2
WWW.REVMED.CH 24 janvier 2018 223 QUADRIMED Dyspnée d’origine neurodégénérative et neuromusculaire Cas clinique Monsieur C., 72 ans, suivi pour un diabète de type 2 insulino-requérant, est hospitalisé en urgence pour une dyspnée. Dans ses antécédents, on note un épisode de bronchopneumonie bi-basale 3 mois auparavant, résolu sous antibiothérapie per os. Le patient mentionne à l’interrogatoire des difficultés à dormir depuis plusieurs mois en raison d’un manque de souffle et le fait qu’il passe ses nuits au fauteuil depuis 2 mois. Depuis un an environ, il note une faiblesse des membres supérieurs avec difficultés à lever les bras, en parallèle avec une perte pondérale de 22 kg. Examen clinique : patient tachycarde à 110/min, ortho- pnéique, tachypnéique à 25/min, SaO 2 95 % à l’air ambiant, vigilant. Poids 106 kg, IMC 32,7 kg/m 2 . Dysarthrie légère, hypophonie avec voix soufflée. Quelques fasciculations de la langue. Amyotrophie importante de la ceinture scapulaire à prédominance droite avec fasciculations en regard. Respiration paradoxale, recrutement de la mus- culature accessoire cervicale. Plégie proximale des membres supérieurs, parésie distale. Réflexes ostéo-tendineux vifs. Pas de trouble de la sensibilité. Marche dans la norme. Auscultation cardiopulmonaire sans particularité. La radiographie du thorax montre une surélévation de la coupole diaphragmatique à droite (figure 1). La gazomé- trie à l’air ambiant révèle une hypercapnie (PaCO 2 = 7,25 kPa). DYSPNÉE D’ORIGINE NEUROLOGIQUE OU CARDIOPULMONAIRE : QUELLE DIFFÉRENCE ? L’histoire de Monsieur C. illustre les caractéristiques d’une dyspnée d’origine neurologique (en l’occurrence ici dans un contexte de sclérose latérale amyotrophique (SLA)). A la différence d’une dyspnée cardiopulmonaire, il n’y a pas de toux ou d’encombrement bronchique, en dehors d’épisodes de surinfection pulmonaire ou de troubles de déglutition avec broncho-aspiration. La dyspnée, survenant d’abord à l’effort, évolue vers une dyspnée de repos. Certains patients la dé- crivent comme étant une oppression thoracique, d’autres comme une interruption de la commande automatique respi- ratoire, avec nécessité de penser constamment à déclencher le mouvement respiratoire. Il est impératif de chercher à l’anamnèse des troubles du sommeil, une orthopnée et, à l’examen clinique, la mise en jeu de la musculature respira- toire accessoire ainsi qu’une respiration paradoxale (creuse- ment de l’abdomen à l’inspiration). L’auscultation cardio- pulmonaire est en général normale, de même que la satura- tion à l’air ambiant. Les signes d’insuffisance respiratoire neurogène, qui témoignent d’une dysfonction du diaphragme, peuvent s’installer progressivement, comme dans la SLA, ou être très fluctuants, comme dans la myasthénie grave. Le pro- blème est que la dyspnée neurogène survient tardivement, quand l’atteinte des muscles respiratoires est déjà sévère. L’élévation de la PaCO2 est aussi un critère tardif d’atteinte musculaire respiratoire. QUE FAIRE EN PRATIQUE ? Si un problème neurologique est suspecté chez un patient dyspnéique, il y a urgence vitale à adresser le patient dans un centre de soins hospitaliers pour prise en charge et investi- gations complémentaires, notamment pneumologiques et neurologiques. Les investigations pneumologiques de base incluent, outre la radiographie du thorax et la gazométrie, des fonctions pulmonaires en position assise et couchée, avec mesure non invasive de la force des muscles inspiratoires (MIP : Pression inspiratoire maximale à la bouche et SNIP : Sniff Nasal Inspiratory Pressure) et une oxymétrie nocturne. Un avis neurologique clinique, une électroneuromyographie et éventuellement une imagerie cérébro-médullaire aident à préciser la topographie et la gravité de l’atteinte, que ce soit au niveau médullaire, de la corne antérieure, du nerf phrénique, de la jonction neuromusculaire ou du muscle diaphragma- tique lui-même (figure 2). Le traitement de choix de la dyspnée sur insuffisance respira- toire d’origine neurologique est la ventilation non invasive (VNI). Les critères de mise en route d’une VNI dans les Dr ANNE-CHANTAL HÉRITIER BARRAS  a Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 223-4 a Centre SLA, Service de neurologie, HUG, 1211 Genève 14 [email protected] FIG 1 Radiographie du thorax de face

Dyspnée d’origine neurodégénérative et neuromusculaire

  • Upload
    others

  • View
    7

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Dyspnée d’origine neurodégénérative et neuromusculaire

WWW.REVMED.CH

24 janvier 2018 223

QUADRIMED

Dyspnée d’origine neurodégénérative et neuromusculaire

Cas clinique

Monsieur C., 72 ans, suivi pour un diabète de type 2 insulino-requérant, est hospitalisé en urgence pour une dyspnée. Dans ses antécédents, on note un épisode de bronchopneumonie bi-basale 3 mois auparavant, résolu sous antibiothérapie per os. Le patient mentionne à l’interrogatoire des difficultés à dormir depuis plusieurs mois en raison d’un manque de souffle et le fait qu’il passe ses nuits au fauteuil depuis 2 mois. Depuis un an environ, il note une faiblesse des membres supérieurs avec difficultés à lever les bras, en parallèle avec une perte pondérale de 22 kg.

Examen clinique : patient tachycarde à 110/min, ortho-pnéique, tachypnéique à 25/min, SaO2 95 % à l’air ambiant, vigilant. Poids 106 kg, IMC 32,7 kg/m2. Dysarthrie légère, hypophonie avec voix soufflée. Quelques fasciculations de la langue. Amyotrophie importante de la ceinture scapulaire à prédominance droite avec fasciculations en regard. Respiration paradoxale, recrutement de la mus-culature accessoire cervicale. Plégie proximale des membres supérieurs, parésie distale. Réflexes ostéo-tendineux vifs. Pas de trouble de la sensibilité. Marche dans la norme. Auscultation cardiopulmonaire sans particularité. La radiographie du thorax montre une surélévation de la coupole diaphragmatique à droite (figure 1). La gazomé-trie à l’air ambiant révèle une hypercapnie (PaCO2 = 7,25 kPa).

DYSPNÉE D’ORIGINE NEUROLOGIQUE OU CARDIOPULMONAIRE : QUELLE DIFFÉRENCE ? L’histoire de Monsieur C. illustre les caractéristiques d’une dyspnée d’origine neurologique (en l’occurrence ici dans un contexte de sclérose latérale amyotrophique (SLA)). A la différence d’une dyspnée cardiopulmonaire, il n’y a pas de toux ou d’encombrement bronchique, en dehors d’épisodes de surinfection pulmonaire ou de troubles de déglutition avec broncho-aspiration. La dyspnée, survenant d’abord à l’effort, évolue vers une dyspnée de repos. Certains patients la dé-crivent comme étant une oppression thoracique, d’autres comme une interruption de la commande automatique respi-ratoire, avec nécessité de penser constamment à déclencher le mouvement respiratoire. Il est impératif de chercher à

l’anamnèse des troubles du sommeil, une orthopnée et, à l’examen clinique, la mise en jeu de la musculature respira-toire accessoire ainsi qu’une respiration paradoxale (creuse-ment de l’abdomen à l’inspiration). L’auscultation cardio-pulmonaire est en général normale, de même que la satura-tion à l’air ambiant. Les signes d’insuffisance respiratoire neurogène, qui témoignent d’une dysfonction du diaphragme, peuvent s’installer progressivement, comme dans la SLA, ou être très fluctuants, comme dans la myasthénie grave. Le pro-blème est que la dyspnée neurogène survient tardivement, quand l’atteinte des muscles respiratoires est déjà sévère. L’élévation de la PaCO2 est aussi un critère tardif d’atteinte musculaire respiratoire.

QUE FAIRE EN PRATIQUE ?Si un problème neurologique est suspecté chez un patient dyspnéique, il y a urgence vitale à adresser le patient dans un centre de soins hospitaliers pour prise en charge et investi-gations complémentaires, notamment pneumologiques et neurologiques. Les investigations pneumologiques de base incluent, outre la radiographie du thorax et la gazométrie, des fonctions pulmonaires en position assise et couchée, avec mesure non invasive de la force des muscles inspiratoires (MIP : Pression inspiratoire maximale à la bouche et SNIP : Sniff Nasal Inspiratory Pressure) et une oxymétrie nocturne. Un avis neurologique clinique, une électroneuromyographie et éventuellement une imagerie cérébro-médullaire aident à préciser la topographie et la gravité de l’atteinte, que ce soit au niveau médullaire, de la corne antérieure, du nerf phrénique, de la jonction neuromusculaire ou du muscle diaphragma-tique lui-même (figure 2).

Le traitement de choix de la dyspnée sur insuffisance respira-toire d’origine neurologique est la ventilation non invasive (VNI). Les critères de mise en route d’une VNI dans les

Dr ANNE-CHANTAL HÉRITIER BARRAS a

Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 223-4

a Centre SLA, Service de neurologie, HUG, 1211 Genève 14 [email protected]

FIG 1 Radiographie du thorax de face

Page 2: Dyspnée d’origine neurodégénérative et neuromusculaire

REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH

24 janvier 2018224

pathologies neurodégénératives telles que la SLA sont bien définis (tableau 1)2,3 Notons que ces critères reposent sur des avis d’experts, qu’ils peuvent différer d’une maladie neuro-musculaire à l’autre et que l’orthopnée seule, quelle que soit la capnie, est une indication à la VNI afin de restaurer un confort pendant le sommeil. Le but visé de la VNI est le soulagement des symptômes tels que l’orthopnée, la dyspnée et la fatigue. En plus d’augmenter la durée de vie, la VNI améliore la qualité de vie des patients atteints de SLA.4 Un suivi régulier par une équipe multidisci-plinaire, incluant pneumologues, neurologues, physiothéra-peutes, ergothérapeutes, nutritionnistes, ORL et soins pallia-tifs, est vivement souhaitable.5-7 A noter que la trachéostomie reste une option rare, dans des situations bien particulières (patient jeune, motivé, entouré, avec insuffisance respiratoire sévère et échec de la VNI).8

EN RÉSUMÉLa dyspnée neurogène, couplée cliniquement à une orthopnée et à des troubles du sommeil, est un symptôme parfois tardif, révélateur d’une insuffisance respiratoire souvent sévère sur

dysfonction du diaphragme. Progressive, en association à des signes cliniques de faiblesse dans d’autres groupes muscu-laires ou à des fasciculations, elle fait suspecter une SLA. Un avis pneumologique et neurologique est indiqué sans tarder pour la mise en route d’une VNI, dans le but de soulager les symptômes du patient, en parallèle avec une prise en charge multidisciplinaire.

Remerciements : Au Pr Jean-Paul Janssens et au Dr Dan Adler pour la relecture de cet article.

Motoneurone(corps cellulaire)

Corne antérieurede la moelle épinière

Gaine de myélineMotoneurone (axone)

Moelle épinière

Nerf périphérique

Jonction neuromusculaire

Fibre musculaire

FIG 2 Schéma anatomique

(D’après réf.1)

TABLEAU 1 Critères de mise en route d’une VNI

VNI : ventilation non invasive ; ; SLA : sclérose latérale amyotrophique.

Critères de mise en route d’une VNI dans le cadre d’une SLA

Symptômes (fatigue, dyspnée, céphalées matinales, etc.)et au moins un élément suivant

a) PaCO2 > 6 kPa (45 mmHg)

b) Saturation en oxygène < 88 % pendant 5 minutes consécutives sur une oxymétrie nocturne

c) Capacité vitale < 50 % de la valeur prédite ou pression au cours d’une inspiration maximale < 60 cm H2O

(Adapté de réf.2).

1 http://4.bp.blogspot.com/_5hnxTVk6MzA/S4wyQXYcBuI/AAAAAAAAAJ4/BiqLjwuHKO0/s320/maladies_neuromusculaire5.gif2 Adler D, Contal O, Janssens JP. Le pneumologue dans la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique : vers moins de pessimisme. Rev Med Suisse 2009;5:2329-35.3 Gruis KL, Lechtzin N. Respiratory therapies for amyotrophic lateral sclerosis: a primer. Muscle Nerve 2012;46:313-31.4 Bourke SC, Tomlinson M, Williams TL, et al. Effects of non-invasive ventilation on survival and quality of life in patients with amyotrophic lateral sclerosis: a randomised controlled trial. Lancet Neurol 2006;5:140-7.5 Miller RG, Jackson CE, Kasarskis EJ, et al. Practice parameter update: the care of the patient with amyotrophic lateral sclerosis: drug, nutritional, and

respiratory therapies (an evidence-based review): report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology. Neurology 2009;73:1218-26.6 EFNS Task Force on Diagnosis and Management of Amyotrophic Lateral Sclerosis:1, Andersen PM, Abrahams S, Borasio GD, et al., EFNS guidelines on the clinical management of amyotro-phic lateral sclerosis (MALS)-revised report of an EFNS task force. Eur J Neurol 2012;19:360-75.7 Hobson EV, McDermott CJ. Supportive and symptomatic manage-ment of amyotrophic lateral sclerosis. Nat Rev Neurol 2016;12:526-38.8 Heritier Barras AC, Adler D, Iancu Ferfoglia R,; CeSLA group. Is tracheos-tomy still an option in amyotrophic lateral sclerosis? Reflections of a multidisciplinary work group. Swiss Med Wkly 2013;143:w13830.