8
1 Coralie Vankerkhoven. Du symptôme de l'adoption à l'adoption comme symptôme… Ce travail se place dans le cadre des ateliers préparatoires du colloque sur les Nouveaux symptômes 1 et le parti pris est de vous proposer non pas une réflexion sur le concept en tant que tel mais plutôt de partir de ce que d'aucun appellerait un phénomène de société. Je l'aborderai par la question de la place du Réel, du fantasme et de ce qui fait traumatisme, du roman des origines, mais aussi de ‘qu'est-ce qui fait lien’ ou de ‘qu'est-ce qui fait famille’? Tout cela déborde largement l'articulation avec l'adoption. Au terme de cet exposé, j'espère vous démontrer comme le disait Colette Soler, qu'"il est urgent de s'inscrire en faux contre un discours déterministe qui prétend établir une correspondance bi-univoque entre une cause traumatique, et ses suites symptomatiques, car entre les deux, il y a l"inconscient" 2 mais aussi parce qu'il y a aussi l'écoute singulière et le cas par cas. * * * Entre le roman "Sans famille" et, comme le titrait récemment, un tabloïd "La charité à la mode chez les stars", l'adoption fait sauter à pieds joints dans un océan de bons sentiments et de désintéressement. Univers rose bonbon ? Pavé dans la mare de ces bons sentiments… tout ne se passe pas si bien. Relié notamment à l'adoption est "né", il y a quelques années, le concept de ‘troubles de l'attachement’… très à la mode actuellement et dont les symptômes sont décrits comme des troubles du comportement de l'enfant dans la famille: rejet des membres les plus proches (souvent la mère), refuse les contacts physiques, repousse l'affection, cherche à provoquer le rejet, … En société: manipule et dresse les gens les uns contre les autres, comportement dissimulateur, attire l'attention et cherche une place d'exception. Avec lui-même: a du mal à reconnaître le bien et le mal, comportement destructeur, cruel avec les animaux, culpabilise les autres et n'a pas de remords. A l'école: mauvais résultats, abstraction du cours du temps, difficulté en mathématique. L'enfant ayant des ‘troubles d'attachement’ présente plus de la moitié de ces comportements avec une fréquence et une intensité croissante. La définition se réfère à la RAD (Reactive Attachement Disorder) et au DSM IV. L'étiologie serait imputable à la rupture brutale et en bas âge du lien mère-enfant. En tant que troubles, les TA recouvrent tous ceux dus aux carences affectives précoces. Outre les adoptés, ils toucheraient également les enfants qui ont été placés, les prématurés, etc. Cependant, cette sorte d'inventaire quantifiable est-elle "analytiquement" correcte et opérationnelle ? Outre le raffinement descriptif dans la saisie du phénomène, l'approche vise à une explication simple et "efficace" mais qui expurge le sujet. Répertoriés de cette manière, les TA "ne peuvent induire qu'une clinique du déficit", pour reprendre les termes d'A.-M. Devaux. Rejet des liens familiaux, de soi-même, du canari, des équations algébriques, etc., et ce dans une société qui vise le bonheur à tout prix et la satiété. 1 Je tiens à remercier chaleureusement Michel Coddens et Anne-Marie Devaux qui ont eu la gentillesse de relire ce travail et de me suggérer des pistes de réflexion. 2 SOLER, C., « Les discours-écran», in L'époque des traumatismes, Biblink, p. 62.

Du symptôme de l'adoption

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Du symptôme de l'adoption à l'adoption comme symptôme

Citation preview

Page 1: Du symptôme de l'adoption

1

Coralie Vankerkhoven.

Du symptôme de l'adoption à l'adoption comme symptôme…

Ce travail se place dans le cadre des ateliers préparatoires du colloque sur les Nouveauxsymptômes1 et le parti pris est de vous proposer non pas une réflexion sur le concept en tant que telmais plutôt de partir de ce que d'aucun appellerait un phénomène de société.Je l'aborderai par la question de la place du Réel, du fantasme et de ce qui fait traumatisme, du romandes origines, mais aussi de ‘qu'est-ce qui fait lien’ ou de ‘qu'est-ce qui fait famille’? Tout cela débordelargement l'articulation avec l'adoption.Au terme de cet exposé, j'espère vous démontrer comme le disait Colette Soler, qu'"il est urgent des'inscrire en faux contre un discours déterministe qui prétend établir une correspondance bi-univoqueentre une cause traumatique, et ses suites symptomatiques, car entre les deux, il y a l"inconscient"2

mais aussi parce qu'il y a aussi l'écoute singulière et le cas par cas.

* * *

Entre le roman "Sans famille" et, comme le titrait récemment, un tabloïd "La charité àla mode chez les stars", l'adoption fait sauter à pieds joints dans un océan de bons sentimentset de désintéressement. Univers rose bonbon ?Pavé dans la mare de ces bons sentiments… tout ne se passe pas si bien. Relié notamment àl'adoption est "né", il y a quelques années, le concept de ‘troubles de l'attachement’… très à lamode actuellement et dont les symptômes sont décrits comme des troubles du comportementde l'enfant dans la famille: rejet des membres les plus proches (souvent la mère), refuse lescontacts physiques, repousse l'affection, cherche à provoquer le rejet, … En société: manipuleet dresse les gens les uns contre les autres, comportement dissimulateur, attire l'attention etcherche une place d'exception. Avec lui-même: a du mal à reconnaître le bien et le mal,comportement destructeur, cruel avec les animaux, culpabilise les autres et n'a pas deremords. A l'école: mauvais résultats, abstraction du cours du temps, difficulté enmathématique. L'enfant ayant des ‘troubles d'attachement’ présente plus de la moitié de cescomportements avec une fréquence et une intensité croissante. La définition se réfère à laRAD (Reactive Attachement Disorder) et au DSM IV. L'étiologie serait imputable à la rupturebrutale et en bas âge du lien mère-enfant. En tant que troubles, les TA recouvrent tous ceuxdus aux carences affectives précoces. Outre les adoptés, ils toucheraient également les enfantsqui ont été placés, les prématurés, etc.

Cependant, cette sorte d'inventaire quantifiable est-elle "analytiquement" correcte etopérationnelle ?

Outre le raffinement descriptif dans la saisie du phénomène, l'approche vise à uneexplication simple et "efficace" mais qui expurge le sujet.Répertoriés de cette manière, les TA "ne peuvent induire qu'une clinique du déficit", pourreprendre les termes d'A.-M. Devaux. Rejet des liens familiaux, de soi-même, du canari, deséquations algébriques, etc., et ce dans une société qui vise le bonheur à tout prix et la satiété.

1 Je tiens à remercier chaleureusement Michel Coddens et Anne-Marie Devaux qui ont eu la gentillesse de relirece travail et de me suggérer des pistes de réflexion.2 SOLER, C., « Les discours-écran», in L'époque des traumatismes, Biblink, p. 62.

Page 2: Du symptôme de l'adoption

2

A cette approche "cumulative et descriptive visant à objectiver le symptôme"3, ledialogue singulier avec le psychanalyste y substitue la responsabilité du sujet et sa dimensiond'inconscient. D'une lecture victimisante, "il y a… parce que", nous passons au comment unsujet se construit son histoire.

De l'abandon…

Le fantasme d'adoption est partie structurante du processus de maturation de toutenfant. Ainsi, dans "Le roman familial des névrosés", Freud rappelle qu'une des activités"fantasmatiques prend pour tâche de se débarrasser des parents, désormais dédaignés, et deleur en substituer d'autres, en général d'un rang social plus élevés"4. Dans l'adoption, tout sepasserait comme si l'enfant avait réalisé cette étape fantasmatique d'avoir été adopté par sesparents rêvés et d'avoir abandonné ses parents réels.S'imaginer être né de parents qui ne seraient pas ceux que l'enfant connaît, certes… mais quese passe-t-il quand c'est vrai ?

Pour être adoptable, il faut avoir été abandonné: l'abandon apparaît alors comme unfait. C'est de cette interrogation sur cet impossible à modifier que viennent témoigner aussibien parents qu'enfants. Ce sont les questions sur ce qui précède l'inscription dans la familleadoptive (distinction entre vraie/fausse famille, poids du patrimoine génétique, etc.) maisaussi sur tout ce qui touche les causes et conséquences de l'abandon en tant que tel.

Nous verrons que cet impossible à modifier n'est pas tant à référer à une réalité qu'auréel dans le sens lacanien du terme.

Le traumatisme de la naissance se redoublerait avec celui de l'abandon: la question estbien de déterminer si, dans le cas de l'enfant adopté, l'abandon fait office de traumatisme.Soit cette effraction du réel, cette mauvaise rencontre qui laisse le sujet totalement démuni ousoumis à l'expérience de la détresse.Mais établir une correspondance linéaire entre une cause extérieure apparemment dramatiqueet ses suites symptomatiques éventuellement traumatiques n'est-il pas méconnaître qu'entreles deux il y a l'inconscient du sujet, le fantasme qui le sous-tend et la jouissance qui s'yrattache ?

La diversité et la singularité des structures relevées dans le champs des adoptésprouvent que, comme pour tout-un-chacun, l'interprétation de l'événement dépend de lastructure du Sujet, pris dans la chaîne signifiante et du sens qu'il donne ultérieurement à cetévénement. Sens non fixé une fois pour toute… Tout adopté n'est pas traumatisé, loin s'en faut!La subjectivité implique donc le suivi du sujet dans le temps où le présent est gros d'un passéremanié au fur et à mesure que s'élabore le futur.

De la sorte les TA, en tant qu'étiquette signifiante, sont un miroir aux alouettes en cesens qu'ils sont une tentative imaginaire de rétablir une pure linéarité… alors que le savoirinconscient s'en moque bien.En outre, élever cette rupture affective à la dignité de cause significative fait miroiter que lesymptôme puisse être entièrement solvable par et dans l'identification imaginaire de la cause.En l'occurrence, ici, l'abandon.

3 DEVAUX, A.-M., « Un effet du discours du capitaliste, », exposé lors de la rencontre organisée par "Humus etTourbillon" à Bruxelles le 1er octobre 2005 dans le cycle de rencontres intitulé Jouissance(s) et lien social.4 FREUD, S., « Le roman familial des névrosés », in Névrose, Psychose et perversion, Paris, PUF, p. 157.

Page 3: Du symptôme de l'adoption

3

Et enfin, faire toujours de celle-ci la clef de toutes les énigmes d'un sujet n'est-ce pas cettedémarche formelle même qui fixe le sens et fait traumatisme (dans cette optique, lessymptômes de l'enfant seraient comme le rejet de cet excès de sens) ?Il faut effectivement savoir que les adoptés sont plus facilement envoyés en consultation. Etce, du fait même de ce discours ambiant qui prône "qu'il y a des effets-types propre à chaquetraumatisme et, donc des soins-types propres à chaque traumatisme."5

Ainsi, l'abandon n'est que ce que l'enfant en fait et en dit, que le sens qu'il lui donne dansl'après-coup, dans la position qu'il prend par rapport à ce dit entendu. Dit entendu car l'enfantl'entend prononcé d'abord dans le champ de l'Autre, l'en extrait et l'interprète. Et ce, même sicela se passe dans le secret: bien des cas cliniques, où l'adoption était tue, montrent quel'enfant "savait".Pas de réel brut mais quelque chose qui est bien pris, d'emblée, dans les défilés du signifiant.C'est par cette prise dans le langage que se glisse du malentendu, de l'inter-dit et du désir. Lemal-entendu n'est pas dû à l'abandon mais à cette prise dans le langage.

Prend place alors un sujet responsable qui se doit d'assumer sa propre causalité.

Ce petit scénario de poche qu'est le fantasme "On abandonne un enfant" - retrouvésous diverses variations dans la clinique "on jette/abandonne/n'aime pas un enfant" voire "ontue/mutile un enfant " serait-il une défense après-coup au réel de l'abandon ? Ce raccourciéterniserait l'idée d'un fait objectif et réel. Ce n'en est que le souvenir retraduit après coup quien fait éventuellement un élément qui tisse le destin du sujet. Nous passons alors sur la scènedu fantasme qui n’a d’autre réalité que de discours.

Je vous renvoie également à la définition même du traumatisme et de son inscriptiondans le symptôme ne s'élaborant que dans l'après-coup et dans la répétition. Dans ce cadre-là,les TA pourraient être manifestation symptomatique face à la répétition du réel de l'abandonde la famille d'origine dans la famille adoptive. C'est cette répétition qui ferait que cetévénement puisse être taxé de traumatique et avoir des effets ravageants.

Cependant, hors de ces situations-limites, de se déplacer sur l'Autre scène, noussommes loin d'un sujet qui serait celui des faits repérables et identifiés.Ce qui fait mal, c'est ce que l'enfant imagine et ce qu'il imagine, ce sont des scènestraumatiques, à l'instar d' "un enfant est battu/abandonné/jeté/tué…". C'est cela mais aussi cequi ne peut pas être imaginé (reste de réel) qui vont nourrir les symptômes, les siens qu'iladresse à l'autre parental à partir des signifiants qui lui ont été donnés et qu'il a choisis.Ce qui donne une toute autre perspective puisque dès lors "le symptôme de l'enfant ["adoptif"]se trouve en place de répondre à ce qu'il y a de symptomatique dans la structure familiale" 6

adoptive.

D'une sorte de vérité "génétique" ou causalité factice - faire que la différence propre àchaque enfant par rapport à ses parents soit imputée au compte de son extériorité -, on passe àl'enfant-symptôme comme "la vérité du couple familial "7 adoptif. L'enfant n'est pas unevictime mais s'inscrit dans la problématique °dipienne de ce qui fait famille.

C'est cette position de sujet désiré et désirant que les symptômes interrogent. Ilsprennent le masque des TA ou autres et peuvent être amenés à revivifier le fantasme (et lajouissance) d'être objet abandonné.

5 SOLER, C., L'époque des traumatismes, Biblink, p. 98.6 LACAN, J., « Deux notes sur l'enfant », in Autres Ecrits, Seuil, Paris, p. 373.7 Idem.

Page 4: Du symptôme de l'adoption

4

Une démarche où la cause est déplacée à l'extérieur, comme il a été développé ci-dessus, est rassurante puisqu'elle ne questionne ni le sujet parental (père/mère) ni l'enfant dansses choix… Qui n'opterait pas pour une explication univoque plutôt que pour une remise enquestion de sa relation avec l'autre et la mise à plat de ses propres conflits ?

L'adoption comme symptôme, au même titre que tout ce qui ressort des nouvelles'formes' de parentalité, pose également question. On parle beaucoup des droits de… à avoirun enfant. Quel est le statut de l'enfant dans un discours où ce dernier devient l'enjeu non pastant du désir d'enfant que du droit à l'enfant et du droit qu'il faut faire à ce droit ? Demandequi, par ailleurs dans le couple, est souvent le fait des femmes ? Désir ou besoin d'enfant ?Suffit-il d'avoir un enfant pour être mère ?Le risque de dérive de l'enfant comme "prêt-à-jouir" se marque insidieusement sous diversesformes: peut-être déjà dans la connotation de logique de récompense qu'enduit un termecomme "le parcours du combattant" qui "significantise" souvent ces démarches. N'entendons-nous pas également que la lourdeur des démarches administratives nécessaires à l'obtention del'agrément fait de ces enfants des enfants "particulièrement" désirés… ? A noter d'ailleurs quele souhait, souvent, se porte sur un enfant le plus jeune possible, "malléable" qui puisses'inscrire sans trop de difficulté dans la famille adoptive.

Ne sommes-nous pas dans le second cas développé par Lacan dans ses "Deux notessur l'enfant » où ce dernier ‘devient l' « objet « de la mère, et n'a plus de fonction que derévéler la vérité de cet objet ?’Nous sommes dans une société où tout s'offre sans cesse et où la science fait entrer lefantasme dans le réel, … Cependant, une machine qui grippe (que ce soit le corps dans le casde l'infertilité ou même les "ratés" de la science) mais aussi les symptômes de l'enfantmaintiennent aussi l'irréductible béance au sein du symbolique. Ce réel qu'actuellement ontente d'ignorer toutes parts.

Du mythe des origines…

Que devient la question "d'où viennent les enfants ? ce premier et grand problème dela vie"8 dans le cas de l'adoption ?

Les divers témoignages d'adoptés portent essentiellement sur la mère biologique maisaussi sur la double appartenance culturelle. Cette dernière pose parfois question sur l'axeimaginaire (rapport au miroir, agressivité teintée de racisme, …).Pour que l'enfant puisse être adopté de manière plénière, il change de nom et de nationalité(dans le cas de l'adoption internationale) et passe ainsi d'une chaîne signifiante à une autre.Une désafiliation et une désinscription pour une réinscription et une réaffiliation authentifiéespar l'octroi d'un nom patronymique.Avant et après l'adoption ? Des expressions telles que "vraie" et "fausse" famille tracentimaginairement des limites entre famille biologique et famille substitutive. A considérer cela,le sujet serait divisé entre deux espaces-temps: l'acte d'adoption ferait office de barre à partirde laquelle l'on compte et l'on décompte.

Tout enfant est un petit ¯dipe qui s'interroge sur la "constellation originelle qui aprésidé à la naissance du sujet, à son destin, et je dirais presque à sa préhistoire, à savoir lesrelations fondamentales qui ont structuré l'union de ses parents "9.

8 FREUD, S., « Les théories sexuelles infantiles », in La vie sexuelle, PUF, Paris, p. 17.9 LACAN, J., « Le mythe individuel du névrosé », in Ornicar 6/7, p. 295

Page 5: Du symptôme de l'adoption

5

Dans le cas de l'enfant adopté, les interrogations qui portent sur l'existence singulière et dudésir qui a présidé à la naissance se dédoublent. Que suis-je pour l'autre ? qui suis-je pourl'autre ?10 à la réponse malentendue ou incomplète du parent adoptif répond la réponseabsente du parent biologique.Et "d'où viennent les enfants ?"11 ou l'énigme de la naissance serait redoublée par l'absenced'une scène primitive des parents adoptifs.

La tentation pourrait être grande de se réfugier dans le monde imaginaire de cet"avant" et de paroxyser le fantasme d'un retour en arrière afin de retrouver le moment d'avantla fracture. L'activité fantasmatique, "expression du regret de voir disparu ce temps heureux"12

pourrait donner lieu à une réalisation effective: la clé résiderait dans les retrouvailles avec lesparents biologiques ou avec le pays d'origine.

Pater semper incertus et mater incerta. Et c'est cet incerstissima qui pose questionpuisqu'elle ne devrait pas l'être.Il y a donc une réelle tentation d'en appeler à cette incertissima, et ce tant du côté de certainsparents adoptifs que des adoptés. Certains entament des recherches, d'autres la chargent detoutes les infamies: autant de tentatives pour que cette béance soit comblée.Cette incertissima prend le visage de la mère biologique ou de cet "avant"13 mais ne touche-t-elle pas davantage au mirage d'une vérité qui puisse se dire toute ? Le temps m'a manqué pourcreuser l'objet a mais il me semble que pourrait être retrouvée ici l'articulation entre l'objetimaginaire, cause du désir et le versant réel de l'objet, impossible parce que définitivementperdu. L'objet a, cause du désir, se nomme en tant que mère biologique, dossier perdu ouavant. Et ce n'est qu'un leurre et une manière de voiler ce qui est définitivement perdu.

D'une part, il y a l'illusion de certains parents de croire qu'à force de raconter, depenser que fournir ces objets, de nommer ces manques, l'enfant accède à la complétude et à lasatiété.Piège d'une transparence à tout prix. Pour n'importe quelle histoire, aucun langage ne sauraitpermettre d'articuler la vérité tout entière. Imposture dans la mesure où l'enfant demande ausside bâtir lui-même sa propre histoire, d'y introduire du malentendu et de l'équivoque et parconséquent, du désir. Songez au Petit Hans qui malgré toutes les explications les pluscomplètes possibles, répliquait imperturbablement: je sais bien mais quand même…Attention, je ne dis pas qu'il ne sert à rien de raconter l'histoire de l'adoption !D'autre part, pour l'enfant adoptif, c'est rester englué dans la frustration (imaginaire) et dansune tendance nostalgique à retrouver cet objet perdu mythique ou faire encore l'économie dela réalité. Nous rejoignons ce que nous avons développé du fantasme."Je n'ai pas demandé à naître" crie l'enfant en colère. "Je n'ai pas demandé à être adopté etsurtout pas par vous" jettera l'enfant adopté. Autrement dit, "si mon destin était autre, celasignifie que quoi qu'il advienne, je ne suis pas responsable des conséquences de ce tournantqui a modifié ma vie".

A la recherche des origines.

10 Et tout son cortège de questions connexes: que veut cet Autre de moi ? Que voit ma mère en moi ? Qui aime-t-elle à travers moi ? Pour qui m'a t-elle fait ? Et mon père ? Pourquoi à elle et pas à un autre ? etc.11 FREUD, S., « Les théories sexuelles infantiles », in la Vie sexuelle, PUF, Paris, p. 17.12 Idem, p. 160.13 Ce qui n'est pas sans faire penser au Traumatisme de la naissance de Rank - cfr. FREUD, S., Inhibition,Symptôme, angoisse in¯uvres complètes, Tome VXII, PUF, Paris, pp. 249 et sq.

Page 6: Du symptôme de l'adoption

6

Avant de conclure, je toucherai un mot sur l'accès au dossier d'origine: droit ou devoir? En France, un cadre juridique14 "borne" la recherche des enfants "nés sous x" ou "soussecret", en Belgique, le processus est en cours de réflexion.

Beaucoup de choses se disent sur ce texte de loi et d'où aussi se pose la question del'usage et de la lecture que le sujet en fait: va-t-il s'épuiser dans l'illusion que la vérité toutepuisse être dite (Sésame, ouvre-toi) via ce dossier ? N'est-ce pas aussi croire que la vérité del'acte matériel explique la vérité du sujet ? Quête d'une lettre explicative écrite par le parentbiologique et qui définirait l'identité au-delà du patronyme et du prénom adoptif.En ce sens, le dossier comme révélation de l'être (et non du parlêtre !) ferait rapport etquelque part… rapport sexuel et nierait qu'il y ait de l'impossible à dire. Comme le rappelleAnne Meunier : « la passion des origines est contemporaine du discours de la science, ets'amalgament origines biologiques et origine du sujet. L'amour de la vérité devient passion desavoir le vrai sur le vrai »15.

C'est dire la difficulté du thérapeute et/ou du psychanalyste - présents dans lesassociations encadrant ces recherches - face à la demande de ces personnes en souffrance."Comment" ne pas alimenter la jouissance qui pourrait se fixer à une relation désespérée audossier ?Que le droit à la vérité… ne devienne pas en quelque sorte droit à la réparation.

Mais c'est également donner la possibilité que son accès permette que quelque chosede cette jouissance comme de l'imaginaire puissent "se dégonfler". Certains témoignent quecet accès leur a permis de redémarrer et de donner un nouveau sens à leur histoire. Ce que l'onappelle une re-subjectivation.

A l'adoption.

D'où est-il possible de passer de cette fixité de sens "abandon" à autre chose ?

L'enfant abandonné n'est pas nécessairement "un abandonné du discours"16comme leserait le psychotique. Accueilli dans la structure même du langage même si cet accueil passepar le biais d'un orphelinat… 17. Dans un certain sens, avoir été inscrit dans un dossier - mêmesous un faux nom - pose que le Sujet a bien eu une place, effet de l'énonciation de l'Autre.L'acte d'abandon prouve que, pour des raisons X/Y, la mère biologique a désiré ailleurs, entant que femme peut-être, et que, son enfant n'est pastout pour elle. Enigmatique femme ouénigme du désir de la mère qui fait que cette dernière en appelle à l'Autre social (orphelinat,église ou la société même) plus "digne" d'être Mère qu'elle… Ce qui implique que le devenirde l'enfant ait été l'objet du désir de celle-ci.

Pour reprendre une formulation de Marie-Françoise Haas, "dans la logique del'inconscient, "orphelin" prend la fonction de semblant du signifié du désir maternel,fournissant une interprétation qui vient répondre à l'angoissante question: "que suis-je dans ledésir de l'Autre ?".14 En France, la loi du 17 juillet 1978 (modifiée le 12 avril 2000) donne la possibilité aux enfants d'accéder à leurdossier. La communication devient, en quelque sorte, la règle. Toujours dans le même ordre d'idée, la loiSégolène Royal (22 janvier 2000) portant sur l'accès à l'origine des personnes adoptées ou pupille de l'état, s'estdotée d'un Conseil National pour l'accès aux Origines personnelles (CNAOP)15 MEUNIER, A., « Les traumatismes: causes et suites. », Actes des Journées de décembre 2004. Ecole dePsychanalyse des Forums du Champ lacanien.16 SIDOIT, V., « Singulières familles », in Familles, je vous aime/hais/ai, p. 33.17 Ce qui ne veut pas dire pour autant que tout est rose: cfr. cas des orphelins roumains et l'hospitalisme décritpar SPITZ, R., La première année de la vie de l'enfant, préface d'Anne Freud, PUF, 1958 et 1963.

Page 7: Du symptôme de l'adoption

7

Il me semble que se dire de manière pérenne, enfant abandonné parce qu'adopté, est certesune manière de suppléer au trou dans la 1ère chaîne des signifiants… Mais qu'à force de leclamer, ce signifiant risque de faire bouchon et de peser de tout son poids comme unsymptôme plein de sens et de vérité.Accepter de dépasser cette occurrence et rentrer dans la nomination particulière etparticularisante, permet, à ce titre, de faire lien.

Ainsi, du passage d'enfant abandonné à enfant adopté, de l'abandon à l'enfant-don,s'est produit toute une chaîne. Il y a une demande d'amour à prendre en compte: elle est vitalemême si elle engendre bien des malentendus tant du côté de l'enfant que des parents adoptifs.Au-delà du fantasme d'abandon, l'adoption en tant qu'acte fait lien et famille au senssymbolique du terme… comme dans n'importe quelle famille. Celle adoptive, comme toutautre, ménage un espace de rencontre où règne l'interdiction de l'inceste et implique "larelation à un désir qui ne soit pas anonyme"18.

Si les symptômes de l'enfant interrogent la position qu'il a dans la complexitéfamiliale, ils témoignent aussi d'autre chose.

L'abandon est bien ce que l'enfant en articule en terme de signifiants, le reste, ce qui nepeut être symbolisable parce que réel et indicible, n'est pas tant dû à la réalité de l'événementqu'au fait même du langage. C'est sur ce réel que viennent s'ériger les symptômes.Parce que l'Autre du langage ne peut pas tout dire, pour masquer ce manque, on bâtit desécrans et sur ces écrans, on se fait du cinéma… jusqu'à ce que la machine se grippe.

Cette pointe d'inconnu et le déplaisir qu'elle comporte, l'adopté en fait porter lechapeau sur l'événement "abandon" en le fantasmant. S'enfermant dans cette certitude,épinglant cet événement comme définitivement fixé, l'adopté en tire jouissance.Pour gloser Lacan, il n'y pas d'abandon mais que des fantasmes d'abandon: les symptômes s'ynourrissent et définissent le sujet qui s'y reconnaît. C'est dire si finalement le sujet ne tend pasà alimenter ce fantasme par le biais de ces symptômes.

Au terme de ce travail, ce n'est donc pas ce qui est taxé par le discours ambiant de"traumatique" qui mène à la cure mais ce que l'analysant en articule dans les symptômes oùlui-même se place. C'est par ce travail que peut s'opérer un rabotage de la jouissance que lesujet tire du souvenir de l'abandon et de ce qu'il en fait comme construction fantasmatique. Cepoint fixe qui est en quelque sorte l'abri où le sujet se retire et subsiste tel quel, massif, au-delàde toute représentation, c'est cela même que la cure vise à faire vaciller.Un discours dérangeant dans une société qui tend à éradiquer le symptôme dans unearticulation de cause à effet et qui fait porter le poids de l'existence à l'Autre méchant. C'est lafaute à ‘pas de chance’… La psychanalyse ne peut que déconstruire cette 'promotion dutraumatisme comme cause à tout faire de bien des malheurs du sujet"19

De la sorte, être adopté comme être jongleur, fils de bourgeois, fils d'apôtre, de rien ,est une articulation… symptomatique, une réponse syncopée et contingente au traumatismestructurel et universel qui préside à toute entrée de l'individu dans le langage. Soit uneexpression singulière de son rapport avec cet impossible, une manière de s'accommoder deson manque-à-être.

18 LACAN, J., « Deux notes sur l'enfant », in Autres écrits, p. 27319 BARILLOT, P. , Préface à L'époque des traumatismes, p. 12.

Page 8: Du symptôme de l'adoption

8

J'inverserai alors l'articulation de mon titre: Du symptôme de l'adoption à l'adoptioncomme symptôme…Ou même encore à l'adoption de son sinthome/symptôme, clin d'°il du réel."Savoir y faire avec son symptôme, c'est là la fin de l'analyse? Il faut reconnaître que c'estcourt."20

20 LACAN, J., repris dans MALEVAL, J.-Cl., La forclusion du Nom-du-Père, Seuil, Paris, p. 141,