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© L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés. L’Encéphale (2011) Supplément 2, S100–S109 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Dynamique des coordinations sensorimotrices interpersonnelles chez les patients schizophrènes : introduction d’un nouveau paradigme Interpersonal sensorimotor coordination dynamics in schizophrenic patients : introducing a new experimental paradigm P.-E. Lazerges (a, b) , M. Cermolacce (b, c) , E. Fakra (b) , S. Tassy (b, c) , J.-M. Azorin (b, c) , P. Huguet (a) , J.A. Scott Kelso (d, e) , O. Oullier* (a) (a) Laboratoire de psychologie cognitive (UMR 6146), Pole 3C, CNRS & université de Provence, Aix-Marseille université, Marseille, France (b) Pôle universitaire de psychiatrie, CHU Sainte-Marguerite, Marseille, France (c) Institut de neurosciences cognitives de la Méditerranée (UMR 6193), CNRS & université de la Méditerranée, Aix-Marseille université, Marseille, France (d) Human brain and behavior laboratory, Center for complex systems and brain sciences, Florida Atlantic University, Boca Raton, USA (e) Intelligent systems research Center, University of Ulster, Magee Campus, Derry, Northern Ireland Résumé Des troubles moteurs et de coordination sensorimotrice sont décrits depuis longtemps dans la schizophrénie. Les patients schizophrènes présentent notamment des troubles de la perception des mouvements que l’on qualifie de biologiques (c’est-à-dire issus d’un organisme vivant). Chez le sujet sain, depuis plus de 30 ans, l’étude de la dynamique des coordinations sensorimotrices et ses applications récentes à la cognition sociale (dynamique des coordinations sociales) ont permis de mieux comprendre et quantifier le rôle du corps et de ses mouvements dans nos relations à l’autre. Cette approche théorique et expérimentale permet de mesurer avec précision les performances sensorimotrices dans l’espace et dans le temps. Toutefois, elle n’a, jusqu’à présent, jamais été appliquée aux patients schizophrènes ni à l’étude de leurs troubles. Nous proposons un paradigme expérimental nouveau dans l’étude de la schizophrénie dont l’objectif principal est de tenter de mesurer, au-delà des troubles de coordination visuo-motrice généralement observés chez les patients, si le « caractère humain » du mouvement d’un stimulus avec lequel ils interagissent module ses capacités à effectuer des tâches sensori-motrices de poursuite de cible. Nos résultats préliminaires indiquent que, contrairement aux sujets sains, la capacité de synchronisation visuo-motrice des sujets schizophrènes est perturbée par le caractère biologique du mouvement de la cible. Notre paradigme expérimental, par son approche fonctionnelle, quantitative et dynamique (des troubles) de la coordination sensorimotrice dans la schizophrénie offre de nouvelles perspectives quant à l’étude de l’origine des troubles des interactions sociales identifiés chez ces patients. Il permet de fait d’aborder indirectement le vaste domaine de la cognition sociale par le biais de la cognition motrice. © L’Encéphale, Paris, 2011. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] MOTS CLÉS Schizophrénie ; Troubles sensori- moteurs ; Dynamique des coordinations ; Mouvement biologique ; Couplage perception- action

Dynamique des coordinations sensorimotrices interpersonnelles chez les patients schizophrènes : introduction d’un nouveau paradigme

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© L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés.

L’Encéphale (2011) Supplément 2, S100–S109

Dispon ib le en l igne sur www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.el sev ier .com/locate/encep

Dynamique des coordinations sensorimotrices interpersonnelles chez les patients schizophrènes : introduction d’un nouveau paradigmeInterpersonal sensorimotor coordination dynamics in schizophrenic patients : introducing a new experimental paradigm

P.-E. Lazerges(a, b), M. Cermolacce(b, c), E. Fakra(b), S. Tassy(b, c), J.-M. Azorin(b, c), P. Huguet(a), J.A. Scott Kelso(d, e), O. Oullier*(a)

(a) Laboratoire de psychologie cognitive (UMR 6146), Pole 3C, CNRS & université de Provence, Aix-Marseille université, Marseille, France (b) Pôle universitaire de psychiatrie, CHU Sainte-Marguerite, Marseille, France (c) Institut de neurosciences cognitives de la Méditerranée (UMR 6193), CNRS & université de la Méditerranée, Aix-Marseille université, Marseille, France (d) Human brain and behavior laboratory, Center for complex systems and brain sciences, Florida Atlantic University, Boca Raton, USA (e) Intelligent systems research Center, University of Ulster, Magee Campus, Derry, Northern Ireland

Résumé Des troubles moteurs et de coordination sensorimotrice sont décrits depuis longtemps dans la schizophrénie. Les patients schizophrènes présentent notamment des troubles de la perception des mouvements que l’on qualifie de biologiques (c’est-à-dire issus d’un organisme vivant). Chez le sujet sain, depuis plus de 30 ans, l’étude de la dynamique des coordinations sensorimotrices et ses applications récentes à la cognition sociale (dynamique des coordinations sociales) ont permis de mieux comprendre et quantifier le rôle du corps et de ses mouvements dans nos relations à l’autre. Cette approche théorique et expérimentale permet de mesurer avec précision les performances sensorimotrices dans l’espace et dans le temps. Toutefois, elle n’a, jusqu’à présent, jamais été appliquée aux patients schizophrènes ni à l’étude de leurs troubles. Nous proposons un paradigme expérimental nouveau dans l’étude de la schizophrénie dont l’objectif principal est de tenter de mesurer, au-delà des troubles de coordination visuo-motrice généralement observés chez les patients, si le « caractère humain » du mouvement d’un stimulus avec lequel ils interagissent module ses capacités à effectuer des tâches sensori-motrices de poursuite de cible. Nos résultats préliminaires indiquent que, contrairement aux sujets sains, la capacité de synchronisation visuo-motrice des sujets schizophrènes est perturbée par le caractère biologique du mouvement de la cible. Notre paradigme expérimental, par son approche fonctionnelle, quantitative et dynamique (des troubles) de la coordination sensorimotrice dans la schizophrénie offre de nouvelles perspectives quant à l’étude de l’origine des troubles des interactions sociales identifiés chez ces patients. Il permet de fait d’aborder indirectement le vaste domaine de la cognition sociale par le biais de la cognition motrice.© L’Encéphale, Paris, 2011.

* Auteur correspondant.E-mail : [email protected]

MOTS CLÉSSchizophrénie ; Troubles sensori-moteurs ; Dynamique des coordinations ; Mouvement biologique ; Couplage perception-action

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KEYWORDSSchizophrenia; Sensorimotor disorders; Coordination dynamics; Biological motion; Perception-action coupling

Summary Compared to healthy individuals, schizophrenic patients suffer from sensorimotor disorders including problems when tracking moving targets and perceiving biological motion. Recent advances in embodied cognition and social coordination dynamics have emphasized the important role played by bodily information exchange (e.g. facial expressions, posture, and movements) in the way people interact with and mutually influence each other. These experimental studies on healthy participants provide data on sensorimotor performances of a patient that are recorded at high temporal and spatial resolutions. They should therefore be considered in studies on schizophrenic patients. These functional, quantitive and dynamic aspects of sensorimotor coordination abilities, may offer promising perspectives and could lead to a better understanding of sensorimotor disorders in schizophrenia. The purpose of this article is to introduce a new experimental paradigm in schizophrenia inspired by the field of coordination dynamics, a theoretical and experimental approach born more than 30 years ago that has recently expanded to interpersonal interactions, the so-called social coordination dynamics. In our study, we hypothesize that the sensorimotor deficits associated with schizophrenia in social interaction may be, at least partially, due to a failure to properly pick up information about the movements of other people.We therefore designed a study where healthy individuals and schizophrenic patients were asked to intentionally track the oscillations of visual targets of various social relevance using hand movements. Four different rhythmic visual stimuli varying in degree of biological relevance (form and motion) are used : [1] an oscillating dot; [2] a computer generated hand moving up and down continuously driven by a sine function; [3] pre-recorded oscillatory movements of a real hand; and [4] the hand of a real individual (behind a curtain that occluded vision of the rest of the body). Two distinct dependent variables are computed to quantify the coordination between the movements of the participants and the visual stimuli : the relative phase and the power spectrum overlap between their own movements. In this preliminary study, analyses of kinematic data revealed that schizophrenic patients had trouble synchronizing to (the more) “biological” target unlike control healthy individuals. These results suggest that patients with schizophrenia may suffer from sensorimotor coordination disabilities with socially relevant visual stimuli. The novel paradigm we introduce in research on schizophrenia should allow for a better understanding of the troubles these patients encounter when interacting with other people thanks to an approach rooted and building on social coordination dynamics as well as motor and social cognition.© L’Encéphale, Paris, 2011.

Introduction

Il est de tradition de séparer les processus dits de haut niveau — tels que la mémoire, le calcul, le langage ou encore le raisonnement — des habilités sensorimotrices qualifiées, à tort de notre point de vue, de bas niveau. Cette dichotomie historique, bien que tenace, fait fi de la nécessité pour l’hu-main d’interagir avec ses environnements (physiques et sociaux) grâce à son corps, de l’intégration et de la coordi-nation des informations sensorielles qu’il prélève et de ses mouvements [26]. L’exemple le plus probant est peut-être l’accélération du développement du langage chez l’enfant dès lors qu’il se déplace et découvre le monde à travers sa sensorimotricité. En psychologie, en neurosciences comme en psychiatrie, l’une des conséquences de cette dichotomie entre hypothétiques processus de haut et de bas niveau est l’intérêt moindre porté à la chose sensori-motrice en compa-raison de troubles plus « cognitifs » [6, 7].

L’étude de la dynamique des coordinations sensori-motrices a permis, depuis plus de 30 ans, des avancées significatives dans l’appréhension de la cognition motrice et plus généralement de la cognition sociale chez l’individu sain [11, 23]. Cette approche théorique et expérimentale a déjà permis d’apporter un éclairage nouveau aux relations réciproques entre les processus cognitifs et les coordina-tions sensori-motrices, y compris dans des contextes sociaux [24, 25]. Cette dynamique des coordinations sociales (social coordination dynamics) s’inscrit dans la ligne initiée par la

« cognition motrice » et celle dite « incarnée » et offre de nouvelles possibilités d’études des processus pathologiques à l’origine des maladies psychiatriques.

Bien que moins mis en avant que les symptômes psy-chiatriques ou que les troubles cognitifs classiquement décrits, la schizophrénie se caractérise aussi par des trou-bles sensori-moteurs. Les patients schizophrènes souffrent, en particulier, de troubles de coordination [3, 15, 19, 28].

La schizophrénie, dont l’un des critères diagnostiques majeurs est le dysfonctionnement social avec perturbation des relations interpersonnelles [1], a tout naturellement bénéficié de l’engouement des neurosciences comporte-mentales dans l’étude de la cognition sociale [7]. L’étude de la dynamique des coordinations sensorimotrices dans cette pathologie reste peu développée. L’objectif de cet article est d’introduire un nouveau paradigme expérimen-tal pour l’étude des troubles des coordinations sensori-motrices observés chez les patients schizophrènes.

Pour ce faire, nous avons élaboré un protocole expéri-mental permettant de préciser l’influence du mouvement biologique sur les capacités de coordinations visuo-motrices.

Troubles sensori-moteurs, schizophrénie et cognition socialeDans les descriptions historiques des troubles schizophréni-ques, en plus des symptômes psychiatriques et des troubles cognitifs classiquement décrits touchant l’attention, les

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fonctions exécutives ou la mémoire, l’on retrouve des signes neurologiques mineurs (soft neurological signs) et en particulier des signes moteurs. On les définit par opposition aux signes « majeurs » (hard signs) comme des anomalies qui ne peuvent pas être directement reliées au dysfonc-tionnement d’une région précise du cerveau, ou qui n’ap-partiennent pas à un syndrome particulier. Ces signes sont souvent regroupés en catégories, variables d’un auteur à l’autre, les plus fréquentes étant les fonctions sensorielles intégratives, la coordination motrice, les séquences de mouvement complexes, alternatifs ou séquentiels et dans certaines échelles, les réflexes développementaux [15].

Il a ainsi été montré chez le sujet schizophrène des troubles de dextérité motrice dans une tâche impliquant les mouvements des doigts [19], des difficultés dans une tâche de poursuite de cible avec la main [28], ou encore des troubles dans la production de rythme à l’aide d’une tâche consistant à battre la mesure (tapping) [3]. Pour une tâche visuo-motrice intentionnelle, les résultats montrent une difficulté de poursuite avec la main d’une trajectoire sinusoïdale [28]. Dans cette expérience les auteurs se sont inspirés d’un test visuo-moteur utilisé dans les formes débutantes de la maladie de Parkinson. Le matériel utilisé est un écran digital animé d’un point dessinant des formes géométriques. Grâce à un curseur mobilisable le sujet devait poursuivre trois types de trajectoires géométriques différentes : un carré, un cercle ou une courbe sinusoïdale. Différentes variables étaient analysées : le temps total moyen d’exécution des tâches de poursuite, la distance moyenne entre la trajectoire modèle et la trajectoire de la main du sujet, les erreurs de direction de la main du sujet ainsi que le nombre moyen d’interruptions de mouvement dans les tâches de poursuite. Les résultats montrent que chacune de ces différentes variables est significativement plus élevée chez les patients schizophrènes que chez les sujets sains [28]. Ces résultats se sont avérés indépendants de la présence d’effets secondaires extrapyramidaux ou de mouvements anormaux involontaires évalués respective-ment par des échelles cliniques spécifiques. De plus, les effets rapportés ne sont pas corrélés aux doses de traite-ment antipsychotique, à l’histoire de la maladie ou aux symptômes psychiatriques. Les auteurs de cet article concluent que le trouble de coordination visuo-motrice pourrait être caractéristique de la schizophrénie [28].

Mais ces tâches expérimentales qui mettent en évi-dence des troubles moteurs et de coordinations sensorimo-trices dans la schizophrénie n’ont pas été conçues pour étudier leurs conséquences fonctionnelles. Pourtant, l’ac-tion et plus globalement la cognition motrice, au sens ou l’entendent Jackson et Decety [8] ou encore Jeannerod [9], jouent un rôle central dans nos interactions sociales.

Selon les classifications internationales, le dysfonction-nement social avec perturbation des relations interperson-nelles constitue aujourd’hui un critère diagnostique majeur de la schizophrénie [1], et peut être considéré comme le symptôme le plus invalidant de cette maladie [6]. Aborder les troubles sensorimoteurs schizophréniques, pour essayer de déterminer de quelle façon ils pourraient être impliqués dans les difficultés sociales, est donc une approche origi-

nale pour étudier ce trouble au travers de la cognition motrice [9].

La cognition sociale peut être définie comme un ensem-ble réunissant les différents processus cognitifs impliqués dans les interactions sociales et émotionnelles. Ces quinze dernières années ont vu une augmentation majeure du nombre de publications se référant à la cognition sociale dans la schizophrénie et l’utilisation de tâches expérimen-tales variées dans ce domaine [7]. Historiquement le pre-mier type de tâche utilisé s’est appliqué à évaluer la capacité des sujets schizophrènes en théorie de l’esprit. Ce terme est issu de la littérature anglo-saxonne (theory of mind ; ToM) et désigne la capacité à attribuer à autrui des états mentaux différents des nôtres et à produire des infé-rences sur leurs croyances, leurs intentions et leurs désirs (voir l’article de Cermolacce et al. dans ce numéro).

Des critiques sont apparues notamment sur la subjecti-vité des interprétations et l’absence fréquente de prise en compte des effets de la présence physique et du mouvement dans ce champ. La difficile évaluation de ce type de compé-tences sociales (impliquant en particulier des biais cognitifs attentionnels, mnésiques et linguistiques) plaide pour une approche de la cognition sociale au travers des fonctions motrices et sensorielles et, comme nous l’avons précédem-ment évoqué pour une absence de distinction entre des pro-cessus qui seraient de haut et de bas niveau [26].

Mouvement biologique et schizophrénieLes mouvements biologiques générés par les individus qui nous entourent sont au centre de nos interactions sociales et peuvent être porteurs d’informations sur l’identité de l’indi-vidu mais également sur ses intentions, ou son état mental et émotionnel [18]. Ce sont des informations cruciales qui nous permettent d’agir en retour de façon adaptée. Mais en dehors de tout contexte social et de toute possibilité d’inte-raction, ou en l’absence d’intentions et d’émotions, il convient de s’interroger sur la façon dont ces mouvements sont perçus, intégrés et éventuellement coordonnés.

Cette question a déjà fait l’objet d’études chez le sujet schizophrène en s’inspirant des travaux de Johansson chez le sujet sain [10]. Kim et son équipe [14] ont utilisé des séquences vidéo formées de points lumineux et représen-tant des activités de la vie quotidienne d’un individu. Ces séquences sont obtenues à partir de mouvements réels d’in-dividus sur lesquels des marqueurs cinématiques sont placés au niveau de certaines articulations ou emplacements clés du corps humain. Ceci permet d’extraire fidèlement les informations relatives au mouvement d’un individu indé-pendamment des autres informations visuelles et en parti-culier sa forme. Avec les patients schizophrènes, la tâche consistait à demander au sujet de déterminer si la séquence vidéo représentait ou non une activité humaine [14]. une tâche contrôle fut également mise en place pour tenter d’évaluer les autres déficits perceptifs notamment au niveau visuel. Pour cela, une tâche de perception de forme globale statique fut utilisée. Les résultats de cette expérience ont montré que les patients schizophrènes ont significativement plus de difficultés que les sujets sains à identifier les séquen-

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auteurs interprètent cette différence par le caractère bio-logique ou non du mouvement [2].

Parallèlement, chez le sujet sain, il a été développé un type de tâches expérimentales permettant d’évaluer en temps réel et au niveau temporo-spatial le degré de stabilité de coordination sensorimotrice ; le mouvement d’un sujet joue notamment un rôle crucial en fonction du caractère biologique ou non de celui avec lequel il doit se coordonner [4]. Ce type de tâches, qui étudie la dynami-que des coordinations sensorimotrices, n’a jamais été appliqué aux sujets schizophrènes. Comme nous le ver-rons après avoir présenté les études faites chez le sujet sain, cette approche permet une analyse beaucoup plus fine (notamment au niveau spatio-temporel) de l’influence du mouvement biologique dans les troubles sensorimo-teurs du schizophrène, et peut être utilisée afin d’appré-hender sous un nouvel angle les troubles d’interactions sociales de ces patients.

Dynamique des coordinations sensorimotrices

Les fonctions sensorimotrices ont bénéficié ces dernières années d’avancées importantes chez le sujet sain, en par-ticulier grâce à l’étude de la dynamique des coordinations sensori-motrices [11, 13]. Cette approche permet d’étu-dier la sensorimotricité à de multiples niveaux : intra-indi-viduel (par exemple entre les deux mains d’un même individu), entre l’individu et son environnement physique (coordination avec une cible visuelle), voire inter-indivi-duel [25]. Dans ce dernier cas, l’une des tâches étudiées consiste à mettre face-à-face deux individus et à étudier la cinématique de leurs mouvements respectifs mais aussi de leur coordination interpersonnelle (Fig. 2).

Par le biais de capteurs de mouvements placés sur cha-que membre en mouvement, ce type de protocole donne la possibilité de mesurer l’évolution d’une variable collective, la phase relative (voir partie 4 pour explication détaillée), entre les deux mouvements effectués par chacun des index.

ces vidéo représentant une activité humaine (par rapport à celles constituées des mêmes points lumineux aléatoire-ment désorganisés ; Fig. 1) [14]. Par ailleurs leur capacité à percevoir une forme globale dans la tâche contrôle est sta-tistiquement identique à celle des sujets contrôles. Les auteurs de cette étude interprètent ces résultats par la mise en évidence d’un déficit de la perception du mouve-ment biologique chez le patient schizophrène.

De plus, les différences observées dans cette étude ne sont pas corrélées à la dose de traitement antipsychotique ni aux symptômes psychiatriques, mais se sont avérées liées au (dys)fonctionnement social chez le sujet schizophrène [31].

une autre étude chez le schizophrène a décrit l’in-fluence du mouvement biologique sur la capacité à imagi-ner ou à reproduire a posteriori une action observée [2]. Les auteurs ont ainsi pu montrer chez les sujets schizophrè-nes un déficit relatif de concordance temporelle dans l’imagination après coup d’un mouvement préalablement observé, lorsque celui-ci est exécuté par un expérimenta-teur plutôt que par un stimulus virtuel. Des résultats inver-ses ont été par contre observés chez le sujet sain. Les

Figure 1 Stimuli visuels utilisés dans une expérience sur la perception du mouvement biologique chez le patient schizophrène. À gauche la séquence de mouvement biologique (biological motion) ; à droite la séquence désorganisée correspondante (scrambled motion) (adapté de [14]).

Mouvementbiologique

Mouvementnon biologique

Figure 2 Tâche de coordination sensori-motrice intentionnelle. A) Deux individus se font face et doivent réaliser des mouvements oscillatoires continus, de bas en haut, l’un étant le modèle et l’autre essayant de le suivre. B) Tracés cinématiques représentatifs des mouvements de chaque individu (adapté de [21]).

Participant BParticipant A

Trajectoiredu participant A

Trajectoiredu participant B

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pouvant être qualifiée de « non-biologique » car sa trajec-toire ne comporte pas toutes les phases d’accélération, ralentissement qui caractérise un mouvement réalisé par un humain. Ces résultats sont donc interprétés comme un effet facilitant du mouvement biologique sur les capacités de coordination visuo-motrice spontanée chez le sujet sain [4].

Le protocole « dynamique des coordinations sociales » pour les études du patient schizophrèneNous avons donc choisi de nous inspirer de cette étude [4] pour élaborer un nouveau paradigme expérimental chez le patient schizophrène afin d’explorer l’influence du mouve-ment biologique sur les capacités de coordination visuo-motrice de ce dernier. Notre but est, à terme, d’employer notre méthodologie afin d’apporter un éclairage nouveau sur l’une des composantes des troubles des interactions sociales classiquement observés chez le schizophrène notamment à travers sa composante sensori-motrice qui dans ce contexte est pour l’instant très peu considérée [1]. Pour ce faire, nous avons manipulé le « caractère biologi-que de la cible ».

Ce type de tâches n’ayant jamais été appliqué aux étu-des sur les patients schizophrènes, nous détaillerons main-tenant notre méthodologie.

Le dispositif expérimental

Le dispositif expérimental que nous avons utilisé est repré-senté sur la figure 3. Les participants (schizophrènes et contrôles) sont assis à une table. Ils font face à un grand drap noir qui sépare la pièce dans laquelle se déroule l’ex-périence en deux parties. Ce drap ne permet pas au sujet de voir l’équipement informatique et électronique qui sera utilisé pour lui délivrer des stimulations visuelles et pour enregistrer ses mouvements (Fig. 3).

Les sujets portent sur les oreilles un casque actif élimi-nant le bruit à basse fréquence environnant tout en per-mettant une communication verbale normale entre le sujet et l’expérimentateur. À l’autre bout de la table à environ 30 cm du doigt et à la même hauteur que la main du sujet est disposée une cible (Fig. 3). Cette cible est un élément mobile effectuant des mouvements oscillatoires continus de haut en bas et de bas en haut. Il s’agit soit d’une image animée sur un écran (bille ou main, que cette dernière soit modélisée ou filmée) soit d’une vraie main (celle de l’expé-rimentateur). Dans ce dernier cas, le drap noir permet seu-lement au sujet de voir la main gantée de l’expérimentateur mais aucune autre partie de son corps.

Les participants ont pour instruction de suivre les mouve-ments de bas en haut de la cible à l’aide de leur index droit tendu en extension (c’est-à-dire avec les articulations inter-phalangiennes proximale et distale en extension) en effec-tuant des mouvements de flexion-extension de l’articulation métacarpophalangienne les plus continues possible. Il ne s’agit pas d’une tâche de tapping dans la mesure où l’index ne touche pas la table, il est déplacé sans contact de sa partie inférieure avec la table ou tout autre objet. La tâche

Cette variable permet ainsi de mesurer la dynamique de la coordination dynamique entre les deux individus [21].

On peut également remplacer l’une des deux mains par une cible mobile (comme par exemple une bille bougeant de haut en bas sur un écran d’ordinateur, ou un avatar), et ainsi mesurer la capacité de synchronisation sensorimotrice d’un individu avec un mouvement préalablement choisi et dont les caractéristiques sont complètement contrôlées.

Du type de consigne et des possibilités d’interaction entre les deux mouvements découlent alors plusieurs domai-nes d’investigation.

Si l’on demande explicitement à l’un des individus de suivre le mouvement d’un autre individu ou d’une cible, on étudie alors sa capacité à coordonner de façon visuelle et intentionnelle son mouvement avec le mouvement de l’in-dividu ou de la cible qui est face à lui. Il est fait en sorte, par exemple, que l’individu qui lui fait face ait un mouve-ment indépendant dont la fréquence est déterminée par un métronome que lui seul entend. Il a été montré par ce type de protocole que plus la fréquence augmente plus il est difficile pour un sujet sain de se coordonner intentionnelle-ment [11].

En revanche, si l’on demande aux individus de bouger leur index, chacun à son propre rythme, le plus régulière-ment possible alors qu’ils partagent de l’information visuelle avec le mouvement de l’individu ou d’une cible qui leur fait face, on mesurera alors sa tendance spontanée à coordonner son mouvement avec un autre mouvement puisqu’aucune indication n’est donnée quant à la poursuite intentionnelle de la cible ou du mouvement de l’autre.

Avec ce type de protocole issu de la dynamique des coordinations sociales (social coordination dynamics) il a été montré que deux individus ont tendance à se coordon-ner spontanément, quelles que soient leurs fréquences « propres » (ou intrinsèques) de départ, lorsqu’on leur per-met d’échanger des informations visuelles [22, 24].

Parmi les tâches évaluant les capacités de synchronisa-tion spontanées d’un individu, une étude a particulière-ment attiré notre attention en proposant différents types de stimuli visuels dynamiques.

Dans la tâche expérimentale développée par l’un de nous [4], il est demandé aux participants de faire des mou-vements réguliers et continus de flexion/extension de l’in-dex au rythme qui leur est le plus naturel. Puis après 15 secondes, une séquence animée apparaît sur un écran situé en face d’eux, avec un mouvement d’une fréquence 10 % plus élevée ou 10 % plus faible que celle initialement adoptée par le sujet. La séquence animée présentée visuel-lement au sujet sur l’écran est soit une bille animée par un mouvement sinusoïdal parfait, soit la vidéo préenregistrée d’une vraie main.

Les résultats de cette expérience montrent que la coor-dination visuo-motrice spontanée du sujet sain est meilleure dans la condition « vraie main filmée » qu’avec la condition « bille » ayant une trajectoire oscillatoire comparable. Ces deux types de stimuli visuels dynamiques diffèrent entre autres par les caractéristiques cinématiques de leur mouve-ment : l’un, généré par un organisme vivant (un humain) peut être par conséquent qualifié de « biologique », l’autre

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mouvement [11]. Cette stabilité, qui s’avère être un fac-teur discriminant de la performance motrice, diminue généralement alors que la fréquence augmente. Pour faire varier ce degré de stabilité de façon indépendante de la nature de la cible, chaque stimulus visuel peut être mû à plusieurs fréquences d’oscillations, généralement entre 0,5 et 3 Hz.

Les quatre stimuli visuels (représentant nos variations de la nature de la cible) sont des cibles oscillant à la fré-quence choisie, et se distinguent à la fois par leur forme visuelle (bille ou main) et par la nature de leur trajectoire (biologique ou non) (Fig. 4).

Comme illustré sur la figure 4, les cibles utilisées sont les suivantes :

bille• : la cible B (pour bille) est une bille blanche qui oscille de haut en bas. Sa trajectoire non-biologique est une sinusoïde parfaite d’amplitude constante. Cette cible est présentée sur un écran ;modèle• : la cible M (pour modèle) est une modélisation tridimensionnelle d’une main gantée blanche (main droite) qui est dans une position semblable à la main du sujet (face à elle). L’index de la main virtuelle bouge de haut en bas, son extrémité ayant une trajectoire non-bio-

du sujet sera donc d’effectuer une synchronisation visuo-motrice intentionnelle « en phase » avec les mouvements de la cible (i.e. quand la cible va vers le haut, le sujet doit aller vers le haut). Les mouvements du sujet doivent être les plus précis possible par rapport à la cible tant au niveau de la précision de la trajectoire que de sa fréquence [5].

Variables et conditions expérimentales

Variables indépendantesDeux variables indépendantes sont manipulées dans l’ex-périence :

la nature de la• trajectoire de la cible visuelle dont le sujet doit suivre le mouvement (deux niveaux : mouve-ment biologique et mouvement non biologique). Ces tra-jectoires seront présentées à travers quatre types de cibles (Fig. 4) ;la • fréquence d’oscillation de ce stimulus.

En effet, il a été montré que la valeur de la variabilité (qui est une mesure de la stabilité) de la coordination sen-sorimotrice rythmique chez les personnes saines est modu-lée, voire modifiée qualitativement, par la fréquence de

Figure 3 Dispositif expérimental utilisé dans nos études. Il permet d’enregistrer la cinématique des mouvements d’un sujet qui a pour tâche de se coordonner de manière intentionnelle avec les mouvements d’une cible présentée sur un écran d’ordinateur ou d’une cible « réelle », i.e. la main d’une autre personne.

Cinématiquede l’expérimentateurenregistrée grâce à unélectro-goniomètre

Biopac MP-150Carte d’acquisition

des données

Transmissiondes données

vers le logicield’acquisition

Synchronisationdes cibles virtuellesavec l’acquisition

des données

Acknowledge 3.9Logiciel d’acquisition

des données

Générationdes cibles virtuelles

Transmissionde la ciblevirtuelle

vers l'écran

Expérimentateur

Cible réelle

Cibleinformatique(présentée

sur un écrand’ordinateur)

ou

Patient

Drap noir séparantle dispositif d’acquisition

des données etl’expérimentateur

du patient

Cinématique du patientenregistrée grâce à unélectro-goniomètre

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Variables dépendantes cinématiques

Sur l’index du sujet (recouvert du gant blanc) est positionné un électro-goniomètre (Biometrics® ; Fig. 3) permettant d’enregistrer la cinématique du doigt dans le plan sagittal. Pour les cibles « bille » et « modèle », la trajectoire sinu-soïdale a été construite à l’aide d’une fonction mathémati-que. Pour les cibles « vidéo » et « humain », la trajectoire de la cible est un enregistrement du mouvement de l’expé-rimentateur, avant (V) ou pendant (H), l’essai expérimental à l’aide d’un deuxième électro-goniomètre placé sur le doigt de ce dernier.

Le pourcentage de recouvrement fréquentielLe pourcentage de recouvrement fréquentiel (ou PSO pour Power Spectrum Overlap), est une mesure introduite par l’un d’entre nous qui permet de comparer la fréquence du stimulus à celle du mouvement du patient (voir [20] pour les coordinations entre un individu et son environnement physique et [24] pour le cas des coordinations interperson-nelles ; Fig. 5).

Le PSO présente l’avantage, par rapport à des mesures de corrélation, de donner un pourcentage de « similitude » entre le mouvement du patient et celui de la cible (humaine

logique sinusoïdale parfaite d’amplitude constante (6 cm) identique à celle de la cible B. Cette cible est présentée sur un écran ;vidéo• : la cible V (pour vidéo) est une séquence vidéo (enregistrée avant l’expérience) du mouvement de l’index de l’expérimentateur qui porte un gant blanc. Afi n de réa-liser le mouvement aux fréquences souhaitées l’expéri-mentateur a bénéfi cié d’une cible visuelle à suivre pendant la réalisation de l’enregistrement vidéo. La trajectoire de l’index droit de l’expérimentateur a été capturée et les données ont ensuite été utilisées comme trajectoire de cible pour l’analyse. La trajectoire de V est donc biologi-que et présentée sur un écran.humain• : la cible H (pour humain) est en fait la véritable main gantée de blanc de l’expérimentateur qui remplace l’écran (utilisé pour présenter les trois autres cibles) dans le trou du drap noir séparant la cible du sujet (Fig. 2). L’expérimentateur ne voit pas les mouvements de la main du sujet et suit une cible visuelle que lui seul peut voir afi n d’osciller à la fréquence voulue. Dans cette condi-tion, aucune information concernant la trajectoire du sujet n’est donc transmise à l’expérimentateur visuelle-ment ou par quelque autre moyen.

Figure 4 Les différents types de cibles présentées au sujet afi n qu’il suive leur trajectoire avec son index.Deux types de mouvements et donc de trajectoires pour les cibles à suivre : biologique (bleue) et non-biologique (rouge). Les trajectoires représentées au-dessus sont les trajectoires des cibles et celles en dessous des exemples d’enregistrement représentant des trajectoires réelles de l’index de patient.

Cibles virtuelles(présentées sur un écran d’ordinateur)

B-Bille M-Modèle V-Vidéo

H-Humain

Cibles réelles(main de l’expérimentateur

en direct)

Dép

lace

men

tde

la c

ible

(cm

)

Mou

vem

ent

du p

atie

nt(c

m)

Temps (s)

Mou

vem

ent

del’

expé

rim

enta

teur

(cm

)

Mou

vem

ent

du p

atie

nt(c

m)

Trajectoires biologiques de la cible

5– 5

5

0

6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

5– 5

5

0

6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

Temps (s)

Trajectoires sinusoïdales de la cible

5– 5

5

0

6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

5– 5

5

0

6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

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Dynamique des coordinations sensorimotrices interpersonnelles chez les patients schizophrènes… S107

l’on retrouve dans cette pathologie, indépendamment de l’influence du mouvement biologique (cf. partie 1).

De plus, concernant les différences de capacité de syn-chronisation visuo-motrice selon les cibles utilisées, chez le sujet sain, notre étude préliminaire retrouve dans une tâche intentionnelle des résultats similaires à l’une de nos études [4]. La coordination visuo-motrice chez le sujet sain est facilitée par des cibles de mouvement biologique (vidéo et humain). En revanche, les participants schizophrènes mon-trent des résultats inverses. Leurs capacités de synchronisa-tion visuo-motice sont meilleures avec les cibles de mouvement non-biologique qu’avec les cibles de mouve-ment biologique. Cette différence est particulièrement intéressante à prendre en compte si l’on considère par ailleurs le dysfonctionnement social caractéristique de la schizophrénie. Des troubles sensori-moteurs spécifiques liés à la perception et à l’exécution d’un mouvement biologique pourraient ainsi participer aux difficultés rencontrées chez le patient schizophrène dans les interactions sociales.

Comme nous l’avions supposé à travers l’étude de la dynamique des coordinations sensorimotrices chez le sujet sain, ce type d’approche peut donc s’avérer d’un apport expérimental extrêmement pertinent pour appréhender les troubles présents dans la schizophrénie.

Nos études utilisent une méthode d’évaluation quanti-tative et qualitativement rigoureuse, qui se révèle applica-ble aux participants schizophrènes. Elle permet, au-delà de la mise en évidence de troubles sensorimoteurs généraux, de faire une analyse fine pour préciser le degré de troubles rencontré en fonction des différentes conditions. Notre méthode permettra aussi de confronter le ressenti des

ou virtuelle) qui comprend l’ensemble des harmoniques des mouvements dans le spectre des fréquences.

La phase relative entre le mouvement du patient et celui de la cibleLa précédente variable (i.e. le pourcentage de recouvre-ment fréquentiel) permet de comparer les fréquences d’os-cillation de la cible et celles des mouvements du sujet. Toutefois, si l’information fréquentielle fournie est perti-nente, la PSO ne permet pas de savoir si le sujet répond totalement aux consignes. En effet, un PSO peut être élevé alors qu’il y a un décalage d’un demi-cycle entre le mouve-ment du patient et celui de la cible, et de fait, la tâche de poursuite de cible n’est pas effectuée correctement. Elle est précise dans le domaine fréquentiel mais pas dans le domaine spatial (Fig. 6).

La phase relative est une variable qui compresse plu-sieurs informations (notamment l’information relative à la position et la vitesse de chaque composant ; par composant nous entendons sujet et cible) et qui résume ainsi instanta-nément l’état organisationnel du système étudié et sa dynamique spatio-temporelle.

Conclusions et perspectives

Des résultats préliminaires ont été obtenus à partir de ce protocole expérimental [17]. Ces résultats montrent tout d’abord que les patients schizophrènes sont globalement plus en difficultés que les sujets sains pour réaliser cette tâche expérimentale spécifique. Ce résultat pourrait notamment s’expliquer par les troubles de coordination visuomotrice que

Figure 5 Pourcentage de recouvrement fréquentiel (adapté de [24 et 25]).

Trajectoiredu mouvement del’expérimentateur

+

=

Trajectoiredu mouvement

du patient

Fréquence (Hz)

Fréquence (Hz)

Puis

sanc

edu

spe

ctre

de F

ouri

er

1 1,81,71,61,51,41,31,21,1

Pourcentagede recouvrement fréquentiel

= Proportion de l’airede référence (100 %) commune

aux intégrales des deux spectres(expérimentateur et patient)

Recouvrementfréquentiel

Aire de référence= somme des deux

intégrales= 100 %

Puis

sanc

edu

spe

ctre

de F

ouri

er

1 1,81,71,61,51,41,31,21,1

Puis

sanc

edu

spe

ctre

de F

ouri

er

1 1,81,71,61,51,41,31,21,1

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Enfin, nous proposons une analyse en temps réel et non a posteriori (contrairement à [2 et 14]), sans faire appel au jugement subjectif du sujet rapporté verbalement.

Ce type d’approche pourrait offrir de nombreuses pers-pectives de recherche, une fois nos résultats confirmés sur un plus large échantillon. On peut aussi imaginer l’intérêt d’une évaluation concomitante neurophysiologique comme cela a déjà été montré dans le cadre de la dynamique des coordinations sociales [25, 29].

un autre aspect que nous développons à l’heure actuelle est la manipulation de la possible influence réciproque entre la cible et le sujet afin d’appréhender la question de l’inter-subjectivité. À ce sujet le dispositif que l’un de nous a déve-loppé avec son équipe de recherche [12] nommé « VPI » (Virtual Partner Interaction ; partenaire virtuel d’interac-tion) nous permet, dans une étude en cours, non seulement

patients sur leur comportement sensorimoteur à une véri-table mesure cinématique et ainsi de s’affranchir des limi-tes inhérentes aux techniques de verbalisation et de rendu subjectif que l’on retrouve dans certaines études sur la schizophrénie [14].

Nous pouvons ainsi envisager le développement de nou-velles cibles pour affiner nos résultats ou faire de nouvelles hypothèses.

Cette évaluation ne passe pas par le biais d’un expéri-mentateur (contrairement par exemple à des travaux sur l’imitation au niveau statique chez les sujets schizophrènes [27] ; ou des tests de dextérité motrice [19]). Elle prend en compte non seulement des données temporelles, mais éga-lement des données spatiales (contrairement à [2 et 27] qui ne prennent en compte que des données spatiales non dynamiques).

Figure 6 Calcul de la phase relative. A) Trajectoires et détection des extrema (pics et vallées). B) Formule mathématique de l’estimation par point de la phase relative [30]. Deux exemples théoriques de signaux sinusoïdaux et de leurs décalages de phase représentés sur un cercle trigonométrique pour une phase relative de 0 (C) et de 180° (D) (adapté de [11, 16]).

T0T1 = cycle de référence= 360° = 2π radians

T0T2 = décalage spatio-temporel entrela cible et la trajectoire de la main

Trajectoirede la ciblesur l’écran

T0

T0 T2

T1 T5

T5 T7

T6

Trajectoiredu mouvement

du patient

φrel = 20°(1/18e de cycle de décalage

entre les oscillateurs)

φrel = 180°(1/2 cycle de décalageentre les oscillateurs)

φrel = =phase relative(en degrés)

T0 T2 x 360T0 T1

A

B

C

D

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Enfin il serait pertinent d’évaluer le potentiel d’appren-tissage de nos sujets par une évaluation de l’influence de l’entraînement. Dans cette perspective, l’hypothèse de développement de techniques de remédiation cognitive mérite d’être explorée et constitue notre troisième axe de travail. L’essentiel est, au final, d’améliorer la vie quoti-dienne des patients souffrant de schizophrénie en appor-tant des éléments de compréhension novateurs quant aux problèmes d’interactions sociales inhérents à cette patho-logie grâce à une approche interdisciplinaire mêlant psy-chiatrie, neurosciences, sciences du mouvement humain, psychologie et dynamique des coordinations sociales [16].

Remerciements

Nos travaux ont reçu le soutien du Programme CNRS « Neuroinformatique » (O.O.) et des NIH Grant MH080838, NSF Grant BCS0826897 et uS ONR N000140510117 (J.A.S.K.).

Déclarations d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

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