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LE SENTIER DU DISCIPLE par Annie Besant Traduit de l'anglais par H. Demirgian 4 conférences données à l'occasion du 20 ème anniversaire de la S.T., à Adyar Madras, les 27, 28, 29 et 30 décembre 1895.

(eBook)(Fr)(Occultisme) Annie Besant - Le Sentier Du Disciple

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  • LE SENTIER DU DISCIPLE

    par Annie Besant

    Traduit de l'anglais par H. Demirgian

    4 confrences donnes l'occasion du 20me anniversaire de la S.T., Adyar Madras, les 27, 28, 29 et 30 dcembre 1895.

  • TABLES

    SOMMAIRE

    PRFACE PREMIERS PAS KARMA YOGA PURIFICATION QUALITS REQUISES CONTROLE DE LA PENSEE MEDITATION DIFICATION DU CARACTERE LA VIE DU DISCIPLE LA VOIE DU NOVICIAT LES QUATRE INITIATIONS LE PROGRS FUTUR DE L'HUMANIT METHODES DE LA SCIENCE FUTURE DEVELOPPEMENT A VENIR DES HOMMES

    REGLES

    Qualits requises sur la voie du noviciat

  • LIVRE

    PRFACE

    Parmi les nombreuses et si instructives confrences dont le monde est redevable l'infatigable nergie et l'absolu dvouement qu'apporte Mme Annie Besant dans l'accomplissement de la noble tche laquelle elle a consacr sa vie, il n'en est peut-tre pas de plus remarquables et de plus utiles aux dbutants, que les quatre faites Adyar en 1895, l'occasion du vingtime anniversaire de la fondation de la Socit thosophique, et runies en un volume sous le titre de : The Path of Discipleship.

    La lecture de ces confrences magistrales avait produit sur nous une impression si profonde et si salutaire que nous n'avions pas hsit prendre l'initiative de les traduire en franais, dans l'espoir que leur publication deviendrait un Jour possible et que ceux de nos compatriotes auxquels la langue anglaise n'est pas familire pourraient profiter des vritables trsors qu'elles renferment.

    Aujourd'hui qu'il nous est heureusement possible de prsenter le Sentier du Disciple au public franais, nous prions ce public de ne pas oublier que ces confrences ont t donnes devant un auditoire hindou.

    L'on ne s'tonnera point, ainsi, du point de vue auquel s'est place Mme Besant ni des nombreux termes sanscrits maillant le texte.

    H. DEMIRGIAN.

    Alexandrie (Egypte), le 14 mars 1900.

  • PREMIERS PAS

    KARMA YOGA PURIFICATION

    FRRES. Il y a deux ans, lorsque j'ai parl pour la premire fois dans cette salle, j'ai appel votre attention sur l'dification du Kosmos en gnral, sur les phases par lesquelles a pass cette volution et, en quelque sorte, sur les mthodes suivies au cours de cette vaste succession de phnomnes. L'anne dernire, j'ai trait de l'volution du Soi, du Soi humain plutt que du Soi kosmique, et j'ai tch de vous expliquer comment le Soi amassait de l'exprience en s'levant d'enveloppe en enveloppe et arrivait dominer absolument ses vhicules infrieurs. Pour l'homme comme pour l'univers, pour l'individu, comme pour le Kosmos, le but est le mme : un effort constant pour se runir au Soi, pour remonter ce dont on mane. Cependant, on m'a parfois dit, dans des discussions sur ces sujets sublimes :

    "Quel rapport cela a-t-il avec la vie que les hommes mnent en ce monde, entours comme ils le sont par les ncessits de la vie et par les activits du monde phnomnal, continuellement arrachs la pense du Soi, continuellement forcs par leur Karma participer ces activits de toutes natures ? Quel rapport a donc l'enseignement suprieur avec la vie des hommes et comment des hommes de ce monde peuvent-ils s'lever assez haut pour que la vie suprieure devienne possible pour eux aussi ?" C'est cette question que je vais m'efforcer de rpondre cette anne.

    Je vais tcher de vous expliquer comment un homme de ce monde, soumis des obligations de famille, des devoirs sociaux, aux multiples activits de la vie, peut cependant se prparer l'union et faire les premiers pas sur la voie qui doit le mener l'Un. Je vais tcher de vous dcrire les progrs faire sur cette voie, en commenant par la vie que mne un homme quelconque, en partant de la situation o la plupart

  • d'entre vous se trouvent en ce moment, de telle sorte que vous puissiez reconnatre qu'il y a un but atteindre et une voie parcourir cette voie qui a son point de dpart, ici-bas, dans la vie de la famille, de la communaut, de l'tat, et son point d'arrive dans un lointain qui dfie toute pense ; cette voie qui finit par conduire le voyageur dans la demeure qui sera jamais la sienne. Voil le but de ces quatre confrences ; voil les chelons que vous voudrez bien, j'en suis sre, gravir avec moi.

    Afin de bien nous pntrer de notre sujet, examinons rapidement le cours de l'volution, sa signification et son but, pour que ce coup d'il, vol d'oiseau, jet sur l'ensemble, nous mette mme de l'apprcier et nous fasse comprendre l'opportunit de la marche en avant que nous allons effectuer pas pas.

    Nous admettons que l'Unit soit devenue la multiplicit. Jetons un regard en arrire et considrons les tnbres primordiales qui enveloppent tout ; nous entendrons comme un murmure jaillir de ces tnbres : Je me multiplierai. Cette multiplication n'est autre chose que la construction de l'univers et des individus qui y vivent. Dans cette volont de se multiplier, exprime par "l'Un qui n'a pas de second", nous voyons la source de toute manifestation, nous reconnaissons, en quelque sorte, le germe primordial du Kosmos.

    Et lorsque nous avons compris de quelle faon a commenc l'Univers, que nous nous rendons compte de la complexit et de la multiplicit qui naissent de la simplicit et de l'unit primordiales, nous comprenons galement que chacune de ces manifestations phnomnales doit tre entache d'imperfection et que le fait mme qu'un phnomne ne soit possible qu' la condition d'tre limit est la preuve irrfutable qu'il est infrieur l'Un et, par consquent, imparfait. Cela nous donne le pourquoi de la varit, de la vaste multiplicit des choses et des tres vivants. Nous commenons alors comprendre que la perfection de l'univers manifest rside dans cette varit mme ; que l o il y a plus que l'Un, il faut cette multiplicit infinie, afin que l'Un, qui est comme un puissant soleil projetant ses radieux rayons dans toutes les directions, puisse en projeter partout, et que c'est dans la totalit de ces rayons que

  • rsident la perfection et l'illumination du monde. Plus les objets seront nombreux, remarquables et varis, plus sera fidle, quoique toujours imparfaite, cette rflexion, par l'univers, de l'Un d'o il mane.

    Le premier effort de l'volution vitale doit tre de produire de nombreuses existences distinctes distinctes en apparence, du moins de faon que, vues de l'extrieur, elles nous paraissent nombreuses, tandis qu'en les considrant dans leur essence, nous voyions que le Soi de toutes est Un. Lorsque nous nous sommes rendu compte de cela, nous comprenons qu'au cours de ces multiples individualisations, l'individu entre en manifestation comme un reflet ple et incomplet du Soi. Nous commenons aussi comprendre quoi doit aboutir cet univers, pourquoi l'volution de ces nombreux individus est ncessaire, pourquoi cette sparativit joue un rle indispensable dans l'volution de l'ensemble.

    Nous reconnaissons, en effet, que cet univers doit avoir pour but d'voluer le Logos d'un autre univers, les puissants Dvas qui devront servir de guides toutes les forces kosmiques de cet univers et les divins Matres qui auront pour devoir d'instruire l'humanit naissante d'un autre Kosmos. Tous ces mondes peupls d'existences individuelles sont entrans aujourd'hui dans un courant d'volution ferme et constant, grce auquel chaque univers est mme de fournir un futur univers son Logos, ses Dvas, les premiers de ses Manous 1 et toutes les puissantes entits qui seront indispensables pour difier, former, gouverner et instruire cet univers qui n'est pas encore n.

    C'est ainsi que les univers sont enchans les uns aux autres, que les Manvantaras se suivent, que la rcolte d'un univers sert de semence l'univers qui lui succde. Au milieu de toute cette multiplicit, volue une unit encore plus Vaste, qui servira de charpente au Kosmos natre, qui sera la Puissance directrice et gouvernante du futur Kosmos.

    1 De hauts esprits plantaires, des humains arrivs un adeptat trs lev qui guident l'volution des Races et des Rondes. (N. D. T.)

  • A ce moment, une question se pose je sais qu'elle proccupe bien des cerveaux, car elle m'a t pose maintes et maintes fois, tant en Orient qu'en Occident pourquoi l'volution est-elle entoure de tant de difficults, pourquoi la mise en uvre laisse-t-elle voir la trace de tant d'insuccs apparents, pourquoi les hommes se conduisent-ils si souvent mal avant de se bien conduire, pourquoi poursuivent-ils le mal qui les dgrade, au lieu de s'attacher au bien qui les ennoblirait ? N'tait-il pas possible au Logos de notre univers, aux Dvas, qui sont ses agents, aux grands Manous qui sont venus guider les premiers pas de notre humanit, ne leur tait-il pas possible de faire en sorte que la mise en uvre ne prsentt aucune apparence d'insuccs ? Ne leur tait-il pas possible de diriger le monde de manire ce que la voie ft droite et directe, au lieu d'tre si tortueuse et si indirecte ?

    Nous sommes arrivs au moment o l'volution de l'humanit devient trs difficile, tant donn le but qui doit tre atteint.

    Il et t facile, en effet, de faonner une humanit qui et pu tre parfaite ; facile de donner ses pouvoirs naissants une direction qui les et fait marcher sans cesse vers ce que nous appelons le bien, sans jamais se dtourner pour aller vers ce que nous appelons le mal. Mais quelle et t la caractristique d'une uvre aussi facile ? C'et t, assurment, de faire de l'homme un automate, mis en mouvement par une force extrieure qui lui aurait imprieusement impos une loi qu'il et t dans l'obligation de subir, laquelle il lui et t impossible d'chapper. Le monde minral est soumis une loi de ce genre ; les affinits qui relient les atomes entre eux obissent cette imprieuse impulsion. Mais au fur et mesure que nous nous levons, nous voyons se dvelopper graduellement une libert de plus en plus grande, jusqu' ce que nous trouvions chez l'homme une nergie spontane, une libert de choix qui n'est autre chose que l'aurore de la manifestation de la Divinit, du Soi, qui commence transparatre dans l'tre humain. Or le but atteindre, le rel objectif, n'tait pas de construire des automates destins suivre aveuglment une voie trace pour eux, mais d'difier une rflexion du Logos lui-mme, de constituer un puissant groupe d'hommes, clairs et accomplis, susceptibles de prfrer le bien parce qu'ils le connaissent et

  • le comprennent, et de repousser le mal, aprs avoir appris connatre, par exprience, son impuissance et les douleurs auxquelles il conduit. En sorte que, parmi les grands tres qui dirigeront l'univers futur, comme parmi tous ceux qui dirigent l'univers actuel, il y ait une unit conquise par un concours de volonts fondues en une seule, grce au savoir et au libre arbitre, mues par un mme dsir parce qu'elles savent tout, identifies avec la Loi parce qu'elles ont appris que la Loi est juste ; ayant voulu s'unifier avec la Loi, non sous l'impulsion d'une force extrieure, mais par suite d'un libre assentiment interne. Dans cet univers futur, la Loi sera Une, comme elle l'est dans l'univers actuel, et sera excute grce au concours de Ceux qui en sont la personnification, cause de l'unit de leurs vues, de l'unit de leur savoir, de l'unit de leur puissance : cette loi ne sera point aveugle et inconsciente elle sera le rsultat de la volont d'un groupe d'tres vivants qui sont la Loi, parce qu'ifs sont devenus divins.

    Il n'y a pas d'autre voie, permettant d'atteindre un tel but, permettant au libre arbitre du plus grand nombre de s'identifier avec l'unique et grande Nature, avec l'unique et grande Loi.

    Il n'y a pas d'autre voie, dis-je, en dehors de la loi au cours de laquelle l'exprience s'acquiert, au cours de laquelle on arrive connatre le mal tout autant que le bien, l'insuccs tout autant que le triomphe. Les hommes deviennent alors des Dieux, et, grce l'exprience qu'ils ont acquise, ils veulent, ils peuvent, ils ressentent tous de la mme faon.

    Dans leurs efforts pour atteindre ce but, les divins Matres et guides de notre humanit ont jet les bases de bien des civilisations, constitues toutes en vue du but atteindre. Le temps me manque pour remonter la haute civilisation de la quatrime Race qui prcda la naissance du puissant peuple Aryen. Je me bornerai dire, en passant, qu'une haute civilisation fut mise l'essai et donna, pendant un certain temps de bons rsultats sous la direction de ses divers Gouvernants ; ceux-ci, alors, supprimrent leur direction immdiate comme fait une mre qui cesse de soutenir son enfant, lorsque celui-ci apprend marcher, afin de voir s'il est capable de faire des pas, de se servir de ses membres, sans le secours de son bras. Pour la mme raison, ils rentrrent dans l'ombre

  • les divins Guides et Gouvernants pour voir si l'humanit naissante marcherait ou tomberait en faisant ses premiers pas. Et cette jeune humanit trbucha, tomba et la haute civilisation puissante, et parfaite dans ses institutions sociales, glorieuse par la force et le savoir qui avaient prsid sa formation succomba sous le poids de l'gosme humain, sous le poids des instincts infrieurs de l'humanit qui n'avaient pas encore t domins. Il fallait faire une nouvelle tentative et la grande race Aryenne fut fonde toujours avec de divins Gouvernants, toujours avec de divins Guides ; avec un Manou qui lui donna ses lois, fonda sa civilisation, esquissa sa constitution ; avec les Rishis qui se grouprent autour de Lui, qui assurrent l'excution de ses lois et guidrent la jeune civilisation ; de la sorte un exemple fut de nouveau donn l'humanit, le modle vers lequel elle devait voluer fut de nouveau montr la race. Puis les grands Instructeurs se retirrent encore pour quelque temps, afin de permettre l'humanit d'essayer ses forces, de s'assurer si elle tait capable de marcher seule, en ne comptant que sur elle-mme, dirige par le Soi interne et non plus par des manifestations extrieures. Cette fois encore, comme nous le savons, la tentative aboutit un insuccs complet. Cette fois encore, ainsi que nous pouvons nous en assurer en jetant un coup d'il en arrire, nous voyons cette civilisation d'origine divine dgnrer graduellement sous le poids des instincts infrieurs que l'homme n'avait pas encore appris dominer s'affaisser momentanment sous la pression des passions indomptes de l'humanit.

    En nous reportant, comme nous le faisons, l'Inde de jadis, nous voyons sa constitution parfaite, sa merveilleuse spiritualit et nous suivons de l'il sa dgradation de sicle en sicle au fur et mesure que la main dirigeante se retire au del de la porte visuelle de l'homme. Nous constatons que, dans chaque cas, la tentative de ralisation de l'idal divin a abouti un chec.

    Nous jetons un coup d'il sur le monde moderne et nous voyons jusqu' quel point la nature infrieure de l'homme a triomph de l'idal divin qui lui avait t donn comme modle l'origine de la race Aryenne.

    Nous voyons qu' cette poque il y avait l'idal du Brahmane, un

  • idal que l'on peut dcrire comme tant celui de l'me approchant de la libration, ne rclamant plus rien des biens de la terre, n'aspirant plus aux plaisirs de la chair, ni aucun des dons de la richesse, du pouvoir, de l'autorit, des joies terrestres ; la caractristique du Brahmane tait d'tre pauvre et clair, tandis que nous ne trouvons que trop souvent aujourd'hui, chez l'homme qui porte le nom de Brahmane, richesse et ignorance, au lieu de pauvret et sagesse. L, dans cette caste, vous trouvez une des preuves de la dgnrescence par suite de laquelle l'ancienne constitution est tombe, et il en est de mme dans chacune des quatre castes.

    Voyons maintenant comment les Instructeurs se proposrent d'amener les hommes prfrer librement et volontairement l'idal qui leur avait t propos et dont ils s'taient dtourns ; comment les grands Instructeurs s'appliqurent diriger l'volution de l'humanit si imparfaite vers le parfait idal qui avait t manifest au dbut, pour servir d'exemple la race, et que l'volution n'avait pu atteindre cause de la faiblesse et de la purilit des hommes.

    Afin que ce rsultat pt tre atteint au cours des sicles, ce que l'on appelle la Karma-Yoga fut enseign aux hommes la Yoga, ou l'union 2 par l'action. C'est la forme de Yoga qui convient aux hommes du monde, assaillis par les activits de la vie ; c'est grce ces activits mmes, grce l'entranement qu'elles procurent, que l'on doit arriver faire les premiers pas conduisant l' "union". Et c'est pourquoi la Karma-Yoga a t tablie pour l'entranement des hommes.

    Remarquez la juxtaposition des mots "action" et "union" : action excute de faon avoir l'illusion pour rsultat, action dirige de manire produire l'union. Il faut se souvenir que ce sont nos activits qui nous divisent, nos actions qui nous sparent, que c'est cette multiple et changeante activit qui nous entrane et nous maintient isols. Cela semble donc paradoxal que de parler d'union par l'action, d'union au

    2 L'union avec la Loi divine, avec le Soi humain et le Soi cosmique. (N. D. T.)

  • moyen de ce qui a toujours t une cause de division ; d'union grce ce qui a amen la sparation. Mais la sagesse des divins Matres tait la hauteur de la tche qui leur incombait, la tche de concilier, d'expliquer ce paradoxe apparent. Suivons attentivement l'explication et voyons de quoi il s'agit.

    L'homme court effar dans toutes les directions sous l'influence des trois nergies de la nature, les gounas. L'go renferm dans le corps se trouve domin par ces gounas. Elles travaillent, elles sont actives, elles constituent l'univers manifest et il s'identifie lui-mme avec ces activits. Il croit agir, alors que ce sont elles qui agissent ; il croit tre occup, alors que ce sont elles qui produisent des rsultats. Vivant au milieu d'elles aveugl par elles, soumis aux illusions qu'elles crent, il perd entirement la connaissance de lui-mme et il est tiraill de-ci de-l ; pouss par-ci par-l, emport par des courants, en sorte que l'activit des gounas est tout ce que l'homme voit dans la vie. videmment, dans ces conditions, il n'est pas apte pratiquer les formes suprieures de la Yoga ; videmment, tant que ces illusions ne sont pas dissipes, au moins en partie, les degrs les plus levs de la "Voie" seront au del de son atteinte. Il doit donc commencer par comprendre les gounas ; par se sparer de ces activits du monde phnomnal. Et les critures de cette Yoga car nous pouvons nous servir de ce mot les critures de cette Karma-Yoga, c'est ce qui a t proclam par Shr Krishna sur le champ de bataille de Kouroukshetra, lorsqu'il enseignait cette forme de la Yoga Arjouna, le prince, le guerrier, l'homme appel vivre dans le monde, combattre dans le monde, gouverner l'tat et prendre sa part de toutes les activits extrieures ; c'est l que se trouve l'ternelle leon pour les hommes qui vivent en ce monde, leon qui leur enseigne comment ils peuvent s'lever graduellement au-dessus des gounas et arriver ainsi l'union avec le Suprme.

    Cette Karma-Yoga consistera donc, d'abord, dans l'assouplissement et la rglementation de ces activits. Il y a, comme vous le savez, trois gounas, Sattva, Rajas et Tamas, les trois gounas par lesquelles tout ce qui nous entoure a t difi, combin et mlang de mille manires. L'une agit ici, l'autre travaille dans toutes les directions. Il faut leur

  • imposer un quilibre, il faut les soumettre. L'go incarn, le possesseur du corps, doit devenir matre souverain et tablir une distinction entre lui et les gounas. Ce qu'il faut donc faire, c'est de s'expliquer leurs fonctions, de contrler, et de diriger leurs activits. Vous ne pouvez pas vous lever d'un seul coup au-dessus d'elles, ou les contrecarrer pas plus qu'un enfant ne peut excuter le travail d'un homme fait. L'humanit peut-elle, dans son tat d'imparfaite volution, atteindre la perfection de la Yoga ? Non, et ce ne serait pas mme sage de la part de l'homme que de l'essayer ; en effet, si l'on imposait l'enfant le travail d'un adulte, non seulement il ne russirait pas en venir bout, mais il outrepasserait la limite de ses forces dans cette tentative, et cela aurait pour rsultat un insuccs, aussi bien dans l'avenir que dans le prsent, car cette tche trop lourde pour ses forces les diminuerait et les altrerait. Il faut que les hommes exercent leurs forces avant de pouvoir russir, comme il faut que l'enfant atteigne l'ge d'homme avant d'tre apte un travail viril. Examinons pour un moment la fonction de Tamas que l'on traduit par obscurit, paresse, inertie, ngligence, etc. Quelle fonction cette gouna peut-elle remplir, si l'on en fait usage pour aider l'volution humaine ? De quelle utilit cette gouna peut-elle tre, au point de vue du dveloppement de l'homme et de la libration de l'me ? Dans la Karma-Yoga, cette gouna n'est utilise que comme une puissance contre laquelle on doit lutter, que l'on doit vaincre, afin de dvelopper les forces dans cette lutte, de dvelopper la puissance de la volont dans cet effort, de conqurir dans cette tentative le contrle et la discipline de soi-mme. On peut dire que cette gouna est utile l'volution de l'homme, au mme titre que le sont les massues et les haltres aux exercices de l'athlte. Celui-ci ne pourrait pas fortifier ses muscles, s'il n'avait pas quelque chose pour les exercer. Il n'arriverait pas la vigueur musculaire, si ses muscles ne se durcissaient pas dans les efforts qu'il leur impose pour soulever des poids. Ce n'est pas le poids lui-mme qui est important, mais l'usage que l'on en fait, et si un homme veut que ses muscles physiques, les muscles de ses bras par exemple, deviennent trs puissants, le mieux qu'il puisse faire c'est de prendre une massue ou des haltres et de s'exercer journellement contre cette force de rsistance. C'est de cette faon que Tamas, c'est--dire la ngligence ou l'obscurit, joue son rle

  • dans l'volution de l'homme ; celui-ci doit vaincre cette gouna et dvelopper ses forces dans la lutte, les muscles de l'me gagnent en puissance mesure qu'il se rend matre de la ngligence, de la paresse, de l'indiffrence, c'est--dire des qualits tamasiques inhrentes sa nature.

    Vous reconnatrez que les rites et les crmonies de la religion ont t prescrits pour dominer ces qualits tamasiques, leur but tant, du moins en partie, d'exercer l'homme vaincre la lenteur, la paresse et l'indolence de sa nature infrieure et de le mettre, en prsence de certains devoirs remplir un moment donn qu'il soit ce moment dsireux, ou non, de les remplir, qu'il se sente ce moment actif ou paresseux de le mettre, dis-je, en prsence de devoirs remplir un moment donn, c'est--dire de l'exercer surmonter la lenteur, la lgret et l'opinitret de sa nature infrieure et de l'obliger suivre la voie que l'on a voulu lui tracer.

    Il en est de mme si nous prenons Rajas. Vous verrez que les activits de l'homme sont diriges dans la Karma-Yoga, suivant certaines voies dfinies que je me propose de suivre avec vous, de faon ce que vous puissiez comprendre comment ces activits, si constamment mises en uvre dans le monde moderne, qui se manifestent dans toutes les directions, qui mnent la hte, au mouvement et l'effort constant, en vue d'obtenir des succs dans la vie infrieure, d'obtenir des manifestations, des rsultats, des phnomnes matriels, comment ces activits sont graduellement diriges, exerces, purifies, jusqu' ce qu'elles ne puissent plus gner la relle manifestation du Soi.

    Le but de la Karma-Yoga est de substituer le devoir la jouissance personnelle ; l'homme agit pour satisfaire ses instincts infrieurs ; il agit parce qu'il veut obtenir quelque chose ; il agit pour le gain, pour une chose qu'il dsire, pour obtenir une rcompense. Il travaille parce qu'il veut de l'argent afin de pouvoir se procurer des jouissances. Il travaille parce qu'il aspire au pouvoir, qui donnera satisfaction son soi infrieur. Toutes ces activits, toutes ces qualits "rajasiques", sont mises en mouvement pour aider ses instincts infrieurs. Afin de discipliner et de rgulariser ces activits, afin de les utiliser pour les desseins du Soi

  • suprieur, il faut amener l'homme substituer le devoir la jouissance personnelle, travailler parce que le travail est un de ses devoirs, tourner la roue de la vie parce que c'est son emploi et afin de pouvoir faire ce que Shr Krishna a dclar faire par Lui-mme. Il n'agit pas parce qu'il y a quelque chose gagner pour Lui dans ce monde ou dans un autre, mais parce que sans Son action le monde prendrait fin, parce que sans Son action la roue ne tournerait plus. Et ceux qui accomplissent la Yoga doivent agir dans le mme esprit que Lui, agir pour le tout et non pour la partie, agir pour l'accomplissement de la Volont divine dans le Kosmos et non pour le plaisir d'une entit distincte qui se croit indpendante alors qu'elle devrait travailler sous Ses ordres. On atteindra ce but en haussant graduellement la sphre de ses activits. Le devoir doit tre substitu la jouissance personnelle et les rites religieux, ainsi que les crmonies, sont prescrits pour amener graduellement les hommes la vraie vie qui doit tre la leur. Toutes les crmonies religieuses ne sont qu'un moyen d'amener l'homme la vraie vie, la vie suprieure. Un homme commence par mditer le matin de bonne heure et au coucher du soleil, mais, la fin, sa vie ne sera qu'une longue mditation. Il mdite durant une heure, pour se prparer mditer toujours. Toutes les activits cratrices sont le rsultat de la mditation, et vous n'oublierez pas que c'est par les Tapas 3, que tous les mondes sont crs. Afin que l'homme puisse atteindre cette grande puissance cratrice de la mditation, afin qu'il puisse devenir capable d'exercer cette puissance divine, il doit s'y tre exerc par les crmonies religieuses, par la mditation intermittente, par les Tapas pris et quitts. La mditation prescrite est le premier pas vers la mditation constante ; elle prlve une portion de la vie journalire, dans le but de finir par l'imprgner toute, et les hommes la pratiquent journellement afin qu'elle puisse absorber graduellement la vie tout entire.

    Il arrive un moment o le Yogui n'a plus d'heures fixes pour mditer, car sa vie n'est plus qu'une longue mditation. Quelle que soit l'occupation extrieure laquelle il se livre, il mdite et il est toujours

    3 Tapas ou mditation religieuse. (N. D. T.)

  • aux pieds du Matre, mme si le cerveau et le corps sont actifs dans le monde des hommes. Il en est de mme de tous les autres genres d'action ; l'homme apprend d'abord accomplir une action comme un sacrifice au devoir, comme le paiement de sa dette envers le monde dans lequel il vit ; comme le remboursement, aux diffrentes parties de la Nature, de ce qu'elles lui fournissent. Puis, plus tard, le sacrifice devient plus que le paiement d'une dette ; il devient le joyeux don de tout ce que l'homme peut donner. Le sacrifice partiel, c'est la dette qui est paye, le sacrifice parfait, c'est le don du tout. Un homme se donne, avec toutes ses activits, avec tous ses pouvoirs, ne se contentant plus de verser une partie de ce qu'il possde, comme on paie une dette, mais versant tout ce qu'il possde, comme on fait une largesse. Quand on en est arriv l, la Yoga est accomplie et la leon de la Karma-Yoga est apprise.

    Considrez comme un pas vers ce but les cinq sacrifices journaliers, dont les noms, au moins, vous sont familiers tous et rendez-vous compte du pourquoi de chacun d'eux. Chacun des cinq est le paiement d'une dette, la reconnaissance de ce dont l'homme, pris individuellement, est dbiteur envers le tout au milieu duquel il vit. Et si vous les dtaillez un instant sparment, si rapidement que ce soit, vous verrez quel point chacun d'eux est rellement le paiement d'une dette.

    Prenons le premier : le sacrifice aux Dvas. Pourquoi ce sacrifice est-il prescrit ? C'est parce que l'homme doit apprendre qu'il est le dbiteur de la terre et des intelligences qui dirigent les fonctions de la nature, grce auxquelles la terre porte des fruits et fournit l'homme sa nourriture. L'homme prlevant de quoi nourrir son corps, celui-ci doit, pour s'acquitter, restituer la Nature un quivalent de ce qui lui a t fourni, grce la coopration de ces Intelligences kosmiques, de ces Dvas, qui dirigent les forces du monde infrieur. On a appris l'homme qu'il devait rpandre son sacrifice dans le feu. Pourquoi ? La rponse qui a t faite, en guise d'explication, tait celle-ci : "Agni est la bouche des dieux" et les gens rptent cette phrase sans chercher en comprendre la signification, sans chercher aller au-del du nom du Dva, afin d'arriver sa fonction dans le monde. La vraie signification de la phrase est que partout autour de nous se trouvent les artisans conscients et

  • subconscients de la Nature, groups par hirarchies, avec un grand Dva cosmique la tte de ce que l'on pourrait appeler chaque division de cette vaste arme ; en sorte qu'au-dessous du Dva qui gouverne le feu, l'air, l'eau et la terre, se trouvent un grand nombre de dieux infrieurs, chargs de mettre en uvre les diffrentes sortes d'activits des forces naturelles du monde, comme la pluie, les facults productrices de la terre, les influences fertilisantes de diverses sortes. Or le sacrifice dont nous parlons a pour but de nourrir ces agents infrieurs, de leur fournir des aliments par le feu ; et le feu est appel "la bouche des dieux" parce qu'il produit la dsagrgation, parce qu'il change et transforme les solides et les liquides qui y sont jets, les fait passer l'tat de vapeur, les dsagrge en matires moins denses et les transforme ainsi en matire thrique, pour devenir, sous cette forme, la nourriture des lmentals infrieurs qui excutent les ordres du Dva kosmique. C'est ainsi qu'un homme leur paie sa dette et, en retour, la pluie tombe dans les rgions infrieures de l'atmosphre, la terre produit et l'homme reoit sa nourriture. C'est ce que voulait dire Shr Krishna, lorsqu'il disait l'homme : "Nourris les dieux et les dieux te nourriront." C'est cette sorte de cycle infrieur d'alimentation, que l'homme doit apprendre connatre. Au dbut, il regardait cela comme un enseignement religieux, puis vint le moment o cela ne lui sembla tre qu'une superstition, dans son ignorance des motifs rels, car il ne voyait que le ct extrieur. Une connaissance plus approfondie vient ensuite, lorsque la science, qui commence par tendre vers le matrialisme, s'lve, par une tude plus approfondie, jusqu' la connaissance du royaume spirituel. La science commence dire, en termes scientifiques, ce que les Rishis ont dit en termes mystiques, c'est--dire que l'homme a le pouvoir de diriger et de rgulariser, par ses propres actes, l'action des forces infrieures de la Nature et, de cette faon, la science grandissante donne raison aux enseignements du pass, dmontre l'intelligence ce que l'homme spirituel voit par intuition directe, par la vision spirituelle.

    Nous avons ensuite le Sacrifice aux anctres ; la reconnaissance de ce que l'homme doit ceux qui l'ont prcd, dans le monde ; le paiement de sa dette envers ceux qui ont travaill dans le monde avant

  • qu'il n'y vienne, la gratitude et la vnration auxquelles ont droit ceux qui ont, en partie, fait le monde pour nous et y ont introduit des amliorations dont nous devions hriter. Ce service est une dette de reconnaissance due ceux qui nous ont immdiatement prcd dans l'volution humaine, qui en ont pris leur part durant leurs vies terrestres et qui nous ont lgu le rsultat de leurs travaux. Puisque nous recueillons le fruit de leurs travaux, nous nous acquittons en leur tmoignant de la reconnaissance. C'est pourquoi l'un des sacrifices journaliers est la reconnaissance de la dette de gratitude que nous devons ceux qui sont partis avant nous.

    Ensuite vient, naturellement, le Sacrifice du savoir, de l'tude, afin que par l'tude des crits sacrs les hommes deviennent capables d'aider et de former ceux qui sont plus ignorants qu'eux et puissent aussi voluer en eux-mmes le savoir indispensable pour rendre possible la manifestation du Soi infrieur.

    Quatrimement le Sacrifice aux hommes, le fait de s'acquitter envers un homme de ses devoirs envers l'humanit, le fait de nourrir un homme pour proclamer que les hommes se doivent mutuellement toutes sortes de services amicaux dans le monde physique, se doivent toute l'assistance qu'un frre peut donner son frre. Le sacrifice aux hommes est la reconnaissance formelle de ce devoir et, en nourrissant ceux qui ont faim, en donnant l'hospitalit ceux qui en ont besoin, bien, qu'en fait, vous ne nourrissiez qu'un homme au point de vue idal et en raison de votre intention, c'est l'humanit entire que vous nourrissez. Lorsque vous offrez l'hospitalit un homme qui passe devant votre porte, vous ouvrez la porte de votre cur l'humanit considre comme une grande entit ; en aidant et en abritant un individu, c'est l'humanit, en gnral, que vous offrez aide et abri.

    Il en est de mme du dernier des cinq sacrifices, celui fait aux animaux. Le chef de la famille doit placer des aliments sur le sol, afin que tout animal qui passe puisse en prendre. C'est l votre devoir envers le monde infrieur, car vous lui devez aide, nourriture et ducation. Le sacrifice aux animaux a pour but de graver dans notre mmoire que nous sommes ici-bas pour former, diriger et aider les cratures infrieures,

  • c'est--dire tout ce qui est au-dessous de nous sur l'chelle de l'volution. Chaque fois que nous nous rendons coupables de cruaut, de rudesse et de brutalit envers les animaux, nous pchons, en ralit, contre Celui qui rside en eux et dont ils sont, eux aussi, les manifestations infrieures. Et c'est afin que l'homme apprenne discerner ce qu'il y a de bon dans la bte, afin qu'il puisse comprendre que Shr Krishna rside dans les animaux infrieurs, bien qu'il y rside sous une forme plus voile que dans l'homme, c'est pour cela, dis-je, que l'homme a t invit sacrifier aux animaux, non pas leurs formes extrieures, mais au Dieu qui s'y trouve cach. Le seul moyen que nous ayons de sacrifier aux animaux, c'est de les traiter avec bont, douceur et compassion, c'est de les former, d'aider leur volution, au lieu de les repousser avec la brutalit et la cruaut dont nous voyons tant d'exemples autour de nous.

    C'est ainsi que l'homme a appris, grce ces rites et ces crmonies extrieures, les vrits spirituelles dont sa vie devait tre imprgne. Et aprs avoir accompli les cinq sacrifices, il devait aller dans le monde des hommes pour sacrifier encore par des actes d'un autre genre, pour sacrifier en s'acquittant de ses devoirs quotidiens. Et sa journe, qui avait commenc par ces cinq sacrifices, s'coulait, sanctifie, dans la vie extrieure des hommes. L'insouciance du devoir, dans cette vie extrieure du monde, a grandi simultanment avec la graduelle insouciance pour ces cinq sacrifices. Non que ces sacrifices soient, par eux-mmes, jamais ncessaires, car il arrive un moment o l'homme s'lve au-dessus d'eux, mais souvenez-vous de ceci : il ne s'lve au-dessus d'eux que lorsque sa vie tout entire est devenue un long sacrifice. Jusqu' ce moment, cette reconnaissance formelle de ses devoirs est ncessaire afin qu'il puisse rendre sa vie plus leve. Et malheureusement, dans l'Inde d'aujourd'hui, on attache bien peu d'importance ces sacrifices, non parce que les hommes se sont levs au-dessus d'eux, ni parce que leurs vies sont assez pures, spirituelles et leves pour qu'ils n'aient plus besoin de l'ducation infrieure et du rappel constant la mmoire, mais parce qu'ils sont devenus insouciants et matrialistes et sont tombs bien au-dessous de l'idal de leur Manou. Ils refusent de reconnatre ce qu'ils doivent aux Forces qui sont au-dessus

  • d'eux et, par suite, ils n'accomplissent pas leur devoir envers les hommes qui les entourent.

    Examinons maintenant la vie extrieure journalire, le devoir qui incombe l'individu dans le monde. Quel qu'il soit, il est n dans une famille distincte ; ce fait cre ses devoirs de famille. Il appartient un groupe de la socit ; cela dtermine ses devoirs sociaux. Il fait partie d'une nation ; cela lui impose des devoirs nationaux. La limite des devoirs de chaque homme est dtermine par le milieu dans lequel il est n, milieu qui, grce la bonne Loi, grce l'impulsion karmique, constitue pour chaque homme un champ de labeur, le terrain d'exercice sur lequel il doit s'instruire. C'est pourquoi il est dit que chaque homme doit accomplir son propre devoir, son propre Dharma 4. Il est prfrable de s'acquitter de son propre devoir, ft-ce d'une faon imparfaite, que de chercher accomplir le Dharma suprieur d'un autre, parce que celui qui vous est impos par votre naissance est prcisment celui dont vous avez besoin et constitue votre meilleur champ d'exercice.

    Faites votre devoir sans vous proccuper des rsultats et vous apprendrez la leon de la vie, vous entrerez dans la voie de la Yoga. Au dbut, chaque action sera naturellement accomplie en vue de ces rsultats ; les hommes agiront parce qu'ils voudront mriter une rcompense. Cela vous explique les premiers enseignements qu'ils ont reus, lorsqu'on leur apprenait agir en vue des rsultats obtenir dans le monde de Svarga 5. Le dveloppement de l'homme-enfant tait obtenu au moyen de la rcompense promise au mrite ; on lui montrait Svarga comme un but atteindre par le travail ; en s'acquittant de ses devoirs religieux, il s'assurait la rcompense dvakhanique. Et c'est ainsi qu'il tait amen pratiquer la morale, exactement comme vous amenez un enfant apprendre ses leons, en lui promettant une rcompense ou un prix. Mais si l'action accomplir doit avoir pour but la Yoga et non l'obtention d'une rcompense, il faut qu'elle soit accomplie uniquement

    4 Dharma, devoir religieux, moral, pit et justice. 5 Svarga, le ciel d'Indra, le Dvakhan. (N. D. T.)

  • parce qu'elle constitue un devoir.

    tudiez pour un instant les quatre grandes castes et rendez-vous compte du but que l'on se proposait en les constituant. Le Brahmane avait pour devoir d'instruire, afin qu'il y et toujours des matres clairs pour guider l'volution de la race. Il ne devait pas s'instruire pour gagner de l'argent, pour s'assurer le pouvoir, pour obtenir quoi que ce ft pour lui-mme ; il devait s'instruire pour s'acquitter de son Dharma et il devait possder le savoir, afin d'tre apte le transmettre aux autres. De cette faon, une nation bien constitue devait toujours avoir des matres pour enseigner, des matres aptes diriger, donner des conseils dsintresss, sans jamais poursuivre un but goste ; de cette faon, le matre ne devait rien gagner pour lui-mme, mais tout gagner pour le peuple et, en faisant cela, il s'acquittait de son Dharma et obtenait la libration de l'me.

    Ensuite, venait le genre de Yoga destin l'homme plein d'activit, appel gouverner et maintenir le bon ordre, le genre de Yoga destin l'ducation de la classe dominante ; celle des Kshattriya. Le Kshattriya devait gouverner ! Pourquoi ? Non pas pour satisfaire sa soif de pouvoir, mais afin que justice ft faite, afin que le pauvre se sentt en scurit et que le riche ne pt exercer de tyrannie, afin de faire prvaloir la loyaut et une impartiale justice dans ce monde de luttes constantes entre les hommes. Et cela, parce qu'au milieu mme de ce monde de luttes, de colres et de contestations, de ce monde o les hommes cherchaient satisfaire leur esprit d'gosme, au lieu de poursuivre l'intrt commun, il fallait leur enseigner que justice devait tre faite, que si l'homme robuste abusait de ses forces, l'autorit impartiale rprimerait ce dloyal abus ; que le faible ne devait tre ni foul aux pieds, ni opprim. Et le devoir du roi tait de distribuer la justice parmi les hommes, afin que ceux-ci pussent considrer le trne comme la source de la justice divine. Tel est l'idal de la royaut divine, tel est l'idal du divin Matre. Rama vint pour l'enseigner, Shr Krishna vint pour l'enseigner, mais les hommes taient si borns qu'ils ne voulurent pas apprendre cette leon. Le Kshattriya employait sa puissance satisfaire ses propres dsirs et opprimer les autres ; il s'appropriait leurs biens et les forait travailler pour lui. Il perdit de vue l'idal du divin Matre, idal qui tait l'incarnation de la

  • justice dans ce monde de luttes entre les hommes. Mais sa seule raison d'tre tait de faire de la ralisation de cet idal le but de toute sa vie, et son devoir, par consquent, tait d'administrer la contre, de l'administrer dans l'intrt de la nation et non dans son propre intrt. Il en tait de mme, lorsqu'il tait appel remplir son devoir de soldat. Le peuple devait pouvoir vaquer en paix ses travaux. Les gens pauvres et inoffensifs devaient pouvoir vivre en scurit, entours de leurs familles heureuses et prospres. Le commerant devait pouvoir s'occuper tranquillement de son commerce. Toutes les occupations de ce monde devaient pouvoir s'accomplir sans crainte, l'abri de toute agression. Aussi enseignait-on au Kshattriya, que lorsqu'il avait combattre, c'tait en qualit de dfenseur des faibles ; que s'il donnait librement sa vie, c'tait afin que ceux-ci pussent jouir en paix de la leur. Il ne devait pas combattre par dsir du gain, ni combattre pour acqurir des territoires. Il ne devait pas combattre par amour du pouvoir ou de la souverainet. Sa fonction tait de constituer une sorte de mur d'airain autour de la nation, afin que toute attaque vnt se briser contre son corps et que, dans l'intrieur du cercle qu'il avait trac, les hommes pussent vivre heureux, dans la paix et la scurit. Pour pratiquer la Yoga, tout en remplissant son devoir de Kshattriya, il devait se considrer comme l'agent du divin Auteur, et c'est pour cela que Shr Krishna a enseign qu'Il avait fait tout cela, et qu'Arjouna ne faisait que reproduire cette action dans le monde des hommes. Et ds que l'on retrouve le divin Auteur dans chacune des actions de l'homme, celui-ci peut alors les accomplir uniquement comme devoir, sans aucun dsir ; et ces actions perdent tout pouvoir d'entraver son me.

    Il en tait de mme du Vaishya dont le devoir tait d'accumuler des richesses. Il devait le faire, non point pour son propre plaisir, mais pour l'entretien de la nation. Il devait tre riche afin que tous les genres d'activit qui ncessitent des richesses pussent en trouver une rserve leur porte et pussent tre dploys dans toutes les directions ; afin qu'il y et partout des demeures pour les pauvres, des maisons de repos pour les voyageurs, des hpitaux pour les hommes comme pour les animaux, des temples pour les exercices du culte et, partout enfin, les richesses qui

  • sont indispensables pour entretenir les activits d'une existence nationale parfaite. Son Dharma comportait donc l'accumulation de ces richesses, dans l'intrt commun et non dans celui de sa satisfaction personnelle. De cette faon, il pouvait, lui aussi, pratiquer la Yoga et, par la Karma-Yoga se prparer en vue de la vie suprieure.

    De mme aussi pour le Shoudra qui devait s'acquitter de son Dharma dans l'intrt de la chose publique. Il devait reprsenter, en quelque sorte, la grande main de la nation, lui apportant tout ce dont elle avait besoin et s'acquittant des activits domestiques extrieures. Sa Yoga, s'il la pratiquait, rsidait dans le joyeux accomplissement de ses devoirs, devoirs qu'il devait remplir pour eux-mmes et non pas en vue de la rcompense qu'il pouvait mriter en les accomplissant.

    D'abord les hommes n'agissent que pour leur satisfaction personnelle et leur exprience ne produit que du progrs ; ils apprennent ensuite agir par devoir et commencent ainsi pratiquer la Yoga durant la vie journalire ; enfin ils agissent par esprit de joyeux sacrifice, sans rien rclamer en retour, et en appliquant, au contraire, toutes les forces qu'ils possdent la bonne excution de leur devoir. Et c'est ainsi que l'Union est accomplie.

    Nous comprenons ce que l'on entend par purification, lorsque nous observons ces phases successives de la jouissance personnelle, du devoir accompli pour lui-mme et enfin du don de tout ce que l'on possde, sous forme de sacrifice volontaire. Ce sont les stades que l'on traverse sur la voie de la purification. Mais comment atteindre le genre de purification qui conduit aux degrs suprieurs, qui confre cette qualit de disciple que toutes les activits de ce monde doivent servir prparer ? L'homme tout entier doit tre purifi, physiquement aussi bien qu'intellectuellement. Je n'ai pas le temps de m'appesantir sur la purification du corps, mais il est bon que je vous rappelle les enseignements de la Bagavad Gt. Ils disent qu'on arrive cette purification par la modration en tout et non par un asctisme qui torture, qui torture le corps et Celui qui l'habite, comme dit Shr Krishna. La Yoga s'accomplit au moyen d'un contrle modr sur soi-mme, d'un entranement rflchi de ses instincts infrieurs, du choix, fait avec calme,

  • d'une alimentation pure, de l'exercice modr de toutes les activits physiques, de faon exercer, rgulariser et modrer les fonctions du corps tout entier, jusqu' ce que l'on soit arriv le placer sous le contrle de la volont et du Soi. C'est pourquoi la vie de la famille tait prescrite, car les hommes, part quelques rares exceptions, n'taient pas mrs pour le rude sentier du clibat. La Brahmacharya 6 n'tait pas pour tous. Grce la vie de la famille, les hommes apprenaient modrer leurs passions sexuelles, non pas les anantir, chose impossible la majorit des hommes et qui, si l'on tente de l'obtenir avec une imprudente nergie, aboutit souvent une raction qui prcipite l'imprudent dans les pires excs d'une vie drgle ; non pas tenter de les draciner ou de les tuer d'un seul effort, mais de le faire en s'exerant graduellement la modration, en pratiquant le renoncement aux joies de l'intrieur, o les instincts infrieurs devraient tre rompus la modration, habitus se laisser diriger par les instincts suprieurs, amens renoncer leur suractivit pour se subordonner entirement l'Un. Voici comment dbute cette Karma-Yoga. Le chef de famille doit apprendre graduellement se contrler lui-mme ; en apportant de la modration en tout, il amne ses instincts infrieurs se soumettre aux instincts suprieurs et les exerce journellement jusqu' ce qu'ils soient absolument soumis sa volont. De cette faon, il purifie son corps et devient apte s'lever jusqu'aux voies suprieures de la Yoga. Il doit alors purifier de nouveau, compltement, les passions de sa nature infrieure.

    Prenons des exemples je veux vous en donner trois, afin que vous puissiez les employer dans votre vie prenons la passion de la colre et voyons comment elle peut tre faonne, dans la Karma-Yoga, afin d'tre transforme en qualit. La colre est une force, une force qui jaillit de l'homme pour produire son effet dans l'ambiance. Chez l'homme peu dvelopp et peu exerc, elle se montre l'tat de passion, revtant diverses formes brutales, brisant les rsistances et s'inquitant peu des moyens qu'elle emploie, pourvu qu'elle carte de son chemin tout ce qui

    6 Brahmacharya, clibat brahmanique.

  • s'oppose la satisfaction de sa volont. Dans cet tat, cette force de la nature est indiscipline et destructive et celui qui dsire pratiquer la Karma-Yoga doit assurment la subjuguer. Comment s'y prendra-t-il pour subjuguer et discipliner la colre ? Il se dbarrassera tout d'abord de l'lment personnel. Lorsqu'une injure personnelle lui sera adresse, ou lorsqu'un prjudice personnel lui sera caus, il s'exercera ne pas le ressentir. Voil le devoir en prsence duquel se trouvent beaucoup d'entre vous. Si quelqu'un vous fait du tort, commet une injustice votre gard, que ferez-vous ? Vous pourrez vous laisser emporter par la colre et le frapper. Quelqu'un vous a-t-il tromp : vous chercherez, en revanche, lui faire du tort, et l'exploiter. Vous a-t-il pris en tratre : vous l'attaquerez aussi par derrire et chercherez lui faire du mal. De cette faon la colre exerce des ravages, et l'on ne voit, de tous cts, que destruction dans ce que devrait tre la socit des hommes. Comment purifier cette passion ? La rponse vous est donne par tous les grands Matres qui ont enseign la Karma-Yoga, qui ont enseign comment les actions accomplies dans le monde des hommes peuvent servir aux desseins du Soi. Rappelez-vous que le pardon des injures fait partie des dix devoirs que nous imposent les lois de Manou. Rappelez-vous les paroles prononces par le Bouddha, lorsqu'il enseignait : "La haine n'a jamais t dompte par la haine ; la haine est dompte par l'amour." Rappelez-vous que le Matre chrtien s'inspirait de la mme pense lorsqu'il disait : "Ne vous laissez pas matriser par le mal, mais matrisez le mal par le bien." Voil la Karma-Yoga. Pardonnez les offenses : rpondez la haine par de l'amour ; domptez le mal par le bien. De cette faon, vous liminerez l'lment personnel ; vous n'prouverez plus de colre lorsque l'on vous fera du tort ; vous tant dpouills de l'lment personnel, la colre ne revtira plus, chez vous, cette forme infrieure. Mais un genre de colre, d'une nature plus leve, peut subsister encore. Vous tes tmoin d'une injustice commise envers un faible et vous prouvez de la colre contre son auteur ; vous voyez maltraiter un animal et vous tes irrit contre celui qui se montre cruel ; vous voyez opprimer un pauvre homme et vous tes en colre contre l'oppresseur. C'est la colre impersonnelle elle est bien plus noble que l'autre et constitue un stage ncessaire dans l'volution humaine ; il est mille fois prfrable, il

  • est bien plus noble, d'prouver de la colre contre l'auteur du mal que de passer sottement indiffrent, sous prtexte que la souffrance qui est inflige n'excite pas votre sympathie. Cette colre impersonnelle et d'une nature leve a plus de noblesse que l'indiffrence, mais ce n'est pas encore sa forme la plus haute. Elle doit tre modifie son tour et transforme en cette disposition naturelle qui vous pousse rendre justice au fort comme au faible ; qui vous fait plaindre l'oppresseur et l'opprim ; qui vous fait comprendre que l'oppresseur se fait encore plus de mal lui-mme, qu'il n'en fait celui qu'il opprime ; qui vous porte le plaindre, comme vous plaignez celui qui souffre de son fait ; qui vous fait envelopper l'oppresseur et l'opprim dans une mme treinte d'amour et de justice.

    L'homme qui a purifi ce point la passion de la colre met fin au mal, parce que c'est son devoir d'y mettre fin, mais il est compatissant envers l'auteur du mal, parce que celui-ci aussi doit tre aid et instruit : en sorte que la colre qui vengeait une offense personnelle devient la justice qui met un terme tout ce qui est mal, qui protge au mme titre le fort et le faible. Telle est la purification qui s'accomplit dans le monde des faits, tels sont les efforts journaliers grce auxquels la nature infrieure est purifie, afin que l'Union puisse s'accomplir.

    Prenons ensuite l'amour. Nous le trouvons d'abord sous sa forme la plus basse, la plus brutale la vulgaire passion animale d'un sexe pour l'autre ; cette passion qui ne tient aucun compte du caractre de la personne aime, qui ne tient aucun compte de la beaut morale et mentale, mais s'attache uniquement la beaut physique, l'attraction physique et au plaisir physique. Voil la passion sous sa forme la plus basse. On pense soi et rien qu' soi.

    Cette passion est purifie par l'homme qui pratique la Karma-Yoga et qui la transforme en ce genre d'amour qui vous porte vous sacrifier pour la personne aime ; celui-l remplit ses devoirs de famille, prend soin de sa femme et de ses enfants et fait tout ce qu'il peut pour eux en leur sacrifiant ses gots, ses loisirs et sa satisfaction personnelle ; il travaille afin d'amliorer la situation de sa famille, afin d'tre mme de lui fournir tout ce dont elle a besoin ; chez lui l'amour ne se borne plus

  • la recherche du plaisir personnel, mais s'attache aider ceux qu'il aime, dtourner sur lui-mme les maux qui les menacent, afin qu'ils soient protgs, pargns et sauvegards. En pratiquant la Karrna-Yoga, un homme purifie son amour de tout lment goste, et ce qui n'tait qu'une passion animale pour l'autre sexe devient l'amour du mari, du pre, du frre an, du parent, qui remplit son devoir en travaillant pour ceux qu'il aime, afin que leur existence puisse tre plus douce et plus heureuse.

    C'est alors que commence la dernire phase, celle o l'amour, dpouill de tout caractre personnel, vole vers tous. Il ne s'panche plus uniquement dans le cercle restreint de la famille, mais il voit un tre aider dans chaque personne qu'il rencontre, un frre nourrir dans chaque homme qui a faim, une sur protger dans chaque femme abandonne. L'homme ainsi purifi devient le pre, le frre, l'auxiliaire de tous ceux qui sont isols, non parce qu'il les aime personnellement, mais parce qu'il les aime idalement et qu'il cherche donner uniquement par amour et non plus mme pour la joie de se faire aimer. L'amour dans sa plus noble expression, l'amour tel que le fait natre la Karma-Yoga, ne demande rien en change de ce qu'il donne ; il ne cherche point la reconnaissance ; il n'aspire pas tre constat ; il dsire rester ignor ; il est mme plus heureux de s'pancher dans l'ombre, sans qu'on s'en aperoive, que d'agir de faon attirer l'attention et la louange.

    Enfin, la purification dfinitive de l'amour est atteinte lorsque ce sentiment devient tout fait divin, lorsqu'il donne, parce qu'il est dans sa nature mme de rpandre le, bonheur, lorsqu'il ne demande plus rien pour lui-mme, mais cherche uniquement rendre les autres heureux.

    Il en est de mme de la convoitise et de l'avidit. Les hommes cherchent le gain afin de pouvoir se procurer des jouissances ; ils aspirent au gain afin de devenir puissants ; ils s'efforcent de gagner afin de se hausser dans le monde. Ils purifient d'abord cette premire forme de la convoitise et souhaitent le gain afin que la famille soit plus heureuse, que sa position soit meilleure, qu'elle soit l'abri des douleurs et des privations ; de la sorte, ils deviennent moins gostes qu'auparavant. Ils vont alors plus loin et ont l'ambition d'augmenter leurs moyens afin d'en user pour le bien, afin de les employer faire du bien

  • dans un cercle plus tendu que celui de la famille et, la fin, comme dans le cas de l'amour, ils apprennent donner sans rien recevoir en change ; ils apprennent dsirer le savoir et les richesses, non pour les conserver, mais pour les donner, non pour en jouir, mais seulement pour les rpandre. De cette faon, l'gosme est annihil.

    Vous tes-vous jamais demand pourquoi celui auquel on donne le nom de Mahdeva habite un territoire brlant ? Un singulier endroit, ont d penser les hommes, pour servir de demeure au Tout-Puissant ! Un singulier entourage pour Celui qui est la puret mme ! Ce que cache l'allgorie du territoire brlant, c'est la vie humaine et, sur ce territoire brlant o habite Shiva, tout ce qu'il y a d'infrieur dans la vie humaine est consum comme par le feu. S'il n'y habitait pas, tous ces dchets de la vie terrestre subsisteraient pour se putrfier, se corrompre, pour tre une source de dangers, pour rpandre partout la maladie et la corruption. Mais sur le territoire brlant o Il habite et que Ses feux traversent d'un bout l'autre, tout ce qui est goste, tout ce qui est personnel, tout ce qui est d'essence infrieure, est consum. Le Yogui sort triomphant du sein de ces flammes rgnratrices, ne conservant plus trace en lui de l'lment personnel, car les feux du Matre ont consum toutes ces passions infrieures et n'ont rien laiss de ce qui pourrait corrompre ou rendre malade. C'est pour cela qu'il est appel le Destructeur Destructeur de tout ce qui est bas, pour que la rgnration devienne possible, car, l'origine, l'me est issue de Ses feux et c'est de ce territoire brlant que sort le Soi purifi.

    C'est ainsi que ces premiers pas vous conduisent la vraie qualit de disciple, la dcouverte du Gourou, au Temple Intrieur, le saint des saints o habite le Gourou de l'humanit. Voil les premiers chelons que vous devez gravir, voil la voie que vous devez suivre. Vous tes des hommes, vivant au milieu du monde, soumis ses entraves, plis aux ncessits de la vie sociale et politique et, cependant, du fond de votre cur, vous aspirez la vraie Yoga et au savoir qui relve de la vie ternelle et non de l'existence passagre. Si chacun de vous scrute les profondeurs de son cur, il y dcouvrira l'ardent dsir de s'instruire davantage, de vivre plus noblement qu'il ne l'a fait jusqu'alors. Vous

  • pouvez paratre aimer les choses de ce monde et vous les aimez rellement de par votre nature infrieure, mais dans le cur de tout vritable Hindou, qui n'a pas absolument reni sa religion et son pays, il y a toujours une aspiration vers un idal plus lev que celui de ce monde, un dsir si faible qu'il soit, ne ft-ce qu' cause des traditions du pass, de voir l'Inde devenir plus noble qu'elle ne l'est aujourd'hui et son peuple plus digne de son pass. Voil donc la voie que vous devez commencer suivre. Une nation ne peut tre grande que si ses enfants sont grands ; un peuple ne peut tre puissant, si les individus qui le composent sont pauvres et misrables et s'ils mnent une vie goste. Vous devez partir du point o vous vous trouvez, de la vie que vous menez actuellement et, en vous conformant au genre d'existence que je viens de vous dcrire sommairement, vous vous rapprocherez de la Voie.

    Laissez-moi terminer en vous rappelant quoi aboutit la Voie, bien que je doive m'en rapprocher davantage avec vous dans les confrences qui me restent vous faire. La Voie aboutit l'Union ; la Karma-Yoga que nous venons d'tudier est l'Union par les actes. Il y a encore d'autres chelons franchir ; mais, d'abord, qu'entend-on par "Union". Vous vous souvenez de la description qu'a donne Shr Krishna de l'homme qui s'est libr des gounas 7, de l'homme qui s'est lev au-dessus d'elles et qui est devenu digne du nectar de l'immortalit, de l'homme prt connatre le Trs-Haut, prt s'unir au Suprme. Il ne connat qu'un seul agent, les gounas, mais il sait ce qu'il y a au del. Il voit agir les gounas, mais ne les dsire pas lorsqu'elles sont absentes ni ne les repousse lorsqu'elles sont prsentes. Il conserve un parfait quilibre au milieu des amis et des ennemis, un parfait quilibre en prsence de la louange et du blme ; confiant en lui-mme, il voit tout d'un mme il, la motte de terre comme la pice d'or, l'ami comme l'ennemi. Il est le mme pour tous, car il s'est lev au-dessus des gounas et ne peut plus tre le jouet des illusions qu'elles provoquent. Voil le but que nous cherchons. Voil les premiers chelons qu'il faut gravir pour atteindre la Voie qui mne plus haut. Avant d'avoir franchi ces chelons, aucun autre progrs n'est

    7 Gounas, les qualits des choses ; ce qui attire ou repousse. (N. D. L. R.)

  • possible, mais au fur et mesure qu'on les franchit, l'entre de la vritable Voie devient de plus en plus visible.

  • QUALITS REQUISES

    CONTROLE DE LA PENSEE MEDITATION DIFICATION DU CARACTERE

    FRRES. Le ct spcial de la question que nous avons traiter aujourd'hui a rapport aux qualits requises pour devenir un disciple. Laissez-moi commencer par attirer votre attention sur la rincarnation et sur les moyens qui permettent un homme de se rendre compte de ce que l'on entend par "qualit de disciple" et de donner dlibrment ce but sa vie future. Vous vous souvenez de ce que j'ai dit hier, de la description que je vous ai donne des diffrentes phases de l'action : comme quoi un homme commenait par agir dans le but de satisfaire ses instincts infrieurs et de recueillir des bnfices ; comme quoi la pratique de la Karma-Yoga lui enseignait graduellement ne pas agir en vue des bnfices raliser pour le soi infrieur, mais uniquement pour faire son devoir, s'identifiant de la sorte avec la Loi, en prenant ainsi, sciemment, sa part de la grande uvre du monde. Je vous ai ensuite dit, qu'il y avait un stade au-dessus de ceux-ci, un stade durant lequel le sacrifice n'tait plus accompli seulement comme un devoir, mais comme le don joyeux de tout ce que l'homme possdait. Il est vident que lorsque c'est cette phase que l'homme cherche atteindre, lorsqu'il s'acquitte d'un travail non seulement parce que c'est son devoir de s'en acquitter, mais parce qu'il aspire donner tout ce qu'il est et tout ce qu'il a pour le service du Suprme, il est vident, dis-je, que c'est alors qu'il lui devient possible de rompre avec ce que l'on appelle les entraves des dsirs et de se librer ainsi de l'obligation de se rincarner. Ce qui attire l'homme et la force se rincarner dans le monde, c'est le dsir : le dsir de jouir des biens que l'on y peut trouver, le dsir d'y accomplir tous les actes qui peuvent s'y accomplir. Tout homme qui a des vises terrestres, tout homme qui donne un but terrestre son existence, est videmment enchan par les dsirs. Tant que ses dsirs se porteront sur ce que la terre peut lui donner, il lui faudra revenir pour les satisfaire ; tant qu'une seule des joies ou une seule des choses qui appartiennent la vie passagre la vie physique

  • sur la terre aura le pouvoir de l'attirer, elle aura aussi le pouvoir de l'enchaner. En d'autres termes, tout dsir enchane l'me et la ramne l'endroit o il doit tre satisfait.

    L'homme est d'une nature si divine, il est lui-mme si semblable un Dieu, que cette force qui mane de lui et laquelle nous donnons le nom de dsir, renferme en elle-mme le pouvoir de se satisfaire. Ce qu'il dsire, il l'obtient ; ce qu'il dsire, la nature le lui donne, au moment voulu, quand l'heure a sonn. De sorte que l'homme, comme on l'a souvent dit, est matre de sa propre destine et que tout ce qu'il rclame de l'Univers, l'Univers le lui donnera. Il va sans dire qu'il recueillera le fruit de ses dsirs dans la partie de l'Univers laquelle ils appartiennent, en sorte que s'il dsire les choses de la terre, il lui faudra revenir sur la terre afin que son dsir soit satisfait. L'homme est aussi enchan la rincarnation par tous ceux de ses dsirs qui ne peuvent tre satisfaits que dans les mondes transitoires et passagers qui se trouvent au del de la mort ; ces mondes transitoires qui se trouvent au del des portes de la mort nous conduisent tous, comme nous le savons, la rincarnation ici-bas, en sorte que si les aspirations de l'homme sont fixes sur les joies de Svarga 8, s'il s'attend recueillir les rsultats de sa vie de ce monde, dans un autre monde aussi transitoire que lui, et s'il se refuse les joies terrestres dans le but dtermin d'atteindre les joies de Svarga, ces joies seront la rtribution gagne par ces efforts et cette rtribution lui sera alloue en temps voulu. Mais puisque Svarga mme est fugitif, puisque Svarga mme est transitoire, il se trouve ainsi n'avoir choisi d'autre Voie que celle dsigne sous le nom de Voie lunaire, la voie qui conduit la rincarnation. Vous devez vous souvenir qu'il est crit que "la Lune est la porte de Svarga" de sorte qu'en quittant Svarga, l'me retourne au monde terrestre des hommes. Il en rsulte que le dsir qu'il doive tre satisfait dans ce monde, ou dans un autre galement transitoire et fugitif enchane l'me la rincarnation et c'est pour cette raison qu'il a t crit que l'me ne peut atteindre la libration qu'aprs "que les liens du cur ont t briss".

    8 Le Dvakhan. (N. D. L. R.)

  • La libration pure et simple (pour une priode) peut tre conquise par cette seule destruction du dsir. Sans accomplir aucune uvre d'une nature particulirement leve, sans avoir atteint un stade trs lev dans l'volution de l'me, sans avoir dvelopp toutes les possibilits divines qui existent l'tat latent dans la conscience humaine, sans s'lever jusqu'aux sommets sublimes sur lesquels se tiennent les Matres et les Aides de l'humanit, l'homme peut mriter, s'il le dsire, un genre de libration qui est foncirement goste, qui l'lve bien au-dessus de ce monde de vicissitudes, qui brise bien les liens qui le rattachent ce monde de vie, et de mort, mais, sans aider en aucune faon ses frres, sans briser leurs liens, sans les mettre en libert. C'est un genre de libration qui profite l'individu plutt qu' la masse, une libration grce laquelle l'individu quitte l'humanit en la laissant se frayer elle-mme son chemin. Je sais que bien des hommes n'ont pas d'aspirations plus hautes ; qu'ils sont nombreux ceux qui poursuivent simplement la libration pour eux-mmes, sans se proccuper des autres. Ce but, comme je le disais, peut tre assez facilement atteint. Pour cela, il suffit de reconnatre la nature fugitive des choses de ce monde, l'inanit des ambitions qu'un homme de ce monde caresse journellement, mais aprs tout, cette libration n'est que pour un temps, pour un Manvantara peut-tre, aprs quoi le retour est obligatoire. De sorte que, bien que dtaches de ce monde, bien que libres en ce qui concerne cette terre, les mes se trouvent dans l'obligation de revenir dans un cycle futur, afin de faire un nouveau pas en avant, vers ce qui est rellement la divine destine de l'homme ; l'volution de la conscience humaine dans la Conscience universelle, dont la fonction est d'enseigner, d'aider et de diriger les mondes de l'avenir.

    Je laisse ce sujet pour m'occuper des mes plus sages et plus gnreuses qui, tout en dsirant se librer des liens du dsir, voudraient les briser non pas pour chapper elles-mmes aux difficults de la vie terrestre, mais pour tre aptes suivre cette haute et noble Voie qui s'appelle la Voie de l'aspirant-disciple, pour suivre les grands tres qui ont plac cette voie porte de l'humanit. Ces mes-l cherchent dcouvrir les Matres disposs accueillir ceux qui se sont qualifis pour

  • suivre cette voie, non dans le seul but de se librer, non pour chapper simplement aux soucis, mais dans le but de devenir un jour les aides, les Matres et les Sauveurs de l'humanit ; elles restituent au monde en gnral ce que les individus ont reu des Matres qui ont pass les premiers. Cette situation de disciple est mentionne dans toutes les grandes critures du monde. La possibilit de trouver un Gourou qui instruise les hommes est certes un idal des mes les plus hautes et les plus dveloppes qui, dans ce monde extrieur, aient cherch raliser la pense divine. Prenez telle criture qu'il vous plaira et voyez comment elle s'exprime cet gard. Prenez Oupanishad 9 aprs Oupanishad et voyez comment on y parle du Gourou et comment l'aspirant-disciple est encourag Le chercher et Le trouver. C'est de cela que je veux vous parler aujourd'hui ; des qualits requises pour devenir un disciple ; de ce qui doit tre fait avant qu'il soit possible d'tre admis comme disciple ; de ce qui doit tre accompli avant que la recherche du Gourou puisse prsenter quelques chances de succs ; de ce qui doit tre pratiqu dans le monde, dans la vie ordinaire des hommes, en considrant la vie comme une cole, comme un lieu o l'on apprend les leons prparatoires, comme un lieu donnant l'homme les qualits ncessaires pour devenir digne d'arriver jusqu'aux pieds des grands Matres qui lui donneront la vraie renaissance cette renaissance symbolise dans toutes les religions exotriques par une crmonie quelconque, moins sacre par elle-mme que par ce qu'elle symbolise. Vous trouverez dans la langue hindoue le mot "deux fois n" impliquant que l'homme n'est pas seulement n d'un pre et d'une mre humains, mais a pass par la seconde naissance qui est confre l'me par le Gourou. Ceci est symbolis hlas ! symbolis seulement la plupart du temps par l'Initiation donne au fils, par le Gourou de la famille ou par le pre, ce qui fait de lui ce que l'on appelle, dans le monde extrieur, l'homme deux fois n. Mais dans les temps jadis comme de nos jours aussi il existait et il existe une vritable Initiation qui a donn naissance toutes les crmonies extrieures ; il existe une relle, une vraie Initiation qui n'est 9 Commentaires sur les Vdas, rvlation de leur signification sotrique. (N. D. L. R.)

  • pas seulement l'admission dans une caste exotrique, mais qui confre une naissance rellement divine, Initiation donne par un puissant Gourou et qui provient du Grand Initiateur, de l'Unique Initiateur de l'humanit. Nous trouvons le rcit de ces Initiations dans les crits du pass, nous savons qu'elles existent dans le prsent. L'Histoire tout entire tmoigne de leur ralit.

    Il y a aux Indes des temples sous lesquels se trouvent les sanctuaires des anciennes Initiations, sanctuaires dont le peuple ignore aujourd'hui l'existence, sanctuaires aujourd'hui cachs aux regards des hommes, mais qui n'en existent pas moins, qui n'en sont pas moins accessibles ceux qui se montrent dignes d'en franchir le seuil. Ce n'est pas aux Indes seulement qu'il existe des sanctuaires de ce genre ; l'ancienne gypte, elle aussi, avait ses cryptes rserves l'Initiation et de majestueuses pyramides, dans un ou deux cas, recouvrent l'antique sanctuaire aujourd'hui mis l'abri des regards humains. Les dernires Initiations que vous trouvez mentionnes dans l'histoire de la Grce et dans celle de l'gypte elle-mme, comme tant l'Initiation de tel ou tel grand philosophe, ont toutes t confres dans les temples extrieurs, connus du peuple, qui recouvrent les sanctuaires rels de l'Initiation. Le droit de franchir le seuil de ces derniers ne pouvait tre conquis au moyen de la science extrieure, mais tait soumis des conditions qu'il fallait remplir, qui ont exist de toute antiquit et qui existent encore aujourd'hui aussi rellement qu'elles existaient alors, car si l'histoire tout entire tmoigne de la ralit de l'Initiation, elle tmoigne aussi de la ralit de l'Initi. A la tte de toute grande religion, il y avait des Hommes plus levs que les hommes ordinaires, des Hommes qui ont donn les critures aux peuples, et que l'histoire nous montre dominant leurs contemporains par leur profonde connaissance des choses spirituelles connaissance qui Les entourait d'une aurole par la clairvoyance spirituelle qui Leur permettait de voir, et attestait ce qu'Ils voyaient. En effet, il y a un fait que nous avons remarqu souvent, en ce qui concerne ces grands Matres ; Ils ne prtendent pas, Ils affirment ; Ils ne discutent pas, Ils proclament ; Ils n'arrivent pas Leurs conclusions par des procds logiques, Ils y arrivent par l'intuition spirituelle ; Ils se prsentent et

  • parlent avec autorit, avec une autorit que justifient leurs paroles mmes et les curs des hommes reconnaissent la vrit de leurs enseignements, mme s'il s'lve des hauteurs que leur intelligence est incapable d'atteindre. Il y a toujours dans le cur de chaque homme ce principe spirituel auquel tout divin Matre fait constamment appel et qui accueille la dclaration spirituelle, mme si l'intelligence n'est pas assez pntrante pour pouvoir discerner la ralit de ce que l'esprit voit. Ces grands Gourous qui sont mentionns dans l'Histoire comme les plus grands Matres, ainsi que ceux dont elle parle comme de puissants philosophes, qui sont tous des Initis qui sont devenus plus que des hommes ; ces Initis existent aujourd'hui, comme Ils ont toujours exist. En effet, comment la mort pourrait-elle porter la main sur Ceux qui ont triomph de la vie et de la mort et qui sont les matres de toute la nature infrieure ? Leur volution Les a fait merger, dans le cours des sicles passs, Les uns de notre humanit, Les autres d'humanits antrieures la ntre. Quelques-uns d'entre Eux sont venus d'autres mondes ou d'autres plantes, alors que notre humanit tait encore dans l'enfance ; d'Autres ont grandi, lorsque cette humanit avait suffisamment parcouru la voie de l'volution pour tre mme de produire ses propres Initis, les Gourous de notre race, pour aider dans sa marche en avant l'humanit laquelle Ils appartiennent Eux-mmes. Lorsqu'un homme a parcouru la voie et qu'il a atteint ce but, la mort ne saurait plus avoir aucun pouvoir sur Lui et il n'est plus possible qu'ayant t Il puisse cesser d'tre. Le fait seul que l'histoire parle d'Eux est une garantie de leur existence prsente ; cela suffirait prouver qu'Ils existent, sans qu'il ft besoin du tmoignage, grandissant tous les jours, de ceux qui Les ont trouvs, et qui Les connaissent ; de ceux qui sont instruits par Eux et qui tudient Leurs pieds. A notre propre poque, en effet, de nos jours mme, des tudiants dcouvrent, l'un aprs l'autre, l'ancienne voie ; aujourd'hui mme ils dcouvrent, l'un aprs l'autre, cette voie ancienne et troite, mince comme le fil d'un rasoir, qui lve l'homme et le met en tat de s'engager sur la voie de l'aspirant-disciple. A mesure que l'un d'eux la dcouvre, il devient un tmoin capable de proclamer la vracit des anciens crits et, aprs qu'il s'y est engag, il peut en parcourir successivement toutes les phases.

  • Pour l'instant, nous avons tablir quelles sont les qualits requises pour conqurir le droit d'entre sur cette Voie. La premire de ces qualits doit tre dveloppe dans une trs large mesure au moins, avant qu'il soit possible de songer le moins du monde tre admis comme disciple. Cette premire qualit est ce que l'on appelle le contrle mental, et ma premire tche consistera vous expliquer trs clairement ce que veut dire le contrle du mental ; ce qu'est ce mental devant tre contrl, et ce qui sert le contrler. N'oublions pas que, pour la grande masse du public, le mental reprsente l'homme. Lorsqu'il parle de "lui-mme", c'est rellement de son mental qu'il parle. Lorsqu'il dit "Moi", il identifie ce "Moi" avec le mental, l'intelligence consciente qui sait ; et lorsqu'il dit "je pense, je sens, je sais", si vous cherchez avec soin le sens qu'il donne ces mots, vous verrez qu'il ne dpasse pas les limites de son tat de conscience pendant la veille. Voil ce qu'il entend, gnralement, par le mot "moi". Certes, ceux qui ont tudi srieusement savent quel point un "moi" de ce genre est illusoire, mais, bien que le sachant sous forme de proposition intellectuelle, ils n'en font pas une des ralits pratiques de la vie. Ils l'admettent bien en tant que philosophes, mais n'en font pas la base de leur existence dans le monde. Afin que nous puissions clairement comprendre ce qu'est ce contrle du mental et comment nous pouvons arriver l'obtenir, arrtons-nous un moment ce que nous appelons la possession de soi-mme, lorsque nous parlons d'un homme de ce monde : nous verrons quel point cette possession de soi-mme est insuffisante, lorsque nous la comparons celle qui fait partie des qualits requises de l'aspirant-disciple. Lorsque nous disons qu'un homme a de l'empire sur lui-mme, nous voulons dire que son mental est plus puissant que ses passions ; que si nous prenons sa nature infrieure, ses passions et ses motions et que nous leur opposions sa nature intellectuelle, son intelligence, sa volont et sa puissance de raisonnement, ce sont ces dernires facults qui l'emporteront sur les premires ; qu'il est capable, en un mot, dans un moment de tentation, ou en prsence d'un appel ses passions, de dire "non, je ne veux pas cder ; je ne permettrai pas mes passions de me conduire ; je ne me laisserai pas dominer par mes sens ; ces sens ne sont que les coursiers qui tranent mon char, tandis que moi je suis le conducteur et je ne leur permettrai

  • pas de prendre le galop sur la route de leur Choix" : nous disons alors que cet homme a de l'empire sur lui-mme. Voil la signification habituelle de ces mots, et, notons-le, ce genre d'empire sur soi-mme est une admirable qualit. Elle reprsente une phase par laquelle tout homme doit passer. L'homme drgl et sans frein, qui est entirement sous le joug de ses sens, a, certes, beaucoup faire avant d'arriver acqurir cette facult mondaine de la possession de soi-mme, mais il faut beaucoup, beaucoup plus encore. Lorsque nous parlons d'un homme dou d'une volont nergique et d'un homme d'une volont faible, nous voulons gnralement dire que l'homme nergique est celui qui, en prsence des tentations et des difficults habituelles de ce monde, fera appel sa raison et son jugement avant de choisir sa route et se laissera guider par sa mmoire du pass et par les conclusions qu'il en tire. Nous disons alors qu'il est dou d'une volont nergique, parce qu'il n'est pas la merci des circonstances, parce qu'il n'obit pas toutes les impulsions et n'est pas comme un navire entran par le courant du fleuve, ou pouss de-ci de-l, au gr des vents qui soufflent. Il ressemble plutt un navire dirig par un marin connaissant son mtier, qui utilise les vents et les courants pour le conduire du ct o il veut aller, qui emploie la volont comme un gouvernail, pour le maintenir sur la route qu'il a lui-mme choisie. Il est parfaitement vrai que le fait de possder une volont nergique, au lieu d'une volont faible, est le signe d'une individualit grandissante ; ce pouvoir de donner une impulsion interne est un des indices les plus clairs du dveloppement graduel de l'homme et de l'accroissement de son individualit. Je me souviens que H.-P. Blavatsky disait, dans un des articles o elle traitait de l'individualit, que l'on pouvait reconnatre son existence chez l'homme et son absence chez l'animal en observant la faon dont se comportent l'un et l'autre dans certaines circonstances. Prenez un certain nombre d'animaux sauvages et mettez-les en prsence de circonstances identiques ; vous les verrez suivre tous la mme ligne gnrale de conduite. Leur manire d'agir est dtermine par les circonstances au milieu desquelles ils se trouvent ; chacun d'eux ne cherche pas agir de manire modifier ces circonstances, les opposer les unes aux autres afin de tracer la voie qu'il a choisie ; ils agissent tous de mme. Si vous connaissez la nature de

  • l'animal, ainsi que la nature des circonstances au milieu desquelles il se trouve, vous pouvez dduire la manire d'agir de la classe entire en connaissant celle d'un ou deux de ses membres ; c'est une preuve absolue de l'absence de toute individualit. Mais si vous prenez un certain nombre d'hommes, vous ne pourrez pas conclure d'avance qu'ils agiront tous de la mme faon, car la diversit de leurs manires de se comporter en prsence des mmes circonstances dpendra du degr de dveloppement de chacun d'eux. Les individus diffrent entre eux et il en rsulte qu'ils agissent diffremment ; chacun a sa propre volont, ce qui lui permet de choisir son gr. L'homme dont la volont est faible est moins individualis, moins dvelopp et n'est pas aussi avanc dans la voie de l'volution.

    Ceci tabli, un homme peut faire plus que soumettre sa nature infrieure au contrle de sa nature suprieure ; il peut commencer se faire une ide de la puissance cratrice de la pense. Cela implique un champ de penses plus tendu que celui du commun des hommes, cela implique une certaine somme de connaissances philosophiques. S'il a tudi, par exemple, les principaux ouvrages des Hindous, il y aura gagn une conception intellectuelle trs claire de la puissance cratrice de la pense ; mais ds qu'il se sera rendu compte de cela, il en conclura qu'il y a quelque chose au del de ce qu'il appelle son mental, car s'il existe une puissance gnratrice de la pense, si, par l'entremise de son mental, l'homme est capable de produire des penses, celles-ci doivent tre engendres par quelque chose qui est cach au del de ce mental qui les produit. Le seul fait de l'existence de cette puissance cratrice de la pense et de ce que l'homme soit mme de s'en servir pour exercer son mental et celui des autres suffit prouver qu'il y a quelque chose au del du mental ; quelque chose qui est, en quelque sorte, indpendant du mental et qui s'en sert comme d'un instrument. L'tudiant qui cherche se comprendre soi-mme commence alors constater qu'il a affaire un mental dont le maniement est fort difficile et que les penses viennent sans qu'il les cherche ; qu'elles jaillissent, en quelque sorte, sans le concours de sa volont. Lorsqu'il commence tudier les oprations du mental, il constate que les penses y affluent sans qu'il les ait appeles ;

  • il constate qu'il est en proie des ides dont il voudrait que la nature ft trs diffrente. Son mental est envahi par toutes sortes de fantaisies ; il voudrait les en chasser, mais il se trouve dsarm et n'arrive pas s'en dbarrasser. Il se voit oblig de brasser les penses qui rgnent sur son mental et qui ne sont aucunement soumises son appel ou son autorit. Il commence alors tudier ces penses ; il se demande : d'o viennent-elles ? comment agissent-elles ? comment peut-on les matriser ? et il apprend peu peu que bien des penses qui envahissent son mental ont leur origine dans le mental d'autres hommes et que, suivant la ligne gnrale de penses qui lui est propre, il attirera les penses des autres, du monde extrieur de la pense. Il influence son tour le mental d'autrui par les penses qu'il engendre lui-mme et il commence comprendre que cette responsabilit est bien plus grave qu'il ne l'avait jamais pens. Il avait cru, jusqu' ce moment, que ce n'tait qu'en parlant qu'il pouvait exercer une influence sur le mental d'autrui ; que ses actions seules pouvaient tre prises comme un exemple et modifier la faon d'agir de son prochain, mais au fur et mesure que son savoir augmente, il commence entrevoir l'existence d'une force mystrieuse manant de l'homme qui pense, et agissant sur le mental des autres. La science moderne nous dit quelques mots de cela et arrive aux mmes conclusions ; de nombreuses expriences lui ont dmontr qu'une pense pouvait tre transmise d'un cerveau un autre, sans qu'un mot ft prononc, sans qu'un mot ft crit, et qu'il y avait dans la pense quelque chose de palpable, de susceptible d'tre observ, qui ressemble a une vibration faisant vibrer d'autres choses, sans qu'il soit besoin de prononcer un mot, d'articuler un son. La science a dcouvert que la pense peut tre transmise d'homme homme, dans le plus profond silence ; que sans aucun moyen extrieur de communication o, comme le disait le professeur Lodge, sans moyens matriels de communication, le mot "matriel" tant employ dans son sens physique, il est possible au mental d'affecter le mental.

    S'il en est ainsi, nous nous influenons tous les uns les autres par nos penses, sans avoir recours la parole ou l'action, car d'un ct les penses que nous engendrons se rpandent dans le monde et agissent, sur

  • le mental des autres hommes et, de l'autre, les penses que ceux-ci mettent viennent nous et influent leur tour sur notre manire de penser. Nous constatons donc que l'action de penser tient gnralement bien peu de place dans la vie ; ce que nous appelons "penser" ne consiste gure que dans la rflexion des penses des autres. En ralit, le mental des hommes ressemble beaucoup une auberge o des voyageurs s'arrteraient pour la nuit ; du moins le mental de beaucoup d'hommes n'est gure autre chose que cela. Une pense entre et sort, l'homme ajoute bien peu la pense qui lui vient. Il la reoit, l'abrite, puis elle passe. Mais ce qu'il serait de notre devoir de faire, ce serait de penser de propos dlibr et avec l'intention d'excuter ce que nous aurions dcid.

    Pourquoi ce contrle du mental, ce contrle de la pense, cet arrt de la pense et ce refus de donner asile la pense d'autrui auraient-ils tant d'importance ? Pourquoi tout cela constituerait-il une condition sine qua non qu'il faut remplir avant de pouvoir tre admis comme disciple ? Parce que les penses de l'homme qui devient un disciple prennent plus de force ; parce que l'individualit de celui qui devient un disciple se dveloppe, grandit, devient plus puissante et que chacune de ses penses possde une vitalit et une nergie plus grandes et exerce une influence plus forte sur le monde des hommes. La pense d'un homme peut tuer, la pense d'un homme peut gurir une maladie ; elle peut exercer une influence sur les foules ; elle peut crer une illusion visible de nature tromper les autres hommes et les garer. Puisque la pense devient si puissante, mesure que l'individualit se dveloppe et grandit et puisque la qualit de disciple implique la croissance rapide et le dveloppement de l'individualit dans de telles proportions que l'homme arrive accomplir dans le cours de quelques vies ce qui, sans cette qualit, n'et pu tre parachev que dans des milliers d'annes, il est ncessaire, avant que ce surcrot de puissance ne soit mis sa porte, qu'il ait appris exercer un contrle sur ses penses, qu'il ait appris rprimer tout ce qu'elles renferment de mauvais, qu'il ait appris ne donner asile qu' ce qui est pur, bienfaisant et utile. Le contrle du mental par le Soi a t impos comme condition l'aspirant-disciple, parce qu'avant qu'un homme puisse possder le surcrot de pouvoir que confre

  • l'enseignement du Gourou, il faut qu'il soit devenu matre de l'instrument qui produit les penses, afin que celui-ci ne fasse que ce qu'il a dcid et ne produise jamais rien sans son plein consentement.

    Je sais que le public prouvera de la difficult comprendre cela. Il dira : Quelle est cette individualit qui va toujours grandissant ? Quelle est cette individualit qui dveloppe le pouvoir de la volont et de la puissance de contrle sur le mental et dont vous dites qu'elle n'est pas le mental, mais qu'elle lui est suprieure ? Laissez moi me servir d'une image emprunte la vie de ce monde, pour vous aider saisir comment nat l'individualit et comment elle se dveloppe. Supposons que vous entriez dans une atmosphre sature de vapeur d'eau, mais assez chaude pour que la vapeur d'eau y reste en suspension, invisible, et que l'emplacement vous paraisse vide. Vous direz : il n'y a rien ici, rien que de l'air. Vous savez cependant bien que si un chimiste prenait un peu de cet air satur de vapeur d'eau, l'enfermait dans un rcipient et le refroidissait graduellement, vous verriez un lger brouillard, une sorte de nuage, se dessiner au milieu de ce vide apparent ; que ce lger brouillard irait s'paississant peu peu jusqu'au moment o, le refroidissement augmentant, vous verriez apparatre une goutte d'eau l o, l'instant d'avant, vous ne distinguiez rien. Nous pouvons considrer cet exemple comme une grossire image physique, pouvant servir expliquer la formation de l'individualit. Du sein de cet Invisible, qui est l'Un d'o tout mane, s'lve un lger nuage qui devient visible, un lger brouillard qui se condense, qui se spare de l'invisible bue qui l'entoure et se condense graduellement, jusqu' devenir la goutte individuelle que nous considrons comme une unit. Du sein de ce qui est Tout jaillit le dsagrg et le distinct ; distinct dont la nature est identique celle du Tout dont l'essence est la mme que la sienne, mais qui en est spar par ses qualits et se trouve ainsi individualis. L'me individuelle de l'homme mane de cette faon du Soi Unique et grandit tous les jours en exprience. Elle grandit et se dveloppe au fur et mesure de ses centaines de renaissances dans le monde, vie aprs vie, poque aprs poque, et ce que nous appelons le mental n'est, en quelque sorte, qu'un de ses petits bourgeonnements dans le monde matriel. De mme que

  • l'amba, lorsqu'elle a besoin de nourriture, projette l'extrieur une portion d'elle-mme, saisit une parcelle de matire nutritive et rabsorbe ensuite cette partie d'elle-mme qu'elle avait projete, se nourrissant de ce qu'elle a pris, de mme l'individualit projette dans le monde le monde physique une sorte de providence de son Soi, charge d'amasser pour elle de l'exprience en guise de nourriture, puis la rabsorbe au moment de ce que nous appelons la mort, s'assimilant cette exprience pour nourrir sa croissance. Le mental n'est autre que cette providence dans le monde physique ; c'est une portion de l'individualit, une portion de l'me. La conscience, qui est vous-mme, est suprieure votre mental ; suprieure ce que vous appelez l'intellect. Tout votre pass, toute l'exprience que vous avez acquise, sont l'abri dans la conscience. Tout le savoir que vous vous tes assimil est amass dans la conscience qui est rellement vous. A votre naissance, vous projetez une petite portion de vous-mmes, charge d'amasser une nouvelle dose d'exprience pour enrichir encore cette conscience : l'me se l'assimile pour assurer son dveloppement et, chaque vie nouvelle, elle s'efforce d'influencer cette providence d'elle-mme, au moyen de sa conscience enrichie. Ce que nous appelons la "Voix de la conscience", n'est autre que celle du Soi suprieur parlant au soi infrieur et cherchant diriger son ignorance au moyen du savoir qu'il a acquis dans ces vies successives.

    Nous savons que ce soi infrieur, le mental, nous fait prouver des difficults. Vous souvenez-vous de ce qu'Arjouna disait Shr Krishna, en parlant du contrle du Manas infrieur que nous tudions ? Vous souvenez-vous dans quels termes il disait son divin Matre combien son Manas tait turbulent ? "O Krishna, Manas est vritablement turbulent, disait-il ; il est imptueux, puissant et difficile faire plier ; je crois aussi difficile contenir que le vent." Et c'est vrai ; celui qui essaye de mettre un frein au Manas le sait, Celui qui tente d'exercer un co