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Economie comportementale: Dossier Economie et psychologie Photo: Wikipedia L’économie comportementale est un domaine des sciences économiques. Elle se caractérise par le fait qu’elle intègre des aspects psychologiques et sociolo- giques dans la théorie économique classique, de sorte à mieux expliquer le comportement des personnes dans des situations économiques. En effet, la conception de l’être humain telle que les sciences économiques traditionnelles la véhiculent suffit rarement à expliquer le comportement écono- mique des personnes. La recherche empirique a révélé que certaines hypothèses fondamentales étaient systé- matiquement infirmées. Les êtres humains ne sont pas uniquement mus par leurs intérêts personnels, ils ne sont pas toujours rationnels, et ils n’ont pas une volonté infinie. Dans les années 1970, l’économie comportementale s’est établie comme discipline à part entière au sein des sciences économiques. Contrairement aux partisans des sciences économiques traditionnelles, les représentants de l’économie comportementale ont d’autres objectifs que d’établir continuellement de nouveaux calculs pour prédire le comportement théorique d’un homo œcono- micus imaginaire. L’économie comportementale s’attache plutôt à détermi- ner si les comportements des personnes dans des si- tuations décisionnelles corroborent les modèles écono- miques. Pour ce faire, les chercheurs mènent des expé- riences en laboratoire et sur le terrain, en appliquant des méthodes issues des sciences naturelles. Le monde politique et la société peuvent profiter d’une modélisation plus pertinente du comportement humain. En effet, les modèles économiques servent souvent de base à des décisions de politique sociale ou écono- mique, ou à des règles appliquées dans beaucoup d’organisations. L’attribution du prix Nobel à Daniel Kahnemann en 2002 constitue un grand moment de l’économie comporte- mentale. Depuis, l’importance de ce domaine de l’écono- mie n’a cessé de croître, aussi bien sur le plan scienti- fique que dans la pratique. Englobant plusieurs articles sur l’économie comporte- mentale, le présent dossier du blog offre un aperçu captivant de cet univers interdisciplinaire.

Economie comportementale: Dossier · «Inside the Nudge Unit: How small changes can make a big difference», rédigé par David Halpern, directeur de la BIT, vient de paraître. Le

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Economie comportementale: Dossier Economie et psychologie

Photo: Wikipedia

L’économie comportementale est un domaine des

sciences économiques. Elle se caractérise par le fait

qu’elle intègre des aspects psychologiques et sociolo-

giques dans la théorie économique classique, de sorte à

mieux expliquer le comportement des personnes dans

des situations économiques.

En effet, la conception de l’être humain telle que les

sciences économiques traditionnelles la véhiculent

suffit rarement à expliquer le comportement écono-

mique des personnes. La recherche empirique a révélé

que certaines hypothèses fondamentales étaient systé-

matiquement infirmées. Les êtres humains ne sont pas

uniquement mus par leurs intérêts personnels, ils ne

sont pas toujours rationnels, et ils n’ont pas une volonté

infinie.

Dans les années 1970, l’économie comportementale

s’est établie comme discipline à part entière au sein des

sciences économiques. Contrairement aux partisans des

sciences économiques traditionnelles, les représentants

de l’économie comportementale ont d’autres objectifs

que d’établir continuellement de nouveaux calculs pour

prédire le comportement théorique d’un homo œcono-micus imaginaire.

L’économie comportementale s’attache plutôt à détermi-

ner si les comportements des personnes dans des si-

tuations décisionnelles corroborent les modèles écono-

miques. Pour ce faire, les chercheurs mènent des expé-

riences en laboratoire et sur le terrain, en appliquant

des méthodes issues des sciences naturelles.

Le monde politique et la société peuvent profiter d’une

modélisation plus pertinente du comportement humain.

En effet, les modèles économiques servent souvent de

base à des décisions de politique sociale ou écono-

mique, ou à des règles appliquées dans beaucoup

d’organisations.

L’attribution du prix Nobel à Daniel Kahnemann en 2002

constitue un grand moment de l’économie comporte-

mentale. Depuis, l’importance de ce domaine de l’écono-

mie n’a cessé de croître, aussi bien sur le plan scienti-

fique que dans la pratique.

Englobant plusieurs articles sur l’économie comporte-

mentale, le présent dossier du blog offre un aperçu

captivant de cet univers interdisciplinaire.

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Sommaire

Mieux manager grâce à l’économie comportementale 3

Les «Nudges», ces petits coups de pouce qui changent la vie 5

Big Data: quésaco? 6

Comment embarquer dans un avion de manière efficace? 7

Les leçons d’économie des Simpson 9

Le phénomène du «winner’s curse» 10

Le divorce causé par la consommation de margarine? 11

Röstigraben: info ou intox? 11

Des indices surprenants 14

Le football au service de l’économie 16

L’équation du bonheur 18

L’économie mondiale, à la merci des esprits animaux? 19

Expériences pour combattre la pauvreté 21

Est-ce que vous tueriez cette souris? 23

Quand Facebook nous renseigne sur les relations amoureuses 25

Glossaire 26

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Mieux manager grâce à l’économie comportementale

Comment s’inspirer de l’économie comportementale pour

devenir un bon manager?

Source: Flickr, nist6dh, ©creative Common License 2.0

La productivité, c’est le Saint Graal du manager. Cepen-

dant, il est fort probable que pour faire un travail particu-

lier, on a déjà beaucoup réfléchi à tout faire pour qu’il soit

le plus productif possible. Dans beaucoup de domaines,

même en investissant beaucoup, on n’arrive plus vrai-

ment à augmenter massivement le rapport entre valeur

produite et coût investi. Cela pourrait bien changer ces

prochaines années lorsque la robotisation ou les intelli-

gences artificielles auront permis un saut technologique.

Mais, d’ici-là, existe-t-il encore des poches de producti-

vité?

On a tous eu un mauvais chef…

Il en existe une: les chefs. Si les processus de travail sont

de plus en plus maitrisés, ceux de management sont en-

core largement négligés en entreprise. La preuve: nous

continuons à recruter des gens en premier lieu pour leurs

«compétences métier», et non pour leurs connaissances

en management. Pourtant de nombreuses études1 démon-

trent que de bonnes pratiques de leadership peuvent in-

fluencer plus de la moitié du résultat.

Le leadership, ça s’apprend!

La part extraordinaire, c’est que les compétences liées au

management peuvent s’apprendre et en particulier grâce

à l’économie comportementale. Par exemple, deux élé-

ments essentiels influençant la productivité dans les en-

treprises sont la motivation et l’honnêteté. Ce sont deux

variables qui dépendent fortement de la culture de l’entre-

prise et du management.

Plus motivés que des robots?

Dans une expérience récente, Dan Ariely a tenté notam-

ment de montrer comment les entreprises pouvaient

améliorer la motivation en redonnant du sens au travail.

On demande à des participants2, rémunérés, de cons-

truire des robots en Lego. Ils doivent d’abord en faire un

jaune. Puis, s’ils sont d’accord, ils peuvent en faire un

violet. Une fois le violet terminé, ils peuvent à nouveau en

faire un jaune, puis un violet, et ainsi de suite. Au bout

d’un moment, les gens en ont marre: malgré le fait qu’ils

soient payés, ils ne sont plus motivés à continuer. Dans

une seconde expérience, on demande exactement la

même chose aux sujets. Mais cette fois-ci, lorsqu’ils ont

fini leur premier robot jaune et qu’ils fabriquent le violet,

on détruit, sous leurs yeux, le fruit de leur travail. S’ils

veulent refaire un violet, ils doivent reconstruire celui

qu’on vient de détruire! Et ce, pendant qu’on démolit aussi

le violet. Inutile de vous dire que, dans ces circonstances,

les sujets arrêtent beaucoup plus rapidement de cons-

truire leurs robots. Ils sont démoralisés. Pourtant, dans

les deux cas, le travail qu’ils devaient accomplir est stric-

tement le même. Ce qui a démotivé les gens, c’est que

leur travail n’avait aucun sens. Les chefs pourraient faire

beaucoup pour redonner du sens au travail des gens.

Le feedback: un élément essentiel

D’ailleurs, dans une autre expérience un peu similaire,

Ariely3 demande à des gens de faire un travail. Dans le

premier cas, il dit merci et regarde le travail avant de le

ranger. Dans un second cas, il range le travail fini, sans

donner de feedback. Dans le troisième cas, il démolit le

travail sous les yeux des travailleurs. Ce qui est particu-

lièrement intéressant dans cette expérience, c’est que les

personnes qui n’avaient pas de feedback étaient quasi-

ment aussi démotivées que celles dont on détruisait leur

travail sous leurs yeux. Cela illustre un problème impor-

tant dans nos entreprises: l’absence systématique de

feedback régulier.

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Pourquoi fait-on un effort?

La culture d’entreprise et ce qu’on vit sur le lieu de travail

est aussi essentiel. Nous avons réalisé une expérience4

issue de la question suivante: pourquoi les gens sont-ils

si lents devant les bancomats? J’ai d’abord cru que les

personnes étaient juste incapables d’utiliser la machine,

mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas pos-

sible à si grande échelle. C’est en commençant à mesurer

la vitesse des gens que j’ai constaté quelque chose d’inté-

ressant. Si, en général, tout le monde mettait deux fois

plus de temps que moi à retirer de l’argent, il existait des

fois ou l’ensemble des personnes allait très vite. Donc, en

somme, soit tout le monde prend son temps, soit tout le

monde se dépêche.

Œil pour œil

Nous avons donc conçu une expérience un brin machia-

vélique pour tester les raisons de ce comportement simi-

laire. Les sujets sont amenés à attendre devant une porte,

avec un compteur qui leur dit combien de minutes ils doi-

vent attendre avant que ce soit leur tour. Seulement, de

temps en temps, le compteur augmente d’une minute,

sans explication. Lorsqu’enfin le compteur atteint zéro,

les sujets rentrent dans une salle. Là, ils voient juste un

gros bouton. Il leur est expliqué qu’en appuyant sur le

bouton, ils peuvent augmenter d’une minute le temps d’at-

tente du participant suivant. Plus des trois quarts des

participants n’ont pas hésité à se venger massivement de

l’attente qu’ils avaient subie, alors qu’ils savaient que la

personne sur laquelle ils se vengeaient n’y pouvait abso-

lument rien. À l’inverse, quand des sujets n’avaient pas

fait attendre les suivants, alors ces mêmes suivants ont

eux aussi eu tendance à montrer de la compassion pour

ceux d’après.

Le leadership commence par là

L’exemplarité est donc un moyen important de pousser

les gens à agir dans le bon sens… ou le mauvais. S’il est

évident qu’il y a beaucoup de choses à apprendre pour

bien diriger, les chefs, quel que soit leur niveau, pour-

raient déjà s’améliorer massivement s’ils s’efforçaient

d’être plus exemplaires, s’ils garantissaient que le travail

de chacun a un sens, et s’ils avaient des mécanismes de

feedbacks réguliers pour chacun.

1 http://libres.uncg.edu/ir/uncg/f/k_lowe_effectiveness_1996.pdf 2 www.rts.ch/play/tv/toutes-taxes-comprises/video/la-motiva-tion-au-travail?id=7404164 3 https://www.ted.com/talks/ dan_ariely_what_makes_us_feel_good_about_our_work/trans-cript?language=fr 4 www.rts.ch/play/tv/specimen/video/linfluence-des-jeux-video-et-des-adultes?id=4888060

Samuel Bendahan, 7 mars 2016

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Les «Nudges», ces petits coups de pouce qui changent la vie

Les Nudges, encore mal connus en Suisse, commencent à

faire leurs preuves dans les pays anglo-saxons. Comment

ont-ils été transposés à la politique publique?

Source: Pixabay – Geralt (CC0 Public Domain)

Cinq ans après la mise sur pieds de la Behavioural In-

sights Team (BIT)1 par le gouvernement anglais, l’heure

est venue de rendre des comptes.

Aussi surnommée la Nudge Unit, cette équipe a été man-

datée par le Premier ministre David Cameron pour rem-

plir principalement deux missions:

tenter te transposer le concept du Nudge à la politique

publique.

tester l’efficacité de certaines mesures expérimen-

tales en évaluant leur impact sur le comportement des

gens.

Quelques exemples de nudges qui influencent les com-portements

De simples traces de pas se dirigeant vers une poubelle

ont réussi à réduire la quantité de déchets jetés par terre;

l’ajout, dans la facture d’électricité, d’une comparaison

par rapport au niveau national a mené à une réduction

conséquente de la consommation d’énergie des ménages

concernés; tout comme l’adjonction d'une simple ligne au

courrier de rappel pour payer ses impôts a rapporté plu-

sieurs millions de recettes supplémentaires.

Il ne s’agit là que de trois exemples, mais il en existe une

pléthore d’autres. En effet, le Nudge a aussi mené à des

améliorations dans d’autres domaines, tels que la santé, la

prévoyance, l’emploi, l’énergie et la prévention. Des me-

sures, à première vue insignifiantes, ont apparemment le

potentiel d'améliorer l'efficacité de certaines politiques

publiques sans contraindre les individus pour autant.

«Inside the Nudge Unit: How small changes can make a

big difference», rédigé par David Halpern, directeur de la

BIT, vient de paraître. Le livre offre un bon aperçu des ex-

périmentations qui ont été conduites par l’équipe au cours

de ces dernières années, ainsi que de leur subtile in-

fluence sur le comportement des gens. Et qui sait? Ce

dernier pourrait peut-être servir de source d’inspiration à

nos autorités…

Si vous n’êtes pas un féru de la langue de Shakespeare,

et en attendant une éventuelle traduction française, vous

pourrez toujours vous rattraper sur le livre à l’origine de

cet engouement pour le Nudge: «Nudge: la méthode douce

pour inspirer la bonne décision» par Cass Sunstein, pro-

fesseur de droit à Harvard, et Richard Thaler, économiste

à la Chicago University.

1 www.behaviouralinsights.co.uk

Noémie Roten, 24 septembre 2015

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Big Data: quésaco?

Cité comme la matière première de demain, le «Big Data»

est partout. Mais comment est-il construit et quel est son

utilité?.

Source: Wikimedia - Camelia.boban

Le «Big Data», ou «méga-données», définit la collecte

massive d’informations regroupées sur de gigantesques

serveurs. Ces données sont diverses: comportements de

consommation, flux d’actualités à travers le monde, don-

nées scientifiques,... Souvent enregistrées en flux conti-

nus, elles représentent une telle quantité d’informations

brutes qu’elles peuvent s’avérer compliquées à classifier

et à utiliser. Mais, au fond, à quoi servent-elles?

De multiples utilisations

Un exemple fréquemment cité est celui de Google. Le cé-

lèbre moteur de recherche enregistre toutes nos cybe-

ractions afin de cibler au mieux les profils des utilisa-

teurs. Ainsi, il peut définir des publicités qui sont au plus

proche de nos préférences. D’ailleurs, vous pouvez savoir

ce que Google connait de vous en suivant ce lien1. De

nombreux sites commerciaux (vêtements, chaussures,

livres) collectent des renseignements afin de mieux cibler

les besoins de leurs clients et proposer des articles qui

pourraient leur plaire.

Les cartes de fidélité sont aussi une autre source d’infor-

mations. En effet, un panier type de consommation, tout

comme la fréquence d’achat, peuvent ainsi être définis

pour chaque client. En utilisant ces données, les entre-

prises peuvent identifier les produits à succès, définir

des publicités ciblées et même gérer les stocks de mar-

chandises.

Des méga-données géographiques sont aussi collectées.

En localisant les individus grâce à leurs smartphones, les

prestataires de services enregistrent les mouvements des

utilisateurs. Ainsi, ils déterminent la demande pour les

transports publics ou axes routiers, prédisent les dépla-

cements d’une population (bouchons potentiels) et suggè-

rent ainsi à l’utilisateur des itinéraires lui permettant

d’optimiser son temps de trajet.

Le «Big Data» concerne également les images enregis-

trées par satellite. Cette récolte peut effrayer puisque,

outre l’impression d’être observé, elle n’est que peu ré-

glementée au niveau international. Pourtant, ces données

permettent de véritables avancées dans certains do-

maines de recherche: localiser les navires pollueurs, défi-

nir les besoins d’arrosage dans des régions pauvres en

eau, planifier les secours humanitaires dans des zones de

conflits…

En guise de prolongement

Arte dévoile, via diverses émissions, les enjeux que re-

présentent le «Big Data» :

Arte Future. Big Data, la série2. (25.03.2015)

Emission en 5 volets contenant des vidéos, des textes

et des posters explicatifs.

Arte Future. Souriez, vous êtes cybersurveillés!3 (

22.05.2015)

Explications et débats sur la surveillance globale per-

manente.

Arte Documentaire. Big earth data: Une solution pour

la planète.4 (7.02.2015 - Durée: 52:41)

Reportage sur l’utilisation du «Big Data» pour ré-

soudre des problèmes écologiques et humanitaires.

1 www.presse-citron.net/qui-etes-vous-pour-google 2 http://future.arte.tv/fr/sujet/bigdata#article-anchor-8551 3 http://future.arte.tv/fr/cybersurveillance#article-anchor-25641 4 www.youtube.com/watch?v=M3FVWeymgHQ

Rachel Cordonier, 15 juin 2015

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Economie comportementale: Dossier

Version octobre 2018 7 | 26 www.iconomix.ch

Comment embarquer dans un avion de manière efficace?

Diminuer le temps d’attente lors du processus d’embar-

quement, c’est possible.

Source: photo personnelle

Quelle attente interminable lorsque vous vous retrouvez

coincé dans une file en vue de prendre votre avion;

coincé au milieu de l’allée, la valise du passager 27F vous

dégringolant sur la tête, avec en arrière fond sonore les

pleurs d’un bébé qui manifeste son mécontentement!

Combien de temps encore avant de vous envoler, enfin?

Le pire moyen d’embarquer dans un avion: la méthode traditionnelle

Si, vous aussi, vous vous êtes déjà posé cette question,

c’est que vous voyagez certainement avec une compagnie

aérienne qui, comme le montre cette vidéo1, procède à un

embarquement back‑to‑front.

De prime abord, la méthode back-to-front semble être

une méthode sensée, mais plusieurs tests et simulations2

ont démontré qu’il s’agissait, en fait, de la méthode la plus

chronophage. En effet, puisque tout le monde essaie d’ac-

céder aux mêmes rangées et aux mêmes casiers à ba-

gages en même temps, la probabilité est élevée qu’une

personne déjà assise doive se relever pour laisser passer

son voisin. Résultat garanti: embouteillages dans les

allées.

Embarquer de manière complètement aléatoire (voir

vidéo3) serait étonnement une technique plus efficace!

Une émission de télévision américaine a fait le test

En 2012, l’émission Mythbusters a engagé 173 personnes

pour simuler le processus d’embarquement dans une ré-

plique d’avion selon différentes méthodes:

Source: Représentation personnelle à partir de Mythbusters, épi-sode 197 Il aura fallu 24,48 minutes aux 173 passagers fictifs pour

embarquer selon la méthode traditionnelle et 7 de moins

pour embarquer de façon aléatoire.

En 3ème position, la méthode Outside-In4. Il s’agit ici de

faire entrer tout d’abord tous les passagers possédant

une place à la fenêtre, puis ceux du milieu et en dernier

ceux placés à côté du couloir. L’inconvénient? Les passa-

gers voyageant ensemble seront séparés à l’embarque-

ment.

Cette méthode est suivie de près par la méthode South-

west, nommée d’après la compagnie aérienne du même

nom qui la pratique. Celle-ci n’assigne pas de siège et

laisse les passagers s’asseoir où ils le désirent. Il s’agit

d’une méthode efficace mais source de stress et d’éner-

vement pour les passagers.

En théorie, la méthode la plus efficace serait de faire la

queue à la porte d’embarquement dans l’ordre et d’em-

barquer siège par siège5. Néanmoins cela serait un peu

trop contraignant à mettre en pratique…

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Economie comportementale: Dossier

Version octobre 2018 8 | 26 www.iconomix.ch

Un dernier procédé (théorique): la méthode Steffen

Il existerait bien encore une dernière méthode, du moins

sur le papier, qui permettrait de gagner du temps à l’em-

barquement et qui ne serait pas aussi stressante que la

méthode Southwest. Il s’agit de la méthode élaborée par

le Docteur Jason Steffen, astrophysicien de profession.

C’est en utilisant un algorithme d’optimisation (méthode

de Monte‑Carlo par chaînes de Markov) et en program-

mant une simulation que Steffen a élaboré sa méthode6.

De manière assez similaire à la méthode Outside-in, les

passagers embarquent selon le type de siège qui leur a

été attribué (fenêtre, milieu, couloir), mais Steffen y

ajoute une petite chorégraphie, afin de supprimer tout

risque d’embouteillage dans les couloirs: voir vidéo7.

La stratégie optimale de boarding de Steffen permettrait

de diviser le temps nécessaire à l’embarquement par 4

par rapport à la méthode traditionnelle (et même plus sui-

vant la taille de l’avion).

Steffen est forcé d’admettre que l’industrie aérienne n’a

pas encore montré un énorme engouement à mettre en

pratique sa méthode, mais il cite quelques chiffres assez

parlants dans The Economist: selon ses calculs, chaque

minute passée sur le tarmac d’un aéroport coûterait, en

moyenne, 30 dollars à la compagnie. En partant de l’hypo-

thèse, qu’en moyenne, une compagnie affrète 1500 vols

par jour et qu’elle économiserait environ six minutes par

vol en utilisant sa méthode d’embarquement, le potentiel

d’épargne se monterait à 100 millions de dollars par an-

née. Assez pour les inciter à convaincre les compagnies

et respectivement les passagers que cela vaut la peine

d’entrer dans la danse. L’occasion, pour les compagnies,

de réduire d’autant le prix du billets et, pour les passa-

gers, d’en profiter!

1 www.youtube.com/watch?v=CsRfFhrNtho 2 www.vox.com/2014/4/25/5647696/the-way-we-board-air-planes-makes-absolutely-no-sense 3 www.youtube.com/watch?v=QJMuXZrV3gY&t=16 4 www.youtube.com/watch?v=cHFWuP37Ha4 5 www.youtube.com/watch?v=oTnYSsVIHSE&t=13 6 www.youtube.com/watch?v=o9-XjEI8VmA 7 www.youtube.com/watch?v=o9-XjEI8VmA 8 www.economist.com/node/21528218

Noémie Roten, 23 mars 2015

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Version octobre 2018 9 | 26 www.iconomix.ch

Les leçons d’économie des Simpson

Source : Wikimedia / Malikdahra

Regarder les Simpson tout en révisant ses concepts éco-

nomiques, qui l’eût cru? Dans son livre «Homer Economi-

cus», Joshua Hall revisite, à travers les nombreux épi-

sodes de la célèbre famille de Springfield, les théories

économiques fondamentales (la continuité des choix, la

rareté, les monopoles, l’utilité de la monnaie comme

moyen d’échange…).

Un exemple? Le chili et l’incohérence temporelle

La théorie économique traditionnelle postule que les

choix des agents sont cohérents et continus dans le

temps. Autrement dit, ce que je désigne comme un choix

optimal aujourd’hui, le restera dans le futur. Ces hypo-

thèses sont importantes car elles déterminent la façon

dont nous actualisons les coûts et bénéfices futurs com-

parés au présent. Mais sommes-nous tous cohérents

dans nos choix? La réplique d’Homer dans l’épisode

«L’amour au curry»1 offre un parfait contre-exemple:

Homer : «Oh… J’boufferai plus jamais de chili.» Quelques

secondes plus tard: «Oh du chili!»

Les préférences d’Homer fluctuent d’un moment à un

autre, ce qui contredit la théorie traditionnelle. Même si

cet exemple parait un peu extrême, ce type d’incohérence

n’est pas si éloigné de notre vie de tous les jours. N'avez-

vous jamais remis à plus tard votre décision d’arrêter de

fumer ou de faire le ménage alors que vous étiez déter-

miné à le faire auparavant? Les économistes du compor-

tement utilisent d’ailleurs la notion d’incohérence tempo-

relle, combinée au désir d’une gratification immédiate,

pour expliquer des phénomènes comme la procrastination

ou l’addiction (concept d’actualisation hyperbolique).

Le livre «Homer Economicus» offre plein d’autres

exemples permettant d’illustrer des concepts parfois peu

intuitifs de manière ludique. Quoi de mieux qu’incorporer

un extrait d’Homer Simpson pour revitaliser un cours

d’économie?

1 www.youtube.com/watch?v=5s51DxwBZcI

Maude Lavanchy, 27 février 2015

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Le phénomène du «winner’s curse»

La malédiction du vainqueur: comment perdre de l’argent

en remportant une enchère?

«Auction Room, Christie's» par T. Rowlandson et A. Pugin. Source: Wikimedia Commons

La malédiction du vainqueur est bien connue en économie

de l’information. Elle sévit en général lors d’une enchère

avec valeur commune1. Dans le cadre d’une telle enchère,

la valeur objective de l’objet est la même pour tous les

participants, mais ces derniers ne la connaissent pas

avec précision. Ils disposent en effet d’informations pri-

vées hétérogènes qui peuvent conduire à des estimations

très différentes de la valeur de l’objet. Certains enchéris-

seurs auront tendance à en sous-évaluer la valeur,

d’autres, à la surévaluer. Au final, celui qui remporte l’en-

chère est celui qui l’aura le plus surestimée. Comme le

rappelle Florence Naegelen, dans le cadre d’une procé-

dure d’appel d’offres, c’est l’entreprise qui aura le plus

sous-estimé les coûts de production qui emporte le mar-

ché (p.605).

Le vainqueur de l’enchère est donc maudit

Un acteur rationnel anticipera ce phénomène en enché-

rissant moins que son estimation de l’objet, afin de préve-

nir une éventuelle perte. L’observation répétée du «win-

ner’s curse» prouve une fois de plus que tous les ac-

teurs n’agissent pas de manière rationnelle, surtout

lorsque l’information est incomplète et/ou imparfaite.

Le cas classique souvent cité dans la littérature est celui

de l’appel d’offres concernant l’attribution des droits d’ex-

ploitation pétrolière dans le Golfe du Mexique où il était

difficile d’estimer la quantité des réserves de pé-

trole existantes et où l’exploitant a fini par subir

d’énormes pertes. Néanmoins, ce phénomène a été ob-

servé à de nombreuses autres reprises: attribution de

concessions téléphoniques2, de droits de rediffusion ou

introduction en bourse de grandes sociétés comme Face-

book (surestimation de la valeur de l’action par les inves-

tisseurs) n’en sont que trois exemples. Dans tous ces cas,

l’enchérisseur qui l’emporte finit soit par débourser plus

que la valeur objective de l’objet, soit par constater que

les profits attendus du contrat ne sont pas au rendez-

vous, l’exploitation postérieure du bien ne couvrant pas

les frais d’acquisition initiaux.

Faites le test

Marche à suivre d’un petit exercice pratique pour tester

le phénomène:

1. Prenez un bocal transparent.

2. Remplissez-le de pièces de 10 ou/et de 20 centimes.

3. Organisez une vente aux enchères.

4. La personne qui remporte l’enchère devra s’acquitter

du montant enchéri et repartira avec le bocal.

Si le montant déboursé pour le bocal dépasse la valeur de

son contenu en pièces de monnaie, le vainqueur de l’en-

chère aura bel et bien été victime du phénomène décrit

par cet article.

Plus il y a de participants, plus la concurrence sera rude,

plus la surestimation sera grande et plus le gagnant sera

maudit.

1 http://junon.univ-cezanne.fr/bornier/ench.pdf 2 www.economist.com/node/657390

Noémie Roten, 10 février 2015

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Le divorce causé par la consommation de margarine?

Le taux de divorce dans le Maine est fortement corrélé

avec la consommation de margarine aux Etats-Unis. Que

peut-on en conclure?

Source: Wikimedia - Jennifer Pahlka

Lorsque deux variables évoluent dans la même direction

(ou dans un sens opposé), on parle de variables positi-

vement (ou négativement) corrélées. Par exemple, dans le

graphique ci-dessous, les observations de chacune des

variables sont représentées par des points de couleurs

différentes reliés entre eux. Visiblement, l’évolution des

deux variables est très proche; la corrélation est en effet

de 99%. Il serait donc tentant de conclure que la variable

orange (consommation de margarine) est une potentielle

explication aux variations de la variable bleue (taux de di-

vorce). Cette conclusion parait évidemment absurde…

Source: Spurious Correlations

Ce phénomène est connu sous le nom de corrélation fal-

lacieuse ou trompeuse. Il s’agit d’une relation forte entre

deux variables qui n’ont pourtant aucun lien logique ou

causal. Un étudiant, Tyler Vigen, a même une page inter-

net1 sur laquelle il présente une multitude de corrélations

fallacieuses amusantes.

Lien logique ou de causalité

Il existe des procédures économétriques permettant de

détecter ces corrélations trompeuses. Il s’agit souvent de

méthodes en plusieurs étapes, tels que le test de Granger

ou la procédure Durbin-Watson, qui reposent sur des hy-

pothèses concernant la distribution des variables.

Si de tels outils ne sont pas disponibles, le lecteur avisé

se posera la question de l’existence d’un lien réel entre

les deux variables: est-ce que la consommation de mar-

garine a un rapport avec les divorces? Sûrement pas.

1 www.tylervigen.com

Rachel Cordonier, 22 janvier 2015

Röstigraben: info ou intox?

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Des chercheurs de l’EPFL démontrent l’existence du Rös-

tigraben lors des votations fédérales.

Source: Wikimedia / Mussklprozz

Bien plus qu’une spécialité culinaire suisse allemande, le

rösti est devenu un symbole: celui du fossé culturel divi-

sant les Romands et les Alémaniques. Selon certains pré-

jugés, nous mangeons, nous nous habillons et nous pen-

sons différemment. Mais, votons-nous également autre-

ment? Une récente étude de l’EPFL nous indique que oui!

Le modèle de l’EPFL

En utilisant des données sur les votations fédérales de

ces dernières années (au niveau communal et au Conseil

national), des chercheurs de l’EPFL ont démontré l’exis-

tence du Röstigraben. Grâce à une méthode statistique

permettant d’obtenir le résumé le plus pertinent d’un

grand nombre de variables quantitatives (analyse en

composantes principales), les chercheurs peuvent cons-

truire un graphique global incorporant un large panel de

données. Les votations fédérales peuvent ainsi être divi-

sées en deux axes:

Sur l’axe horizontal: les thèmes concernant l’ouver-

ture de la Suisse vers l’étranger ou les assurances

sociales,

Sur l’axe vertical: les politiques liées aux transports,

l’environnement ou encore l’agriculture.

Quelques résultats

Le graphique ci-dessous présente l’une des applications

du modèle, où l’on résume les habitudes de vote des com-

munes suisses depuis 1981 selon leur région linguistique.

Source: EPFL, Mining Democracy, 2014

Les fortes différences dans le positionnement des com-

munes francophones et germanophones sont flagrantes.

Ce constat est renforcé par la cartographie ci-dessous.

Chaque commune est représentée par une couleur reflé-

tant son positionnement dans l’espace à deux dimensions

décrit précédemment. Une commune se situant dans le

cadran sud-ouest du graphique ci-dessus prendra une

couleur bleu/turquoise, tandis que celle dans le quart

nord-est sera plutôt représentée par du rouge. En appli-

quant cette approche aux politiciens et partis politiques,

les auteurs trouvent des résultats compatibles avec les

clivages traditionnels gauche-droite et conservateurs-li-

béraux. Cependant, ce n’est pas le cas pour les municipa-

lités.

Source: EPFL, Mining Democracy, 2014

Les chercheurs ont également mis en place une plate-forme permettant de visualiser et prédire les résultats de votations. Pour l’anecdote, les résultats du vote de la pe-tite commune lucernoise d’Ebikon permettent de prédire le résultat correct au niveau fédéral dans 96% des cas.

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Conclusion

La fracture linguistique est claire: les Romands et les

Alémaniques votent bel et bien différemment. Cependant,

la cohabitation de cultures variées fait partie des ri-

chesses de la Suisse. Le Röstigraben symbolise ainsi la

volonté «d’unité dans la pluralité». Après tout, on mange

aussi des röstis en Suisse romande!

Maude Lavanchy, 12 décembre 2014

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Des indices surprenants

Certains indices économiques portent les noms de ré-

seaux sociaux ou de vêtements; mais à quoi peuvent-ils

bien servir?

Source: Wikimedia / Paul Duke

Les indices économiques et autres statistiques sont im-

portants afin de définir l’état de la conjoncture ou

d’émettre des prévisions économiques. Au cours du

temps, des indices originaux sont apparus. En effet, l’uti-

lisation extensive et croissante de nouvelles technologies

a fortement accru la masse de données disponible et

ainsi permis la création de nouveaux indicateurs (source

principale: SwissQuote Magazine. Jupes, dragons, ga-

zouillis: les indices insolites de l’économie. 03.2014).

The R-word index

Source: The Economist, 17.09.2011

Cet indice compte l’apparition du mot «récession» dans la

presse. Selon The Economist, une utilisation fréquente du

mot indique l’arrivée imminente d’une récession. Dans le

graphique ci-dessus, on remarque que l’indice à plutôt

bien anticipé les crises de ces vingt dernières années

bien que ses sommets ne correspondent pas tout à fait au

plus fort des récessions. L’avantage de cet indice est de

ne pas réagir à d’autres statistiques mais plutôt de prédire

le tournant de la conjoncture. Ses détracteurs lui repro-

chent cependant d’affecter négativement la confiance des

managers et consommateurs précipitant ainsi l’économie

dans une récession.

Google trend index

Le géant américain mesure le volume de requêtes concer-

nant un thème spécifique relativement au total des re-

cherches effectuées. Les thèmes sont très divers et con-

cernent aussi bien l’économie, que la cinématographie ou

le marché immobilier.

Twitter index

En 2010, des chercheurs (Johan Bollen, Huina Mao et

Xiao-Jun Zeng) ont publié les résultats de leur étude: ils

utilisent les tweets afin de prédire les fluctuations des

marchés financiers. En effet, en regroupant les mots ap-

paraissant dans les publications du site Twitter selon six

catégories d’humeur, cet indicateur aide à prédire les

mouvements du Dow Jones Industrial Average jusqu’à 6

jours en avance. En particulier, il existe une forte corréla-

tion entre l’humeur de «quiétude» et les performances des

marchés. Cependant, il est difficile de comprendre la cau-

salité de ce lien, d’autant plus que certains tweets analy-

sés ont été postés en dehors des États-Unis.

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Skyscraper boom indicator

Source: Bloomberg Businessweek, 08.08.2013

Selon cet indice, la construction d’un gratte-ciel d’une

taille record indiquerait la fin d’un cycle économique.

L’explication pourrait venir de la confiance exagérée des

investisseurs lorsqu’ils décident de construire ces im-

menses tours et de la facilité avec laquelle ils obtiennent

les crédits nécessaires à leur réalisation. Ces deux fac-

teurs étant souvent interprétés comme l’avertissement

d’une surchauffe économique.

Men's underwear index

Les sous-vêtements masculins sont des biens définis

comme nécessaires. Les achats de caleçons seraient

donc constants, sauf lorsque l’économie est en crise (ré-

duction des dépenses). D’autres indicateurs similaires

existent: en temps de crise, les dépenses chez le coiffeur

ainsi que pour le nettoyage à sec diminueraient égale-

ment. A l’inverse, les achats de cravates augmenteraient

avec le taux de chômage.

Certains indices sont vraiment insolites. Le «Hemlines in-

dex» mesure la longueur des jupes en pourcentage de la

distance entre la taille et le sol. Ainsi, l’économie irait

mieux lorsque les jupes sont courtes. Autre indicateur un

peu mystique: le «Years of the dragon indicator». Le

dragon étant un signe du zodiaque chinois très populaire,

les années du dragon seraient corrélées avec de meil-

leures performances des marchés, tout particulièrement

en Asie.

Des indices utiles?

Certains indicateurs semblent à la frontière entre plaisan-

terie et bien-fondé. Les constructeurs de ces indices sou-

tiendront leur pertinence en présentant des corrélations

avec la conjoncture économique ou autre variable sensée.

Toutefois, une forte corrélation entre un indice et une va-

riable ne signifie pas nécessairement qu’il explique cette

variable. Sans fondement logique, il ne pourrait s’agir que

d’une coïncidence.

Rachel Cordonier, 27 novembre 2014

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Le football au service de l’économie

En plus d’être le sport le plus populaire au monde, le

football permet de tester un nombre important de théories

économiques, dont l’efficience des marchés.

Source: Wikimedia / Phillip Chambers

Trois mois après la finale de le Coupe du Monde de la

FIFA au Brésil et ses 64 matchs suivis par plus de 3 mil-

lions de spectateurs, les souvenirs de cet événement sont

encore présents parmi bon nombre d’entre nous. Alors

que les fans de football se réunissent dans un stade ou un

pub pour profiter du spectacle, certains économistes en

profitent pour collecter des données. La raison? Plus

qu’un sport, le football est un parfait laboratoire pour

tester diverses théories économiques (abondance de

données, présence de professionnels expérimentés avec

des objectifs connus et clairs, etc.). Dans son dernier

livre, Ignacio Palacios-Huerta, professeur à la London

School of Economics, utilise une base de données sur

un grand nombre de matchs de football afin de tester

quelques théories économiques et d’explorer le compor-

tement humain.

De la théorie des jeux à l’efficience des marchés

Comme expliqué dans deux blogs précédents, les tirs au

but, en plus d’être un événement particulièrement exci-

tant, offrent une opportunité de tester le fameux équilibre

de Nash en théorie des jeux. Cependant, bien d’autres

concepts économiques peuvent être testés, parmi les-

quels figure l’hypothèse d’efficience des marchés. Cette

thèse avance que les marchés incorporent rapidement

et totalement toute l’information disponible dans les

prix des actifs financiers: tous les titres sont donc éva-

lués à leur «juste prix». Ainsi, le prix d’un actif financier

devrait réagir instantanément lors de bonnes ou mau-

vaises nouvelles.

Tester cette théorie directement peut s’avérer complexe

au vu du flux d’informations quasiment continu et de la

difficulté d’incorporer dans un modèle toutes les informa-

tions disponibles sur le marché. Le monde du football

offre une excellente opportunité de tester cette théorie.

En analysant l’évolution des cotes des paris sportifs des

matchs de football, Karen Croxson et J. James Reade ont

réussi à construire un test. En effet, pendant la mi-temps,

plus aucune information n’est disponible (le match est

suspendu pendant 15 minutes), alors que le marché des

paris reste ouvert. Si l’hypothèse d’efficience des mar-

chés est vérifiée, il ne devrait pas y avoir de mouvement

des cotes pendant la mi-temps.

Qu’est-ce qu’une cote?

Imaginez deux individus, David et Sara, et un match

donné: la finale de la coupe d’Angleterre entre Wigan et

Manchester City en 2013. David est convaincu que Man-

chester City remportera la finale et, par conséquent, il

offre à Sara la chance de parier 10 francs à la cote 7:1

(«sept contre un») pour une victoire de Wigan. En

d’autres mots, si Wigan l’emporte, David paiera à Sara sa

mise de départ plus un profit de 7x10 = 70 francs. Par

contre, si Manchester City gagne, alors David garde les 10

francs de Sara. Les cotes sont inversement reliées à la

probabilité de l’événement: Wigan (relégué en 2ème divi-

sion en fin de saison) aurait une probabilité de (1/(7+1)) =

12.5 % de l’emporter face à Manchester City (2ème en fin

de saison). Dans cet exemple, David tient le rôle du book-

maker. Pour l’anecdote, Wigan remporta la finale!

Le test

Grâce aux nouvelles technologies, les parieurs peuvent

parier à tout moment du match sur des plateformes en

ligne. Il est ainsi possible de miser sur une équipe, se-

conde après seconde, même pendant un match. Analyser

l’évolution de la cote après un but marqué juste avant la

mi-temps permet ainsi de tester la théorie d’efficience

des marchés.

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Tottenham Hotspur vs Manchester United, 04.02.2007 à 16h, victoire 4-0 de Manchester United

Source: I. Palacios-Huerta, Beautiful Game Theory: How Soccer Can Help Economics, (2014)

Le match entre Tottenham Hotspur et Manchester United

offre une bonne illustration. Sur le graphique de gauche,

on voit la probabilité que Manchester United remporte le

match (la cote inversée). Au début du match, cette proba-

bilité était de 56 %. À la 44ème minute, cette probabilité

n’était plus que de 50 % (Manchester n’ayant toujours pas

inscrit de but). Cependant, juste avant le coup de sifflet

annonçant la mi-temps, Manchester United marque un

but. L’effet sur les marchés est alors instantané: la proba-

bilité sous-entendue par la cote indique une chance de

victoire de 77 % pour Manchester. Alors que le volume

des paris augmente significativement durant la mi-temps

(graphique de droite), la cote reste inchangée. Les au-

teurs trouvent des résultats similaires pour d’autres ren-

contres, ce qui leur permet d’affirmer que le marché des

paris sportif est économiquement efficient.

Conclusion

L’analyse de données liées au football permet également

d’apporter des réponses aux questions liées à la discrimi-

nation, la peur, la pression sociale, la corruption ou en-

core le côté obscur des incitations dans les organisations.

On y trouve des réponses à des questions telles que: y a-

t-il un avantage à tirer le premier lors d’une séance de

penalties? Est-ce que les arbitres sont biaisés par les

préférences des spectateurs présents? Y a-t-il de la dis-

crimination au sein du football? Les footballeurs ont-ils

des incitations à réduire la performance de leur adver-

saire?

Rempli d’histoires et d’anecdotes, le livre d’Ignacio Pala-

cios-Huerta offre une excellente illustration de comment

le football peut être utilisé pour apporter des réponses à

certaines énigmes économiques.

Maude Lavanchy, 15 octobre 2014

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L’équation du bonheur

Peut-on vraiment capturer le bonheur par une équation?

Source: Screenshot de l’application «The Great Brain Experi-ment»

La recherche du bonheur est une question qui a toujours

préoccupé l’humanité: de Platon qui considérait le bon-

heur comme une fin en soi à John Stuart Mill et autres

utilitaristes pour qui la recherche du bonheur équivaut à

maximiser le plaisir et minimiser la souffrance.

Cette fois-ci, c’est le bonheur instantané qui a occupé une

équipe de chercheurs en neurosciences de l’University

College de Londres (UCL). Ils ont en effet dérivé l’équa-

tion du bonheur instantané à l’aide d’une application, d’un

scanner IRM et d’une simple question: à quel point êtes-vous heureux en cet instant (sur une échelle de 1 à 10)?

Cette équation, la voici:

Ainsi, celle-ci stipule que le bonheur instantané dépend

des trois facteurs suivants:

CR: la récompense

EV: les attentes que l’on a

RPE: la différence entre la récompense obtenue et

celle que l’on espérait

On peut effectivement déduire du RPE que plus les at-

tentes sont élevées par rapport au résultat, plus on sera

malheureux sur le moment.

Mais donc, cela signifie que plus on est pessimiste, plus on est heureux? Apprenez-en plus à ce sujet dans l’article du

Temps «Le bonheur fugitif, attrapé en une équation»1.

1 www.letemps.ch/Page/Uuid/b7474462-248c-11e4-9a79-d749102b8541%7C0

Noémie Roten, 10 septembre 2014

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L’économie mondiale, à la merci des esprits animaux?

Souvent négligés dans la théorie économique, les esprits

animaux permettent d'expliquer les fluctuations de l'éco-

nomie. Que sont ces esprits animaux? Quelles réponses

apportent-ils?

Source: Wikimedia / Cliff - Arlington, Virginia, USA

En 2009, alors que l'économie mondiale vivait l'un des re-

culs les plus importants depuis la Grande Dépression, de

nombreux économistes et observateurs se sont posé les

mêmes questions: que s'est-il passé? Pourquoi n'avons-

nous pas été capables de prévenir une telle crise? Com-

ment éviter que cela se reproduise?

Seul un petit nombre d'économistes avait prédit un tel dé-

sastre, et parmi eux figurent Robert Shiller et George

Akerlof. Dans leur livre «Les esprits animaux - Comment

les forces psychologiques mènent la finance et l'écono-

mie», ces deux économistes apportent un point de vue

original sur les crises monétaires et financières de ces

dernières années. Il est essentiel, selon eux, d'intégrer

des facteurs psychologiques dans la modélisation écono-

mique du comportement humain afin de mieux com-

prendre les fluctuations économiques.

Les esprits animaux

La théorie économique traditionnelle considère chaque

décision comme le fruit d'un calcul rationnel pesant le

pour et le contre. Elle ignore ainsi toute action induite par

les émotions. Ces dernières ont été surnommées les «es-

prits animaux» («animal spirits» en anglais) par le célèbre

économiste John M. Keynes. En remettant sur le devant

de la scène l'influence des sentiments et émotions dans

les actions humaines, Robert Shiller et George Akerlof

apportent une perspective différente de la théorie libérale.

Grâce à de nombreuses anecdotes et exemples, ils per-

mettent de comprendre facilement chacun de leurs argu-

ments. Ils décrivent, par exemple, que toutes les déci-

sions importantes qu'a dû prendre le PDG de la multina-

tionale General Electric venaient «directement de l'esto-

mac» (ce qui est bien éloigné du processus rationnel tra-

ditionnellement supposé).

Cet ouvrage est divisé en deux parties. La première ca-

ractérise les cinq éléments des «esprits des animaux»,

soit: la confiance, l'équité, la corruption et la mauvaise foi,

l'illusion monétaire et les histoires. Tandis que la deu-

xième partie comprend huit questions/réponses, dévoilant

ainsi le rôle de ces fameux «esprits». Au fil des chapitres,

on apprend notamment pourquoi les économies connais-

sent des dépressions, la raison de la présence du chô-

mage, ou encore des réponses sur le pouvoir des

banques centrales et le caractère aléatoire de l'épargne.

Pourquoi les marchés immobiliers procèdent-ils par cycles?

La récente bulle immobilière américaine offre une par-

faite illustration de la présence (et du déchaînement) de

quatre des cinq «esprits animaux».

Tout commence par la forte hausse des prix des biens

immobiliers (qui ont presque doublé en 10 ans). La popu-

lation commence alors à penser que l'immobilier ne peut

être qu'un bon investissement: après tout, une maison,

c'est quelque chose de tangible. La croyance d'un marché

immobilier en hausse continue est alors devenue une his-

toire acceptée par l'opinion, renforçant ainsi la demande

de ces biens.

Une des explications de cette croyance erronée est l'illu-

sion monétaire, soit la non-prise en compte de l'inflation

dans les calculs. Les gens ont tendance à se rappeler du

prix de leur maison, mais ne le comparent pas au prix des

autres biens à la même époque. L'appréciation réelle du

prix de la maison s'avère donc bien plus faible que l'aug-

mentation nominale.

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Le scandale d'Enron en 2001 (une affaire de corruption,

où une comptabilité créative a permis de soutenir artifi-

ciellement les bénéfices) a également plongé Wall Street

dans une crise de confiance, incitant ainsi les investis-

seurs à se rabattre sur «la pierre», alors considérée

comme un investissement peu risqué. L'émergence des

prêts «subprimes» a accentué (puis fait éclater) la bulle

immobilière.

La confiance, la corruption, l'illusion monétaire et les his-

toires ont donc ainsi, irrationnellement, renforcé les fluc-

tuations sur le marché immobilier.

La mort de l'homo œconomicus aurait-elle sonné?

Le futur étant par nature incertain, il semble tout à fait

pertinent de considérer des facteurs non-rationnels afin

de mieux comprendre les fluctuations. Cependant, même

si l'argumentation tout au long des chapitres est convain-

cante, un doute persiste quant à son application globale.

Les recommandations pratiques évoquées sont, en effet,

plutôt vagues et peu concrètes.

De plus, les auteurs affirment que le rôle du gouverne-

ment est d'agir comme des parents, imposant les limites

nécessaires afin que leurs enfants n'abusent pas de leurs

«esprits animaux». Ce qui s'impose comme un frein aux

libertés individuelles. Mais nous sommes en droit de nous

poser la question suivante: le gouvernement serait-il plus

sage et moins sujet à ces «esprits animaux» que ses élec-

teurs?

Chaque crise nous rappelant les limites de la rationalité,

ce livre permet de mieux en comprendre les limites et ap-

porte ainsi une vision plus humaine du monde.

Maude Lavanchy, 20 août 2014

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Expériences pour combattre la pauvreté

A quoi sert l'aide au développement? Poser cette ques-

tion, c’est s’aventurer sur un champ de mines idéolo-

giques. Deux jeunes chercheurs ont mené des expé-

riences avec les plus pauvres pour identifier les aides

vraiment efficaces.

Photo: Wikimedia

Comment aider les peuples les plus pauvres du monde?

Ces pays doivent-ils rattraper en accéléré leur retard par

rapport aux nations industrialisées? Ou est-ce que la libé-

ralisation des marchés peut suffire? Devons-nous en-

voyer en Afrique des moustiquaires pour lutter contre la

malaria ou vaut-il mieux nous abstenir?

Les idées et les recettes des économistes sont multiples

et ont toutes un point commun: elles reposent la plupart

du temps sur des données fantaisistes et sur une théorie

unique et déformée par l’idéologie censée expliquer une

bonne fois pour toute le problème de la pauvreté.

Des expériences pour combattre l’idéologie

Pourtant, cela ne se passe pas ainsi avancent deux cher-

cheurs – la Française Esther Duflo et l’Indien Abhijit Ba-

nerjee – du renommé Massachuchusetts Insitute of Tech-

nology (MIT): «De nos jours, l’économie du développe-

ment en est scientifiquement au même stade que la mé-

decine au Moyen-Age. Le patient se voit prescrire un mé-

dicament. S'il va mieux, c’est peut-être grâce au médica-

ment, mais aussi à d'innombrables autres facteurs. On ne

sait rien sur l’efficacité réelle du médicament en lui-

même».

Duflo et Banarjee abordent les choses différemment. Tout

comme la médecine moderne étudie systématiquement

l'effet des nouveaux médicaments, ces chercheurs testent

les effets des mesures de développement. Ils y ont consa-

cré près de deux décennies, car seules des études con-

trôlées permettent de dire si offrir des moustiquaires est

utile ou si approvisionner les paysans en engrais les aide

à sortir de la pauvreté.

Comprendre le mode de fonctionnement des plus dému-

nis, c’est pouvoir mieux identifier les instruments qui leur

seront le plus utiles. Et c’est justement ce qui est intéres-

sant dans ce livre: les hommes fonctionnent générale-

ment de manière singulière – bien différente de ce qu'ont

imaginé les experts occidentaux en pauvreté confortable-

ment assis derrière leur bureau. Les programmes de dé-

veloppement bien intentionnés et a priori ingénieux pè-

chent sur de petites choses et échouent à porter les fruits

escomptés.

Plutôt regarder la télé que manger

Qui dit pauvreté, sous-entend faim. Il est vrai que la mal-

nutrition est un grave problème pour les pays en voie de

développement. Or, il ne s’agit pas uniquement d’une

question de quantité, mais bien plus d’une question de

qualité. Le manque de micronutriments comme l’iode, la

vitamine A ou le fer amoindrit les capacités physiques et

entraîne des maladies. Une bonne alimentation rend les

adultes plus résistants et performants. Mais elle influe

surtout sur les capacités futures des enfants nés ou à

naître.

Les pauvres se nourrissent mal et sont donc en moins

bonne forme; de ce fait, ils sont moins productifs, ce qui

les empêche, une nouvelle fois, de pouvoir s'offrir une

meilleure alimentation. Ce cercle vicieux est qualifié de

«trappe à la pauvreté alimentaire».

Pourquoi les individus ne se nourrissent-ils pas mieux?

La réponse coule de source: parce qu’ils n’en ont pas les

moyens ou parce qu’il y a une pénurie de denrées alimen-

taires. Une mesure de développement logique consisterait

alors à leur donner de l’argent pour qu’ils puissent

s’acheter de meilleurs aliments. C’est la théorie. La réalité

est tout autre.

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Version octobre 2018 22 | 26 www.iconomix.ch

Mis à part les famines dévastatrices survenant à la suite

de catastrophes naturelles, la pénurie des denrées ali-

mentaires est rarement un problème. La faiblesse des re-

venus n’explique pas tout non plus. Les plus démunis,

ceux qui doivent vivre avec à peine un US-dollar par jour

ne consacrent «que» 36 à 79% de leurs revenus à leur

alimentation. Est-ce que les personnes souffrant de la

faim ne devraient pas dépenser chaque centime dispo-

nible dans l’achat de nourriture?

Duflo et Banarjee se sont rendus dans des villages isolés

et, à titre d’expérimentation, ont donné un peu d’argent à

certaines personnes. Leur constat: cet argent supplémen-

taire n’a pas servi à l’achat d’aliments en plus grande

quantité ou de meilleure qualité, mais au financement de

menus plaisirs (un téléviseur, de l’alcool, des cigarettes

ou des fêtes dispendieuses). Et si ces personnes ont ef-

fectivement acheté davantage de nourriture, alors ce ne

sont pas forcément des aliments plus sains, mais surtout

des aliments qu’elles trouvent meilleurs au goût.

Or, même si une telle attitude est condamnable de prime

abord, elle n’est pas totalement incompréhensible. La faim

et la malnutrition ne vont pas toujours de pair avec la

pauvreté. Si les pauvres n’ont pas faim, pourquoi de-

vraient-ils dépenser cet argent supplémentaire pour une

alimentation, certes plus saine, mais moins goûteuse?

Un appareil de télévision ou de l’alcool leur procure sur le

moment un bienfait largement supérieur. Evidemment, si

elles s’alimentaient mieux, les personnes concernées au-

raient alors un avenir plus souriant, mais le présent

compte apparemment beaucoup plus pour elles. Peut-être

parce que l’intérêt d’une alimentation saine n’est pas di-

rectement perceptible ou parce que le présent prime

avant tout.

Le luxe c’est de ne pas avoir à décider

Que ce soit à St-Moritz ou dans un camp de tentes au

Congo, les hommes ont tendance à accorder davantage

d’importance au présent et à repousser au lendemain les

tâches désagréables, même si elles sont indispensables

(procrastination). Or, les conséquences d’une telle vision

à court terme sont fatales pour les populations des pays

en voie de développement.

Les plus démunis doivent prendre activement un plus

grand nombre de décisions, et ce bien qu’ils soient géné-

ralement moins bien informés que les populations des

pays industrialisés. Pour notre part, moult décisions nous

sont épargnées ou des recommandations nous sont pré-

sentées, par exemple avec le régime de la prévoyance

vieillesse, l’école obligatoire ou les recommandations

pour les vaccins. Banerjee formule les choses ainsi: «Si

nous ne prenons pas activement de décision, nous

sommes sur la bonne voie. Si les pauvres n’en prennent

pas, ils sont sur la mauvaise.»

Et l’aide au développement qui consiste à distribuer des

denrées alimentaires, certes bonnes pour la santé, mais

mauvaises au goût, ne fonctionne pas. Personne ne man-

gera de tels aliments. Duflo et Banerjee suggèrent en

conséquence de mélanger les nutriments essentiels dans

autre chose, par exemple dans l’eau ou le sel. Cela per-

mettrait de soulager les plus démunis d’une des nom-

breuses décisions qu’ils doivent prendre.

Pour l’équipe d’iconomix, Patrick Keller, 29 avril 2014

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Est-ce que vous tueriez cette souris?

Vous devez vous décider: soit vous sauvez la vie de cette

souris, soit vous gagnez 10 francs. Ce qu’une expérience

avec des souris nous apprend sur les marchés et la morale.

Source: Wikimedia

Cela semble paradoxal. Alors que la grande majorité de la

population se déclare contre le travail des enfants, l’ex-

ploitation et la pollution de l’environnement, ces valeurs

perdent nettement de leur importance lorsqu’il s’agit de

rechercher le produit le moins cher. Bien avant l’effon-

drement tragique d’une usine au Bangladesh, nous sa-

vions tous que d'autres souffrent pour que nous puissions

nous vêtir avec des jeans et des t-shirts à bas prix.

Mais le t-shirt bon marché a-t-il été acheté directement

dans le magasin d’usine où l’on a peut-être pu apercevoir

les conditions de travail inhumaines des employés? Pas

vraiment. De là à soupçonner que la distance créée par le

marché mondial et le commerce global modifie nos va-

leurs morales, il n’y a qu’un pas. Le débat n’est pas nou-

veau: le marché nous rend-il plus mauvais?

Encaisser l’argent ou sauver la souris

Une expérience menée par deux économistes allemands,

Nora Szech et Armin Falk, nous livrera peut-être de nou-

veaux enseignements en la matière. Des cobayes ont dû

se décider entre deux options possibles: sauver la vie

d’une souris ou recevoir de l’argent.

Les souris étaient en bonne santé, mais trop nombreuses.

Elevées pour des expériences de laboratoire, elles ne

pouvaient désormais plus être utilisées par la recherche

et auraient de toute façon été tuées. Si les cobayes déci-

daient de sauver la vie de la souris, celle-ci était alors ra-

chetée et se voyait offrir une vie de souris en première

classe dans les meilleures conditions qui soient.

Les sujets de l’expérience ont pu voir la souris sur des

photos et regarder un film présentant la manière dont la

souris serait tuée s'ils optaient pour l'argent. Près de 45%

des cobayes ont pris les 10 euros – et ont ainsi, de fait,

condamné la souris à mort.

Mais que se passe-t-il si on laisse les individus «négo-

cier» la vie de la souris? Pour le savoir, une variante de

cette expérience impliquait deux personnes: un vendeur

et un acheteur. Le vendeur recevait la souris en cadeau.

Puis, les deux protagonistes devaient s’entendre sur un

prix.

S’ils arrivaient à s’entendre sur un prix, la souris était sa-

crifiée et l’acheteur recevait alors 20 euros desquels il

devait déduire le montant convenu et le remettre au ven-

deur. En l’absence d’accord de transaction, la souris res-

tait certes en vie, mais le vendeur comme l'acheteur re-

partait les mains vides. Résultat: beaucoup plus de souris,

en fait 72%, ont été tuées sur ce marché «bilatéral». Une

autre version de l’expérience encore prévoyait davantage

de vendeurs et d’acheteurs afin de simuler un marché

plus important. Dans ce cas, encore plus de souris ont été

sacrifiées – près de 75%.

Les institutions influencent la moralité

Si les valeurs morales dépendent de la culture de chacun

et qu’elles évoluent parfois au fil du temps, il y a néan-

moins un consensus de base: faire du mal aux autres, en

toute connaissance de cause et sans raison aucune, est

considéré par la plupart des gens comme totalement im-

moral. Même si l’on ne peut pas réellement comparer le

meurtre d’une souris avec le travail des enfants ou la pol-

lution environnementale, les cobayes se trouvaient néan-

moins confrontés à une situation de conflit d'ordre moral :

«Suis-je prêt à faire du mal à autrui pour en tirer un bé-

néfice personnel?»

Il ressort de cette expérience que, dans le cadre d'inte-

ractions sur les marchés, les individus ont généralement

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tendance à accepter des conséquences négatives (en

économie, on parle d’«effets externes négatifs») lorsque

celles-ci concernent un tiers. Il semble donc que les va-

leurs morales s’érodent lorsqu’elles sont confrontées au

marché. Pourquoi?

D’après Szech et Falk, plusieurs effets différents peuvent

être responsables de cette situation. Si deux personnes

se mettent d’accord sur une transaction, alors la respon-

sabilité et les éventuels sentiments de culpabilité sont di-

visés en deux et, ainsi, ils sont moindres pour chacun des

protagonistes. Sur un marché comptant un grand nombre

d’acheteurs et de vendeurs, l’individu se sent moralement

moins concerné, car il peut toujours se justifier en ar-

guant qu’il n’a eu, de toute façon, qu’une faible incidence

sur l’événement. Lorsque l’on voit les autres faire pareil,

on estime implicitement qu'un tel acte est socialement ac-

cepté: «Si ce n'est pas moi qui l'achète, ce sera de toute

façon quelqu’un d’autre». Par ailleurs, l’acte d’achat, la re-

cherche d’un produit bon marché ou le marchandage pour

le meilleur prix requièrent une grande partie de l’atten-

tion, de sorte que les éventuelles conséquences pour les

tiers passent au second plan.

Les institutions, comme le système juridique ou, juste-

ment, le marché, déterminent le comportement des indivi-

dus. Et elles peuvent aussi inciter à agir en fonction

d’autres critères moraux.

Les marchés sont-ils donc le diable en personne?

Lors du «Forum for Economic Dialog 2013» qui s’est tenu

à Zurich, il a été question d’équité et d’efficience des

marchés. L’expérience que nous venons de décrire y a

également été évoquée. L’auteur de l’étude, Armin Falk, a

souligné qu’il n’a pas comme objectif de critiquer les mar-

chés. Les avantages que le commerce apporte sont im-

pressionnants. Il n’y a vraisemblablement aucune autre

forme d’organisation qui soit plus juste ni plus efficace

que celle de l’économie de marché.

Mais les campagnes qui en appellent à la moralité des ac-

teurs du marché n’empêcheront pas la pollution de l'envi-

ronnement ni que des enfants travaillent dix heures par

jour dans des bâtiments insalubres pour coudre des t-

shirts – puisque, justement, le mécanisme du marché a

fait passer les valeurs morales au second plan. En consé-

quence, Falk plaide pour l’interdiction légale de certaines

activités dommageables, comme l’interdiction de l’impor-

tation de certains textiles.

En la matière, il évoque le commerce des esclaves dans

l’histoire des Etats-Unis. Là encore, des acheteurs et des

vendeurs s’enrichissaient – sur le dos des esclaves. Ce

n’est que lorsque l’esclavage a été interdit dans les Etats

du Sud que cette pratique a pu prendre fin. «Une société

doit toujours se demander où les marchés sont appro-

priés, et où ils ne le sont pas» estime Falk.

Saint-Paul Gilles, un professeur d’économie à Paris, a si-

gnalé à Armin Falk qu’il n’est pas toujours facile de déter-

miner si une action est moralement correcte ou non. «Si

nous n’achetons plus de t-shirts en provenance du Ban-

gladesh, car nous ne voulons plus encourager le travail

des enfants, l’usine pourrait faire faillite. Les ouvriers de

l’entreprise ne pourraient alors plus nourrir leurs enfants,

et le propriétaire risquerait même de se suicider. Une in-

tervention régulatrice, même bien-pensante, peut tout à

fait avoir des conséquences négatives.»

Pour l’équipe d’iconomix, Patrick Keller, 1 avril 2014

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Quand Facebook nous renseigne sur les relations amoureuses

Une étude réalisée par Lars Backstrom et Jon Kleinberg

nous indique que les couples ont tendance à avoir une

forte dispersion dans leurs amis.

Source: «Romantic Partnerships and the Dispersion of Social Ties: A Network Analysis of Relationship Status on Facebook»

Cette étude1, basée sur des observations du réseau social

Facebook, a été très bien résumée et vulgarisée par le

journaliste Nic Ulmi dans un article du Temps2.

La recherche avait pour but de répondre à une «simple»

question: en regardant uniquement la structure du réseau

d’amis d’une personne, peut-on trouver la personne avec

laquelle elle a une relation amoureuse?

La réponse est assez surprenante puisque l’algorithme

montre que c’est via l’aspect dispersion qu’il est possible

de trouver avec le plus de probabilité les amoureux (envi-

ron 50%). En effet, une fois sur deux, les amis du couple

sont très dispersés.

Ce résultat peut paraître contre-intuitif. On pourrait pen-

ser que les relations amoureuses se cachent derrière une

montagne d’amis en commun. Que nenni! Ce n’est le cas

que pour le quart des observations étudiées par les deux

chercheurs. Pire, une autre conclusion de la recherche

veut que moins la dispersion est élevée, plus la relation

risque d’être courte…

Morale de l’étude: ne jamais accepter de rendez-vous ar-

rangé par un de ses amis!

1 http://arxiv.org/pdf/1310.6753v1 2 www.letemps.ch/Page/Uuid/ae2951f6-47ae-11e3-ab11-3ec806394038/Facebook_modélise_lamour_qui_dure

Pour l’équipe d’iconomix, Bertrand Bise, 16 janvier 2014

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Glossaire

Aversion pour la perte Disposition à accorder une importance plus grande aux pertes qu’aux bénéfices.

Effet de dotation; aversion à la dépossession

Tendance d’un individu à conférer une plus grande valeur à un bien qu’il possède

qu’à un bien identique qu’il ne possède pas.

Effet de formulation Constatation selon laquelle la manière dont un message est énoncé influence le

comportement du destinataire, indépendamment du contenu du message.

Equilibre de Nash Situation dans laquelle aucun joueur ne souhaite modifier sa stratégie quel que soit

le comportement des autres joueurs.

Option par défaut Option standard

Procrastination Comportement tendant à remettre au lendemain des travaux nécessaires, mais dé-

sagréables.

Stratégie

(théorie des jeux)

Plan d’action complet indiquant ce qu’un joueur donné fera à chaque étape de déci-

sion et face à chacune des situations possibles au cours du jeu.