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Du sens des énoncés contradictoires Author(s): Frédéric François Source: La Linguistique, Vol. 7, Fasc. 2 (1971), pp. 21-33 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248186 . Accessed: 15/06/2014 15:07 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.13 on Sun, 15 Jun 2014 15:07:13 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Du sens des énoncés contradictoires

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Du sens des énoncés contradictoiresAuthor(s): Frédéric FrançoisSource: La Linguistique, Vol. 7, Fasc. 2 (1971), pp. 21-33Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248186 .

Accessed: 15/06/2014 15:07

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DU SENS DES ENONCtS CONTRADICTOIRES

par Fr6d6ric FRANOIS

II peut sembler inutilement provocateur de discuter du sens des 6nonc6s contradictoires. En effet, une longue tradition philo- sophique et logique n'a-t-elle pas d6montre qu'ils n'en avaient pas ? Ceux qui ont voulu faire 1'Cloge de la contradiction n'ont-ils pas dit manifestement beaucoup de sottises ?

Et pourtant, s'il est facile de montrer qu'un discours qui veut avoir valeur demonstrative doit viter de se contredire, le probleme linguistique continue a se poser : quel critbre avons-nous pour demontrer qu'un enonce est contradictoire ? Car, apres tout, ce

qui est 6tonnant, c'est que des enonces qui ont l'air contradictoires ne le sont peut-&tre pas, et qu'on peut decouvrir que les enonces qui n'en avaient pas l'air l'6taient. Ou bien le meme 6nonce sera contradictoire pour l'un, mais non pour l'autre. Comment donc les langues naturelles sont-elles organis6es pour que l'aspect contradictoire ou non d'un 6nonce ne soit pas chose manifeste ? Il y a 1l un cas priviligie pour discuter la valeur des decisions du s6manticien : celui qui decouvre par exemple des systhmes d'antonymes contradictoires si on les coordonne, ou de verbes qui, sous peine de non-sens, doivent avoir un sujet anim6 (pen- ser ?), a-t-il reellement 6tudid la langue ou s'est-il construit une sous-langue ad hoc ?

C'est la une question dont on pourrait se demander ce que le linguiste a A en dire. La contradiction n'est-elle pas dans l'usage qu'on peut faire d'une langue et non dans l'organisation linguis- tique de cette langue ? La definition de la contradiction est certes affaire de logique, en tant qu'elle concerne des propositions et leurs valeurs de v6rit6 independamment de la forme : les

6nonces, par lesquels elles se manifestent. Ce qui est l'affaire du linguiste, c'est de se demander ce qui distingue de ce point de vue

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les langues naturelles des codes explicitement fabriques. Se diff&- rencient-elles seulement par leur imprecision ou leur polysimie ? On voudrait montrer ici qu'il s'agit plut6t d'un caractere positif du langage : le sens n'etant pas dans les mots, mais pour les inter- locuteurs avec leur savoir extra-linguistique, ce sens varie en fonction de la situation, ou du contexte. Corrdlativement, on vou- drait montrer que les semes ne sont pas des composants rdels, des

pierres avec lesquelles se construit le sens de la phrase (auquel cas on pourrait a coup stir poser le caractere contradictoire d'un enonce), mais sont le resultat d'une selection par le contexte et la situation, selection qui conjoint variations discr&tes et non discretes.

On reviendra tout d'abord sur les arguments logiques tradi- tionnels, qui ne se sont pas beaucoup modifies, semble-t-il, depuis Platon et Aristote. 11 s'agit toujours de montrer que le sophiste, qui croyant se rendre invincible, pose que le meme objet est blanc et non blanc, grand et petit, etc., en fait ne dit rien. Si les termes sont veritablement contradictoires, c'est-a-dire expriment l'ensemble des choix possibles dans un domaine donne, et si les deux affirmations sont faites, comme le precise Aristote, en impli- quant que l'objet considire est x et non-x en meme temps et du meme point de vue, alors on est certes irrefutable, mais l'Cnonce ne pouvant &tre faux ne peut non plus etre vrai. Sous quelque forme que l'argument soit repris (par exemple, par r6f6rence a la pratique : il n'y a pas de possibilit6 d'btre effectivement ici et ailleurs, mort et vivant, blanc et non blanc)...; on peut toujours, en termes linguistiques, dire qu'il signifie ceci : avoir un sens, c'est faire un choix; et l'enonce contradictoire, exprimant a la fois l'ensemble des choix, ne signifie plus rien. Le paradigme semantique est ouvert dans blanc, rouge, vert, etc. Reduit a deux termes dans blanc, non blanc, la coordination epuise alors le para- digme.

L'argument portera de la meme fagon dans le cas des inonces qui ne sont plus explicitement contradictoires (termes 6puisant un certain paradigme), mais implicitement, lorsque ce sont les implications d'un terme qui contredisent un autre terme de la

phrase, sans qu'il y ait dans la meme fonction coordination de termes contradictoires. La d6monstration de cette contradiction consiste alors ' ramener l'6nonce implicitement contradictoire a un 6nonc6 explicitement contradictoire : pour consid6rer :

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cette virite est bleue comme contradictoire, on notera que ve'ritd implique non spatial, bleu implique spatial et donc que 1'inonce implique il y a du non-spatial spatial. Le problkme du non-sens

(termes de l'6nonce dont on ne voit pas quels peuvent &tre les

rapports) se rambne donc ainsi & celui des contradictoires. Certes, on y reviendra, il peut y avoir conflit sur les implica-

tions d'un terme, ce qui explique au moins partiellement les cas oiU il y a discussion sur le caractere contradictoire ou non de tel 6nonc6. Reste que telle est bien la procedure que nous suivons

quand nous discutons ou quand nous demandons 'a quelqu'un de nous redire autrement ce que nous n'avons pas compris.

Aussi raffind soit-on, on exigera d'un message qu'il signifie ceci et non cela. On pourra hesiter sur la nature des rapports d'opposition (bete et intelligent excluent-ils une tierce possibilite'?), en somme sur les limites de l'univers du discours (en termes lin- guistiques : du << paradigme simantique ) ou du << systeme >>) qu'ils constituent. Mais on n'hesitera pas sur le fait que le sens d'une unite se dffinit par rapport 'a celles auxquelles elle s'oppose au sein d'un univers du discours consid&re1, et non par un lien direct 'a ce qu'elle designerait. Tradition logique et linguistique d'origine saussurienne et pragoise se retrouvent ici pour dire que le sens d'une unite n'est pas en elle, mais qu'il suppose l'indication d'un rapport spacifique 'a ce qu'elle n'est pas. Dire qu'un objet est rouge, sans autre pricision, sera normalement perqu comme signifiant qu'il n'est pas d'une autre couleur, mais comme ne donnant aucune indication sur son poids. C'est dire qu'il y a bien un paradigme semantique distinct du paradigme syntaxique (ensemble des unitis qui peuvent avoir une fonction donnee) et que parler de rouge implique normalement qu'on se rdf're 'a l'univers du discours constitu6 par la couleur et non 'a un autre. Se rd'frer au<< principe de contradiction >>, ou dire que les unites se difinissent par opposition dans un<< genre donne'a, revient donc au meme, et semble bien etre une condition de la definition du signifi6 linguistique comme de tout signe, comme Luis Prieto l'a justement developpe.

Reciproquement, l'6loge de la contradiction qu'on a pu faire n'est pas pertinent 'a ce niveau. S'il y a une << logique de la contra- diction >>, sa dialectique devra s'exprimer en enonces autant que

I. Luis J. PRIETO, Messages et signaux, chap. II, Paris, 1966.

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24 FRiDiRIC FRANgOIS

possible non contradictoires. Elle visera ' montrer l'aspect partiel, unilateral des determinations de la realite, et que ce qui est actuel- lement force contient en lui-meme des germes de faiblesse; mais non pas que la force est << en meme temps et du meme point de vue > la faiblesse. Et si l'on peut communiquer quelque chose en disant A et non-A, ce ne sera (sous peine de tomber dans la benignite pretentieuse de << la nuit oh toutes les vaches sont noires >) que par la possibilite d'indiquer quelle est la difference de point de vue fournie par les termes contradictoires, le froid d'une froide chaleur se plaqant dans l'univers du discours de la couleur ou de l'effet produit, non de la mesure thermom6trique. Ainsi de la noire clarti, de la triste joie, etc. Ou bien la juxtaposition de termes ordinairement contradictoires servira a mettre en 6vi- dence l'inadequation de l'opposition consideree pour communiquer telle realit6 : il n'est ni bon ni mechant (c'est-a-dire : selon vos criteres; il faut changer d'univers de discours).

IL apparait done bien qu'il y a des enoncis contradictoires, et

qu'etudier le sens des unites, c'est determiner l'ensemble des

implications qui les rendent compatibles ou incompatibles avec d'autres termes. Mais, en meme temps, cette dernibre entreprise se heurte a des difficultes qui indiquent que le probleme est mal pose. Pour reprendre les objections de Jaap Spa2, comment peut-on decider que la peinture est silencieuse est un enonci anomal, contradictoire dans notre perspective parce que silencieux impli- querait l'univers de discours << qui peut parler >>, voire << animi >>, lequel serait nid par les implications de peinture ? Bien entendu hors contexte on ne pourra rien dire de cette phrase, et en contexte elle pourra signifier une multitude de choses, silencieux s'opposant par exemple a agiti; ou bien on ajoutera qu'elle dit bien plus qu'un long discours. Toujours en suivant Spa, a cause de l'anomalit6 de la cigarette est haute, il sera ndcessaire de mettre dans le signifie de

cigarette un s6me < horizontalit >>; et ainsi, autant de s~mes negatifs que de manieres d'etre qu'une cigarette ne peut pas avoir. On remarquera qu'il y aurait li lourdeur plut6t que veri- table absurditd, mais il est plus important de se demander : cet enonce est-il inhabituel, ou d6pourvu de sens ? Est-ce un enonce qu'en fonction du refirent, on n'a jamais ou presque l'occasion

2. Jaap SPA, Quelques problemes concernant la composante semantique de la grammaire transformationnelle, La Linguistique, I97o, I, p. 23-38.

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de prononcer, ou est-il contradictoire ? Et finalement ne prend-on pas pour des impossibilitis semantiques des particularitis rdf'ren- tielles ? L'introduction des fauteuils gonflables ou des machines "

ecrire entraine-t-elle la modification des implications semiques de fauteuil (suppression de << en dur >> qui l'opposait a pouf) ou de icrire (qui impliquait << avec une plume >>) ? Ne vaut-il pas mieux penser que connaitre une langue c'est connaitre les facultis d'adap- tation des unites les unes aux autres, et a l'expression de nouvelles realitis ?

Quelles caracteristiques considdrera-t-on en effet comme essen- tielles : distinguera-t-on giranium ovipare (contradictoire), de ge'ra- nium bleu a pois blancs simplement non atteste ? On navigue en pleine fantaisie semique.

Pour tenter de retrouver le terrain linguistique, on se deman- dera plut6t : qu'est-ce qui se passe quand on comprend ou qu'on ne comprend pas un message ? Si la contradiction d'un message n'est pas une donnde manifeste, c'est evidemment qu'il n'y a pas d'univocite prealable, que le recepteur cherche & adapter le message a la situation, et les unit's de celui-ci les unes aux autres. On notera tout d'abord que ces mecanismes d'adaptation fonc- tionnent entre deux p6les. D'une part, celui des sous-codes struc-

tures de la logique et de la science. II s'agit l1 d'univers de discours oi les termes sont en principe definis de faqon univoque et oh l'on peut, a premiere vue, ecarter un enonce comme denue de sens. On remarquera que puisqu'il s'agit de regles qui definissent les possibilites d'utilisation des unites comme disant quelque chose de la realit6, il n'y a plus de diff6rence ici entre analytique et synthetique (valeur d'un enonce jugie par l'examen du rapport entre ses termes ou par rfi6rence a une experience extra-linguis- tique), en termes linguistiques entre signifie et rdf'rence. Bien sir, il n'en est pas ainsi de tout enonce scientifique : on peut enoncer le resultat d'une mesure, proposer une hypothese et il y aura evi- demment de nouveau une difference entre comprendre un enonce et juger de sa verite. Mais, a l'interieur d'un corps definitionnel constitue, qui n'est pas forcement accepts comme tel par les autres, l'examen de la validite d'un 6nonc6 est, en principe, une tache analytique (en principe seulement, car on sait galement que la science n'est pas seulement cumulative, mais est amenee A res- tructurer son corps d'hypothbses, done ses normes du contradictoire et du non-contradictoire).

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26 FREDARIC FRANgOIS

A l'oppose, on placera un usage qu'on appellera, peut- tre malheureusement, podtique, sans assurer s'il caractdrise toute

podsie, mais en remarquant que quelque chose de tel apparait dans ce qui passe pour podtique. Il s'agit de la possibilite de faire

jouer sans limite l'adaptation des termes les uns aux autres, la bonne marche du procedd 6tant assuree non pas par l'existence d'un sens cache qui pourrait etre dit autrement, ni par une conno- tation au sens de halo associatif propre au sujet, mais par la mise en marche du mecanisme d'adaptation simique, peut- tre a vide, mais de telle fagon qu'il en reste toujours quelque chose. On eclairera cela en empruntant deux exemples a O. Mannoni3. Celui-ci nous fait remarquer (p. 209) que, lorsque Baudelaire ecrit : Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau ?, savoir de viande, << il ne songe nullement a poser une enigme, mais il en est si pres que pour une fois il frise la mauvaise plaisanterie>>. Faire d6couvrir un texte comme poetique est autre chose que trouver le same cache qui ferait apparaitre une base commune a nourrir et a tombeau. On ne peut poser de limites t l'adaptation (p. II14-115) << Si je dis que le desespoir est un parapluie, il y aura peut- tre des auditeurs pour m'approuver. Ou me << comprendre >>. Mais ils risquent d'iclater de rire ou de rester bouche bde, si, continuant sur ma lancte, j'dnonce que la pudeur est un verre a pied. >> Mais, et tout l'article le montre, il n'y a pas de diffdrence de nature entre les deux cas : aussit8t, si le lecteur le veut bien, I'addquation se realise, pdjorative de mondanitd ou d'artifice, ou - pourquoi pas - gracieuse de transparence ou de fragilitd. Comme Mannoni l'indique, si marche, qa n'est pas parce qu'on evoque des images ou qu'on associe des iddes, mais parce qu'on utilise 'a la limite une caracteristique du langage :la machinerie verbale d'adaptation des unites les unes aux autres.

Ce sont l1 des p6les et on rencontrera plus facilement des niveaux intermediaires que des cas purs. Reste que les procedds ordinaires de comprehension d'un enonce fonctionnent dans un cadre delimite par ces deux extremes d'univocite posde ou d'indd- termination voulue.

De ce point de vue, on pourrait caractdriser les conditions normales de la communication comme celles oih on a ' adapter les

3. 0. MANNONI, Le besoin d'interpreter, Les temps modernes, mars 1962, no 190, repris dans

Clefs pour l'imaginaire ou L'autre scone, Paris, 1969.

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sens des unites les uns aux autres et A la situation en supposant a priori que les enoncis sont non contradictoires, que l'interlocu- teur << parle pour dire quelque chose a, mais ouh on peut finalement arriver a cearter un enonc6 comme absurde.

On peut tenter de systimatiser ces mecanismes d'adaptation selon deux dichotomies qui permettent au < meme >> nonce d'&tre ou non contradictoire. D'une part, ce peut &re un savoir exterieur ou le contexte linguistique qui apporte l'information necessaire. On remarquera4 que l'on passe de fagon continue de l'un g l'autre :

appellera-t-on contexte ou situation ce qui a ete dit quinze minutes plus t6t ? D'autre part, l'un et l'autre fonctionnent de la meme maniere : le sens de grand s'adaptera de la meme faqon dans c'est grand, accompagn' d'une information extra-linguistique sur ce qui est grand ou dans l'enfant est grand face a son grand courage.

D'autre part, l'information ainsi apportie peut &tre linguisti- quement pertinente ou non, en cela que dans le premier cas seulement elle change les rapports paradigmatiques caracteris-

tiques de l'unite consider&e. Le second cas se presente en toute communication : l'abstraction du signe fait que, dans chaque acte de communication, il faut considerer le sens hic et nunc qu'ap- porte l'unite, le signifi6, defini provisoirement comme la classe des sens qu'elle peut avoir, classe caracteriste par ses rapports oppositionnels constants. En cela, il n'y a pas a* privilegier a priori telle ou telle adaptation : le mecanisme adaptatif est le meme quand on passe de femme maigre a vache maigre ou de femme maigre a maigre rimuneration. La nature << abstraite >> de la rnmuniration ne change pas le rapport privilkgik maigre-gras. Il en sera autrement pour courir lesfilles, qui, compare a courir le ioo m, n'entre pas dans le meme systeme d'oppositions. Le problkme est complique par les figements : une espirance, de maigre peut difficilement devenir grasse; elle peut devenir grande, ce qui correspond evidemment au fait qu'ici le choix entre les diverses dimensions de l'espace n'est plus pertinent.

Certes, tout changement dans l'information apportde par les unites voisines ou par la situation entraine des variations de la

probabiliti des unites qui appartiennent " un meme paradigme.

Mais ces probabilites varient a chaque instant et diversement pour

4. Denise et Fr6deric FRANQOIS, De l'ambiguit6 linguistique, Hommage c Andri Martinet, Word, vol. 27, I967.

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28 FRiDERIC FRAN90IS

chaque sujet; elles manifestent la diversit6 des conditions d'appren- tissage ainsi que les differences du refirent, elles ne constituent

pas des variations de l'organisation linguistique. Mais il est alors necessaire de priciser ce qu'on entend par organisation du para- digme. Au sens syntaxique, appartiennent au meme paradigme toutes les unites qui peuvent exercer la meme fonction : celle-ci constitue la base commune, l'univers du discours considerS. Considerer le paradigme simantique, ce n'est plus considerer une classe en tant que, par exemple, elle peut modifier telle autre classe, mais l'ensemble des unites qui peuvent apparaitre dans un contexte particulier donne. Ce paradigme peut etre indefini, c'est-a-dire avoir a peu pres les memes dimensions que le para- digme syntaxique; il peut &tre ouvert, c'est-a-dire contenir un ensemble non denombrable actuellement, mais potentiellement limite : le meilleur des fromages, c'est le... ou ferm6 : le mariage civil a eu lieu, mais non la ce'rimonie... Les usages tautologiques et defini- tionnels aboutissant en principe 'a ne plus laisser qu'une unite

possible dans une position donnee. On remarquera que si la des-

cription simantique est possible, c'est qu'il fait partie du compor- tement linguistique naturel de projeter le paradigme sur le syn- tagme : ce tissu n'estpas rouge, il est plutdt... ayant normalement pour but de reduire le paradigme adjectival a celui des couleurs. Dire que les contextes sont plus ou moins contraignants, c'est dire que les paradigmes dans lesquels entrent les unites sont plus ou moins vastes, ainsi, on aura : il m'a jete' un : defi? caillou? fromage ?, alors

que l'univers du discours des aliments est attendu dansj'ai mange du. Enfin, ce sont normalement les contextes qui enseignent les varia- tions des systemes privilegids d'oppositions d'une meme unite : civil-religieux dans le contexte mariage, civil-penal dans celui de droit, etc.

En cela, on peut considerer la syntaxe comme un ensemble de

points de vue qui sont representes chacun par une fonction donnie et apparaissent comme des limitateurs de paradigme, d'autant

plus stricts que la fonction est plus determinee, mais la situation comme le semantisme des autres unites aboutissent au meme resultat. Normalement, il n'y a pas de conflit entre ces diff6rents limitateurs de paradigme. Parfois, en revanche, ce peut etre le cadre syntaxique qui nous assure de la valeur d'une paradig- matique simantiquement improbable (l'agneau a mange' le loup). Parfois, c'est la probabilite simantique qui supplie les difaillances

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du cadre syntaxique. Dans moi nourriture, il est vraisemblable

que moi ddsigne le bindficiaire et nourriture l'objet, mais la situation et I'intonation peuvent servir ' indiquer qu'il s'agit d'une phrase equationnelle aux consdquences horrifiantes. Ce qui importe, c'est que nous ne commengons pas d'abord par nous demander si un 6nonce est bien formd du point de vue de la syntaxe et de la combinabilite semantique pour ensuite nous occuper de son sens. La << machine a comprendre>> qu'est le recepteur commence

par faire l'hypothese que ce qu'elle entend est sense, et ensuite reconstruit les paradigmes ou les modifie pour qu'il puisse y avoir sens. Les sens des diverses unites constitutives des messages ne sont d'ordinaire pas additifs, mais au contraire les relations oppo- sitionnelles d'un terme varient selon le contexte. D'oh deux erreurs

opposdes, chez le linguiste qui veut rendre compte de ces possi- bilites de variation : penser que n'importe quoi peut s'adapter a n'importe quoi, ou au contraire faire de toute adaptation une << figure de style >> supposant par-devers elle le maintien d'un<< sens

propre >>. Sans aller jusqu'au bout de la premiere voie, on peut etre tentd de ne supposer qu'un invariant oppositionnel extra- mement abstrait. C'est ce que fait Jaap Spa dans Particle citd, lorsqu'il propose de ddfinir dormir < activite temporairement r'duite de certaines fonctions du sujet >>, ce qui renverrait a une s'lection contextuelle non pertinente la diff6rence entre Pierre dort, l'eau dormante, le savoir dort, etc. Ce peut tre une conduite definitoire commode, encore ne faut-il pas oublier qu'il y a des cas oh la comprehension s'etablit sans effort adaptatif des unit's les unes aux autres et d'autres oh cet effort est necessaire, ce qui, meme si les limites n'en coincident pas chez tous les locuteurs, permet d'opposer un sens propre a un sens diplace. A l'inverse, l'existence meme des figements nous enseigne que nous ne devons

pas construire un faux degre zero de la langue a partir duquel on considererait comme metaphorique le Soleil se love, ou comme

synecdoque gendralisante l'homme prit une cigarette et l'alluma, sous pretexte que ce qui a pris, c'est sa main et non pas lui5. Il semble prf&frable de ne parler de figure que dans les cas oh on laisse s'affronter la possibilite de deux systemes incompatibles d'adaptations, qu'il s'agisse d'adaptations oh l'on hesite a choisir entre deux paradigmes, du type le Soleil s'est levi en agitant sa

5. Comme le font J. DUBOni et coll., dans Rhitorique ginirale, Paris, Larousse, I970, p. o103.

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30 FREDERIC FRAN9OIS

barbe, oi on se demandera si Soleil implique la modification de la barbe en rayons ou barbe celle de Soleil en < homme blond et majestueux a, ou quelque chose d'analogue. Ou qu'il s'agisse de presence simultanee de deux paradigmes comme dans l'6nigme ou le jeu de mots.

Ce sont, croyons-nous, ces diff6rents proc6des discrets ou non d'adaptation des termes les uns aux autres ou a la situation

qui permettent de comprendre pourquoi le meme enonce sera sense ou contradictoire selon les sujets, la determination de l'uni- vers du discours qui d6finit un terme se faisant hic et nunc et non

pas une fois pour toutes, dans le dictionnaire. Mais ceci entraine certaines consequences quant a la faqon dont nous devons carac- teriser la maniere dont les unites ont du sens.

Luis Prieto a caracterise le systhme des langues naturelles comme comportant des signifies en rapport d'inclusion et en

rapport d'intersection, alors que la plupart des codes non

linguistiques (faut-il dire < tous lesa ?) n'ont que des signifies en rapport d'exclusion. Le fait de pouvoir communiquer la meme information par des signaux diff6rents, en rapport d'inclusion : passez-le moi, passez-moi le crayon, ou d'intersection : passez-moi le crayon, passez-moi le noir (pour reprendre ses exemples) a pour consequence l'independance du choix de l'information transmise et du choix de la faqon de le transmettre, ce qui permet de rendre compte d'un grand nombre de caracteristiques de la communi- cation linguistique : son &conomie, par I'adaptation du message aux informations fournies par la situation, les connaissances sup- posies de l'interlocuteur; la nature exacte du phenomene << style>> comme choix systematique du moyen, distinct du choix du contenu. C'est egalement ce qui permet la definition (la possibilite de definir un signe n'existant pas en general l'interieur des codes non linguistiques). Cette analyse ouvre assurement de nombreuses

perspectives, par exemple en ce qui concerne le problkme tradi- tionnellement pos :<< le langage et la pensde a, et qui pourrait ici etre reformulk, comme celui de la diff6rence entre la simple pos- sibilite de signifier d'une seule faqon et la saisie de diff6rentes faqons de signifier, done de jouer avec les signes. On peut cependant se demander si cette caracteristique, reelle, suffit a rendre compte des faits qu'on vient d'dvoquer; plus pricis6ment ne rend-elle pas compte d'un des sous-codes qu'on peut choisir de manier i l'int&- rieur des<< langues naturelles >>, et non de ces langues elles-memes ?

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En effet, Luis Prieto a beaucoup insist6 sur le fait que pour qu'une unit6 significative puisse fonctionner, il fallait que soit

indiqu6 a quel univers du discours elle appartenait ou, ce qui revient au meme, ? quelles autres unit's significatives elle s'opposait. Or, il semble bien que l'impossibilit6 oti nous sommes de determiner

6videmment quels discours sont contradictoires et quels sont douds de sens provient, non pas de ce que le sens d'une unite serait une

ndbuleuse parfaitement indeterminde, auquel cas on ne voit pas comment on pourraitjamais arriver 'a dire quoi que ce soit, mais de ce que ces relations paradigmatiques peuvent varier, en fonction du contexte ou de la situation, et que ces variations introduisent un type d'dconomie encore plus gendral que celui envisag6 par Prieto. La forme la plus manifeste de cette economie est celle

qu'on appelle polysimique ou homonymique, oih le contexte ou la situation (car que pourrait-il y avoir d'autre ?) nous indique que l'unite consid6rde entre dans des rapports paradigmatiques diff6- rents. On pourrait, 'a premiere vue, etre tente de considerer qu'autant de fois qu'une unite entre dans des systemes d'opposi- tions diff6rents, autant de fois il faut consid6rer qu'il s'agit d'une unite diff6rente. On peut 6tre tent6 par un tel choix en face des

sous-systemes lexicaux structur6s, c'est-5a-dire oui les dimensions du

paradigme sont posdes de fagon explicite comme dans l'exemple de civil oppose 'a militaire, religieux, pinal, etc. Et, certes, c'est finalement

l'existence du choix signifie qui donne a une succession de pho- nemes son statut de choix monematique. Mais c'est oublier que les variations des systemes d'oppositions sont a la disposition des sujets comme cela se passe explicitement dans tous les cas oui on est amen6 a priciser syntagmatiquement : ce n'est pas ceci, mais

cela, c'est ceci ou cela. Certes, il faut distinguer ces variations

paradigmatiques des variations qui ne touchent pas aux systemes linguistiques, mais seulement aux variations du r6firent, comme

lorsqu'on dit : << C'est Pierre ou un autre barbu >>, sans qu'il y ait de paradigme linguistique a deux termes comportant un univers : les barbus, un choix Pierre, le reste. En revanche, les variations pro- prement linguistiques du paradigme sont constantes. Ainsi, n'est-il jamais necessaire qu'en eux-memes deux termes soient contradic- toires, c'est-a-dire 6puisent un paradigme au sens strict : fa n'est ni vrai nifaux pourra toujours etre un enonc6 sense, de meme que fa n'est ni vrai ni non-vrai. Tant6t je n'aime pas sera pris dans un uni- vers du discours a deux termes, oui il sera equivalent 'a je hais,

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32 FREDERIC FRANgOIS

tant6t dans un univers a trois termes ou il sera identifiable a quelque chose comme fa m'est indiffe'rent. Et l'usage normal de la communication n'etant pas de prdciser explicitement l'ensemble des termes du paradigme (ce qui serait assurement anti-econo-

mique !), il peut rester indecis de savoir si c'est l'un ou l'autre. Si le sens des mots etait en eux, ou bien on le saurait, ou bien on ne le saurait pas. S'il itait dans leurs valeurs associatives, on voit mal comment deux sujets ayant des expiriences diff6rentes pour- raient communiquer. Donc ce n'est pas seulement a cause de la relation signifid-refirent, mais aussi parce que la communication

suppose l'indication de l'univers du discours et de sa structure interne (termes compatibles, incompatibles, paradigme ouvert ou

fermi, comportant ou non un << milieu >>) qu'il peut y avoir rdus- site, totale ou partielle, echec, adaptation aux circonstances, etc. Voila aussi pourquoi on ne peut dire que chaque fois qu'une unite entre dans des rapports oppositionnels diff6rents, elle cons- titue une unite significative diff6rente. En effet, ce serait ne pas voir que les variations de sens en question ne concernent pas seulement des termes techniques comme civil, qui entre effective- ment dans des paradigmes nettement disjoints. Elles concernent toutes les unites : s'il s'agit d'inventaires ouverts, les autres unites effectivement possibles A un moment donne varient a chaque acte de communication (le paradigme des couleurs varie pour chaque objet, d'oui le lien entre organisation du signifid et connaissance du refdrent et la difficulte A toujours distinguer changement de

probabiliti et modification discrete). De meme les inventaires fermes passent sans cesse de l'indication explicite d'une dicho- tomie (rapport de contradiction) (pas beau equivalant a l'affir- mation positive laid) a celui d'une altirite indeterminde (pas beau

n'apportant pas d'information precise sur le reste de l'univers du

discours). Dans ces conditions, on peut se demander si correspond bien

a la rdaliti du comportement linguistique l'image << ensembliste >> qui fait du signifie d'un terme l'ensemble des sens qu'il peut avoir : qu'est-ce qu'un ensemble indifini, dont les limites ne peuvent etre pricisees ? Il nous semble que l'accent est mis, aussi bien chez Prieto (quoiqu'il insiste beaucoup plus qu'eux sur l'importance des rapports oppositionnels) que chez Katz et Fodor sur ce qu'on peut considerer comme la << conduite difinitionnelle >>, plut6t que sur le double micanisme d'adaptation non pertinente (par chan-

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DU SENS DES ENONCES CONTRADICTOIRES 33

gement des implications des termes ou de la probabilit6 des unites) ou pertinente (par changement du paradigme et de l'uni- vers du discours) fournis par la situation et le contexte.

Ceci amine 'a preciser la diff6rence entre l'analyse phono- logique en traits et la recherche des semes constitutifs d'un choix

signifid. Les traits phonologiques sont constants, en quelque sorte

plus reels que les phonemes, comme on peut le voir dans l'acqui- sition du langage et la pathologie. Meme si la mime opposition phonologique, /p/-/b/ se realise par le trait << voix >>, le trait << force>> ou le trait << longueur >>, ou les trois 'a la fois, ce restera une meme

opposition (son r61e dans la communication restera identique). En revanche, c'est la realisation dans tel message qui rend pertinent tel same, la rh6torique spontanee du langage aboutissant 'a un nombre indifini de changements possibles, l'intelligibilite subsis- tant ceperidant parce que si les changements sont en nombre indefini, ils se ramenent 'a un certain nombre de procedds de modi- fication contextuelle. Les rapports oppositionnels des phonemes ne peuvent pas changer selon leurs positions dans la chaine, si ce n'est par diminution (neutralisation). Il n'en est pas de meme pour l'organisation du signifie. C'est, pensons-nous, ce qu'Cclaire le paradoxe de l'impossibilit6 a fabriquer un enonc6 parfaitement contradictoire.

Universite' Rend-Descartes, Paris.

LA LINGUISTIQUE, 2 3

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