Economie Pure, Economie Appliquée, Economie · PDF fileColloque « Walras », Association Internationale Walras, Lyon, 20 septembre 2002 1 Economie Pure, Economie Appliquée, Economie

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  • Colloque Walras , Association Internationale Walras, Lyon, 20 septembre 2002

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    Economie Pure, Economie Applique, Economie Sociale, Un point de vue critique sur luvre de Lon Walras ?

    Arnaud DIEMER IUFM DAuvergne

    La terminologie walrassienne conomie politique et sociale est apparue pour la premire

    fois en fvrier 1862 dans le troisime article de la srie des Paradoxes conomiques1. Le 23 dcembre de la mme anne, Lon Walras prsentait dans une lettre adresse2 Jules du Mesnil-Marigny, un projet de Trait complet dconomie politique et sociale dont les trois premiers tomes traiteraient respectivement de lconomie politique pure , de lconomie politique applique et de lconomie sociale . La vision bipartite de lconomie politique, hrite de son pre Auguste Walras, faisait ainsi place une vision tripartite : lconomie politique et sociale. Si les origines du terme walrassien conomie sociale sont maintenant bien connues3 (Potier, 1994 ; Docks, 1996), il nen va pas de mme du vocable conomie politique pure et de la tripartite elle-mme. Pour Firmin Ouls (1950, p 19), bien que Lon Walras ait forg lui-mme le terme dconomie pure , le contenu de celle-ci lui est bien antrieur. Walras le reconnatra dailleurs lui-mme : Il y a des choses, dit Ricardo, le crateur de lconomie politique pure en Angleterre, dont la valeur ne dpend que de leur raret. Nul travail ne pouvant en augmenter la quantit , leur valeur ne peut baisser par leur plus grande abondance . (EEPP, 1874, [1988, p 609]). Pour Jean-Pierre Potier (1994, p 257), Lon Walras aurait peut-tre t influenc par un article de Jules Dupuit, en rponse un compte rendu de son livre, La libert commerciale, son principe et ses consquences (1860), rdig par Charles Dunoyer et paru dans le journal des conomistes. Lorsque lon connat les inimitis entre les deux hommes4 (Mosca, 1991 ; Vatin, 1997 ; Diemer 1997), cette filiation indsire pourrait une nouvelle fois alimenter le dbat sur le titre de prcurseur de la thorie marginaliste (Diemer 2000), et plus prcisment sur llaboration de lexpression mathmatique de lutilit (Ekelund, Hbert 1999, Diemer 1999). Le prsent papier ne revient pas sur ce point de lhistoire de la pense - ce que nous avions appel le syndrome Dupuit (Diemer, 2001) - mais plutt sur les origines de lconomie politique et sociale. Les annes 1959-1962 seraient alors prsentes comme une priode charnire dans luvre walrassienne. La dfinition, lobjet et les limites de lconomie politique trouveraient leurs origines dans les travaux de Jules Dupuit et le Cours dconomie politique de Rossi5. Car derrire le conflit Dupuit-Walras, on entrevoit lombre de dconomie politique de Pellegrino Rossi. Ce ricardien dlay dun peu de Say (Schumpeter 1983) a fait de lutilit et de la raret, les fondements de la thorie de la valeur. 1 Voir le volume XIII des uvres conomiques compltes : uvres diverses . 2 Extrait de la lettre du 23 dcembre 1862 adresse Jules du Mesnil-Marigny (vol I, pp. 119-120) 3 Lon Walras se rclamait de John Stuart Mill, qui dans les Principles of Political Economy With Some of Their Applications to Social Philosophy, effectuait une distinction au sein mme de lconomie politique entre les lois de la production des richesses, lois naturelles et invariables ; et les lois de la distribution des richesses, lois relatives aux institutions et dpendant de la volont humaine. Walras possdait dans sa bibliothque ldition de 1861 de la traduction du livre de J.S Mill, Principes dconomie politique avec quelques-unes de leurs applications lconomie sociale, par H. Dussart et J-G Courcelle-Seneuil. Jappelle conomie sociale, comme le fait J.S Mill, la partie de la science de la richesse sociale qui traite de la rpartition de cette richesse entre les individus et lEtat et qui recourt au principe de la justice, et non pas, comme le font lEcole de Le Play et nos facults de droit, ltude des institutions patronales et philanthropiques, de la coopration et de lassurance, tous sujets intressants dconomie politique applique dpendant du principe de la charit, de la fraternit, de lassociation libre tout au plus, de lutilit sociale (Lconomie politique et la justice, vol 5). 4 Walras ne cessera jamais de rappeler dans ses travaux et sa correspondance (lettre 319 Jevons) que Dupuit avait effectivement abord le problme de lexpression mathmatique de lutilit sans toutefois le rsoudre. Dupuit se serait mme tromp en confondant la courbe dutilit avec la courbe de demande. 5 Rappelons que Rossi a t lillustre successeur de J-B Say la Chaire du Collge de France.

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    I. ECONOMIE POLITIQUE : LHERITAGE PATERNEL

    Comme le rappelle Jean-Pierre Potier (1994, p 254), Walras adopta de 1859 1861, une vision bipartite de lconomie politique directement inspire de celle de son pre. Auguste Walras (1831, 1849) ntant satisfait ni de lexplication de la valeur par lutilit (Condillac et Say), ni de lexplication de la valeur par les frais de production (Ricardo), avait adopt la thorie de la valeur-raret6. Nous trouvons une dfinition rigoureuse et scientifique de la raret dans louvrage De la Nature de la richesse et de lorigine de lorigine de la valeur (1831, p 151) :

    Quest ce qui dtermine la raret et la valeur qui est en la suite ? Cest : 1 le nombre ou la quantit des biens

    limits, et 2 le nombre des hommes qui en ont besoin, autrement dit : la somme des besoins qui en sollicitent la puissance. La raret nest que le rapport entre ces deux nombres.

    La raret (Auguste Walras utilise les notions de limitation dans la dure et de quantit

    limite) possderait un double caractre : celui de la valeur7 (richesse) et celui de lappropriation (proprit). Deux sciences sont alors introduites : lconomie politique ou la thorie de la richesse sociale, la thorie de la proprit8 et de la distribution des richesses. - Lconomie politique (ou la thorie de la richesse sociale) sattache la mesure de la richesse. La notion de raret conduit Auguste Walras affirmer que lconomie politique est une science mathmatique9. La comparaison entre la raret et la vitesse souligne, que pour Auguste Walras, ce qui est la base de la valeur, ce sont des lments quantitatifs. Lconomie politique relve de larithmtique et doit quitter les sciences morales pour slever au rang des sciences exactes, et faire partie des sciences naturelles :

    Cela confirme parfaitement ce que jai dj fait pressentir plus dune fois, savoir : que la valeur est une chose susceptible de plus et de moins et que la richesse proprement dite est une grandeur et, ce qui est encore plus important, une grandeur apprciable. Aussi bien, personne nignore que la richesse se compte et se mesure, et que lEconomie politique relve de larithmtique. Cest par l quelle satisfait aux esprances des bons esprits qui se flattent, avec raison, de la voir un jour se placer au rang des sciences mathmatiques, et arriver la certitude qui distingue dune manire si avantageuse cette importante branche de nos connaissances. En attendant, il est ais de voir que la richesse, comme toutes les autres grandeurs apprciables, se soumet aux lois qui rgissent les nombres (1831, p 283). Lconomie politique rejoindrait ainsi la gomtrie, la mcanique, la physique, la chimie, la physiologie, la psychologie (1844, [1990, p 192]). Mme si Auguste Walras na pas bien compris le contenu des Recherches sur les principes mathmatiques de la thorie des richesses de Cournot, il est favorable lapplication des mathmatiques lconomie politique, mais la condition dune observation scrupuleuse des faits. En fait, la dmarche scientifique devrait se dcomposer en deux tapes successives : dabord lobservation des faits (elle doit tre minutieuse, complte), vient ensuite, sur la base de cette observation, llaboration dune science, qui sera mathmatique (puisquelle tudie des rapports entre des nombres) :

    6 Selon Auguste Walras, une thorie de la valeur devait nous fournir une cause unique de la valeur (on ne pouvait donc comme lavait fait Condillac, juxtaposer dans une explication de la valeur, deux lments aussi diffrents que lutilit et la raret). Comptes rendus de lAcadmie des Sciences morales et politiques (1849, tome XVI, p 226-227). 7 Auguste Walras considrait quil y avait dans la thorie de la valeur-utilit un lment retenir, savoir que lutilit tait la condition de la valeur. Cependant il sopposait lide que lutilit soit la cause de la valeur et quil y ait une proportionnalit entre le degr dutilit et la valeur. 8 Il faut rappeler que cest loccasion du problme de la proprit quAuguste Walras a t entran essayer de rsoudre celui de la valeur. Le droit naturel, qui tudie la proprit, et lconomie politique, qui tudie la richesse, seraient deux disciplines connexes puisquelles ont une base commune. Cependant de ces deux notions (proprit et richesse), celle qui commande lautre, celle qui est fondamentale, cest la notion de richesse et donc celle de valeur. 9 Si Auguste Walras pense que lconomie politique est une science mathmatique, contrairement son fils, il na pas fait dconomie mathmatique.

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    En levant lEconomie politique au rang de sciences exactes, on ne promet pas aux Economistes plus de loisirs. Et les questions qui peuvent se rsoudre par des chiffres ne perdent rien en importance et en difficult. Elles laissent assez de place lobservation et la sagacit de ceux qui les abordent. Car, la difficult nest pas de savoir que six et six font douze ; elle consiste ici, comme partout ailleurs, reconnatre et constater lexistence de six objets, dune part, et de six objets dautre part, qui forment, par leur runion,