de la police

nationale et des services similaires comme la Sureté nationale par exemple. Il était aussi le

président du Conseil supérieur de la Magistrature et nommait le premier président de l’ex

Cour suprême et les présidents des juridictions qui en étaient issues, à savoir le Conseil

constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État. Ce pouvoir de nomination à tous

les postes civils et militaires était précisé par les articles 38 et 39 de la Constitution.

Page 295: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

277

Aussi, même s’il était mentionné dans la Constitution que le Premier ministre disposait de

l’administration, il y a lieu de préciser que les directeurs de sociétés publiques, les

présidents de Conseil d’administration etc, étaient choisis par le président de la République.

Toutes les nominations se faisaient lors de la réunion hebdomadaire du Conseil des

ministres qui se tenait tous les mardis. Il en était le maitre incontestable et incontesté.

Dans la cour, on ne s’oppose au Roi et c’était une règle minimale, voire élémentaire que

tous les membres du gouvernement devaient savoir.

Apparemment absent au niveau de la sphère législative, il « choisissait » le président de

l’Assemblée national et celui du Sénat, et « désignait » également les membres de leurs

bureaux respectifs. Secrétaire général du parti socialiste, le président de la République «

nommait » des députés dans la mesure où il avait un droit de regard sur la liste nationale du

parti socialiste. Ses hommes ou ses préférés figuraient souvent en bonne place. Le

parachutage était une pratique qui était connue par tous les responsables et militants du

parti socialiste, et le président de la République en faisait usage. Il n’est donc pas exagéré

de soutenir que le président de la République était au centre de tout, décidait de tout, et rien

ne se faisait sans son accord ou son autorisation. « Depuis 1963, Ŕ fait d’ailleurs remarquer

le constitutionnaliste I. Madior Fall - le régime politique sénégalais fait du Président la clef

de voûte des institutions, l’épicentre du pouvoir, celui qui décide de tout sans que sa

responsabilité soit envisagée. Aussi, la première réforme majeure requise par le système

politique et visant la consolidation des institutions semble donc être la nécessité de

rationaliser l’institution présidentielle et d’aménager des mécanismes de contrepoids à

celle-ci »307

.

Disposant donc par les textes d’un immense pouvoir, le Président de la République n’avait

en face de lui aucun pouvoir qui pouvait atténuer ses ardeurs et ses excès. Il avait en effet

une mainmise, voire un contrôle quasiment total sur le pouvoir législatif. Le président et

les membres du bureau de l’Assemblée nationale étaient en fait choisis, mieux désignés par

307

Fall, Ismaïla Madior, Une démocratie « ancienne » en mal de réforme, Rapport sur l’état de la démocratie

et de la participation politique au Sénégal, Dakar : Étude d’AfriMAP & d’Open Society Initiative for West

Africa (OSIWA), 2012, p 3.

Page 296: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

278

le Président de la République ou ses services de proximité, pour parler du secrétariat

général de la présidence de la République ou du secrétariat général du gouvernement. Ces

services ont été sous Jean Collin tout comme sous Ousmane Tanor Dieng, les lieux ou se

faisait et se défaisait les hommes politiques, mais aussi les fonctionnaires de l’État ou de

l’administration.

La désignation du président et des membres du bureau de l’Assemblée nationale obéissait

donc à des critères qui oscillaient entre la loyauté et le dévouement. Les députés connus et

réputés critiques étaient systématiquement écartés ou se voyaient attribuer les seconds rôles

au cas où leur présence était inévitable dans le dit bureau. C’est d’ailleurs sous le Président

Abdoul Aziz Ndao que la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale a été

ramenée à cinq ans comme par le passé, avec la loi constitutionnelle du 5 avril 1991 pour

coïncider avec la durée de la législature. Questeur au moment de sa désignation, cet

homme que personne n’avait vu venir, n’avait ni la verve et encore moins la ténacité des

présidents Habib Thiam (Administrateur civil) et Daouda Sow (Docteur en médecine). Ce

secrétaire d’administration, qui fut le successeur de Daouda Sow, était débonnaire et

philosophe, avec une simplicité et une humilité qui était rassurant pour le président. « Il

semble que le Président en fonction Ŕ devait faire remarquer Seydou Madani Sy Ŕ ne posait

pas de problème particulier aux députés de la majorité qui votèrent la loi par 113 voix sur

120 à la séance du jeudi 21 mars 1991»308

.

À cette absence d’un pouvoir de contrepoids ou de contrôle pour tempérer les ardeurs et les

excès de la première autorité du pouvoir exécutif, il fallait y ajouter le manque de contrôle

de l’action gouvernementale. En effet, même s’il était mentionné dans la Constitution que

le gouvernement était soumis au contrôle de l’Assemblée nationale, il en était autrement

dans la pratique. Le parti socialiste avait toujours à l’Assemblée nationale, et souvent une

majorité assez confortable qui rassurait le président et le gouvernement. Le président de la

République, secrétaire général du parti socialiste pouvait compter sur ses camarades de

parti députés pour faire passer ses projets favoris, c’est-à-dire les réformes

308

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960-

2008, Paris : Éditions Karthala, 2009, p 144.

Page 297: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

279

constitutionnelles. Le gouvernement pouvait s’assurer également de la complaisance des

députés du parti socialiste lors des séances consacrées au vote du budget des différents

ministères ou lors de la DPG (Déclaration de Politique Générale) du Premier ministre.

C’est donc dire qu’il y avait une inexistence de fait d’un mécanisme de contrôle de l’action

gouvernementale.

À cette inexistence de fait du contrôle de l’action gouvernementale, il faut y ajouter une

inefficacité des organismes de contrôle. Cette inefficacité ne résidait pas dans leur travail,

mais plutôt dans le fait que leur travail efficace et utile soit-il, était laissé à la libre

appréciation du président de la République. En fait, il n’avait aucune obligation provenant

de la loi pour donner une suite au Rapport de l’IGE (Inspection Générale d’État) par

exemple ou de la Cour des Comptes. En effet, comme dans un royaume, rien ne faisait ou

ne se décidait sans son accord. Tous les rapports des différents corps de contrôle devaient

obligatoirement lui parvenir, et il en faisait usage selon son bon vouloir

Le pouvoir judiciaire, censé être indépendant pour rendre une justice juste et équitable

souffrait d’un handicap majeur. Le parquet, dont les magistrats n’étaient pas inamovibles,

était sous la tutelle directe du garde des sceaux, ministre de la Justice. Le procureur de la

République de Dakar avait donc pour supérieur hiérarchique le ministre de la Justice. Cette

situation était même au plan théorique, assez embarrassant et donnait raison à une certaine

opinion qui doutait de l’impartialité des décisions de justice. La tutelle disposait d’un

pouvoir de contrainte qui lui était conféré de droit dans la mesure où il pouvait demander

au président de la République de le relever de ses fonctions. Le maître disait Hegel a

conscience qu’il était maître, et l’esclave a conscience qu’il était esclave. Tel était dans la

pratique la nature du rapport entre le parquet et sa tutelle, le garde des sceaux, ministre de

la justice.

Page 298: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

280

Malgré l’existence d’une certaine presse écrite privée, c’est-à-dire qui n’était pas pro-

gouvernementale, la presse dans son ensemble était sous la tutelle du ministère de

l’Information et des Télécommunications dont le titulaire était souvent le porte-parole du

gouvernement. La liberté de la presse bien qu’existante et confirmée par l’existence de

moyens d’expression privée (station de radio et journaux) était implicitement encadrée.

Autrement dit, tout n’était pas permis et il y avait des sujets tabous et le recours à la censure

était en veilleuse.

Adossée à l’État de droit, la démocratie institutionnelle, toujours présente au Sénégal et

dans la quasi-totalité des pays africains, puise sa douteuse légitimité dans la Constitution.

Privilégiant en effet dans ses procédés une démarche légale, c’est à dire conforme à ce que

prescrit l’État de droit, elle a fait de la légalité son outil privilégié, voire son instrument de

gestion de la société pour atteindre sa finalité, qui en définitive est de tout contrôler,

idéalement, ou d’avoir un contrôle sur les segments les plus importants de la société. Par

ce recours constant à la légalité, justifiée par cette constante intention de se soustraire à la

légitimité octroyée par les populations ou leurs légitimes représentants, la démocratie

institutionnelle repose par conséquent sur une légitimité de type légal et non populaire.

Cette légitimité légale, mais illégitime et non démocratique, parce que non donnée ou

octroyée par les populations, va toutefois servir d’alibi à ses tenants pour « légitimer » des

politiques, mais aussi des pratiques.

Par ce subterfuge, la démocratie institutionnelle peut ainsi étouffer la légitimité originale,

c’est-à-dire celle reposant sur la volonté des populations. Elle peut aussi réduire au silence

par le recours à « la contrainte légitime armée » les légitimes protestations et manifestations

des populations. La spontanéité des masses ou l’effervescence des foules avides de liberté,

porteuse par essence de désordre ou d’entropie est par conséquent sévèrement réprimée par

les responsables gouvernementaux qui ne tarderont pas d’invoquer ou de rappeler les

devoirs régaliens de l’État. En réprimant donc le désordre des masses au nom de la sécurité

de tous les citoyens, ils se donnent un alibi de taille devant une scène internationale pro-

occidentale qui est devenue de nos jours le gendarme de l’État de droit et de la démocratie.

Page 299: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

281

Il est toutefois important de faire remarquer que bien que la légalité est et reste un puissant

allié de la démocratie, parce que nécessaire et indispensable à son effectivité, c’est-à-dire sa

mise en pratique, il est important également de faire remarquer qu’en démocratie, la

volonté des populations à préséance et prépondérance sur tout, y compris par conséquent

sur cette même légalité. Autrement dit, la légitimité en tant que reflet et expression de la

volonté des populations peut se passer de la légalité, parce qu’extérieure et supérieure au

droit.

La démocratie institutionnelle est sournoise dans sa pratique et trompeuse par sa forme. Par

exemple, elle semble concéder la liberté d’expression mais la surveille ou la fait surveiller

par des organes institutionnels qui ont pour noms : Renseignements Généraux Ŕ Sureté de

l’État, qui avec des éléments répartis dans la nature ou dissimulés au sein de la population,

ont pour travail de rapporter auprès des autorités administratives politisées, ce qu’ils ont vu

ou entendu ou bien ce qu’ils auraient pu voir ou entendre. Travaillant sur des informations

obtenues sur la base d’un patriotisme douteux, en ce sens que les recrus, souvent délateurs

dans l’âme, font allégeance à des personnes, voire des positions ou à des statuts et non à

une quelconque institution.

En effet, sous le vocable de « renseignements généraux » ou de « Sureté de l’État », se

cache une police politique au service du gouvernement qui s’en sert et s’en est d’ailleurs

servi pour faire taire des idées, réprimer des comportements, intimider des personnes,

décourager des oppositions et même fragiliser, étouffer ou anéantir des convictions. Avec

des motifs colle tout ou fourre-tout comme l’atteinte à la sureté de l’État Ŕ incitation aux

troubles Ŕ offense au chef de l’État, etc, cette police politique institutionnalisée - utile dans

une démocratie de type institutionnelle Ŕ constitue l’arme répressive du gouvernement. Ses

membres Ŕ faut-il le rappeler Ŕ sont placés sous l’autorité directe du ministère de

l’intérieur, souvent géré par un proche et loyal au Président de République, par conséquent

prédisposé virtuellement à agir dans le sens du vouloir exclusif du prince et de ses

exécutants qui peuvent même se trouver dans le corps judiciaire.

Page 300: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

282

Dans un contexte international fortement attaché à l’État de droit et à la démocratie, les

adeptes de la démocratie institutionnelle y forgent et construisent leur place en mettant en

place des institutions salutaires en démocratie. Le gouvernement crée des institutions, mais

les prive de leur substance. Dans ce type de démocratie, on remarque en effet une

prolifération d’institutions digne des grandes démocraties, mais seulement avec des

pouvoirs de recommandation et non de décision. En plus, leurs titulaires sont enfermés

dans un système de dépendances personnelles et de clientélisme. C’est dans ce sens qu’il

faut comprendre et situer la création de la Médiature de la République (ombudsman) en

1991, et du Sénat comme deuxième chambre en 1999, en plus de l’Assemblée Nationale et

du Conseil Économique et Social. Ce dernier avait démontré dans la mise en place du PAS

(Programme des Ajustements Structurels) qu’il était une coquille vide pour le Président de

la République et son gouvernement

« La création de cette chambre (le sénat) Ŕ fait d’ailleurs remarquer Mody Niang Ŕ n’avait

d’autres objectifs que de trouver une sinécure à certains socialistes et souteneurs du

président Diouf laissés en rade lors des élections législatives du 24 mai 1998. Il fallait

prévenir les mécontentements qui se traduisaient souvent par des votes-sanction : on était à

un an de l’élection présidentielle du 27 février 2000»309

. Le secteur judiciaire avait

également connu une modification importante avec la mise en place du Conseil

constitutionnel, du Conseil d’État, et de la Cour de Cassation en 1992, suite à la

suppression de la Cour Suprême par le président de la République. La mise en place de la

Cour des Comptes en 1999 bien que salutaire, parce que chargée de veiller à la bonne

utilisation des finances publiques souffrait d’une limite majeure.

En effet, le travail effectué par les magistrats de cet organe de contrôle était après remis au

Président de la République qui était libre, totalement et entièrement libre d’en faire ce qu’il

voulait. Autrement dit, quel que soit l’importance du travail effectué, le président de la

République pouvait décider de ne pas y donner une suite. Cette probabilité était plus élevée

si les recommandations visaient à sanctionner un des membres de son parti politique qui

309

Niang, Mody, Abdou Diouf, 40 ans au cœur de l’État socialiste au Sénégal, Paris : L’Harmattan, 2009, p

138

Page 301: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

283

était à la tête d’un établissement ou une société à vocation publique par exemple. La

sanction pouvait être empêchée par conséquent par le Chef de l’État, donnant par la même

occasion un caractère formel au travail effectué par cet organe de contrôle.

On remarque aussi que dans la démocratie institutionnelle, la collaboration pour un partage

du pouvoir avec l’opposition ou les membres de la société civile, est érigée en principe de

gestion du pouvoir. On remarque en fait avec une telle forme de démocratie, un discours

axé sur un appel formel au dialogue où à la concertation pour une gestion du pouvoir, mais

sans une remise en cause de l’orientation de la politique entreprise par le gouvernement.

Un tel appel est toutefois justifié par la recherche d’une certaine stabilité politique ou d’une

paix sociale que le gouvernement pense et compte obtenir par le partage du pouvoir avec

les différentes sensibilités politiques. Sous le magistère du président Abdou Diouf, le

gouvernement avait cessé d’être à sensibilité exclusivement socialiste après les élections

présidentielles et législatives du 27 février 1983. Le président Abdou Diouf en prenant le

pouvoir au lendemain de la démission du président Senghor n’avait pas procédé à un

véritable remaniement ministériel.

Il avait choisi un Premier ministre, qui était député du parti socialiste en la personne Habib

Thiam. Parmi les six (6) nouveaux qui avaient fait leur entrée au gouvernement, excepté

Médoune Fall (Intérieur), les cinq (5) étaient de sensibilité socialiste connue : Djibo Ka

(Information et Télécommunication) était le directeur de cabinet adjoint du président

Senghor Ŕ Oumar Wélé (Habit et Urbanisme) provenait de la Présidence de la République Ŕ

Falilou Kane (Commerce) - Samba Yéla Diop (Équipements et Hydraulique) et Sogui

Konaté (Relation avec les Assemblées) étaient des députés du parti socialiste. Après les

élections de 1983 qui lui avaient conféré sa première légitimité, le président Abdou Diouf

avait fait appel à certaines compétences non partisanes dans la formation du gouvernement

post élection. Le gouvernement avait été élargi à des sensibilités autres que socialiste.

Page 302: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

284

Tous les opposants les plus significatifs ont pris part à la gestion du pouvoir sous Diouf. Le

leader de l’opposition, maître Abdoulaye Wade avait fait sa première entrée après les

élections de 1988. Il y figurait comme ministre d’État sans portefeuille, avec trois

départements ministériels qui étaient sous la responsabilité des membres de son parti

politique; le PDS (Parti Démocratique du Sénégal). Il en était ressortit avant les élections

présidentielles et législatives de février 1993, pour le rejoindre de nouveau en 1995 avec la

mise en place du GMPE (Gouvernement de Majorité Présidentielle Élargie). Étaient

présents à ce gouvernement d’autres chefs de parti politique tels que le professeur

Abdoulaye Bathily de la LDMPT (Ligue Démocratique) et l’éternel opposant Amath

Dansokho du PIT (Parti de l’Indépendance et du Travail). Des partis politiques de moindre

envergure y avaient pris part tels que le PDS/R (Parti Démocratique Rénovation) du

professeur Serigne Diop et PLS (Parti Libéral du Sénégal) de maitre Ousmane Ngom.

Cette dynamique a été maintenu jusqu’à son départ du pouvoir

Une telle démocratie, portée et préoccupée par la forme, accorde aussi peu de place au

débat contradictoire, rarement organisé par la presse d’État ou bien si tel est le cas, dans des

conditions qui ne portent pas réellement préjudice à l’image et au rôle des principaux

acteurs (gouvernement et majorité parlementaire). Des émissions télévisées comme

Dossier en mains pouvaient accueillir sur ses plateaux les membres du gouvernement qui se

prêtaient au jeu de certaines questions qui étaient loin de pouvoir les embarrasser ou les

mettre en mauvaise posture. Cette émission se faisait dans les locaux de l’ORTS (Office de

Radiodiffusion et la Télévision du Sénégal) et était souvent animée par des journalistes qui

étaient de connivence avec le gouvernement et le parti socialiste. Il n’a jamais été question

dans leur esprit d’inviter à cette émission une personnalité qui n’était pas de sensibilité

socialiste. Cela était compréhensible dans la mesure où ces journalistes étaient des

fonctionnaires, et étaient sous la tutelle du ministre de l’information et des

télécommunications. Ils ne pouvaient se permettre certaines libertés.

Page 303: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

285

Des structures comme le Club Nation et Développement ou le GRESEN (Groupe de

réflexion du parti socialiste) qui se voulaient des cadres de réflexion qui regroupaient et

réunissaient des membres du parti socialiste pouvaient à l’occasion faire l’objet d’une

invitation de la part de l’ORTS. Dans de telles occasions, les invités qui étaient souvent

des militants engagés du parti socialiste ne faisaient ni plus ni moins que l’apologie du

président Abdou Diouf et de défendre les actions du gouvernement. La critique publique

du président de la République et du gouvernement n’était ni acceptée, et encore moins

tolérée dans les locaux de la télévision d’État, et cela était connue des populations.

Aussi, si en démocratie, la transparence est un principe important surtout pour ce qui est de

la gestion des fonds publics, il en est autrement dans une démocratie institutionnelle ou

l’opacité est érigée en règle de gestion, avec des organes de contrôle dont la nomination et

la promotion des membres relèvent exclusivement du pouvoir exécutif. Le travail effectué

par ces organes de contrôle, quel que soit son efficacité, était le plus souvent laissé à la libre

appréciation du Président de la République. Il n’y avait aucun contrôle par exemple pour

ce qui était des fonds politiques du Président de la République. Le président Abdou Diouf

utilisait ces fonds sans aucun contrôle des parlementaires, ni des autres corps de contrôle, et

tel fut le cas sous le magistère du président Abdoulaye Wade.

Ces fonds politiques appelés également « fonds spéciaux » échappaient à tout contrôle.

Aucun organe de contrôle n’était habilité par la loi pour « encadrer » ces fonds publics. Le

président de la République décidait unilatéralement de son utilisation. Il n’avait pas

l’obligation de préciser ou de justifier ses dépenses avec cet argent. Si sa justification au

plan politique est prouvée, son existence et son maintien en dehors de tout contrôle en

faisait une source de dilapidation des fonds publics. Alors qu’une telle façon est un non-

sens dans un contexte de redressement des finances publiques, le flou, voire l’opacité liée à

ces fonds en faisait un nébuleux qui est impensable dans les grandes démocraties.

Page 304: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

286

Le principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs dans une démocratie de type

institutionnel quoique inscrit ou sous-entendu dans la constitution, est inexistant dans la

pratique. Ce principe est d’abord biaisé par le comportement des principaux acteurs

(Exécutif Ŕ Législatif Ŕ Judiciaire) qui voient dans leur interaction, c’est-à-dire de leur

collaboration une source de stabilité politique. Ensuite, le président de la République ou le

Chef de l’État, déifié voire sacralisé peut se permettre des excès sans être rappelé à l’ordre.

Enfin, la dynamique du parti-État fait du président de la République; gardien de la

Constitution une autorité partisane alors qu’il est censé privilégier l’intérêt général.

L’impossibilité enfin pour les membres de l’opposition d’accéder à la radio et à la

télévision d’État au même titre que ceux du pouvoir (gouvernement et majorité

parlementaire) par exemple, avec une presse sous tutelle et une magistrature non

indépendante dans les faits, constituent des incohérences, incompatibles et inconcevables

en démocratie. Ces contradictions sont toutefois inhérentes et intrinsèques à la démocratie

institutionnelle. Elles font partie de ses caractéristiques et de faire remarquer que de la

démocratie institutionnelle se positionne comme une réponse à un contexte international

qui exige désormais la démocratie comme modèle de gestion des sociétés modernes, voire

actuelles.

Au nom et en raison de cet objectif, la démocratie a présentement ses gendarmes ou ses

surveillants dont le rôle principal est de veiller au respect et la protection, mais aussi à

l’observation des droits fondamentaux des citoyens. L’ONU (Organisation des Nations

Unies) que peut facilement activer le G8 n’entend plus désormais comme dans un certain

passé, inscrire son action dans la passivité des résolutions. Autrement dit, elle ne se

contente plus de condamner le ou les acteurs fautifs. Elle peut militariser ses résolutions, et

c’est précisément par rapport à cette crainte de se voir rappeler à l’ordre que les adeptes de

démocratie institutionnelle se déploient. Le cas Gbagbo a désormais rang de jurisprudence.

Page 305: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

287

La démocratie institutionnelle est devenue une tendance qui risque se positionner en

modèle de gestion des sociétés sous développées en générale et africaines en particulier.

Ses adeptes ou ses tenants perçoivent la démocratie sociétale qui fait office dans les grandes

démocraties comme la France, le Canda et les États-Unis comme un modèle inapproprié

pour les populations africaines comme si ses principes n’étaient pas transposables auprès

d’autres cultures et sociétés. Ses adeptes ou ses tenants dont les référents ou modèles sont

ceux du défunt modèle totalitaire soviétique, ont une certaine méfiance par rapport à la

démocratie, et plus précisément dans son versant liberté.

C’est ce niveau qui les pose problème car cette liberté, source de transparence est une

menace à leur gestion qui repose en grande partie sur des pratiques peu orthodoxes, c’est

dire caractérisées par un comportement profondément délinquant par rapport aux finances

publiques. La démocratie est universelle donc transposable à d’autres lieux pour dire

simplement qu’elle transcende les peuples mais aussi les cultures. Ses caractéristiques -

nous disons formes Ŕ rappelées par Quermonne - et ses fondamentaux dont nous avons fait

état ne sauraient en aucun cas être l’apanage exclusif des nations prospères. Elles

nécessitent un apprentissage qui requiert toutefois un préalable; la volonté, que nous

pensons être à la portée du genre humain, fût-il éduqué, voire alphabétisé ou non.

On retrouve une telle forme de démocratie presque partout en Afrique et probablement dans

ces lieux hostiles à la démocratie telle qu’elle se présente en Occident. C’est le lieu de

souligner d’emblée que nous n’avons rien contre la démocratie occidentale, bien au

contraire. Cette démocratie nous apparaît comme celle qui doit exister en Afrique pour

mettre fin à l’arbitraire des dirigeants de façon générale, mais surtout à la gestion

patrimoniale de l’État. Cette démocratie sociétale repose sur des mécanismes de contrôle

qui n’épargnent aucun citoyen, fut-il la plus haute autorité. Personne n’est à l’abri et il y a

unanimité par rapport cela.

La démocratie, telle qu’elle est pensée et pratiquée en occident, se veut d’abord vigilance

pour tempérer les excès et la démesure des gouvernants. C’est ce qui explique et justifie la

Page 306: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

288

mise en place de mécanismes de contrôle pour assurer une saine gestion des fonds publics.

Elle se veut ensuite transparence, non seulement pour ce que de la gestion des fonds

publics, mais aussi pour toute politique censée servir la communauté. « C’est une

expérience éternelle Ŕ dit Montesquieu Ŕ que tout homme qui a du pouvoir est porté à en

abuser; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites… Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir,

il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir310

» Mill avait

également pris la précaution de rappeler que des hommes foncièrement bons et vertueux

pouvaient cultiver les intérêts les plus égoïstes une fois assurés des leviers de commande du

gouvernement. Conscient des dangers qui pouvait résulter de la gestion du pouvoir, et

même dans une démocratie, il avait tenu à préciser ce qui suit :

L’un des plus grands dangers qui guettent la démocratie, au même titre que

toutes les autres formes de gouvernement, réside dans les intérêts sinistres des

détenteurs du pouvoir : c’est le danger d’une législation de classe, d’un

gouvernement destiné à satisfaire (qu’il y parvienne ou non) les intérêts

immédiats de la classe dominante au détriment durable du tout. Et l’une des

questions les plus importantes à prendre en considération pour déterminer ce

que sera la constitution d’un gouvernement représentatif concerne la manière

d’introduire des garde-fous efficaces contre ce mal311

.

Cette démocratie qui repose donc sur les appréhensions émises par Montesquieu et J.S Mill,

trouve sa véritable force dans un parlement qui se veut un contrepoids réel par rapport au

pouvoir exécutif, et cela quel que soit la nature du régime politique (présidentiel Ŕ

parlementaire ou monarchie constitutionnelle). Ce rôle de contrôle, qui au plan politique

incombe aux parlementaires, est renforcé au niveau de la société par celui que joue une

presse libre et indépendante qui a choisi délibérément d’être une sentinelle de la

démocratie, pour contrôler même en définitive ceux et celles dont le mandat et la mission

est de contrôler l’action de ceux et celles qui sont en charge de l’État. « Le rôle essentiel

que joue une presse libre et bien informée Ŕ fait d’ailleurs le prix Nobel d’économie - pour

tenir en lisière même nos gouvernements démocratiquement élus nous paraît aujourd’hui

310

Montesquieu, Charles De Seconda, De l’esprit des lois : I, Paris : Éditions Gallimard, 1995, p 326 311

Mill, John Stuart, Considérations sur le gouvernement représentatif, Paris : Éditions Gallimard, 2009, p

118.

Page 307: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

289

tout à fait naturel. Tout délit, toute incartade, tout favoritisme est passé au crible, et la

pression de l’opinion publique est rude312

».

Les journalistes de la presse privée comme publique sont en effet libres dans leur travail, et

sont sans pitié lorsqu’ils découvrent une ou des pratiques susceptibles de porter préjudice

aux populations, voire aux citoyens. Ils sont sans empathie et sans complaisance pour

poser les questions requises afin de mieux informer et de faire le commentaire approprié.

Les populations dans les grandes démocraties comme la France, le Canada et les États-Unis

se sont également appropriées ce rôle de contrôle comme en atteste ces propos : « Aux

États-Unis et dans d’autres démocraties qui fonctionnent, les citoyens estiment que la

transparence et l’ouverture Ŕ la possibilité de savoir ce que fait l’État Ŕ sont des aspects

essentiels de la responsabilité des pouvoirs publics. Et ils les considèrent comme des droits

non comme des faveurs octroyées par l’État. Le Freedom of Information Act Ŕ Loi sur la

liberté d’information Ŕ est devenu un élément important de la démocratie américaine313

».

La vigilance citoyenne est telle que les responsables gouvernementaux tout comme les

parlementaires au Canada font preuve de la plus grande prudence dans leurs fait et gestes.

Ils se font d’ailleurs discrets le plus souvent. Stephen Harper tout comme Pauline Marois

ne peuvent pas donner cent dollars de l’argent des contribuables sans devoir les justifier.

Ces chefs de gouvernements n’osent pas non plus octroyer des privilèges à leurs enfants,

époux ou épouses sans subir la foudre des membres de leur propre formation politique

avant celles des journalistes et des populations. Ils sont conscients de cette vigilance qui

somnole en chaque citoyen et dont le réveil peut être brutal pour ceux et celles qui l’auront

oublié, dans la mesure où le jugement des citoyens dénudé de toute complaisance, est le

plus souvent sans appel.

312

Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris : Fayard, 2002, p 294. 313

Ibidem, p 82.

Page 308: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

290

La démocratie institutionnelle est présente au Sénégal et s’est dévoilée avec le PAS

(Programme des Ajustements structurels) qui, au-delà des critiques qui lui sont adressées

comporte le grand avantage d’avoir permis de mettre à nu une pratique de gestion qui se

réclamait de la démocratie alors qu’elle en est très éloignée. En se privant du contrôle réel

du parlement, contrôle auquel les parlementaires avaient d’ailleurs « renoncé »

involontairement en raison de la dynamique et de l’emprise du parti-État, la démocratie

institutionnelle est par sa pratique au service exclusif des gouvernants. Elle est donc par

conséquent opposée à la démocratie au sens Lincoln du terme; gouvernement du peuple,

par le peuple et pour le peuple.

Contemporaine donc au PAS (Programme des Ajustements Structurels), La démocratie

institutionnelle compte parmi ses adeptes de nombreux chefs d’États africains, connus pour

leur hostilité à la liberté. Ses adeptes ou ses tenants, conscients du danger qui peut résulter

du fait de vouloir confisquer la liberté, ont été contraint de la libérer par les textes, pour

ensuite la surveiller afin d’en avoir le contrôle. Ses adeptes sont aussi réfractaires à la

notion de contrôle. Ils en sont même allergiques parce que conscients de la nature peu

orthodoxe de leur pratique. Ses adeptes sont enfin opposés à l’alternance pour ce qui est de

la gestion du pouvoir. Elle continue malheureusement à faire son chemin dans la quasi-

totalité des pays africains, parée du visible de la démocratie, pour tromper et induire en

erreur les sentinelles de la démocratie qui sont de part et d’autres, le contexte international

et au plan national, la société civile, les différents mouvements sociaux et certaines ONG

(Organisation Non Gouvernementale). Elle a un soubassement profondément et

dangereusement autoritaire. Elle est pourrait-on dire la nouvelle peste ou la peste moderne

des pays africains, et éventuellement le prochain « ennemi » d’un Occident qui est toujours

fortement attaché à la démocratie et à ses idéaux.

Page 309: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

291

CONCLUSION

Le magistère du président Abdou Diouf a été placé principalement sous le signe du

redressement des finances publiques. Arrivé à la magistrature suprême après la démission

du président Senghor au soir du 31 décembre 1980, il était devenu officiellement au matin

du 1er janvier 1981 le deuxième président de la République du Sénégal indépendant.

Préoccupé par le redressement des finances publiques, le gouvernement avait sollicité les

services de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Un premier plan de

stabilisation a été mis en place en 1979, c’est-à-dire sous la présidence de Senghor dont

Abdou Diouf était le Premier ministre depuis 1970. A ce plan qui avait une durée d’une

année devait succéder le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) qui devait

s’échelonner sur une période de quatre (4) ans, c’est-à-dire de 1980 à 1984. Le président

Senghor en quittant le pouvoir après la mise en œuvre du PREF avait tenu à avertir les

populations que les prochaines années allaient être difficiles. La mission du nouveau

président était déjà précisée par le mal économique, que s’était chargé de solutionner le

FMI et la Banque mondiale avec la mise en place du PAS (Programme des Ajustements

Structurels).

Préoccupé essentiellement par le redressement des finances publiques, le président Abdou

Diouf avait également le souci d’apporter certains changements par rapport à l’ordre

politique existant et qui était influencé par le socialisme à la soviétique. D’abord, il y a eu

la suppression du visa de sortie instauré par le président Senghor pour contrôler les allées et

les venues de tous les citoyens. Cette décision fut accueillie positivement par la classe

politique dans son ensemble et les populations. Ce geste d’ouverture a été renforcé par

deux autres mesures avec la loi no 81-16 du 6 mai 1981 portant révision constitutionnelle

pour apporter des modifications à certaines mesures qui avaient été prises par Senghor à

l’endroit des formations politiques. Il est important de rappeler que sous Senghor,

l’ouverture démocratique ne fut officielle qu’en 1974 avec la reconnaissance du PDS (Parti

Démocratique du Sénégal) comme opposition de contribution.

Page 310: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

292

Dans la pratique, il y avait donc le parti unique avec l’UPS (Union Progressiste du

Sénégal). En reconnaissant le PDS comme formation politique, le président Senghor par

souci de mettre fin à l’existence clandestine de certaines sensibilités politiques avait décidé

avec la loi no 76-01 du 19 mars 1976, de limiter à trois, le nombre des courants de pensée.

Autrement dit, les mouvements clandestins pouvaient mettre sur pied leur parti politique

mais à la condition de s’identifier à l’un des courants de pensées qui étaient de part et

d’autre le Socialisme- le Libéralisme Ŕ le Marxisme-Léninisme ou le Communisme. La loi

no 78-60 du 28 septembre 1978 devait autoriser un quatrième courant de pensée, à savoir le

Conservatisme. La loi no 81-16 du 6 mai 1981 devait mettre un terme à ces limitations en

instaurant le multipartisme intégral comme atteste cet extrait de l’exposé des motifs :

Le présent projet de révision constitutionnelle marque une étape nouvelle dans

le processus engagé depuis de nombreuses années et tendant à renforcer

l’ouverture démocratique. Le texte a pour objet : 1- de modifier l’article 3 de la

Constitution pour supprimer la limitation des partis et l’indication des courants

de pensée ; 2 - d’allonger le délai fixé par l’article 28 de la Constitution pour

procéder, en cas de ballottage, au second tour du scrutin pour l’élection du

Président de la République ; 3- de remanier l’article 29 de la Constitution pour

permettre aux candidats d’exercer un recours contre chacun des tours de scrutin

concernant cette élection ; 4- de préciser, à l’article 31 de la Constitution, que la

séance de prestation de serment du Président de la République devant la Cour

suprême est publique ; 5- d’étendre le système de contrôle de la campagne

électorale et du scrutin pour l’élection du Président de la République à la

campagne électorale et au scrutin pour l’élection des députés : cela nécessite la

modification de l’article 49 de la Constitution ; 6- d’aménager, enfin, le recours

en inconstitutionnalité prévu par l’article 63 de la Constitution, ce qui doit

entraîner la modification du point de départ du délai de promulgation et de la

durée de ce délai. À cet effet, les articles 61 et 63 de la Constitution sont

abrogés et remplacés. Les plus importantes de ces dispositions sont celles

relatives aux articles 3 et 49 de la Constitution. I. Article 3 de la Constitution :

La loi constitutionnelle n° 76-01 du 19 mars 1976 a institué un régime de

tripartisme assorti de l’obligation, pour chacun des partis politiques, de

représenter l’un des trois courants de pensée suivant : libéral, socialiste,

marxiste-léniniste ou communiste. Par la suite, et pour tenir compte de

l’émergence d’un quatrième courant, non prévu par ladite loi, une nouvelle

révision constitutionnelle a porté à quatre le nombre maximum des partis

politiques avec la reconnaissance du courant conservateur. Ce fut l’objet de

certaines des dispositions de la loi constitutionnelle n° 78-60 du 28 décembre

1978. Mais d’autres courants s’étant manifestés, la limitation adoptée risque

d’apparaître, à leur égard, comme une restriction opposée à leur possibilité

d’expression, alors que le but recherché par ces dispositions est d’organiser la

Page 311: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

293

manifestation des opinions politiques pour échapper à l’anarchie qui est la

négation de la démocratie. Dès lors, pour rester fidèle aux options des pouvoirs

publics sénégalais, le Gouvernement a estimé qu’il fallait franchir une nouvelle

étape dans l’ouverture démocratique en adoptant une solution plus radicale. Le

présent projet de loi constitutionnelle institue donc un régime de multipartisme

total pour permettre à tous les courants politiques d’exercer leurs activités dans

le cadre de la légalité, sans obligation de se réclamer nécessairement d’une

idéologie définie a priori par le législateur314

.

Cet acte d’ouverture en rupture totale avec les limitations qui étaient établies par son

prédécesseur, fut bien accueilli par la classe politique dans son ensemble, y compris le parti

socialiste qui avait fait de cette ouverture une lecture autre que celle mentionnée dans

l’exposé des motifs. En effet, pour certains socialistes, le président de la République ;

secrétaire général du parti socialiste venait de fragmenter l’opposition. Autrement dit, la loi

du 6 mai apparaissait aux yeux de certains parlementaires comme relevant plus d’une

stratégie pour diviser l’opposition plutôt que de démocratiser l’espace politique. Malgré

l’intérêt que nous accordons à cet argument, il y a lieu de souligner toutefois que ces

mesures d’ouverture avaient favorisé l’émergence sur la scène politique de certaines figures

qui avaient de la difficulté sous Senghor à avoir un parti politique comme en était le cas

pour le Professeur Cheikh Anta Diop.

La loi constitutionnelle de 1976 avait institué un régime de tripartisme complété

en 1978 avec la reconnaissance d’un parti conservateur qui devenait le

quatrième parti. Le Président Abdou Diouf mit donc fin à ce régime restrictif.

Désormais, non seulement il n’y avait plus de limitation du nombre de partis,

mais on ne parlait plus de courant de pensée. C’est donc l’ouverture

démocratique totale. Quinze partis politiques obtinrent leur récépissé. À côté

du PS, du PAI, et du MRS, onze nouveaux partis furent formés dont le RND de

Cheikh Anta Diop, qui avait eu beaucoup de difficultés sous Senghor à recevoir

son récépissé, malgré un recours devant la Cour suprême. Le Parti socialiste

allait désormais se mouvoir dans un contexte partisan tout à fait différent de

celui qui avait cours du temps du Président Senghor315

314

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA XXIII,

pp 101-102. 315

Sy, Seydou Madani, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique 1960 -

2008, Éditions Karthala, 2009, p 131.

Page 312: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

294

Épaulé voire assisté par le FMI et la Banque mondiale pour mettre en place les politiques

appropriées pour relancer l’économie, le président Abdou Diouf par ces geste d’ouverture

s’inscrivait également dans la logique des objectifs économiques du PAS (Programme des

Ajustements Structurels). En effet, à côté des objectifs politiques du PAS qui étaient de

part et d’autre le démantèlement de l’État-assistance, la promotion de l’État minimal et la

responsabilisation de l’individu, il y avait également les objectifs économiques qui se

voulaient la dimension pratique du PAS. Ces objectifs étaient les suivantes : la

privatisation et la libéralisation de l’économie, l’instauration d’une économie de marché et

enfin l’amélioration de la qualité de vie de l’individu et des populations. En libérant la

sphère politique, le président Abdou Diouf ambitionnait également de libérer la sphère

économique.

Cela nous amène donc à dire que les gestes d’ouverture posés par le président de la

République bien que politiques, obéissaient aussi à un impératif économique qui exigeait

un cadre sécuritaire, ordonné et encadré. En mettant donc un terme de façon officielle aux

activités politiques clandestines qui pouvaient perturber ce cadre sécuritaire, le président

Abdou Diouf s’inscrivait dans une logique et une cohérence que la mise en place du

Programmes des Ajustements Structurels imposait, d’où cette mise en garde explicite à

l’endroit des partis politiques mentionnée dans l’exposé des motifs de la loi no 81-16 du 6

mai 1981 :

Cependant, le retour au multipartisme absolu ne doit pas être interprété comme

l’absence de toute contrainte juridique pesant sur les partis politiques. En

particulier, l’accent doit être mis sur l’obligation pour tout parti de respecter la

Constitution. Ce respect, qui ne restreint nullement le débat politique et ne fait

pas obstacle à l’initiative éventuelle d’une demande de révision

constitutionnelle, figurera désormais, explicitement, parmi les dispositions

impératives du nouvel article 3316

.

316

Fall, Ismaïla Madior, Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à 2007, Dakar : Centre de Recherche,

d’Étude et Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines. Collection du CREDILA XXIII,

2007, p 102.

Page 313: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

295

C’est donc durant la mise en œuvre du PREF (Plan de Redressement Économique et

Financier) que le président Abdou Diouf avait décidé de poser ces gestes d’ouverture. À

peine installé, il avait voulu marquer sa nouvelle façon de gérer le pays. Conscient que le

maintien de certaines mesures pouvaient amener les citoyen à inscrire certaines de leurs

actions en dehors du cadre légal, le président Abdou Diouf avait décidé par ces deux

mesures, à savoir la suppression du visa de sortie et l’instauration du multipartisme intégral,

d’amener la population en général et les acteurs politiques en particulier à inscrire

désormais leurs actions dans la légalité. Compte tenu donc de l’importance que les

bailleurs de fonds d’une part, et les investisseurs privés étrangers d’autre part accordent à la

stabilité politique, le président Abdou Diouf s’était ainsi donné les bases préalables pour

poursuivre les réformes qui étaient demandées, voire exigées par le FMI et la Banque

mondiale dans le cadre du PAS.

C’est donc à travers le cadre légal de la loi fondamentale, c’est-à-dire la Constitution que le

président Abdou Diouf allait trouver les moyens, mais aussi les outils politiques nécessaires

à l’application du PAS. Arrivé au pouvoir « à la faveur d’une mesure constitutionnelle »

pour paraphraser Aminata Diaw, et conscient de son parachutage comme secrétaire général

d’un parti qui avait toujours en son sein des cadres et militants de la première heure, le

président Abdou Diouf devait d’abord et avant tout compter sur lui-même pour mettre en

œuvre les réformes que demandaient le PAS (Programme des Ajustements Structurels).

Autrement dit, il devait avoir cette légitime légitimité octroyée par les urnes pour mettre en

place les politiques et les réformes requises.

Fort de sa nouvelle légitimité acquise lors des élections présidentielles et législatives de

février 1983, le président Abdou Diouf avait posé comme premier geste la suppression du

poste de premier ministre. Avec cette suppression, il était devenu la totalité du pouvoir

exécutif dont les pouvoirs étaient répartis auparavant entre le président de la République et

le premier ministre. Il disposait par conséquent de tous les leviers de commandement pour

mener à terme les réformes qui étaient requises dans le cadre du PAS. Le PREF (Plan de

Redressement Économique et Financier) qui s’était échelonné sur une période de cinq

Page 314: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

296

années (1980-1985) touchait à son terme, après avoir annoncé la nouvelle ligne de conduite

de l’administration Diouf.

C’est en effet sous le PREF que les denrées dites de première nécessité comme le riz,

l’huile et le sucre avaient connu leur première hausse de prix. Les ménages qui avaient été

avertis par le président Senghor lors de son dernier message à la Nation au soir du 31

décembre 1980, avaient accueilli cette mesure avec philosophie. Le nouveau jeune

président était à ses débuts, et sa réputation d’homme sérieux avait amené les populations à

être empathique à son endroit pour supporter ces mesures qu’elles étaient loin d’apprécier.

C’est également sous le PREF que les internats ont été supprimés alors qu’ils étaient d’un

support extrêmement important pour les élèves qui étaient d’origine sociale modeste. C’est

enfin sous le PREF que le gouvernement avait commencé la réduction de la taille de la

fonction publique. Certaines ambassades et consulats avaient été fermés et cette mesure

s’était également manifestée au plan national par la réduction du parc automobile de l’État.

Ces mesures qui étaient déjà éprouvantes au plan social devaient et s’étaient renforcées

avec le PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Moyen et Long Terme) qui

se voulait la relève du PREF. Échelonné sur une période de sept années (1985-1992), le

PALMT avait toujours comme objectif principal le redressement des finances publiques.

Toutefois, si les mesures déjà prises sous le PREF n’étaient a la satisfaction des créditeurs,

le gouvernement était dans l’obligation de les renforcer pour être en phase avec les

directives de ses principaux bailleurs de fonds, en l’occurrence le Fonds Monétaire

International et la Banque Mondiale. C’est d’ailleurs sous le sous le PAMLT (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Moyen et Long Terme) que le gouvernement

avait mis en place certaines politiques publiques qui reflétaient concrètement sa nouvelle

orientation économique. Le discours officiel du gouvernement qui reposait sur la notion

désengagement de l’État depuis la mise en place du PAS devait se concrétiser avec la mise

en place de trois nouvelles politiques.

Page 315: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

297

En effet, c’est sous le PALMT que la Restructuration du secteur public et parapublic, la

Nouvelle Politique Agricole (NPA) et la Nouvelle Politique Industrielle (NPI) avaient vu le

jour. Ces politiques en raison des mesures qu’elles renfermaient allaient engendrer la

rupture entre l’État entendu comme le gouvernement et les populations. C’est en effet dans

le cadre de la politique de la « Restructuration du secteur public et parapublic » que le

gouvernement avait procédé à un licenciement massif au niveau de la fonction publique.

De nombreux fonctionnaires, par le biais de la politique des « départs volontaires », et

moyennant une certaine somme d’argent, devaient quitter leur emploi. En réglant des

problèmes de nature ponctuelle avec cet argent, les déflatés de la fonction publique

devaient se retrouver après sans le moindre revenu, renforçant par la même occasion le

nombre des licenciées que le PAS avait engendré.

La Nouvelle Politique Agricole au nom de la politique du désengagement de l’État avait

décidé de mettre un terme aux subventions qui étaient accordées au monde paysan. Le

gouvernement dans son obsession d’assainir les finances publiques avait simplement décidé

de ne plus accompagner ces travailleurs de la terre que dame nature avait également refusé

d’accompagner dans leur labeur. Confrontés en effet à une sécheresse chronique qui

rendait incertaine toute production, les agricultures n’avaient pas non plus de structures

palliatives pour sécuriser leur production, et étaient par conséquent abandonnés à eux Ŕ

mêmes. En invoquant son intention de vouloir responsabiliser le monde paysan, le

gouvernement voulait en effet par cet alibi se donner bonne conscience devant un monde

rural qui en vérité ne demandait que du matériel agricole, des semences et de l’engrais pour

se prendre en charge. En demandant donc au monde paysan de s’organiser en conséquence

par le canal des coopératives pour se prendre en charge, le gouvernement s’inscrivait en

droite ligne avec les objectifs politiques du PAS qui étaient de part et d’autres; le

démantèlement de l’État assistance, la promotion de l’État minimal et la responsabilisation

de l’individu qui n’était en définitive que celle des populations.

Page 316: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

298

La Nouvelle Politique Industrielle qui s’était voulue l’instrument voire le moyen du

gouvernement et de ses principaux créditeurs (FMI-Banque mondiale) pour atteindre les

objectifs économiques du PAS, s’était aussi caractérisée par des mesures pro marché. En

effet, dans leur objectif de libéraliser et privatiser le secteur économique, les argentiers du

gouvernement avait exigé une réécriture du Code du Travail qui comportaient selon eux des

mesures trop restrictives pour la liberté d’entreprise. La Nouvelle Politique Industrielle

avait non seulement apporté les modifications qui étaient demandées, mais avait également

innové en apportant des mesures qui avaient été bien accueillie par le patronat. Le

licenciement pour motif économique était désormais une arme entre les mains de

l’employeur, et les travailleurs dans leur ensemble en avaient fait les frais.

La conséquence de ces politiques (Restructuration du secteur public et parapublic Ŕ

Nouvelle politique Agricole Ŕ Nouvelle Politique Industrielle) au plan social s’était

caractérisée par un mal vivre sans précédent des populations. Aux licenciements

occasionnés par la mise en place des politiques précités, il fallait y ajouter la hausse des

denrées dites de première nécessité (riz Ŕ huile Ŕsucre) qui avait débuté sous le PREF (Plan

de Redressement Économique et Financier). Cette situation avait amené les populations en

général et les travailleurs en particulier à exprimer leur mécontentement à travers les

nombreuses manifestations de rue. Le gouvernement qui était conscient de son incapacité

à changer les politiques devait par conséquent activer les forces de l’ordre pour mettre un

terme au climat de tension qui sévissait presque partout dans les villes. Cette incapacité du

gouvernement à changer les politiques était toutefois révélatrice d’une autre réalité.

Elle était la première conséquence politique du PAS. En effet, le fait que le gouvernement

n’avait pas la possibilité de changer les politiques en cours était amplement suffisant pour

comprendre que le gouvernement n’était pas maître de ses politiques. Le gouvernement

était sous le joug de ses principaux créditeurs ou bailleurs de fonds, en l’occurrence FMI et

la Banque mondiale. Cette situation qui n’avait rien d’étonnant au regard du principe de la

conditionnalité n’était pas sans affecter le principe de la souveraineté nationale. Il convient

toutefois de préciser que cette première conséquence politique avait un précédent qui était

même plus grave que la perte du pouvoir d’initiative dans la mise en place des politiques.

Page 317: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

299

Le pouvoir exécutif, et plus précisément le président de la République s’était approprié le

Programme des Ajustements Structurels, et ce fait n’était pas imputable au PAS. Il a été

certes occasionné par le PAS, mais il était extérieur au PAS. Le président Abdou Diouf en

avait fait sa politique personnelle, son programme personnel, disons son affaire

personnelle. Ce procédé Ŕ il est important de le préciser Ŕ était avant tout contraire à la

manière de gérer un pays dans la mesure où la gestion du pouvoir a toujours été une affaire

collégiale. Autrement dit, quel que soit le type de régime politique, la gestion du pouvoir a

toujours été une pratique collective et non personnelle. Même dans les plus grandes

dictatures, la gestion du pouvoir a toujours été une affaire de clan, voire de personnes.

En s’appropriant donc le PAS, le président Abdou Diouf avait porté atteinte au principe de

la souveraineté nationale, même si la Constitution lui reconnaissait le pouvoir d’initiative

dans la mise en place des politiques. Faudrait-il à cet effet rappeler que cette même

Constitution présentait le Sénégal comme République démocratique. Or un tel procédé Ŕ

faudrait-il en convenir Ŕ était non seulement contraire à la pratique démocratique, mais il

était également étranger à la démocratie. En écartant en effet les populations et leurs

légitimes représentants dans tout le processus de la mise en place du PAS, le président

Abdou Diouf s’était inscrit dans une logique de personnalisation et d’appropriation du

pouvoir.

Le FMI et la Banque avait certes pour interlocuteur le Président de la République. Il ne

pouvait pas en être d’ailleurs autrement. Il ne revenait pas non plus au FMI et à la Banque

mondiale de dire ou de rappeler à un Chef d’État d’une « démocratie » les étapes que le

processus démocratique exigeait. Ce n’était pas dans leur mandat, ajouté au fait qu’une

certaine coutume républicaine oblige les étrangers accrédités, c’est-à-dire les diplomates, de

faire preuve de la plus grande retenue par rapport à la politique intérieure d’un pays. Il

appartenait par conséquent au Chef de l’État d’y associer les populations ou leurs légitimes

représentants. En décidant donc d’écarter systématiquement le pouvoir législatif dans la

mise en place du PAS en tant politique économique, le président Abdou Diouf s’était inscrit

dans une logique qui n’avait sa place en démocratie. Le parlement est en démocratie le lieu

et le centre de décisions.

Page 318: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

300

En ayant recours à la Constitution pour se soustraire de cette obligation de courtoisie

républicaine qui l’obligeait à devoir partager ses intentions politiques avec le premier

ministre; le président Abdou Diouf voulait agir de façon unilatérale pour mettre les

politiques et les réformes qui étaient requises dans le cadre du PAS (Programme des

Ajustements Structurels). En se passant d’un Premier ministre qui était le chef du

gouvernement, le président Abdou Diouf était dans la pratique le gouvernement. Ce n’était

d’ailleurs pas un hasard que le poste de premier ministre ait été réintroduit dans

l’architecture gouvernement en 1991. On était à une année de la fin du PALMT (Plan

d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme). L’essentiel des

politiques était déjà mis en place.

Le FMI et la Banque Mondiale Ŕ faudrait-il le rappeler Ŕ avaient accepté d’accompagner un

Sénégal qui comme beaucoup d’États d’africains avait perdu toute crédibilité auprès des

bailleurs de fonds classiques. Ces institutions étaient dans le droit le plus absolu de mettre

des conditions avant d’entamer leur travail. Cette réalité est d’ailleurs acceptée par la

conscience populaire sénégalaise et est illustré par cet adage en Wolof qui dit que Kou la

abal beut, fi ko nékh ngay khol qui signifie littéralement que vous regardez là ou veux que

vous regardiez celui qui vous a prêté des yeux. Ce pragmatisme en dit long sur la

prédisposition des populations à collaborer avec les institutions de Bretton Woods, mais

encore faudrait-il les associer.

Au terme de ce qui vient d’être précisé, il est aisé de comprendre que le Sénégal n’a jamais

été cette démocratie tant vantée par une certaine littérature. Il y des fondamentaux en

démocratie et ces fondamentaux existent et sont dans toutes les grandes démocraties

(France ŔÉtats-Unis Ŕ Canada) : le parlement qui contrôle l’action de ceux et celles qui sont

en charge du gouvernement, et des organes de contrôle pour sécuriser la gestion des

finances publiques. Telle est la thèse que nous avons défendue dans cette étude. Ni le FMI

et la Banque mondiale, et encore moins d’autres instances pressenties ou pensées plus

compétentes ne pourront jamais trouver une solution au mal économique des pays africains

tant et aussi long que l’opacité sera érigée en principe de gestion de la chose publique.

Page 319: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

301

En parlant donc des fondamentaux en démocratie, nous avons voulu parler de l’esprit et

non de la lettre de la démocratie ni de son corps. Une personne amputée de ses membres

reste toujours une personne, mais une personne amputée de son esprit n’est plus une

personne. Il n’y a d’ailleurs aucune prothèse pour pallier à ce genre d’amputation. Une

telle personne est même considérée en droit comme étant un incapable et est soumis au

régime de la curatelle, parce que jugée inapte et non responsable, et quel que soit la nature

de ses actes. Une démocratie amputée de ce qui lui confère un sens, une essence et sa

principale substance n’est plus une démocratie. Cela pour dire concrètement qu’une

démocratie privée d’un pouvoir de contre poids, censé jouer un rôle de contrôle, n’est plus

une démocratie, et tel est cas avec la démocratie institutionnelle.

Il nous paraît important de rappeler au terme de cette étude que la démocratie a vu le jour

dans le refus de certaines personnes de vivre et de subir l’arbitraire royal. Cet arbitraire Ŕ

devons en convenir - est une virtualité et non seulement une probabilité de la pratique du

pouvoir, et doit par conséquent être neutralisé. Cet arbitraire fait malheureusement corps

avec la démocratie institutionnelle comme ses excès constatés dans presque tous les pays

africains, que résume bien la gestion népotique du pouvoir. Pour ce qui est du Sénégal, ce

type de démocratie qui a pris naissance sous Abdou Diouf s’est confirmé sous Abdoulaye

Wade, et dans sa forme la plus perverse. En douze années de pouvoir (heureusement), les

populations ont assisté dans la plus grande impuissance à des faits imputables à ses

prérogatives constitutionnelles et au manque de pouvoir de contrepoids pour tempérer de

tels excès.

Le président Wade avait fait de son fils, inconnu de la classe politique et des sénégalais

avant son arrivée au pouvoir en 2000, un ministre d’État avec des pouvoirs quasiment

similaires avec les pouvoirs d’un président de la République. Le prince qui avait un

mouvement politique dénommé Génération du concret avait ses ministres dans le

gouvernement de son papa-président. Il avait ses ambassadeurs, et dans des villes comme

Paris, Washington et Ottawa. Sa fille tardivement impliquée, officiellement parlant, était à

la tête du FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres) et avait comme adjoint un ancien

Page 320: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

302

ministre, qui ne se gênait pas de jouer les seconds rôles. À l’Assemblée nationale, le

président Wade avait comme président du Groupe parlementaire, Doudou Wade, le fils de

son petit frère. C’est d’ailleurs avec cette Assemblée nationale que des députés ont déclaré

publiquement, et devant la face du monde, qu’ils étaient des députés du président

Abdoulaye Wade. C’est avec Abdoulaye Wade, président de la République et chef de parti

politique; le PDS (Parti Démocratique du Sénégal) que les sénégalais ont entendu ce

dernier dire, et sans aucune gêne qu’il était la seule constante dans son parti, et que les

autres étaient des variables

De tels excès Ŕ faudrait-il en convenir Ŕ sont non seulement impensables en démocratie,

mais impossibles en effet en raison tout simplement des mécanismes de contrepoids et de

l’esprit de vigilance qui est partagé d’une part entre les parlementaires et la société d’autre

part. Après donc sa première alternance politique en mars 2000, signe d’une certaine

conscience citoyenne, le Sénégal a connu une gestion du pouvoir entachée du moi

présidentiel avec tout ce que cela comporte comme préjudice à la démocratie, mais

également aux finances publiques. Même si les populations ont sanctionné ce type de

gestion, intrinsèque - nous rappelons Ŕ à la démocratie institutionnelle Ŕ elle est toujours en

veilleuse au Sénégal, même si on note la présence d’un certain esprit alerte d’une société

civile qui a décidé de jouer le rôle de sentinelle de la démocratie comme le Forum civil par

exemple. La démocratie institutionnelle puise sa force de la loi fondamentale, c’est-à-dire

de la Constitution dont le respect à valeur de dogme en démocratie. Elle est adossée à

l’État de droit et a fait de la notion de légalité son outil de légitimation de tous ses

procédés. Elle se positionne tranquillement et subtilement en modèle de gestion des

sociétés africaines, et doit être combattue. Ce combat est plus qu’un impératif.

Page 321: Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans

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