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., SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE \ individueL!-e pouvoir laïque devint sUErême et fut élevé à une sorte "de ~nteté".l. grâce ~ la ~ie _du droit~w d'es ro~Tout ,cela reposaïf sur la présupposition de l'homogénéité religieuse de l'Etat, gouvernant et gouvernés partageant la même foi : E..ujusregio ejus J:.in81l!. (cf. en Angleterre les « Acts of Uniformity »). JusqU'lice point, LutheG quelles qu'aient pu être ses intentions, aboutit à traduire'ë'ii'j)ratique une partie de la théorie de Marsilç de PadQ.u~t même certaines tendances du parti conciliaire, Mais,~eri dehors de l'Allemagne, les États n'étaient pas homogè- nes, et un nouveau changement allait en résulter. Des c~ions 1 différentes coexistaient à l'intérieur d'un même État, et il ensomt l les guerres de religion. Cela conduisit les politlques, dans l'Wtqêt de l'État (Machiavel !), à recommander de tolérer « l'hérésie» ~. ----~ ~ - -- .... ~ .~~--- quand l'avantage de l'Etat le demandait. Les confessions en guerre, êlles, tendaient à une suprématie sans compromis, mais là où elles étaient menacées parce que minoritaires elles en vinrent à d'autres . vues. A partir du dJQit de résister à la perséçution.d'un tyran, que l'on fondait sur ,!:idée d'un.contrat entre gouvernant.s<1.ggl!v~rnés, le développement conduisit à affirme! le <!I2i! de l'individu à la liperté â~ conscience ..l:,a lib~_d! c2Ilscience constitue ainsi k premier en aate de tous les~p$gs_dçJaJiberté politique etla racine de tous les autres,. ~~.thé.9tifie..!}.sj.§ujJ..~ dJ,LDroitnatgrel déyeJopp@iltla jhëçrie moderne, fqn..9~nt)'État sur uncontrat social et politique, considérant, ~lis~. eJ.J:État comme deux sociétés distincfes, iiiâ~~~~S.1-~~!esll~es_l'~ne à l'autre. Enfin~ «toutës<>u presque toutes ces idées, mises en œuvre pratiquement dans la résistance contre le_roi d'Espagne, produisirent aux Pays-Bas, chez .,........ ~ -- leurs penseurs, dans leurs universités, un centre de lumière d'où sortit dans une grande mesure l'éducation p'olitigue du XVIIe siècle» (Figgis, op. cit., p. 38). < ~-- ~41 Le Droit naturel moderne Le Droit naturel et la Théorie de la société, tel est le titre donné par ~SjrErpeit Baq~r à sa traduction d'une partie du quatrième tome de 'f'Quvrage monumental d'Otto Gierke sur le droit des communautés 80 /k;-'ll~/r7,taUri t:/ , / GENI!SE, II (Genos7knschaftsrecht) 16. Résumer ce livre, fût-ce sommairement, est la r.eilleure manière d'attirer l'attention sur un aspect important de la enèse de l'idée moderne de l'homme et de la société. Dans notre p riode, la éorie du DrOIt na omme le champ de la théorie politique et, pouvons-nous ajouter, de l~. Le rôle des juristes est aussi essentiel que celui des philosophes dans le développement des idées qui conduisent à la Révolution française et à la Déclaration des droits de l'homme, L'idée de Droit naturel est le arant, la 'ustification hilosophi- que e arec erc e onque systémati ue et déductive sur le droit, SIf onssan e e Importante poque, On peut la faire remon er à l'Antiquité et à saint Thomas, mais elle subit dans les temps modernes un profond changement, de sorte que l'on oppose souvent Î deux théories du Droit naturel, la théorie ancienne ou classique, et a théorie moderne. La différence entre les deux est de l'espèce que nous' avons a~ à reconnaître en opposant représentations traditionnelles et modernes, !!.ou~ a~ - à l'exception des stoïciens - l'homme est un ~ nature est ~ et ce qu'on peut apercevoir, au-delà des conventions de chaque polis particulière, comme constituant la base i e du droit est un 0~9~~é v ' et par suite avec les qualités inhérentes aux hommes), Pour les modernes". ~ . sous l'influence de l"n ividualisme tie , ce qu'on appelle le ~ (par o~roit~) ne traite pas' d'ê s sociaux is ,. dividus, c'est-à-dired'hommes dont chacun se su 1 üi-même en tant que fait à l'image de Dieu et en tant que dépositaire de la raison. Il en résulte que, dans la vue des juristes en premier lieu, les princi es fonda entaux de la constitution <tilltaL (et de la société)"sont à extraire, ou uire, des ~priétés et ualités inhérentes à l'homme considéré comme un être autonome, i dépendamment de toute a ache sociale ou po~ nature est l'état, logiquement premier par rapport à la vie sociale et politique, où l'on considère seulement l'homme individuel; de plus, la priorité logique se confondant avec l'antériorité historique, l'état Il,, """~~ 16. Gierke, Natural Law and the Theory of Society, 1500 to 1800, with a lecture by Ernst Troeltsch. Translated with an introduction by Ernest Barker, Cambridge, 1934, 2 vol. (cité dans l'édition Beacon Press, Boston, 1957, en un volume; les citations de Gierke ont été revues sur le texte allemand). 81

Dumont Louis, Essais Sur L'Individualisme

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.,SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

\

individueL!-e pouvoir laïque devint sUErême et fut élevé à une sorte"de ~nteté".l. grâce ~ la ~ie _du droit~w d'es ro~Tout ,celareposaïf sur la présupposition de l'homogénéité religieuse de l'Etat,gouvernant et gouvernés partageant la même foi : E..ujusregio ejus

J:.in81l!. (cf. en Angleterre les « Acts of Uniformity »). JusqU'licepoint, LutheG quelles qu'aient pu être ses intentions, aboutit àtraduire'ë'ii'j)ratique une partie de la théorie de Marsilç de PadQ.u~tmême certaines tendances du parti conciliaire,

Mais,~eri dehors de l'Allemagne, les États n'étaient pas homogè-nes, et un nouveau changement allait en résulter. Des c~ions

1 différentes coexistaient à l'intérieur d'un même État, et il ensomtl les guerres de religion. Cela conduisit les politlques, dans l'Wtqêt

de l'État (Machiavel !), à recommander de tolérer « l'hérésie»~. ----~ ~ - -- •.... ~.~~---quand l'avantage de l'Etat le demandait. Les confessions en guerre,êlles, tendaient à une suprématie sans compromis, mais là où ellesétaient menacées parce que minoritaires elles en vinrent à d'autres

. vues. A partir du dJQit de résister à la perséçution.d'un tyran, quel'on fondait sur ,!:idée d'un.contrat entre gouvernant.s<1.ggl!v~rnés, ledéveloppement conduisit à affirme! le <!I2i! de l'individu à la lipertéâ~conscience ..l:,a lib~_d! c2Ilscience constitue ainsi kpremier enaate de tous les~p$gs_dçJaJiberté politique etla racine de tous lesautres,. ~~.thé.9tifie..!}.sj.§ujJ..~ dJ,LDroitnatgrel déyeJopp@iltlajhëçrie moderne, fqn..9~nt)'État sur uncontrat social et politique,considérant, ~lis~. eJ.J:État comme deux sociétés distincfes,iiiâ~~~~S.1-~~!esll~es_l'~ne à l'autre. Enfin~ «toutës<>upresque toutes ces idées, mises en œuvre pratiquement dans larésistance contre le_roi d'Espagne, produisirent aux Pays-Bas, chez.,........ ~ --leurs penseurs, dans leurs universités, un centre de lumière d'oùsortit dans une grande mesure l'éducation p'olitigue du XVIIe siècle»(Figgis, op. cit., p. 38). < ~--

~41

Le Droit naturel moderne

Le Droit naturel et la Théorie de la société, tel est le titre donné par~SjrErpeit Baq~r à sa traduction d'une partie du quatrième tome de

'f'Quvrage monumental d'Otto Gierke sur le droit des communautés

80

/k;-'ll~/r7,taUri t:/,

/ GENI!SE, II

(Genos7knschaftsrecht) 16. Résumer ce livre, fût-ce sommairement,est la r.eilleure manière d'attirer l'attention sur un aspect importantde la enèse de l'idée moderne de l'homme et de la société. Dansnotre p riode, la éorie du DrOIt na omme le champ de lathéorie politique et, pouvons-nous ajouter, de l~. Lerôle des juristes est aussi essentiel que celui des philosophes dans ledéveloppement des idées qui conduisent à la Révolution française età la Déclaration des droits de l'homme,

L'idée de Droit naturel est le arant, la 'ustification hilosophi-que e arec erc e onque systémati ue et déductive sur le droit,SI f onssan e e Importante poque, On peut la faire remon er àl'Antiquité et à saint Thomas, mais elle subit dans les tempsmodernes un profond changement, de sorte que l'on oppose souvent Îdeux théories du Droit naturel, la théorie ancienne ou classique, eta théorie moderne. La différence entre les deux est de l'espèce que

nous' avons a~ à reconnaître en opposant représentationstraditionnelles et modernes, !!.ou~ a~ - à l'exception desstoïciens - l'homme est un ~ nature est ~ et cequ'on peut apercevoir, au-delà des conventions de chaque polisparticulière, comme constituant la base i e du droitest un 0~9~~é v ' et parsuite avec les qualités inhérentes aux hommes), Pour les modernes".~ .sous l'influence de l"n ividualisme tie , ce qu'onappelle le ~ (par o~roit~) ne traite pas'd'ê s sociaux is ,. dividus, c'est-à-dired'hommes dont chacunse su 1 üi-même en tant que fait à l'image de Dieu et en tant quedépositaire de la raison. Il en résulte que, dans la vue des juristes enpremier lieu, les princi es fonda entaux de la constitution <tilltaL(et de la société)"sont à extraire, ou uire, des ~priétés etualités inhérentes à l'homme considéré comme un être autonome,

i dépendamment de toute a ache sociale ou po~nature est l'état, logiquement premier par rapport à la vie sociale etpolitique, où l'on considère seulement l'homme individuel; de plus,la priorité logique se confondant avec l'antériorité historique, l'état

Il,,"""~~

16. Gierke, Natural Law and the Theory of Society, 1500 to 1800, with a lecture byErnst Troeltsch. Translated with an introduction by Ernest Barker, Cambridge, 1934,2 vol. (cité dans l'édition Beacon Press, Boston, 1957, en un volume; les citations deGierke ont été revues sur le texte allemand).

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

'. de nature est cerui où les hommes sont supposés avoir vécu avant la, fondation de la société et de l'État. Déduire de cet état de natureii logique bu hypothétique les principes de la vie sociale et politique

eut bien apparaître une tâche paradoxale et ingrate. C'est po urt;ce qu'ont entrepris les théoriciens.du Droit naturel moderne, et c'esten le faisant qu'ils ont jeté les bases de l'État démocratiquemoderne. Comme l'a dit Gierke :

..•En bref, la communauté chrétienne hiérarchique s'atomisa à deux

niveaux : elle fut remplacée par de nombreux États individuels,1dont chacun était constitué d'hommes individuels. Deux concep-tions de la société-État s'affrontent dans le vocabulaire de laériode :

IIInou,sfaut distinguerqmiversitasi ou.,uni.té_org~niq,ue(corporate), etsocietas, ou association (partnership), dans laquelle les membresrestent distinë"tsen oepit de leur relation et où l'unité est ainsi« collective» et non organique (corporate) (note de BarIê'ëi:,'Gierke,Nafuial Law, p. 45). ~

1~iet'às'- et des termes semblables .:.~ssociati2.n, cpnsoçJatip.- a

ici le sens limité d'association, et évoque un contrat par lequel lesindividus composants se sont « associés» en une société. Cettefaçon de penser correspond à la tendance, si répandue dans lessciences sociales modernes, qui considère la société comme consis-tant en individus, des i!}diyjdus qui sont premiers par rapport auxgroupes ou relations qu'ils constituent ou « produisent» entre euxplus ou moins volontairement 17. Le mot par lequel les scolastiques

17. Bentham dit d'un des champions de l'individualisme moderne: « Locke ...oubliait qu'il n'était pas adulte quand il vint au monde. Selon lui les hommes viennentau monde tout constitués et armés de toutes pièces, comme les produits des dents duserpent semées par Cadmus aux coins de son carré de concombres JO (Élie Halévy, LaFormation du radicalisme philosophique, t. l, app. Ill, p. 417-418).

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GENÈSE, Il

désignaient la société, ou les personnes morales en général,universitas, « tout », conviendrait bien mieux que « société» à lavue opposée, qui est la mienne, selon laquelle la société avec sesinstitutions, valeurs, concepts, langue, est sociologiquement pre-mière 'par rapport à ses membres particuliers.qui ne deviennent desnommes que par l'~duc~io.!l et l~g,aptation à une spcjété.,.dé,teJmknée. On peut regretter qu'au lieu d'universitasil nous faille parler de':'S'Oëîété » pour désigner la totalité sociale, mais le fait constitue unhéritage du Droit naturel moderne et de ses suites. Gierke rapporteen grand""dé'tailTa prépOndérance croissante de la représentation desocietas contre celle d'universitas. En même temps il montre tout aulong que la vue opposée ne disparaît jamais complètement:« L'idée de l'État comme un tout organique, héritée de la penséeantique et médiévale, ne fut jamais tout à fait éteinte. » C'est qu'ilétait difficile de s'en passer quand on voulait considérer le corpssocial ou politique dans son unité.

/

Ainsi, c'est une interprétation purement collectivede,..lapersonnalitédu peuple qui préOomiiiêen fa1têlâns râthéorieMdmtat:5elon-Iê

IJr<)îtÏîatUrel. Le peuple coïncide'âVeë'1aLsommedes me'iii6res·dupeuple, et pourtant, en même temps, quand le besoin se fait sentird'un porteur (Trager) unique des droits du peuple, celui-ciest traitécomme étant essentiellement une unité englobante (Inbegriff). Toutela différence entre unité et multiplicitéde l'ensemble repose sur unesimple différence de point de vue, selon que l'on considère « omnesut universi » ou « omnes ut singuli »... (suit le passage cité plus haut,n. 7 : « Le regard dirigé vers le réel » ..• ) (p. 46-47; texte allemand,p. 298-299).

Non seulement des auteurs ecclésiastiques comme Molina etSuarez, mais les plus grands auteurs de Droit naturel éprouvèrent lebesoin de la conception holiste. Althusius, construisant un ordrefédéraliste par une série d'associations (consociationes) à desniveaux successifs, appela sa consociatio complex et publica uneuniuetsitas ou consociatio politica (p. 70 sq.)._Grotius. est loué entreautres pour avoir comparé le gOllyeU1~me~Çà un œil en tant« qu'organe corporatif ». ijQbbes:5tous dit Gierke, parla de l'Étatcommê du corps d'un géâiif'""riiâis «finit en transformant sonorganisme supposé en un mécanisme ... un automate conçu etconstruit avec art» (p. 52) .•..-Pufêiïdorf':introdwsinê terme de- .

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

persona moralis simplex et composita pour réunir so,.!ls!1n~~catégorie juridiqueJes groupes ou entités collectives (nos « person-·.wsmO"rales ») et les individus physiques. Enfin, le même problèmeréapparut sous la forme la plus aiguë ch~o,:::seauJlui a contribuéplus que quiconque à porter les constructions des juristes à laconnaissance du public instruit et - sans l'avoir voulu - à comblerle fossé entre la spéculation spécialisée et l'action révolutionnaire.

~ Tous ces efforts pour exprimer l'unité du groupe social etpolitique répondent au problème principal de la théori Droin~Létablir la société ou l'État idéal à partir e l'isolement deTIndividu « naturel ». L'outil principal est l!,J,déede••ffintf;aJ. Après1600, la transition demande au moins deux contrats successifs. Lepremier, ou contrat « social », introduisait la relation caractériséepar l:égalité ~u compagnonnage (Genossenschaft). Le second, OUÇQhtrat pOlitique, introduisait la sujétion à un gouvernant ougouvernement (Hlrrschaft). Les philosophes réduisirentëëttë mUlti-plicité de contrats -à un seul :ùlobhè'i: en faisant du ~~ des2.i~i.nCdLqéRârt dSÀyie sociale eHe-mfme, ck en'remplaçant le second contrat par un trust,\.Rousseal1 en supprimantiOüt agent distinct de..sQ~r~rn~t.:]'out~lâë"Sfbien connu, je lerappelle seulement pour introduire une remarque sur la relationentre « social» et « politique» et le sens de l'un et de l'autré term"'êssous cerapport.-Lë contrât*« social» est le contrat d'association:_ Al' -,___ • ~., ..• .-Jf' _

on suppose que l'on entre dans la SOCiété comme dans uneassociation volontaire quelconque. On a donc ici les associations, etpeut-être la « ~ciété »~Y1'ens~des sociologues behaviouristes. Maisla société au sens large, l~it~~au, sens d'un to!!!.à l'intérieurduquel l'homme naît et auquel il appartient quoi qu'il en ait, qui luienseigne sa langue et à tout le moins sème dans son esprit le matérieldont ses idées seront faites, la société dans ce sens-là est absente ..,Aumieux, la «société» imIlÏiquée ici est la «société civile» del'économiste et du philosophe, non pas la"'soclété de la so"ci'OlogiepropreriiëïifO~I1-faut y insister~our éviter une- confusion-" ,fréquente. Comffië le dit ailleurs Barke , un classiciste qui ici parle- fait remarquable - euociol6-gue :

La société n'est pas constituée, et ne l'a jamais été, sur la base d'uncontrat. La société est une association à toutes fins - II( en touse

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OENt:SE, Il

(

' science ... en tout art ... en toute vertu et en toute perfection» - quitranscende la notion de droit, et a crû et existe par soi-même. Dans lesens strict du mot II( social », il n'y a pas, et il n'y a jamais eu, decontrat social 18• .

En 4àit, !!...notion. .approfendie- de, société..Jl..~Q\lffert,une..é,çJiP!Spartielle dans la période et l'école de pensée dont il s'agit, comme entémoigne le sort du mot universitas. Avec !!....Erédominance. derindividualis!U~..f0ntre~ le holisme., le social- dans-ce- sens- a- étéremplacé parlejuridique, le poli!ique~plus tard, C.tÇ9Jlo~mique.

/'

Les implications de l'indiuidualisme : égalité, propriété

Avant de suivre quelques-unes des premières manifestations del'aspect égalitaire de l'individualisme, il faut ici rappeler et appro-fondir quelque peu une distinction bien connue. L'individualismtmplique à la fois égalité et liberté. On distingue donéà bon droit unethéorie égalitaire « libérale », qui recommande une égalité idéaleégalité ..,des droits O~d~ chances, compatible aVeê l~ libertémaxi~le ,le- chacun] e une -théorie « socialiste » qui veut réaTISérPéjarité dans les (al SoL par exemple e..u.-ab-0lissant la.propriété.E!1m.19• Logiquement, et même historiquement, il peut paraîtreque l'on passe du droit au fait par..u~simp'le intensification de larevendication: cê n'est pas assez de l'égalité c1ëPrinc1p;,-on réclameune~gàii~~< réelle ». Cependant, dans la perspective où on se placeici, la transition recèle une discontinuité, un c~E.&ement ~ondg:orie,ntati2n;. Par exemple, alléguant que tous les citoyens ne •jouissent pas également de la propriété, on prive l'individu de cetattribut, la propriété privée - on restreint par conséquent le champ'de sa liberté -, et l'on attribUÇ, au tout socwL des.fonctlonouvelles s~rresEondaf1te~.

Il ,,1,,,,,'l'~

18. Barker, p. xxv de son introduction à Social Contract, Essays by Locke, Humeand Rousseau, Londres, « The World's Classics, 511 », 1947. Les mots cités sont deBurke dans ses Réflexions sur la Révolution en France (Works, l, p. 417). Burke usedu mot pannership, et il ajoute que cette association inclut les morts, les vivants et lesmembres encore à naître.

19. Sanford A. Lakoff, Equality in Political Phi/osophy, Harvard University Press,1964.

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SURL'IDÉOLOGIEMODERNE/'

Pour mieux voir la relation sur ce point «!Itre libéralisme etsocialisme, nous poUvons Teëounr à notre perspective c;-mparative.'èe -systëme 'des castes. estun système hiérarchique orienté vers lesbesQinSdë touS: La société I1î>ÛaièJilëëëSdeûx traits à la fois : elleest égalitaire et s'enremet aux lois de l'échange m~ntile eLà« l'iâentiiéî'1atuiëIl~~ des intérêts'» -pour assurer l'ordre' et lasafistàction généraÎe.,iâSôëfété Soc~, elle, mâintient"l~tion de la hiérarchie - du moins en principe et initialement -, mais

\ ~lle réintroduit un souci certain du tout social. Elle combine ainsi uno~"émenJ d'j~~id~~e~;:'élémen~~e ~~~ c'est un~

~ans l'ensemble des doctnnes. et mouvementssocialistes ou communistes, ~alit~_JLen somme U.Qeplace secon-.!!,.air.e,.,.çen'est plus un attrib I:jndividu m~s de la justice sociale.On compren ra donc que, nous attachant exclusivement ici à lamontée de l'individualisme, nous laissions de côté les formesextrêmes ~galitarisme qui traduisent l'émergence d'une tendanœ

",opllosée...(cf.n. 21). . --On a déjà touché à l'égalité dans ce qui précède avec la distinction

entre Genossenschaft, « cQ!!1llagnonnage » ou associatioi!:d'iÎldivi-dus égaux, ~Herrschaft, une association ou g'roûpe qui i~ut uneréinent de"-« maîtrise », super-orainatiOnOu autorité. GierWe attirë17t:tênfion sùr les "'Oppositions correspondantes entre «'t:mité collec-tive », correspondant à « compagnonnage », et « unitérepr.~senta-iVe» (le ~é.§~an! 1tant nécessairement syp,érieur_aux_tp.e!D~~~ü"'gfoupe qu'il représente), et entre societas aequalis et societasinaequalis. Quand les théoriciens du Droit naturel mettent à

)r'QIjgine de l'État deux contrats successifs, un contrat d'associationet un contrat de suiétionl ils trahissent l'incapacité de l'espritmoderne à concevoir synthétiquement u.!l,l!10dèle hiérarchique du.groupe.Ja nécessité où il se trouve de l'analyser en deux éléments :

} un éJt.ment d'association é~alit..air~'het un é.!.é~ent p~r~lequel cetnl association se suboroonne à une personne ou entite. En d'autresiè!firies, à partir du rrromefît'ôü'rïon plus le groupe mais l'individu estconçu comme l'être réel, la hiérarchie disparaît, et avec ellel'attribution immédiate de l'autorité à un agent de gouvernement. Ilne nous reste qu'une ,Colleçtion .Q:indivjdus, et la construction d'y.pouvoir.au-dessus d'eux_~_ peut.plus être justifiée qu'en supposantle consentement commun des membres de l'associâtion. Il y a un

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GENÈSE,Il

gain en conscience, en intériorité, mais il y a une perte en réalité, carles groupes humains ont des chefs indépendamment d'un consensusformel, leur structuration étant une condition de leur existencecomme touts.

La corn araison entre les te,is grandes philosophies du. contrataux ~Ile-XVIIIe9ècles confirme qu~ le c"bntraste enfré association et,subor 120 ést bien une affaire centraIë:Nous verrons plus loincomment I{Qpbe~ tend jusqu'à son point de rupture la vue indivi-dualiste et mécaniste de façon à réintroduire le modèle synthétiquede subordination ;tLoc,5e -échappëâlâ{JffÎicülfé en emprun-Cant auêlrOlt pnvé la nôf1ônde ...llitst i..Rousseaü refuse d'aller au-delà del'association et transforme celle-ci en une sorte de super-ordinationparI'âlêhimie de la « volo,!lts géIlét,al<r..,.>;.cêS trois auteurs ont encommun la reconnaissance de la difficulté qu'il y a à combineri!!.dividualism.ç et é!!!.!2Wét.à concilier fégalité_ et l'exi~eI!c~néces-saire de différences permanentes de pouvoir, sinon de"conôilloii;dans)a..so~!,Éta!::....-

ne des grandes forces motrices qui ont été actives dans ledéveloppement moderne est une sorte de protestation indignéecontre les différences ou inégalités sociaks en tant que fixes,~tées, prescrites - relevanf comme disent les sociologues de

l' « attribution », et non de l' « accomplissement » individuel -,que ces différences soient affaire d'autorité, de privilèges etd'incapacités ou, dans des mouvements extrêmes et dès déveIôppe-~rdifs-; de richesse. Or, une fois de plus, le mouvementcommence dans l'Église, avec Luther. Relevons dans le livre deLakoff les traits pertinents des doctflries de Luther. Il n'y a pas dedi{férence ëiitrë les hommes « spirituels » ef«temPo!els », tous lescroyants ont une "autorité égale en matière spirituelle; une dignitésemblable s'ittaclïe à loüfnomme--:qù'iÏ soit prêtre ou paysan; fa~ctrine hié.r.arc.hiqu.ede l'Église !.l'est qu'un instrument du pouvoir \paeal; la d~uali1~d.Çl'âme et du ..E0~est un problème pour toutchrétien, mais ne peut pas servir de modèle à l'organisation del'Église et de la communauté (claire indication <lurefus de p~n..§etIesinstitutions comme des structures) ~ l'égalité apparaît - pour lapremière fois - comme étant davantage ëjü'une qualité mtérieur!:. :un impératif existentiel; t~ute autorité, toute fO!,lcti2~péciale n~peut être exercée que par dèfégâtionoûreprésentation : les prêtres-- -- --

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.,....i·ij

\

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

sont « des ministres choisis parmi nous, qui font tout ce qu'ils font ennotre nom ». Il est clair que tous ces traits se tiennent : nous

\

sommes devant le ejet la hi rarchie, devant la transitions~udaine de l'unlvers, olts.te ! l'uni;ers, individualistè:'Et'desdispositions psychologiques très semblables se renER~~'!!!lli.e~ ~~elop~qui nous intéresse, che~ousseau. à oùNietzsche a parlé de « ressentiment », on serait tenté voir l'enviecorrimël'aècompagnement psychologique de la!.ev~.diçJl,lio1Légaîh-

•. taire. JI y a plutôt une perception essentielle: leur qualité de

/

. J\ht:é~ns fait de tous les hommes des égaux et place pour ainsi dire_~~ de C!!qmm.Ç.tout entière en 'chacun d'eux. C'est pourquoi

ils sont justifiés, que dis-je, ils sont appelés, à s:9RPo~.t à t~

\affJ.!.rnationd'humanité qui ne dériverait pas de leur propre intério-rtté2o. Du moins en est-il ainsi pour Luth~~...el~e l~..r,eligionetoe1'Église; pour ce qui est de la soè1ëfé et_CI:e:,tÊtaUIen reste au

, qglisme médiéval : « Son image de la société était. orga.nique et••\fonctionnelle, et non atomique et acquisitive », dit!-akQ.!!21.•• ~f~ndication égalitaire fut étendue de la religion à Ïà politique

d secours de ce que nous pouvons appeler Ja-révolution •.a,nglai~. ~OJ66Ql. Tout particulièrement par ceux qu'on a appelési'ëS

~ . Levellers ~«niveleur~. Ils furent rapidement défaits, mais ilsiavalent eu le tëmps de t.irer Plein..ement lesZ'llséqu~nce§.poli!ique.!i~de l'idée de l'égalité des chrétiens. La révolution elle-mêmeoonstÎtÛe un exemplé du mOuvemént par lequel la. vérité. surnatu-

1

20. Il reste naturellement à comprendre comment un sentiment qu'on peutattribuer aux chrétiens dès l'origine développe cette implication au XVIe siècle. [CI,chap. 1.]

21. Thomas Müntzer, le chef révolutionnaire de la Guerre des Paysans, contempo-rain et ennemi de Luther, affirma l'égalité sous sa forme la plus extrême. SelonLakoff, « Müntzer résume de nombreuses tendances du communisme sectaire ... eten même temps annonce l'apparition future de mouvements séculiers socialistesmilitants qui chercheront à transformer le monde en renversant par la violence lesforces de domination" (op. cit., p. 54). A coup sûr on pourrait étudier Müntzercomme un exemple extrême de l'invasion de la conscience religieuse dans les affairesmondaines. J'ai dit plus haut pourquoi de tels mouvements communistes (tels lesDiggers du XVIIe siècle anglais, ou celui de Babeuf) ne sont pas considérés ici. Dansune considération plus large, ils prendraient place, à côté de survivances del'universitas traditionnelle, comme des fragments des tendances non individualistessubmergées. Dans le cas de Müntzer, le fait que le mouvement n'était pas égalitairedans son essence se voit à ce qu'il dépendait de la sanctification de l'action violentepar les élus.

88

GEN~SE, II

relle vient à s'aeelig2,et aux. i!1stitH!io~ ~res.:. Pour citer unhistorien qu'on ne peut accuser d'exagérer le rôle de la religion:

... l'e~s~QS.,~~u_p'~it~lll-e_comme foi .révolutionnaire consistaitdans la croyance que l'améilOration de la vie de l'homme sur terre est.ansJJ.n1e~tign de Dieü,êt quêles hommes peuvent comprendre les

buts de.,.-Diel,l. c~rcoop_éreJ-.avc:f"lûi à leur réalisation. Ainsi, lesSôùlÏaits les plus intimes des hommes, s'ils étaient fortement sentis,pouvaient être pris comme la volonté de Dieu. Par une dialectiquequi était dans la nature des choses, ceux qui étaient le plus convaincusde combattre du côté de Dieu se montrèrent les combattants les plusefficaces 22 . .

22. Christopher Hill, The Century of Revolution, 1603-1714, Édimbourg, 1961,p. 168; sur la définition du puritanisme, cf. Lakoff, op. cit., p. 249, n. 1.

23. William Haller, « The Levellers », dans Lyman Bryson et al., Aspects ofHuman Equality, New York, 1956.

24. Lakoff montre une continuité d'esprit entre Luther, les Leoellers et Locke(avec des influences calvinistes), et entre Calvin et Hobbes (op. cit., p. 47-48,62 sq.).La question de l'influence indirecte de Calvin est compliquée et controversée.L'organisation de l'Église presbytérienne, son remplacement des évêques par desconseils plus ou moins représentatifs de la communauté sont une combinaisontypique de hiérarchie et d'égalité,

,,

Les Levellers présentent trois traits significatifs pour cette étude.D'abord le mélange dans leur idéologie de base d'éléments religieuxet d'éléments provenant de la théorie du Droit naturel- tel qu'on

••••••• . +eEh- ~..s-- __ ., .. ." ~le VOltd'après la vie et les lectures de Lilburne - montre comment~e,..,!!ligi~se_remplé!_ce la Iormulation traditionnelle des,droits....de5....A.nglaisen termes de précédent et de privilège par ,l'affirmation des droits universels de l'homme :

De la croyance que t~s l~s~chrétiens naissent à nouv$.au libres etégaux, les Levellers passèrenT-à I'àssertion que d'abord tous lesAnglais et ensuite ,tous)es hommes naissent libres et égaux 23,

••

En troisième lieu, et contrairement à toute la tradition anglaisejusqu'à nos jours, on tire cette conséquence qu't!jq!ty".,.avoir uoÇ.Constitlliio~tit~plasée hors d~portée de la lQi ol'.Pin_aiœ.Ellefut ,.proposée sous la forme d'un « Accord dl! peuple--:, et l'Angleterreallait avoir en fait, pour une brève période, une telle constitutiondans l' « Instrument de~gouvernement » du Protectorat de Crom- \weil 24. -- ,-... ------

"",II'~

89

.-

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

Les Levellers, tout en proposant d'é~ l~rgem$~ntle droit ~e~~IT!~p.t.,le.ÇE.nt ~!.7c~<!.rll!,le refusaient aux serviteurs,

. aux salariés et aux mendiants, pour la raison que ces gens n'étaientpas en fait libres d'exercer leur droit, mais dépendaient de quel-qu'un à qui ils ne pouvaient déplaire. Cette limitation apparaît dèsque l~mit de vote. est sérieusement di.scjlté,.dans ~s débatu!l'armée à Putney (1647)25. Macpherson a souligné les similitudes

~fi~ses dês"[evèUers et l~ doctri~, B,lus systématique, <le;,Locke, spécialement dans le _Se-«;.q!ldTraité de ..Q2!tv~rl!ementrrQ.90). Même si cet auteur l'exagère quelque peu, la remarquablesimilitude entre de pauvres artisans révolutionnaires et, quaranteans plus tard, le riche philosophe retour de quelques années passéesen Hollande marque combien l'indiyidqalisme est réRIDld..u.Avec sa,doctrine dùtrust, Locke échap~ ...•de façon caractéristique auproolemê de-la ~sûjé~on po!ÏtÏqué,yt maintient t:idée..,.d:unesociétéd'égaux se gouvernant par consentement mutuel, Chez lui, la'd ,1\ propriété privée -apparaît, !l~ll ~~~ c9!pme une insjitu.!.i~q socWe,mais comme une ime!icati<m logi9!l~ de.la notion de, l'individu. s~suffisant à lui-mêl!!So Quelle qu'ait pu être pour eux la 'significationprécise ëlëiaformule, les Levellers avaient déjà affirmé que leshommes étaient « ~~aux... nés_à laJ!lêI!1e~ propriété et libertë j~e.roper.,ty,li.b.trtyandJ'teêt1om). ÎLocke transporte la propriété privéedans l'état de nature, se bornant à l'entourer à l'origine delimitations qu'il prend soin de retirer, toujours dans l'état de nature,en relation avec le développement subséquent, comme Macphersonl'a montré 26.

Le « Léviathan » de Hobbes

On voit aisément par rapport à ce qui l'a précédée et suivie à quelpoint l'œuvre de Hobbes est significative dans l'histoire de la penséepolitique. D'un côté il y a rupture totale avec la religion et la---~ -----

25. C. B. Macpherson, The Political Theory of Possessive Individualism, Hobbes toLocke, Oxford, 1962; trad. fr. : Théorie politique de l'individualisme possessif, Paris,Gallimard, 1971.

26. J'ai insisté sur la propriété chez Locke dans HAB I, p. 70-75; cf. aussi p. 247,n. 11.

90

GENÈSE, II

philosophie tr~dl!.io!!!!.e.!.le_<[h0E.!I!!<zJ!'e~t P~~.HEJni~1 §Qci9Ppliti: ~~),-ëtpârlà l~péculation •.s~r ~t,?~ de ~~tur<eOle Droit naturel.est élevée à l'absolu et à une intensité sans précé<fent, tandis que la_...-, .... _ .•..•••. -","._.-.ak:.-. ~'-.:- l!:'

~speC,tlY~..m.a~av~h~nne est eI1I!chl~et"sys!éf!l~~tisée. De l'autrecôté, il yale profond paradoxe d'une Yl1e.m.é~wsJe d~J.:.a..Q.ima!humain conduisant à la forte démonstration de la ,pécessité de lasouveraineté ••et de la sul~~H\..; en d'autres termes, l'itlstaurationftduiiiooèle de Herr;,schgJ.tsJll' un.v?~hs~"e2.I5.l!1entemplriH~, ~oI!,li.que,~i!!fr~ avec comme résultat l'll!.entif~catiolJ.s.ÇJ'lndiv~e,~ouverain! identification qui sera au cœur même de la théorie <leRousseau et de, Hegel. Caractériser Hobbes comme conservateurèst doné insuffisant êt trompeur. Il est vrai qu'il a exalté laHerrschaft tandis que le courant prin ciRal du dévelçppementpolitigue allait à.Ja...Oen7rSsen:scha{r, et en ce sens il fut bien uri'ëôrîservat~ Mais cette affirmation n'a guère de significationComparée à la question de savoir qui avait raison. J'espère que ce ~qui suit montrera ~n quel sens <]npeut soutenir que IJQ.~bes_avait~ison._U s'agit de la nature même de Vhiloso'ph~litigue. Onpeut étudier la politique comme un niveau particulier deIaviesociale, dont tout le reste est pris pour acquis, et de ce point de vuela thèse essentielle de Hobbes peut bien être rejetée. Si au contrairela philos~J2hie Eolitique est, à la suite de celle des anciens, u!!.mode~e~onsidératLo!!- deJa sQkiété·qm..t el}!iit'e, il faut dire qu'il avâÏraison contre les tenants de l'égalitarisme 27.

Je ne prétends pas démontrer cela ici même. J'espère que la thèsedeviendra plus claire dans la section portant sur Rousseau, parceque Ro~",§aisissait plus complètement que Hobbes la naturesociafëae l'homme. Il n'en est pas moins vrai que la reconnaissancepàr Hobbes de ~ sujétion dans la société imJili.g~e la nature socialede l'homme, en dépit de toutes les protestations de Hobbes lui-même: ilconsidérait bel et bien la société, même s'il ne parlait que\de « l'homme» et de l'État (Commonwealth). Il me faut être bref,-....

27. La seconde vue aurait l'avantage d'expliquer le paradoxe de bien des écrits surHobbes, qui le considèrent faux et détestable mais ne peuvent cacher sa grandeur etson influence. On lui fait généralement crédit d'une logique sans faille, mais n'est-cepas une échappatoire? La référence ici est avant tout à Lëoiathan. J'ai utiliséRaymond Polin, Politique et Philosophie chez Thomas Hobbes, Paris, 1953.

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-fi 1~"..-~

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

et je puis seulement inviter le lecteur à mettre à l'épreuve lesremarques qui suivent.

Pour commencer, y a-toi! dans Léviathan un état de aanire, etquel est-il? Il semblerait que la presque totalité de_la premièrepartie, « De l'homme », soit le tableau de cet état de nature. Laiustice eSÛbSente, car c:est.affW de société, et non de nature. Etpourtant sont présents le pouvoir,.I'honneur, et même le langage et,fondée sur lui, la raison. Il est évident qu'if s'agit là de ~tat socialmoins quelque chose 28. Hobbes du reste nous dit explicitement queraisonner consiste à additionner et à soustraire. Le guelgue chose guiest soustrait de l'état de société dans la description de l' « homme»comme tel, c'est simplement la sujétion. Dès le moment en effet

(

1 où le contrat (covenant) introduit la sujétion, nous passons del' « homme» au Commonwealth, c'est-à-dire au cores eolitigue ouCàl'Êtat" ou, pourrions-nous dire aussi bien, à la société globale ycomeris son aspect politique. Un autre aspect de l'état de nature est

1 que les relations entre hommes y sont en exacte correspondanceavec ce que nous savons dans la réalité des relations entre États,dont on dit qu'ils sont toujours dans l'état de nature. Ici Hobbescontinue Machiavel à un niveau différent : !~uerre des i1l1~rêt§.exclut toute transcendance de normes ou de valeurs. Un troisième et"iinportant aspect est que l''état de ~atu-;'~ contient tout ce qui del'homme peut être décrit en langage mécaniste : l' . al humain,l'individu humain comme Sïs!è~q.e_mouvelllepts,~de désirs ~passions, avec toutes les Ipodifications et complications introduites

~ -

28. Macpherson raisonne de même (op. cit.), mais pour lui la scène d'où partHobbes dans sa soustraction n'est pas la scène politique, y compris la guerre civile,mais plutôt la scène économique. Cette supposition peu vraisemblable est fondéesurtout sur un passage intitulé « Du pouvoir, de la valeur, de la dignité, de l'honneuret de l'estime (worthiness») (Léviathan, chap. x). Le pouvoir est conçu très-généralement par Hobbes. Il inclut entre autres les richesses. Comme tout le reste, lavaleur est définie par Hobbes comme quelque chose de tangible, relatif au jugementdes autres et en dépendant: « La valeur (value, or worth) d'un homme, c'est commepour toute autre chose son prix; c'est-à-dire, ce qu'on donnerait pour l'usage de sonpouvoir ... JO Il est clair d'après le contexte qu'il n'y a là pas plus qu'une métaphoreéconomique. Quand Hobbes traite de l'économie, il le fait d'un point de vue toutautre (chap. XXIV, " De la nutrition et procréation du Commonwealth JO). L'étiquettede l' « individualisme possessif" ne convient pas à la philosophie de Hobbes, qui n'arien de spécialement possessif et, prise dans son ensemble, n'est pas individualistenon plus, ni dans notre sens du terme ni dans celui de Gierke (cf. n. suivante).

92

GENÈSE, II

p~r le langage et la pensé.Jl:.,Ces trois aspects correspondent auprincipe selon lequel il est apparu possible et profitable à Hobbes deséparer, ~ns.J'homm~ tel qu'on l'observe en fait en société, deuxniveaux différents. Pour nous, ces deux niveaux sewent . n plutôtprépolitique et pôlitique que présocial et social~Qusseau 'a plus llôm dans l'enquête sur 'les aspects proprement sociaux, et pour cette •raison la discontinuité entre les deux niveaYlU'a~lUIô'[S!. $(ncorechez lui.

Si nous essayons de saisir le cœur de la doctrine, de résumerà notre usage l'image de t....Lhollltne...lt dessinée par Hobbes etde la voir en relation avec~ .fOnstituJiQ!l_dLCOmm1>!l'!Y!('iÜtb,il est difficile d'échapper à l'impression d'un dualisme entre l~!aioO§ ,t la..J;aison.••entre u~ face animale@une face ration-

nelle. Et en effet, n'est-ce pas la contradiction entre les deux quirend nécessaire le passage à l'état politiijll~, l:entr~ en s.ujétion 1.En fait, ce qui différencie dans Léviathan l'homme de la bête, c'estle langage et la raison Iondée sur le langage. Avec cette réserve,"e dualisme tient: la rationalité est d~nnée dans l'homme SOUS\une forme impure, 'inélà:iÎgée d'animalité, et ne s'épanouira enpure rationalité g!Ùl!~c~ la construction -d'uit<{~Côri1môôW'E.alth»_W'ti1lf1E Admettre avec Aristote que l'homme est naturellementsocial et/ou politique serait s'interdire d'atteindre à la rationalitépure.

Hobbes est-il individualiste ou holiste ? Ni l'un ni l'autre. Devantlui notre distincti~n s'effondrê, mais l'é'VéIlêment est intéressant etcaractérise Hobbes strictement. Il n'y a pas de doute sur son pointde départ : c'est têtre hun.:tain particulier •.J:.iwii.vid.wwJ-1uunain..Mais dans l'éJ.ât prépolitig~a vie de cet être ne peut être jugée quenégativement: « solitaire, pauvre, malpropre, animale et courte»(mais comment traduire l'inimitable « solitary, poor, nasty, brutish,and short» ?). Lorsque, suivant le conseil de la raison et son propredésir de conservation, cet être entre dans l'état politique, il se défaitè'une eartie de ses PQyyoir~.•L'homme est alors caeable a'attemdre!a sécurité, le confort et le dévelopeement de ses facultés •.mais auprix de la s!!.Î~JlQn.Jl n'est gas devenu un individu se suffisant à lui-même, Eas plus qu'il n'existait de façon satisfaisante comme tel dans"état naturel. C'est ainsi que, ~~e qu! sembleraitextrêmement « individualiste », l'individualisme est finalement mis,.. "SiT -- •••••• n r _ ._----'"

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", ,..•.-

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~III

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

~~~ bonne vie n'est pas celle d'un individu, c'est celle der~dépeD<knt étroitemeJlLde.-CÉta.t-si étroitement qu'ils'identifie nécessairement pour une part au souverain. Si Hobbesnous interdit de dire que l'ltomm~ naturellement P.Qliti.q.ue,.ilnous permet de dire qu'il l'est à!!!!!9ellement I,llilisnécessairement,l'Individu n'entre pas« tout armé », comme disait Bentham, dans lavie politique. Tel est le trait critique qui distingue Hobbes de tant dethéoriciens politiques modernes et rapproche de lui Rousseau.

On ne peut pas dire pour autant que Hobbes soit holiste.L'ordonnance hiéra~c.!tigu~Ldu2r~oc121 est ab~e!!le chez lui,parce que l'Etat n'est pas orienté vers une fin qui le transcenderait-mais tù:.s~_~~u~is 9u:~ lui-même. En dernière analyse le mod .Ijerrschqf!.sscvidéde-la vertu hjé~tchique aui lui est inhérente etn'est adopté qu'en tant qu'indis ensable dispositif de pouvoir. Lacoquille, en somme, sans son a itant: a va euro res e cepen antque Hobbes reconnaît que l'égalité ne peut régner comme telle etsans obstacle, et que l'homme est un être social - et non uniEdividu - en ce ui co"ii"cernele plan politique. Dans cette mesur~Hobbes, en contraste ~c. oc e, peut tre pris comme un

~urseur de~c~gi~ien qu'il ne traite que de politique-elnon de la société tm.. tant q~universita~st précisément ce traitqui conduit ceux qui ne s'intéressent qu'a l'aspect politique prisséparément' à le traiter de conservateur. Pour le sociologue,l'enseignement de Hobbes dans son ensemble est sain, quoiqueincomplet. Il a quelque idée de ce qu'est une société, tandis que lesthéoriciens intransigeants de l'égalité n'en ont aucune.

Et cependant, il nous a fallu admettre que pour Hgbbes le social~ restreint au pol!l!.que. En fin de compte, c'est parce qu'il prend de

lia société une vue polhlqll~ gu'il est obligé d'introduire la sujétion,c'est-à-dire ni la hiérarchie ni l'égalité pure ~t ~iIlJP~. N''aûstouchons ici un point qui est je crois essentiel pour comprendre lavariété profonde de théorie politique, spécialement dans son

29. D'où la louange de Hobbes par Gierke, toujours en quête de la reconnaissancede l'unité morale du corps social: « Partant de prémisses arbitraires, mais arméd'une logique implacable, il contraignit la philosophie individualiste du Droit naturelà livrer une personnalité unique de l'État... Il avait rendu l'individu tout-puissantdans le but de le forcer à se détruire lui-même dans l'instant ... »(op. cit., p. 61). Polinmontre le progrès de l'idée de « personne » chez Hobbes de 1642 à 1651 (chap. XVIde Léviathan) (op. cit., chap. x).

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GENÈSE, Il

rapport à la sociologie. Dans cette théorie le social est en sommer~it au politiguS. PourquOI '? [a raison en est très claire dansHobbes; si l'on art de l'in . 'gu~ la vie sociale sera nécessairementconsidérée ans le lansage de la conscience ~f dtia f.2r~eJ ou du« pouvoir»). D'a60rd on ne pe,ut passer deJi.inslïYiduall.grQ.u~g~epar un « contrat », c'est-à-dire une tt:an~actÎ.Qn....c.gI!sçien..t~,unës~ein arti(iciçl. Ce sera ensuite affaire de « force », parce que lamce est la seule chose que les individus puissent apporter dans cette

transaction: l'opposé de la force serait hiérarchie, idée d'ordresocial, princiEe d'autorité, et, cela, leSîndividus contractants vont~OIr à Iê.produire synthétiqueme~è raçon- piUS-OU-moins'inconsciente, t partir de la mi~e. en~2..r~lUn de leurs forces quvolontés. _a hiérarchie est l'avers soc~!.! la force l'enver,s atomigue 1

e la même médaille. Ainsi, un accent sur la conSCIence et le"'\"'ônsentement ];tI:oduit immédiatement un accent sur lé!,force ou.•.~lfquvoir. Dans le meilleur des cas, dans sa variété la plus significa-tive, !&,théorie Eolitigue est une façon indiVidl;!a.I..iste _de..!!:..a..iter de la \.~ociété. Elle implique une admissi0!!....T~cte È~I~~!ure ~ci~le ~ )l'homme)1 faudra nous souvenfide cela pour percevoir clairementlës paradoxes que nous réservent encore Rousseau et Hegel.

Le « Contrat social » de Rousseau J:

Au point de vue formel, la politique ·de Rousseau est auxtiQ.odesde celle de Hobbes. ta théorie dêHô66ëS esf'représenta-

,<tiY";~abSOiütis'ië,-eTl~~i~~ ~a.•s~~tl2!!." Celk de Bous~"(;_~estçolleçtiv~, nomocratique, et insIste sur la liberté. Ce"'ftë'ëlillérenceévidente ne doit cependant pas cacher une similitude plus profonde,qui se voit dans la texture même des deux théories. Toutes deuxposent une ..discontinuitéen!!~l'ho~,!!1e_de la nature et l'homme •:plitiguSt-de sorte quë pour les deux le « contrat social » marque la

naissance réelle de l'humanité pro~nt.êIite"'(d~ù-beaucoup deressem6faôëeScië défâiIj.""'TOiitês deux.. R,artent de ~émisses très« individualistes » en ~~rence - en accord avec les conceptionsü'iiiiIieu conttrÛporain -et·mènent par une stricte logique àJles'WI~'""conclusions « [email protected] ». Toutes deux sont suprêmementpnoccupées d'~sùf'ër-fâ1rà'ô'S;ndance du •.souverain - ici le

95

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

\.1ouvernant...(ruler,lr.,IWi!-Y01Qoté gënéralg,» - par rapport auxsujets, tout en soulignant 1:i2~té du souveqlin et dy.suJe.t. En'somme: toutes deux veulent fondre dans un corps. sociapolitt,gue <!s- gens .CluLse_Pms"SIDt_ÇjLm!pe••.<l~sindividus. VoilàPourquoi ces théories ont en commun un air extrême et paradoxal.Comme on peut dire la même chose - mutatis mutandis - de lathéorie de l'État de Hegel, nous voilà, dans la pensée politique, enface d'une continuité impressionnante qui mérite attention.

On a souvent blâmé Rousseau pour la Révolution française, etmême de nos jours on le tient parfois pour responsable du

'rja~b.œi~m~ de ce qui a été appelé la « gémQ..cratÏe--.101alitaire..»engénéral JO. Il est vrai que Rousseau et la Révolution appartiennent àun même dé,x,eLoRpemepLextrêlIl&..de..l'individualisme, qui nousapparaît rétrospectivement un peu comme un fait historique néces-saire, mais que certains peuvent bien préférer condamner. Cepen-dant, la marée révolutionnaire a bel et bien balayé plusieurs pointsfondamentaux de l'enseignement de Rousseau, si grande qu'ait pu

\

être son influence générale. Les aspycts totalitaires dS,'smOJJXeOlentsdémocratigues résultent, nOn dë lâ tlÎéôiië "dë Roûsseau, mais duproj~t7rtIfiëialiste dè rlndividualisme mis en face de l'expérience':llest Ynii qu'liS SQ';itpréf~d"à~ R~~se~au, m~n'êSiJUstementdans la mesure où il était profondément conscient de l'insuffisancede l'individualisme pur et simple et travaillait à le sa~transcendant. Il y a beaucoup de vrai dans la thèse d a~ghanj)selon laquelle l~est .au fond « anti-individu, Ist~même si ce n'est qu'une partie de la vérité31:-Rousseàû lui-même

30. Récente condamnation de ce genre: J.-L. Talmon, Origins of TotalitarianDemocracy, Londres, 1952 (chap. III). Cet auteur lit Rousseau comme un Monta-gnard de 1793 a pu le lire, et condamne la « présomption révolutionnaire» quiprétend que « la faiblesse humaine est capable de produire un état de choses designification absolue et finale JO, (chap. r, § c). Mais d'où vient cet artificialismeextrême? N'est-ce pas la conséquence inévitable d'un individualisme que Talmonconserve ~ l'état non développé pour son propre usage, sagement sans doute maisnon logiquement? Pour le reste, il caricature la pensée de Rousseau, c'est pour lui unpsychopathe que ses préoccupations morales amènent à une politique totalitaire.

31. C. E. Vaughan, The Political Writings of Jean-Jacques Rousseau, Cambridge,1915,2 vol. (Oxford, 1962), t. I, p. 111 sq. Il est réconfortant de voir qu'en ce siècleplusieurs auteurs anglo-saxons ont tiré la théorie politique de Rousseau de la totaleincompréhension dont elle était victime chez eux. Je citerai Sir Ernest Barker, dansson introduction à Gierke déjà mentionnée et dans Social Contract, op. cit., p. 47, sq.George Sabine intitule le chapitre sur Rousseau de son History of Political Theory, op.

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GENÈSE, II

nous dit au début de la première version de l'ouvrage, dans unchapitre d'abord intitulé « Du Droit naturel et de la société

, "générale» (du genre humain) :Cette parfaite indépendance et cette liberté sans règle, fût-elle mêmedemeurée jointe à l'antique innocence, aurait eu toujours un viceessentiel, et nuisible au progrès de nos plus excellentes qualités,savoir le défaut de cette liaison des parties qui constitue le tout 32.

On voit ici que Rousseau va plus loin que Hobbes dans la« soustraction» philosophique qui, appliquée à l'homme tel qu'on .l'observe en société, nous livre l'homme de la nature. Dans le '\.QlsC,O..l:m_sut;,.l'orig~n.!..Je. lJ!1!$1!Iij!; il avait fait \l.n_P2r.t~ait de::'"l'homm.s,.selon la nature, libre. et égql en un certain sens, et doué de

l _ .~_~. _ ~ 'toi.. __ .•••••• _-.~_ •..•• ~ _ _...... ~ _

Qilit...mais ~Y..xfacultés encore non développées, non différenciées,un horiîiûë inc;]tëclpoUiêëtte raison ni vertuëùX"nt·mécnailt. Ilavait dép,loréle fait qu'au-delà 9'un cer~iw~e...È, e:,dr"V!,IoJ!~e,~t?n~~,1;.p.!9grès de la c~~at~n se soit açcompagné d.'~.p~~~oi~san..c~de •l'mé~ç et.de J'immoralité : « Le développement des lumières et~ices se faisait toujours en même raison, non dans les individus,mais dans les peuples» (Lettre à Ch. de Beaumont, 1763). Dans sonContrat social Rousseau tente de )égUi~~r._t2!~ll....~al et ~l~débarras~~qe ••s;s.Ja.re§,.J':entreprise est osée, et RoussèâliÎahmitéjstnctement : son État ea.Petit, une sociél~clu..fac~~,.,. Si la__ il: "' ••• ç _"'-~ _ ....,

tâche n'est pas tout à fait impossible, c'est que, comme il le disaitdans la Préface du NarciSS,e (17,,52), ,« ,t.ç, o.!lsRcesv.ices..n'appar.tl~~n1. \pas tant à l'homme, qu'~ l'h0!!1!11emal gouverné 33 ».Co, •. _ ca - - - -- --

cit., " La redécouverte de la communauté ». La référence à Rousseau est à l'éditiondes Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « La Pléiade ", 1964. Le Contrat social seraabrégé en CS par la suite. Cf. aussi Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau et laScience politique de son temps, Paris; 1950 .

32. Rousseau, op. cit., t. III, p. 283. Ce chapitre est une réplique à Diderot(Derathé, ibid., p. LXXXVIl-LXXXVIII) : l'idée du genre humain comme « sociétégénérale » est une abstraction, te ce n'est que de l'ordre social établi parmi nous quenous tirons les idées de celui que nous imaginons ... , et nous ne commençonsproprement à devenir hommes qu'après avoir été citoyens» (ibid., p. 287) ; cf. dansles Considérations sur le gouvernement de Pologne: ubi patria, ibi bene (ibid ... , p. 963,960 et n.).

33. Les deux citations sont prises à Derathé (Rousseau, ibid., t. III, p. XCIV). Surl'expérience de l'inégalité chez Rousseau et son impatience vis-à-vis de toutedépendance, voir l'introduction pénétrante et noble de Jean Starobinski au 2" Dis-cours (ibid., p. XIII sq.). « Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue; mais toutemaladie en vient aussi» (CS, liv. I, chap. III),

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

Les libéraux accusent Rousseau d'avoir greffé un scion totalitairesur une souche démocratique. Ils ont bien pu trouver utopique laposition du problème, dans son affirmation a12§pJ.u.e..de..JaJibetté..:..

« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute laforce commune la personne et les biens de chaque associé, et parlaquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-mêmeetreste aussilibre qu'auparavant? »Tel est le problème fondamental. ..(CS, liv. l, chap. VI, p. 360.)

Mais ils ne peuvent que frémir devant la solution qui en estimmédiatement proposée :

Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoirl'aliénation totale de chaque assOciéavec tous ses droits à toute lacommunauté.

(' Le peuple est SOllverain. et une fois ses membres assemblés règneune étrange alchimie. De la volonté indivi~c::.e.....:d7e'-""'to~u:.:s;....:s:..:u:;,r~gI;.:,·t~u:.:.n:.:..e

~lonté générale.. qui est quelque chose de q~tativell!ent4iff#ent~e la volonlSAe_to,H!, et possède des .J.?!9P~és~exttaorqW,lli

L..--Sans doute nous ne sommes pas très éloignés de la l?!!.§2rla~alisfPmpoJi!f! ~P.J!fspd..Qd-, *elle aussi toute différente des persôtta:morales simplices qui la constituent. Mais par ailleurs la volontégénérale est le souverain, et comme telle g!le 1rêll§.Ç-w<!.el~vo~InoIVIôu'ellê""'aès•~l~îs'a\lssi strictement q~e le gouvernant deitobbes était placé au-dessus des gouvernés. Ce qui commençacomme une societas ou association devient.Jln~JWiJ.zersita~~on estpassé dans le langage de Weldon d'un système « mécanigue »à unsystème« Qrgani~», ou'S~.JleRcrld'uE~_société .•.« ou~erte »àune société,,« fer.mé~. Rousseau va très *t01Opôuroégager lavolonté générale de ses volontés constituantes. Rappelons lepassage tant cité :

Quand on propose une loi dans l'assemblée du Peuple, ce qu'on leurdemande n'est pas précisément s'ils approuvent la proposition ou s'ilsla rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale quiest la leur ;[... ]. Quand donc l'avis contraire au mien l'emporte, celane prouve autre chose sinon que je m'étais trompé, et que ce quej'estimais être la volonté générale ne l'était pas. Si mon avis

98

GENÈSE, II

particulier Petit emporté, j'aurais fait autre chose que ce que j'avaisvoulu, c'est alors que je n'aurais pas été libre>'.

Il est, aisé d,e,,trou,ver ici une eréfig1!..r~tion.deJa d,iet,',atur,.ejacobine;l,,~eL2t~~-.<!~ ',,"~2.~0,~~m~om~~e-la.-J[g~s~.d~ (~~.J..!USdyeeuple »Ld~......l& vraie question cependant est de savoir ceque Rousseau veut dire quand il pose que la volonté généralepréexiste à son.•e-"prSlsip!] dJlns un.xote ~m~jorf!i~1s:Jêsoütiêiisque nous ne pouvons pas le comprendre si nous demeurons confinéau Pla"n purem,ent politique. Un critique récent identifie, l~,v,2.1<?Et~].génér~~.qs".Boqss~au à une autre entité mystérieuse,.La...con~cien-_· •

"êoilective~de Durkheim, et les précipite toutes deux ~s l'enferde1aëiTmocratie36• Voici ce qu'écrivit Durkheim sur la ques-tion: .

Puisque la volonté générale se définit principalement par son objet,elle ne consiste pas uniquement ni même essentiellement... dansl'acte même du vouloir collectif... Le principe de Rousseau diffèredonc de celui par lequel on a voulu parfois justifier le despotismedes.majorités. Si la communauté veut être obéie, ce n'est pas parcequ'elle cotiûnande, h1"[i~lfrcë~qu't'llecommande le bien commun...

d'autres termes, lâ'vclonté générale n'est pas constituée par l'étatdans lequel se trouve la consciencecollectiveau moment où se prendla résolution; ce n'est là que la partie la plus superficielle duphénomène. Pour le bien comprendre, il faut descendre au-dessous,dans les sphères moins conscientes, et a.lleindre les hiibifüàes71e~.ts.ndances,les mœurs. ~s mœurs m.Ii~_v.trjtabli<\.oQstlfuhonaesÊta~» (CS, liv. II, chap. XlI.)La volon~é.!!érale Jestaônc une orientatiOn fixe et constante des esprits eiâes activitéS----_ ...•.-_._ .•.~ ~~ ~~ "-

34. CS, Iiv. IV, chap. Il, p. 440-441. Le parallélisme avec Hobbes est évident.Quant à Hegel, s'il rejette explicitement la nécessité de fonder la loi sur un vote descitoyens assemblés, il n'en pose pas moins une relation très semblable entre lavolonté privée du citoyen et la loi de l'État comme incarnant par définition lavéritable volonté et liberté du citoyen, de sorte que celui qui va contre la loi va contresa propre.volonté (Philosophie du droit, d. ci-dessous n. 51).

35. Le principe du vote majoritaire n'est pas aisé à appliquer sur des questionsimportantes dans une association étroitement solidaire, et Rousseau, probablementsans le savoir, reproduit des préoccupations que l'on trouve dans le Corpus Juris etdans le droit canon, d. Gierke, Das deutsche Genossenschaftsrecht, t. III, p. 153 et522 sq.

36. Marcel Brésard, « La •. volonté générale" selon Simone Weil », le Contratsocial, Paris, VII-6, 1962, p. 358-362.

99

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

l d?n~ ~n.~en~ dét.:rm~é..' .d!.œ le_.~~s.~e l'intérêt gél!,éral., C'est une\~lWO!!!!Qn_c~_~deu_uJ.ets_mdlVjèlûels 37.

passage:

Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en étatde changer, pour ainsi dire, la nature humaine; de transformer-chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, enpartie d'un plus grand tout dont cet individu [= cet homme] reçoiveen quelque sorte sa vie et son être; d'altérer la constitution del'homme pour la renforcer; de substituer une existence partielle etmorale à l'existence physique et indépendante que nous avons tousreçue de la nature. Il faut, en un mot, qu'il ôte à l'homme ses forcespropres pour lui en donner qui lui soient étrangères et dont il nepuisse faire usage sans le secours d'autrui ê'',

Dans un langage artificialiste aussi magnifique que trompeur, etqui est typique du Contrat social, nous avons ici la eercepti.on s.oci.o-logique la plus..sl~ir~, je veux dire la rec.onnais~i..2llh,.omme~Olnnié""êlfe-s.ocial!.1.2PP'9s~_<leJ~JlOmriiê_abstrait,jndi'lidueJ,~a

37. Émile Durkheim, Montesquieu et Rousseau précurseurs de la sociologie, Paris,1953, p. 166-167. Bien que publiée seulement après la mort de Durkheim (Revue demétaphysique et de morale, t. XXV, 1918) l'étude sur le Contrat social est un travail dejeunesse où la première version du Contrat n'est guère utilisée et où « l'individua-lisme » de l'œuvre est à l'occasion exagéré (p. ex. p. 163). Il faut lire la dernièrepartie de CS, liv. II, chap. XII, qui rappelle Montesquieu: « Je parle des mœurs, descoutumes, et surtout de l'opinion; partie inconnue à nos politiques, mais de laquelledépend le succès de toutes les autres ... ,. Voir aussi la nécessité de la « religioncivile » (CS, liv. IV, chap. VIII), et, dans les travaux concrets de Rousseau sur laCorse et la Pologne, le souci du patriotisme, de la religion, des jeux et amusements,etc.

38. CS, liv. II, chap. vn, p. 381-382. Ce passage a été repris par moi dans HH,p. 25, et dans HAE I, p. 151 et 250, n. 6 (à propos de l'incompréhension de Marx).

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GENÈSE, II

nature 39. En vérité, si on se transporte par la pensée dans le climatintelîêctuel dans lequel vivait Rousseau, on pourra difficilementimaginer affirmation plus catégorique.

Les critiques qui accusent Rousseau d'avoir ouvert les portes auxtendances autoritaires le blâment en fait pour avoir reconnu le • .f.o~~lJlst!l1 f1~1!JQ,ÇjQl.ogie.une vérité qu'ils préfèrent quant à euxign.orer. Cette vérité peut bien apparaître comme un mystère, voireune mystification, dans une société où prédominent les représenta-tions individualistes - comme cela est arrivé à propos de Hegel etde Durkheim; elle peut paraître dangereuse ou nuisible, elle peutmême être telle tant qu'elle n'a pas été proprement reconnue, et leproblème p.osé par là ne saurait être résolu par la réaction del'autruche en face du danger.

D'aucuns préféreraient que Rousseau se soit débarrassé del'individu abstrait et de l'idée arbitraire du contrat et qu'il ait décritson État sans détour en termes « collectivistes ». Mais c'est l~ignorer la...ll.b..sté_~QlW~...J>réocc~l?.atigILcentrale.de Rousseau : ilpercevait en lui-même l'individu ~ tant qt..;j9é,IDmoralwevendica-tion politique irrépressible, et il maintint cet idéal en même tempsque sa contrepartie réelle, l'h.omme comme être ••~.ociaL.Sir ErnestBarker voyait en Rousseau ùtieSorte dê*.fanu~~rné.àJA.fois~ve!"ill~~ - le Dr.oit natureUm9,9~rl)~) -@ers l'axs.pir -l:é..c.ole

historique allemande et l'idéaliWi.on..t.o~~ge l'~IUiQ.n.!!ou encore comme c.ommençant avec L.ocke et terminant avec la

épublique de Platq}j. R.ousseau a peïné 'p.our réc.oncilier~iëD-;:-.oitnaturel moderne et l'ancien, pour réinté~er l:i~!yi2u de.s.,p.hil.oso-_

es dans une s.ociété œel!~La claire cntique de Barker expliqueson échec sans toucher à sa grandeur :

.. .il aurait échappé à la confusion, il aurait évité le miracleinexplicable d'une émergence soudaine, par le contrat, hors d'unecondition primitive et stupide dans l'éclat civilisé des lumières, s'ilavait pris le temps de distinguer entre la société et l'État. La sociétéqu'est la nation est une donnée de l'évolution historique, qui n'est

39. D'autres passages de Rousseau montrent que c'est Il chez lui une penséepermanente et centrale. Par exemple, CS, 1~ version, liv. l, chap. Il; Émile, 1(Œuvres, t. l, p. 249); «Lettres sur la vertu et le bonheur JO, dans Œuvres etCo"espondance inédites, éd. Streickeisen-Moultou, Lettre l, p. 135-136, etc. ; Lettreà d'Alembert, Œuvres, Paris, Hachette, t. I, p. 257.

101

r

SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

pas créée par un quelconque contrat de société, mais qui estsimplement présente. L'État fondé sur cette société peut être, oupeut devenir à un moment donné (comme la France le tenta en 1789)le résultat d'un acte créateur des membres de la société ... (SocialContract, op. cit., p. XLIlI-XLlV.)

Jean-Jacques Rousseau a affronté la tâche grandiose et impossiblede traiter dans le langage de la conscience et de la liberté nonseulement de la politique, mais de la société t t entièr dec~mbiner la $Dejetas, idéale et'abstraite,ifve ce qu'il put sauver de~s comme la mère nourricièrs: ge.1Q.q§!~~êtres l'ensants.Sans doute son identification abrupte de l'individualis~ duholisme é,tait-elle dangereuse une fois prise comme une recettePo'Ùtique, mais elle constituait avant tout un diagnostic génial de cequi ne peut manquer de se produire toutes les fois que la sociétécomme tout est ignorée et est soumise à une politique artificialiste.Ainsi, Rousseau ne fut pas seulement le précurseur de la sociologieau sens plein du terme. Il posa du même coup le problème del'homme moderne, devenu individu politique mais demeurantcomme ses congénères un être social. Un problème qui ne nous apas quittés.

La Déclaration des droits de l'homme

La Déclaration des droits de l'homme et 2u~t~~c:.2~!~~P?rl'Assemblée constituante dans l1tLae 178'9 marque en un sens letriomphe de l'Individu. Elle avait été précédée de proclamationssemblables ,dans P!us~~l~s ~..!.a!.S:Unis_d'Amérique,mais enêfutla première à être prise comme fondement de la Co~i!.!It~o~negrande nation, imposée à un monarque réticent par la manifestatiôn

~ ••• - #" '-'.10. ~

ylaire~t proposée en exemple à l'Europe et au monde. Bien'que judicieusement critiquée dès le début dans son principe,notamment par Bentham, elle allait exercer~çtton puissante,en vérité irrésistible, tout 'll1 long .!!!!. ~IXe siècle et jusqu'à nosjours.

lêS'ouvre, après un préambule, par les articles suivants:A~ Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en

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GEN~SE, Il

droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que surl'utilit~~mmune.

Art. 2. Le but de toute association politique est la conservationdes-dr<;its naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont laliberté, la propriété, la sûre té et la résistance à l'oppression.

On voit immédiatement que l'article 2 contredit la stipulationcentrale du Contrat social de Rousseau que nous avons citée :« l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toutela communauté ».

Il ne suffirait pas de voir dans la Déclaration l'~bout~~ement desd~es mo~ernes d~ Droit ,JliUJ!r~l, car, comme pelIhl.~~l'aooservé, le point essentiel est l~ transport"Yss p.r~~~~.!lQ,qS.d~ Droit naturel au..plan,..deJa lQ.Lposjtiy~.: la Déclaration étaitconçue comme la•..base_s9Ie!,lIleJle_d'un~ C2ns!!.tuJi9!l éSrite, elle-même jugée et sentie comme nécessaire du point de vue de larationalité artificialiste. Il s'agissait de ~er surJ~~~,nsusdeLcitoyen~ un_llouve.l··État,- et de le placer tiors de l'at!eiqte de,l'autorité pglitiQl,l~e.Ile,même.•.La Déclaration proclamait les princi-pès solennels que la Constitution devait mettre en œuvre. En mêmetemps, on empruntait tout à fait consciemment à l'Amérique. Ainsiun rapport à l'Assemblée du 27 juillet 1789 approuve « cette nobleidée, née dans un autre hémisphère », et le fait est amplementdocumenté. Plutôt qu.:~ la .Q..é~<;llWÛion_cOndépe.ndançe..•de-1-116, -

~el!!geJtPrenvoië, comme source particuli~re,. ~ .2L~g~~aâoptés dans certains des États, et particulièremerit â: celul deVirginie de 17Z§.•...fQnnuen France avant 1789 ~

103

40. Cf. George JeIlinek, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Paris.1902, p. 14 sq.• 29 sq. ; La Déclaration des droits...• Paris, 1900, p. 34 sq.; Halévy. op.cit.• t. II. p. 50; Henry Michel, L'Idée de l'État. Paris, 1895, p. 31 (cite Cournot etCh. Borgeaud qui renvoie à l'Agreement of the People des Levellers). L'influence deRousseau n'était pas entièrement absente. car si le Contrat social. à la différenced'Émile. était peu lu auparavant, il fut pendant la Révolution « médité et appris parcœur par tous les citoyens" (Sébastien Mercier, 1791). En fait, le 17 août, Mirabeauproposa au, nom d'une commission spéciale un projet qui était distinctementrousseauiste dans son article 2. qui fut rejeté. Un des secrétaires de Mirabeau,Étienne Dumont, était disciple de Bentham et aurait persuadé ses collègues que lesdroits naturels étaient une «fiction puérile" (Halévy. op. cù .• et n. 98). Sur lacritique de Bentham, cf. Halévy, loc. cit.• t. I. app. III et t. II. chap. 1 : lesdéclarations françaises sont des sophismes anarchistes. le système de l'égalité et del'indépendance absolues est physiquement impossible. « la sujétion et non l'indépen-dance est l'état naturel de l'homme JO. On n'a pas voulu ici faire le compte de toutes

J,ij

SUR L'lD~OLOGlE MODERNE

\ Les p.!g!tains qui fon.dè.rent d.es colonies en Amérique avaient, donnt"1'exe=-ae l'éta~..mG~n..etat.,pa:rrCQntraLAinsi les

fameux «-Pèlerins» du Mayflower conclurent un Pacte d'établisse-ment avant de fonder New Plymouth en 1620, et d'autres firent de

ême 41. Nous avons vu la w!llers aller Elus 10i2...en 1647 etacc7IEuer les..2~oits '!sJ:ho,mm_e.comme hOllJp1e~ant.tou.~2!lëfrolt~à la liberté religieuse. Ce droit avait été introduit de bonneëüreaans plùsieurs colonies américaines : dans Rhode Island par

une charte de Charles 1er (1643), dans la Caroline du Nord par laConstitution rédigée par Locke (1669). La J.œerté de c.0.ll.sd!::!.lSeaéték. droit esse.Dliel, le noyau autour duquel les droits de l'hommeallaient se constituer par intégration d'autres libertés et droits. La

rlib~rté religie~, l!.é~d~)~ ~éf9r!p.E ~~.~C?s!l!ttes JuJ2séquent~% am l'agent de la tran~.f.Qrmation,des spéculations de Droit nalPrel en...une réalité politique. Les Français ne pouvaient que reprendre àleur compte l'affirmation abstraite de l'Individu comme supérieur àl'État, mais ce sont les puritains qui ont pronôncé les premiers cetteaffirmàtion.

a transition s'est trouvée incarnée dans un homme, ~omas .:»

~ un boutiquier anglais qui, étant quaker, émigra en A~et y atteignit la notoriété avant de prendre part à la Révolutionfrançaise comme député à la Convention et membre, avec Condor-cet, de la commission chargée de préparer la Constitution républi-caine de 1793. Paine a écrit deux~es pour défendre enAngleterre les droits de l'homme, etiE. Halévy marque la différence

~

les influences dont la Déclaration de 1789 et les suivantes, et les débats précédant leuradoption, portent la trace. V. Marcaggi a montré la concordance sur bien des points(ci-dessus, la propriété) entre la doctrine physiocratique et les déclarations etintentions des Constituants (Les Origines de la Déclaration des droits de l'homme,Paris, 1904), mais il minimise l'influence américaine et sa thèse est unilatérale; lesphysiocrates panaient du tout, et non de l'élément (cf. HAE l, p. 52-53). LaRévolution a adopté successivement quatre Déclarations, la première a été envigueur un an, celle de 1793 quelques mois, celle de Thermidor an III, Déclarationdes Droits et des Devoirs Ue souligne), cinq ans.

41. Texte dans Chronicles of the Pilgrim Fathers, New York, Dutton, s.d., p. 23.On observe que la mention de l'Être suprême, présente aussi dans le préambule de laDéclaration de 1789, est plus centrale et pressante dans les Pactes des puritains.Tocqueville a cité le Pacte de 1620 et insisté sur la combinaison de la religion et de lathéorie politique (De la démocratie en Amérique, Paris, 1961, t. I, p. 34 et introd., ett. II, ehap. v, cf. ci-dessous).

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GEN~SE, II

entre les deux. Dans la première partie,QIéfend c.ontrttJlur~~la rationalité et simpli~<;.IJl~Q-!iû..qlle."deJa~Constituante. SoniricIividualisme est spiritualiste: « Par son intermédiaire, le christia-nisme révolutionnaire des protestants anglais d'Amérique rejointl'athéisme révolutionnaire des sans-culottes français. » Le.seçgpd,volume. qui traite de l'application du g.Onçlp.e•...est ••utUitat:i§te. Apartir de l'identité naturelle dës i térêts Paine y « applique lesidées d'A am mith à la solution... par surcroît des problèmes

Alitiques 42 ». La transition est typique d.e. l'évolution des .idées quiallait faire régner rutilitarisme_w •••b-..Q.g,l.~.te.o:.Ç.dansles p,re,mière.,!décad~s du xIx:.siè.çle.

Le second volume de Paine parut en 1792, et Condorcet travaillaavec lui en 1793. On peut donc supposer que leUf,1ées.de..Pajpe,..sreflètent dans.J!élément&le.la~CoJlsYt.Ytio~Jicainç.que Condor-&:t souligna pour le condamner. Mathématicien et philosophe, ilavait joué un rôle notable dans les assemblées, et fut décrétéd'arrestation sous la Terreur. Dans sa retraite - il devait mourirpeu après -, Condorc~écrivit comme un testament sa brève etdense Esquisse des progrès de l'esprit humain, inspirée de bout enbout par l'idée de la perfectibilité de l'esprit. Elle se termine sur uneimage de l'avenir, la «dixième époque », et dans le dernierparagraphe le révolutionnaire menacé dans sa vie proclame sa foiiJ:!Çbranlable dalls.J~w,Q~s~. ~---

L'histoire a confirmé bien des prédictions de Condorcet, mais ccqui nous intéresse ici c'est la distinction qu'il fit entre les Coostitu;.tions américaine et française. Son égalitarisme éJéliLmQdéIt. TIpreâit'la Cli~tatëdël'inégalité entre natip.ns, y compris lespeuples colonisés d'autres continents, mais seulement un affaiblisse-ment de l'i!!égj!i!é à l'intérieur §llIl peuple donné : les effets de la<!ifféieDce des don~ n.aturèls entre_BersO-llile~$r.ai~t...r~d+uits••maissans Clisparaftre tout à fait, ce qui serait contraire à l'intérêt

42. Halévy, op. cit., p. 66,69.43. Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrês de l'esprit humain

(1795), éd. Prior, Paris, 1933. Condorcet dit de lui-même dans la conclusion: « C'estdans la contemplation de ce tableau qu'il reçoit le prix de ses efforts ... c'est là qu'ilexiste véritablement avec ses semblables, dans un- élysée que sa raison a su secréer ... » Le projet artificialiste est devenu une foi transcendant la destinée de lapersonne et les horreurs du temps. Auguste Comte n'est pas très loin.

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

commun. Cependant Condorcet voit la marque distinctive de la~< ••• _ ';.Â",,~~~' ~

Constitution française et la raison de sa supériorité sur l'américainett'âliS"la recdÎl~~~g!!W~lsrt~~~Ojf~let~pJtme,",pd!l~i~ Il affirme les droits naturels de l'homme (tout enlouant Rousseau). Il reproche aux AméricaÙlu;l'avoir continué àrechercher l'é~ill.2!e.Ae~"ppu)~oirs~à l'intérieur de I:État et, avanttoute chose,d'avoir insisté davaJ2!a~~~~l1,pri.EciRes~tJ.:!?!ntit~ d;s~térêts..@ ~f7~gaJi~jts'l4. Condorcet pense évidemment

j 1. a C.2.!.1.§,tillUlQ!!..,àlaquelle il a travaillé et à celle des Montagnards.4ç,..tl,9~ui la supplanta, plus qu'à celle de 1789 qui était encoreroyaliste. La ~Q~SJ_,sst encore proche des Billsaméricains; l'~,~!itty $~tinYv<2H~s.-(art. 1) contre les ~<..2.i~ctions~les,.».,.}J.é!"-é.clita4l:s-.,.maiselle ne figure pas dans la liste des droiiSsubstantifs (art. 2, ci-dessus). Dans toutes les Déclarations subsé-quentes, l'~g~lité prend Rlac~ côté de la liberté parmi les droitseux-mêmèS4s:"" On voit dans l' Esqûissê que cODaorcet n'est paspréoccupé seulement d'égalité formelle, mais aussi d'égalité de faitdans la mesure où elle apparaît praticable et utile. Il écrit que laRévolution a fait « beaucoup pour la gloire de l'homme, quelquechose pour sa liberté, presque rien encore pour son bonheur» ; ildéplore l'absence d'une histoire de « la masse des familles », ilréclame une étudè-non 'setÎI~~~~t de~--normes mais des faits, des« effets... pour la portion la plus nombreuse de chaque société »,des changements et des dispositions légales (p. 199 sq.), sur quoi onpuisse fonder u~e politique pour le progrès de l'espèce.

44. Esquisse ...• 9<époque, op. cit., p. 169. Le Bill de la Virginie dans son article 3fait référence au « bien commun» et ajoute : « le meilleur gouvernement est celuiqui est le plus propre à produire la plus grande somme de bonheur et de süre té lt

(ibid.). Pour l'égalité, l'article 1 dit· seulement" que tous les hommes sont par natureégalement libres et indépendants» (Jellinek, op. cit., p. 29).

45. On lit dans le projet de Déclaration préparé par la commission et présenté à laConvention le 15 février 1793 : « Art. 1. Les droits naturels civils et politiques deshommes sont la liberté, l'égalité, la sûreté, la propriété, la garantie sociale et larésistance à l'oppression. » Hormis l'addition de la " garantie sociale », la formula-tion générale semblerait indiquer que les « droits naturels» étaient sur la défensive,ce qui est confirmé par leur disparition des rédactions subséquentes (une traced'influence rousseauiste ?). Ainsi la Déclaration adoptée le 29 mai (mais modifiée unmois plus tard après l'adoption de la Constitution montagnarde) commence ainsi:«Art. 1. Les droits de l'homme en société sont l'égalité, la liberté ... » (la suitecomme dans la précédente; l'égalité a pris le premier rang).

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GENÈSE, II

Cependant ggndor~t..s~t un lib,!!al, u~~ qui ne placepas l'idéal égahtaire au-dessus de tous les autres, D'autres le firent,pendant la Révolution même, témoin la conspiration de Babeuf-mouvement communiste qui comme tel déborde notre propos.Babeuf fut exécuté, mais la démocratie française resta préoccupéed'égalité à un degré inconnu ailleurs. Tocqueyille J'a m,.,d il a vu ,aussi que l~ Réy~ution françlljs~ a été ~u fond uJ}...J?~énomènertJi&ieux, en tant que mouvement qui se voulait absolu, et ,a.

w_

~lQnd~tQu~.JU'iÙ\!mJlL~l à la""cJ!!f~e.P.ç~~).~ ••••'Révolution américaine où la théorie politiqûe démocratique estr9!Ç;f çQnline;ê:GQn]Qiiin<i@'p~p~g01l2ii.ôii"O\t~I;le..stric.teJoi.chrétienne:. Il n'en est que plus intéressant de voir queles adeptes français de l'homme comme Individu ont été aidés dansla formulation des droits abstraits de l'homme par les puritains duNouveau Mc;m.9~ Une fois de plus, la••religion chretienne avaitpoussé en avant l'Individu. . ••• --.

w· . - ' ••••• _••••

Le contrecoup de la Révolution: renaissance de l' « universitas »

46. Herbert Marcuse, Reason and Revolution, Beacon Press, 1960, p. 340 sq.

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premiers ébranlements socialistes se faisaient sentir, le prolétariatcommençait à se consolider (Marcuse, op. cit., p. 328, cf. p. 335 sq.).

On oppose souvent de la sorte le monde artisanal et de petiteindustrie du XVIIIe siècle et le monde de la grande industrie du XIXe.L'explication est à tout le moins insuffisante. Même si elle pouvaits'appliquer au c~angement d'humeur des économistes, de 1',gE.ti-misme d'Adam Smith au pessimisme de Malthus et Ricardo enAiigtetêrre, de Sismondi pui'S'de Marx sur le c"ÔÔtinè'iit,èii~nerendrait pas compte de la preoëèüpatiôn _sociologique, et plusgénéralement de l'orientation générale des penseurs de la période,qu'on a justement appelée une « réaction anti-individualiste 47 ».

Il est clair d'après les penseurs fraiiÇais de Ïii P'ériod'ë'Slétentfailt de1815 à 1§P et au-delà .que la Révolution et l'Empire ont laiSSéde'iTièreeux ~üëIësii1ëîneiirs esprits s'occupent à essayer decombler. SiJ,a 'Ré~o!ution avait marqué le triomE~~. de)'ingividua-lisme, elle appaflitssaltau contraire rétrospectivement comme un .écheè:-D'où non seulement une déception chronique, mais aussi larésur~~ d~v:~eu~s_et •..d'idées.contraires à celles que la Révolu-tTon avait exaltées. Les idéaux révolutionnaires étaient rarementOOiiaanmes en filoc, comme par les.tlléocrates_- dont la réaffirma-tion tranchante de la .tradl!!g,!l_et du, holisme trouva une largeaudience; plus souvent ils étaient ou bien rejetés en partie, ou bienacceptés mais considérés comme insuffisants, ce qui demandait unerecherche en vue de les compléter. L'affirmation inouïe et absoluede la societas par les révolutionnaires avait eu pleine carrière, et lebesoin d'universitas fut ressenti plus fortement que jamais par'l'individu romantique qui héritait de la Révolution. Telle estl'explication globale du ~'y!n~nl général que l'on perçoit,. del'optimisme au pessimisme, du ratiorialisme au positivisme, de ladémocratiê ab~~j~ rë.ffi~rche~ de l' «organisation,., d~l'accentuatiôn-eoliti.Qlle à taçc$<Dtua.tion économique et social~,Jlç,l'athéisme ou d'~ ,Yll~tbéisme à la quête d'une religion réelle,

47. Michel, op. cit. L'auteur de cette très soigneuse étude, écrivant à la fin duXIX· siècle, essaie de défendre « l'individualisme" (pris dans un sens un peudifférent du nôtre) contre ses critiques du XIX' siècle français. Il pense que les erreursont porté sur les moyens, et non sur les Iins. On a utilisé ici la vue générale fourniepar Maxime Leroy, Histoire des idées sociales en France, Paris, 1946-1962, 3 vol.

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GENÈSE, II

'!:. la r~~au sentimenj; de 1'!!l~él'eI!da~l!,.!.l!sommunion_48\Pour Saint-Simon et les saint-simoniens, la Révolution, les droits

de l'homme et. le Iib~J;'é!!.jsmeavaient eu une y!leu~....Ere~~structi'ye j le temps était venu d:org~~! .••Ii..~Qçlété" ~rSgénœ~ L'État ,est une association..)ndustrieUe-. il doit êtrehiérarchisé; au-dessous des s~vants' viennent les-b~nq'uiers qui son'OJ~-.responsables du principal moyen de régulation: le crédit. Lesrécompenses doivent être iaégales, comme le sont les œuvres, maislà Rmp.riSté.Jté.r~é.ditajr.e..s,sJJl1lUurvi~!lce J..l.uQPJ!lPsr. De plus,surtout pe'll' l.~.ssa~!!t-simo!!.igt~,une no.~clle..r,.Çjigi~ le pouveauchristianisme, doit lier ensemble les hommes par le « sentiment ».C~në c&/iqlje, qui n'insistait que-sur I'individii ~t la raison, doitfaire place à une nouvelle époque organiq;;ë. 'A'iiiS1 seront restaurésdans l'.es~it dès hommes l'équilibre et l'unité, car, selon "Saint-âiJ:I1.2!!,,~~ l'idée de Dieu n'est'?iê~ que "'l'Tdéê de l'inlellig.ence'\humaine g néralisée ~ En même temps, l';?!plott~!i<JE...J[I1pi~del'homme ~r l'homme aura disparu 49.

Les saint-siiii"o~re~ présentent ainsi un contraste presque aussiparfait que les théocrates, mais plus moderne, aux idéaux de laRévolution française. Or la même préoccupation fondamentale estpartagée par des esprits très différents, tels Lamep.m~~t Tocque-ville. Dans son Essai sur l'indifférence (1817~,~i~cherchaitla vérité dans la société elle-même, en prenant ce qu'il appelle « lesens commun », c'est-à-dire les traditions de toutes les sociétésconnues, comme la source et la marque de la vérité. Ailleurs il-écrivait : ~homme'seûl -n'ëst "qu'îîii -fragmëÏltëÎ'être; l'être 1véritable est l'être collectif, l'humanité, qui ne meurt point!:.J

Quan~ Tocquevi.!!e) Uh 1~1, un aristocrate,sincèrement rallié_à la dém2.c.!!flê, il était frappé par le développement malheureux cl~

la démocratie en France, et il allâen Amérique pour étudierëOriiPàiiti'Vëi1ïenCde première main les conditions qui permettaient

..,--

rlili

48. Proudhon écrivait: « L'homme le plus libre est celui qui a le plus de relationsavec ses semblables" (Leroy, op. cit., t. II, p. 50).

49. Cet aperçu sommaire est tiré de Bouglé et Halévy, La Docttine de Saint-Simon, Exposition, 1" année, 1829, nouv. éd., Paris, 1931; Michel, op. cit.; Leroy,op. cit.

50. Leroy, op. cu., t. II, p. 437 sq., 451. On peut voir un legs des Lumières dans lefait que la référence est dans ce passage, comme chez Comte, à l'espèce humaine, làoù Rousseau avait déjà renvoyé à la société concrète.

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

aux ~ats-rUnis démocratigues...de connaître ~I?aix et ~~~~tpour en tirer les conclusions ~nt à son propre pays.

Dans cette perspective, Heg~pparaît proche des penseursfrançais contemporains. dMl1es que soient les différences -évidentes -, et tout en reconnaissant que la politique de Hegel' ad'autres aspects, on peut dire qu'historiquement la tâche gue s'estdonnée Hegel dans la hilosophie du dr.Qjtest, l~ même...cu!<:'celle gù~çomte,J:..t Tocgm:.yillc;.avaient ..,Sv,!Q.teux : la tâche ~ raç~er le$idéaux de la Révolution de la condamnation - quéf'histoire avaitprononcée contre --éu'X a~ Jeu.!.. maiili"estâtio~u de

Ic~jt~_une...!b~Or!tJ!2ILtigue et soci~e qui l~~~r:~~usune forme viable. Classer simplement ensemblT"l'fe. arx ousl'étiquette de ~q~eJa,soeiétë1 c'est ~l~n.!!.2!ipJ1_hi&oIique Jood_a~~!GftJa~E.hilosophie~quï est une tentative de réconcilier:..,.tousles 0 osés en une vastesynthèse et de montrer en même temps que cette synt . se estprésente da~~ l'~!at moderIl!; fût-il prussien. Ll!av~od~1 dansTâ vue âu pIlIlosoplie, apparaît comme la consommation de tout cequi a précédé. C'est ainsi qu'il y a dans ccttè plÎilôsophie politiqUeUnaspeccpositiviste-impor!am..,J-a philosophie du droit proprementdité est Qositiviste : l.~ loi est commandèment, ~on!é .•» commenous l'avons vu èiië(2ë~ (et, de plus, « lj!>~rté.»). Il est vrai queHegel critique le ositivisme de l'école allemande historique du.Qr.üit (Savi JI , mais i""criif9u~ parallèlement tw.te •. purementnégativ~ _et ••••destrucJrice ••);le la J!R,eç!L.fhez les révolutionnairesfrançais; et cette double critique conduit à la ..fusion-d.e.Â-de~Y4

\

2.P..E2§~S:.,la Ig.În'est p~~qle!D. ~nt donnée_e-!LQQPgsitionà laJ~~rtéde l'in<ijyJdu, elle est ~tiOJlnelie. comme la plus l?rofo~n~eXpre~on 9~la lLbW~..,g.ù:lJ.2inme. Dans cette sy'nthèse~érité'Où '~~'2,s~ ~~me~ du .li~e~ta~~me estco~s~X;é~ndis q.ue lëûrsoêfauts sont suppnmés. SI bieii d'autres réconciliafiôns ont heu dansce livre, celle-ci n'est pas la moins importante de toutes 51. Cela estclair dans l'ouvrage lui-même. C'est clair aussi d'après la postéritéimmédiate de Hegel, qui se divise entre une <[g'fol't?,. et une~~» acceptant respectivement seulement l'a!pect p'ositivis~

51. Philosophie du droit, op. cit., § 4, 5, 15, 259 sq. (et additions); cf. dans laPhénoménologie de l'esprit, la section sur « liberté absolue et terreur » (VI, Be).

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:;-

GENÈSE, II

et l'aspect rationalistç. (ou « gitig!!Ç l'» de la doctrine. L'événementillus"ffê"l,€fiec ci~'~~, mais le fait est"~il~"tëntéà sa manièrequelque chose d'analosue à l'entreprise de:;,T9<;9ueville et de Comte.Les parallèles avëê1ës saint-simomens sont évidentS'aiissi 52. - '

Ce qui au contraire distingue ici Hegel, c'est que, en continuitéavec Rousseau et la tradition classique de philosophie politique, ilpersiste à considé.re.r)'universitas d'un point de vue exclusivement

l@rÎtisiue..••-Son~~t""~ -corresp~.nd à· c.t' que n~us appeiierlo';s.J!l~oçiété globale)' C0t1Jeri§ XÉEt P!?preme_nt.d!1 (cf. HAE I, p. 148sq.). Comme à l'ordinaire, Hegerëôncentre l'~on_sur le§hénomène_s-cQ.~ci~. Les expressions de mépris ne manquent pasa"iis·ce livre à propos des aspects de la constitution sociale qui n'ont

pas atteint une expression consciente, c'est-à-dire en pratique uneexpression écrite, comme la coutume en général, ou la Constitutionanglaise. Comme dans Hobbes et dans Rousseau, l'individuconscient est soudainement ap elé à reconnaître dans l'État son moi~périeuJ, et ~ !$:. c*omtpan e.m~nt de 1: taÜjX.l!.r~lônJle sa

ropre..'iQ.\gnté et liberté. La QrésentatiQ.n".Jndirect~de~la société,~_~Jâ.~m'ë d~l'Èt~t 53 conduii'à üiiësorte de ~iigion dçJ'lit.~t, oùl\:l~r~;i'yitune m};'st1ficati2I\iCe ~ejet de l'universitas par le jeuneMarx est un évenerne.~t important. La position de Marx par rapportaux socialistes français est intéressante. Tandis que d'un côté il leurdoit beaucoup, et va jusqu'à réclamer l:?bolition de la P..!2P'rié!éprivée, de l'autre-il ne partage pas le moins du monde leurs réservesên ce qui concerne l'Individu et leurs efforts vers une idée plusprofonde de l'homme. Che~ ~~ comme pour les révolutionnairesde 1789, la .cr~.ature du QrQilJlatqr..el" que les grands philosophesavaient pris soin de transmuer lors de la transition à la vie sociale,~ntre dans l~so_ciété..Jm!.tarmée et sûr~d~ se...~Jilli.te_à.eJl~ Lesocialiste Marx croit à tIndixigu •.d'une manière gui n'a pas de: ~précédent chez Hobbes, Rousseau et Hegel et même, dirait-on,chêz Lock;' Il se pourrait bien qu'un tel socialisme, une telle

~o~

52. Cf. J. Hyppolite, Introduction () la philosophie de l'histoire de Hegel, Paris,1948, p. 59, etc.

53. La chose est claire dans la Propédeutique de Nuremberg, où Hegel ne parle passimplement de l'État mais de la " société de l'État» (Staatsgesellschaft), ou, commel'a traduit M. de Gandillac, de «la société que constitue l'État" (trad. fr. :Propédeutique philosophique, Denoël-Gonthier, coll. « Médiations »).

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

~~Q.I1!é.e ~e, l'individualisme après la Révolution, n'ait pas étépossible avant les années 1840-1850. A première vue la théorie estici contradictoire, et sociologiquement elle est très appauvrie parrapport aux perceptions et aux divagations des saint-simoniens 54.

Si Tocqueville contraste avec tout cela, c'est qu'il se situe dans lat!!<!i.!!20~fê.s9,!l~ qui avait étudié JA$2.P~ill1!tiondes État~""en relation avec les mœurs et coutumes des peuples. Tocqueville JSô'ôtOuf""éftiâia 1[.pJJ!f!Wue ,en relation,.~c~ ,sOnÇQ.lltexlesocia!-~~J,!ll,~t tout particulièrement l~ !Q..é~s_et.v~, En ce quiconcerne la r,Ç!!~tip!1_eQ!rer~ion et EQJiJ!qus..,par cOmparaisonavec leur jgent!ficatipn partielle mais abrupte, et quelque peuobscure, ch~~!tegcli, et avec la ~tiw~ti2~ chez (Q;)I!!~,.d~J:Hu.m~pité,_à)~enc.QQtLe_qç)a société gl2.ba!~ con~~ète~ les conclu-sions de l'enquête relativement modeste de Tocqueville en Améri-que apparaissent en fin de compte aujourd'hui plus profondes etplus proches du vrai, peut-être parce que llli seul s'estJivré à unevérttable~,omRa~aison sociologique. Tocqueville; conclut qu'un"e .Ir. W' ." ~.i. ~'{, ~t'i"'l ••",~ .'" ~

s~t~.rne P2li,!!q~e••démocr~tig~st viable q~~ .~~~ertaine~condi-tions SOCIalessont Jem~s, Le aôi'iiiiine polItique ne peut pas~t:>ërç~~migio~9ù_~IiR~"ilér!!I'~1:Yaleuf'S]ltim~rÂucontraire, il doit être corn lété et 50 W!l.p'at, l~~JHH, p. 29)"

En somme, es penseurs français de la p!emière moit!~f~~

!siècle furent conduits à considérer l'homme comme un être social, àinsister sur .1~t.factçll!~.J.B.Ç~ qui ëonsti~~tî;'_riPJ~mièrs<2e.IfLperso"Qnalit~ et expliquent en dernier ressort que la.•société~,est e.2.lé,2.!}st~JE...~.JV1.e,,<;prrS!J,u.c~jon.ar.t.!fjc~elleà.base.d'individus.Le plus évident de ces facteurs, ,la langue, fut souligné par Bonald,qui attribuait son origine à_Dm La religion était hautement..•. ~~,

appréciée par les saint-simoniens: comme source de cohésion•••• '~ 40r -./!IIIIMItÎ..-.i:.' '''...... ........~~_ _ f"e- ••••

soci,lJ.le,.;•.ils insistaient sur Ià religion et le sentiment en vue de la~ ~. -- - ••••••••••••• "1ioOI ~

~eçpn~JI.:\!~tjp'Qdl,1...•.c.Q!:pssocial. Le ridicule dans lequel ils sombrè-rent - de même que le mysticisme de Comte, qui n'était peut-êtreque prématuré - ne doit pas cacher la profondeur de leurperception, L'effort de tous ces penseurs tendait, au moins pour unepart, à amener au jour, par-dessous la discontinuité évidente des- -',-.

54. Sur les rapports chez Marx entre individualisme, projet artificialiste etéconomisme, cf. HAE I, 2e partie.

112

GENÈSE, II

~.t; ,••••-.

55. Observons le parallélisme entre le fait global - La Révolution et saconséquence - et les doctrines paradoxales de Hobbes et de Rousseau : en sommel'histoire a donné raison à ces auteurs.

56. Ci-dessus, p. 86. La grande variation chez les socialistes français d'alors dam;l'importance accordée à l'égalité - très grande chez Proudhon par opposition àSaint-Simon et à Fourier - est un indice de l'attitude mêlée vis-à-vis de la Révolutionde 1789.

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SUR L'IDÉOLOGIE MODERNE

n'a voulu, dans cette dernière section, que compléter l'esquisse de lamontée de l'individualisme au plan politique et social en marquantles conséquences idéologiques de la Révolution, en enregistrant ceque";--rliistoire nousaif immédiatement'; en quelque sorte, de larelation entre l'idéologie de 1789 et la réalité sociale tout entière.-_ •.... ------. ...,.-~ -

1lI

Une variante nationaleLe peuple et la nation chez

Herder et Fichte *ir!

Si l'on parie, comme je l'ai fait, de l:i9.é.Qlogie~.I!!ill!eJJlecommed'un s~stème d'!?~ neLd~ ~alsrs caractéristiques d~s ~ociété~modernes, et en premier lieu de celles où la modernité est apparueéfS'ëSCdéveloppée, on peut se voir objecter qu'une telle idéologien'existe pas, pour la simple raison que ce qu'on désigne ainsi varie, ...~~ .P..!y~.J..l'autre, ou entre les air~~ dea grandes langues deCivilisation. Et il est vrai qu'il y a, par exemple, à l'intérieur de la 11

èulture européenne moderne des sous-cultures angla~ française,allemande. Il y a simplement lieu de les prendre, ou de prendre les 1

iéléologies correspondantes, comme des variantes, équivalentes endroit, de l'idéologie moderne, et la connaissance concrète del'idéologie moderne demande que l'on puisse passer, disons par unsystème de transformations, de l'une de ces variantes à l'autre 1. Orle fait est que les sous-cultures nationales communiquent entre ellesmoins immédiatement et facilement que le sens commun, en toutcas le sens commun français, n'est enclin à le croire. Il est vrai quedans le fond il ne reconnaît pas même leur existence.

L'41é..Q!pgiemo~e comporte en effet un universalisme profondqui fà* rejè'tërilors- du domaine cognitif lui-même les diversitésrencontrées : on parle de « caractères nationaux », et chaque paysentretient des stéréotypes sur les pays voisins. En fin de compte les

• Repris de Libre, 6, 1979, p. 233-250. Exposé d'abord sous le titre« Communica- /tion entre cultures ,. au symposium « Discoveries ,. de la Fondation Honda à Paris(octobre 1978), puis devant l'International Society for the Comparative Study ofCivilizations (U.S.) à Northridge, Californie, en mars 1979.

1. Le problème pratique du passage d'une culture à une autre a été rencontré àpropos de l'initiation à la sociologie et à propos de la théorie anthropologique de laparenté (HH, p. XVI-XVII et note).

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