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Dynamiques foncières, conflits et négociations autour des ressources naturelles renouvelables: le cas de la Haute Casamance DIA Ibrahima , étudiant en doctorat de sociologie Université de Paris 1 (IEDES) Résumé Qu’est-ce qui fait que dans une zone agro-écologique aussi fertile et vaste comme la Haute Casamance, on enregistre des concurrences sur les ressources naturelles renouvelables donnant lieu à autant de violence et de conflit social? C’est le point de départ de ma recherche qui repose sur des travaux socio-anthropologiques et géographiques antérieurs et sur un travail de terrain qui m’a permis d’opérer une rupture théorique majeure. Dans ce contexte de concurrence et de conflits exacerbés, on note des espaces de coopération où l’on peut déceler des stratégies de sécurisation foncière ainsi que des modalités concrètes de régulation rentrant dans le cadre d’un pluralisme institutionnel et d’une gouvernance locale en construction et qui a du mal à prévoir le jeu foncier. Mon analyse porte sur les acteurs, aussi bien individuels que collectifs, les systèmes d’action, les règles produites, les enjeux, les rapports entre acteurs et les stratégies. Elle part de l’hypothèse selon laquelle, face à l’enjeu de maîtrise des ressources naturelles renouvelables en Haute Casamance, les acteurs empruntent des itinéraires de sécurisation 1 à travers lesquels ils mobilisent une panoplie de capitaux et de pouvoirs en fonction de leurs statuts social ou politique pour accaparer, imposer une règle ou faire prévaloir un droit ou une légitimité. Les premiers résultats de recherche de terrain révèlent une diversité marquée de conflits, allant du conflit intra-villageois au conflit frontalier entre villages sénégalais et gambiens, dans un espace où l’on note une émergence de l’écrit dans le jeu foncier et la présence d’acteurs nouveaux participant à la régulation foncière. 1 Dans le sens que lui donne Jean Pierre Chauveau. Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 1

Dynamiques foncières, conflits et négociations autour … · ... étudiant en doctorat de sociologie ... de systématisation et d’organisation des ... C’est une zone de migration

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Dynamiques foncières, conflits et négociations autour des ressources

naturelles renouvelables: le cas de la Haute Casamance

DIA Ibrahima , étudiant en doctorat de sociologie

Université de Paris 1 (IEDES)

Résumé

Qu’est-ce qui fait que dans une zone agro-écologique aussi fertile et vaste comme la Haute

Casamance, on enregistre des concurrences sur les ressources naturelles renouvelables donnant lieu à

autant de violence et de conflit social? C’est le point de départ de ma recherche qui repose sur des

travaux socio-anthropologiques et géographiques antérieurs et sur un travail de terrain qui m’a permis

d’opérer une rupture théorique majeure.

Dans ce contexte de concurrence et de conflits exacerbés, on note des espaces de coopération

où l’on peut déceler des stratégies de sécurisation foncière ainsi que des modalités concrètes de

régulation rentrant dans le cadre d’un pluralisme institutionnel et d’une gouvernance locale en

construction et qui a du mal à prévoir le jeu foncier.

Mon analyse porte sur les acteurs, aussi bien individuels que collectifs, les systèmes d’action,

les règles produites, les enjeux, les rapports entre acteurs et les stratégies. Elle part de l’hypothèse

selon laquelle, face à l’enjeu de maîtrise des ressources naturelles renouvelables en Haute Casamance,

les acteurs empruntent des itinéraires de sécurisation1 à travers lesquels ils mobilisent une panoplie de

capitaux et de pouvoirs en fonction de leurs statuts social ou politique pour accaparer, imposer une

règle ou faire prévaloir un droit ou une légitimité.

Les premiers résultats de recherche de terrain révèlent une diversité marquée de conflits, allant

du conflit intra-villageois au conflit frontalier entre villages sénégalais et gambiens, dans un espace où

l’on note une émergence de l’écrit dans le jeu foncier et la présence d’acteurs nouveaux participant à

la régulation foncière.

1 Dans le sens que lui donne Jean Pierre Chauveau.

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 1

Mots clés : Foncier, acteurs, conflits, stratégies, gouvernance, local, itinéraires, sécurisation,

négociation, dispositif, régulation, ressources, règles, migrants, autochtones.

Abstract

How can we account for the fact that, in such a fertile and vast agro-ecological area as High

Casamance, competition for renewable natural resources is taking place- this competition giving rise

to such violence and social conflicts? This questioning is the starting point of my research and it is

based on previous socio-anthropological and geographical work as well as on field work. The latter

work has enabled me to get to a major theoretical break.

Against that backdrop of competition and heightened conflicts, it is worth noting spaces of

cooperation where strategies of securing property and concrete modes of regulation are at work. These

strategies and modes depend on institutional pluralism and local governance still under construction

with local authorities that prove at a loss to anticipate the land property interplay.

My analysis focuses on the actors, whether they be individual or collective, the systems of

action, the rules produced, the stakes, the relations between the actors, and the strategies. It takes as a

starting point the following hypothesis: faced with the stake of mastering renewable natural resources

in High Casamance, the actors choose ways of securing through which they mobilize a range of

capitals and powers according to their social or political statuses in order to appropriate land, impose a

rule or make a right or a legitimacy prevail.

The first conclusions reached after field work reveal a strong diversity of conflicts, from

conflicts within villages to border conflicts between Senegalese and Gambian villages, in a space

where the emergence of writing in the land property interplay and the presence of new actors taking

part to land property regulation is worth mentioning.

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 2

Introduction

Le travail que nous présentons est une contribution à la réflexion sur la problématique

foncière en milieu rural africain. C’est une partie d’un travail de systématisation et d’organisation des

données produites à partir d’une recherche de terrain dans la zone agro-écologique de la Haute

Casamance correspondant à l’actuelle région de Kolda en République du Sénégal.

Dans sa partie théorique et méthodologique, ce travail doit beaucoup aux experts et chercheurs

qui ont balisé le terrain de la recherche sur le foncier rural africain, par une documentation des normes

et pratiques existantes, une confrontation des modèles et la construction de paradigmes nouveaux.

Dans ce sens, les travaux de l’IRD du Gret, et du Laboratoire d’Anthropologie Juridique de

l’Université de Paris 1 m’ont été d’une grande utilité.

En usant du terme « dynamiques foncières », nous avons voulu échapper à une simplification

des mutations en œuvre dans le jeu foncier en Haute Casamance. La Haute Casamance nous apparaît

comme un laboratoire où est entrain de s’expérimenter la majorité des hypothèses qui structurent la

recherche foncière actuelle. Au-delà des conflits identifiés dans la zone, nous avons noté l’arrivée

d’acteurs nouveaux dans les dispositifs locaux de régulation foncière, un recours à l’écrit dans le

règlement des conflits, la mobilisation des acteurs influents ou la sécurisation des parcelles.

Contexte

Prise en étau entre la Gambie et les deux Guinées, cette région du Sud-Est du Sénégal

demeure une zone très particulière tant du point de vue de sa position géographique de sa construction

sociopolitique que de l’histoire de son peuplement façonnée par les batailles de conquête et

d’islamisation. C’est une zone de migration à la fois ancienne et récente où l’on note une forte

mutation dans l’occupation de l’espace et la nature de l’habitat en particulier dans sa partie Nord qui

est en train de devenir le prolongement de l’ancien bassin arachidier du Sénégal.

Résultats de recherche

Nos recherches ont révélé une diversité de conflits, un recours à l’écrit dans les transactions

foncières ainsi que l’émergence d’outils et de dispositifs nouveaux dans la gestion des ressources

naturelles. Lors de notre premier séjour de terrain, nous avons choisi de travailler sur trois entrées qui

nous paraissaient être les plus pertinentes :

• Les conflits ;

• Les acteurs présents ;

• Les dispositifs locaux de régulation.

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 3

Une diversité de conflits

La diversité des conflits identifiés en Haute Casamance peut relever de la multiplicité des

acteurs ou de l’importance des enjeux relatifs à la maîtrise des ressources convoitées et des espaces

disputés. Mais nous pouvons également les considérer comme la résultante d’une gouvernance locale

en construction dont ils peuvent être les effets sociologiquement acceptés.

Les conflits identifiés ne sont ni univoques ni isolés, ils donnent lieu à de coopération

organisée et efficace entre acteurs. Mais au moment où ils surviennent on a tendance, selon la

violence du heurt, des liens existant entre protagonistes et de leurs positions, à remettre en cause les

fondements de cette coopération.

De nouvelles recompositions ou de nouvelles alliances viennent remplir le vide laissé par le

conflit, ce qui signifie en définitive que dans le champ foncier, le conflit et la coopération peuvent

êtres considérés comme les deux faces d’une même pièce qui est l’imbrication des actions d’individus

ou de groupes qui produisent du lien social et de la culture au sens large du terme. Étant donné que la

terre est en grande partie au centre de cette production, on a l’impression que tous les conflits mènent

au foncier.

Pour des raisons relatives au respect du canevas proposé par les organisateurs du colloque

nous ne pourrons pas présenter ici l’ensemble des conflits étudiés, ni nous attarder sur l’état de l’art

déjà assez bien réalisé dans des travaux antérieurs. Mais une première tentative de typologie nous

permet de les classer en cinq catégories : les conflits intra-villageois, les conflits inter-villageois, les

conflits frontaliers, les conflits entre agriculteurs et éleveurs et les conflits entre collectivités locales.

Nous précisons que quelques-uns d’entre ces différentes catégories de conflits peuvent en

englober d’autres. Il peut arriver par exemple qu’un conflit intra-villageois oppose des éleveurs et des

agriculteurs que ces derniers soient des migrants ou non. Donc nous avons conscience que toute

typologie contient en elle-même un risque plus ou moins élevé de simplification qui peut réduire la

valeur heuristique des phénomènes étudiés. Mais nous essayons de rechercher ici les traits généraux

les plus partagés en privilégiant dans le classement l’entité géographique, la source de conflit, les

acteurs impliqués, le mode de manifestation du conflit, sa fonction et son mode de gestion. L’élément

structurant qui traverse tous ces conflits, c’est qu’ils partent tous de l’allocation des ressources

foncières (incluant les ressources naturelles renouvelables) ou y aboutissent et qu’ils se déroulent au

niveau administratif et territorial le plus bas, où on peut les approcher de manière

ethnographique, c’est-à-dire à l’échelon village. Les situations foncières étudiées ici reflètent toutes le

caractère de « rapports sociaux projetés ».

Dans le contexte de Pata et Médina Yoro Foula, les tentatives de stabilisation du jeu foncier

sont très soutenues et ne datent pas d’aujourd’hui. Les conflits que nous avons étudiés ce sont

déroulés à des époques différentes, mais ils ont de tout temps, mobilisé pour leur prévention ou leur

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 4

résolution une grande diversité d’acteurs. Cela peut se justifier par la violence des conflits enregistrés

dans cette zone mais aussi par le besoin de maintien d’acquis obtenus dans un contexte d’insuffisance

juridique et de pluralisme institutionnel, acquis non remis en cause par les dispositifs locaux actuels

de régulation foncière.

« Wendou Ousmane2 » Le cas d’école d’une régulation foncière locale et de l’interaction entre

les différents acteurs

Il nous tenait à cœur de participer selon le mot de Philippe Lavigne Delville à « l’exploration de la

boîte noire » que constituent les régulations foncières locales et la façon dont les différents

protagonistes interagissent dans le jeu foncier. C’est grâce au terrain que cela fût possible.

Le conflit de Wendou Ousmane est un « cas qui a fait couler beaucoup de salives, il est allé jusqu’à

Dakar » comme l’affirme M. Ndiaye, agent des eaux et forêt, conservateur de la forêt de Pata . Il s’est

déroulé dans le cadre précis de la communauté rurale de Pata et a impliqué à différents moments tous

les maillons du dispositif local de régulation foncière.

Tout est parti d’une « dénonciation » dans la semaine du 05 juin 2005 de paysans qui

« défrichaient et qui progressaient vers une mare qui risquait de disparaître » selon les pasteurs.

L’agent des eaux et forêts arrive sur les lieux avec quatre surveillants3 de la forêt pour constater la

situation. Il demande à chaque membre de l’équipe de prendre un azimut et de marcher pendant dix

minutes. Ils ne voient aucune coupe. Ils rentrent sans verbaliser les paysans. Les éleveurs se

mobilisent et vont voir le Président de la Communauté Rurale (PCR) pour exiger une protection de la

mare par une délimitation. Ce dernier convoque une réunion entre les paysans, les éleveurs et l’agent

d’élevage.

Toutes les parties tombent d’accord pour la délimitation, mais il restait à définir la distance.

L’agent d’élevage consulté sur la question déclare qu’il fallait 1500 mètres entre une mare et des

champs. Les paysans, après plusieurs heures de discussion, acceptent cette solution. Au moment de

l’application de la mesure, (qui consiste à peindre en rouge les arbres qui se situent autour de la mare

sur 1500 mètres de rayon) ils se sont rendu compte que les délimitations risquaient d’empiéter sur

leurs anciens champs.

Ils reviennent voir l’agent des eaux et forêt qui n’était pas présent à la réunion pour lui

expliquer la situation. Ce dernier leur dit que son collègue avait sûrement des raisons pour affirmer

qu’il fallait laisser une distance de 1500 mètres entre une mare et des champs. Il nous affirma par la

suite qu’il n’a pas voulu leur dire que : «c’était faux pour ne pas mettre en surface l’ignorance de

son collègue ». Les paysans excédés par la mesure décident d’aller voir le Sous-préfet qui demande à

2 «Wendou» signifie mare en pulaar. Wendou Ousmane c’est la mare de Ousmane. Elle constitue avec Wendou Koylé l’une des deux plus grandes mares situées à proximité de la forêt de classée Pata. 3 Les surveillants ont un statut spécial.ils font partie du dispositif de régulation mis en place dans le cadre d’un programme de bonne gouvernance et de gestion des ressources naturelles renouvelables financé par l’USAID

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 5

l’agent d’élevage de rendre compte immédiatement et de repartir à Wendou Ousmane refaire les

délimitations sur 100 mètres de rayon.

Entre-temps, le Sous-préfet convoque une réunion entre les différents protagonistes et leur

dit :« essayez de trouver un terrain d’entente je pense que c’est la meilleure solution au lieu de faire

appliquer la loi». Il constata par la suite qu’ils n’ont pas pu s’entendre et « connaissant la

« mentalité » de ces gens-là (les éleveurs) qui n’hésitent pas à écrire même au Président de la

République dit-il ; pour me protéger et protéger mes agents, je leur ai dit : « si rien n’était soulevé

on pourrait trouver un terrain d’entente. Mais maintenant que toutes les autorités sont au courant,

la meilleure solution, c’est de se rétracter derrière la réglementation. L’article 7 du décret portant

organisation du parcours du bétail dit 100 mètres autour des mares et parcs à vaccination ».

L’agent d’élevage retourne sur la zone de conflit sous les ordres du préfet pour effectuer une

nouvelle délimitation en compagnie d’un surveillant de la forêt et de membres de la commission

domaniale. Sur place les éleveurs entravent son travail et le menacent. Les éleveurs qui ont envoyé

une lettre4 de protestation et de mise en garde au Conseil Régional avec ampliation au Gouverneur, au

Préfet, au Sous-préfet et au Conseil Rural, campent sur leur position de départ et les acquis de la

première rencontre de conciliation organisée par le Président du Conseil Rural.

Le Sous-préfet décide d’aller constater la situation sur le terrain en compagnie du Président du

Conseil Rural, de l’agent des Eaux et forets, du chef de CER, des représentants des éleveurs, des

représentants des paysans et du coordonnateur de Wula Nafa5. Le sous-préfet nous affirma lors de

notre rencontre : « Je suis allé sur le terrain pour voir ce qui se passait réellement parce qu’on

racontait beaucoup de choses. Finalement je ne savais pas où se trouvait la vérité. Même le

président du Conseil Rural était décidé parce qu’il a reconnu que ce qu’on lui disait et la réalité

faisaient deux. C’est parce que nos parents-là (les PCR)généralement ils ne maîtrisent pas les

textes. On a été là-bas, on a vu, on a constaté, on s’est concerté avec les antagonistes et c’est à ce

moment qu’ils m’ont expliqué qu’ils s’étaient entendus pour 1100 mètres. Je leur ai dit qu’ au lieu

de m’informer, vous avez préféré écrire. Avant de faire quoi que ce soit, il fallait revenir vers moi

pour qu’on essaie ensemble de régler le problème, vous vous laissez manipuler par des gens qui ne

maîtrisent pas les textes, qui ne savent pas ce qui se passe. Au lieu de vous orienter vers moi, ils

vous mettent dans des situations problématiques et vous y laissent et c’est vous qui perdez. Si vous

étiez venus me voir pour me dire que vous vous étiez entendus sur 1100 mètres, j’aurais fermé les

yeux parce que cela apporte la paix. Nous sommes là pour un bon climat social entre les gens, mais

maintenant je suis tenu d’appliquer la réglementation ».

4 Cf.annexes 5 Wula Nafa est un programme GRN et de lutte contre la pauvreté financé par l’USAID. comme son nom l’indique en langue locale il signifie l’intérêt de la brousse. Il s’active autour de l’agriculture traditionnelle et de l’exploitation des produits de la forêt.

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 6

Entre la décision du Sous-préfet de refaire les délimitations autour de Wendou Ousmane et sa

descente sur le lieu du conflit, le Conseil Rural avait convoqué de nouveau une rencontre entre les

pasteurs et les agriculteurs. Il y eut cette fois-ci un accord sur une distance de 1100. Le Sous- Préfet

qui était décidé à appliquer la loi et disant ne pas être mis au courant de ce compromis accorda un

maximum de 500 mètres. Il leur dit après de longues négociations que les textes prévoient jusqu’à

500 mètres compte tenu de l’importance du bétail.

À nous, il confia qu’il s’était fait une marge de négociation en déclarant en premier lieu 100

mètres : « Je savais qu’ils allaient revenir pour dire que 100 mètres c’était petit et l’on pourrait ainsi

augmenter et donner l’impression d’avoir fait des concessions mais ils ont écrit au Conseil

Régional et à partir de ce moment je me suis dit qu’il fallait appliquer ce qui était prévu par la loi

parce que demain on sera interpellé sur la question».

Le Sous-préfet s’opposa ainsi à cet accord et du coup au Président du Conseil Rural qui en était le

principal initiateur. Un nouveau conflit émergeait ainsi entre le Sous-préfet et le Président de la

communauté rurale de Pata. Ce dernier décida conformément à ses prérogatives de rajouter 600 mètres

sur les 500 prévus par la loi et appliqués par le Sous-préfet. Il décida de suspendre les terres situées sur

un rayon de 600 mètres à partir des délimitations effectuées par le Sous-préfet. Ce dernier lui signifia

qu’il n’était pas compétent pour ça et que s’il lui amenait le procès-verbal il allait le rejeter.

La situation fut finalement décantée par le chef de village de Horé Wougnianky6 qui est le hameau

de culture dont sont originaires les agriculteurs impliqués dans le conflit. Il affirma séance tenante

qu’eux aussi avaient intérêt à préserver la mare parce que possédant du bétail au même titre que les

éleveurs. Il prit l’engagement de veiller personnellement à ce qu’aucun champ ne dépasse les limites

retenues par la commission.

Il nous avoua plus tard que s’il avait décidé d’apaiser la situation c’est parce qu’il savait qu’ils

(les paysans) ne pourraient pas avoir raison sur les éleveurs qui sont soutenus par les autorités locales

et qui ont une grande influence sur le Conseil Rural. Les problèmes que nous vivons en ces lieux ont

débuté pendant l’année qui a suivi notre installation. Les habitants de Sinthian Lathiri sont venus

jusqu’à la lisière de notre village et ont entamé des défrichements vers l’intérieur de la forêt. Ils ont

sauté la forêt qui nous sépare pour venir commencer leurs défrichements juste derrière nos

maisons. Il y eut une vive tension et le conseil rural avait arrangé le problème à l’époque en les

rappelant à l’ordre. Le deuxième conflit, c’est avec nos anciens voisins du village de Wougnianké.

Nous avons quitté Wougnianké pour venir nous installer ici. Un jour, ils sont venus nous dire que

les champs que nous cultivons appartenaient à leurs ascendants. La commission domaniale est

venue sur place fixer les limites des champs et a demandé aux habitants de Wougnianké de ne pas

6 Horé wougnianky est à l’origine un hameau de culture issu de l’éclatement d’un premier village de marabouts colons venus du Saloum,ex bassin arachidier du Sénégal. « Horé » signifie Tête en poulaar et wougnianky est le village qui lui a donné naissance d’où le nom la «tête de Wougnianky » parce que situé plus haut.

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 7

aller au-delà mais jusqu’à présent cette décision n’est pas respectée. Le conseil rural qui ne

parvient pas à faire respecter la mesure prise nous dit qu’on est parents et qu’on peut régler le

problème entre nous, ce qui ne s’est pas fait pour le moment. Nous avons saisi le Sous-prefét sur

cette question parce que la situation est intenable. Nous n’avons plus de terres de cultures et le

village grandit. Nous sommes entourés de villages d’éleveurs qui veulent mettre partout des

parcours de bétail même pour les mares qui ne durent pas dix jours, il y a la forêt classée à laquelle

on ne peut pas toucher. »

Le village de Horé Wougnianké est celui qui a reçu le plus de verbalisations pour

défrichement illégal dans la communauté rurale de Pata. L’année dernière ils ont payé au trésor

publique prés de 1500000 FCFA d’amandes. L’importance des sommes payées avait attiré notre

attention. J’ai voulu comprendre pourquoi ces paysans continuaient à défricher sans autorisation et

malgré les fortes amendes et comment ils parvenaient à payer.

Des informations triangulées m’ont amené à comprendre que les défrichements étaient une

sorte de « réponse » face à un arrêté qui interdit depuis l’année 2000 toute création ou réplication de

village ainsi que tout défrichement. Les habitants de Horé Wougnianky qui continuent d’accueillir des

parents et des saisonniers dans leur village se sont dits, on va couper, nous faire verbalisés et après la

sanction garder les parcelles. Pour cela, ils ont créé un fonds commun qui servait à payer les

contraventions, quelle que soit la personne verbalisée dans le village. Mais l’analyse des procès-

verbaux montre que la majorité des personnes verbalisées étaient de nouveaux arrivants. Le service

des eaux et forêt face à ces défrichements répétés décide de suspendre les parcelles concernées en y

interdisant toute culture.

Donc le constat majeur qu’on peut tirer de cette situation de contournement de la loi, que nous

avons par ailleurs identifié dans la communauté rurale de Médina Yoro Foula sous d’autres formes,

c’est que dans la gestion des ressources naturelles quand on interdit la légalité on favorise la fraude.

Pour comprendre la situation foncière actuelle dans cette zone, il faut nécessairement

reconstruire l’histoire du peuplement récent et l’évolution des rapports politiques entre groupes

pendant les trois dernières décennies. Selon M. Ndiaye, « Pata est une zone névralgique, menacée

depuis 3 décennies par des agriculteurs venus du Nord à la recherche de terres cultivables non sans

difficultés, non sans problèmes. Les populations qui vivent ici, qui sont nées ici, ont un mode de

conservation et gestion de l’environnement qui leur est propre. C’est en quelque sorte des

«conservationnistes,» pas des conservateurs. Ils gardent le milieu tel qu’il est, ils n’apportent rien

au milieu, ils prennent rien du milieu sans aménagement aucun. Le milieu est là tel qu’il était. La

principale activité était auparavant l’élevage et quelques cultures vivrières. Dés l’arrivée des colons,

il y a eu un remue-ménage. Parce que les gens voulaient coûte que coûte à l’époque une prime et

pour des raisons que je ne veux pas toucher du doigt, les colons se sont installés dans des zones qui

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 8

n’ont jamais été touchées. Pourquoi ? parce que elles étaient riches, parce qu’elles étaient vastes et

aussi les populations locales à l’époque n’en voulaient pas. C’était impensable pour des paysans

venus du Nord, qu’une zone naturelle aussi vaste reste intouchée alors que là d’où ils venaient on

s’arrachait un hectare. Pour eux, soit les locaux n’en voulaient pas, soit ils ne voulaient pas

travailler. Ils ont ainsi envahi la zone non sans difficultés parce qu’ils dérangeaient. Les

populations locales au départ ne maîtrisaient pas les textes de lois de la décentralisation c’est

pourquoi il était facile pour les colons de s’installer. Avec la compréhension montante de la

décentralisation, les gens éprouvent des difficultés à s’installer. Si on fait la comparaison entre les

années 70 et 2000, on remarque une nette régression de l’installation des villages, des

défrichements et des sithians7. Les colons sont là installés d’une façon frauduleuse mais définitive.

Ils sont arrivés à s’imposer, à se faire accepter par l’Etat. On ne peut pas vouloir une chose et son

contraire. Il y a des villages qui sont là en forêt classée et qui ont le statut de villages reconnus par

l’Etat. Ils payent l’impôt, ils parviennent à décrocher une école ou une structure de santé auprès de

ce même Etat , c’est dommage. C’est une confusion totale qui n’épargne pas les agents des Eaux et

forêts que nous sommes parce que l’Etat nous met en mal avec les populations locales. La « haut »

on voit des choses qu’on ne peut pas expliquer».

Le conflit de Wendou Ousmane a émergé donc dans ce contexte global d’opposition entre

agriculteurs colons rattrapés par la décentralisation et des éleveurs qui veulent saisir toutes les

opportunités que leur offre la gouvernance locale. Ils ont compris que la maîtrise du pouvoir local est

essentielle dans la compétition autour des ressources naturelles. Ils activent des réseaux émergents très

influents dans le champ politique local et intermédiaire pour faire passer leur revendication. Ils

développent des stratégies offensives très efficaces.

En réalité Wendou Ousmane n’a été qu’une anticipation de l’action potentielle des

agriculteurs de Horé Wougnianky. La teneur de la lettre adressée aux autorités locales et à

l’administration intermédiaire peut témoigner de cette attitude, mais elle révèle également le rôle clé

joué par les « nouveaux acteurs » du dispositif local de régulation foncière dans l’amélioration du

capital culturel et organisationnel des acteurs locaux, avec ses avantages, ses effets pervers, ses

conflits internes et ses dysfonctionnements.

Sylvie Fanchette en 1999, annonçait la couleur dans un de ses papiers. Elle disait que : « Le

retour à la terre de jeunes diplômés risquait de transformer la composition des conseils ruraux qui,

avec les lois de la décentralisation, deviennent les principaux acteurs du développement et de la

gestion des espaces agro-sylvo-pastoraux. Jusqu’à présent, les collectivités rurales sont

essentiellement représentées par des exploitants agricoles âgés et analphabètes. Ceux-ci sont peu au

courant de leurs prérogatives, notamment celles en cours depuis la promulgation des lois de la

7 Les sithians sont de petits villages avec un petit nombre de carrés et qui servent d’hameaux de culture ou d’élevage.

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 9

décentralisation, et font plutôt valoir le droit traditionnel pour la régulation des conflits. En outre

leurs pratiques partisanes contribuent à rendre leur tâche plus difficile encore ».

Même si le retour à la terre et aux affaires politiques locales de jeunes diplômés n’est pas

encore constaté de façon systématique, nous avons remarqué un engagement et un investissement des

jeunes autochtones dans les dispositifs de régulation qui ont été mis sur pied après les événements de

Saré Alette. Ces dispositifs sont actuellement des sortes de cocktails où l’on retrouve des acteurs

différents avec des outils et des procédures différents, dans un cadre où l’informel se mêle en

permanence à l’institutionnel et au légal.

Toutefois, cela produit de l’efficacité, même si, quelques fois les conflits de compétence et la

guerre de légitimité peuvent amener le représentant de l’Etat (ici le Sous-préfet) à remettre en cause

officiellement les accords obtenus par d’autres acteurs de la médiation. Tel a été le cas dans le conflit

ayant opposé le village d’agropasteurs allochtones de Amdalaye Samba Mbaye au village

d’agropasteurs autochtones de Saré Yoro Bouya à propos du hameau de culture Saré Alette.

Sur la rencontre de conciliation organisée par l’ONG « FODDE » Le Sous-préfet de Médina

Yoro Foula s’adresse au président du conseil rural de Pata en ces termes : « La décision visée en objet

demande le déguerpissement du village de Saré Alette comme solution pour faire revenir la paix

dans la zone. Même si, en l’absence de leur chef de village, les habitants de Saré Alette sont partis

sous les menaces et intimidations que les habitants de Saré yoro Bouya n’ont cessé de brandir à

leur endroit depuis les malheureux incidents et que les responsables de l’ONG FODDE ont amplifié

au cours de ce simulacre de réunion de conciliation devant la presse et en l’absence d’une des

parties, il est important de rappeler que cette décision illégale est nulle et de nul effet. Aussi les

habitants de Saré Alette gardent-ils intacts leurs droits de vivre dans leur village comme le leur

garantissent les lois de la République. En tout état de cause toute tentative visant à leur priver ce

droit ou à s’approprier leur village sera traitée de la manière la plus appropriée pour que force reste

à la loi».

Des enquêtes sur la motivation de cette décision à l’époque, de la part du Sous-préfet de

revenir sur un acquis qui garantissait au moins la paix à court terme et après mort d’homme, nous

laissent supposer qu’au-delà du désir de légalité et d’affirmation d’une légitimité, que ce

fonctionnaire était un élément clé dans l’itinéraire de sécurisation foncière dont disposaient les agro-

pasteurs de Amdalaye Samba Mbaye.

Vers une reconfiguration de l’arène politico-foncière en Haute Casamance

L’enquête de terrain que nous avons menée récemment dans le Médina Yoro Foula nous a

permis de produire des éléments importants pouvant confirmer une reconfiguration de l’arène politico-

foncière en Haute Casamance. Les éleveurs jusque-là considérés comme des acteurs « passifs » sont

devenus de véritables agents économiques au même titre que les agriculteurs venus du Nord. Ils font

Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 10

de l’arachide, du coton et pratiquent des activités maraîchères avec l’appui d’ONG. Ceux que nous

avons rencontrés ne sont pas des « conservationnistes ».

Des différences demeurent dans le mode d’occupation de l’espace, la nature de l’habitat et la

capacité de mobilisation et de cooptation. Mais au-delà de ces aspects, l’indétermination foncière est

tellement importante que les conflits peuvent éclater entre éleveurs comme entre agriculteurs

défendant des intérêts strictement individuels. De même les agriculteurs se sont beaucoup investis

dans l’élevage et possèdent des troupeaux de taille importante. À notre avis, il sera difficile si la

tendance se confirme, de garder les frontières socio-professionnelles entre allochtones pratiquant de

l’agriculture extensive et éleveurs autochtones voulant garder le milieu tel quel.

M. Gaye directeur du développement rural interrogé sur les origines des conflits a trouvé une

autre raison à côté de celles qui sont dites « logiques ». Il rappelle que : «Les migrants quand ils se

sont installés sont venus avec rien du tout et ils sont devenus subitement riches parce que ce sont

de vrais agents économiques. Ils ont fait beaucoup d’arachide et de mil, ils ont acheté des camions

ils vont à la Mecque. Ils sont devenus plus quottés que les locaux, plus riches. Ils ont des villages

solides avec des écoles, des dispensaires, des maisons en dur. Ailleurs c’est des cases, la misère, il y

a eu un sentiment de jalousie. Les vieux autochtones eux sont sages, ils ont géré la situation, mais

les jeunes sont montés au créneau, ils ont dit : ils se sont enrichis sur notre dos ».

Depuis les événements de Saré Alette, les itinéraires de sécurisation foncières des migrants ont

été partiellement obstrués par de nouveaux dispositifs de régulation foncière. Des commissions de

règlement et de prévention des conflits ont été créées à l’échelon administratif le plus bas, un arrêté est

sorti interdisant tout défrichement, installation de villages ou de hameaux de culture sur une période

de cinq ans.

M. Ndiaye rappelant le contexte de l’installation des allochtones disait : « Habituellement

quand un colon voulait s’installer, il y avait deux possibilités. Soit Il appelait son marabout qui à

son tour appelait le ministre. Le ministre appelle le gouverneur ou le préfet et celui qui voulait

s’installer arrivait avec son permis délivré depuis Dakar. Deuxième possibilité, il venait au niveau

de la communauté rurale voir le PCR et les membres de la commission domaniale qu’il corrompt. Il

obtient ainsi un procès-verbal de délibération qui lui alloue une parcelle. Donc soit le colon a un

permis délivré au niveau national, soit il a été corrompre l’autorité locale, mais de toute façon il

s’installe régulièrement dans un espace interdit. »

Les acquis des dispositifs locaux de régulation

Les dispositifs de régulation, foncière dans notre zone d’étude, ont été efficaces dans la

majorité de leur intervention, Ils ont permis de régler des litiges ou de gérer des situations délicates.

On peut toutefois discuter de la durabilité des solutions qu’ils apportent ou de leur pertinence tant du

point de vue des acteurs concernés que de celui des experts dans ce domaine. Nous avons pu constater

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et documenter des exemples de régulation qui se sont effectuées voici trois à cinq années et qui sont

remis en cause actuellement par les acteurs. D’autres accords ont été renégociés ou sont en train de

l’être.

L’outil qui revient le plus souvent dans la gestion d’un conflit portant sur les terres est la

suspension de parcelle. Dans la majorité des cas étudiés, elle est illimitée dans le temps. Il est arrivé

que des protagonistes trouvent un accord et partent voir le PCR pour qu’il l’entérine. Les suspensions

qui durent longtemps sont ceux qui ont résulté de heurts violents ou de « conflits hérités ». Nous

avons également constaté une remise en cause d’accords passés entre des villages gambiens et

sénégalais ainsi qu’une forte contestation du tracé de la frontière. Nous avons effectué des relevés

GPS sur les zones litigieuses et nous pensons pouvoir produire des informations plus exactes sur cet

aspect à l’avenir.

Déjà en 1997, le PCR de Pata et le chef Canton du Fouladou en République de Gambie

parvenaient à régler un litige qui, comme ils l’affirment dans le « papier » signé par les deux

délégations, « est du ressort des deux chefs d’Etat ou de leurs représentants ». Dans le papier, il est

mentionné que : « les deux délégations s’étant rendues sur les lieux pour une reconnaissance

effective du champ, après interrogation des protagonistes et des chefs de villages, en l’occurrence,

de M. Mamadou Diallo, chef du village de Saré Abdou et de M. Bora Sabaly chef du village de

Sinthiou Djida et après avoir recueilli des renseignements parmi les autorités (coutumières) il a été

retenu que Mamadou Diama Diagne, habitant le village de Saré Abdou reconnaît que le champ lui

a été bel et bien prêté par Bora Sabaly. Que Bora Sabaly confirme être le propriétaire du champ et

affirme avoir prêté le champ à El Hadji Mamadou Diama Diagne depuis deux années. Cependant

il a affirmé depuis le début de la saison sèche qu’il reprendrait son champ pour l’année 1997.

Malgré cet avertissement, M. Diagne a continué à défricher et a mis les autorités devant le fait

accompli. Après de longues discussions, constructives et positives, les autorités ont obtenu de M.

Bora Sabaly propriétaire du champ, d’accepter pour cette saison hivernale seulement, de prêter le

champ à M. Diagne. Après ce règlement pacifique, M. Lamine Baldé s’est promis de régler de son

côté tout ce qui pour l’avenir, pourra créer un différend entre les deux Républiques. Les deux

délégations seront tenues de rendre compte sans délai, aux autorités respectives des deux Etats ».

Trois constats essentiels sont à tirer dans ce type d’accord :

• L’efficace remarquable d’un dispositif local de régulation foncière sur une question

supposée dépasser l’autorité locale parce que touchant un élément très délicat : la frontière,

donc la souveraineté nationale dans un contexte politique et sous-régional instable ;

• La sécurisation foncière par l’écrit en recourant à un papier de reconnaissance d’un

prêt de parcelle ;

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• La difficulté pour les administrations et les collectivités de produire une information

foncière pertinente ou de recourir à des outils efficaces de gestion foncière.

Le seul outil significatif que nous avons recensé et qui est dans une phase que nous qualifions

d’expérimentale est le plan d’aménagement forestier.

Dans le cadre du PROGED8, la forêt de Saré Gardi qui s’étend sur une superficie de 10383

ha et polarise 28 villages a été aménagée afin d’impliquer les populations dans la gestion et

l’exploitation des espaces forestiers, de diversifier leurs sources de revenus dans l’optique de réduire

la pression anthropique résultant des activités pastorales et agricoles et qui a des incidences négatives

sur le développement et la dynamique du potentiel forestier.

Parallèlement à l’aménagement, le projet a mis sur pied des comités villageois et inter-

villageois de gestion et de développement. Le plan constitue un dispositif de régulation foncière avec

des règles édictées dans le code local de gestion de la forêt de Saré Gardi structuré autour de 6 axes

principaux :

• L’organisation des villages pour la gestion de la forêt ;

• Les règles relatives à la récolte des produits forestiers ;

• Les règles relatives au pâturage en forêt ;

• Les règles relatives au défrichement et aux feux de brousse ;

• La gestion des recettes tirées de la forêt ;

• Les dispositions diverses.

L’aménagement de la forêt de Saré Gardi a été accompagné de beaucoup d’erreurs

méthodologiques et de biais qui ont entraîné des détournements de procédures et des positionnements

stratégiques de groupes, qui peuvent entraver des dysfonctionnements du programme à l’avenir.

Laurence Boutinot9 a réalisé un travail d’évaluation de la contribution du PROGED à la

gestion décentralisée des ressources forestières dans lequel elle rend compte de la participation des

villageois aux activités, de la légitimité des organes de gestion aux yeux des populations locales ainsi

que de l’intégration du PROGED dans la politique de décentralisation.

Dans la communauté rurale de Pata, le projet Wula Nafa veut procéder au même type

d’aménagement pour la forêt classée de Pata qui va subir un processus de déclassement. Nous avons

assisté à la première réunion de montage du comité de gestion. Lors de cette réunion trois éléments

majeurs ont attiré notre attention parce que constituant des sources de risques pour la paix sociale et la

gestion durable des ressources naturelles renouvelables. Ce sont :

8 Le Programme de Gestion Durable et Participative des Energies Traditionnelles et de leur substitution (PROGED) est né de la revue des politiques,stratégies et programmes dans le secteur des énergies traditionnelles(RPTES)dans le cadre sous-régional avec l’appui de la Banque Mondiale. 9 Boutinot L.,2004.Etude de la contribution du PROGED à la gestion décentralisée des ressources naturelles.Rapport final,CIRAD.

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• La non implication des villages de migrants déjà installés dans la forêt ou dans ses

alentours qui signifie leur exclusion de l’exploitation future des produits;

• Le mode de désignation des membres du comité de gestion qui ne sont ni élus par

vote, ni représentatifs des villages de la communauté rurale ;

• Le manque d’expérience des populations locales dans la fabrication et l’écoulement du

charbon de bois et du bois de chauffe qu’il considère comme un métier avilissant ; ce qui veut

dire que ce volet va revenir à des étrangers donc de nouveaux ‘’colons’’.

Au-delà de l’aménagement, les nouveaux acteurs ont introduit en Haute Casamance des outils

de sensibilisation de surveillance et de médiation culturelle. La médiation culturelle a été

expérimentée dans le conflit de Saré Alette sous forme de journées culturelles communes entre les

protagonistes. La surveillance se fait par le corps des surveillants de la forêt qui est traversé

aujourd’hui par de nombreux conflits internes dus au fait qu’ils sont pris dans des tendances politiques

et demeurent à l’intersection de trois entités : le service des eaux et forêt, le conseil rural et leurs

propres villages.

Note méthodologique

Les acteurs qu’ils soient stratégiques ou institutionnels sont de manière globale dans un cadre

très changeant. La décentralisation au-delà des compétences qu’elle a transférées au pouvoir local a

fortement modifié la donne au niveau de l’arène foncière. Les acteurs stratégiques qui sont moins

formels et moins stabilisés que les acteurs institutionnels parviennent compte tenu de leur capital

social, de leur poids économique, politique ou symbolique, à « utiliser » les acteurs institutionnels

pour atteindre des objectifs ou faire prévaloir des intérêts liés à la maîtrise de la ressource.

L’enjeu de la recherche est donc, comme l’ont précisé les membres du comité de pilotage

foncier rural ressources renouvelables et développement, de parvenir à identifier les itinéraires de

sécurisation foncière qui se définissent comme « les stratégies que les acteurs mettent en place face à

un enjeu donné, pour tenter de stabiliser au mieux leur position ou de faire aboutir leurs

revendications » mais aussi de bien saisir le niveau d’imbrication des différentes pratiques et des

multiples références sociales et institutionnelles et leurs effets sur le jeu foncier.

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Bibliographie

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Boutinot L., 2004. Etude de la contribution du PROGED à la gestion décentralisée des ressources naturelles. Rapport final, CIRAD.

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Colin Jean-Philippe., 2004. Droits fonciers et dimension intra-familiale de la gestion foncière. Note méthodologique pour une ethnographie économique de l'accès à la terre en Afrique, document de travail N°8 de l'UR 095, IRD.

Lavigne Delville Ph., 2002, dir. Quelles politiques foncières en Afrique noire rurale ? réconcilier pratiques, légitimité et légalité, Paris, karthala.

Le Meur Pierre-Yves., 2002. Approche qualitative de la question foncière,UR 095, IRD.

Ribot. Jesse C., 1998. Rebellion,representation and Enfranchissement in the forest Villages of Makakoulibantang,Estern Senegal in Charles Zerner (ed.) People,Plants and Justice, New York, Columbia University Press.

Fanchette S., 1999. Colonisation des terres sylvo-pastorales et conflits fonciers en Haute Casamance,iied.

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Annexes

Annexe 1 : Lettre adressée aux autorités administratives de locales lors du conflit de Wendou Ousmane

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Annexe 2 : Lettre adressée au Président du conseil Rural par le Sous-préfet de Médina Yoro Foula pour annuler un accord obtenu par une ONG dans un conflit foncier ayant opposé migrants et autochtones dans la communauté rurale de Pata.

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Annexe 3 : Arrêté Sous-préfectoral portant suspension de terre dans une zone de conflit

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Annexe 4 : Compte rendu d’une médiation réalisée par des autorités locales sénégalaises et gambiennes sur un conflit foncier dans un village frontalier

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Annexe 5 : Quittances de payement après verbalisation pour défrichement illégal (agriculteurs migants de Horé Wougnianky)

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