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JL 05-06 –2 PC F:\Documents and Settings\Julien\Mes documents\Chimie\chimie cours\cours orga 2006\O3B - réactivité 2006v4.doc 15/02/2006 12:07 CHAPITRE O3 DYNAMIQUE RÉACTIONNELLE Partie B – contrôle cinétique Application à la réaction de Diels-Alder La connaissance de l’état de transition dans un processus réactionnel est indispensable pour pouvoir déterminer les facteurs qui agissent sur la vitesse de la réaction chimique. Comme l’état de transition est par nature inobservable, les chimistes ont développé de multiples outils pour modéliser l’évolution des réactifs vers les produits. Nous développerons successivement le postulat de HAMMOND et le contrôle orbitalaire des réactions, dans la méthode des orbitales frontières. Tout ce qui va suivre repose, bien entendu, sur une analyse cinétique de l’évolution du système. Toutes ces notions sont abordées sur l’exemple de la réaction de DIELS-ALDER dont le 75 ème anniversaire a été célébré en 2003.

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JL 05-06 –2 PC

F:\Documents and Settings\Julien\Mes documents\Chimie\chimie cours\cours orga 2006\O3B - réactivité 2006v4.doc 15/02/2006 12:07

CHAPITRE O3

DYNAMIQUE RÉACTIONNELLE

Partie B – contrôle cinétique Application à la réaction de Diels-Alder

La connaissance de l’état de transition dans un processus réactionnel est indispensable pour pouvoir déterminer les facteurs qui agissent sur la vitesse de la réaction chimique. Comme l’état de transition est par nature inobservable, les chimistes ont développé de multiples outils pour modéliser l’évolution des réactifs vers les produits. Nous développerons successivement le postulat de HAMMOND et le contrôle orbitalaire des réactions, dans la méthode des orbitales frontières.

Tout ce qui va suivre repose, bien entendu, sur une analyse cinétique de l’évolution du système.

Toutes ces notions sont abordées sur l’exemple de la réaction de DIELS-ALDER dont le 75ème anniversaire a été célébré en 2003.

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2 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

1. POSTULAT DE HAMMOND

1.1. Énoncé

C’est en 1954 dans un article du Journal of American Chemical Society, que George S. HAMMOND, chimiste américain, énonça le postulat qui porte son nom. Avec celui-ci nous disposons d’une méthode d’accès à l’état de transition d’une réaction élémentaire, pour peu que nous ayons une idée approximative de sa position sur le chemin réactionnel par rapport aux réactifs et aux produits.

Postulat de H AMMOND

Si deux états successifs sur le chemin réactionnel sont proches en énergie, leur interconversion ne demande qu’une fai ble modification de structure.

1.2. États de transition tardif et précoce

Si l’état de transition est plus proche des réactifs que des produits sur le chemin réactionnel, situation qui est observée quand la réaction est exergonique ( *

r 0G∆ < ), il ressemble, du point de vue structural, davantage aux réactifs qu’aux produits. Les réactifs de départ peuvent alors servir de modèle pour l’état de transition et nous pouvons étudier la réaction en raisonnant sur la structure des réactifs : l’état de transition est dit précoce [figure O3B.1.a].

∆ rG*‡

produits

réactifs

(b) : état de transition tardif

∆rG *

état detransition

produits

(a) : état de transition précoce

∆rG *‡

Gm*

réactifs

∆rG*

état detransition

Gm*

Figure O3B.1 – Diagrammes d’enthalpie libre molaire de référence

En revanche, si l’état de transition est plus proche des produits que des réactifs, il ressemble aux produits de la réaction, qui peuvent donc lui servir de modèle. Nous

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 3

rencontrons notamment cette situation lorsque la réaction est fortement endergonique ( ∆ rG

* > 0), en particulier lorsqu’il se forme un intermédiaire réactionnel de haute énergie. Dans cette circonstance, l’enthalpie libre de référence de la réaction — grandeur thermodynamique — et l’enthalpie libre d’activation de référence — grandeur cinétique — ont des valeurs très proches. L’état de transition est dit tardif [figure O3B.1b].

La situation la plus difficile est celle où l’enthalpie libre de référence de la réaction est faible en valeur absolue. Dans ce cas, l’état de transition ressemble à la fois aux réactifs et aux produits et il est difficile de prévoir sa structure.

Nous allons considérer deux exemples de réactions complexes, étudiées en première année, où nous appliquerons le postulat de HAMMOND à l’étape cinétiquement la plus difficile. � REMARQUE : les méthodes de calcul actuelles permettent, comme nous le

verrons au cours de l’étude de la réaction de DIELS-ALDER, de calculer avec une bonne précision les caractéristiques géométriques et, parfois même, énergétiques de l’état de transition.

1.3. Addition électrophile ionique sur les alcènes

L’addition électrophile ionique de bromure d’hydrogène sur un alcène dissymétrique présente en général une très forte régiosélectivité. Nous avons appris en première année que le mécanisme schématique de la réaction faisait intervenir la formation d’un carbocation et que le produit majoritaire était celui qui correspondait au carbocation le plus stable. À l’aide du postulat de Hammond, nous allons pouvoir préciser cette affirmation.

Considérons l’addition de bromure d’hydrogène sur le 2-méthylbut-2-ène. Deux bromoalcanes peuvent être a priori obtenus, le 2-bromo-2-méthylbutane, noté A, et le 2-bromo-3-méthylbutane B. L’expérience montre que le produit de réaction est pratiquement constitué de A pur, souillé de traces de B. Le mécanisme de la réaction est rappelé figure O3B.2.

H Br

H3C

C C

CH3H3C

HH

C C

CH3

HH3C

H3C

Br

HBr

A E

C C

CH3H3C

HH3C

HC C

CH3

H3C HBr

H3CH

Br

B, racémique

AkA

kB

IA

IB

Figure O3B.2 – Mécanisme schématique de l’addition électrophile ionique de HBr

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4 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

L’étape cinétiquement déterminante, la plus difficile, est la formation de l’ion carbénium.

Le diagramme d’enthalpie libre molaire de référence correspondant est tracé sur la figure O3B.3. Il se lit des réactifs vers les produits, donc du centre vers la droite (vers A) ou du centre vers la gauche (vers B).

Gm*

TA1‡

∆rGA1*‡

TA2‡

TB1‡

TB2‡

∆ rGB1*‡

IB

IA

réactifs

B A

∆ rGA1*

∆rGB1*

Figure O3B.3 – Diagramme d’enthalpie libre molaire de référence pour l’addition de HBr sur un alcène

L’évolution du système ne peut être que sous contrôle cinétique puisque, dans les conditions de la réaction, les réactions opposées sont très difficiles. En outre le calcul montre que les proportions de A et de B seraient différentes si l’équilibre thermodyna-mique était établi. Le produit A est donc majoritaire parce qu’il est le plus vite formé.

Les vitesses de formation des produits sont égales aux vitesses de formation des intermédiaires, dans l’approximation de l’étape cinétiquement limitante. Nous pouvons donc écrire que le rapport des quantités de A et de B est égal à celui des constantes de vitesse de formation des ions carbénium AI

⊕ et BI⊕ :

*‡ *‡A A r A1 r B1

B B

expc k G G

c k RT

∆ − ∆= = −

Le postulat de HAMMOND appliqué à la première étape, fortement endergonique puisqu’elle voit la formation d’un intermédiaire réactionnel de haute énergie à partir de molécules stables, permet d’affirmer que l’état de transition qui conduit à l’ion carbénium ressemble à ce dernier. Le cation AI

⊕ est tertiaire, donc plus stable que le cation secondaire BI

⊕ . Par conséquent, le niveau de l’état de transition ‡A1T est plus

bas que celui de ‡B1T et la réaction de formation de AI

⊕ est plus facile que celle de BI⊕ .

Ainsi, compte tenu de la relation précédente, A est majoritaire devant B.

Nous justifions ainsi la règle de MARKOVNIKOFF généralisée que nous avions admise en première année : le produit majoritaire dans une addition électrophile ionique sur un alcène correspond à la formation du cation intermédiaire le plus stable. � REMARQUE : d’un point de vue quantitatif, l’analyse précédente revient à dire

que la différence des enthalpies libres de référence d’activation est très voisine de

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 5

la différence des enthalpies libres de référence de formation des deux intermédiaires à partir des réactifs :

( ) ( )*‡ *‡ * *r A1 r B1 r A1 r B1G G G G∆ − ∆ ≈ ∆ − ∆

NOTE : signalons quand même que de nombreuses réactions d’addition électrophile de ce type, même si elles suivent pas un mécanisme ionique, ne font pas intervenir de cation intermédiaire et donnent lieu à une régiosélectivité fortement dépendante du solvant…

1.4. Addition électrophile radicalaire sur les alc ènes

Nous savons que l’addition électrophile de bromure d’hydrogène sur un alcène, dans des conditions de réaction radicalaire c’est-à-dire en présence de peroxydes (ou, plus généralement, de précurseurs de radicaux) et dans un solvant apolaire, se caractérise par la régiosélectivité inverse de celle observée pour l’addition électrophile ionique. Par exemple, la réaction entre le bromure d’hydrogène et le 2-méthylbut-2-ène conduit majoritairement au 2-bromo-3-méthylbutane B. Le mécanisme communément admis [figure O3B.4] fait intervenir une réaction en chaîne avec, pour étapes de propagation, l’addition électrophile d’un atome de brome (le centre actif) et la réaction du radical obtenu avec une molécule de bromure d’hydrogène pour conduire au produit et à la régénération du centre actif.

H3C

C C

CH3H3C

BrH

C C

CH3

HH3C

H3C

Br

H

Br

A E

C C

CH3H3C

HH3C

Br

C C

CH3

H3C HBr

H3CH

B, racémique

A

k'A

k'B

IA

IB

H Br

H Br

− Br

− Br

Figure O3B.4 – Mécanisme schématique de l’addition radicalaire de HBr

L’analyse montre que l’évolution du système est sous contrôle cinétique. Il serait alors tentant d’appliquer le raisonnement précédent, sachant que le radical secondaire AI

• est moins stable que le radical tertiaire BI

• .

L’expérience permet de montrer que la stabilité des différents radicaux n’a pratiquement aucune influence sur la distribution des produits. En effet, la réaction de formation des radicaux à partir des réactifs est ici fortement exergonique (un calcul fondé sur des valeurs d’enthalpies molaires standard de dissociation de liaisons montrerait que la réaction est exothermique, ce qui contribue au caractère exergonique) et les états de transition, d’après le postulat de HAMMOND, ressemblent très peu aux radicaux formés, mais essentiellement aux réactifs. Si nous raisonnons sur l’état initial, nous pouvons interpréter la régiosélectivité par des effets d’origine stérique : l’atome de brome, relativement volumineux, attaque plus facilement le site le plus dégagé de la molécule.

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6 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

2. ÉTUDE DES ACTES ÉLÉMENTAIRES À ÉTAT DE TRANSITION PRÉCOCE

2.1. Contrôle de charge et contrôle orbitalaire

Plaçons-nous désormais dans le cas d’un système cinétiquement contrôlé, pour lequel plusieurs évolutions à partir d’un réactif sont possibles. Supposons que l’étape cinétiquement la plus difficile est suffisamment peu endergonique pour que nous puissions considérer que l’état de transition est précoce et ressemble aux réactifs. Nous nous intéressons par conséquent au tout début du chemin réactionnel, en supposant que l’évolution du système est déterminée par les phénomènes initiaux [figure O3B.5].

Cette approximation est validée par de nombreux résultats expérimentaux. Elle revient à considérer que deux chemins réactionnels ne se croisent pas avant le point de selle, situation qui est très souvent observée dans le modèle que nous avons choisi, où les états de transition sont précoces. Tout ce qui a lieu après l’état de transition n’a plus d’importance, si l’évolution du système est bien sous contrôle cinétique.

E

CR

réactifs

TA‡

TB‡

zone du chemin réactionneloù se décide l'orientation

Figure O3B.5 – Diagramme énergétique pour un processus à état de transition précoce

Lorsque deux molécules se rapprochent, l’énergie potentielle du système augmente, comme le montre le diagramme énergétique ci-dessus. Nous pouvons arbitrairement décomposer l’énergie d’interaction en une somme de trois termes :

un terme représentant l’influence éventuelle du solvant,

un terme d’interaction coulombienne, lié aux attractions et répulsions entre sites chargés,

un terme dû au transfert électronique entre les deux molécules, résultant du recouvrement de leurs orbitales moléculaires. � REMARQUE : nous supposerons en général que l’influence du solvant est faible. Pour cela, le cas idéal est d’étudier des réactions en phase gazeuse. Si malgré tout nous travaillons en solution, nous négligerons l’intervention du solvant, ou nous admettrons que l’influence du solvant est la même pour les deux processus compétitifs que nous étudions.

Nous pouvons alors distinguer deux cas limites :

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 7

si le terme coulombien est prédominant, situation que nous pouvons rencontrer en particulier quand les espèces qui interagissent sont chargées, nous dirons que l’évolution du système est sous contrôle de charge.

si le terme coulombien est négligeable, c’est le terme orbitalaire qui l’emporte et l’évolution du système sera dite sous contrôle orbitalaire.

Très souvent, dans le cours de PCSI, nous avons implicitement raisonné en termes de contrôle de charge. Par exemple, lors de l’action d’un organomagnésien sur un composé carbonylé, nous avons fait attaquer l’organométallique par son atome de carbone, à caractère négatif, sur l’atome de carbone du groupe carbonyle, à caractère positif. Comment alors expliquer le résultat suivant, où le tert-butyllithium – réactif nucléophile – a manifestement attaqué l’atome d’oxygène, a priori le plus électronégatif ?

C

O

Ph

PhPh

Ph 1) Me3C Li

2) I CH3

C

O

Ph

Ph

Ph

C(Me)3

H3C

Ph

racémique

Nous verrons qu’un contrôle orbitalaire permet d’expliquer cette réaction, bien surprenante au premier abord.

2.2. Contrôle orbitalaire � ou bien se trouve être de même valeur pour les deux processus comparés

Nous nous plaçons désormais dans un modèle où le terme coulombien est négligeable �. Pour cela, il nous suffit de mettre en œuvre des espèces neutres, pour des processus qui ne font apparaître ni espèces chargées ni séparation de charges lors de la formation de l’état de transition et des produits. La réaction de DIELS-ALDER évoquée au début de ce chapitre et sur laquelle nous revenons en détail dans la section finale, en est un excellent exemple. Le terme d’interaction orbitalaire peut être scindé en deux : un premier terme qui représente les interactions entre les électrons des niveaux peuplés de chacune des molécules et un second terme qui caractérise les interactions entre niveaux peuplés d’une molécule et niveaux vacants de l’autre. � On peut dé-

montrer, et nous l’admettrons, que ce que l’on appelle « l’empêchement stérique » est inclus dans le terme de répulsion.

C’est le premier terme qui est le plus important en valeur absolue. Nous savons [chapitre 2] que les interactions [2 centres, 4 électrons] sont des interactions défavorables. Ce terme contribue donc à la répulsion des molécules et constitue l’essentiel de l’enthalpie de référence d’activation de la réaction �. Pourtant ce terme est rarement décisif pour la réactivité différentielle sur deux processus comparables, ce qui est fondamentalement l’objet de notre étude : en effet, il prend en général des valeurs voisines pour les deux chemins réactionnels. Nous pouvons donc l’ignorer et ne considérer que l’énergie d’interaction entre les niveaux peuplés et les niveaux vacants.

ATTENTION ! Pour que cette approximation soit réaliste, il faut comparer des processus analogues, par exemple deux évolutions de réactifs selon des chemins

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8 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

comparables, mettant en jeu le même type et le même nombre de créations et de ruptures de liaisons.

Il est par exemple exclu de comparer, dans ce modèle, substitution et élimination sur un halogénoalcane. En revanche, deux processus d’élimination conduisant à deux alcènes isomères pourraient être étudiés.

3. MÉTHODE DES ORBITALES FRONTIÈRES

3.1. Cadre de l’étude

Précisons à nouveau le modèle de raisonnement : nous envisageons l’évolution d’un système sous contrôle cinétique, selon deux chemins réactionnels analogues, pour lesquels les états de transition sont précoces et où le terme d’interaction coulombienne est négligeable (ou bien pour lesquels les deux termes coulombiens sont très voisins). Nous nous intéressons exclusivement à la réactivité différentielle, c’est-à-dire à la différence des paramètres d’activation et non à leurs valeurs intrinsèques.

3.2. Règle de F UKUi � Kenichi FUKUI, chercheur japonais, né en 1920, prix NOBEL de Chimie en 1981 (partagé avec R. WOODWARD) pour « sa théorie sur le cours des réactions chimiques ».

Nous devons comparer les termes énergétiques correspondant aux interactions entre les niveaux peuplés d’un réactif et les niveaux vacants de l’autre. La méthode des orbitales frontières, introduite par K. FUKUI � en 1952, consiste à ne prendre en compte que l’interaction d’un nombre extrêmement limité d’orbitales moléculaires, à savoir la BV et la HO de chacun des réactifs. L’expérience montre que les prévisions qualitatives sont exactes dans plus de 80 % des cas. L’avantage de la méthode des orbitales frontières est la simplicité de sa mise en œuvre : elle ne nécessite pas d’informatique lourde pour des prévisions purement qualitatives.

NOTE : l’étude théorique complète montre que cette approximation est mathématiquement indéfendable puisqu’elle ne garde que les termes principaux et néglige des termes du même ordre de grandeur. En revanche, si l’on s’intéresse à ce qui se passe au voisinage de l’état de transition, les termes négligés sont du second ordre par rapport à ceux que l’on garde.

Nous nous intéressons au recouvrement d’une orbitale moléculaire Aϕ du réactif A avec une orbitale moléculaire Bϕ de l’autre réactif B, afin de modéliser le transfert électronique entre A et B.

La première condition à remplir est de nature géométrique : l’intégrale de recouvrement ABS ne doit pas être nulle. Pour cela, il faut tout d’abord que les deux orbitales moléculaires aient le même comportement vis-à-vis des opérations de symétrie qui laissent inchangé le système.

Nous avons vu au chapitre O2 que l’étude de l’interaction de deux orbitales dégénérées était particulièrement simple : nous obtenions deux nouvelles orbitales moléculaires, l’une stabilisée en énergie, l’autre déstabilisée. Nous avons alors montré qu’une interaction à deux centres et à deux électrons se traduisait par la stabilisation du système.

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 9

Dans le cas de l’interaction de deux orbitales non dégénérées, le résultat est comparable : nous obtenons deux nouvelles orbitales moléculaires 1Ψ et 2Ψ , la première stabilisée et la seconde déstabilisée. Le calcul montre alors que le gain de stabilité est plus faible. Par ailleurs, les coefficients des orbitales de base ne sont plus égaux en valeur absolue car nous avons perdu la symétrie du système [figure O3B.6].

L’orbitale 1Ψ ressemble plus à Bϕ qu’à Aϕ . A la limite, si l’écart énergétique est très élevé, 1Ψ se confond pratiquement avec Bϕ et 2Ψ avec Aϕ , ce qui signifie qu’il n’y a plus d’interaction.

Le diagramme d’énergie correspondant est présenté sur la figure O3B.6.

E1

ϕB

ϕA

E

OM lianteΨ1

OM anti-lianteΨ2

E

E2

EA

EB

Figure O3B.6 – Diagramme d’orbitales moléculaires � REMARQUE : si un niveau profond peuplé de B interagit avec un niveau vacant de A, l’écart énergétique est suffisant pour que nous puissions considérer que l’énergie des deux électrons du niveau de B est inchangée (l’orbitale moléculaire 1Ψ est pratiquement identique à Bϕ ). Nous légitimons ainsi, par cette observation qualitative, la méthode proposée.

Munis de ces résultats, nous pouvons donc ne considérer que deux interactions orbitalaires frontalières et énoncer les conditions de mise en œuvre du modèle.

Évolution d’un système sous contrôle frontalier

Pour prévoir l’évolution du système, nous limitons l’étude aux recouvrements, d’une part de la HO de A avec la BV de B et, d’autre part, de la BV de A avec la HO de B. � REMARQUE : l’interaction entre les deux BV n’est pas à prendre en compte puisque les niveaux correspondants ne sont pas peuplés.

3.3. Mise en œuvre

Le modèle que nous avons développé n’est a priori applicable que pour des réactions à état de transition précoce. Néanmoins, nous l’étendrons fréquemment à

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10 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

l’analyse de réactions où nous ne connaissons pas la position exacte de l’état de transition, sous réserve de la validation expérimentale.

Considérons par exemple une réaction — sous contrôle frontalier — de transfert d’un doublet d’électrons entre un composé nucléophile A, donneur de doublet, et un composé électrophile B, accepteur de doublet. Le problème est ici relativement simple : l’électrophile, composé déficient en électrons, agira par l’intermédiaire de sa BV (basse en énergie) puisqu’il cherche à capter des électrons. Quant au nucléophile, composé riche en électrons, il cherchera à les céder par sa HO (haute en énergie). Par conséquent, nous limiterons l’étude du recouvrement frontalier à celui de la HO du nucléophile et de la BV de l’électrophile.

La règle élémentaire suivante permet de prévoir la réactivité intrinsèque (facilité/difficulté d’une réaction) et relative (régiosélectivité, stéréosélectivité).

Évolution d’un système sous contrôle frontalier

Une réaction est d’autant plus facile que les orbit ales frontières des deux partenaires sont proches en énergie et se recouvren t fortement. Les atomes qui se connectent sont donc ceux pour lesque ls les coefficients, dans les orbitales frontières, seront les plus élev és. � COROLLAIRE : une réaction pour laquelle le recouvrement frontalier est nul est dite interdite par symétrie, ce qui ne veut pas dire que le processus correspondant ne peut pas se produire : cette expression indique seulement que la réaction correspondante est difficile. Ainsi, des réactions de formation de cycle faisant intervenir deux molécules neutres dans une étape élémentaire unique (électro-cyclisation) peuvent être interdites par symétrie, ce qui n’exclut pas que les composés puissent réagir par une succession d’étapes élémentaires, où les liaisons se forment de manière désynchronisée.

L’étude et la comparaison des vitesses de deux réactions jumelles de même nature, dans des conditions où l’évolution du système est sous contrôle frontalier s’effectue par conséquent sous la forme suivante :

Dans un premier temps, nous observons la nature des recouvrements entre orbitales frontières pour chaque évolution, conduisant aux connexions entre atomes dans l’état final (recouvrements « principaux »). Si l’une des interactions ne conduit pas à un recouvrement satisfaisant, la transformation correspondante est « interdite par symétrie » et, sous contrôle frontalier, difficile.

NOTE : par exemple, la formation d’un composé cyclobutanique par dimérisation de l’éthène, dans les conditions de la réaction de Diels-Alder, se traduirait par une interaction défavorable entre les orbitales π et π* de l’éthène.

Dans un deuxième temps, nous calculons les valeurs des différences d’énergies entre niveaux HO et BV des deux réactifs, dans les deux processus envisagés. La réaction la plus facile correspond, comme nous l’avons indiqué, à la différence d’énergie la plus petite.

Enfin, toutes choses égales par ailleurs, nous étudions de façon plus précise les interactions orbitalaires : l’évolution la plus facile correspond toujours au meilleur recouvrement possible. Ainsi les atomes connectés correspondent aux sites de plus grand développement des orbitales frontières. En outre, dans certains cas,

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 11

des recouvrements secondaires entre sites non connectés peuvent conduire à une interaction complémentaire favorable, abaissant ainsi la valeur de l’enthalpie libre d’activation de référence.

Toutes ces méthodes vont être mises en œuvre dans l’étude de la réaction de DIELS-ALDER, réalisée dans la section suivante.

4. ÉTUDE APPROFONDIE DE LA RÉACTION DE DIELS-ALDER 4.1. Résultats expérimentaux

Revenons sur l’exemple donné en préambule :

COOEt

COOEt

θ = 150 °C

t = 20 h

buta-1,3-diène Z-butènedioate d'éthyle

cis-cyclohex-4-ène-1,2-dicarboxylate d'éthyle rendement 68 %

COOEt

COOEt

+

L’expérience montre (et les calculs de haut niveau le confirment dans les cas « classiques ») qu’il ne se forme pas d’intermédiaire réactionnel. Ainsi les deux nouvelles liaisons CC− se forment de façon concertée, plus ou moins synchrone, comme le montre l’état de transition indiqué ci-après dans l’exemple le plus simple, a priori, de réaction de DIELS-ALDER.

cyclohexène, rendement 20 % éthènebuta-1,3-diène

∆+

état de transitioncyclique, à six centres

Un moyen simple pour retrouver quels sont les atomes qui se connectent consiste à représenter les transferts électroniques par des flèches. Mais, les déplacements électroniques correspondants pouvant avoir lieu dans un sens où dans l’autre, elles n’ont de signification que mnémotechnique.

NOTE : le produit majoritairement obtenu dans cette réaction est le 4-vinylcyclohexène, qui résulte de la dimérisation du buta-1,3-diène où l’une des molécules joue le rôle de diène et l’autre de diénophile en n’intervenant que par une seule des doubles liaisons. Nous justifierons plus loin le caractère majoritaire de ce composé.

Au niveau stéréochimique, nous observons sur la transformation de deux diénophiles diastéréoisomères que la réaction conserve la structure stéréochimique éventuelle du réactif, résultats apparents sur les transformations indiquées ci-après :

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12 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

COOEt

COOEt

+

COOEt

COOEt

buta-1,3-diène (Z)-butènedioate d'éthyle

θ = 150 °C

20 heures

cis-cyclohéx-4-ène-1,2-dicarboxylate d'éthyle, rendement 68 %

COOEt

EtOOC

+

COOEt

COOEt

buta-1,3-diène (E)-butènedioate d'éthyle

θ = 200 °C

4 heures

trans-cyclohéx-4-ène-1,2-dicarboxylate d'éthyle,

COOEt

COOEt

+

racémique, rendement 95 %

De même, nous constatons sur la transformation de deux diènes diastéréoisomères que les configurations géométriques des doubles liaisons du diène sont conservées lors de la formation du cycle à 6 chaînons :

CN

CN

NC

NC

CNCN

CNCN (E,E)(E,Z)

composé « trans » composé « cis »

CN

CN

CN

CN

H3C

H3CH

H

CNCN

CNCN

=CN

CN

CN

CN

H3C

HH

H3C

=

NOTE : le tétracyanoéthène est l’un des diénophiles les plus actifs (donc les plus nocifs) qui soient.

Rassemblons les conclusions :

Aspects stéréochimiques de la réaction de Diels-Ald er

La réaction de Diels-Alder conserve la configuratio n géométrique des réactifs, tant au niveau du diénophile que du diène . Elle est diastéréosélective et diastéréospécifique .

ATTENTION ! Dans certains cas, des réactions de cycloaddition thermiques ont lieu avec formation désynchronisée des liaisons, par l’intermédiaire d’un diradical. Ces réactions sont exclues de l’étude et, par conséquent, tout ce qui suit et donc toutes les conclusions ne seront applicables qu’à des réactions concertées.

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 13

4.2. Interprétation orbitalaire de la réaction

L’une des forces du modèle des orbitales frontières est d’expliquer l’ensemble des résultats expérimentaux observés, tant du point de vue stéréochimique que cinétique ou régiochimique, à condition que l’évolution du système soit sous contrôle cinétique. Nous avons en effet constaté [section 4, partie A] que le contrôle thermodynamique pouvait être opérant au bout d’un temps de contact prolongé.

La transformation chimique faisant intervenir des molécules neutres, le contrôle de charge doit être inopérant. En revanche, les termes d’interactions frontalières vont jouer un rôle essentiel puisque, la réaction se déroulant en général en solvant inerte, les molécules ne sont que très peu solvatées. Il suffit donc, dans le modèle des orbitales frontières, de s’intéresser aux interactions HO/BV entre diène et diénophile [figure O3B.7].

HO

BV

BV

HO

éthènebuta-1,3-diène

E

α − β

α + β

Ψ1

α − 0,618β

E

Ψ2

Ψ3

Ψ4α − 1,618 β

α + 0,618 β

α + 1,618 β

Figure O3B.7 – Niveaux d’énergie du buta-1,3-diène et de l’éthène

Pour ce qui est du diène, nous prenons comme modèle le buta-1,3-diène dont les orbitales π sont connues [chapitre 2, section 3], notamment la HO et la BV. Comme alcène, nous choisissons l’éthène. � méthode DFT, K.

N. HOUK et coll., J. Am. Chem. Soc. 1996, 118, 6036

� Supra et antara sont les abrévia-tions des adjectifs suprafacial et antarafacial, qui caractérisent res-pectivement des processus qui se déroulent d’un même côté d’un plan ou de part et d’autre de ce plan

Des calculs de très haut niveau �. confirment le caractère concerté de la réaction (l’état de transition conduisant à un intermédiaire de type bi-radical est nettement plus haut en énergie que l’état de transition concerté, d’environ une dizaine de

1kJ mol−⋅ ). La valeur expérimentale de l’énergie molaire d’activation (environ 1115 kJ mol−⋅ ) est reproduite avec une excellente précision (le calcul fournit la valeur

1mA 105 kJ molE −= ⋅ ).

De façon évidente, l’approche géométriquement favorisée est celle où les deux atomes de carbone de l’éthène se présentent du même côté du plan du diène : le processus est alors dit supra / supra �. D’autre part, les orbitales interagissent le mieux au niveau des atomes pour lesquels les coefficients sont les plus importants. Nous comprenons ainsi pourquoi l’éthène interagit avec les atomes 1 et 4 du butadiène.

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14 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

La figure O3B.8 représente les interactions frontalières entre les deux réactifs. Le recouvrement entre les deux orbitales frontières est favorable pour chaque interaction HO / BV. La réaction est dite permise par symétrie et la réaction de Diels-Alder est alors désignée par l’expression ]24[ ss π+π , les exposants (s) rappelant le caractère supra / supra du processus.

BV de l'éthène

HO du buta-1,3-diène

HO de l'éthène

BV du buta-1,3-diène

Figure O3B.8 – Interactions frontalières entre éthène et buta-1,3-diène

NOTE :un processus où les deux atomes de carbone de l’éthène s’approchent de part et d’autre du plan du butadiène est de type supra / antara. Il est clair que, dans ce cas précis, ni l’interaction frontalière ni la configuration géométrique du système ne sont favorables. Dans d’autres situations, si la géométrie défavorable d’un tel processus peut être compensée par un recouvrement frontalier favorable, la réaction devient possible. Nous vérifierions qu’il en est ainsi dans le cas d’un processus ][ 22 as π+π — comme pour la cycloaddition de l’éthène et du cétène OCCH2 == avec formation de cyclobutanone — ou dans le cas de la réaction de type ][ 142 as π+π représentée sur la figure O3B.9, où le tétracyanoéthène s’est fixé de part et d’autre du plan moyen de la molécule initiale, dans un processus antarafacial du point de vue du substrat.

H

CNNCCN CN

HNC

NC CN

CN∆

Figure O3B.9 – Processus supra / antara

Ces résultats sont justifiés a posteriori par des méthodes de calcul très puissantes. Ainsi les calculs réalisés par l’équipe de K. N. HOUK permettent d’estimer avec précision les distances inter atomiques dans l’état de transition de la réaction conduisant du buta-1,3-diène et de l’éthène au cyclohexène [figure O3B.10]. Nous observons que l’état de transition ressemble beaucoup aux réactifs, beaucoup plus qu’au cyclohexène.

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 15

‡147 pm

134 pm

227 pm

138 pm

141 pm

134 pm

138 pm

Figure O3B.10 – Schéma de l’état de transition pour la réaction de Diels-Alder � Les calculs ont été réalisés par l’équipe de Arrieta et Cossio selon la méthode B3LYP/6-31 G*

(J. Org. Chem. 2001, 66, p 6178-6180)

La figure O3B.11 présente le chemin réactionnel pour la réaction du cyclopentadiène (diène) avec l’anhydride maléique, diénophile particulièrement réactif comme nous le justifierons plus loin dans cette section. L’analyse des résultats du calcul � fait apparaître un état de transition précoce (état (e) sur la figure), ressemblant beaucoup plus aux réactifs mis en œuvre qu’aux produits de la réaction.

Figure O3B.11 – Profil énergétique d’une réaction de Diels-Alder ( 1 11 kcal mol 4,18 J mol− −⋅ = ⋅ )

4.3. Cinétique : règle d’A LDER

L’expérience donne les résultats suivants, rassemblés sous le nom de règle d’ALDER :

Règle d’A LDER

La réaction de D IELS-ALDER est accélérée si l’un des partenaires est enrichi en électrons et l’autre appauvri.

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16 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

� Nous comprenons mieux pourquoi le tétracyanoéthène est l’un des meilleurs diénophiles connus.

De façon générale, il est plutôt fait usage de diénophiles appauvris en électrons, dont la double liaison porte des substituants électronégatifs et attracteurs d’électrons �. Ils sont alors, de préférence, opposés à des diènes enrichis en électrons, dont les doubles liaisons portent des substituants plutôt donneurs. Nous limiterons donc l’interprétation de l’augmentation de la vitesse de la réaction à ce cas. � REMARQUE : les réactions de DIELS-ALDER entre diènes appauvris et diénophiles

enrichis sont appelées des réaction à demande inverse électronique et ne font l’objet que d’exercices.

Par exemple, la vitesse de la réaction de DIELS-ALDER sur le buta-1,3-diène augmente quand l’éthène, diénophile de référence, est remplacé par le butènedioate d’éthyle. Par souci de simplicité, les orbitales moléculaires de ce dernier, du moins celles de son système antisymétrique π, sont modélisées par celles du butènedial, représentées sur la figure O3B.12.

HO : α + β BV : α −β

Orbitales frontières du butènedial Orbitales frontières de l’éthène

Figure O3B.12 – Représentations des orbitales moléculaires du butènedial et de l’éthène

L’observation des diagrammes montre que les deux diénophiles peuvent entrer en réaction de DIELS-ALDER avec le buta-1,3-diène. Si la HO du butènedioate d’éthyle ( E = α + β ) est au même niveau d’énergie que celle de l’éthène, la BV du butènedioate d’éthyle est plus basse en énergie ( E = α ) que celle de l’éthène ( E = α −β ).

Ainsi la différence d’énergie entre la HO du diène ( 1,62E = α + β ) et la BV du diénophile diminue considérablement quand on passe de l’éthène ( 1,62E∆ = β ) au butènedial ( 0,62E∆ = β ). Ce fait est en accord avec une augmentation de la vitesse de la réaction.

Cette observation est généralisable. Le calcul montre que la différence de niveau énergétique entre la HO du diène et la BV du diénophile diminue car il y a la plupart du temps simultanément :

diminution du niveau énergétique de la BV du diénophile lorsque la double liaison est appauvrie en électrons et

augmentation du niveau énergétique de la HO du diène lorsque le système π est porteur d’un substituant donneur d’électrons.

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 17

Par exemple, lors de la réaction du buta-1,3-diène avec l’éthène, le produit majoritaire sous contrôle cinétique de l’évolution est le produit de dimérisation du buta-1,3-diène et non le cyclohexène. En effet, le niveau de la BV du diène (considéré comme diénophile) est plus bas ( 0,6E = α − β ) que celui de la BV de l’éthène ( E = α −β ).

4.4. Stéréosélectivité : « règle de l’endo »

Résultats expérimentaux

La réaction de DIELS-ALDER entre l’anhydride maléique et le cyclopentadiène peut a priori conduire à deux composés d’addition diastéréoisomères, dénommés endo et exo selon les positions relatives des deux ponts les plus grands, respectivement dans le même demi-espace ou non par rapport au plus petit pont, matérialisé ici par l’atome de carbone 7 [figure O3B.13].

L’expérience montre que, sous contrôle cinétique, l’un des composés est souvent très majoritairement obtenu : le produit endo, à savoir celui pour lequel les nouveaux substituants sont du côté opposé au plus petit pont. C’est une observation pratiquement systématique dite « règle de l’endo ».

C

O

C

O

O

CO

CH

H

O

O

C

C

O

O

O

H

H

θ = 25 °C

composé endo

composé exo

15

4 23

6

+

7

Figure O3B.13 – Composés endo et exo

ATTENTION ! Dans des conditions de contrôle thermodynamique, où la stabilité du produit obtenu est le critère décisif, c’est le produit exo qui est majoritaire car il est plus stable que le composé endo. Ceci explique le déroulement de la réaction entre le furane et l’anhydride maléique [section 1, partie A].

Interprétation orbitalaire

La seule méthode qui permette d’expliquer simplement que le produit le plus vite formé soit le moins stable est ici la méthode des orbitales frontières. Pour justifier le résultat expérimental, il convient de s’intéresser non seulement aux interactions entre atomes qui vont se connecter, mais aussi aux interactions dites secondaires entre atomes non liés.

Intéressons-nous par exemple à la réaction de dimérisation du cyclopentadiène, pour laquelle nous limitons l’étude à l’interaction HO du diène // BV du diène (les orbitales

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18 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

moléculaires du cyclopentadiène sont assimilées à celles du buta-1,3-diène). Si les réactifs se dirigent vers le produit endo (selon une « approche endo »), il apparaît une interaction orbitalaire secondaire favorable au niveau des atomes (3’) et (2) d’une part, (4’) et (3) d’autre part [figure O3B.14]. En revanche, dans l’état de transition qui conduirait au produit exo, il n’y a pas de recouvrement secondaire, donc pas de stabilisation particulière. Cette règle ne souffre pratiquement aucune exception, à condition que la réaction soit bien sous contrôle cinétique.

BV du cyclopentadiène

HO du cyclopentadiène

12

3 4

1'

2'3'

4'

1

2

34

1'

2' 3'

4'

« dicyclopentadiène »

H

H

1

2

3 41'

2'

3'

4'

état de transition conduisantau composé endo

Figure O3B.14 – Interactions primaires et secondaires lors de la formation du produit endo

NOTE : des études approfondies, à un niveau de calcul beaucoup plus poussé, conduisent au même résultat [figure O3B.15].

Figure O3B.15 – État de transition endo dans la réaction du cyclopentadiène et de l’anhydride maléique � REMARQUE : signalons que, dans le cas où il n’y a pas lieu de parler de produits endo ou exo, c’est-à-dire dans celui où il n’y a pas dans le produit final d’autre cycle que le cycle à 6 chaînons, l’approche endo est pratiquement toujours la plus favorable, pour la même raison que précédemment.

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 19

4.5. Régiosélectivité

Le problème se pose lorsqu’un diène substitué réagit avec un diénophile non symétrique.

Résultats expérimentaux

Les résultats montrent qu’un contrôle stérique est inopérant, puisque la réaction menée avec un diène substitué en position 1 conduit en général [figure O3B.16] au cyclohexène 3,4-disubstitué, où la gêne stérique est la plus importante dans l’état de transition.

t-Bu t-Bu

CH3

COOMet-Bu

CH3

COOMe

+

COOMe

+

(E)-5,5-diméthyl-hexa-1,3-diène

2-méthylpropénoatede méthyle

72 % 28 %

Figure O3B.16 – Orientation de type ortho

NOTE : le trait en zigzag indique que la configuration relative des atomes de carbone asymétriques n’est pas précisée. � L’analyse de la

population électro-nique est issue de calculs de type HÜCKEL.

De même, un contrôle de charge ne peut expliquer que la dimérisation du propénal conduise [figure O3B.17] au composé où les atomes de même charge se sont raccordés � !

O C

H

OC

H

OOCHOO

+

‡δ

δδ

δ

Figure O3B.17 – Dimérisation du propénal

Enfin, quel que soit le diène substitué en position 2, riche ou pauvre en électrons, le produit majoritaire est toujours le cyclohexène 1,4-disubstitué.

Interprétation orbitalaire simplifiée

Pour expliquer qualitativement cette régiosélectivité particulière, nous pouvons imaginer que la formation des liaisons n’est peut-être pas tout à fait synchrone et que, si l’une des liaisons est déjà bien développée dans l’état de transition, la structure du produit est déterminée. En première approximation, la liaison la plus vite formée va être celle qui correspond au meilleur recouvrement, obtenu entre les atomes pour lesquels les coefficients des orbitales frontières mises en jeu seront les plus élevés.

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20 LES OUTILS DE LA CHIMIE ORGANIQUE

Si nous travaillons avec un diène enrichi en électrons (plutôt nucléophile) et un diénophile appauvri en électrons (plutôt électrophile), ce qui est en général le cas, il suffit de s’intéresser à l’interaction :

HO du diène / BV du diénophile

Ensuite, nous connectons les atomes pour lesquels le coefficient dans l’orbitale considérée est le plus grand. En effet, ce sont les niveaux énergétiques correspondants qui sont les plus proches, car la BV du diène est fortement remontée et la HO du diénophile abaissée. Prenons pour exemple la réaction entre le 2-méthoxybuta-1,3-diène et le propénoate de méthyle (acrylate de méthyle), conduisant au 4-méthoxycyclohex-3-ènecarboxylate de méthyle. Le diagramme d’orbitales frontières se présente comme l’indique la figure O3B.18. Les nombres indiqués correspondent aux coefficients des OM sur les atomes qui vont se connecter lors de la formation du cycle à 6 chaînons. Nous observons par ailleurs les modifications des niveaux des OM par rapport à ceux du butadiène et de l’éthène.

HO

BV

BV

HO

diénophile2-méthoxybuta-1,3-diène

E

α − 0,44 β

α + β

α − 0,65 β

E

α + 0,55 β

MeO

MeO

0,55

0,62

0,67

− 0,52

COOMe

COOMe

0,67

− 0,29

0,58

0,58

Figure O3B.18 – Interactions frontalières entre 2-méthoxybuta-1,3-diène et acrylate de méthyle conduisant au 4-méthoxycyclohex-3-ènecarboxylate de méthyle

NOTE : dans certains cas, la prévision est plus délicate et des calculs plus sophistiqués doivent être menés. Le lecteur pourra vérifier que la simple analyse des coefficients des OM du propénal ne permet pas de prévoir la régiosélectivité de la réaction de dimérisation.

4.6. Applications synthétiques

La réaction de DIELS-ALDER est un outil de choix pour l’élaboration de cycles à six chaînons fonctionnalisés. Il est possible d’effectuer la réaction avec :

des alcynes comme le butynedioate d’éthyle,

des hétérodiènes comme les α-énones,

des espèces chargées.

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[O3] dynamique réactionnelle – partie B 21

La réaction peut même être intramoléculaire si la géométrie de la molécule le permet.

Enfin signalons l’existence d’une enzyme — une diels-alderase — qui réalise en milieu vivant des réactions de cycloaddition.

4.7. Généralisation

La cycloaddition de DIELS-ALDER n’est qu’un exemple de réaction péricyclique, faisant intervenir un transfert cyclique d’électrons au sein d’une molécule ou entre deux réactifs. Signalons d’autres exemples :

les électrocyclisations et leurs réactions opposées d’ouverture de cycle,

les migrations de groupe au sein d’une molécule (transpositions sigmatropiques),

les réactions chélétropiques(4) comme la formation ou la décomposition du sulfolène en butadiène et dioxyde de soufre :

SO2 + SO2

sulfolène

Ainsi un réactif nucléophile attaque de préférence le site d’un électrophile ayant le plus gros coefficient dans sa BV. De même, un électrophile réagit avec un nucléophile sur le site ayant le plus gros coefficient dans la HO.

Nous appliquerons les principes précédents au fur et à mesure de l’étude des réactions. Nous verrons que la méthode des orbitales frontières est relativement fructueuse et permet de donner un modèle unitaire de réactivité chimique.

(4) Une réaction chélétropique est une réaction péricyclique où deux liaisons au moins sont créées ou coupées sur le même atome.