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CAS CLINIQUE / CASE REPORT Dyspnée laryngée post-traumatique sur fractures dostéophytes cervicaux Traumatic laryngeal dyspnea related to osteophytes cervicals vertebraes fractures D. Keil · P. Pommier Reçu le 23 mai 2013 ; accepté le 28 octobre 2013 © SFMU et Springer-Verlag France 2013 Introduction La dyspnée laryngée est une difficulté respiratoire liée à une réduction du calibre laryngotrachéal. Même si les étiologies médicales sont les plus connues, il existe des étiologies post- traumatiques. Nous rapportons le cas dune détresse respira- toire aiguë dorigine laryngée sur rupture dostéophytes cer- vicaux post-traumatisme cervical. Observation Un patient de 84 ans, sans allergie connue, aux antécédents de diabète de type 2, dobésité morbide, de canal cervical étroit, est admis aux urgences pour chute mécanique de sa hauteur avec traumatisme crânien occipital sans perte de connaissance. À son arrivée, la pression artérielle est de 163/88 mmHg, la fréquence cardiaque à 95 bpm, la satura- tion en air ambiant à 94 %, le score de Glasgow 15, la gly- cémie capillaire à 7 mmol/L et la température à 36,9 °C. L examen neurologique ne met pas en évidence de déficit, les reflexes sont présents et symétriques. L examen du rachis cervical retrouve une douleur cervicale paramédiane diffuse sans signe sous lésionnel. La radiographie thoracique est normale. L ECG est normal. Trois heures après ladmission apparaît une dyspnée dallure laryngée. Elle saggrave en 15 minutes malgré limmobilisation cervicale, 80 mg de méthylprédnisolone parentéral et un aérosol de 5 mg dadré- naline. Rapidement une intubation orotrachéale avec man- drin dEschmann sous induction en séquence rapide par éto- midate et célocurine est entreprise sur critère respiratoire. La laryngoscopie directe met en évidence un œdème de la région glottique. La radiographie et le scanner cervicothora- cique montre une cervicarthrose très évoluée avec fractures étagées dostéophytes antérieures de C3 à C6 (Figs 1, 2a) avec effet de masse de 6 mm en regard du mur postérieur de lhypopharynx, sans recul, ainsi que respect du calibre rachidien (Fig. 2b). La nasofibroscopie retrouve un héma- tome de la corde vocale gauche avec extension sous glot- tique. Le diagnostic de réduction extrinsèque du calibre tra- chéal sur œdème des parties molles, secondaire à une compression antérieure par fracture dostéophytes cervi- caux, est évoqué. Malgré une corticothérapie à 40 mg/jour et après deux échecs dextubation, une trachéotomie sous isthmique est pratiquée pour permettre une autonomisation respiratoire, avant denvisager le sevrage définif de celle-ci à distance. Fig. 1 Radiographie cervicale de profil : ostéophytes cervicaux antérieurs avec épaississement des parties molles en regard (fléche) D. Keil · P. Pommier (*) Pôle urgences, Samu-Smur, CHU de Grenoble, hôpital Albert Michallon, F-38700 La Tronche, France e-mail : [email protected] Ann. Fr. Med. Urgence (2014) 4:50-52 DOI 10.1007/s13341-013-0386-y

Dyspnée laryngée post-traumatique sur fractures d’ostéophytes cervicaux; Traumatic laryngeal dyspnea related to osteophytes cervicals vertebraes fractures;

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Page 1: Dyspnée laryngée post-traumatique sur fractures d’ostéophytes cervicaux; Traumatic laryngeal dyspnea related to osteophytes cervicals vertebraes fractures;

CAS CLINIQUE / CASE REPORT

Dyspnée laryngée post-traumatique sur fractures d’ostéophytescervicaux

Traumatic laryngeal dyspnea related to osteophytes cervicals vertebraes fractures

D. Keil · P. Pommier

Reçu le 23 mai 2013 ; accepté le 28 octobre 2013© SFMU et Springer-Verlag France 2013

Introduction

La dyspnée laryngée est une difficulté respiratoire liée à uneréduction du calibre laryngotrachéal. Même si les étiologiesmédicales sont les plus connues, il existe des étiologies post-traumatiques. Nous rapportons le cas d’une détresse respira-toire aiguë d’origine laryngée sur rupture d’ostéophytes cer-vicaux post-traumatisme cervical.

Observation

Un patient de 84 ans, sans allergie connue, aux antécédentsde diabète de type 2, d’obésité morbide, de canal cervicalétroit, est admis aux urgences pour chute mécanique de sahauteur avec traumatisme crânien occipital sans perte deconnaissance. À son arrivée, la pression artérielle est de163/88 mmHg, la fréquence cardiaque à 95 bpm, la satura-tion en air ambiant à 94 %, le score de Glasgow 15, la gly-cémie capillaire à 7 mmol/L et la température à 36,9 °C.L’examen neurologique ne met pas en évidence de déficit,les reflexes sont présents et symétriques. L’examen du rachiscervical retrouve une douleur cervicale paramédiane diffusesans signe sous lésionnel. La radiographie thoracique estnormale. L’ECG est normal. Trois heures après l’admissionapparaît une dyspnée d’allure laryngée. Elle s’aggrave en15 minutes malgré l’immobilisation cervicale, 80 mg deméthylprédnisolone parentéral et un aérosol de 5 mg d’adré-naline. Rapidement une intubation orotrachéale avec man-drin d’Eschmann sous induction en séquence rapide par éto-midate et célocurine est entreprise sur critère respiratoire. Lalaryngoscopie directe met en évidence un œdème de larégion glottique. La radiographie et le scanner cervicothora-

cique montre une cervicarthrose très évoluée avec fracturesétagées d’ostéophytes antérieures de C3 à C6 (Figs 1, 2a)avec effet de masse de 6 mm en regard du mur postérieurde l’hypopharynx, sans recul, ainsi que respect du calibrerachidien (Fig. 2b). La nasofibroscopie retrouve un héma-tome de la corde vocale gauche avec extension sous glot-tique. Le diagnostic de réduction extrinsèque du calibre tra-chéal sur œdème des parties molles, secondaire à unecompression antérieure par fracture d’ostéophytes cervi-caux, est évoqué. Malgré une corticothérapie à 40 mg/jouret après deux échecs d’extubation, une trachéotomie sousisthmique est pratiquée pour permettre une autonomisationrespiratoire, avant d’envisager le sevrage définif de celle-ci àdistance.

Fig. 1 Radiographie cervicale de profil : ostéophytes cervicaux

antérieurs avec épaississement des parties molles en regard (fléche)

D. Keil · P. Pommier (*)Pôle urgences, Samu-Smur, CHU de Grenoble,hôpital Albert Michallon, F-38700 La Tronche, Francee-mail : [email protected]

Ann. Fr. Med. Urgence (2014) 4:50-52DOI 10.1007/s13341-013-0386-y

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Discussion

Devant une dyspnée inspiratoire post-traumatique, lesprincipales étiologies restent les corps étrangers, les contu-sions, fractures ou luxations du larynx voire les désinser-tions laryngotrachéales sur traumatisme direct. On distin-gue trois mécanismes différents : accidents de la voiepublique, sport et pendaisons. Il ne faut pas négliger lesséquelles d’intubation pouvant provoquer une sténoseglottique ou une paralysie laryngée bilatérale [1]. L’hyper-trophie d’ostéophytes cervicaux antérieurs est une entitéretrouvée dans la littérature ; elle peut être associée à l’hy-perostose squelettique idiopathique diffuse (DISH). Elles’associe alors à une hyperostose progressive des inser-tions tendineuses, des capsules articulaires et une ossifica-tion du ligament longitudinal antérieur du rachis. Les fac-teurs de risque sont l’âge supérieur à 50 ans, l’obésité, lediabète de type 2, la dyslipidémie et l’hypervitaminose A[2,3]. Des signes respiratoires peuvent être retrouvés audébut de l’évolution, à type de dyspnée nocturne, enroue-ment, voire détresse respiratoire pouvant nécessiter unetrachéotomie en urgence [4-9]. La compression du nerflaryngé [5,6], entraînant une paralysie des cordes vocales,peut s’associer. De plus, l’irritation de la région rétrocri-coïde contre l’ostéophyte, à chaque mouvement de déglu-tition, provoque une inflammation chronique avec œdèmepouvant aller jusqu’à l’obstruction laryngée. Cependant,dans quelques cas, une obstruction directe par l’ostéophytea été évoquée [5]. Les fractures parcellaires sont favoriséespar une diminution de la flexibilité du rachis arthrosique[1], pouvant comprimer les racines des nerfs laryngéscréant ainsi une paralysie des cordes vocales, ou s’accom-pagner d’un hématome du rétropharynx.

La radiographie standard met en évidence les ostéophy-tes et permet de mesurer l’épaisseur des parties molles pré-vertébrales. Le scanner spiralé avec reconstructions sagitta-

les de la région cervicale jusqu’aux premières vertèbresthoraciques pour les suspicions de DISH, permettant parfoisde retrouver une hyperostose sternoclaviculaire aggravantla dyspnée [3]. Il permet de mettre en évidence les conflitsavec la région cervicale antérieure [5-7]. L’IRM peut êtreutile pour évaluer l’étendue de l’inflammation et faire unbilan lésionnel de moelle cervicale sur canal cervical étroitpost-traumatique [5-7]. La nasofibroscopie permet d’élimi-ner d’autres causes, notamment tumorales [7]. Dès confir-mation radiographique, deux options thérapeutiques sediscutent : soit traitement conservateur avec prise en chargesymptomatique par l’intermédiaire d’anti-inflammatoiresnon stéroïdien, corticoïdes, myorelaxants, soit une priseen charge chirurgicale en présence de signes digestifs, pré-cédant l’apparition d’une dyspnée, généralement par osteo-phytectomie par voie antérolatérale avec arthrodèse cervi-cale [5,6].

En conclusion, un traumatisme cervical bénin chez unpatient présentant une hyperostose squelettique idiopathiquediffuse ou une simple hypertrophie d’ostéophytes cervicauxpeut se compliquer brutalement d’une détresse respiratoireaiguë d’origine laryngée. Cette étiologie rare est à évoquerlorsque les diagnostics différentiels évidents ont été éliminéspar un bilan radiologique adapté, ne devant pas retarder laprise en charge.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir deconflit d’intérêt.

Références

1. Rok Vengust R, Mihalic A, Matjaz T (2010) Two differents causesof acute respiratory failure in a patient with diffuse idiopathic ske-letal hyperostosis and ankylosed cervical spine. Eur Spine J19:130–4

Fig. 2 TDM cervical coupe sagittale (a) et axiale (b) montrant des fractures d’ostéophytes antérieurs au niveau C3 C4 C5 et C6 (a), asso-

ciées à un effet de masse au niveau du mur postérieur de l’hypopharynx (fléches)

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2. Eyigor H, Selcuk OT, Osma U, Koca R, et al (2012) Cervicalosteophytes: a rare cause of obstructive sleep apnea. J CraniofacSurg 23:444–6

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4. Giger R, Dulguerov P, Payer M (2006) Anterior cervical osteophy-tes causing dysphagia and dyspnea: an uncommon entity revisited.Dysphagia 21:259–63

5. Maiuri F, Stella L, Sardo L, Buonamassa S (2002) Dysphagia anddyspnea due to an anterior cervical osteophyte. Arch OrthopTrauma Surg 122:245–7

6. Mosher HP (1926) Exostoses of the cervical vertebrae as a causefor difficulty in swallowing. Laryngoscope 36:181–2

7. Kapetanakis S, Vasileiadis I, Papanas N, Goulimari R, et al(2011) Can a giant cervical osteophyte cause dysphagia and air-way obstruction? A case report. Wien Klin Wochenschr 123:291–3

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9. Anagnostara A, Athanassopoulou A, Kailidou E, et al (2005) Trau-matic retropharyngeal hematoma and prevertebral oedema inducedby whiplash injury. Emerg Radiol 11:145–9

52 Ann. Fr. Med. Urgence (2014) 4:50-52