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5/14/2018 Économie_politique_internationale Chavagneux - slidepdf.com
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Christian Chavagneux
Économiepolitique
internationale
La Découverte
Collection
R E P È R E S
ÉCONOMIE
SOCIOLOGIE
SCIENCES POLITIQUES• DROIT
HISTOIRE
GESTION
CULTURE • COMMUNICATION
N O U V E L L E É D I T I O N
« L’ouvrage, précis et documenté, entreprend de montrer
l’enrichissement qu’apporte cette “nouvelle” science
pour penser les rapports de forces mondiaux. »LE MONDE DE L’ÉCONOMIE
Ce livre numérique ne comporte pas de dispositif de cryptagelimitant son utilisation mais est identifié par un « tatouage »
permettant d'assurer sa traçabilité.
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Qui détient le pouvoir dans l’économie mon-diale ? Les banques ? Le G20 ? La Chine ?Google ? Telle est la question principale àlaquelle répondent les spécialistes de l’éco-nomie politique internationale.
Mêlant l’économie, la science politique etl’histoire, cette discipline offre les outils per-mettant d’analyser les rapports de forcesmondiaux qui influencent la mondialisation.Une approche qui permet de décrypter desquestions au cœur de l’actualité : la domina-tion des États-Unis est-elle durable ? Lesmarchés financiers imposent-ils leur loi ?Quel est le pouvoir des entreprises multi-nationales? Etc.
Trois écoles de pensée, analysées ici endétail, se partagent les débats. La premièredéfend l’idée que les États restent les prin-cipaux acteurs du système international.La deuxième insiste sur la montée en puis-sance d’une classe dirigeante transnationale.La troisième met l’accent sur le rôle poli-tique croissant des acteurs non étatiques
(multinationales, banquiers, bandits…).Largement implantée dans les universitésanglo-saxonnes, l’économie politique inter-nationale reste peu connue en France. Cetouvrage veut combler cette lacune.
Christian Chavagneux
Économie politique internationale (nouvelle édition)
Christian Chavagneux est
journaliste, rédacteur en
chef adjoint du mensuel
Alternatives économiques et rédacteur en chef de la
revue L’Économie politique .Il est l’auteur, dans la
collection « Repères », deLes Paradis fiscaux (avec
R. Palan, 2007, 2e éd.).
DANS LA MÊMECOLLECTION
Les classes sociales dans lamondialisation • La constructioneuropéenne • Les enjeux de lamondialisation • La gouvernancede la mondialisation • Sociologiedes relations internationales...
ISBN 978-2-7071-6477-3
TUE LE LIVRE
LE
PHOTOCOPILLAGE
DANGERCollection
R E P È R E S
Plus de 500 synthèses à jour, rédigées par des
spécialistes reconnus en économie, sociologie,
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Pour en savoir plus :www.collectionreperes.com
ÉCONOMIE
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Christian Chavagneux
Économie politiqueinternationaleN O U V EL L E É D I T I O N
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Remerciements. Merci à Jean-Christophe Graz, Ronen Palan etMarie-Claude Smouts pour leurs conseils lors de l’écriture de la
première édition de ce livre. Cette nouvelle édition a bénéficiéde mes échanges réguliers avec Ronen Palan et Benjamin J. Cohen sur leur discipline. Merci à Béatrice, ma fidèle lectrice.
Si vous désirez être tenu régulièrement informé des parutions de la collection« Repères », il vous suffit de vous abonner gratuitement à notre lettre d’informationmensuelle par courriel, à partir de notre site http://www.collectionreperes.com,où vous retrouverez l’ensemble de notre catalogue.
ISBN numérique : 978-2-7071-6477-3 Papier : 978-2-7071-6459-9
Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que repré-sente pour l’avenir du livre, tout particulièrement dans le
domaine des sciences humaines et sociales, le développementmassif du photocopillage. Nous rappelons donc qu’en applica-tion des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toutephotocopie à usage collectif, intégrale ou partielle, du présent ouvrage est interditesans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, ruedes Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale oupartielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.
© Éditions La Découverte, Paris, 2004, 2010.
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Introduction
« J’ai essayé d’apprendre à mes étudiants et à mes
enfants de ne pas s’attendre à un monde juste — mais
d’essayer de l’obtenir ; de travailler dur — mais de
remettre en question l’autorité, qu’elle soit politique
ou universitaire ; de se méfier des idéologies — mais
de respecter l’évidence ; d’éviter de suivre la foule
— pour faire confiance à son propre jugement et
défendre ses idées. »Susan STRANGE, 1989.
Q ui dirige l’économie mondiale ? Qui a assez d’influence pour
définir les règles du jeu et donner telle ou telle direction à la
mondialisation économique ? Les banquiers ? La Chine ? Le
G20 ? Google ? Cette question est essentielle, aussi bien pour
ceux qui se contentent du monde actuel et veulent seulementl’améliorer, que pour ceux qui souhaitent le changer. Changer
le monde, un peu ou beaucoup, demande de savoir comment y
sont organisés les rapports de forces et ce qui peut les modifier.
Face à une interrogation aussi essentielle, le citoyen se trouve
fort démuni. Il peut s’adresser aux économistes. Peine perdue.
Habitués à comprendre le monde à partir des échanges entre
les nations, ils ne s’interrogent ni sur les conditions politiques
des transformations économiques en cours ni sur la capacité desgouvernements à les ma îtriser politiquement. Le discours domi-
nant de la science économique se résume à une idée simple :
la mondialisation a accru les interdépendances entre les États,
ceux-ci devraient donc coopérer pour mettre en œuvre les solu-
tions efficaces que leur proposent leurs conseillers économiques.
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S’ils ne le font pas, c’est parce que la « volonté politique » n’est
pas au rendez-vous. Regardez bien les textes des économistes qui
s’aventurent à parler des enjeux politiques de la mondialisation,peu échappent à ce discours. Pourquoi cette volonté politique
n’est-elle pas présente ? Pourquoi les États n’adoptent-ils pas le
comportement a priori le plus efficace ? Quel est le rôle poli-
tique des multinationales, des investisseurs financiers, des orga-
nisations non gouvernementales (ONG) ? On ne le saura jamais.
Ainsi, l’économiste américain Barry Eichengreen [1998]* peut-il
expliquer beno îtement que les économistes n’ont rien à dire sur
le sujet parce qu’ils ne s’intéressent qu’à ce qui est quantifiable,
révélant ainsi l’une des grandes limites de la science écono-
mique pour comprendre le monde (même si lui en conclut que
les approches de science politique ne sont pas scientifiques pour
cette raison…).
Le citoyen motivé pourra alors être tenté de s’adresser aux
politistes qui s’intéressent aux relations internationales. Après
tout, ce sont eux les spécialistes des questions de pouvoir (qu’ilsappellent « puissance ») et des rapports de forces ! Seconde
déception. La très grande majorité souffre d’un handicap sérieux
pour expliquer les transformations du monde : leur manque de
formation économique n’a d’égal que celui des économistes en
matière de théorie politique. L’université n’aime pas le mélange
des genres. Elle reproduit des disciplines académiques dont les
figures principales se contentent souvent de leur monopole
local. Le politiste se retrouve ainsi autant perdu que son collègueéconomiste. Comment peut-il par exemple analyser les déci-
sions du G20 en matière de régulation financière s’il ne sait pas
lire un bilan bancaire ? Comment peut-il juger des rapports de
force entre la Chine et les États-Unis s’il ne sait pas lire les
comptes financiers d’une balance des paiements, etc. ?
Bref, ni la science économique ni la science politique ne
peuvent légitimement prétendre rendre compte à elles seules des
transformations majeures du monde. Doit-on se résoudre à desconnaissances parcellaires enfermées dans les contraintes d’un
découpage séculaire des sciences sociales ? Heureusement, la
réponse est non. Nombreux sont les chercheurs à avoir tenté de
* Les réf érences entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.
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sortir de leur discipline d’origine pour proposer une vision
alliant divers regards sur le monde. Ainsi, l’économie politique
internationale (EPI) qui est issue de la nécessaire complémenta-rité entre la science économique et la science politique, a étébâtie à partir du début des années 1970 pour proposer des
réponses pertinentes aux questions que suscite l’apparent
désordre international.
L’EPI n’est pas la seule à avoir emprunté cette voie. Chacune
à leur manière la théorie des jeux, l’économie du développe-
ment, la sociologie historique, ou les études de relations interna-
tionales mettant au centre de leur préoccupation l’analyse des
sexes, des races et des cultures procèdent des mêmes motiva-
tions. Autant d’approches qui mériteraient chacune un ouvrage
(pour une présentation de base, voir Palan [2000]). On s’est
centré ici sur les analyses qui cherchent à répondre directe-
ment à notre question « qui dirige l’économie mondiale ? ».
Elles ont pour commun dénominateur de vouloir associer dans
un même mouvement de pensée l’économique et le politique.Toutes cherchent à expliquer la nature, le fonctionnement et
la dynamique d’une économie mondialisée où l’espace de la
décision politique reste fragmenté, c’est-à-dire où il y a plusieurs
États et des acteurs politiques internationaux autres que les
États. Toutes laissent la place au temps long et à la dimension
historique des explications. Toutes mettent au cœur de leurs
réflexions une analyse du pouvoir (que chacune définit à sa
manière, on le verra).
Les trois réponses de l’EPI
Bien que partageant ces mêmes nécessités, les trois approches
d’économie politique internationale présentées ici proposent
des outils diff érents et offrent des visions contrastées de l’état du
monde et de ses rapports de forces.Pour l’EPI américaine, portée principalement par Robert
Gilpin, Robert Keohane et Joseph Nye, les États ont toujours étéet restent les acteurs dominants de l’économie mondiale. Ils exer-
cent un pouvoir dit « relationnel », car il s’exprime dans un
affrontement direct entre les acteurs. Il est déterminé par la
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mesure de leurs ressources matérielles (population, territoire,
capacités militaires…) et repose d’abord sur la force. Les cher-
cheurs qui s’en réclament cherchent à améliorer une planète quileur convient globalement, en conseillant la politique étrangère
de son acteur le plus puissant, les États-Unis. Ils souhaitent
améliorer la qualité de son leadership et promouvoir la coopéra-
tion interétatique dans le cadre des organisations internatio-
nales. Il faut à leurs yeux renforcer le libéralisme international,
pénaliser les États qui n’y obéissent pas et persuader les gouver-
nements que l’ouverture de leur économie leur sera toujours
bénéfique. Cette vision du monde est largement présente chez les
économistes et les hauts fonctionnaires des gouvernements. On
en a un exemple frappant dans le texte de synthèse du rapport
du Conseil d’analyse économique sur la régulation mondiale
[Jacquet, Pisani-Ferry, Tubiana, 2002 ; voir aussi Waltzer, 2001]
où la « bonne gouvernance » se résume à améliorer les condi-
tions de fonctionnement des organisations internationales. La
ma îtrise politique de la mondialisation devient alors un problèmed’optimisation sous contrainte de la répartition des tâches entre
ces organisations. L’objectif est de définir le bon modèle qui
suscitera les « bonnes pratiques » (coordination, légitimité, etc.)
capables d’assurer une action efficace des institutions intergou-
vernementales (une approche utile mais largement insuffisante,
cf. infra chapitre I et Chavagneux [2002b]).
L’EPI élaborée par la Britannique Susan Strange se place à
l’inverse dans une perspective critique de l’ordre établi. Lepouvoir est dit « structurel » et défini comme la capacitéd’influer sur l’état des choses de telle sorte que les préf érences de
celui qui l’exerce aient la priorité sur les préf érences des autres
dans les quatre structures fondamentales que sont la sécurité,
la production, la finance et la connaissance. Au total, le pouvoir
mondial résulte d’un mélange complexe d’autorités dans ces
diff érentes structures. Comme cette EPI veut changer le monde,
elle cherche d’abord à comprendre comment il fonctionne etqui le domine. Chaque domaine de l’économie mondiale doit
être examiné selon une méthode de diagnostic proposée par
cette littérature, et aboutir à des propositions alternatives pour
ceux qui ne se satisfont pas des rapports de forces ainsi révélés.
À chacun, ensuite, de faire ses choix, une fois informé du
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résultat des marchandages des forces en présence, de qui profite
de quoi, et des valeurs prioritaires qui en résultent. Comme le
résume Christopher May [1996, p. 189], les principes de base decette approche sont d’éviter de s’intéresser aux structures secon-
daires (le commerce, les transports, etc.), d’éviter de séparer le
national de l’international, et le politique de l’économique pour
se préoccuper du pouvoir structurel, de la hiérarchie des valeurs
et du rôle politique des acteurs non étatiques. L’approche par
le pouvoir structurel permet alors de décrypter la façon dont
s’exerce le pouvoir dominant des États-Unis, les canaux
d’influence de la montée en puissance des acteurs privés interna-
tionaux (firmes, ONG, mafias…), le développement de zones
sans régulation politique et la prise en compte d’une évolution
de la mondialisation qui ne soit le résultat de la stratégie définie
d’aucun acteur en particulier.
Enfin, pour l’EPI développée par le Canadien Robert Cox,
également située dans une perspective critique, la mondialisa-
tion est le résultat d’une « nébuleuse », regroupant les élémentsd’une classe dirigeante transnationale alliant les hauts respon-
sables des États et du secteur privé, capable d’exercer une hégé-
monie mondiale. Celle-ci est déterminée par la capacité de cette
classe dirigeante à contrôler les rapports de production et l’État,
à créer les conditions d’un consensus idéologique en sa faveur
et à cristalliser l’ensemble dans des institutions internationales
à leur service. Cette classe transnationale dominante impose à
l’ensemble du monde un « néolibéralisme disciplinaire », unordre global fondé sur la primauté des relations de marchéimposées dans toutes les formes de relations sociales et ancrées
dans nos pratiques quotidiennes, une marchandisation du
monde confortée par un « nouveau constitutionnalisme » qui
empêche le contrôle démocratique des puissants. Mais,
construction politique, économique et sociale qui prend sa
source aux États-Unis, ce néolibéralisme est en crise car contesté,
sans être encore véritablement remis en cause. Car ni unconsensus idéologique alternatif ni de nouvelles formes de
contrôle sur l’appareil productif n’ont encore vu le jour. C’est
une EPI critique qui souhaite, dans une position normative
assumée, que ces alternatives pourront exister et donner nais-
sance à une économie mondiale plus humaine et plus juste.
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T r o i s p e r s p e c t i v e s d ’ é c o n o m i e p
o l i t i q u e i n t e r n a t i o n a l e
T h é o r i e s
L a d o m i n a t i o n
d e s
É t a t s
L a d i f f u s i o n d u p o u v o i r
L e s c l a s s e s s o c i a l e s
A u t e u r s p r i n c i p a u x
R o b e r t G i l p i n
R o b e r t K e o h a n e
J o s e p h N y e
R e v u e :
I n t e r n a t i o n a l O r g a n i z a t i o n
S u s a n S t r a n g e
R o n e
n P a l a n
R e v u
e :
R e v i e
w o f I n t e r n a t i o n a l P o l i t i c a l
E c o n o m y
R o b e r t C o x
S t e p h e n G i l l
R e v u e :
N e w P o l i t i c a l E c o n o m y
A c t e u r s p o l i t i q u e s p r i n c i p a u x
É t a t s
O r g a n i s a t i o n s i n
t e r n a t i o n a l e s
A u t o
r i t é s
M a r c
h é s
É t a t s
F i r m e s
C l a s s e s s o c i a l e s
É t a t s
F i r m e s
A p p r o c h e d u p o u v o i r
R e s s o u r c e s m a t é r i e l l e s
H i é r a r c h i e ,
f o n d
é e s u r l a d o m i n a t i o n
I n t é r ê t m u t u e l à
c o o p é r e r
P o u v
o i r s t r u c t u r e l
A n a l y s e d e s r é s u l t a t s d e l ’ e x e r c i c e
d u p o u v o i r
H é g é m o n i e ( p o u v o i r ,
i d é e
s e t
i n s t i t u t i o n s )
C l a s s e d i r i g e a n t e t r a n s n a t i o n a l e
I n s t r u m e n t s d e r é g u l a t i o n d e
l ’ é c o n o m i e m o n d i a l e
S t a b i l i t é
h é g é m
o n i q u e
R é g i m e s
L i b é r a l i s m e é c o n o m i q u e
G o u v e r n a n c e c o m p l e x e
Z o n e
s s a n s g o u v e r n a n c e
H é g é m o n i e a c c e p t é e
M o n t é e e n p u i s s a n c e d ’ u n
e
s o c i é t é
c i v i l e i n t e r n a t i o n a l e
P e r s p e c t i v e p o l i t i q u e
A c c e p t e l ’ o r d r e
é t a b l i
C r i t i q u e l ’ o r d r e é t a b l i
C r i t i q u e l ’ o r d r e é t a b l i
S o u r c e : à
p a r t i r d e R o g e r T O O Z E ,
A l t e r n a t i v e s é c o n o m i q u e s , h o r s s é r i e n º
4 7 ,
1 e r t r i m e s
t r e 2 0 0 1 .
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D’où vient l’économie
politique internationale ?
L’économie politique internationale est
née quasiment en même temps des
deux côtés d e l’ Atlantique, aux États-
Unis et au Royaume-Uni, à la fin des
années 1960. S’il fallait lui trouver un
début « officiel », l’article de la Britan-
nique Susan Strange, en 1970, dans la
revue International Affairs , est un bon
candidat [Cohen, 2008, p. 21]. Strangeappara î t comme la première à s’être
pr éoccupée d e l a nécessité d’un e
nouvelle approche [Keohane, 2009,
p. 35]. Son article est suivi d’un numéro
spécial sur les relations transnationales,
publié en 1971, sous la direction des
Américains Robert Keohane et Joseph
Nye, dans la revue International Organi-
zation. Il faut y ajouter ensuite le livrepublié par l’économiste Charles Kindle-
berger en 1973 qui, sans chercher à fonder une nouvelle discipline, nourrira
beaucoup l’approche américaine.
L’étude des relations internationales
est alors dominée par l’« école r éaliste »,
dont la principale pr éoccupation apr ès
deux conflits mondiaux et en pleine
période de guerre froide, est d’analyser
le potentiel de conflit entre les grandsÉtats (voir chapitre I). L’EPI vient
d’abord bousculer cette vision du
monde à qui elle reproche sa courte
vue : il y a d’autres acteurs internatio-
naux que les États et, surtout, il y a
d’autres problèmes internationaux que
ceux touchant à la guerre, à la sécuritédu monde et aux rapports de forces
militaires.Pourquoi l’EPI na î t-elle à ce
moment-là, au début des années 1970 ?
La montée en puissance sur la scène
économique internationale de l’Europe
et du Japon est per çue comme un chan-
gement important apr ès le cavalier seul
des États-Unis dans la période d’apr ès
guerre. Afin que cette concurrence ne se
transforme pas en un affrontementsusceptible de diviser le camp de ceux
qui ont choisi de contenir l’influence de
l’URSS, un investissement intellectuel
devenait nécessaire pour comprendre la
montée de ces « interdépendances »économiques entre grandes puissances,
comme il allait devenir courant de les
appeler, et la façon dont elles étaient
traitées par la diplomatie des pays
démocratiques, dans des domainescomme la monnaie ou l’investissement.
C’est l’objet du livre pionnier de Richard
Cooper [1968], qui fait dire à Susan
Strange que « l’EPI n’était qu’une arme
supplémentaire dans la compétition
entre le capitalisme et le socialisme »[1998b, p. 8]. La décision du gouverne-
ment des États-Unis de dévaluer le dollar
en 1971, mettant fin au système de tauxde change fixes de Bretton Woods, et le
premier choc pétrolier de 1973 vien-
nent donner raison à ces nouveaux
penseurs : économie et politique,
national et international sont liés. Ces
événements nourrissent l’intér êt portédans les années 1970 à l’EPI, qui finira
par s’institutionnaliser comme discipline
dans les années 1980 avant de se
développer véritablement dans lesannées 1990.
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Veut-on un exemple des diff érentes lectures du monde
auxquelles conduisent ces trois EPI ? Prenons l’accroissement du
rôle international des ONG. Les spécialistes de la premièreapproche le lisent comme la montée en puissance d’organisa-
tions étatiques cachées ou bien comme l’émergence de mouve-
ments de contestation déstabilisant la cohésion nationale et
l’autorité des États, interf érant dans leur diplomatie [Josselin et
Wallace, 2001, p. 1 ; Sur, 1999]. Pour Strange, ce sont des acteurs
au pouvoir structurel encore faible mais à surveiller [1999,
p. 353-354]. Pour l’approche canadienne, c’est le signe d’un
mouvement de contestation de l’ordre dominant, un élément
essentiel de la construction d’une classe sociale transnationale àmême de contester l’ordre mondial néolibéral et de promouvoir
la démocratie [Gill, 2002, chapitre 11].
On dira, par commodité, qu’il y a trois « écoles » d’EPI. Tout
en précisant immédiatement que, pour chacune d’elles, les
auteurs qui y sont rattachés conservent une liberté personnelle
telle qu’il ne faut pas imaginer l’affrontement de trois écoles depensée fermées, figées et uniformes. Mais ce sont tout de même
trois approches diff érentes et irréconciliables. C’est à ces trois
grands courants d’EPI, à ces trois visions de la mondialisation
et des rapports de forces qui la façonnent que l’ouvrage est
consacré. Pour comprendre comment chacune d’elles répond ànotre question de départ « qui domine l’économie mondiale ? ».
Tour d’horizon des outils disponibles pour penser les rapports de
forces mondiaux.
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I / Les États, rien que les États
Face à ceux qui pourraient s’inquiéter d’une érosion du pouvoir
des décideurs politiques devenus incapables de ma îtriser les
évolutions du monde, cette première approche est rassurante.
Les États restent les acteurs décisifs de la mondialisation écono-
mique et de sa régulation politique. Il en a toujours été ainsi etil en sera toujours ainsi. De ce point de vue, affirme le cher-
cheur américain Robert Gilpin, « la nature des relations interna-
tionales n’a pas fondamentalement changé depuis mille ans ».
La période contemporaine n’est que le nouvel épisode d’un
scénario immuable.
Quelles sont les lignes directrices de ce scénario ? Elles sont
au nombre de trois. La première stipule que les questions de
sécurité dominent l’organisation du monde. Hier, les questionsnucléaires, le terrorisme aujourd’hui. C’est le fondement de
l’approche réaliste. La seconde postule que la planète ne peut
conna ître une évolution stable que s’il existe un pays dominant
se donnant pour objectif d’organiser les rapports mondiaux.
C’est la théorie de la stabilité hégémonique. La dernière souligne
la nécessité d’une coopération entre États, notamment par
l’intermédiaire des organisations internationales comme le
Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisationmondiale du commerce (OMC), pour élaborer les règles et les
normes d’une bonne régulation. C’est la théorie des régimes.
Trois idées de bon sens. C’est en tout cas la façon dont elles
sont perçues, et acceptées, par la très grande majorité des écono-
mistes, des spécialistes de relations internationales et des hauts
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fonctionnaires du monde entier. Puisqu’elles tiennent lieu de
pensée dominante, d’orthodoxie, il faut entrer dans le détail de
leurs raisonnements. Pour mieux les comprendre. Et montrerqu’elles sont fausses.
Après avoir nourri un nombre considérable de volumes
pendant des années, elles sont désormais assez largement aban-
données. Une nouvelle mode a commencé à se développer au
cours des années 1990 pour s’installer ces dernières années au
cœur de l’approche américaine d’EPI. Elle consiste à souligner
les liens entre dimensions politiques internes et externes dans
le cadre d’une approche dite « politique en économie ouverte »(Open Economy Politics ou OEP). Ses méthodes s’appuient sur
celles de la science économique dominante, ce qui n’est pas sans
produire des débats au sein de la communauté des chercheurs
d’EPI dans la mesure où elle en reproduit tous les défauts.
À la base : l’« école r éaliste »
À la base de cet échafaudage, il y a l’école réaliste. Une
approche qui comporte des dimensions philosophiques, reli-
gieuses, etc. Il ne s’agit pas ici d’en présenter toutes les facettes
mais seulement une lecture dont l’objectif est de mettre en
évidence la façon dont elle pense la régulation politique de
l’économie mondiale.
On peut lui donner une origine très ancienne, par exemplechez Thucydide, un historien grec du Ve siècle avant notre ère
dont la postérité provient de sa magistrale Histoire de la guerredu Péloponnèse où la volonté de puissance des États joue un rôle
essentiel. Un peu plus près de nous, la vision du monde qui
prévaut à la fin du XIXe siècle s’appuie sur le discours de la puis-
sance et du droit : le monde est considéré comme la rencontre
d’États égaux assurant les règles nécessaires à leur coexistence
(ce que l’on baptisait alors de « concert des nations »). Un degréminimum de coopération favorise les arbitrages juridiques
nécessaires (notamment par la signature d’accords bilatéraux
entre les pays). Le premier conflit mondial de 1914-1918 amène
le développement de la discipline des relations internationales
dont l’objectif est de comprendre les conditions de la guerre et
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de la paix. L’entre-deux-guerres est alors marqué par une vision
« idéaliste » du monde confiant au droit international le soin de
régler d’éventuels conflits (c’est l’idéal de la Société des Nations)et au progrès technologique et à l’accroissement des liens écono-
miques internationaux celui de contribuer à la formation d’une
société globale, harmonieuse et pacifiée. La montée du nazisme,
l’affrontement des années 1940 et les premiers pas de la guerre
froide jettent le doute sur cette représentation du système poli-
tique et économique international et suscitent, en réaction, une
approche se réclamant du « réalisme politique », c’est-à-dire « le
langage du pouvoir et des intérêts plutôt que celui des idéaux
et des normes », indique l’Américain Robert Keohane [pour une
présentation de la naissance et de l’évolution de l’école réaliste,
voir Guzzini, 1998 ; Battistella, 2006].
Les fondements
Quels sont les fondements de l’approche réaliste ? Plus qu’une
théorie scientifique, souligne Robert Gilpin, l’un de ses meilleurs
défenseurs contemporains, le réalisme « doit être vu comme une
disposition philosophique…, comme une prise de position sur la
condition humaine…, qui est fondée sur une vision pessimiste
des capacités humaines et du progrès moral » [1986, p. 304]. Au
départ, donc, un pessimisme philosophique de principe sur la
nature humaine.Sur cette base, l’approche réaliste s’appuie sur trois hypo-
thèses fondamentales : les États, soit, dans leur forme contem-
poraine, les États-nations, sont les acteurs les plus puissants du
système international ; l’État-nation est un acteur unitaire (il n’ypas de bataille entre les diff érents ministères), il parle d’une
seule voix, et il est le lieu de médiation unique entre l’inté-
rieur et l’extérieur d’un pays, les autres acteurs agissant à l’inter-
national (entreprises, ONG…) n’ont pas de stratégie propre etsont négligeables dans la compréhension du monde car les iden-
tités sont d’abord nationales. L’État-nation est aussi un acteur
rationnel, comme celui des économistes néoclassiques, qui fait
son bilan coût-avantage à chaque fois qu’il prend une décision ;
les États-nations ne sont motivés que par leur intérêt propre,
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même s’ils doivent l’exprimer au détriment de celui des autres
États-nations.
De sa prise de position philosophique initiale et de ses hypo-thèses fondamentales résulte un ensemble de propositions qui
complète le corpus réaliste. D’abord, on n’en sera pas surpris, les
relations entre États suffisent à définir le système mondial dans
son ensemble. Une fois que l’on a compris la nature des relations
entre les dirigeants des États-Unis, de l’Union européenne et de
la Chine, on a tout compris de l’état de la planète. Surtout, les
relations internationales sont conflictuelles par nature, l’anar-
chie en est la règle et la tendance naturelle. De ce fait, c’est l’État
le plus fort qui sera le mieux à même de promouvoir son intérêt
national. Chaque État est à la recherche des moyens qui lui
permettra de contraindre les autres États directement, par
l’affrontement, à faire ce qu’ils n’auraient pas fait volontaire-
ment. D’où l’intérêt que porte la tradition réaliste aux réflexions
sur la guerre et les débats de stratégie militaire. Car les États se
trouvent à la recherche du maximum de sécurité, c’est-à-dire dela meilleure protection contre les contraintes des autres. La défi-
nition et la mise en œuvre de cette sécurité s’inscrivent même
au cœur de leurs préoccupations. La conclusion est directe : le
meilleur instrument est la force, qui dépend des ressources maté-
rielles (puissance de l’économie, nombre d’avions, de chars, etc.)
et humaines (démographie) installées sur le territoire national.
La diplomatie et la guerre sont les instruments privilégiés de
résolution des conflits entre les États et les thèmes principaux deréflexion des chercheurs réalistes.
Le pouvoir relationnel
Pour cette école, le pouvoir est donc relationnel : il se définit
comme la capacité d’un État à forcer directement un autre État àfaire ce qu’il n’aurait pas fait sinon, dans l’objectif d’accro ître
sa sécurité. Il dépend des ressources (militaires, naturelles, démo-graphiques) dont dispose chacun des États. Il repose sur la force.
C’est pourquoi les réalistes donnent la priorité à l’étude des
questions de sécurité internationale (high politics), les aspects
politiques des relations économiques et sociales internationales
étant secondaires (low politics). Ce qui se produit dans la sphère
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économique internationale se trouve ainsi entièrement subor-
donné au système politique international, l’économie n’étant
que l’un des champs particuliers de la lutte pour la sécurité entreles États-nations. Par exemple, les firmes multinationales n’exis-
tent que parce que leurs activités servent « les intérêts de base
(économiques, politiques ou même de sécurité) de leur nation
d’origine », souligne Robert Gilpin. Certes, les réalistes ne nient
pas l’existence d’autres acteurs internationaux que les États,
qu’ils soient individuels ou collectifs, en particulier les acteurs
économiques. Mais ces derniers évoluent dans un système inter-
national sur lequel ils n’ont pas d’influence et qui reste struc-
turé par les relations de sécurité entre États. Les multinationales
n’ont donc aucun poids politique, ni les mouvements sociaux
à dimension internationale. Si la mondialisation de l’économie
progresse, c’est parce que les États le veulent bien et que cela
sert sûrement les intérêts des plus puissants d’entre eux. Une
situation tout à fait réversible s’ils décident d’y mettre fin et de
recourir à des pratiques moins libérales. Le degré de mondiali-sation en diminuera d’autant, obéissant à leur volonté politique.
Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, cette
lecture du monde axée sur la domination des questions de sécu-
rité est revenue s’installer en force sur le devant de la scène. On
ne peut être que frappé par la façon dont elle a nourri une partie
du discours des conseillers stratégiques du président Bush : le
monde ne peut être stable que si l’Amérique fait voir sa force
dans un affrontement avec un terrorisme mondial émanantforcément d’autres États, voyous, comme l’Irak. Sans aller
jusqu’aux États-Unis, on a un exemple des implications d’une
lecture du monde réaliste par les commentaires de la situation
mondiale proposés alors par le chercheur français Pierre Hassner
dans la revue Esprit [2002]. Pour ce spécialiste, avec l’adminis-
tration de George W. Bush, « on passe de la mondialisation
heureuse où l’Amérique clintonienne espérait régner par la
séduction et le dynamisme économique, à la mondialisationsombre, dramatique ou tragique, où l’Amérique livre une lutte
sans merci, en tout lieu et en tout temps à un ennemi mortel ».
La mondialisation n’est lue qu’au travers du comportement de
son État le plus puissant, les États-Unis, lui-même ramenéuniquement à l’expression de sa politique étrangère, elle-même
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ramenée uniquement aux questions de sécurité. Une démarche
réaliste typique. Est-elle éclairante pour comprendre notre
monde ? Il ne semble pas, par exemple, que Microsoft ou Googlese portent mal, que la diffusion mondiale du cinéma holly-
woodien périclite ou que le dollar ait perdu de son influence
internationale même après la crise des subprimes ! Bref, la
mondialisation n’appara ît ni sombre, ni dramatique, ni tragique
pour de nombreux acteurs américains. On comprend bien que
l’approche réaliste ne nous donne pas les outils suffisants pour
porter un diagnostic général sur l’état du monde.
Les réalistes proposent en fait une photographie de la planète
à un moment donné, qui la montre prise dans un équilibre de
forces politiques étatiques, où le plus fort, forcément un État,
est uniquement préoccupé de régler la sécurité du monde à son
profit. En bref, la mondialisation, dans toutes ses dimensions,
ne peut être comprise au début du siècle que par l’étude du posi-
tionnement de l’administration américaine face aux questions
de sécurité internationale. Toute autre forme d’analyse, ne sepréoccupant que de sujets secondaires, est superflue. Afin de
progresser dans l’analyse, plusieurs auteurs ont introduit des
éléments dynamiques tentant de comprendre les transforma-
tions dont fait l’objet le système international. C’est là qu’entre
en jeu la théorie de la stabilité hégémonique.
Stabilité et guerres hégémoniques
On doit à l’économiste américain Charles Kindleberger
d’avoir proposé le premier, au début des années 1970, les
éléments de la théorie de la stabilité hégémonique. Expliquant
la crise financière de 1929, il note que la période est marquée
par la fin de la domination britannique sur le monde sans que
les États-Unis aient encore pris la relève. Il manquait donc un
leader pour prendre en charge politiquement la stabilité finan-cière internationale [Kindleberger, 1973]. La théorie de la stabi-
lité hégémonique pose donc que l’existence d’une puissance
dominante est la condition nécessaire et suffisante à l’existence
d’une économie internationale ouverte et stable. Le pays leader
maintient la stabilité de l’économie mondiale en assurant que la
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distribution du crédit mondial est adéquate (il fournit la liqui-
dité nécessaire en cas de crise, jouant le rôle de prêteur en
dernier ressort), que les taux de change sont stables, la coordi-nation macroéconomique assurée et les marchés ouverts. Il est le
géant bienveillant qui assure le respect des règles par l’ensemble
de la communauté des États. Sur cette base, les auteurs réalistes
comme Stephen Krasner et Robert Gilpin complètent l’approche
en indiquant que la puissance dominante ne joue pas ce rôle par
pure bonté mais parce que cela sert ses intérêts, en particulier la
promotion de sa sécurité.
Ainsi, forte de sa position dominante au début du XIXe siècle,
la Grande-Bretagne a assuré la promotion d’un système
commercial ouvert en démantelant ses protections tarifaires,
l’activité de la place financière de Londres permettant en même
temps un accroissement sans précédant de la mobilité des capi-
taux, tout en maintenant un système de change stable,
l’étalon-or. Puis, au fur et à mesure du déclin britannique, le
protectionnisme commercial et financier a fait son retour à la findu siècle et le premier conflit mondial a emporté l’étalon-or. Il
faudra attendre l’après Seconde Guerre mondiale pour que les
États-Unis jouent à nouveau le même rôle de leader bienveil-
lant. Encore une fois, la tendance de l’économie à se mondia-
liser résulte entièrement des choix de l’État le plus puissant qui
dispose des moyens d’en imposer le respect aux autres États.
C’est ce qu’ont fait la Grande-Bretagne au XIXe siècle et les
États-Unis au XXe siècle.
Le libé ralisme contre l ’ hé g é monie
Comment s’articule alors la dynamique du système interna-
tional ? L’ouvrage de 1981 de Robert Gilpin y est entièrement
consacré. Le système international est, à l’origine, supposé en
état d’équilibre, c’est-à-dire que les conditions économiques,
politiques et territoriales du système conviennent aux États lesplus puissants qui le dominent, en particulier au premier d’entre
eux, l’« hegemon ». Le facteur déstabilisant qui vient perturber
cet équilibre tient à ce que, pour des raisons technologiques,
économiques et politiques, le pouvoir des diff érents États a
tendance à évoluer de manière diff érenciée, incitant ceux dont
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le pouvoir s’est accru à réorienter le fonctionnement du système
international en leur faveur. La résolution des conflits, liés à la
modification de la répartition des pouvoirs, passe alors par une
« guerre hégémonique » dont le résultat déterminera le nouveau
ma ître du monde.
Explications : le leader hégémonique occupant le centre de
l’économie internationale, étant le plus compétitif des acteurs,
est incité à maintenir un système économique libéral. Malheur
à lui : ce libéralisme contribue à diffuser l’innovation au niveau
international, entra înant son déclin par la montée en puis-sance de ses concurrents, début d’une transition d’un leader
hégémonique à un autre. Cette période de transition est
marquée par une montée du nationalisme économique et une
concurrence f éroce entre États qui menacent l’ordre du système
international. C’est exactement la mésaventure qui est survenue
aux États-Unis, d’après les défenseurs de cette approche. Après
avoir assuré un système économique international ouvert dans
la période d’après guerre, l’Europe et le Japon ont vu leurs forcesse reconstituer, ce qui les a placés en position de concurrents,
cherchant à prendre la premièr e p la ce a u détriment des
États-Unis, considérés comme en déclin.
Lue à l’aune du début du XXIe siècle, cette vision du monde
d’où la Chine est encore absente et où le Japon et l’Europe sont
comme des puissances mondiales lancées dans une guerre hégé-
monique pour abattre dé
finitivement desÉ
tats-Unis en dé
clin ade quoi surprendre. Mais cela n’empêche pas certains auteurs
de s’accrocher ferme à leurs convictions. Ainsi, Robert Gilpin
[1987, 2001] nous décrit un monde instable et dangereux, en
proie au développement d’un mercantilisme généralisé où prime
l’alliance du nationalisme économique — chaque État cher-
chant à influencer à son profit la division internationale du
travail — du repli régionaliste et du protectionnisme sectoriel.
Par exemple, même s’il écrit qu’il est trop tôt pour mesurer lesconséquences politiques de la création de l’euro, Gilpin ne peut
s’empêcher quelques pages plus loin de la présenter comme une
source de conflit entre l’Europe et les États-Unis avant de finir
sur un scénario catastrophe, typique de l’auteur, d’explosion du
système monétaire international [2001, p. 255-257].
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En définitive, l’état du monde actuel ne peut être que transi-
toire. Seule une guerre pourrait apporter une solution défini-
tive à l’instabilité du monde contemporain, unique moyen defaire émerger un nouveau leader hégémonique après les
États-Unis, point de passage obligé d’un retour à l’équilibre du
système international. Jusqu’à présent, les vestiges de la puis-
sance américaine — Gilpin indique même, de manière éton-
nante par rapport à sa p ropr e thèse, q ue « le pouvoir
économique américain et sa force de marchandage sont restés
substantiels » [1987, p. 379] —, l’inertie des forces historiques
et l’intérêt commun des États à éviter les conflits ont modéréles conséquences inéluctables de cette situation anarchique
[p. 394].
Gilpin ne croit pas à la possibilité d’un leadership multiple
associant les grandes puissances, car chacune poursuit ses
propres priorités et refusera toujours de sacrifier ses intérêts sur
l’autel d’une quelconque coordination internationale. Celle-ci
est impossible à mettre en œuvre, tout simplement parce qu’iln’existe aucun objectif qui soit commun aux principaux
pouvoirs étatiques ou interétatiques. Plus, les diff érences entre,
par exemple, le Japon et ses principaux partenaires, ne sont pas
d’ordre économique mais résultent d’un « clash culturel des
sociétés, avec des priorités nationales, des valeurs sociales et des
structures domestiques diff érentes », souligne Gilpin dès 1987
[p. 377], annonça n t a in si les thèses à venir de Samuel
Huntington sur l’affrontement des civilisations.La théorie de la stabilité et des guerres hégémoniques remplit
son contrat : sur les bases de l’approche réaliste, elle fournit les
éléments d’analyse expliquant comment se produisent les trans-
formations du système international. Ses défenseurs ont le
mérite de pointer du doigt que ni la mondialisation libérale ni sa
stabilité ou son instabilité ne sont des évolutions naturelles.
Elles résultent en grande partie de choix (ou de non-choix) poli-
tiques dans lesquels la Grande-Bretagne, au XIXe siècle, et lesÉtats-Unis, depuis plus de cinquante ans, jouent un rôle
prépondérant.
Pourtant cette approche ne semble pas à même d’expliquer le
monde actuel. Elle est d’ailleurs tombée en désuétude. Même si
l’on accepte de se situer dans sa logique, rien ne permet en effet
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d’expliquer l’état des lieux initial avant que le système ne se
transforme : ni pourquoi il a pris cette forme (d’où vient l’hégé-
monie américaine ?) ni comment on en est arrivé là (il n’y a paseu de guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis). De la
même façon, on a du mal à savoir pourquoi les forces de chan-
gement de l’équilibre initial vont se mettre en route (quand et
comment les États-Unis ont-ils commencé à décliner ?). De plus,
une fois le changement lancé, les conflits qu’il provoque sont
censés s e résoudre par la guerre entre grandes puissances
étatiques. Or la supposée chute de l’Empire américain et la
montée en puissance du Japon et de l’Europe puis de la Chine
auraient dû provoquer cette guerre. La réalité dément jour après
jour cette conclusion.
Face à cette impasse, deux solutions vont se développer dans
la littérature. Soit constater qu’en dépit du déclin avéré des
États-Unis, le système international ne s’est pas dévoyé dans la
guerre et essayer d’expliquer pourquoi. C’est la voie qui mène
à la théorie des régimes (c’est le choix que fera par exemple Joseph Nye dans les années 1980). Soit une remise en cause de
l’affirmation de départ selon laquelle les États-Unis ont perdu
leur titre de leader hégémonique (c’est le choix que fera par
exemple Joseph Nye au début des années 1990).
La théorie des r égimes
En l’absence de leader hégémonique, le système interna-
tional ne dispose pas d’autorité politique mondiale. Les États,
qui n’ont plus de chef pour les guider, sont perdus, se coordon-
nent mal. Ils sont prisonniers de « coûts de transaction élevés
en situation d’incertitude », pour parler comme les écono-
mistes, et n’adoptent pas les solutions optimales que donnerait
la coordination. Pourtant, le système international fonctionne,
il existe des institutions internationales, il s’en crée même denouvelles comme l’OMC pour régler les diff érends commer-
ciaux. Comment cela est-il possible ? La réponse de la théorie
des régimes consiste à affirmer simplement que l’hégémonie
n’est pas forcément nécessaire à la stabilité et au libéralisme du
système international. Les régimes représentent ainsi la variable
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complémentaire qui permet de répondre à l’incertitude et aux
défaillances du « marché politique international ». Elle est un
complément, et non un concurrent, à l’approche réaliste.Robert Keohane et Joseph Nye ont développé en 1977 les
premières intuitions qui allaient amener à cette nouvelle
approche. Ils définissent alors un régime international comme
l’ensemble des accords qui permettent de gérer des relations
d’interdépendance complexes. Un régime correspond au
« réseau de règles, normes et procédures qui orientent les
comportements et contrôlent leurs effets ». Mais c’est la défini-
tion proposée en 1983 par Stephen Krasner qui fera autorité : les
régimes sont « les principes, normes, règles et processus de déci-
sions autour desquels convergent les anticipations des acteurs
dans un domaine précis d’interaction » [1983, p. 1]. Ils permet-
tent aux États de faire des choix qui, sans être complètement
optimaux, satisfont au plus près leurs objectifs par la coordina-
tion de leurs comportements, et sont nécessaires à la stabilité
du système en l’absence de leader hégémonique. Une coopéra-tion posthégémonique devient alors possible comme source de
régulation de l’économie mondiale. Elle s’établit au niveau de
chaque domaine traité (issue area), défini comme l’ensemble des
problèmes résolus par une négociation commune et par les
mêmes acteurs [Keohane, 1984, p. 61]. La stabilité du système
international résulte ainsi d’un réseau de régimes internatio-
naux qui crée un cadre permanent et organisé de négociations
entre les États et établit les normes de comportement et decontrôle de leurs actions. Les théoriciens des régimes étudient
ainsi le régime commercial international, le régime monétaire
international, le régime de régulation des océans, le régime
pétrolier, etc.
Dans le monde d’interdépendance complexe décrit par les
régimes, le pouvoir ne peut plus reposer sur la force. La loi du
plus fort s’exprime dans chacun des régimes sectoriels et le vain-
queur change en fonction des domaines (finance, commerce,pétrole…). C’est donc un monde duquel toute hiérarchie
absolue est absente. Il n’y a plus de pays globalement dominant,
de leader hégémonique total, capable d’assurer un contrôle
entier sur le système international et de veiller à sa stabilité. Les
régimes permettent d’assurer celle-ci en organisant un
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leadership multiple, où un pays peut être leader sur un domaine
et suiveur dans un autre. Chacun assure, en fonction de ses
propres intérêts, le fonctionnement du régime considéré. Unesolution plus facile à mettre en œuvre qu’un leadership collectif
qui supposerait un niveau de coordination entre les grandes
puissances difficile à atteindre.
Cette approche va dominer les études anglo-saxonnes des
relations internationales pendant de nombreuses années. Hasen-
claver, Mayer et Rittberger [1997], largement repris par Kébabd-
jian [1999], ont montré que le vaste ensemble d’études se
réclamant de la théorie des régimes peut être regroupé en trois
grands courants : l’approche par les intérêts (les régimes sont
le résultat de l’intérêt des États et produisent l’information
nécessaire à la réduction de l’incertitude qui permet la coopéra-
tion), l’approche par le pouvoir (les régimes résultent surtout
du pouvoir relatif des diff érents États et sont d’autant plus
stables que l’un d’entre eux est en position dominante), ou
l’approche par le savoir (la façon dont les États se définissentles uns par rapport aux autres et déterminent leurs intérêts
dépend des croyances et des savoirs normatifs des décideurs).
Le chapitre final de leur ouvrage appelle à la synthèse des trois
courants comme l’aboutissement souhaitable de la théorie des
régimes.
Le passage des principes de la théorie à l’étude concrète de
l’économie mondiale va se révéler décevant. On en a un
exemple frappant avec la mise en perspective des évolutions ducommerce et du système monétaire et financier international.
Kébabdjian, par exemple [1999, chap. 4], de manière révéla-
trice pour ce genre d’approche, propose une histoire du système
monétaire international de l’étalon-or à nos jours qui reste une
description très classique telle qu’on peut la trouver dans
n’importe quel bon manuel de finance internationale. L’auteur
nous indique que telle période peut être qualifiée de « régime »
et pas telle autre, sans que cela ajoute grand-chose à la compré-hension des événements.
L’approche par les régimes, sa focalisation sur les États et la
coopération interétatique sous-tendent une bonne partie des
réflexions des économistes sur les organisations économiques
internationales. On en a un exemple avec le rapport du Conseil
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d’analyse économique sur la gouvernance mondiale [Jacquet,
Pisani-Ferry et Tubiana 2002]. Il nous propose une vision de la
régulation politique de la mondialisation ramenée à unproblème d’optimisation sous contrainte de la répartition des
tâches entre les organisations internationales. L’objectif est de
définir le bon modèle politique qui suscitera les « bonnes
pratiques » (coordination, légitimité, etc.) capables d’assurer une
action efficace des institutions intergouvernementales. Cher-
cher les moyens de rendre le Fonds monétaire international, la
Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce, etc.
plus légitimes, mieux spécialisés, plus responsables, transpa-
rents et démocratiques est nécessaire et le rapport y contribue
largement par ses propositions. En rester là lorsque l’on s’inter-
roge sur la nature des forces politiques susceptibles d’orienter la
mondialisation est insuffisant.
Cela conduit, par exemple, à refuser de s’interroger sur le rôle
de l’hégémonie américaine, qui fait pourtant toujours débat
aujourd’hui. Celle-ci est assimilée à la défense de l’intérêtnational américain par la coercition, or, nous est-il dit, « nul
n’est prêt à accepter sans discussion les options avancées par
quelque pays que ce soit, y compris le plus puissant » [p. 31].
Une analyse assez fruste de l’hégémonie des États-Unis pour un
rapport censé s’intéresser à la régulation politique de la mondia-
lisation économique.
Par ailleurs, la période d’après guerre est présentée comme un
âge d’or de la coopération internationale sur lequel nousdevrions prendre modèle. On oublie que les négociations de
Bretton Woods ont d’abord été celles entre les États-Unis et le
Royaume-Uni, entre 1942 et 1944, et que les autres pays ont étéconviés ensuite à ratifier ce qui avait été décidé. On oublie que
les objectifs des Américains étaient de casser l’Empire britan-
nique, pour pouvoir mieux y exporter, et instaurer la domina-
tion du dollar. On oublie que les Britanniques, endettés jusqu’au
cou, voulaient obtenir le droit d’être le plus longtemps possibleà découvert, et cherchaient à imposer aux États-Unis un méca-
nisme institutionnel les contraignant à dépenser leurs excédents
pour nourrir l’économie mondiale. Bel exemple de coopération !
On oublie aussi que la Banque d’Angleterre, en association avec
les élites financières de la City, jettera le système par-dessus bord
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dès 1957, sacrifiant définitivement le rôle international de la
livre sterling au profit du développement de la place financière
de Londres, en organisant la naissance du marché des euro-dollars (des dollars déposés et prêtés en dehors des États-Unis)
[Burn, 1999]. Ce marché ouvre une brèche dans le système régle-
menté des opérations bancaires internationales, à partir de
laquelle les dollars peuvent s’échapper pour passer dans un
univers monétaire parallèle que nous appelons maintenant off-
shore, celui de la mondialisation financière, celui des paradis
fiscaux [Chavagneux et Palan, 2010 ; Palan, Murphy et Chava-
gneux, 2010] dont les dysfonctionnements produisent les crises
que nous connaissons aujourd’hui. C’est cela l’âge d’or de la
coopération internationale qui nous manquerait tant
aujourd’hui…
Une critique des r é gimes
Dès 1982, Susan Strange proposait une critique de la théoriedes régimes dont les éléments restent valides et sont même
aujourd’hui en partie reconnus par ses défenseurs. La critique
porte sur cinq domaines.
Il y a d’abord le flou conceptuel de la notion de régime. Les
années 1980 et 1990 sont marquées par des discussions sans fin
sur la définition et la dynamique des régimes internationaux,
chaque auteur proposant sa propre définition et ses propres caté-
gorisations. Hasenclaver, Mayer et Rittberger [1997, p. 8-22] ontainsi répertorié dans leur synthèse au moins six cadres concep-
tuels diff érents et concluent à la validité de la critique de
Strange : le régime est un concept mou. Comme le montre égale-
ment la conclusion de leur ouvrage et ainsi que l’indique
Kébabdjian [1999, p. 45-46], les théoriciens des régimes croient
en l’existence d’un « Eldorado » de la science politique qui
permettrait de rendre compte en un seul schéma théorique de
l’ensemble du monde, pourtant découpé en une multitude derégimes. La réalité se conformant mal à un cadre unique
d’analyse, cas et sous-cas se sont multipliés à l’excès.
Le questionnement proposé par les régimes est, deuxième-
ment, trop americano-centré. Au-delà du fait que ceux qui ont
développé l’approche par les régimes sont tous américains,
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celle-ci est née en réponse à deux perceptions de l’évolution du
système international présentes surtout outre-Atlantique : celle
d’une perte de pouvoir des États-Unis et celle d’une déceptionface aux difficultés des institutions internationales à repré-
senter une autorité politique internationale. Le reste du monde
a gardé plus de distance avec la thèse du déclin américain et
les populations des pays en développement n’ont pas toujours
trouvé que le FMI et la Banque mondiale exerçaient une autoritéfaible ! En fait, avec la théorie des régimes, les États-Unis sortent
exempts de toute responsabilité dans l’évolution de la mondiali-
sation : puisqu’ils ne sont pas puissants et que leur autorité est
déclinante, on ne peut les tenir pour responsables de l’évolution
du monde et de son instabilité.
Le concept de régime est, troisièmement, biaisé en faveur de
l’ordre et de la permanence du système au détriment, d’une part,
de l’analyse de sa dynamique et, d’autre part, de la justice, de
l’efficacité ou de sa légitimité [par exemple, Kébabdjian, 1999,
p. 141-144]. C’est un point important. Il conduit les spécialistesconcernés à ne pas s’interroger sur les domaines de l’économie
mondiale qui peuvent être caractérisés par l’absence de régime,
comme on essaie de le montrer dans le cas de la finance interna-
tionale (chapitre II). Il conduit également à vouloir démontrer àtoute force que l’ordre du monde change peu, en tout cas peu
souvent.
La théorie des régimes présente en effet une vision trop
statique : cette approche ne donne finalement qu’un cadred’analyse qui observe un ensemble de régimes à un moment
donné. D’où viennent-ils ? Quelles sont les forces qui les font
changer ? Pourquoi sont-ils supposés être stables ? Autant de
questions qui restent sans réponse. Les régimes sont censés
représenter des périodes de stabilité qui n’existent pas. Les règles
et normes politiques de la mondialisation sont en renégocia-
tion permanente et cet aspect dynamique est primordial pour
comprendre la façon dont évoluent les rapports de forces dansl’économie mondiale.
C’est enfin une approche stato-centrée, uniquement préoc-
cupée du rôle des États. Les théoriciens des régimes sont des
universitaires souvent proches des processus de décision de la
politique étrangère américaine [Hoffmann, 1977]. De ce fait, les
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questions politiques internationales qui les intéressent sont
surtout celles de la politique des États. Et, comme ils sont améri-
cains, leur principale et souvent seule préoccupation est decommenter ou d’influencer la politique étrangère du gouverne-
ment des États-Unis. Une approche bien trop limitée pour
comprendre les rapports de forces en jeux au niveau mondial.
Dans la théorie des régimes, l’économie et les forces écono-
miques, où dominent les signaux de prix et où le secteur privéest actionné uniquement par des logiques de profit et de concur-
rence, et le système politique international, où dominent les
relations de hiérarchie et de contrôle du conflit, opèrent dans
deux mondes séparés dont les interactions doivent être étudiées.
En refusant à l’économie d’être l’un des facteurs déterminants
de ce système politique international, les théoriciens des régimes
restent fondamentalement des politistes spécialistes de relations
internationales. La faiblesse de leur approche les a d’ailleurs
condamnés à un oubli progressif. Après avoir imposé le flou de
ses analyses à l’EPI américaine pendant de nombreuses années,la théorie des régimes est aujourd’hui enterrée.
Le soft power
À partir de 1990, Joseph Nye, qui avait été l’un des initia-
teurs de la théorie des régimes, change sa vision du monde et
développe une nouvelle notion qui va faire florès, celle de soft power . On la retrouve depuis à toutes les sauces, dans la plus
grande imprécision. Aussi cela vaut-il la peine de retourner aux
textes de Nye [1990, 2002] pour présenter cette nouvelle façon
d’appréhender le pouvoir dans l’économie mondiale.
Dans la ligne du questionnement originel de l’économie poli-
tique internationale, il s’agit bien pour Joseph Nye de répondre
à la question : « Quelles sont les nouvelles formes du pouvoir
dans la vie politique internationale contemporaine ? » Cesformes nouvelles du pouvoir permettent à Nye de justifier le
retournement de sa position : alors que la théorie des régimes
avait été inventée pour comprendre comment le monde peut
être stable en l’absence de leader global, Nye affirme d’emblée
que les États-Unis n’ont en fait jamais cessé d’être l’acteur
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étatique le plus puissant. Son souci est alors de s’assurer que les
dirigeants américains puissent jouer le rôle de leaders éclairés
de la planète, d’organisateurs de la production des biens publicsmondiaux (stabilité financière internationale, lutte contre les
mafias, protection du climat…). L’objectif premier des analyses
de Nye est de conseiller la politique étrangère du gouverne-
ment américain en lui donnant les clés de compréhension de
l’exercice du pouvoir dans l’économie mondiale. Il sera ainsi
membre des gouvernements démocrates de Jimmy Carter et de
Bill Clinton. Car les États restent pour Nye les premiers acteurs
de la mondialisation, ceux qui y jouent le rôle de premier plan,
même s’ils partagent la scène avec d’autres acteurs importants.
Mais ceux-ci ne sont pas la source d’un défi frontal pour les
États ; ils ajoutent de nouvelles relations internationales
évoluant dans un autre monde, à côté des États et non
contrôlées par eux.
Comment analyse-t-il le pouvoir dans l’économie mondiale ?
Dans son ouvrage de 2002, Nye en propose une définition : « Lepouvoir est la capacité de parvenir au résultat que l’on souhaite
et d’être capable, si nécessaire, de changer le comportement des
autres pour y arriver » [p. 4]. Nye s’intéresse alors à l’étude des
ressources qui permettent d’exercer le pouvoir. Dans une
approche réaliste de base, la principale ressource est militaire.
Celle-ci joue encore un rôle, nous dit Nye, mais plus le rôle prin-
cipal. La force de frappe nucléaire rend les moyens militaires
classiques moins importants. La montée des nationalismes rendles conquêtes de territoires difficiles. De plus, l’action guerrière
peine à être justifiée dans des pays riches où la prospérité écono-
mique prime sur l’accumulation par le conflit. L’approche des
guerres hégémoniques à la Gilpin est définitivement mise au
placard.
Désormais, les ressources les plus importantes de pouvoir sont
les soft power resources. Elles correspondent à la capacité d’attrac-
tion, de séduction, exercée par un modèle culturel, une idéo-logie et des institutions internationales qui font que les autres
s’inscrivent dans le cadre déterminé par celui qui dispose de ces
ressources. Elles représentent une capacité à faire accepter
comme universelle une vision du monde particulière afin que la
domination de celui qui la produit soit acceptée car considérée
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comme légitime (une réf érence au philosophe italien Antonio
Gramsci et à l’approche canadienne d’économie politique inter-
nationale, présentée au chapitre III, entièrement assumée parNye). Pas grand-chose à voir avec la « puissance douce », par
laquelle est souvent traduite l’expression de soft power .
Il existe ainsi trois types de ressources dans l’analyse de Nye :
— les ressources militaires : les États-Unis sont ceux qui en
détiennent le plus, beaucoup plus que les autres acteurs,
— les ressources économiques : tous les grands pays indus-
trialisés en ont et celles de la Chine progressent vite,
— les ressources intangibles : tout le monde en a, les gouver-
nements, les ONG, les firmes… Elles sont dispersées et de ce fait,
nous dit Nye, non hiérarchisées.
De cette analyse, Nye conclut que les États-Unis profitent de
la mondialisation mais ne la contrôlent pas. Ils disposent d’un
pouvoir certain sur les autres États, mais moins de pouvoir
qu’hier sur l’économie mondiale du fait de la montée en puis-
sance des acteurs privés. Ces derniers voient leur influenceprogresser, mais de manière non coordonnée et on ne peut en
tirer de conclusion quant à la contribution des forces privées àla gouvernance mondiale, conclut Nye. À court terme, les
États-Unis doivent s’appuyer sur les institutions internationales,
défendre leurs valeurs universelles et entretenir leur pouvoir
d’attraction (renforcé par leur domination sur les nouvelles
technologies de l’information) pour faire accepter leur poli-
tique et éviter le développement d’un sentiment antiaméricain.À long terme, la diffusion des nouvelles technologies diminuera
leurs ressources intangibles, faisant évoluer le monde vers une
répartition du pouvoir plus équilibrée.
On peut faire quatre reproches aux analyses proposées par
Nye. Elles restent profondément américano-centrées. L’objectif
n’est pas tant d’expliquer le monde que de donner les moyens
au gouvernement américain de définir sa politique étrangère
dans un sens favorable à son acceptation par le reste du monde.Les États et les acteurs non étatiques évoluent dans des espaces
séparés : les interrelations entre acteurs restent le parent pauvre
de l’analyse, même si la possibilité d’une gouvernance hybride
mêlant acteurs étatiques et non étatiques est évoquée. Nye ne
s’interroge pas sur le fait que de nombreux acteurs non étatiques
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Les diff érentes formes
de pouvoir
Le soft power ne correspond pas chez
Nye à une qualification de la nature
du pouvoir exercé dans l’économie
m on di al e. I l déc r i t u n t y p e d e
ressources particul ièr es , p ar mi
d’autres, mais dont le poids est
devenu pr épondérant. Les ressourcesde pouvoir dont dispose un acteur lui
permettent ensuite d’exercer diff é-
rents types de pouvoir tout au long
d’un continuum :
Pouvoir de commande Pouvoir de cooptation
= -------------- | ----------------- | ------------------- | ----------------- | -------------- \
coercition incitation dé finition séductionLe pouvoir de commande, la
capacité de changer ce que les autres
font, peut s’appuyer sur la coercition
ou l’incitation. Le pouvoir de coopta-
tion, la capacité de changer ce que
les autres veulent, peut s’appuyer sur
la séduction ou sur la possibilité de
dé finir la hiérarchie des problèmes
politiques du moment de telle façon
à empêcher les autres d’exprimer des
points de vue qui para î traient irr éa-
listes face aux enjeux du moment.
Source : Nye, 1990, p. 266-267.
influents (multinationales, ONG…) viennent des États-Unis,
contribuant ainsi, comme le fait l’État américain, à influencer
l’économie mondiale dans un sens qui donne la priorité aux
débats, problèmes et questionnements issus de la société améri-
caine. Enfin, en en restant à une analyse du pouvoir par les
ressources, le problème du passage entre utilisation des
ressources et résultat de cette utilisation, et celui de la compara-
bilité des ressources intangibles des uns et des autres demeurentposés et non résolus.
La fuite dans le formalisme
Si l’expression soft power a connu un beau succès médiatique
international, l’approche qu’elle suggèr e de l’économie poli-
tique internationale n’a pas fait d’émules. L’EPI américaine s’estplutôt orientée au cours de ces dernières années vers un forma-
lisme de plus en plus abstrait où les batailles de noms en « isme »ont fait rage.
Un débat s’est noué entre deux types d’approches : le ratio-
nalisme et le constructivisme. L’objectif essentiel est d’arriver à
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déterminer comment un pays, un État, s’inscrit dans le champ
économique et politique international. On le mesure générale-
ment par rapport aux objectifs qu’il poursuit (sécurité, richesse)
et aux moyens qu’il met en œuvre (conflit, coopération). Dans
une approche rationaliste, la réaction rationnelle de l’État à son
environnement extérieur décide de ses actions. Dans une
approche constructiviste, son positionnement dépend de sa
trajectoire historique, de ses représentations du monde, de ses
croyances. Après l’effondrement de l’ex-Union soviétique, les
principaux animateurs de l’école néoréaliste ont plaidé pour lanécessité d’une approche en termes constructivistes [Katzen-
stein, Keohane et Krasner, 1998 ; Keohane, 2009, p. 38].
Comme pour les régimes, il existe plusieurs formes de ratio-
nalisme et de constructivisme dont l’exposition des diff érences
subtiles occupe une bonne partie de cette littérature. Les
batailles font rage entre auteurs. Pour Jervis [1998], l’approche
rationaliste, qui explique le comportement des États par leur
volonté de maximiser une fonction d’utilité, ne dit rien ni surleurs valeurs prioritaires, ni sur le type de comportements qui
leur permettra de maximiser cette fonction. Et l’approche
constructiviste, qui demande de s’intéresser aux discours, aux
pratiques communes développées par les États, aux identités
diff érentes, ne dit rien sur la façon dont les normes et pratiques
se forment, sur la façon dont les identités se construisent et
comment les intérêts sont définis. Gilpin va même jusqu’à dire
dans son ouvrage de 2001 que, après tout, les réalistes se sont
également toujours intéressés au rôle des idées et de la forma-
tion des identités nationales et que le constructivisme n’en est
finalement pas si éloigné… (pour une présentation du projet
constructiviste, voir Battistella [2006] ; Palan [2000b]).
Pour David Lake, ces débats et ceux qui les ont précédés
s’inscrivent dans une « cacophonie » dont l’approche qu’il
défend, l’Open Economy Politics (OEP), a permis de sortir. Réécri-vant l’histoire de la discipline, il la voit émerger dès la fin des
années 1980 et s’imposer au milieu des années 1990 par un
processus de « normalisation » qui permet à la « meilleure »approche de devenir le point central de la discipline [Lake,
2009].
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L’OEP se réclame du rationalisme. Si les États ne sont pas les
seuls acteurs considérés, l’objectif reste celui d’expliquer leurs
politiques extérieures à partir des outils de l’analyse microéco-nomique néoclassique. Ainsi, « l’OEP déduit les intérêts [des
acteurs de la scène internationale], définis comme les préf é-
rences entre des résultats alternatifs, des conséquences redistri-
butives de politiques économiques diff érentes » [Lake, 2009].
L’OEP innove en termes de méthode, en examinant les choix
des États comme des politiques de maximisation sous contrainte
aux conséquences quantifiables et modélisables, et en termes de
résultats en insistant sur le fait que les choix de politique exté-
rieure des États sont souvent le reflet des choix de politique
intérieure.
S’il est difficile de savoir ce que pèse véritablement cette
approche dans le champ académique de l’EPI américaine, il est
certain que ses méthodes, de même que ses présupposés poli-
tiques en faveur d’une économie libérale se sont imposés. C’est
ce que montre clairement l’enquête de deux chercheurs amé-ricains, Daniel Maliniak et Michael J. Tierney [2009]. En
s’appuyant sur un questionnaire envoyé aux chercheurs et en
étudiant le contenu d’articles publiés entre 1980 et 2007 par les
spécialistes américains d’EPI dans douze grandes revues de rela-
tions internationales, ils montrent une montée en puissance des
travaux d’obédience libérale en même temps qu’une croissance
exponentielle du recours aux méthodes quantitatives. Ainsi,
affirment les deux auteurs, « les méthodes de la science écono-mique sont devenues l’outil standard des chercheurs d’EPI ».
Une évolution confirmée par l’utilisation accrue de modèles
formels : de zéro au début des années 1990, leur part atteint
désormais 20 % de la production intellectuelle d’EPI américaine
passant par les revues.
Une EPI en voie d’extinction
Cette évolution n’est pas sans faire débat aux États-Unis.
Kathleen R. McNamara [2009] dénonce ainsi les dangers de
l’absence de biodiversité intellectuelle. De fait, la crise des
subprimes a largement contribué à remettre en cause l’approche
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standard formalisée des économistes [Krugman, 2009] dont les
spécialistes d’EPI ont de plus en plus fait leur spécialité, ce qui
entame leur crédibilité. Le trop-plein de formalisme, de libéra-lisme et d’étroitesse d’esprit reproché à l’économie dominante
est d’ailleurs déjà mis en cause dans la communauté EPI améri-
caine. Benjamin J. Cohen [2008, p. 127] dénonce ainsi un
« économisme rampant » et la « réduction des horizons ». Robert
O. Keohane [2009] regrette de la même façon l’absence d’une
« interprétation synthétique des changements » auxquels le
monde est confronté, ce que ses travaux et ceux de Susan
Strange et Joseph Nye tentaient de mener à bien en observant
la réalité plutôt qu’en inventant des problèmes pour les rendre
plus facilement modélisables. McNamara [2009], Helleiner
[2009] et Kirshner [2010] regrettent la place prise par le forma-
lisme dans les études d’EPI et le reflux des formations antérieures
où primaient l’interdisciplinarité et le travail de mise en pers-
pective historique.
L’EPI américaine appara ît finalement de plus en plus mal enpoint. Ses chercheurs sont déchirés. Si tous les néoréalistes ont
pu travailler ensemble à un moment, les critiques de Gilpin sur
les régimes, celles de Nye et Keohane sur Gilpin n’ont pas tardé,
suivies désormais par celles de Cohen, Katzenstein et Keohane sur
Lake, etc. Plus fondamentalement, la volonté d’expliquer les
rapports de force mondiaux fait désormais place à un niveau
d’abstraction des débats qui n’ont plus d’intérêt que pour les
spécialistes. Comme hier pour les régimes, les auteurs poursuiventaujourd’hui la quête insensée d’une théorie universelle abstraite
qui permettrait d’expliquer d’un seul coup aussi bien les déci-
sions à l’intérieur des États que les relations interétatiques. À cette
aune, pour Jonathan Kirshner [2010], « la discipline aura de
moins en moins de choses à dire à tous ceux qui seront en dehors
de la monoculture, tandis que, dans sa bulle, elle n’entendra plus
que le son de ses propres applaudissements ».
Enfin, mis à part les travaux de Joseph Nye qui restent direc-tement centrés sur les moyens d’appréhender le pouvoir dans
l’économie mondiale, mais dont l’écho universitaire est insigni-
fiant, les autres ne se posent plus la question. Est-ce aller trop
loin que de dire que l’approche d’économie politique interna-
tionale semble dispara ître en tant que telle aux États-Unis ? Le
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numéro anniversaire de la revue International Organization, fer
de lance de toutes ces approches, publié en 1998 sous la direc-
tion de Peter Katzenstein, Robert Keohane et Stephen Krasner,ne mentionne le label qu’au début de l’article de synthèse et
aucun des auteurs suivants ne s’en réclame, comme le fait remar-
quer justement Robert Jervis dans ce numéro. Le livre de
Benjamin J. Cohen en 2008 sur l’histoire de la discipline n’est
pas très optimiste alors même qu’il provient d’un chercheur
revendiquant son appartenance à l’école américaine. La domi-
nation revendiquée par Lake de son approche passe par le glis-
sement de l’EPI à l’OEP, comme si le label, comme pour le
numéro de International Organization dix ans plus tôt, devait être
remisé pour gagner en crédibilité. Toutes les figures historiques
de l’approche sont passées à autre chose [Cohen, 2008, p. 144]
et la jeune génération se perd dans les sables de l’économisme
néoclassique qui tombe pourtant en désuétude même chez les
économistes.
Face à cette impasse, deux approches critiques de l’EPI améri-caine se sont développées, offrant des alternatives, dépassant le
seul rôle des États, pour comprendre les rapports de force
mondiaux.
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II / La diffusion du pouvoiret la non-gouvernance
Si, pour les néoréalistes, le monde n’a pas changé depuis mille
ans, pour l’économie politique internationale de la Britan-
nique Susan Strange, ce sont plutôt ses transformations rapides
qui posent problème. Les firmes multinationales, les banques,
les ONG, les mafias, etc., nombre d’acteurs disposent desmoyens de peser sur les rapports politiques mondiaux afin
d’orienter la mondialisation dans tel ou tel sens. Les États aussi,
mais ils ne sont pas les seuls. Bousculés, ils doivent composer
avec d’autres forces politiques. De ces affrontements et des
compromis qui en résultent, naissent des normes publiques,
nationales, régionales ou internationales, des normes privées et
des zones où plus personne ne ma îtrise rien. La mondialisa-
tion est gouvernée par un entremêlement de toutes ces règlesqui, loin d’être figées dans des « régimes », font constamment
l’objet de négociations. L’objectif de cette EPI est alors de fournir
les cartes pour retrouver son chemin dans ce monde au pouvoir
diffus. Les concepts de base en ont été proposés par Susan
Strange. Ils sont présentés au début de ce chapitre. Nombre de
chercheurs s’en sont ensuite inspirés pour développer leurs
travaux et aboutir à un ensemble de conclusions politiques
allant au-delà (et quelquefois contre) celles de Strange pourfournir un ensemble de clés utiles au décryptage des rapports de
forces mondiaux.
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Susan Strange
et ses âmes sœurs
Susan Strange est née le 9 juin 1923
dans le Dorset au Royaume-Uni. Fille
du colonel Louis Strange, as de l’avia-
tion britannique, elle est diplômée en
économie en 1943. Elle débute sa
carrière professionnelle comme jour-
nal i ste po u r l’hebdomadaire The
Economist , avant d’être nommée la
pl us j e une c o rre spo nd ante à laMaison-Blanche, à Washington, pour
The Observer . Elle en est ensuite la
correspondante aux Nations unies, àNew York, avant de revenir en Angle-
terre en 1949.
Toujours journaliste, elle
commence à enseigner les relations
internationales au University College, à
Londres. En 1965, elle entame unecarrière de chercheur à 42 ans en rejoi-
gnant le Royal Institute of Interna-
tional Affairs à Chatham House, dirigéalors par Andrew Shonfield, d’abord
comme chercheuse associée pu i s
comme directrice du projet sur les rela-
tions transnationales. C’est là qu’elle
produira les premiers travaux qui lui
valent un début de reconnaissance. En
1978, elle est nommée professeur derelations internationales à la London
School of Economics. Bataillant avec
ses collègues, elle finit par imposer la
cr éation d’une filière de troisième cycle
en économie politique internationale.
Elle atteint l’âge de la retraite en 1988
et doit avec regret abandonner son
poste. Elle est rapidement appelée par
l’Institut européen de Florence qui luioffre en 1989 une chaire d’EPI. Apr ès
cinq années en Ital ie, el le rejoint
l’université de Warwick comme profes-
seur émérite.
En 1995, les chercheurs américains
en relations internationales, qu’elle
critique beaucoup, n’en reconnaissent
pas moins son travail en l’élisant pr ési-
dente de l’International Studies Asso-ciation, un honneur que seuls deux
Européens ont partagé. Son discours
inaugural a fait beaucoup de bruit par
s on ir r évére nc e , c arac téristique
constante du personnage. Elle y invite
les étudiants à ne surtout pas respecter
les professeurs bien établis et à bâtir
leur propre chemin. Elle met en rage
les f éministes des gender studies en leur
c o nse il l ant d e f aire d’ab o rd d e senfants (elle en a eu six), avant de se
pr éoccuper de leur carrière…Elle décède le 25 octobre 1998,
quinze jours apr ès la parution de son
dernier livre. Avec plus de 120 publi-
cations el le laisse son empreinte
universitaire et institutionnelle dans les
nombreux lieux de prestige auxquels
elle a été associée. Personnage charis-matique, elle laisse également une
trace profonde chez nombre de cher-
cheurs qui partagent, aussi bien sur un
pl an hu mai n qu ’ intellectuel, son
rapport au monde, et qu’elle bapti-
sait son « collège invisible » ou ses
« âmes sœurs » (kindred spirits ). Ce qui
l u i val u t d’être qual i f iée p a r s o n
collègue britannique A. J. R. Groom de
« Mère Supérieure » de l’économiepolitique internationale…
P o u r a l l e r p l u s l o i n : R i c h a r d
Higgott et Roger Tooze [1998], Susan
Strange [1989, 1995a].
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Le pouvoir structurel
À la base de l’EPI britannique, on trouve deux questions : Cuibono ? (à qui cela profite ?…) ; et quelles sont les valeurs priori-
taires mises en œuvre par ceux qui détiennent le pouvoir ? Est-ce
la prospérité et la richesse ? La justice et l’équité ? La sécurité,
l’ordre et la stabilité ? La liberté et l’autonomie de décision ?
Pour y répondre, il faut définir ce qu’est l’action politique et le
pouvoir.
Strange définit l’action politique comme l’agrégation de
volontés au service d’un objectif partagé en termes de hiérarchi-
sation des valeurs et de leur répartition. Comment ces agréga-
tions se forment-elles, quels en sont les résultats, qui en profite,
quelles valeurs mettent-elles en avant, que se passe-t-il
lorsqu’elles disparaissent, quelles en sont les raisons, etc. ?
Autant de questions autour desquelles doit se constituer
l’analyse politique, dépassant largement la seule préoccupation
de comprendre le comportement des États. Pour y répondre, uneproblématique du pouvoir doit être adoptée.
Strange en propose une définition la plus globale possible
comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe de
personnes d’influer sur l’état des choses de telle sorte que ses
préf érences aient la priorité sur les préf érences des autres »[1996, p. 17]. Dit autrement, c’est la capacité d’élaborer, décider,
légitimer, mettre en œuvre, et contrôler les règles du jeu de la
mondialisation dans lesquelles les autres devront forcéments’inscrire. Au pouvoir relationnel de l’EPI américaine analysé par
les ressources matérielles et reposant sur la force, Strange oppose
la notion de pouvoir structurel analysé par le résultat de son
exercice et reposant sur la capacité de façonner et de déter-
miner les « structures » de l’économie politique globale au sein
desquelles les autres acteurs devront évoluer.
L’analyse du pouvoir passe alors par l’étude de quatre struc-
tures fondamentales : la structure de sécurité, la structure deproduction, la structure financière, la structure du savoir.
Comprendre où se situe l’autorité politique qui influence les
évolutions du système international et quel monde elle façonne
demande de s’intéresser d’abord à ces quatre structures en
interaction.
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La structure de s é curit é
La structure de sécurité est définie comme l’ensemble desaccords qui déterminent les conditions dans lesquelles est distri-
buée la protection qui permet aux sociétés humaines de se mettre
à l’abri des menaces qui pèsent sur elles. Cette définition large de
la sécurité permet de ne pas en rester aux questions militaires liées
aux relations interétatiques. Les menaces peuvent provenir de la
nature : ce sont les catastrophes naturelles. Des inondations récur-
rentes au Bangladesh à celles qui ont frappé l’est de l’Europe durant
l’été 2002, aux tremblements de terre au Japon ou celui survenu en
Haïti en 2010, des passages de tornades en Asie et aux États-Unis
aux feux de forêts en Amazonie ou à la canicule de l’été 2003 en
Europe, les événements mondiaux montrent que chaque habi-
tant de la planète n’est pas exposé et protégé de la même façon
face à l’éventualité de catastrophes naturelles. Mais les principales
sources de menaces résultent de l’action humaine. Les menaces
pesant sur la sécurité de chaque individu, de chaque société résul-tent de n’importe quelle situation où deux autorités entrent en
conflit pour la définition de ce qui constitue leur champ d’action
respectif. Cela peut concerner deux États (guerre, dissémination
nucléaire), mais également un État face à des groupes terroristes, àdes guerres civiles ou au crime organisé. La distribution de sécu-
rité entre individus, entreprises, groupes sociaux peut également
résulter de comportements issus d’autres acteurs que les États. Que
l’on pense à la dissémination mondiale du sida, à celle de lamaladie de la vache folle en Europe, de la grippe H1N1, etc.
Les États jouent un rôle important dans cette structure car ils
sont censés assurer la sécurité de leur économie et de leur popu-
lation tout en maintenant le respect des libertés individuelles.
Si les spécialistes d’études stratégiques s’intéressent aux poli-
tiques de défense et ceux de relations internationales aux poli-
tiques étrangères, l’EPI de Strange cherche à expliciter le cadre
des marchandages déterminant la répartition de la protectionface aux diff érentes menaces existantes, qu’elles soient d’ordre
stratégique, alimentaire, naturel, etc. Ce qui demande de s’inté-
resser à un nombre beaucoup plus vaste d’acteurs afin de déter-
miner quelles parties du monde, quels groupes sociaux sont plus
ou moins bien protégés.
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Le spécialiste se demande également en quoi la structure de
sécurité, qui privilégie l’ordre et la stabilité, affecte les priorités
qu’une société peut vouloir donner à la richesse, l’égalité ou laliberté. Un débat qui s’est imposé de lui-même au moment de la
mise en œuvre des mesures attentatoires à la liberté indivi-
duelle prises aux États-Unis et dans de nombreux autres pays
au nom de la lutte contre le terrorisme international après les
événements du 11 septembre 2001. Les débats de 2009-2010 sur
la sécurité dans les aéroports (transmission de données sur les
passagers, utilisation de scanners) soulignent la permanence du
dilemme entre sécurité et liberté suscité par la lutte contre le
terrorisme.
Strange n’a jamais développé ses travaux sur la structure de
sécurité. Elle rappelle souvent l’argument traditionnel selon
lequel une économie ne peut prospérer que dans un cadre mili-
taro-stratégique assurant la paix, et combien les États-Unis et les
grosses multinationales de l’armement y jouent un rôle impor-
tant. Elle considère également que la probabilité d’une guerreentre pays développés est quasi nulle car représentant une
menace trop importante pour leur prospérité. Des conflits
peuvent éclater dans telle ou telle région du monde mais sans
que cela remette en cause fondamentalement la marche en
avant du capitalisme [Strange, 1994]. Pourtant, on est frappé par
le fait que, de par la construction même de sa méthode d’analyse
(l’intérêt pour ce qui se passe politiquement en dehors des seules
relations étatiques), elle ait été conduite à mettre en avant dèsles années 1980, sans s’y investir par la suite, la nécessité de
s’intéresser de près aux catastrophes naturelles, aux menaces
terroristes et aux questions de sécurité au sens large (alimen-
taires, environnementales, etc.) qui occupent aujourd’hui large-
ment le devant de la scène politique internationale (Strange
avait initialement développé l’idée d’une autre structure, celle
du Welfare, de l’insécurité sociale, associée à une analyse du
risque pesant sur les individus. Elle a finalement été fondue dansune structure de sécurité au sens large). Contrairement à l’EPI
orthodoxe, tellement proche de la politique étrangère du
gouvernement américain qu’elle fait des questions de la guerre
et de la paix le problème unique de la sécurité des peuples, celle
de Strange propose une définition plus large des menaces qui
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correspond plus à ce que vit le citoyen d’un pays développé.
Un Américain, un Européen, un Japonais ont moins de chances
aujourd’hui de perdre la vie dans un conflit guerrier qu’à caused’une inondation, d’un tremblement de terre ou d’une
épidémie.
La structure de production
La structure de production est l’ensemble des accords qui
déterminent ce qui est produit, par qui, pour qui, où, avec
quelles méthodes, quelles combinaisons des facteurs de produc-
tion (terre, travail, capital, technologie) et à quelles conditions.
Historiquement, la structure de production a connu deux chan-
gements substantiels : la naissance en Europe du capitalisme et
son développement dans cette région du monde, et le passage
graduel de systèmes de production destinés à servir des marchés
nationaux à une organisation productive tournée vers un
marché mondialisé. La structure de production appara ît ainsidominée aujourd’hui par les 82 000 multinationales et leurs
810 000 filiales recensées par la Cnuced. Aucun facteur unique
ne peut expliquer cette tendance à la mondialisation de la
production. Elle résulte d’une combinaison de politiques
étatiques, en particulier aux États-Unis, de tendances des
marchés, de stratégies de gestion des entreprises et de change-
ments techniques. Dans ce cadre général, Strange privilégie un
processus dynamique spécifique : le rythme soutenu des inno-vations technologiques impose aux entreprises un renouvelle-
ment plus rapide des équipements. Le coût du capital augmente
en même temps que sa durée de vie diminue. Les entreprises
doivent donc chercher à accro ître leurs profits, ce qu’elles font
en agrandissant la taille de leur marché. Plus que les entreprises,
ce sont les marchés qu’elles servent qui se sont mondialisés.
Quels sont les problèmes politiques posés par la mondialisa-
tion des entreprises ? Strange en met deux en avant. Le premierconcerne les conséquences de l’organisation internationalisée
des entreprises sur la capacité des États à taxer leurs activités.
Strange souligne dans States and Markets la façon dont les comp-
tables américains ont inventé dans les années 1970 le creative
accounting (comptabilité créative, mais ne faudrait-il pas dire
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imaginaire ?) qui a donné lieu à tant de commentaires en 2002
après les scandales liés aux entreprises Enron, WorldCom,
Ahold, Parmalat, etc. Elle consacrera d’ailleurs dans un ouvrageultérieur un chapitre entier à l’analyse du pouvoir des grandes
firmes internationales d’audit et de conseil [1996, p. 135-146].
Il montre comment ces cabinets (KPMG, Ernst & Young…) ont
substitué un objectif de richesse à celui de la sécurité : censés
certifier que les comptes des entreprises qu’ils auditent reflè-
tent correctement la réalité, ils préf èrent toucher des commis-
sions élevées avalisant les malversations de dirigeants à qui ils
vendent par ailleurs du conseil en tout genre, y compris pour les
aider à frauder le fisc comme l’a montré à la fin 2003 un rapport
du Sénat américain dans le cas de KPMG [Levin, 2003] et comme
le leur a reproché l’OCDE en 2006 lors d’une « déclaration de
Séoul » assez peu diplomatique à leur égard. Elle insiste égale-
ment sur l’utilisation des paradis fiscaux par les multinatio-
nales, un thème qui fera l’objet d’une analyse approfondie dans
le cadre de la structure financière (cf. infra) et la course au moins-disant fiscal engagée par les États. Au total, le constat est celui
d’un recul des capacités des États à taxer les entreprises mondia-
lisées. En effet, au sein de l’Union européenne à vingt-sept, le
taux d’imposition des entreprises a perdu 12 points de pourcen-
tage entre 1995 et 2007, passant de 35,3 % à 23,5 %. Les États
ont intégré l’existence des paradis fiscaux et internalisé la néces-
sité de ne pas trop demander à l’impôt en dépit des immenses
besoins sociaux et économiques que réclame une insertionréussie et équitable dans la mondialisation. En France, selon un
rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de la fin 2009,
les entreprises françaises sont très loin de payer le taux officiel
d’imposition de leurs bénéfices fixé à 33,3 %. Le taux d’imposi-
tion implicite (les impôts sur les bénéfices ramenés à l’excédent
net d’exploitation) des entreprises du CAC 40 se situe en effet en
moyenne à seulement 8 %, soit largement en dessous du niveau
légal.Le second problème politique est celui du risque et de sa
responsabilité. L’activité des entreprises est source de risques de
toute sorte, des conditions de production pour leurs salariés aux
menaces générales sur la santé, l’environnement, etc. L’organi-
sation mondialisée des firmes accro ît-elle les risques ? Et qui en
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porte la responsabilité ? Une question essentielle qui se pose
depuis les origines du capitalisme moderne et qui explique pour-
quoi, souligne Strange, les bâtiments les plus luxueux des villescontemporaines ne sont plus les églises et les cathédrales mais
les sièges sociaux des compagnies d’assurance.
Le triangle des marchandages
L’analyse du rôle de l’internationalisation des entreprises a
fait l’objet d’un ouvrage particulier par Strange, en collabora-
tion avec John Stopford, un professeur de gestion de la London
Business School [Stopford et Strange, 1991]. La méthode
d’analyse de la mondialisation des activités des entreprises
qu’elle y propose suggère de se situer au cœur d’un triangle déli-
mité par les relations de marchandages entre États, les rela-
tions entre firmes et entre les firmes et les États. Comme le fait
remarquer Cohen [1996, p. 27-28], la mondialisation est ainsi
déconstruite et analysée selon trois types d’enjeux : « L’enjeu dela relation firme-firme est celui de la globalisation : c’est dans
ce contexte qu’il faut penser le développement du commerce
intrafirmes, les stratégies de localisation et le processus d’inté-
gration-désintégration de la cha îne de production… l’enjeu de la
relation firme-État est celui de la compétitivité… l’enjeu des rela-
tions entre États est tout simplement celui de la souveraineté. »D’un côté, les États cherchent à maximiser la part de la
demande mondiale servie à partir de leur territoire, quelle quesoit l’origine de l’entreprise qui le permet ; de l’autre, les entre-
prises souhaitent un contrôle maximal des processus de produc-
tion qui leur permette de servir des marchés mondiaux, quel que
soit le lieu d’où elles le font. Deux objectifs qui peuvent donner
lieu aussi bien à des relations coopératives que conflictuelles.
Il y a complémentarité lorsque l’État garde la ma îtrise du lieu
de production et l’entreprise la façon de produire. La France a
ainsi attiré plus de 117 milliards de dollars d’investissementsétrangers en 2008 — deuxième destination mondiale derrière les
États-Unis. Il y a conflit lorsque l’entreprise décide qu’elle
préf ère une autre localisation (après la hausse du yen et la chute
de croissance liée à l’éclatement de la bulle financière, le stock
des investissements à l’étranger des multinationales japonaises
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est passé de 3,2 % du PIB en 1985 à 8,3 % en 2002, puis à 14 %
en 2008 après la nouvelle appréciation de la devise japonaise àpartir de 2007), ou bien que l’État cherche à restreindre lecontrôle exercé par la firme sur la façon dont elle produit ses
biens et services [Stopford et Strange, 1991, p. 212]. À ce jeu,
les entreprises multinationales ont clairement vu leur pouvoir
s’accro ître dans l’économie politique mondiale : les États, au
Nord comme au Sud, ont fait évoluer leurs législations fiscales
et réglementaires de manière à imposer de moins en moins de
contraintes aux entreprises. En plus de leur capacité à échapper
au paiement de l’impôt et à faire payer par les États les consé-
quences de leurs prises de risques, les firmes ont gagné de
nouveaux avantages :
— les États se retirent, partout dans le monde, des activités
productives, dans tous les secteurs, au profit des entreprises
privées : d’après l’OCDE, le montant des privatisations d’entre-
prises publiques dépasse les 500 milliards de dollars depuis 2000.
Il ne s’agit pas pour Strange de dresser l’image d’une économiemondiale ma îtrisée par des firmes privées apatrides. Elle recon-
na ît que les firmes multinationales gardent des éléments natio-
naux forts. Pour autant, les relations entre entreprises privées
peuvent avoir beaucoup plus d’importance pour elles que leurs
relations avec les gouvernements. Ainsi, dans un article de 1995,
Strange a montré en quoi la pénétration du marché japonais
par des firmes américaines était plus liée à leurs propres contacts
avec la communauté d’affaires japonaise plutôt qu’à l’agitationpolitico-médiatique entretenue par le gouvernement américain
[1995b] : par exemple, les multinationales de l’automobile
américaines ont fait leurs premiers pas au Japon surtout grâce
aux alliances obtenues par leur diplomatie privée avec les
producteurs locaux (Chrysler avec Mitsubishi, Ford avec Mazda,
etc.) — et en opposition totale avec la stratégie du ministère de
l’Industrie japonais qui souhaitait regrouper les producteurs
locaux pour en faire un géant mondial —, de même que Coca-Cola et IBM ;
— les stratégies de localisation des firmes sont bien plus
importantes pour la redistribution des ressources financières et
technologiques mondiales que l’aide au développement des
États et que l’endettement des pays du Sud. Aujourd’hui, les flux
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d’investissements directs étrangers sont la première source de
financement du développement, suivis par les envois de fonds
en provenance de travailleurs installés à l’étranger, et loindevant l’aide publique qui n’arrive qu’en troisième position ;
— les conditions de travail qui, en particulier en Europe, se
définissent dans la relation des employeurs et des syndicats àl’État ont tendance à échapper au cadre de la loi pour se définir
de plus en plus à l’intérieur des firmes. En ce sens, on peut parler
de privatisation de la gestion sociale, salaires, emplois et condi-
tions de travail étant de plus en plus définis à l’intérieur des
entreprises.
L’accroissement de l’influence des multinationales s’appuie
sur le pouvoir de groupes d’intérêt transnationaux issus des
milieux d’affaires disposant de puissants leviers d’influence sur
les dirigeants politiques des grands pays industrialisés (cf. infra
pour des exemples). Strange n’adhère pas pour autant à l’idée
d’une classe capitaliste transnationale. Les intérêts des chefsd’entreprise lui paraissent trop divergents pour suggérer l’unifor-
mité et la solidarité d’une classe sociale. Le domaine de l’envi-
ronnement en est un bon exemple : les grandes compagnies
pétrolières, les firmes pharmaceutiques et les producteurs de
voitures s’opposent à ceux qui défendent les technologies
propres mais aussi aux grandes compagnies d’assurance et de
réassurance transnationales.
Les États n’ont pas perdu pour autant tout leur pouvoir sur lesentreprises. Ils conservent une capacité d’influence sur les règles
du jeu économiques et sociales de leurs marchés nationaux dans
lesquels les firmes locales doivent s’inscrire. Ainsi, le gouverne-
ment de Lionel Jospin a-t-il pu légif érer pour mettre en œuvre
le passage aux 35 heures. Une mesure qui n’a pas fait fuir les
multinationales, la France restant parmi le trio de tête des pays
accueillant les investissements directs étrangers. Mais leur
pouvoir d’influence direct sur l’organisation de la productionde biens et services a diminué et ils ne peuvent aujourd’hui que
marchander leur place dans un environnement de concurrence
forte pour gagner des parts de marché dans la division interna-
tionale du travail.
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La structure financi è re
La finance internationale est le terrain d’étude privilégié deSusan Strange. Nombre de ses publications des années 1960 et
1970 y sont consacrées, complétées par deux ouvrages, Casino
Capitalism [1986] et Mad Money [1998a] (son dernier livre). La
structure financière est définie comme l’ensemble des accords
qui décident de la disponibilité des financements dans les diff é-
rentes parties du monde et qui définissent le niveau des taux de
change entre les devises. Dans ces domaines, les États ont clai-
rement perdu de leur pouvoir : ils ne sont capables de déter-
miner ni le niveau des taux de change ni le montant des crédits
disponibles à tel ou tel endroit.
Même si le rôle de la technologie (innovations techniques
— comme les liens entre l’informatique et les télécommunica-
tions ; innovations financières —, comme celles des produits
dérivés, des actifs financiers permettant de se protéger contre
les variations imprévues des prix d’autres actifs comme les tauxd’intérêt, des devises étrangères, le pétrole… mais servant aussi
d’instruments opaques de spéculation et de fraude fiscale), tient
une place importante dans son analyse, Strange s’attache surtout
à retracer dans ses diff érentes publications sur la finance les
séries de décisions (passage des changes fixes aux changes flot-
tants, libéralisation des mouvements de capitaux…) et d’absence
de décisions politiques (refus de légif érer sur le contrôle des
paradis fiscaux, des produits de spéculation…) qui ont amenécelle-ci dans son état actuel, à savoir une absence totale de
ma îtrise des risques qu’elle fait subir à l’économie mondiale. En
effet, la perte de contrôle des États ne s’est pas traduite par un
pouvoir accru des agents privés, banquiers et investisseurs
comme l’a bien montré la crise des subprimes. En cela, la finance
est la principale zone de non-gouvernance de l’économie
mondiale (cf. infra), une situation à laquelle les grands pays
tentent de remédier depuis la crise de 2007-2008.La responsabilité de cette situation est imputée a u x
États-Unis. Comparant le rôle de la Grande-Bretagne au
XIXe siècle et celui des États-Unis aujourd’hui, Strange [1988]
montre combien la stabilité financière internationale du régime
d’étalon-or n’avait rien d’automatique mais provenait d’un
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ensemble de décisions politiques britanniques. À l’inverse, les
dirigeants américains ont préf éré exploiter le système monétaire
et financier international à leur avantage, avec des objectifs decourt terme (faire exploser le système de taux de change fixe
de Bretton Woods en 1971-1973 pour régler leur problème de
financement des déficits extérieurs, libéraliser le financement
des déficits publics en l’ouvrant aux non-résidents pour pour-
suivre leur politique de relance keynésienne au début des années
1980…) plutôt que de chercher à stabiliser le système au profit
de tous.
Depuis vingt ans déjà, Strange affirmait que l’instabilité de la
finance était aujourd’hui le premier problème posé à l’économie
mondiale ou plutôt la source de menace la plus immédiate sur la
croissance et sur la vie quotidienne des gens (la dégradation de
l’environnement est le problème le plus important mais ses
conséquences, souligne Strange, se feront sentir à plus long
terme, ce qui ne diminue pas l’urgence de l’action dans ce
domaine). Certes, en dépit de crises importantes et plusfréquentes aujourd’hui qu’hier, le système monétaire et finan-
cier international finit toujours par se remettre debout. Mais il
fait de nombreuses victimes et la recherche des moyens de sa
régulation s’impose comme un problème politique majeur.
Réguler la finance internationale nécessite de trouver les moyens
d’y supprimer la volatilité, c’est-à-dire de mettre fin aux deux
sentiments animant les financiers qui en sont la source : l’appât
du gain et la peur [1998a, chapitre 8]. Le premier leur faitprendre de trop grands risques et la seconde les fait surréagir
lorsqu’i ls s’en aperçoivent. Une analyse dont la crise de
2007-2008 est venue montrer une nouvelle fois la pertinence.
FMI et BRI inadapt é s
Peut-on faire confiance aux institutions financières interna-
tionales pour réguler la finance ? La réponse est assurémentnégative [1998a, chapitre 9]. La Banque des règlements interna-
tionaux, chargée de la politique de supervision « prudentielle »des banques en établissant les normes censées les empêcher de
prendre trop de risques, a abandonné son rôle en autorisant les
banques à organiser toutes seules leur politique de contrôle des
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risques, faisant jouer le rôle de douanier au contrebandier,
comme on le verra ci-dessous. Le Fonds monétaire interna-
tional n’a pas les compétences techniques pour faire face à lacomplexité de la finance : ses équipes d’économistes, spécialistes
de la macroéconomie, ne sont pas bien armées pour réformer
les établissements bancaires des pays dans lesquels elles inter-
viennent. Au niveau européen, la Banque centrale européenne
n’a pas de doctrine d’intervention et ses pouvoirs d’interven-
tion en termes de ma îtrise des risques systémiques sont plus que
limités. Bref, les réponses politiques des acteurs publics ne sont
pas adaptées. C’est tout l’enjeu des décisions des G20 de Londres
et de Pittsburgh de 2009 que d’arriver à créer une nouvelle
gouvernance financière qui permette de prévenir et de gérer les
crises financières.
Strange ne croyait pas non plus aux propositions de grande
réforme de l’« architecture financière mondiale », projets qui
n’aboutissent généralement à rien, comme l’enseigne l’histoire.
Elle réfutait également la proposition traditionnelle des écono-mistes qui consiste à en appeler à une meilleure coordination
des politiques économiques nationales des grands pays [1986,
p. 148-155]. Non pas que le principe en soit erroné mais la solu-
tion est tout bonnement impossible à mettre en œuvre : les
gouvernements les plus importants n’acceptent pas de sacrifier
leur capacité d’action politique sur l’autel de la stabilité interna-
tionale. Strange n’a pas connu l’avènement en 1999 de la
monnaie unique européenne. Mais elle considérait qu’il luifaudrait de nombreuses années avant de jouer un rôle lui
permettant d’agir en faveur de la stabilité du système monétaire
et financier international, si tant est que les dirigeants européens
le souhaitent (Benjamin Cohen [2003, 2009a] montre quelle ne
pourra pas le faire avant longtemps).
En 1986, Strange en appelle à convaincre les États-Unis de
jouer le rôle d’un leader hégémonique bienveillant assurant la
stabilité de la finance mondialisée. En 1998, sa première préoc-cupation est de ma îtriser les acteurs privés en avançant comme
première proposition la fermeture des paradis fiscaux plus de dix
ans avant qu’elle ne s’inscrive dans les priorités politiques de
l’agenda international. Même si elle insiste beaucoup sur le rôle
financier accru des mafias, ses principales préoccupations sont
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de fermer la possibilité d’un comportement criminel des entre-
prises (fraude fiscale) et de bloquer l’argent de la corruption. La
finance libéralisée est en effet d’autant plus dangereuse pourStrange que s’y développent des comportements amoraux oùl’accumulation de richesses personnelles peut devenir la valeur
prioritaire de certains acteurs comme la crise des subprimes et
le retour d’une course aux rémunérations « indécentes » des
banquiers, selon le mot du président américain Barack Obama
début 2010, l’ont amplement démontré. Une amoralité conta-
gieuse : avec ses gros profits et ses gros revenus, la finance
devient une source de corruption des hommes politiques,
achetés pour éviter toute législation contraignante. L’éclatement
des scandales américains, du type Enron, liés à des comptabi-
lités truquées dans le cadre de relations ambiguës avec des hauts
dignitaires de l’administration du président Bush a montré que
ses craintes étaient justifiées.
En matière financière, une plus grande libéralisation amène
toujours des prises de risque plus importantes de la part desintermédiaires financiers confrontés à une concurrence accrue.
Un risque que chacun de nous doit subir, que l’on soit proche
ou non du monde financier, où d’autres prennent des paris àun bout du monde qui mettent en jeu, par contagion, les
emplois et les conditions de vie des populations à l’autre bout.
La ma îtrise de la finance internationale était aussi pour Strange
un besoin essentiel de restauration de la démocratie.
La structure des savoirs
La structure des savoirs se définit à un double niveau. Au
niveau abstrait, il y a le monde des idées, les systèmes de
croyance qui font qu’à un moment donné chacun se construit
sa représentation du monde, des contraintes et des opportu-
nités qu’il peut y développer. À un niveau plus pratique, elle
concerne tous les accords qui définissent les conditions permet-tant de découvrir, d’accumuler, de stocker et de communiquer
des informations. Les deux sont liés. Au Moyen Âge, de par son
savoir sur les moyens de bénéficier de la résurrection après la
mort et de par son contrôle sur les systèmes éducatifs, l’Église
catholique était un acteur essentiel de la structure des savoirs.
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Son influence s’exerçait sur la vie personnelle des princes, sur
leur façon de faire la guerre, ainsi que sur la façon de juger
l’échange, la monnaie et le crédit. L’Église défendait alors vigou-reusement son monopole moral et spirituel, illustrant le prin-
cipe selon lequel le pouvoir s’exerce dans cette structure par la
capacité de ceux qui le détiennent à en refuser l’accès aux autres.
Au niveau le plus général, la structure des savoirs s’intéresse
à la nature de la communication, à ses usages sociaux et aux
relations de dépendance entre des combinaisons d’idées et de
croyances, d’évolution des techniques de communication et des
pratiques politiques et sociales. Strange renvoie aux auteurs
contemporains qui ont à ses yeux la plus grande influence pour
la compréhension de ce domaine, Jürgen Habermas, Michel
Foucault, Karl Popper et Georg Lukàcs. Trois changements
importants sont à l’œuvre : les États ont accru leur concurrence
pour la ma îtrise de la structure et acquérir, États-Unis en tête,
un leadership en la matière ; l’asymétrie de pouvoir entre les
États pour l’acquisition des savoirs a augmenté : les entreprises etuniversités américaines apparaissent largement en pointe en
même temps que l’anglais s’est imposé comme le principal
langage de communication internationale ; les changements en
cours modifient de manière substantielle la répartition du
pouvoir au sein des groupes sociaux de chaque société et entre
les sociétés.
Les quatre structures de Strange n’évoluent pas de manière
indépendante. Leurs interactions déterminent les structuressecondaires de la mondialisation dont les plus importantes sont
le système de transport, de commerce international, d’énergie
et d’aide publique au développement [1988]. Pour Strange,
l’erreur des spécialistes de relations internationales, économistes
et politistes, est de se préoccuper de ces aspects secondaires de la
mondialisation plutôt que des structures les plus importantes.
Ainsi réfute-t-elle l’approche économique traditionnelle
d’abord préoccupée par les questions de commerce interna-tional et par le rôle qu’y jouent les États. Pour elle, le commerce
international est une structure secondaire de la mondialisation
économique largement déterminée par les conditions du finan-
cement des échanges. Plusieurs études historiques lui permet-
tent ainsi de rappeler que, dans les années 1930, la chute du
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commerce international s’explique surtout par le fait que les
banques de Londres et de New York ont considérablement freinéla distribution de crédits, en particulier aux non-résidents. Demême, l’explosion des échanges d’après guerre s’explique
surtout par le fait que les États-Unis ont injecté de larges doses
de pouvoir d’achat dans l’économie mondiale [Strange, 1985].
Le protectionnisme des années 1930 ou la libéralisation d’après
guerre sont ainsi considérés comme des explications secon-
daires de l’évolution du commerce international. Un résultat
retrouvé par l’économiste Andrew K. Rose [2002] lorsque, cher-
chant à expliquer les déterminants du commerce entre les pays,
il montre que l’appartenance d’un pays aux accords du Gatt ou
à l’OMC ne joue aucun rôle.
Une méthode de diagnostic
L’exemple précédent montre que Strange cherche d’abord àinciter ses lecteurs à se poser les bonnes questions. De fait, son
approche permet de faire l’économie de bien des débats ou de
proposer de nouvelles interrogations. Par exemple, l’exercice du
pouvoir structurel dépasse largement l’utilisation des ressources
traditionnellement analysées que sont la démographie, le terri-
toire, le nombre et la qualité de l’armement, etc. Il faut aussi
être à même de comprendre, par exemple, comment les multi-
nationales, les marchés financiers ou les détenteurs de savoiremploient leur force, ce qui réclame des concepts plus larges et
une approche plus historique que le simple rassemblement
d’indicateurs quantitatifs.
De même, le recours à la rationalité des acteurs n’est plus
indispensable. En introduisant une problématique du pouvoir
et donc des asymétries de pouvoir entre les participants à une
structure donnée, on peut montrer que le plus fort peut utiliser
son pouvoir pour un gain marginal au prix de coûts exorbitantspour les autres, un comportement que l’analyse rationaliste a
du mal à intégrer (Joseph Stiglitz [2002] en donne un exemple,
quand l’administration américaine pousse à l’organisation d’un
cartel mondial de l’aluminium pour redresser les profits à cour
terme de l’entreprise Alcoa). L’hypothèse de rationalité des
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acteurs suppose une certaine permanence de leurs choix et de
leurs objectifs, alors même que ceux-ci peuvent être à même de
se modifier en fonction de l’état du marché, d’un changement
d’orientation politique, etc. Le prix de la Banque de Suède en
économie 2002 Daniel Kahneman a été récompensé pour avoir
décrit les nombreuses situations décrivant les sources de l’irratio-
nalité des comportements économiques (tendance exagérée àl’optimisme, jugement de situations générales à partir d’expé-
riences personnelles réduites, etc.). Cela permet également
d’ouvrir la possibilité d’une analyse où l’état du monde nedépend pas seulement de la confrontation d’acteurs aux stra-
tégies rationnellement définies mais peut résulter d’effets non
voulus de décisions ou d’absence de décisions.
La séparation d’analyse entre politique intérieure et politique
internationale n’a plus lieu d’être. D’une part, l’État-nation n’est
plus considéré comme un acteur unitaire du système interna-
tional mais est appréhendé à partir de tous les acteurs politiques
qu’il englobe et qui le dépassent dans l’action internationale.D’autre part, les fondements nationaux des prises de position
internationales des acteurs doivent être explicités, un résultat
mis en avant par Strange bien avant les études savantes de
l’approche d’OEP américaine… De même, la diff érence concep-
tuelle entre acteurs étatiques, publics en général, et privés, perd
de sa pertinence : l’analyse porte sur toutes les formes d’autorité,
en général, qui agissent pour faire prévaloir leurs préf érences et
leurs valeurs. L’analyse des actions politiques ainsi proposée
dépasse celle des politiques publiques pour essayer de
comprendre les objectifs, les volontés, de tous les acteurs impor-
tants. Cela permet d’avoir une vision plus juste, non tronquée,
des rapports de forces en jeu et donc de mesurer la responsabilitépolitique de tous les acteurs, sans en rester aux seuls États qui
ne sont que des acteurs parmi d’autres de la régulation politique
mondiale.Pour qui veut comprendre la mondialisation et la possibilité
de la réguler, cette EPI propose non pas une théorie clés en main
mais une méthode de diagnostic articulée en cinq niveaux,
valable pour n’importe quel domaine d’étude que l’on veut
aborder :
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1) Identifier le réseau complexe d’autorités entrecroisées àl’œuvre.
2) Mettre en évidence les accords qu’ont passés entre elles cesautorités et le résultat (outcome) produit.
3) Mettre au jour les valeurs prioritaires retenues par ces auto-
rités (prospérité et richesse ; justice et équité ; sécurité, ordre et
stabilité ; liberté et autonomie de décision) et comment elles se
répartissent entre groupes sociaux et individus, qui gagne quoi,
qui perd quoi ?
4) Identifier les points de fragilité des accords en cours.
5) Mettre en évidence les accords alternatifs possibles.
Selon la définition de Roger Tooze [1984], ce type d’EPI ne
propose pas une théorie mais « un champ d’investigation, un
ensemble particulier de questions et une série d’hypothèses sur
la notion du “système” international et la façon dont on peut
le comprendre ». Et Strange d’ajouter, de manière ambitieuse,
que l’objectif des études d’EPI doit être de fournir un « cadre
d’analyse, une méthode de diagnostic de la condition humaine,telle qu’elle est, ou telle qu’elle était, dans un environnement
économique, politique et social » [1988, p. 16].
Le refus des grandes thé ories
Les travaux de Susan Strange sont quelquefois critiqués pour
ne fournir que cette méthode et non pas un modèle général du
fonctionnement du système international. Comme le souligneRonen Palan [1999], ils sont quelquefois regardés comme ceux
d’une empiriste naïve avec de fortes convictions morales. À cela
Strange répondait avec plusieurs arguments [1988, 2002].
Le constat, d’abord, que nombre de théories dominantes
présentes sur le marché universitaire en économie et en relations
internationales proposent à ses yeux des conclusions entière-
ment fausses (et produisent donc de mauvais conseils), que ce
soit la théorie des régimes, celle de la stabilité hégémonique etde son corollaire sur le déclin américain.
Les grandes théories de science sociale lui semblent trop
descriptives, réordonnant avec un vocabulaire diff érent des faits
connus. Ce n’est pas inutile mais cela n’explique rien. L’impor-
tance donnée par les économistes et par les politistes aux
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approches quantitatives lui paraissent par ailleurs aller dans la
mauvaise direction : le choix de ce qui doit être compté est trop
arbitraire et déterminer le sens de la causalité dans une corréla-tion trop subjective. De manière induite, Strange n’a aucune
confiance dans les prédictions sur l’avenir du monde, notam-
ment celles des économistes, car les facteurs irrationnels dans
le comportement humain lui paraissent trop nombreux (et leurs
combinaisons encore plus nombreuses) pour être prévus. Libre
alors à chaque chercheur de savoir jusqu’où il peut jouer le rôle
de conseiller du Prince.
Reprenant ensuite l’analyse de Robert Cox (voir chapitre III),
Strange affirme qu’une théorie n’existe pas en elle-même mais
sert toujours les intérêts de quelqu’un ou un objectif particu-
lier. Ou bien, elle est proposée contre quelqu’un ou quelque
chose. Elle indique ainsi clairement avoir développé son travail
pour remettre en question les approches dominantes des rela-
tions internationales des politistes et des économistes (qualifiant
par exemple son livre States and Markets d’antimanuel [1996]).Qu’est-ce qui fait l’attrait d’une théorie particulière ? Les univer-
sitaires se trompent en croyant qu’ils font des émules grâce à la
clarté ou à la rationalité de leurs arguments. C’est le partage des
mêmes biais et des mêmes préjugés qui lie les gens entre eux.
D’où l’insistance de nombreux travaux issus de cette approche
d’EPI à vouloir analyser les conditions sociologiques et poli-
tiques de la construction des connaissances sur le monde.
L’objectif de bâtir une grande théorie des changements dumonde tels qu’ils sont orientés par les compromis entre des
autorités multiples paraissait à Strange tout bonnement hors de
portée. Impossible de trouver une cause unique, ou plusieurs
causes hiérarchisées de manière prévisible, à la façon dont le
pouvoir s’organise au niveau international. Chercher une expli-
cation théorique simplement formalisable pour expliquer la
dynamique politique du pouvoir mondial représente un leurre
que les politistes ont emprunté aux économistes et qu’ils pour-suivent en commun avec le même degré d’insuccès.
Strange refuse donc complètement de se présenter comme
une théoricienne. Pour toutes les raisons précédentes et parce
que le langage universitaire abstrait (academic speak) lui parais-
sait totalement inapproprié pour informer et engager le débat
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avec le plus grand nombre. À ses yeux les chercheurs doivent
rendre compte de leur travail en priorité à la société tout entière
et ne pas se confiner à des débats uniquement accessibles à despetits cercles d’experts.
C’est pourquoi si les travaux de Strange ont nourri et nourris-
sent encore de nombreux chercheurs, il n’y a pas d’école Susan
Strange d’économie politique internationale. Parce qu’elle n’apas de grande théorie à défendre mais une façon de diagnosti-
quer les problèmes du monde. Parce que son travail s’est
toujours nourri de la critique de tout ce qui pouvait ressembler
à une théorie bien instituée. Ainsi, dans le discours inaugural
de sa prise de fonctions comme présidente de l’International
Studies Association conseillait-elle à son audience : « Ne tenez
pas trop compte des barons et des hiérarques. Ayez le courage de
suivre votre propre voie et dites vraiment ce que vous pensez,
pas ce que d’autres vous ont dit de penser » [1995]. Et parce que,
ainsi que l’a écrit Roger Tooze [2001a], qui fut l’un de ceux qui
travaillèrent le plus avec elle, l’approche de Strange « n’était paslonguement mûrie ; ce n’était pas un modèle réduit parfait, une
solution théorique ou un code pour les problèmes qu’elle voyait
se multiplier dans l’économie politique mondiale. Elle a émergé,
au départ, d’un patchwork de convictions, d’hypothèses, de
scepticisme et d’observation ».
Les seules réf érences épistémologiques qu’elle se reconnaissait
étaient Paul Feyerabend (car il défendait l’idée que la seule chose
nécessaire à la recherche est de se poser les bonnes questions)et le penseur du XIVe siècle Ibn Khaldun (car il cherchait àrépondre à la question « pourquoi les choses sont-elles comme
elles sont » ?) [Strange, 2002, p. 116]. Ronen Palan [2003b] a
montré par ailleurs que, s’il fallait vraiment rattacher Strange àune approche particulière, elle pourrait s’inscrire dans le prag-
matisme philosophique américain (Charles S. Pierce, William
James, etc., dont le trait qui nous intéresse ici consiste à souli-
gner que « la vérité relève plus de l’invention que de la décou-verte ; toujours faillible, elle est indissociablement liée àl’expression, à la réalisation et à l’évolution de certains intérêts »[Frobert et Ferraton, 2003, p. 14]) et dans la continuité des
travaux de l’économiste institutionnaliste John R. Commons,
dont Palan montre que Strange n’est pas éloignée dans sa
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volonté de cerner la dimension économique et politique du
capitalisme à l’ère de la mondialisation. Une double filiation,
pragmatiste et institutionnaliste, utilisée également pour carac-tériser les travaux d’Albert O. Hirschman, un autre penseur
éclectique [Frobert et Ferraton, 2003, p. 13-14, 248].
Les cinq conclusions politiques
Quelles conclusions politiques peut-on en tirer sur l’état du
pouvoir dans le monde et sur la régulation politique de la
mondialisation économique à l’aune de la méthode proposée
par l’EPI de Strange ? Nombre de chercheurs, y compris aux
États-Unis, s’en sont inspirés. Sans prétendre à une synthèse
générale de tous ces travaux, on peut mettre en évidence cinq
grandes conclusions politiques.
L’ hé g é monie de l ’ Empire amé ricain
Pendant une trentaine d’années, les spécialistes américains
ont bâti leur vision du monde sur l’hypothèse d’un déclin de
l’hégémonie américaine. Puis, après l e s événements du
11 septembre 2001, il semblait évident à tous que les États-Unis
dominaient le reste du monde. Une fois passée la première
décennie du XXI e siècle, nouveau retournement, la thèse du
déclin américain revient en force. Les signes ? Une désindustria-lisation liée à la mondialisation, une forte dépendance aux capi-
taux étrangers, un affaiblissement annoncé du rôle international
du dollar (pour une synthèse de la littérature sur ces sujets, voir
Artus et Virard [2009], Chavagneux [2008]) et la montée en puis-
sance inéluctable de la Chine [Jacques, 2009], même si les diff é-
rents auteurs n’oublient pas de souligner que l’affaiblissement
des États-Unis devrait se produire à un terme si long qu’il
semblerait que nous ne soyons pas là pour le voir…Comment éviter de changer d’avis sur le statut du pouvoir
américain à chaque fois qu’un événement important se produit
dans l’économie et la politique mondiales ? Strange propose
bien évidemment de s’appuyer sur sa méthode de diagnostic du
pouvoir structurel [1987]. Elle lui a permis de ne pas sombrer
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dans le ridicule du déclin de l’Empire américain. Sans s’en tenir
aux seules actions de politique étrangère du gouvernement
américain comme cela est fait généralement, elle s’attache àanalyser le pouvoir structurel de ce qu’elle qualifiait d’Empire
américain non territorialisé : pas un empire dirigé d’en haut et
guidé par la volonté de conquêtes territoriales mais une sociétéaméricaine et ses acteurs capables d’« exporter » leurs problèmes,
leurs débats, leurs attentes politiques et de les imposer au reste
du monde. Le gouvernement américain pense que le premier
problème mondial de sécurité est le terrorisme ? Les autres
gouvernements en font leur priorité. Microsoft invente
Windows ? Les ordinateurs du monde entier en sont équipés et
Google s’impose comme le premier moteur de recherche
mondial. Le gouvernement américain ne conquiert pas le
monde comme le faisaient les notables romains il y a deux mille
ans. Mais l’Empire américain s’étend.
Le premier grand résultat politique de l’analyse de Strange
souligne ainsi l’asymétrie croissante entre les États, au profit desÉtats-Unis, dans leur capacité à agir sur l’économie et la société,
tant au niveau international qu’à leurs diff érents niveaux natio-
naux. L’Europe para ît ainsi très loin, en l’état actuel, de pouvoir
exercer du pouvoir structurel. L’Empire américain, au sens de
Strange, domine largement les conditions de la définition des
menaces et de la sécurité pesant sur la planète, du fonctionne-
ment de la finance, de la production et du savoir mondial (voir
tableaux). À l’aune du pouvoir structurel, l’Empire chinois resteencore aujourd’hui bien loin d’exercer la même influence sur
la mondialisation contemporaine que les États-Unis, même si
l’on commence à voir appara ître des multinationales chinoises
en tête des classements.
C’est l’une des victoires intellectuelles de l’EPI de Strange que
d’avoir fait changer d’avis les plus sérieux défenseurs de la thèse
du déclin. Robert Gilpin l’a reconnu de mauvaise grâce, dans
une note de bas de page de son ouvrage de 2001 [p. 94]. Meil-leur joueur, Robert Keohane, dont le livre After Hegemony [1984]
était le fer de lance de l’école décliniste, rappellera à l’occasion
d’un article sur Strange les critiques que celle-ci lui adressait à ce
sujet pour conclure que « sur ce point, je le concède simplement,
j’aurais dû l’écouter plus tôt » [2000, p. XIII].
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Le savoir
Nombre de prix Nobel individuels (hors organisations),
toutes disciplines y compris prix de la Banque de Suède en économie,sur la période 1901-2009, cinq premiers pays(en % du total)
États-Unis 313 (38,8)
Royaume-Uni 107 (13,3)
Allemagne 81 (10)
France 54 (6,7)
Suède 30 (3,7)
Source : Fondation Nobel.
Classement des trois premières multinationales,par niveau de capitalisation boursière en mars 2009dans les secteurs d’innovations fortes
Pharmacie Télécoms
mobiles
Équipement
technologique
Informatique Finance
Johnson &Johnson
China Mobile Cisco Microsoft GoldmanSachs
Roche Vodafone Apple IBM Bank of New
York Mellon
Novartis NTT DoCoMo Intel Oracle Visa
Lé gende : sur les quinze sociétés, dix sont américaines. Roche et Novartis sont suisses, China
Mobile chinoise, Vodafone britannique et NTT japonaise.
Source : Financial Times 500.
La production
Classement des cent premières multinationales(par niveau de capitalisation boursière en mars 2009),par pays d’origine
États-Unis 40
Chine 11
Royaume-Uni 10
Allemagne 6France 6
Japon 6
Autres (15 pays) 21
Source : Financial Times 500.
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Classement des cent premières marques de multinationalespar pays d’origine, en 2009
États-Unis 50
Europe 37
Japon 7
Autres 6
Source : Interbrand.
La finance
Part des diff érentes devises dans les avoirs officiels en devises,à la fin 2009
Dollar 61,6
Euro 27,7
Livre sterling 4,3
Yen 3,2
Autres 3,2
Source : FMI.
Part des diff érentes devises dans les transactions sur les marchésdes changes (le total fait 200 car chaque échange impliquedeux monnaies), en 2007
Dollar 86,3
Euro 37
Yen 16,5
Livre sterling 14,9
Franc suisse 6,8 Autres 38,5
Source : BRI.
Par des diff érentes devises dans les actifs internationaux des banques,encours à fin juin 2009(en %)
Dollar 56,7
Euro 22,8
Livre sterling 6,4
Yen 3,4
Franc suisse 2,3
Autres 8,5
Source : BRI.
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La force militaire
Part des dépenses militaires mondiales en 2008
(en % du total mondial)
2008
États-Unis 48
Europe 20
Chine 8
Asie Est 8
Autres 16
Source : Center for Arms Control and Non-Proliferation.
La réaffirmation, sur la base de l’analyse du pouvoir struc-
turel, de la domination des États-Unis est une conclusion impor-
tante : elle revient à chercher la part de responsabilité qu’ont
les acteurs américains dans les évolutions du monde. Qu’elles
soient négatives ou positives. Chercher les voies d’une ma îtrise
politique de la mondialisation demande de s’interroger sur lepoids de l’influence américaine. Sans tomber dans une posture
de dénonciation permanente de leur hégémonie, sans croire àune américanisation du monde, mais tout en ayant la possibi-
lité de les critiquer sans être victime de l’étiquetage immédiat
dans la catégorie de l’antiaméricanisme primaire. Il est ainsi
impossible de comprendre la crise économique et financière de
2007-2010 sans s’interroger sur les évolutions de la finance
américaine. Aucun autre pays au monde n’a la possibilité dedéstabiliser la mondialisation comme peuvent le faire les déra-
pages du système financier américain. D’autres crises sont
possibles ailleurs, mais leurs conséquences sur le reste du monde
sont moindres. De la même façon, les conditions du débat
américain sur le degré de régulation de la finance ont largement
influencé les décisions prises dans le reste du monde.
Mais la critique de ceux qui ne se satisfont pas de la mondiali-
sation actuelle ne peut viser uniquement les États-Unis : leurdomination ne revient pas à dire qu’ils tirent les ficelles du
monde toujours et partout. D’autres forces sont également àl’œuvre.
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La mont é e en puissance des acteurs priv é s
Si l’Empire américain est dominant, tous les États, y compriscelui des États-Unis, ont perdu en autorité sur leur société et
leur économie au bénéfice des acteurs privés qui exercent un
pouvoir équivalent ou supérieur dans beaucoup de domaines.
Le rôle essentiel des acteurs privés dans l’écriture des règles du
jeu de la mondialisation est un résultat présent dans les travaux
de Strange dès les années 1970. D’autres ont pris la relève et il
constitue aujourd’hui l’un des secteurs les plus dynamiques en
matière de recherche [par exemple : Cutler, Haufler et Porter,
1999 ; Sassen, 2000, 2002 ; Higgott, Underhill et Bieler, 2000 ;
Josselin et Wallace, 2001 ; Hall et Bierstecker, 2002].
Dans son analyse des acteurs privés, Strange reste encore
prisonnière d’une analyse qui les ramène aux États. Ainsi
propose-t-elle dans The Retreat of the State [1996] de classer les
acteurs non étatiques en fonction de l’intensité avec laquelle ils
peuvent remettre en cause l’autorité étatique. C’est l’une des
avancées de l’EPI critique contemporaine que d’avoir commencéà progresser dans le domaine d’une meilleure compréhension du
rôle politique des acteurs privés au sens large : multinatio-
nales, ONG, mafias, cabinets de conseil, chercheurs, dias-
poras… À partir des travaux de Hall et Biersteker [2002], on a
essayé de fournir quelques pistes d’analyse du pouvoir des
acteurs privés sur la base d’une division en trois catégories :
acteurs économiques, ONG et acteurs illicites [Chavagneux,2002b]. Un découpage aux vertus heuristiques mais qui ne peut
être qu’une étape dans la compréhension fine du rôle poli-
tique des acteurs non étatiques. Quelles sont les sources de leur
pouvoir dans l’économie mondiale ?
Les acteurs économiques. — Leur influence politique passe par
six canaux institutionnels diff érents [Cutler, Haufler, Porter,
1999].Au niveau le plus faible de la coordination entre firmes, les
normes informelles sont le fruit d’habitudes, de règles non
écrites, qui s’imposent à travers l’histoire d’un secteur industriel
ou d’une activité spécifique. Ainsi, il n’existe aucun règlement
qui interdise aux petites et moyennes entreprises de se financer
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sur les marchés euro-obligataires. Néanmoins, ce compartiment
de la finance internationale a été dès le début tacitement réservéaux grosses entreprises et aux États.
La mondialisation des activités productives et financières
s’appuie sur un certain nombre d’infrastructures qui assurent des
fonctions de coordination du capitalisme dont l’existence n’est
souvent analysée qu’en rapport avec l’efficacité et la sécurité des
transactions qu’elles procurent. La façon dont elles sont
produites et dont elles fonctionnent comporte pourtant des
dimensions politiques importantes qui sont souvent des lieuxde pouvoir pour les acteurs économiques privés. Les grands
cabinets d’audit internationaux (PricewaterhouseCoopers,
KPMG, Ernst & Young, Deloitte Touche Tohmatsu et Arthur
Andersen, ce dernier ayant partiellement disparu en raison de
ses déboires liés au scandale Enron) ont ainsi été à l’origine de
l’établissement de normes comptables internationales que
l’Union européenne a adoptées et que les entreprises euro-
péennes ont dû adopter le 1er janvier 2005. Pour Michel Capronet Ève Chiapello [2005], « on peut aller jusqu’à dire que la
conception comptable internationale se pense aujourd’hui
largement dans ces cabinets, que rien ne peut s’élaborer sans
leur concours et que nulle décision ne peut s’affranchir de leur
aval ». Leurs fondements ressortent des principes de la compta-
bilité anglo-saxonne et de la place qu’ils laissent au marché dans
l’appr
éciation de la valeur comptable des actifs d
étenus par lesfirmes, une pratique qui n’est pas répandue sur le continent
européen où les actifs sont valorisés à leur coût historique (lié àla valeur à laquelle ils ont été achetés). Un choix qui permet
aux grands cabinets comptables mondialisés de minimiser leurs
coûts en proposant les mêmes services partout dans le monde.
Mais dont le prix, en termes d’instabilité, est payé par l’ensemble
du monde. La crise des subprimes a ainsi incité les États à
remettre en cause partiellement les nouvelles règles pour éviteraux banques de devoir supporter trop vite dans leurs comptes
la dépréciation des actifs financiers qu’elles détenaient. Dans un
autre domaine, les normes émises par des regroupements
d’entreprises prennent un poids de plus en plus important
dans les processus de normalisation internationale (normes
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sanitaires, techniques, etc.) par rapport aux normes publiques
nationales ou celles mêlant acteurs publics et privés au niveau
international (la norme ISO — de l’Organisation internationalede normalisation — par exemple) [Graz, 2002].
Les associations professionnelles transfrontalières consti-
tuent un autre canal d’influence des acteurs économiques
privés. Elles jouent à la fois un rôle de régulateur au sein de
secteurs spécifiques et un rôle de lobby auprès des gouverne-
ments. Au plan européen, la Business European Roundtable, par
exemple, qui regroupe quarante-cinq patrons de multinatio-
nales européennes, a été l’un des fers de lance de la construction
de l’Europe, soutenant auprès des gouvernements la nécessité de
créer rapidement un marché unique, une monnaie unique et
de procéder le plus tôt possible à un élargissement de l’Europe.
L’Unice, qui rassemble trente-trois f édérations d’employeurs
provenant de vingt-cinq pays européens, exerce un lobbying
important afin d’éviter l’accumulation de contraintes législa-
tives européennes tant environnementales que sociales.L’AmCham représente la voix des multinationales américaines
installées en Europe. Elle a réussi à décourager les velléités euro-
péennes de taxation trop forte des activités de commerce élec-
tronique [Balanya et al., 2000].
Une quatrième source d’influence passe par les partenariats
stratégiques entre entreprises. Les multinationales se trouvent
en concurrence mais également en liaison étroite dans le cadre
de coopérations qui concernent essentiellement la recherche(par exemple l’alliance IBM-Motorola-Apple pour inventer un
microprocesseur concurrent au pentium d’Intel). L’automobile,
les semi-conducteurs, l’industrie pharmaceutique et les indus-
tries de technologie de l’information en sont des exemples.
Cette observation a conduit l’économiste américain John
Dunning à soutenir que la mondialisation économique actuelle
se développe dans le cadre d’un « capitalisme d’alliance » dont
les décisions conditionnent la place des territoires dans la divi-sion internationale du travail.
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Le poids des cartels
À un niveau plus élaboré, la coordination devient cartel. C’estune source importante d’influence des acteurs économiques. Les
cartels se définissent comme des accords formels ou informels
entre des entreprises a priori concurrentes pour fixer des prix
élevés, limiter la production, empêcher la diffusion de leur
avance technologique et gérer de manière coordonnée leurs
parts de marché. La pratique appara ît ancienne puisqu’elle était
déjà dénoncée par Adam Smith dans sa Recherche sur la nature et
les causes de la richesse des nations : « Les gens du même métier
se rassemblent rarement, même pour se divertir et prendre de
la dissipation, sans que la conversation aboutisse à une conspi-
ration contre le public ou à quelque invention pour augmenter
leurs prix » [1809, livre I, chapitre 10, page 248].
Ce type d’ententes illicites existe au plan national mais égale-
ment international. Les accords comportent alors trois dimen-
sions : laisser chaque entreprise dominante sur son marché localfixer ses prix comme elle l’entend, partager les marchés d’expor-
tations vers les autres pays et organiser un « fonds de combat »au cas où certaines entreprises de l’accord se feraient prendre
par des régulateurs. L’un des cartels internationaux les plus
anciens a été constitué en 1823 entre les producteurs de rails
d’acier et n’a dû sa disparition qu’au déclenchement de la
Première Guerre mondiale. L’entre-deux-guerres a connu une
prolif ération importante des cartels. Un rapport des Nationsunies de 1947 indiquait que, durant la période 1929-1937, 42 %
du commerce mondial était sous le contrôle de cartels. D’oùl’expression de « protectionnisme privé » utilisée pour qualifier
leurs activités internationales, leurs décisions ayant des consé-
quences sur le commerce mondial aussi importantes que celles
des États.
Dans un rapport rendu public en 2000, l’OCDE souligne
combien on mésestime aujourd’hui leur rôle dans l’économiemondiale en précisant que « de telles ententes sont beaucoup
plus importantes et néfastes pour l’économie mondiale qu’on
n e le p en sa it p récédemment ». Le docum en t don n e de
nombreux exemples de cartels internationaux montrant bien
que, contrairement à l’analyse qu’en font les économistes
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libéraux, les cartels ne sont pas toujours de courte durée. Une
idée que confirme Frédéric Jenny [2003], président du groupe
de travail de l’OMC sur le commerce international et la concur-rence, qui montre également que ces ententes ont des consé-
quences bien plus fortes sur le commerce mondial que les
mesures de libéralisation définies par les États dans le cadre de
l’OMC. Tomber entre les griffes d’un cartel a des conséquences
douloureuses. Un pays qui ouvre ses frontières en espérant faire
jouer la concurrence internationale pour faire baisser les prix de
ses approvisionnements se retrouve confronté à un fournisseur
unique lui imposant des prix élevés. D’après les informations
disponibles, « l’augmentation moyenne des prix due à la collu-
sion dans les cartels internationaux est de l’ordre de 25 % à30 % », juge Frédéric Jenny. Citant une étude portant sur seize
produits cartellisés importés par les pays en développement, il
souligne que le surcoût provoqué a été de l’ordre de 20 à25 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de la moitié de
l’aide publique au développement international. Une autre tech-nique consiste à mettre en œuvre des « prix de prédation » pour
décourager les entreprises concurrentes : ainsi, le cartel du gros
équipement électrique (dans lequel on retrouvait Alsthom,
Siemens, etc.) qui a œuvré des années 1930 aux années 1980, a
systématiquement proposé des prix très bas dans tous les appels
d’offre que tentaient de remporter les entreprises brésiliennes,
non-membres du cartel. Le résultat a été la faillite de ce secteur
industriel au Brésil.Rien, dans les informations publiques fournies sur ce type
d’activité, ne permet de savoir dans quelle mesure les amendes
imposées par les régulateurs ont entamé les fonds de combat des
cartels mis au jour. Néanmoins, dans un second rapport paru en
2002, l’OCDE souligne combien les entreprises craignent d’autant
moins les sanctions dont elles pourraient être frappées que la
probabilité d’être découvertes est faible. Une enquête menée aux
États-Unis sur la période 1960-1988 situait la probabilité de détec-tion des ententes entre 13 % et 17 %, soit un cas sur six ou sept.
Pour être vraiment dissuasives et pallier les lacunes en matière de
détection, les pénalités devraient donc multiplier au moins par
six les gains estimés d’un cartel. En fait, seules les législations de
trois pays, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande (avec un coefficient
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multiplicateur de 3) et les États-Unis (coefficient multiplicateur
de 2), sont conçues en ce sens. Dans la pratique, les amendes
réclamées sont bien plus faibles. D’après les rares donnéesrecueillies par l’OCDE, les sanctions financières imposées vont de
3 % à 189 % de l’estimation des gains frauduleux. L’institution
appelle alors les pays industrialisés à accro ître considérablement
le montant des sanctions afin que la protection assurée par les
fonds de combat ne puisse plus jouer son rôle. L’Europe semble
s’engager dans cette voie avec des niveaux d’amende de plus en
plus élevés, le record en la matière étant détenu par les produc-
teurs de verres plats utilisés dans la fabrication de pare-brise qui
ont écopé, en novembre 2008, de la plus forte amende infligée
par la Commission européenne (1,4 milliard d’euros dont
896 millions pour l’entreprise française Saint-Gobain).
La loi internationale au service des int é r ê ts priv é s
La forme la plus extrême d’influence des acteurs économiquesprivés s’exprime dans leur capacité à inscrire dans le droit inter-
national public les règles destinées à servir leurs intérêts parti-
culiers [Gill, 1999 ; Underhill, 2000]. Pour le sociologue Ulrich
Beck [2004], « les firmes mettent en place un “droit privé”. Cela
vaut pour les normes techniques comme pour le droit du travail
ou celui des contrats, les procédures d’arbitrage, etc. Il se
construit une sorte de souveraineté juridique du capital, qui lui
donne une certaine indépendance à l’égard de la légitimationétatique ». Un premier exemple historique se trouve dans les
accords de Bretton Woods [Helleiner, 1994, p. 44-49]. La rédac-
tion initiale des statuts du FMI prévoyait que lorsqu’un pays
était victime de fuites de capitaux importantes, le pays qui rece-
vait ces capitaux avait l’obligation de collaborer avec les auto-
rités du pays d’origine pour mettre fin à la situation. Sous
l’influence des banquiers américains, qui avaient bénéficié des
fuites de capitaux européens dans les années 1930, cette dispo-sition a été supprimée pour donner l’article VIII-2-b actuel des
statuts de l’institution qui autorise mais n’impose pas la coopé-
ration entre États.
Susan Sell [2003] a montré comment une douzaine de diri-
geants de multinationales américaines opérant dans les secteurs
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de la pharmacie, de l’informatique et du divertissement ont écrit
ce qui deviendra les accords Trips sur la propriété intellec-
tuelle, instaurant une protection exclusive de leurs brevets surune durée de vingt ans. Jamais, historiquement, la loi interna-
tionale n’avait été aussi favorable aux multinationales (ce qui
n’empêche pas sa contestation comme l’a montré la remise en
cause du monopole sur les médicaments antisida en 2001). Ces
leaders ont d’abord convaincu les entreprises nationales de leurs
secteurs respectifs de s’associer à leur démarche. Ils ont égale-
ment su présenter leur cas au gouvernement américain : à partir
d’une expertise technique et juridique de haut niveau et sur la
base d’estimations — qui s’avéreront avoir été largement suré-
valuées — du coût du piratage sur les déficits extérieurs, au
moment où ceux-ci croissaient fortement. L’administration a
alors repris à son compte les demandes des industriels, soutenue
en cela par Edmund Pratt, alors dirigeant de l’entreprise pharma-
ceutique Pfizer (l’un des douze) et membre de la délégation offi-
cielle des États-Unis dans les négociations de l’Uruguay Round.Ils ont également su convaincre leurs concurrents étrangers de
faire pression sur leurs gouvernements afin de donner une prio-
rité à ces négociations. Au total, les multinationales américaines
ont réussi à atteindre leur objectif à partir de jeux d’influence
mélangeant autorités privées, publiques, nationales et interna-
tionales, dont les frontières apparaissent très poreuses.
L’évolution des normes internationales qui empêchent les
grandes banques de prendre trop de risques permet égalementde montrer la montée en puissance des acteurs économiques
privés. Même dans une économie de marchés financiers, les
banques continuent de jouer un rôle important : par les crédits
qu’elles distribuent aux entreprises, aux ménages et aux inves-
tisseurs, et par les risques qu’elles prennent elles-mêmes sur les
marchés financiers, soit par leurs placements, soit par leur spécu-
lation. La « politique prudentielle » organisée au niveau interna-
tional par la Banque des règlements internationaux (BRI) au seindu Comité de Bâle pour le contrôle bancaire, consiste à surveiller
à la fois les risques de crédit et les risques de marché que pren-
nent les banques.
A van t l a c ri se d es subprimes, la banque américaine
J. P. Morgan, relayée ensuite par les grands établissements
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financiers internationaux, a été à l’origine du développement
de l’« autocontrôle » comme principe prudentiel face aux risques
de marché. L’autocontrôle représente la possibilité laissée auxétablissements financiers d’utiliser des modèles statistiques
internes pour contrôler et gérer leurs risques financiers. Un
modèle interne se définit par trois composantes : une méthodo-
logie d’ensemble et des algorithmes de calcul, une organisation
des responsabilités et des procédures de contrôle, un système
d’enregistrement et de traitement des opérations. Le principe
d’une influence décisive de gros acteurs privés sur la définition
des règles de sécurité de la finance mondiale ne pose pas de
problème a priori. Elle ne devient problématique que si les règles
en question aboutissent à servir leurs intérêts au détriment de
ceux de la communauté. De fait, plusieurs études ont montréque la mise en œuvre de l’autocontrôle comporte de sérieuses
lacunes techniques, organisationnelles (Sumitomo, Daiwa,
Metallgesellschaft, Barings en sont des exemples), technolo-
giques (les établissements financiers semblent avoir réalisé desprogrès en la matière) et managériales (affrontement entre les
cellules de surveillance des risques, enclines à la prudence, et
les opérationnels, en quête de volumes d’affaires importants).
La crise des subprimes est venue confirmer que l’on ne pouvait
pas faire confiance aux banques pour se contrôler elles-mêmes.
Les régulateurs publics, regroupés dans le Senior Supervisors
Group [2008], ont ainsi mis l’accent sur la mauvaise gouver-
nance du risque au sein des grandes banques internationalescomme élément explicatif de la crise. Leurs enquêtes in situ
soulignent combien les établissements ont abandonné toute
prudence, les gestionnaires de risques étant marginalisés par les
financiers de terrain, qui ne voyaient que des opportunités de
bonus dans les produits spéculatifs qu’ils manipulaient. En
même temps, les conseils d’administration et les P-DG, dépassés
techniquement, se contentaient d’approuver des activités mal
comprises mais tirant la croissance de leurs profits. En écho, lerapport remis aux actionnaires de la banque suisse UBS et
l’enquête précise menée sur les déboires de la banque belge
Fortis [Condijts et al., 2009] viennent montrer concrètement
comment des grandes banques ont passé outre leurs propres
règles internes de contrôle des risques. D’autres études ont
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insisté sur la mobilisation du pouvoir de lobbying des acteurs
bancaires afin d’éviter toute régulation financière contraignante,
en particulier aux États-Unis [Buiter, 2008 ; Johnson, 2009 ; Iganet al., 2010].
Les ONG. — Le regroupement régulier des ONG contestant la
mondialisation libérale dans le cadre du Forum social mondial
de Porto Alegre a illustré le poids grandissant des organisations
non gouvernementales dans l’arène politique internationale.
Cela en fait-il pour autant aujourd’hui des acteurs clés de la
régulation politique de la mondialisation ? Si leur contestation
de la mondialisation libérale occupe le devant de la scène, visi-
bilité médiatique et influence politique ne peuvent être
confondues. La première se constate de manière immédiate, la
seconde demande une analyse fine et du temps pour être
estimée.
D’où l’importance de situer le rôle international des mouve-
ments sociaux dans le temps long. Le travail de Steve Charno-vitz [1997] montre que les premières mobilisations datent du
XVIIIe siècle, et que les ONG ont su prendre une place politique
essentielle dans les années 1920. Elles ont ainsi gagné leur légi-
timité historique en œuvrant, souvent de manière détermi-
nante, pour la défense des droits humains (abolition de
l’esclavage, développement des droits des femmes, des mino-
rités…). Après une période de relatif effacement, un mouve-
ment citoyen international s’est reconstitué dans les années1990 autour de diff érentes campagnes de mobilisation ciblées :
annulation de la dette des pays pauvres, réformes des institu-
tions financières, etc.
On le sait peu mais la croissance la plus importante des acti-
vités des ONG internationales s’est produite dans la fourniture
de services de base (éducation, santé) [Kaldor, Anheier et
Glasius, 2003]. Elle provient des grandes organisations mobi-
lisées par les institutions internationales comme la Banquemondiale pour se substituer ici et là à des autorités nationales ou
locales défaillantes. À côté du rôle de sous-traitant des institu-
tions interétatiques internationales, certaines ONG (Green-
peace, WWF) ont choisi de développer leurs relations avec les
multinationales, jouant le rôle de surveillants de leurs pratiques
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en matières sociales et environnementales. Un troisième type
d’intervention consiste à construire des réseaux internationaux
d’associations, avec l’idée que le renforcement des liens entreacteurs civiques à travers les frontières contribue à la cohésion
sociale internationale. C’est le rôle que s’est donné une ONG
comme Civicus qui cherche à promouvoir les pratiques démo-
cratiques partout dans le monde. La quatrième forme d’inter-
vention, la plus médiatisée mais comme on vient de le voir c’est
loin d’être la seule, repose sur l’activisme international, afin de
défier les pouvoirs économiques et politiques en place en orga-
nisant des manifestations contre tel rassemblement (le G7), telle
institution (le FMI, l’OMC…), ou pour développer le contenu
d’un programme alternatif à la mondialisation libérale. Les
Forums sociaux mondiaux, régionaux et nationaux y jouent un
rôle à côté des grands réseaux d’ONG institutionnalisées.
Ces mouvements citoyens ont déjà gagné deux batailles : en
animant le débat social et politique international elles ont
ramené beaucoup de gens vers l’action politique ; elles se sontimposées comme des interlocuteurs incontournables et sont
reconnues comme tels par les États [voir Jacquet, Pisani-Ferry
et Tubiana, 2002] et les firmes. Néanmoins, l’influence poli-
tique de ces mouvements sociaux, reste aujourd’hui limitée
[Pouligny, 2001 ; Cohen, 2003]. D’après O’Brien et al. [2000],
les ONG n’ont par exemple pas réussi à modifier la substance
des politiques suivies par les institutions internationales qu’elles
contestent, en dépit du fait qu’elles ont joué un rôle certain dansle choix des institutions de Bretton Woods de procéder, même àreculons, à l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus
pauvres.
Les acteurs illicites. — Les bandits faisaient partie des sujets de
prédilection de Strange [1996, p. 110-121 ; 1998a, p. 123-138].
Voici un domaine d’étude sur lequel les économistes restent
sans voix, prisonniers de leurs grands ancêtres tel Jean-BaptisteSay pour qui l’économiste n’étudie « les phénomènes que sous
le point de vue qui peut jeter du jour sur sa science. Dans un
gain frauduleux, il verra un déplacement de richesse lorsque le
moraliste y condamnera une injustice » [1840, p. 6], ou Léon
Walras indiquant « qu’une substance soit recherchée par un
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médecin pour guérir un malade, ou par un assassin pour empoi-
sonner sa famille, c’est une question très importante à d’autres
points de vue, mais tout à fait indiff érente au nôtre » [1874,p. 43]. Pourtant, la mondialisation du crime économique s’est,
de l’avis de tous les experts, largement accrue. D’abord parce
que, ne constituant pas un monde à part, le crime économique
transnational s’inscrit dans les réseaux licites de circulation des
marchandises et des capitaux. La mondialisation économique
progressant, les réseaux criminels en ont profité, sans qu’il soit
possible de dire s’ils l’ont fait plus vite que le reste de la mondia-
lisation ou non.
Que peut-on en conclure quant au pouvoir des mafias dans
l’économie mondiale ? Pour Strange, l’accroissement des
ressources financières des acteurs illicites et les liens qui les unis-
sent à travers le monde en font une source de pouvoir remet-
tant en cause l’influence des États. S’appuyant sur une lecture
fine des écrits de Strange sur le sujet, H. Richard Friman [2001] a
montré combien elle surestimait cette menace à partir de deuxcritiques principales. Strange étudie les groupes criminels en les
posant comme des unités semblables du point de vue du fonc-
tionnement, accordant insuffisamment d’attention à leurs diff é-
rences, largement analysées par Friman. Il n’y a donc pas un
groupe mafieux puissant mais diff érentes mafias dont la coordi-
nation n’est pas évidente. Tout en soulignant que la mesure de
la menace mafieuse ne peut être que subjective, Strange repre-
nait à son compte sans perspective critique la réalité de lamenace telle qu’elle est décrite par les organismes internatio-
naux de police et de contrôle. Or nombre de recherches ont
montré la fragilité de leurs discours, de leurs estimations et de
la construction même du crime sur laquelle ils s’appuient
[ L’Économie politique, 2002 ; Naylor, 2002]. Longtemps consi-
dérées comme un monde à part, une déviance par rapport à une
économie pure et honnête, les activités économiques criminelles
sont désormais prises au sérieux par les travaux de sciencessociales pour montrer que les États, les grands acteurs privés et
les mafieux évoluent dans un même espace politique. Les
Japonais ont même un mot, ankoku jidai (quartiers clan-
destins), pour désigner ces lieux où tous ces acteurs se rencon-
trent. Friman [2009] prend bien soin de souligner combien
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l’étude de la place des activités mafieuses ne peut s’arrêter aux
estimations de « produit criminel brut » mondial et autres
fadaises. Les estimations dont on dispose à cet égard sont soitfarfelues, soit le résultat des diff érents acteurs (police, organisa-
tions internationales, etc.) qui ont tout intérêt à gonfler le
problème. La vérité est que personne n’a la moindre idée des
montants en jeu. Ce qui n’empêche pas la production de
recherches précises mettant en évidence les mécanismes par
lesquels les frontières entre milieux criminels et milieux poli-
tiques deviennent poreuses et s’inscrivent dans des trajectoires
de long terme mêlant le légal et l’illégal, le national et l’interna-
tional, le violent et le respectable [Briquet et Favarel-Garrigues,
2009].
La principale menace criminelle est celle de la criminalité en
col blanc, celle des actions illicites des entreprises légitimes (type
Enron), celle de la fraude fiscale (qui prive les États de leur possi-
bilité d’action). Les banquiers, en privé, le reconnaissent :l’argent des trafics mondiaux qui passe par leurs tuyaux est bien
plus faible que celui de la fraude fiscale et des détournements
de déréglementations en tout genre. Strange partageait ce point
de vue : après quelques générations, les descendants de mafieux
rejoignent la bonne société et vivent de ressources légales. Le
principal problème politique est celui des paradis fiscaux et des
comportements frauduleux des entreprises qu’ils permettent,
privant les États de leurs ressources tout en favorisant la dissimu-lation de l’argent de la corruption des fonctionnaires et des
hommes politiques. Des conclusions auxquelles les travaux de
Strange menaient dès les années 1990, avant les scandales de
type Enron et avant que les paradis fiscaux n’entrent dans
l’agenda politique international à partir de 2009.
Au total, trois conclusions provisoires ressortent de l’étude du
rôle des acteurs privés :
— il n’y a pas de modèle institutionnel unique qui permettede rendre compte de la diversité de leur influence ;
— les diff érentes recherches conduisent à souligner la
difficulté à distinguer parfaitement espace privé et espace public
de décision, entre le licite de l’illicite, entre le national et
l’international, toutes ces frontières traditionnelles paraissant
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extrêmement poreuses. Toutes les entreprises ne sont pas
mafieuses, toutes les ONG ne sont pas inf éodées aux États, etc.
Ce constat indique seulement qu’il est difficile de raisonner surles sources de production des normes internationales à partir
d’une distinction entre espace public et espace privé, les deux
s’enchevêtrant, tout en flirtant quelquefois avec le « marché de
l’immoralité » analysé par Jean de Maillard [2001] ;
— ce caractère hybride de la gouvernance de la mondialisa-
tion économique contemporaine présente quelques ressem-
blances avec des périodes historiques précédentes et semble bien
être la norme tout au long de l’histoire plutôt qu’une exception
de notre période contemporaine.
Des zones de non-gouvernance
L’économie mondiale voit se développer des zones de non-
régulation (ungovernance), points de fragilité du système, où les
acteurs étatiques et non étatiques en présence ne peuventassurer la ma îtrise des événements. Soit qu’ils s’y refusent, soit
qu’ils en sont incapables. La finance mondiale est pour Strange
une telle zone de non-régulation. D’où ses récriminations àl’encontre des spécialistes de relations internationales de ne pas
s’en préoccuper assez.
De fait, comme le souligne Ronen Palan [2009], si les diff é-
rentes approches d’EPI doivent être jugées à l’aune des
problèmes concrets de fonctionnement du capitalisme contem-porain qu’elles ont pointés du doigt, l’insistance de Strange àanalyser et dénoncer le développement d’une finance interna-
tionale opaque aux risques mal ma îtrisés confirme l’efficacité de
sa méthode. Pendant que les chercheurs américains organi-
saient force débats sur les régimes, la stabilité hégémonique et la
nécessité ou pas de recourir à la théorie des jeux, Strange publiait
Casino Capitalism en 1986 et Mad Money en 1998 et « pratique-
ment tout ce qu’elle a écrit dans ces deux livres prophétiquess’applique à la crise que nous vivons aujourd’hui » [Palan, 2009,
p. 387]. Et Palan de lister le vaste ensemble de travaux issus de
l’EPI britannique s’inscrivant dans cette veine analytique des
dysfonctionnements de la finance internationale. Parmi les
sujets financiers pointés par Strange figurent d’ailleurs les
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paradis fiscaux, dont elle avait repéré le rôle important de
manière prémonitoire, bien avant les réunions du G20 de 2009,
suscitant des travaux [Chavagneux et Palan, 2010 ; Palan,Murphy et Chavagneux, 2010] sur un sujet que l’EPI américaine
n’a toujours pas pris en considération.
Cohen [2009b] avance deux arguments pour expliquer pour-
quoi l’EPI américaine est passée complètement à côté du sujet
de l’instabilité financière. Le premier tient au sentiment d’une
bonne résistance du système financier international aux diff é-
rentes crises qui l’ont affecté depuis les années 1970 et àl’a bsen ce de dérapages importants depuis le début des
années 2000. En oubliant que, des fluctuations erratiques des
taux de change à la crise asiatique de 1997-1998 en passant par
la quasi-faillite du fonds spéculatif américain LTCM en 1998,
ce sont à chaque fois des croissances en berne et des emplois
perdus. Même si la finance avait résisté, les coûts économiques
et sociaux de ses dérapages auraient mérité que l’on s’y intéresse.
De plus, on aurait pu attendre des chercheurs américains qu’ilsaillent au-delà des apparences pour étudier le fonctionnement
d’un système où les prises de risque excessives, pour être dissi-
mulées, étaient légion.
Le second argument est de méthode. L’EPI américaine s’inté-
resse à des problèmes étroits et quantifiables. Elle suppose un
cadre général donné et stable, sans s’interroger sur son fonction-
nement. En voulant bâtir des modèles testables avec des
données, elle « marginalise automatiquement les questionslarges qui ne peuvent être réduites à un ensemble gérable de
régressions statistiques ».
On pourrait également ajouter que, comme la théorie écono-
mique dominante, l’EPI américaine entretient une croyance
profonde dans la capacité des marchés à s’autodiscipliner dont
la crise de 2007-2010 a montré l’inanité.
Si ma îtriser la mondialisation demande de repérer ces zonesde non-gouvernance qui sont autant de points de fracture
possibles du système international, alors l’EPI britannique a
nettement montré sa supériorité en ce domaine.
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Pas de complot mondial
L’analyse du jeu politique des acteurs capables d’influencerles règles du jeu de la mondialisation ne doit pas conduire àpenser que l’expression du pouvoir dans l’économie politique
mondiale résulte toujours de l’expression de stratégies de domi-
nation rationnellement définies. James Ferguson [1994] l’a
montré par exemple dans l’analyse de l’influence de la Banque
mondiale au Lesotho, en expliquant comment l’institution
cherche à effacer toute considération politique de ses interven-
tions pour les présenter comme purement techniques. Elle
devient une antipolitics machine, une machine à effacer la poli-
tique qui, en ne cherchant pas à comprendre en quoi ses inter-
ventions ont aussi des dimensions en ce domaine, s’engage dans
des actions qui peuvent se révéler politiquement coûteuses, sans
qu’un plan ait été établi en ce sens à Washington. Dans le même
ordre d’idée, on a pu montrer dans le cas du Ghana combien
les interventions du FMI ont pu fragiliser à un moment donnéles débuts du retour à la démocratie, sans que cela résulte de la
volonté politique de l’institution [Chavagneux, 1997].
À un niveau plus important pour la compréhension de la
mondialisation contemporaine, Ronen Palan [2003a ; Palan,
Murphy et Chavagneux, 2010] montre à partir d’une approche
politique et historique, mêlant construction de la souverainetéet transformations du capitalisme, comment les caractéris-
tiques contemporaines des centres financiers offshore ont étéconstruites progressivement, un peu au hasard de décisions
prises dans diff érents pays. Le début du livre montre le peu de
réflexion sur le sujet en provenance des économistes (soit ils ne
s’y intéressent pas du tout, soit ils soulignent qu’ils sont la
conséquence « naturelle » de la montée des prélèvements obli-
gatoires liée à l’État-providence) et des spécialistes de relations
internationales (qui les considèrent comme des États au rabais et
donc peu dignes d’intérêt). Combinant alors économie, sciencepolitique et histoire longue dans un exercice exemplaire d’EPI àla Strange, Palan montre que le principe d’offrir un havre fiscal
aux entreprises, pour les attirer, semble se généraliser à partir des
années 1880 dans les États américains du New Jersey et du Dela-
ware, alors en quête de financements. En 1929, les tribunaux
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britanniques vont plus loin en inventant l’un des principes clés
de fonctionnement des paradis fiscaux : la résidence fictive,
c’est-à-dire la capacité pour une entreprise de mener ses affairesdans un pays tout en étant enregistrée fiscalement dans un
autre. La Suisse développe dans le même temps l’équivalent des
sociétés écrans et formalise le secret bancaire dans sa loi de 1934.
Le tout donne les caractéristiques actuelles des centres offshore
dont on voit qu’elles se sont développées dans diff érents lieux,
sous l’impulsion multiple des États, des firmes, des juges…Est-ce un hasard si toutes ces mesures sont nées à peu près
en même temps ? Pas du tout, nous dit Palan. On l’oublie trop
souvent mais la séparation nette du monde en États nations ne
s’est véritablement imposée qu’au XIXe siècle. Ce n’est qu’à ce
moment-là que les gouvernements ont édicté les lois leur
permettant de définir leur territoire, de contrôler leur popula-
tion, de se poser en « individus » distincts des uns des autres
sur la scène mondiale. Or la fin du XIXe siècle est aussi marquée
par le développement d’une forte mondialisation économique,notamment par la liberté donnée aux capitaux de circuler libre-
ment. Les investisseurs sont alors confrontés au problème de la
compatibilité des diff érentes législations nationales et à leur
respect mutuel. Les gouvernements y apportent plusieurs
réponses, par la prolif ération de traités de libre-échange et par
le droit donné aux entreprises de régler entre elles leurs litiges.
Mais la seule solution assurant la compatibilité entre leur souve-
raineté récemment acquise et la mobilité internationale descapitaux a consisté à créer une fiction juridique, celle de
l’ubiquité des investisseurs, enregistrés légalement, ici pour
produire, là pour payer des impôts et encore ailleurs pour gérer
leurs comptes en banque.
Un principe qui respectait les souverainetés au détriment des
capacités de régulation des États. Multinationales, banquiers,
chefs d’État corrompus, mafieux et milliardaires apprendront
vite à tirer avantage de cette fiction juridique en s’organisantdiff érentes existences légales en fonction de leurs besoins. La
mondialisation n’est rien d’autre, conclut Palan, que cet enche-
vêtrement de deux mondes économique et politique, réels et
fictifs dont l’état actuel n’est le résultat de la stratégie délibérée
de personne.
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Une vision pessimiste mais qui reste motiv é e par la critique
de l ’ ordre é tabli
Confrontée au constat de la puissance des États-Unis, Strange
a d’abord pensé que la dénonciation des travers des décisions,
ou des non-décisions, américaines permettrait d’ouvrir un débat
politique, notamment avec ses principaux collègues d’outre-
Atlantique, proches des réseaux de pouvoir. Puis, face au main-
tien de la thèse du déclin, qui avait l’avantage de refuser aux
États-Unis toute responsabilité internationale, elle a suggéré une
alliance possible entre l’Union européenne et le Japon afin
qu’ensemble ils puissent exercer une pression sur les États-Unis
[1995b].
Elle devient ensuite plus pessimiste. Il n’est plus l’heure, dit-
elle, de simplement constater le désordre mondial. Il faut
désormais s’inquiéter de la viabilité d’un système mondial pris
dans un ensemble d’autorités diffuses, multiples, où les lieux
sans règle progressent. C’est un monde où le contrôle démocra-tique s’affaiblit et où les acteurs économiques privés dévelop-
pent une puissance qui manque de contre-pouvoirs à même de
les ma îtriser. L’objectif est clair, il s’agit de recréer des lieux
d’autorité démocratique dans le système international.
Quelles forces sociales pourraient engager ce mouvement ?
Dans un renversement total de perspective par rapport à son
analyse globale, Strange finit The Retreat of the State en
renvoyant l’avenir de la régulation du pouvoir mondial auxchoix de chaque individu, confronté au « problème de Pinoc-
chio » : une fois détaché de ses fils (ceux de l’État), la marion-
nette a dû choisir par elle-même quelle autorité respecter et
laquelle combattre. Confronté à un monde d’autorités multiples
en conflit, il appartient à chacun d’exercer ses propres choix.
Dans son dernier article, publié de manière posthume en
1999, Strange renonce à faire confiance aux États pour régler
les trois principaux problèmes du monde qui sont la montéedes inégalités mondiales, l’instabilité financière et la dégrada-
tion de l’environnement. La gestion de la planète par le système
international des États a été à ses yeux un échec total. « Ceux
d’entre nous préoccupés par l’étude de l’international devraient
désormais consacrer leurs réflexions et leurs efforts futurs à la
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manière dont il pourrait être changé ou remplacé » [1999,
p. 345].
C’est clairement l’objectif des chercheurs qui s’inspirent dece genre d’EPI critique de l’ordre établi. Ils s’appuient sur deux
principes [Murphy et Tooze, 1991 ; Amin et Palan, 1996 ;
Amoore et al., 2000 ; Amin et Palan, 2001, Langley, 2002 ; Palan,
2009] que partage l’autre EPI hétérodoxe présentée au chapitre
suivant. Le premier est le refus d’une approche positiviste au
profit de la reconnaissance de la subjectivité des sciences
sociales. Les croyances, les valeurs font partie intégrante de la
dynamique du pouvoir de l’économie politique mondiale et
doivent être analysées en tant que telles. Ainsi, au-delà de la
mise en évidence nécessaire de ses propres valeurs et des valeurs
privilégiées par son époque, l’EPI critique souhaite intégrer
l’étude des processus de production du savoir et des enjeux de
pouvoir qui les accompagnent, considérés comme l’un des
déterminants de la compréhension du monde actuel. De même,
une analyse du pouvoir doit tenir compte des comportementsqui trouvent leur source dans les émotions, les normes sociales
et culturelles, la nature de la période historique, les hasards,
l’intersubjectivité des relations.
Le second repose sur la nécessité d’« historiciser » les analyses
en réponse à l’individualisme méthodologique de l’EPI améri-
caine. Plutôt que le résultat des actions rationnelles d’acteurs
considérés comme des individus, l’EPI critique met l’accent sur
les explications qui cherchent à révéler la contingence socio-historique dans laquelle ces acteurs agissent. Les approches
traditionnelles d’économie ou de science politique ont tendance
à considérer que le temps long de l’histoire représente une sorte
de laboratoire qui permet de vérifier des lois générales valables
de manière universelle. Les approches d’EPI hétérodoxes voient
au contraire le présent et les théories qui veulent l’expliquer
comme un ensemble de pratiques sociales situé dans le temps et
l’espace. L’analyse peut permettre de mettre au jour des inva-riants, des éléments que l’on retrouve dans le temps long, par
exemple l’hégémonie, la mondialisation ou la révolution, mais
ces invariants prennent des formes diff érentes selon les époques
et leur spécificité historique doit être explicitée. L’intérêt d’une
approche historicisée est de souligner que les innovations
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sociales sont négociées dans un moment historique qui leur
donne sens. Elles dépendent donc de l’état des lieux technolo-
giques, des savoirs, des représentations de l’époque. Le change-ment qu’elles introduisent dépend d’une trajectoire historique
donnée ( path dependent ). Et comme il est le résultat de négocia-
tions, il peut être contesté. Il n’est ni « naturel » ni incontrô-
lable et sa gestion est au cœur des enjeux politiques de la
mondialisation.
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III / La mondialisation
des classes dominantes
Au moment où l’école américaine prend son essor avec la
théorie des régimes, une autre approche d’économie politique
internationale se développe au Canada sous l’impulsion initiale
de Robert Cox. Elle met l’accent sur le rôle des classes sociales
dominantes comme organisatrices de la mondialisation. Sesdéfenseurs la considèrent comme le résultat d’une dynamique
de changements sociaux qu’ils proposent d’expliquer par une
analyse du pouvoir, dans les sociétés nationales et dans le
monde, à partir de l’étude des relations entre le système
productif et l’État. Les classes sociales y jouent un rôle prépon-
dérant, notamment parce qu’elles s’internationalisent. Pour
bien comprendre cette vision du monde, il faut donc d’abord
analyser les espaces politiques nationaux et le rôle qu’y jouent
les classes sociales. Comme Strange, l’approche élaborée par
Robert Cox est une théorie critique pour qui l’ordre du monde
actuel n’est pas satisfaisant. Son objectif est politique et claire-
ment revendiqué comme tel : donner à mieux comprendre le
monde pour pouvoir le changer. Pourtant, on le verra à la
présentation ci-dessous, les recherches issues de cette approche
s’éloignent assez largement de celles provenant de l’EPI britan-nique. On ne peut donc qu’être surpris, et au-delà, de voir un
auteur comme Benjamin J. Cohen [2008] regrouper tout ce qui
n’est pas américain dans une seule « école britannique ». Les
diff érences de méthode, d’analyse et même de style sont là pour
confirmer la discontinuité.
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L’une des difficultés pour comprendre les travaux de cette
troisième approche provient de l’utilisation extensive de
concepts relativement complexes. Ce qui rend le discoursquelque peu hermétique pour le non-spécialiste, confronté à la
définition de cette lecture du monde comme « une forme spéci-
fique d’historicisme non structuraliste qui se pose en contraste
des structuralismes abstraits »… S’y ajoute le fait que chaque
auteur ne donne pas toujours tout à fait le même sens aux
mêmes mots, quand ne priment pas des conflits d’interpréta-
tion sur la signification exacte à donner à telle ou telle idée ou
intuition issue des emprunts effectués aux diverses traditions
intellectuelles inspirées du marxisme. On s’y interroge aussi
beaucoup pour savoir si tel ou tel auteur est plus ou moins
proche de telle école de pensée.
Trancher ces querelles n’est pas dans notre propos. On
essaiera plus modestement de présenter les outils et les résultats
analytiques proposés par cette vision du monde. Elle en vaut la
peine : elle comporte maintes analyses originales qui ont permisà certains de ses auteurs, entre autres choses, de s’intéresser de
près aux mouvements de contestation de la mondialisation libé-
rale avant qu’ils ne connaissent un certain succès médiatique.
Le triptyque de base : production, État, ordre mondial
Première étape de l’analyse, les relations entre le systèmeproductif, l’État et l’ordre mondial [Cox, 1987, 1996].
La production
La façon dont l’économie produit des biens constitue le
premier niveau. Les processus de production sont présentés
comme indissociables des relations sociales de production.
Celles-ci sont organisées autour de trois dimensions qui intera-gissent les unes sur les autres.
Il y a d’abord le contexte social de la production. Il détermine
le type de biens produits à un moment donné. Cela dépend des
besoins valorisés à tel ou tel moment par la société : veut-on des
voitures rapides ou écologiques, etc. Cela dépend aussi de la
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Les origines de l’approche
Le philosophe italien Antonio Gramsci
a tr ès peu écrit sur les relations interna-
tionales. Néanmoins, Robert Cox en a
repris l’idée que les changements dans
l’ordre mondial trouvent leur origine
dans les changements au sein des rela-
tions sociales nationales. Également
repris de Gramsci, l’idée qu’il n’ y a pas
de séparation entre l’État et la société
civile : le premier soutient la hiérar-chie des rapports sociaux issue de la
seconde qui le cr ée. Une hiérarchie
prenant la forme d’une hégémonie
dont le fonctionnement repose sur sa
capacité à cr éer les conditions de
son consentement plutôt que sur
l’exercice d’une domination par la
contrainte. De par ces diff érents
emprunts, cette approche est souventbaptisée de « néogramscienne ». Mais
elle est loin de se r ésumer aux intui-
tions de Gramsci.
D’un autre intellectuel italien,
Giambattista Vico, un napolitain du
XVIIIe siècle, est reprise l’idée que les
institutions changent toujours de
f o r m e e t q u e l’u n d e s b u t s d e
l’analyse des sociétés doit être de
repérer ces changements, qui r ésul-tent des modifications des rapports
de forces entre les classes sociales. De
Vico, vient également le principe
selon lequel il n’existe pas de théorie
universelle capable d’expliquer les
changements du monde : les outils
d’analyse doivent être « historicisés »,c’est-à-dire adaptés à la période qu’ilssouhaitent expliquer.
De Karl Marx proviennent le souci
d’adopter une approche dialectique
et de concentrer l’attention sur le
monde de la production comme
s ou rc e d’explication prioritaire
du complexe État/économie/ordre
mondial et comme lieu déterminant
de l’exercice du pouvoir.Enfin, les travaux du philosophe
franco-grec Nicos Poulantzas ont
inspir é les recherches sur la forma-
tion de classes sociales transnatio-
nales et leur rapport à l’État.
L’intér êt pour le r ôle des idées et
leur lien aux conditions matérielles
place les auteurs de cette approche
dans la perspective du « matérialismehistorique », et comme ils le font
dans un cadre d’analyse touchant àl’ international, on peut baptiser
l’approche « matérialisme historique
transnational », une dénomination
qu’ils revendiquent aujourd’hui.
(Pour une introduction à ces diff é-
rentes origines, on pourra se r é f érer
à l’excellente pr ésentation de Henk
Overbeek [2000]. Gill [2002] et Cox[2002] reviennent sur leur formation
intellectuelle et expliquent en détail
les filiations de leur approche.)
façon de les produire, dans le cadre de relations hiérarchiques
entre les entreprises et leurs sous-traitants.
La seconde dimension touche à la structure d’autorité interneau sein de chaque entreprise : elle émane de la hiérarchie des
pouvoirs entre les actionnaires, les managers, les syndicats… La
troisième caractéristique est liée aux modes de répartition des
gains liés à la production : ils tiennent à la fois à la façon dont tel
ou tel apport des facteurs de production est valorisé (la
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répartition salaires-profits) et, corrélativement, aux luttes
sociales entre les diff érents groupes qui participent aux
processus de production.Les relations sociales de production sont donc, par défini-
tion, hiérarchisées. Elles s’inscrivent, en particulier, dans la
domination d’une classe sociale sur les autres. C’est alors la
conscience d’appartenir à cette classe dominante qui fait le lien
entre les relations sociales de production et l’État. Car les forces
sociales qui dominent le monde économique de la production
sont celles qui sont à la base du pouvoir des États, et celles qui
contribueront à façonner l’ordre mondial. Les relations sociales
de production représentent ainsi un élément clé d’explication
du monde.
L’É tat
La fonction de l’État est de fournir le cadre légal et institu-
tionnel des relations économiques dont le contenu est défini parla classe dominante. Dans les États « faibles », les capacités régu-
latrices de l’État sont capturées au profit des intérêts particuliers
de ceux qui le tiennent entre leurs mains. Dans les États « forts »,
l’État sert les intérêts généraux de l’ensemble des dominants.
La domination des plus forts, qui les place aux commandes
de l’État, leur donne une position qualifiée d’« hégémonique »dans la société. La notion d’hégémonie joue, comme dans
l’approche américaine, un rôle important. Mais la significationen est diff érente. Là où ces derniers y voient toujours l’expres-
sion d’une contrainte exercée par la domination, pour les relec-
teurs de Gramsci l’hégémonie de la classe dominante ne peut
exister qu’en s’appuyant sur la capacité de l’État à créer les
conditions de son consentement, en la rendant acceptable, voire
profitable, à tous. Certes, la force n’est pas totalement absente
de l’exercice de l’hégémonie car elle peut toujours être utilisée
en dernier recours pour faire taire les récalcitrants. Mais la carac-téristique première reste le consentement, atteint grâce au
leadership moral exercé par la classe dominante et à sa supré-
matie idéologique, qui permet de faire passer pour l’état
« naturel » du monde ce qui correspond en fait à la promotion
de ses propres intérêts. On retrouve là le rôle des « intellectuels
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organiques », tel que l’avait conceptualisé Gramsci, au service
de la diffusion d’une idéologie consensuelle qui cherche à carac-
tériser le discours dominant comme universel afin de lui faireperdre son caractère de soutien à l’ordre établi. Chaque période
conna ît ainsi ses essayistes à succès dont le principal discours
consiste à faire comprendre et accepter l’ordre des choses.
L’ ordre mondial
La position de chaque État dans le champ des relations inter-
nationales dépend plus de la façon dont il s’est formé au niveau
national et de la façon dont il s’intègre dans le champ interna-
tional. Celui-ci a des caractéristiques propres qui dépendent à la
fois des modes existants de résolution des conflits et des condi-
tions de la création et de la répartition de la richesse à l’échelle
mondiale.
La façon dont tout cela se combine dépend à son tour de
l’existence ou non d’un pouvoir hégémonique à l’échelle dumonde. L’hégémonie internationale est le fruit d’un État domi-
nant qui, comme dans le cadre national, crée les conditions de
la stabilité du système international en assurant par l’idéologie
le consentement des autres États, et donc, des diff érentes classes
sociales partout dans le monde.
Les classes sociales qui dominent les relations de production
dans le pays hégémonique exercent ainsi le pouvoir le plus fort
au niveau mondial. L’hégémonie est ici, non pas en priorité unerelation entre États mais une forme de pouvoir de classe. De
manière dialectique, les conditions qui règnent dans l’ordre
international influencent à leur tour la nature des États natio-
naux en fonction du niveau de sécurité dont ils peuvent béné-
ficier et de leur degré d’adhésion au modèle dominant diffusépar le pays leader.
L’ordre mondial néolibéral : de 1945 à nos jours…
Sur cette base, l’analyse se poursuit en précisant que chacun
des trois éléments (les forces sociales, l’État, l’ordre mondial)
peut être représenté schématiquement comme le résultat de
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l’interaction de trois forces : les capacités matérielles, les idées et
les institutions.
Les capacités matérielles rassemblent tout ce qui est dispo-nible pour nourrir une dynamique de production : les ressources
naturelles, technologiques, les biens d’équipement et le capital
financier. Les idées correspondent à la représentation domi-
nante du monde à un moment donné. C’est le mélange de deux
choses : les représentations subjectives que nous avons du
monde, qui définissent à nos yeux les degrés de liberté et de
contrainte existants (les acteurs les plus importants sont aux
États-Unis, l’économie est complètement mondialisée…) et les
images collectives de l’ordre social tel qu’il est perçu par les diff é-
rents groupes sociaux. Alors que les représentations subjectives
sont généralement communes à l’ensemble des personnes d’une
époque donnée, les images collectives sont diverses et s’oppo-
sent car chacun de nous ne reconna ît pas le même niveau
d’autorité aux États, aux multinationales, etc. Les institutions
correspondent aux lieux qui cristallisent des relations depouvoir particulières et s’en font l’écho par la promotion
d’images collectives tendant à les faire accepter (le FMI oblige
les pays du Sud à ouvrir leurs frontières et présente le libéra-
lisme comme une stratégie de développement, l’OMC fait passer
les questions sanitaires ou environnementales après les intérêts
commerciaux au nom de l’efficacité…).
Capacités matérielles, idées et institutions interagissent de
manière non déterministe pour créer la « structure historique »dans laquelle s’inscrivent forces sociales, États et ordres
mondiaux. Quand on peut repérer une période de relative stabi-
lité de l’ensemble de ces interrelations, on a affaire à un « bloc
historique ». Robert Cox en a répertorié trois qui correspon-
dent à l’émergence de l’économie libérale (1789-1873), à la
période des impérialismes rivaux (1873-1945), pour finir sur le
monde actuel, celui de l’ordre mondial néolibéral, né en 1945.
Il se caractérise par une internationalisation de la production,une internationalisation de l’État et un ordre mondial hégémo-
nique, présenté comme en crise. C’est l’étape finale de l’analyse.
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L’ internationalisation de la production
On aurait pu s’attendre à ce qu’une approche donnant tantde place aux relations sociales de production conduise à une
analyse originale de la mondialisation de l’activité des entre-
prises. De ce point de vue, on est un peu déçu. L’analyse de
l’internationalisation de la production proposée revient à ce que
les économistes ont qualifié de passage d’une intégration écono-
mique « relationnelle » à une intégration « structurelle ». La
première s’organise autour du commerce entre pays, les
échanges inter-nationaux. Dans la seconde, le commerce intra-firmes (les relations entre filiales et maisons mères) joue un rôle
important dans le cadre d’une cha îne de valeur ajoutée orga-
nisée de plus en plus mondialement, plaçant chaque segment
de la production et de son financement dans le pays permettant
d’en minimiser le coût. Le coût de production est ici pris dans
son sens le plus large, intégrant aussi bien celui des matières
premières, que ceux du travail, des biens d’équipement et des
externalités négatives (comme la pollution). La sensibilité aux
évolutions du monde du travail conduit à préciser que l’un des
effets de cette internationalisation de la production a été de
renforcer les privilèges relatifs des employés des grandes entre-
prises de services tandis que les ouvriers liés à la production
voyaient leur pouvoir de négociation diminuer du fait de la
délocalisation vers les pays du sud des segments de production à
faible valeur ajoutée et à fort contenu en emplois non qualifiés.
L’ internationalisation de l ’É tat
L’internationalisation de l’État représente la contrepartie dans
les institutions politiques de l’internationalisation de la produc-
tion dans le domaine économique. C’est un processus qui
comporte deux dimensions. D’une part, il correspond à la façon
dont les élites politiques des grands pays industrialisés et desinstitutions internationales construisent ensemble le consensus
idéologique touchant à la représentation de la mondialisation
qu’ils s’imposent et qu’ils imposent au reste du monde, de
réunion du G7 en assemblées annuelles du FMI et de la Banque
mondiale. Ce consensus est aujourd’hui inspiré par un
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libéralisme économique mâtiné d’institutions. Il s’établit de
manière hiérarchisée puisque les États des pays les plus puissants
en sont à l’origine. D’autre part, c’est la façon dont certainesparties des appareils d’État, en particulier les ministères des
Finances, les banques centrales, les cabinets de Premiers mini-
stres ou de présidents, organisent l’adaptation des politiques
nationales aux exigences de l’économie mondiale définies par
ce consensus — par exemple la façon dont les gouvernements
français et japonais ont adopté les principes de libéralisation de
leur marché des capitaux dans les années 1980 p our se
conformer aux standards anglo-saxons en vigueur.
L’internationalisation des États sert donc à expliquer le rôle
que jouent ces derniers dans le soutien à l’ordre mondial exis-
tant. Loin de constituer des « régimes », ils sont engagés dans
une dynamique portée par les groupes sociaux dominants et la
machinerie administrative des parties de l’appareil d’État qui
s’internationalisent (et en retirent de ce fait une influence locale
plus grande) (pour une analyse de ce phénomène dans les paysen développement, voir Robinson [2010]). Ils le font de manière
hiérarchisée, l’hégémonie américaine jouant le rôle de leader
dans ce processus.
La projection de l ’ hé g é monie amé ricaine
Sans surprise, l’hégémonie des États-Unis est comprise dans
l’analyse des rapports sociaux au sein de la société américaine.Les classes sociales sont bien le cha înon qui permet d’expli-
quer les liens entre production et État, aussi bien au niveau
international que national. Comment s’explique alors la
mondialisation de l’économie ? Les groupes dominants assu-
rant le leadership interne aux États-Unis se sentent assez forts
pour projeter leur domination à l’échelle mondiale et contribuer
à la création d’une classe sociale dominante internationalisée.
Une classe transnationale managériale, disposant d’uneconscience de classe, se constitue, regroupant les élites écono-
miques, politiques, financières des principaux pays (le Forum de
Davos en est l’un des symboles). Cette classe dominante trans-
nationale regroupe quelques milliers de personnes : P-DG de
multinationales, élites politiques et hauts fonctionnaires des
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pays les plus importants élites intellectuelles et culturelles,
médias, grandes fondations, think tanks, etc.
L’hégémonie mondiale trouve donc d’abord son origine dansl’expansion d’une hégémonie sociale locale. Les institutions
économiques et sociales, la culture, la technologie qui lui sont
associées deviennent des modèles pour les classes hégémoniques
des autres pays qui servent de passeurs pour leur adaptation aux
conditions locales des diff érentes sociétés. Ces alliances de classe
font l’objet d’une attention analytique particulière. Kees Van der
Pijl a ainsi étudié de manière spécifique la constitution, à partir
des années 1930, de ce qu’il appelle la « classe dominante atlan-
tique », alliance des capitalistes européens et américains pour
mettre en œuvre un ordre international libéral, poursuite d’un
mouvement de plus long terme présent dès les origines du capi-
talisme [1985, 1997, 1998]. Une approche fondée sur les travaux
de Nicos Poulantzas, pour la partie politique, et sur la périodi-
sation de l’évolution du capitalisme proposée par l’école de la
régulation, pour la partie économique (fordisme et crise dufordisme) — alliance qui fait de Kees Van der Pijl le chef de file
de ce que certains appellent l’« école d’Amsterdam » au sein de
cette famille de pensée.
Loin d’être une simple affaire d’État, comme dans l’EPI améri-
caine, l’hégémonie est ici une structure à la fois sociale, liée à des
oppositions de classes, économique, liée à un mode de produc-
tion dominant, et politique, liée aux relations entre États mais
qui ne suffisent pas à la définir.La finance mondialisée joue également un rôle dans le main-
tien de l’hégémonie. Elle agit comme le principal agent de
normalisation, d’uniformisation, garant de la conformité àl’ordre hégémonique en cours. État, entreprise, qui ne respecte
pas ses règles (gouvernance d’entreprise, ma îtrise de l’infla-
tion…) ne peut en profiter et se trouve exclu du jeu. Mais la
finance internationale est ici un résultat du processus de produc-
tion : elle correspond au surplus résultant de l’activité écono-mique qui n’est pas directement réinvesti dans l’économie. Les
intermédiaires financiers peuvent ensuite s’émanciper de ce lien
pour devenir une force influençant en retour le mode de produc-
tion. En décidant qui a le droit de bénéficier de combien de
crédits et à quelles conditions, la finance reste le moteur du
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développement économique. Elle est également perçue comme
sa faiblesse principale du fait de l’endettement, jugé excessif, des
gouvernements et des grandes entreprises. Pour cette approche,la crise du capitalisme sera d’abord financière.
En attendant qu’elle survienne, les classes transnationales
dominantes imposent à l’ensemble du monde un « néolibéra-
lisme disciplinaire », selon l’expression de Stephen Gill, un ordre
global dominant fondé sur la primauté des relations de marchéimposées dans toutes les formes de relations sociales, une
marchandisation du monde confortée par un « nouveau consti-
tutionnalisme » qui empêche le contrôle démocratique des
classes dominantes. Les individus qui les composent sont définis
comme une « nébuleuse » ou « l’ensemble des forces politiques
et sociales qui reproduisent, régulent, organisent et protègent
les règles d’un ordre mondial néolibéral » [Gill, 1999, 2002 :
chapitres 7, 10 ; Cox, 2002, p. 33-43, 83 ; Faux, 2006]. Cela ne
signifie pas qu’il existe un groupe ordonné et hiérarchisé dont
le pouvoir secret passerait au-dessus des États pour mettre enœuvre un libéralisme à l’échelle mondiale, mais que les élites
dirigeantes des grands pays construisent, épousent et défen-
dent un consensus idéologique favorable au libéralisme, repous-
sant toute forme d’autorité politique qui le mettrait en cause.
Ils bâtissent ainsi un nouveau constitutionnalisme qui est
l’ensemble des changements politiques et constitutionnels qui
visent à protéger et assurer la pérennité de cet ordre mondial
libéral qui sert les intérêts des entreprises à l’échelle mondiale. Ilse construit par trois voies [Gill, 1999, p. 26-28] :
— la reconfiguration des appareils d’État de façon à les faire
agir comme soutien à la discipline imposée par les marchés :
interdiction des nationalisations (notamment dans les pays du
Sud), développement des autorités protégées de la pression
démocratique (banques centrales indépendantes), renforce-
ment des pouvoirs de surveillance des institutions internatio-
nales, notamment par l’approfondissement des conditionnalitésdu FMI et de la Banque mondiale, qui passent d’une obliga-
tion de libéralisation des prix (des services publics, du taux de
change…) et des échanges extérieurs à des conditions touchant
directement à l’organisation des politiques sociale, sanitaire,
environnementale : ces conditions « structurelles » sont passées
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de deux par programme, en moyenne, en 1987 à dix-sept à leur
sommet en 1997, avant de revenir à treize, en moyenne, en
1999, un niveau bien trop élevé pour être efficace selon le FMIlui-même ;
— l’établissement d’un ordre juridique favorable aux déten-
teurs de capitaux : au niveau international, l’Organisation
mondiale du commerce joue ce rôle de construction d’une juris-
prudence favorable au droit des affaires contre le respect de
normes sanitaires, sociales ou environnementales ;
— la récupération des critiques : afin de faire accepter l’avène-
ment d’une société de marché sans contestation violente, les
défenseurs du néolibéralisme savent adopter une attitude
consensuelle, soulignant, ici, la nécessité d’institutions interna-
tionales plus transparentes et démocratiques, là, leur croyance
en l’avenir de l’entreprise éthique.
Pourtant, le pouvoir politique des puissants n’est pas sans
limite : construction politique, économique et sociale, le néoli-béralisme peut être contesté.
La remise en cause de l’ordre libéral
Pour cette approche, l’ordre mondial est aujourd’hui victime
d’une crise d’hégémonie. Mais elle ne prend pas les mêmes
formes que celle de l’EPI américaine. Ici, les États-Unis conti-nuent à dominer le monde mais ne savent plus créer le consen-
tement nécessaire à l’acceptation de cette domination. La classe
dominante est remise en cause, aux États-Unis mêmes, par la
montée des sentiments protectionnistes, la contestation du
financement américain des institutions internationales et le
refus d’une libéralisation à tout prix. Elles sont également
remises en cause au plan international, par la violence, comme
celle du 11 septembre 2001, par la montée d’une société civileémergente qui s’organise pour faire contrepoids à la classe trans-
nationale dirigeante, ou par d’autres pays, comme la France, lors
du choix unilatéral américain d’attaquer l’Irak au début 2003.
Dès les années 1980, les contestataires de la mondialisation
libérale sont suivis de près par cette littérature dans le cadre de
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son analyse de la crise d’hégémonie. Robert Cox souligne ainsi
de manière prémonitoire, dès 1987, qu’ils sont encore loin de
pouvoir prétendre à un renversement de l’ordre en place maisque la stratégie à suivre est celle du développement d’une
culture de contestation dans plusieurs pays dont la conju-
gaison des forces finira par avoir de l’influence au niveau
mondial. De par l’intérêt qu’ils portent aux conflits sociaux,
Stephen Gill et David Law diagnostiquent aussi dès 1989 l’exis-
tence d’une société civile internationale encore « sous-déve-
loppée mais déjà discernable ». Ils appellent à une action des
ONG contestant la mondialisation libérale, une préfiguration de
la ruche militante que deviendra le Forum social mondial, un
regroupement hétéroclite des ONG contestataires de la mondia-
lisation libérale provoqué par Le Monde diplomatique et des mili-
tants brésiliens, et qui a gagné ses lettres de noblesse à Porto
Alegre au Brésil.
Assumant entièrement la normativité de leurs analyses (voir
encadré), ces chercheurs appellent de leurs vœux la montée enpuissance de cette contestation. L’état des forces en présence
n’est jamais figé et le renversement du bloc historique, actuelle-
ment celui de la domination du néolibéralisme, est possible.
Mais, précisent-ils, l’avènement d’une société civile internatio-
nale, même si elle devait se réaliser, n’y suffirait pas. Un chan-
gement des rapports de forces au sein des classes sociales est en
effet nécessaire mais pas suffisant. Fidèle aux trois dimensions
définissant le bloc historique, un changement d’envergure nepourra se produire que si émerge également un nouveau
consensus idéologique qui permette de créer les institutions qui
le porteront, ainsi que de nouvelles formes de contrôle sur le
mode de production, ce qui a poussé certains de ces auteurs,
encore une fois de manièr e p rémonitoire, à s’intéresser
aux placements éthiques et à l’investissement socialement
responsable.
Apports et critiques
Au moment où Robert Cox et Stephen Gill publient les
premiers travaux qui vont servir à l’émergence de cette
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approche, la réflexion nord-américaine d’EPI va bientôt se vouer
largement à la théorie des régimes. Cox a ouvert la voie à une
représentation alternative du monde, en employant le langage
(État, hégémonie, ordre mondial…) et en se saisissant des
problématiques traditionnelles des politistes. C’est pourquoi il
a pu être entendu et discuté en Amérique du Nord (ainsi qu’il
le sera plus tard au Royaume-Uni où une partie des étudiants
qu’il a formés iront finir leurs études et enseigneront). L’école
d’Amsterdam, de son côté, a une audience plus réduite, essen-
tiellement limitée aux Pays-Bas et à l’Allemagne, et à quelquesdébats avec les marxistes britanniques.
Cette approche d’économie politique internationale apporte
quatre éléments d’analyse essentiels pour comprendre l’état des
rapports de forces mondiaux. Les espaces nationaux et interna-
tionaux ne sont plus séparés dans deux mondes distincts. Un
lien existe entre les dynamiques nationales et internationales,
l’internationalisation des relations de production, des rapports
sociaux et des diff érentes facettes de l’appareil d’État étant priseen compte. L’intérêt porté au rôle des classes sociales, en parti-
culier dans leur dimension internationale, montre toute son
importance en offrant une mise en perspective des mouve-
ments sociaux internationaux de contestation de la mondialisa-
tion libérale. Le doigt pointé sur les dimensions idéologiques de
l’hégémonie offre également un outil d’analyse pertinent pour
lire les débats qui ont animé la fin des années 1990 autour du
« consensus de Washington » — le libéralisme généralisé prônépar les institutions économiques internationales notamment
par le biais des conditionnalités du FMI et de la Banque
mondiale — ou des recommandations de politique écono-
mique et sociale de l’OCDE. Enfin, sur le plan de la méthode,
l’approche permet de mettre en avant trois affirmations assez
fortes : la réalité sociale n’étant pas objective mais construite, les
conditions de la production du savoir doivent être analysées ;il n’existe pas de lois universelles, ni de concepts aux significa-
tions inchangées qui permettent de comprendre le monde,
chaque explication doit être historicisée ; la façon dont on
conçoit le monde fixe le champ des possibles pour agir dans le
sens de sa transformation et la bataille de ceux qui se refusent à
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Une théorie critique
De par le r ôle essentiel de l’idéologie
dans le soutien à l’hégémonie et dans
la dé finition plus générale des forces
à l’œuvre dans la détermination d’un
bloc historique, les r é flexions sur
les méthodes et les façons de repr é-
senter le monde jouent un r ôle impor-
tant pour cette approche d’EPI [Gill,
1997 ; 2002]. On doit à Robert Cox
une discussion importante à ce sujet[1981]. La dé finition d’un objet
de recherche, ce qu’il est considér écomme légitime d’étudier et la façon
de l’étudier au mieux, ne sont jamais
fortuits, souligne-t-il. « Une théorie
sert toujours quelqu’un et une inten-
tion quelconque (theory is always for
someone and for some purpose )… il
n’existe rien de tel qu’une théorie ensoi sépar ée d’un point de vue dans le
temps et dans l’espace. » Ce qui
signifie que, même si le chercheur en
sciences humaines doit r ésister à la
tentation de projeter ses propres
intér êts, ou ceux qu’il sert, en exer-
çant ce que Max Weber appelle « le
devoir élémentaire de contr ôle scien-
tifique de soi-même », il reste prison-
nier non seulement des valeurs de lasociété dans laquelle il vit mais égale-
ment d’une distribution particulière
du pouvoir au sein de la société dans
laquelle il s’inscrit [Tooze, 1984].
Quels sont dans ces conditions lescritères qui peuvent être utilisés pour
appr écier les diff érentes visions du
monde qui sont proposées ? Dans la
perspective des travaux de Thomas
Kuhn montrant comment les relations
de pouvoir participent largement à la
détermination des domaines de la
recherche scientifique, il para î t impor-
tant de distinguer à partir de la termi-
nologie de Cox, les deux sortes dedesseins que peut vouloir servir une
théorie, r ésoudre des problèmes ou
apporter un regard critique.
Dans le premier cas (problem-
solving theory ), la r é flexion proposée
accepte le paradigme dominant et la
repr ésentation de la r éalité qui y est
associée. L’o b j e c t i f e st a l o rs d e
r ésoudre les problèmes qui se posentà son bon fonctionnement. Une fois
le cadre général accepté, il devient
possible de centrer ses recherches
sur tel ou tel problème particulier.
Ainsi, les théories de r ésolution des
problèmes, nous dit Cox, sont plutôt
fragmentées et appellent à la spécia-
lisation pointue. C’est la voie suivie
aujourd’hui par la science écono-
mique dominante. Ceci a pour effetde limiter le nombre de paramètres àprendre en compte et d’arriver plus
accepter le monde actuel doit aussi être gagnée de ce point de
vue-là.
Quelques faiblesses de l ’ approche
Cette approche est aussi victime de quelques faiblesses. Si le
souci de périodisation des blocs historiques mondiaux est
louable, les trois périodes proposées, rappelées ci-dessus, restent
particulièrement larges. La mise en évidence du rôle des
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facilement à déterminer soit des lois
générales, soit des solutions quali-
f iées de techniques, c ’est-à-diresupposées libres de toute normati-
vité ou du moins qui apparaissent
comme telles car elles supposent en
fait l’acceptation du monde dé fini par
le paradigme initial. Ainsi, conclut
Cox, les théories de r ésolution des
problèmes peuvent servir de guide àl’action tactique pour soutenir et
améliorer l’ordre existant.
D an s l e s ec on d c as , (critical theory ), la r é flexion est dite critique
car elle ne s’interdit pas de s’inter-
roger sur la validité du paradigme
dominant et de l’organisation du
monde qui l’accompagne. Concr ète-
ment, elle ne va pas considérer que
les institutions, les relations sociales et
de pouvoir et leur repr ésentation sont
données mais va s’interroger sur leursorigines et sur la façon de les faire
évoluer. Il en r ésulte d’abord que si
l e s théories crit iques démarrent
souvent en abordant un domaine de
spécialisation particulier, elles ne le
considèrent que comme une étape
en vue de tenter de reconstruire un
t o u t . I l e n r ésu l te e nsu i te qu ’àl’inverse des théories de r ésolution
des problèmes qui se meuvent dansun cadre global permanent, les
théories critiques veulent intégrer
une forte dimension historique
dans le sens, pr écise Cox, où elles ne
sont pas seulement intéressées par lepassé mais par les processus continus
d’évolution historique. Il en r ésulte
e n f i n q u e l e s t héories crit iques
s’ i ns cr iv en t d ir ec te me nt d an s
l’expression de choix normatifs, ce
sont des théories « engagées ». Ainsi,
conclut Cox, les théories critiques
peuvent être utilisées comme un
guide à l’action stratégique pour
remettre en cause l’ordre existant.L’EPI américaine soutient ceux qui
ont le pouvoir dans le capitalisme
mondialisé, car elle ne cherche àr ésoudre les problèmes se posant au
niveau international que pour main-
tenir le système en place, sans se
demander comment ces problèmes
sont nés. L’approche développée par
Robert Cox revendique pour sa partla qualification de théorie critique,
avec po ur o b je c ti f e x pl i ci te d e
remettre en cause l’ordre néolibéral
existant et donner la priorité à la
recherche d’une société plus fondée
sur l’éthique que sur l’ordre. L’EPI
issue des travaux de Susan Strange se
place également r ésolument dans la
catégorie des approches insatisfaites
de l’état du monde et appelant à satransformation.
mobilisations sociales permet de rééquilibrer les présentations
traditionnelles des évolutions du monde qui tendent parfois àles oublier. Mais les analyses qui sont présentées ne diff èrent
guère en substance de celles que proposerait un politiste ou unéconomiste qui s’intéresse à l’histoire. De même, l’analyse du
rôle de la finance internationale reste assez générale. Les méfaits
potentiels de ses dysfonctionnements sont soulignés. Mais
l’analyse de la montée en puissance de la finance manque, de
même que la nature exacte des menaces que les crises financières
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font peser sur la croissance mondiale, en même temps qu’une
analyse plus précise du discours des institutions financières
internationales (FMI ou Banque des règlements internationaux).
Une situation qui provient du fait que les relations de produc-
tion sont considérées comme prioritaires dans l’explication.
On peut aussi s’interroger sur l’insistance à décrire la mondia-
lisation contemporaine comme exemplaire d’un libéralisme
débridé. Les règles du jeu de la mondialisation économique qui
se sont imposées au cours des dernièr es décennies sont
clairement d’inspiration libérale : libéralisation du commercemondial, ouverture aux grands vents de la finance mondialisée,
déréglementations, privatisations, réformes libérales imposées
par le FMI et la Banque mondiale au Sud, etc. Pour autant, au
Nord, comme au Sud, le libéralisme qui a été mis en œuvre est
loin de correspondre à la primauté des règles du jeu du marché.
Les deux grandes périodes de mondialisation du XXe et du début
du XXIe siècle sont marquées par une progression rapide, pour la
première, et un poids important, pour la seconde, des prélève-ments obligatoires. Aujourd’hui, près de la moitié des richesses
produites dans les économies des pays industrialisés est prélevée
par l’État pour être redistribuée. La France n’est pas la dernière àce jeu, ce qui ne l’empêche pas — ou lui permet ? — de compter
parmi les premiers bénéficiaires des flux internationaux d’inves-
tissement. D’une manière générale, des politiques commer-
ciales protectionnistesà
la dé
fense des champions nationaux,en passant par le niveau élevé des subventions agricoles et les
contraintes qu’ils font peser sur la circulation des hommes, les
pays riches sont loin d’être fidèles aux discours libéraux
entonnés avec régularité par la « nébuleuse ». De même, les pays
du Sud qui réussissent, que ce soit la Corée du Sud, la Chine,
le Brésil ou d’autres, ont organisé leur développement d’une
main autoritaire. Et ceux qui ne réussissent pas ont inventé
depuis vingt ans toutes les ruses possibles pour faire croire auxinstitutions internationales qu’ils obéissaient à leurs injonctions
de libéralisation, tout en continuant à manipuler les marchés
des changes aussi bien que les processus de privatisation (pour
un bilan de la permanence des politiques publiques, voir Coussy
[2003]).
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Le faux nez du libéralisme est également présent sur le visage
des entreprises privées. Nombre de secteurs sont désormais aux
mains de monopoles mondiaux, comme Microsoft, ou d’oligo-poles, dont la première stratégie est de minimiser autant que
faire se peut la concurrence. Et les cartels internationaux se
portent bien. D’une manière générale, les entreprises véritable-
ment globales restent assez rares tant des fonctions aussi essen-
tielles que la recherche-développement ou le financement àlong terme restent largement ancrées dans les espaces nationaux
d’origine. Il a fallu toute la force de conviction des idéologues
libéraux pour faire croire que la mondialisation était l’aboutis-
sement de leurs rêves.
Enfin, à bien lire Robert Cox [1987, p. 399], après toutes ces
analyses, il ressort que les acteurs principaux du monde contem-
porain restent… les États ! Certes, les diff érents États sont prison-
niers à la fois de leurs conditions historiques d’émergence et de
développement, ainsi que de la place du système de production
auquel ils sont reliés dans la division internationale du travail.Mais ce sont eux qui, in fine, tiennent l’ensemble, en créant les
conditions de la permanence de la hiérarchisation des groupes
sociaux qui structure le système de production. Des États qui
ont une profondeur historique et sont intrinsèquement liés aux
rapports de classes et au système économique, ce qui les diff é-
rencie de la conception américaine.
Reste à souligner l’ouverture vers de nouveaux champs
d’analyses proposées par les publications les plus récentes deCox, reprises dans son ouvrage de décembre 2002 (une excel-
lente mise en perspective de l’ouvrage dans les travaux de Cox
est proposée par Graz [2003]). On y trouve par exemple des
travaux sur le rôle du crime organisé, toujours dans une perpec-
tive historique, contextualisée, et faisant le lien avec les condi-
tions économiques, sociales et politiques. Pour Cox, les mafias
ne constituent que l’élément parasitaire de l’expansion d’un
monde clandestin, qui se développe lorsque « une portion signi-ficative de la population perçoit les autorités politiques exis-
tantes et les idées reçues de l’ordre économique et social comme
étrangères et en totale opposition à leur propre sens de la justice
et du bien-être » [p. 137]. C’est un autre signe de la crise d’hégé-
monie. On y trouve surtout un recours accru au concept de
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civilisation pour analyser le monde. La problématique de Cox
repose sur l’idée que la mondialisation contemporaine produit
une uniformisation culturelle à même de détruire la diversité dumonde, un phénomène contre lequel il faut lutter de toutes ses
forces, nous dit l’auteur. Il ne s’agit pas pour Cox de pointer la
mise en œuvre d’un capitalisme global uniforme. Mais plutôt de
préserver une diversité des rapports au monde et de ses représen-
tations qui permette d’éviter la généralisation d’une civilisa-
tion de marché uniquement inscrite dans des comportements
marchands et obéissant à l’idéologie néolibérale [Cox, 2009].
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Conclusion
Pendant quarante ans d’existence, l’EPI n’a cessé de s’étendre.
Après les textes fondateurs du début des années 1970, son déve-
loppement véritable a débuté dans les années 1980 et a pris
toute sa vigueur au cours des années 1990. Elle s’est, depuis,
institutionnalisée avec ses réseaux, ses colloques annuels, sessociétés savantes, ses collections chez les éditeurs, etc. Quel est
aujourd’hui l’avenir de cette discipline ?
On l’a vu au premier chapitre, l’approche américaine est mal
en point. Réductionniste dans sa méthode, vouant un culte àl’économie dominante qui traverse une crise sans précédent et
peu en prise avec les problèmes du monde, elle s’enferme de
plus en plus dans un cercle étroit de reproduction de ses élites
sans fournir un éclairage pertinent sur le monde. Supportriceidéologique du libéralisme économique, elle est aussi victime de
sa remise en cause et de sa perte de crédibilité.
Du côté des approches critiques, les augures paraissent un peu
meilleurs. Si Robert Cox ne publie pratiquement plus et si
aucune école canadienne n’a véritablement pris corps, Cox
semble néanmoins se sentir à l’aise dans une présentation qui le
place dans le champ comme l’une des multiples branches d’une
« école britannique » dont l’objectif principal est de repérer lestensions et points de conflit susceptibles de modifier en profon-
deur les structures de la mondialisation [Cox, 2009]. De ce fait,
bien que Susan Strange soit décédée depuis plus de dix ans, c’est
son approche éclectique qui semble le mieux résister au passage
du temps. On ne peut qu’être surpris par le nombre d’auteurs
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faisant réf érence à ses travaux lors des numéros spéciaux de la
Review of International Political Economy et de la New Political
Economy consacrés à l’état de la discipline en 2009 et repris avecd’autres contributeurs dans l’ouvrage général dirigé par Nicola
Phillips et Catherine E. Weaver [2010]. Des traditions intellec-
tuelles diverses se sont regroupées autour de son EPI critique,
sans jamais développer de consensus méthodologique. Ce qui
pourrait a priori appara ître comme une source de confusions et
un handicap s’est transformé en un avantage, celui d’organiser
un lieu d’échanges entre des chercheurs critiques des consé-
quences de la mondialisation actuelle et soucieux de les analyser
dans une perspective historique. Ce qui signifie, comme le
précise Ronen Palan [2009, p. 392], une plus grande attention àl’histoire mais également une prédisposition à vouloir penser les
ruptures historiques et les moments charnières de changement
d’époque.
Fort de ces trajectoires divergentes, des appels se sont fait
entendre en faveur d’un rapprochement entre les approchesdéveloppées des deux côtés d e l’Atlantique [Cohen, 2008 ;
Helleiner, 2009]. Une évolution qui para ît bien illusoire tant les
chapitres précédents ont montré combien les écoles en présence
n’ont pratiquement plus rien en commun [Higgott et Watson,
2008]. Benjamin Cohen est bien obligé de constater lui-même
que, « en grande majorité, les universitaires des deux factions
se rencontrent séparément, dans leurs associations profession-
nelles et leurs conf érences respectives et même à l’âge descommunications électroniques se parlent entre eux plutôt
qu’entre l’océan » [Cohen, 2010]. Les commentaires d’un Louis
W. Pauly [2010], présentant l’EPI comme une grande tente
ouverte à tous ceux qui refusent les hiérarchies intellectuelles
et dont les seuls critères de qualité sont « la clarté de pensée,
la pertinence thématique et une préf érence pour les arguments
contre-intuitifs », paraissent ainsi bien angéliques.
Dans son livre paru en français en 2003, le sociologue alle-mand Ulrich Beck a rendu le meilleur service possible à l’EPI :
sans citer l’approche, il utilise et intègre certains de ses auteurs et
de ses résultats, proposant une théorie de la mondialisation qui
place le pouvoir au cœur de l’analyse et demandant de rompre
avec le tropisme étatique des sciences humaines pour s’intéresser
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aux acteurs économiques privés et aux mouvements de la
société civile. L’EPI critique commence ainsi à diffuser ses idées
en dehors de son propre champ.Tous les débats présentés jusqu’à présent ont exclusivement
concerné le monde anglo-saxon. Qu’en est-il en France ?
L’EPI en France : l’état du débat
Notre pays affiche deux exceptions. D’une part, plus de
quarante années de littérature en EPI ont à peine pénétrél’université française. D’autre part, dans les pays anglo-saxons
où elle s’est fortement développée, mais également en Italie, aux
Pays-Bas, au Japon, etc., partout où elle est présente l’EPI est
d’abord une approche de politistes spécialistes des relations
internationales. Concrètement, les enseignants d’EPI sont le
plus souvent installés dans les départements de science politique
où ils ont été formés. L’économie arrive en plus — signe toutde même d’une volonté d’ouverture des politistes plus grande
que celle des économistes. En France, les spécialistes de sciences
politiques restent, sauf exception, complètement hors jeu dans
un domaine où le nombre d’étudiants conna ît ailleurs une crois-
sance rapide et ce sont plutôt les économistes qui se sont
approchés le plus de cette littérature [Berthaud et Kébabdjian,
2006 ; Woll, 2008].
Sans prétendre à une analyse éditoriale approfondie, unregard sur quelques grands textes introductifs aux relations
internationales le confirme. On trouve des ouvrages où l’EPI en
tant que telle, ou ses diff érents auteurs sont peu ou pas présents
[Moreau Defarges, 1998 ; Roche, 1999], d’autres où ils bénéfi-
cient de quelques pages et citations éparses [Senarclens, 1998 ;
Badie et Smouts, 1999]. Ceux qui leur reconnaissent une place
à part entière [Smouts, 1998 ; Laroche, 2000 ; Battistella, 2006]
puisent dans l’une ou l’autre approche mais aucun ne fournit deprésentation complète des diff érentes représentations du monde
issues de l’EPI.
Il est vrai que la discipline des relations internationales est
assez jeune en France. Son véritable développement contempo-
rain date des années 1980-1990 et la matière comporte assez peu
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de spécialistes. Le poids de l’approche réaliste de relations inter-
nationales, dominée par la figure tutélaire de Raymond Aron,
et donnant un rôle prédominant aux questions de sécuritécollective et aux relations interétatiques, au détriment des autres
acteurs et d’autres types d’enjeux, a également sa part. Est égale-
ment présent le sentiment que l’EPI s’adresse plutôt aux écono-
mistes qu’aux politistes, ainsi que l’illustre l’ouvrage de
Marie-Claude Smouts, une politiste, dont le chapitre sur l’EPI a
été rédigé par Jean Coussy, un économiste. Cela n’empêche pas
de trouver des politistes spécialistes de l’international dont les
travaux originaux s’inscrivent dans un état d’esprit proche de
l’EPI britannique, sans qu’ils en partagent pour autant les
conclusions (voir par exemple la passionnante analyse de la
mondialisation de Jean-François Bayart [2004] ou les travaux de
Béatrice Hibou [1999, 2006]).
L’EPI et les économistes français
Les spécialistes anglo-saxons d’EPI citent souvent les travaux
de l’historien Fernand Braudel comme précurseurs de leurs
propres recherches. La multiplicité des temps sociaux, des
niveaux d’analyse sociale, économique, politique, culturelle,
historique de l’approche d’économie-monde de Braudel ont
séduit plusieurs chercheurs qui y ont puisé de quoi nourrir leur
compréhension du monde contemporain [Germain, 1997 ; Cox,2002 ; Gill, 2002]. De même, les analyses de l’économiste
François Perroux sont reconnues comme une forme de contri-
bution française à la critique de la science économique domi-
nante et de son absence de prise en compte des questions de
pouvoir. Comme l’écrivait ce dernier en 1948, « la force, le
pouvoir et la contrainte sont des objets totalement étrangers àla science moderne de l’économie et que ses perfectionne-
ments les plus récents ne sont pas parvenus à intégrer » [reprisin 1991, p. 69]. Il montre le biais normatif de l’approche écono-
mique dominante et la façon dont elle sert à évacuer l’analyse
des rapports de forces. « À la question : sous quelles condi-
tions, en fait, la concurrence est-elle économiquement active et
efficiente, avec quelles règles générales du jeu peut-on espérer
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obtenir un approvisionnement étendu de produits à bas prix ? »s’est substituée cette autre question : « Sous quelles conditions,
fussent-elles entièrement irréelles, puis-je considérer que les prixet les quantités sont mathématiquement déterminés dans un
ensemble ? » [1991, p. 140]. « Sur le marché concurrentiel
comme dans la démocratie individualiste, une règle imperson-
nelle est censée se substituer aux luttes de pouvoirs et aux
conflits intentionnels de puissance » [p. 141]. Sa critique en ce
domaine conserve toute sa force et sa pertinence. Si Perroux fait
encore quelques émules en France, ses travaux n’ont donné lieu
qu’à de rares développements.
Michel Beaud [1987] s’est intéressé de près à l’analyse des
économies dominantes. Il prend comme hypothèse de base que
« national, international, multinational et mondial sont indisso-
ciablement imbriqués, puisqu’ils se constituent mutuelle-
ment » [p. 7] et que l’économie n’explique pas tout : « Il faut
saisir les interdépendances, les interactions, les interdétermina-
tions avec le social, le politique, les croyances, les religions, lesidées, les valeurs, les institutions, le droit ; et, pour cela, la prise
en compte des temps, l’éclairage historique sont indispen-
sables. » Une profession de foi qui s’inscrit en plein dans
l’approche britannique d’EPI, dont les travaux ne sont visible-
ment pas connus par Beaud au moment où il développe ses
propres thèses. L’ouvrage est ainsi amené à présenter une étude
des rapports de forces entre les grandes puissances économiques,
ce qui le convie à relativiser la thèse du déclin américain trèsen vogue à l’époque. La notion de pouvoir reste peu précise mais
l’ouvrage de Beaud est l’un des rares à s’inscrire dans un effort
de compréhension du monde alliant économie, politique et
histoire.
De son côté, François Fourquet s’affronte directement aux
économistes et à leur méconnaissance des questions de pouvoir.
À la fois étude historique sur les rapports de forces mondiaux et
sur la façon dont la science économique traditionnelle manqueà les analyser, Fourquet [1989] convie notamment à une relec-
ture éclairante d’Adam Smith. Il montre combien le philo-
sophe écossais a été instrumentalisé par les économistes libéraux
pour en faire le défenseur d’une économie de marché alors que
son approche laisse beaucoup de place à l’analyse politique,
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privilégiant par exemple les questions de défense sur l’effi-
cience économique [p. 153]. Au-delà, les conflits d’intérêt dans
l’œuvre de Smith ne se ramènent pas à des conflits interindivi-duels, entre personnes, finalement réglés par le marché par la
compensation accordée aux perdants (allocation chômage…).
Les rapports de domination entre groupes sociaux y sont très
présents. La prise en compte du rôle politique des acteurs privés,
qui constitue l’un des fers de lance de l’approche d’auteurs
contemporains d’EPI, appartient déjà aux thèmes de réflexion
d’Adam Smith (sur tous ces thèmes et sur la façon dont les
économistes ont traité de la question politique voir [Chava-
gneux, 2002a]). Pour Fourquet, « l’économie n’est pas un objet
autonome muni de ses lois propres », et d’ailleurs « aucune
partie de la réalité humaine (une période historique, une sociétéparticulière, un champ social) n’est intelligible en elle-même »[2002]. Aussi s’inscrit-il dans la perspective braudelienne de la
longue durée, nécessaire à la mise en perspective de chaque
société, tout en étant préoccupé de saisir les liens entre richesseet puissance, avec l’ambition large de comprendre l’évolution du
monde comme un tout. Une démarche originale et stimulante.
Plusieurs ouvrages d’économistes font directement réf érence
à l’EPI contemporaine. Celui de Philippe Hugon [1997] s’inti-
tule bien Économie politique internationale et mondialisation mais il
s’agit en fait d’une présentation standard d’économie interna-
tionale où seules quelques pages sont consacrées aux liens entre
le politique et l’économique dans la sphère internationale.Hugon s’est surtout intéressé, dans d’autres travaux, aux liens
entre les théories économiques et politiques dans le domaine
du développement [1999 ; 2000] pour montrer combien les
tentatives récentes de l’économie néoclassique pour bâtir une
« nouvelle économie politique » manquaient de pertinence. Le
livre de Gérard Kébabdjian [1999], Les Thé ories de l’é conomie poli-
tique internationale, s’inspire directement des travaux de Robert
Gilpin [1987] et de ceux d’Andreas Hasenclaver, Peter Mayer etVolker Rittberger [1997]. L’ouvrage souhaite présenter les
théories de l’EPI [p. 11] et s’adresser « en premier lieu aux
étudiants et aux enseignants (c’est d’abord un manuel) et
concerne une discipline qui est inévitablement appelée à se
développer en France » [p. 13]. Josepha Laroche [1999] et
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Jean-Christophe Graz [1999] ont largement critiqué ce travail
pour ses insuffisances : une incapacité de l’auteur à s’ouvrir au
dialogue avec des disciplines et des problématiques qui ne sontpas celles de l’économie ; une présentation limitée à la seule
approche qui domine le champ disciplinaire aux États-Unis en
oubliant l’ensemble des courants théoriques divers qui forment
l’EPI ; un auteur qui souligne à plusieurs reprises l’insuffisance
des approches économiques pour comprendre l’évolution du
système international, mais qui s’appuie tout au long de sa
présentation sur les méthodes de la théorie microéconomique
néoclassique (l’article de Pierre Berthaud [2001] s’inscrit dans la
même veine). Berthaud et Kébabdjian [2006] ont dirigéensemble un ouvrage regroupant des auteurs aux approches
assez hétéroclites et où l’introduction de Gérard Kébabdjian
montre la poursuite d’une vision partiale du champ de la disci-
pline. Il y est question d’hégémonie, de régimes, d’approche
économique du politique : autant de thèmes très en phase avec
les approches américaines des années 1980-1990, en mêmetemps que les travaux de Strange et de ses continuateurs sont
liquidés en quelques lignes critiques. Pierre Berthaud, de son
côté, continue à y vanter la vieille théorie des régimes qui a
disparu du radar américain.
Au fait de la littérature anglo-saxonne d’EPI qu’il contribue
à faire conna ître en France [Chavagneux et Coussy, 1998], Jean
Coussy cherche à montrer la façon dont les économistes ont
pu traiter des liens entre économie et politique pour expliquerla dynamique du système international, une réflexion qu’il avait
déjà commencé à mener dès les années 1970 à propos des rela-
tions Nord-Sud dans la droite ligne de François Perroux [1978]. Il
rappelle ainsi combien les mercantilistes avaient bâti leur propre
EPI et comment les travaux de Wilfredo Pareto ont largement
contribué à faire de la politique le « repoussoir » et même le
« refoulé » de la science économique (ce qui ne l’empêche pas
d’écrire également dans son Manuel d ’é conomie politique qu’« àla longue, seule la force détermine les formes sociales ; la grande
erreur du XIXe siècle sera d’avoir oublié ce principe »). Les études
comportant une volonté d’associer les dimensions politiques,
économiques et sociales par la prise en compte de l’analyse des
rapports de forces se réfugieront alors dans les travaux
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d’économistes hétérodoxes tels Gunnar Myrdal sur le dévelop-
pement, Albert Hirshman sur la clarification des rapports
complexes entre démocratie et économie de marché — uneinterrogation sur les microfondements, en particulier écono-
miques, d’un ordre social démocratique — ou l’école de la
dépendance latino-américaine expliquant le non-développe-
ment du Sud comme une volonté politique du Nord. Comme
Hugon, Coussy s’attache à montrer le manque de pertinence de
la « nouvelle économie politique » du courant dominant de la
science économique. Les travaux de Coussy ne présentent donc
pas véritablement les analyses d’EPI contemporaines mais, àpartir de leur connaissance, cherchent à montrer les voies paral-
lèles suivies par les économistes sur la base de problématiques
relativement proches.
L’école de la r égulation et les r égimes
L’EPI proposée par les régimes a connu une forme de succès
inattendue en France en étant récupérée par les économistes de
l’école de la régulation. Mais d’une façon bizarre : sa méthode,
aux antipodes de celle de la théorie de la régulation, est reprise,
mais ses conclusions, qui vont dans le sens des régulationnistes,
sont contestées ! Comment expliquer ce paradoxe ?
La théorie de la régulation est construite sur une doublecritique. Celle de l’économie néoclassique, pour qui l’économie
est un monde autonome, peuplé d’ Homo œconomicus au
comportement individuel et rationnel. Les régulationnistes affir-
ment au contraire que l’économie est encastrée dans les
pratiques sociales, que les comportements individuels s’inscri-
vent dans des normes générales et que la dynamique écono-
mique est irréversible, dépendante de sa trajectoire passée. Mais
la critique vise aussi le marxisme. Là où ce dernier voyait unereproduction automatique de la dynamique économique, les
régulationnistes montrent que les conditions de sa réussite sont
changeantes. Là où les travailleurs sont présentés comme des
supports passifs des relations de production, la régulation les
présente comme engagés dans les luttes sociales. Là où le
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capitalisme est censé être éternel, la régulation insiste sur ses
crises et ses discontinuités.
Pour l’école de la régulation, la croissance, pour se main-tenir dans le temps dans un pays donné, a besoin qu’existent un
certain nombre de règles ou de comportements permanents qui
font système, c’est-à-dire dont le respect engendre une stabilitésuffisante pour que la dynamique économique puisse se pour-
suivre. Ces règles et ces comportements définissent un « mode
de régulation » défini comme l’ensemble « de normes, d’habi-
tudes, de lois, de réseaux régulateurs, qui assurent, à travers la
routine du comportement des agents en lutte les uns contre les
autres (dans la lutte économique entre capitalistes et salariés,
dans la concurrence entre les capitaux), l’unité du processus »[Lipietz, 1985, p. 15-16]. Ce mode de régulation, qui donne lieu
à une dynamique économique spécifique baptisée « régime
d’accumulation » (sans rapport avec la théorie des régimes) est
défini par la combinaison et la hiérarchisation de cinq éléments
de base : la monnaie, le rapport salarial, la concurrence, l’État etles relations internationales.
Le r é gime international des r é gulationnistes
C’est dans l’analyse de ces dernières qu’intervient la théorie
des régimes. En effet, dans la logique des principes décrits
ci-dessus, la théorie de la régulation (TR) cherche à déterminer
comment est assurée la stabilité politique internationale, jugéenécessaire à la continuité des processus d’accumulation natio-
naux. En paraphrasant Lipietz, on peut dire que les régulation-
nistes s’interrogent pour savoir à partir de quelles normes,
habitudes, etc. se construit une routine internationale qui
permet au système mondial d’assurer la paix et la stabilité inter-
nationales, gages de l’accumulation.
En effet, pour la TR la stabilité n’est pas donnée a priori. Pour-
quoi ? La mondialisation de l’économie, où chaque pays s’insèreen fonction de sa plus ou moins grande adhésion au régime de
croissance développé par l’économie dominante, se développe
dans un espace politique composé d’une multitude d’États et
donc forcément tiré vers l’anarchie [Mistral, 1986, p. 181 ;
Billaudot, 2001, chap. 9]. Une représentation du monde
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(anarchie naturelle, rôle clé de l’économie dominante, recherche
des modes de stabilité) qui est très proche des présupposés des
théoriciens des régimes.D’où vient donc la stabilité mondiale ? Pour Lipietz, rien n’est
institutionnalisé : on a juste une « configuration mondiale réali-
sant provisoirement la compatibilité d’une juxtaposition de
régimes d’accumulation semblables, mais diff érents dans leur
rythme de croissance et leur mode d’insertion internationale »,
on ne dépasse pas « un niveau d’organisation implicite » [1985,
p. 39]. Avec Mistral [1986], la TR se met en quête de formes
d’organisation de l’international plus institutionnalisées.
La stabilité est-elle assurée par les firmes multinationales ?
Non, nous dit Mistral. Il n’y a aucune tendance naturelle au
maintien d’une mondialisation portée par les acteurs écono-
miques privés. Elle ne résulte pas non plus du prolongement des
régulations nationales et de leur rapport de domination poli-
tique au niveau international : ce n’est pas la domination des
États-Unis sur l’Europe et le Japon, ni celle des pays du Nord surceux du Sud qui stabilisent le système. Qu’est-ce qui assure la
stabilité mondiale alors ? Et la réponse est : les régimes, bien
sûr. La stabilité du système international résulte d’un réseau de
régimes internationaux qui crée un cadre permanent et orga-
nisé de négociations entre les États et établit les normes de
comportement et de contrôle de leurs actions et de celles de
l’ensemble des acteurs. Ainsi comme l’indiquent Billaudot et
Figuière [2000, p. 212] — même s’ils sont contredits parBillaudot [2001, p. 243] —, les multinationales qui portent la
mondialisation économique n’ont pas d’autre choix politique
que de s’inscrire dans le régime international que forment les
États, présentés comme les acteurs prépondérants [Mistral, 1986,
p. 183-184], producteurs de l’ensemble des normes, règles,
contraintes et institutions qui servent à médiatiser les rivalités
concurrentielles et les antagonismes entre nations. D’où
l’importance à accorder, pour les régulationnistes, à la façondont les États coopèrent dans les institutions internationales
pour codifier leurs règles de coexistence. La TR à plein régime !
Jusqu’ici, tout va bien. La représentation du monde de la
théorie de la régulation est comparable à celle de l’approche des
régimes et le rôle de ces derniers dans la stabilisation du monde
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s’en déduit. En principe. Car dès que les régulationnistes passent
à la description concrète des évolutions mondiales récentes, le
message se brouille. L’image présentée est celle d’une périodede stabilité et de cohérence du système international de l’après-
guerre jusqu’au début des années 1970 [Mistral, 1986, p. 167,
193], puis l’entrée dans un monde d’instabilité et d’incertitude
que symbolisent le passage aux changes flottants avec la fin du
système de Bretton Woods et la stagflation (stagnation de la
croissance et inflation). Le tout résultant d’une hégémonie
américaine en panne. L’idée du cycle hégémonique à la Gilpin,
avec rattrapage et montée de la concurrence de l’Europe et du
Japon face à des États-Unis en déclin est reprise [Lipietz, 1985,
p. 43, 91 ; Billaudot, 2001, p. 266-267]. Elle bute sur le même
problème : comment expliquer l’absence de guerre mondiale
alors que la « crise d’hégémonie » [Billaudot et Figuière, 2000,
p. 214] n’assure plus la régulation politique et devrait conduire
au conflit ? La réponse devrait être évidente puisque les régimes
ont été inventés justement pour répondre à cette question. Ilsdevraient faire là leur apparition dans l’explication. Mais ils
n’arrivent pas. Finalement, il n’y a pas de régime disent les régu-
lationnistes qui préf èrent attendre l’arrivée d’un autre
« hegemon » [Billaudot, 2001, p. 269] et constatent entre-
temps la montée de blocs régionaux et leur affrontement à venir
[Mistral, 1986, p. 197] dans une perpective calquée sur celle des
guerres hégémoniques à la Gilpin.
Pas de r é gime
Ainsi, bien que mobilisant l’appareillage théorique des
régimes, les conclusions qui s’en déduisent ne sont finalement
pas retenues : les années 1970 ont ouvert une période où le
modèle ne marche pas, où la réalité constatée (l’absence de
régimes) réfute les principes de l’analyse. Cela remet-il en cause
le modèle ? Non. Comme l’ont montré les critiques de KarlPopper, les défenseurs d’une explication trouvent toujours une
excuse pour ne pas la remettre en cause même lorsqu’elle ne
passe pas le test de la falsifiabilité : la conclusion de Mistral n’est
pas que l’utilisation par la TR des régimes conduit à des résultats
bizarres mais que l’économie mondiale est entrée dans un
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« non-régime » international ! Personne ne produit de règles, il
n’y pas régime mais l’accumulation se produit tout de même en
temps de paix et cela reste un mystère. Jean-François Vidal a bien repéré cette ambiguïté lorsqu’il
généralise cette absence de résultat en soulignant la difficulté àmettre en évidence, quelle que soit la période historique, des
« régimes internationaux », des périodes de stabilité dans tel ou
tel domaine de l’économie mondiale [1995, p. 174]. C’est un
contrepoint tellement fort à tout ce qui s’écrit alors chez les
régulationnistes sur l’international que le message n’est pas
entendu et pas discuté par eux.
Cette absence de résultat aurait pu contribuer à mettre en
évidence le peu d’intérêt pour la TR à se rapprocher d’une
théorie des régimes au faible pouvoir explicatif, d’autant plus
que les deux approches s’opposent sur de nombreux points.
Certes, les régulationnistes privilégient les analyses des trajec-
toires nationales en longue période. Mais, il y a un fossé entre
choisir d’analyser les dynamiques internes aux États-nations etconsidérer que les États nationaux restent les principaux acteurs
de la définition du système international.
En fait, les principes d’analyse de la TR et de la théorie des
régimes sont diamétralement opposés. Les théoriciens des
régimes revendiquent l’approche économique néoclassique
dont la TR n’a de cesse de démontrer les faiblesses et les limites.
Là où les premiers ont un rapport à l’histoire qui en fait la fille
de la théorie, où le temps et l’espace ne sont que répétition delois universelles (comme le cycle hégémonique), pour la régula-
tion, la théorie est fille de l’histoire et l’on ne peut comprendre
les difficultés du monde qu’en les historicisant, c’est-à-dire en
tenant compte du contexte spécifique dans lequel elles ont étécréées. Là où la TR propose une approche dynamique des évolu-
tions, les régimes raisonnent en termes d’équilibre statique et
ne conçoivent le changement qu’en termes de déviation par
rapport à cet équilibre. Là où la TR explique la crise des années1920 ou celle des années 1970-1980 comme une crise profonde
de transformation des capitalismes, les néoréalistes l’expli-
quent par l’affaiblissement des hégémonies. Là où la TR consi-
dère l’État parmi d’autres institutions sociales, les théoriciens des
régimes en font l’objet d’analyse unique [Palan, 1998, p. 74-75].
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Comment expliquer ce mariage des contraires ? Il y a une part
de contingence : au moment où l’approche régulationniste se
développe, les économistes qui se préoccupent de ses aspectsinternationaux tombent sur la théorie américaine, la plus
visible, qui les séduit. La TR en reste là faute d’un intérêt marquépour chercher d’autres clés de lecture du monde. Mais ce choix
a bénéficié d’un terrain propice. La TR conçoit à l’époque
chaque science sociale comme pouvant offrir un discours auto-
nome et pertinent : les économistes ont réfléchi au fonctionne-
ment des marchés, les politistes aux mécanismes de domination.
Chacun de leur côté, ils l’ont bien fait. Sans tenir compte les
uns des autres, mais sans que cela entache leur pertinence parce
que l’économie ou la science politique se suffisent à elles-mêmes
pour fournir des explications du monde (le politique et l’écono-
mique sont considérés comme vivant dans des mondes auto-
nomes). Il suffit alors, si on veut se préoccuper de richesse et
de puissance, de mélanger les apports des deux sciences [Boyer
et Saillard, 1995, p. 11]. De même, la géographie du monde dela TR comporte, d’un côté, des États-nations disposant de leur
mode de régulation et, de l’autre, un espace international, avec
sa logique propre, l’objectif étant de comprendre la dialectique
entre les deux.
Aujourd’hui, non seulement l’aspect contingent de ce choix a
disparu, mais la théorie de la régulation considère désormais que
l’économie, même en prise sur l’histoire et les institutions, ne
se suffit pas à elle-même [Boyer, 2000]. Robert Boyer fixe mêmecomme l’un des cinq principaux champs de développement de
l’approche qu’il anime le rapprochement avec la science poli-
tique. Le moment para ît donc propice pour que la théorie de
la régulation s’offre un regard plus large sur les travaux des poli-
tistes spécialistes des relations internationales. Le moment de
changer de régime… mais un moment qui n’arrive pas. Les régu-
lationnistes n’ont pas poursuivi leurs réflexions en ce domaine.
Et les rares incursions de chercheurs se revendiquant de cetteapproche font plutôt frémir : partant d’une approche par les
régimes, Éric Lahille [2009] finit son analyse par le retour en
arrière à un réalisme pur où les questions de sécurité internatio-
nale finissent par tout expliquer. L’international reste un
domaine insuffisamment pensé de la théorie de la régulation.
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Enseigner l’EPI
La France est ainsi le seul grand pays à ne pas proposer à sesétudiants un enseignement organisé d’économie politique inter-
nationale. À de rares exceptions près, l’apprentissage des rela-
tions internationales reste dominé en sciences politiques par les
héritiers de Raymond Aron et des universités de droit pour qui
les questions de sécurité entre les États sont les seules à être
dignes d’un enseignement. Les chercheurs du Centre d’études
et de recherche internationale (CERI), regroupés il y a plus de
dix ans dans l’ouvrage de Marie-Claude Smouts [1998], ainsi
qu’une jeune génération de chercheurs n’hésitant pas à reven-
diquer l’étiquette, font partie des exceptions mais l’EPI n’est pas
leur champ de réf érence analytique et aucun d’entre eux ne
l’enseigne.
L’économie dominante, de son côté, est tout entière fidèle au
précepte présenté par Edmond Malinvaud [2001] selon lequel
les progrès dans les sciences sociales ne peuvent s’opérer qu’àl’intérieur de disciplines bien délimitées. De plus, l’économie
dominante contemporaine cherche en partie à montrer sa scien-
tificité par le fait qu’elle se démarque complètement des ques-
tions politiques et de l’analyse des rapports de forces [Coussy,
1998 ; Chavagneux, 2002a ; Sapir, 2002]. « L’économie politique
n’est pas la politique ; elle ne se préoccupe point de la distribu-
tion ni de la balance des pouvoirs », soulignait déjà Jean-Baptiste
Say dans la phrase d’ouverture de son Cat é chisme d ’é conomie poli-tique en 1821…
Un enseignement d’économie politique internationale néces-
site des étudiants formés à la multidisciplinarité. Comment faire
pour la mettre en œuvre ? La solution la plus simple reste celle
de l’enseignement parallèle des diff érentes disciplines. Pourtant,
la division des connaissances est telle aujourd’hui que, au fur
et à mesure que l’on avance dans un domaine, la spécialisa-
tion s’impose et restreint d’autant la capacité de dialogue avecles autres domaines. Les étudiants doivent donc être sensibilisés
le plus tôt possible aux diff érentes disciplines.
Certes, à trop vouloir élargir, on peut perdre en profondeur.
C’est souvent l’argument de ceux qui, arc-boutés dans le cadre
étroit de leur spécialité, restent toujours prompts à dénoncer
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une « dispersion disciplinaire » aboutissant finalement à des
analyses superficielles. Cependant, comme le souligne Jean
Coussy [1998, p. 259], le recours à la multidisciplinarité « créeun danger de perte de cohérence mais c’est un risque assumépour gagner en pertinence ». Le monde réel n’est pas découpéen disciplines universitaires : prétendre l’expliquer à partir d’un
seul point de vue ne semble guère pertinent, vouloir l’appré-
hender de plusieurs points de vue demande de reconstituer
ensuite une image claire. Robert Gilpin fait le même constat :
la pertinence de l’explication est toujours préf érable à la rigueur
d’une démonstration obéissant aux canons d’une discipline
particulière [2001, p. 49]. Le risque d’incohérence diminue
lorsque les étudiants sont confrontés simultanément, dès leurs
années de formation, aux diff érentes disciplines.
On est loin de ce genre de comportement en France, même si
la nouvelle organisation des études universitaires en 3-5-8 (on
peut recevoir un diplôme au bout de trois, cinq, ou huit ans)
laisse ouverte a priori la possibilité de choix laissant place à lapluridisciplinarité lors des trois premières années. Dans le cadre
d’un enseignement de base ouvert aux diff érentes approches des
sciences sociales, la liste des cours nécessaires pour assurer la
formation de base de l’étudiant en EPI pourrait comporter un
enseignement de philosophie politique et morale, une forma-
tion aux théories de la science politique, aux théories de la
science économique, à l’histoire politique internationale, à
l’histoire de l’économie mondiale et doit proposer une analysedes trajectoires nationales des pays les plus puissants, États-Unis
en tête et sans oublier les émergents.
« Les approches hétérodoxes en EPI forment aujourd’hui un
véritable carrefour transdisciplinaire qui convoque de
nombreuses traditions des sciences humaines », souligne Jean-
Christophe Graz [2000]. Le contenu de la Review of International
Political Economy , véritable tête de réseau dans la construction
de théories critiques transdiciplinaires, montre qu’il est possiblede produire des travaux de qualité en la matière. On y lit des
articles qui dépassent l’association de l’économie, de la science
politique et de l’histoire, à laquelle se limitent les approches que
l’on a présentées ici, pour introduire des dimensions géogra-
phiques, sociologiques, juridiques, etc. Murphy et Tooze [1991]
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soulignent les obstacles que rencontre toute tentative de fonder
un programme de recherche sur une multidisciplinarité large : la
difficulté de faire dialoguer entre elles des recherches d’originesdiff érentes et la volonté de chaque spécialité d’affirmer son iden-
tité au milieu d’un foisonnement divers et pas toujours ma îtrisé.
D’où l’éventuelle nécessité d’une première étape qui consiste àformer des chercheurs capables de se positionner à l’intersection
de l’économie, de la science politique et de l’histoire. On peut
juger que c’est insuffisant. Que cela ne répond pas au pari d’une
« vraie » transdisciplinarité. Pourtant, si à une échelle moins
ambitieuse, on a pu inciter les économistes et les politistes às’ouvrir aux hypothèses, aux problématiques et aux résultats de
l’économie politique internationale pour mieux éclairer les
citoyens sur l’état des rapports de forces mondiaux et leur
permettre de faire des choix politiques, alors un premier pas aura
été franchi.
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Table des matières
Introduction 3Les trois réponses de l’EPI 5
_ Encadr é : D’ où vient l’é conomie politique internationale ? 9
I Les États, rien que les ÉtatsÀ la base : l’« école réaliste » 12
Les fondements, 13
Le pouvoir relationnel, 14
Stabilité et guerres hégémoniques 16Le libéralisme contre l’hégémonie, 17
La théorie des régimes 20Une critique des r égimes, 24
Le soft power 26_ Encadr é : Les diff é rentes formes de pouvoir, 29
La fuite dans le formalisme 29Une EPI en voie d’extinction 31
II La diffusion du pouvoir et la non-gouvernance
_ Encadr é : Susan Strange et ses âmes sœurs, 36
Le pouvoir structurel 37
La structure de sécurité, 38La structure de production, 40
Le triangle des marchandages, 42
La structure financière, 45
FMI et BRI inadaptés, 46
La structure des savoirs, 48
Une méthode de diagnostic 50
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Le refus des grandes théories, 52
Les cinq conclusions politiques 55
L’hégémonie de l’Empire américain, 55La montée en puissance des acteurs privés, 60
Le poids des cartels, 63
La loi internationale au service des intér êts privés, 65
Des zones de non-gouvernance, 72
Pas de complot mondial, 74
Une vision pessimiste mais qui reste motivée
par la critique de l’ordre établi, 76
III La mondialisation des classes dominantes
La triptyque de base : production, État,ordre mondial 80La production, 80_ Encadr é : Les origines de l’ approche, 81
L’État, 82
L’ordre mondial, 83
L’ordre mondial néolibéral : de 1945 à nos jours… 83
L’internationalisation de la production, 85L’internationalisation de l’État, 85
La projection de l’hégémonie américaine, 86
La remise en cause de l’ordre libéral 89Apports et critiques 90
_ Encadr é : Une thé orie critique, 92
Quelques faiblesses de l’approche, 92
Conclusion 97
L’EPI en France : l’état du débat 99L’EPI et les économistes français 100L’école de la régulation et les régimes 104
Le r égime international des r égulationnistes, 105
Pas de r égime, 107
Enseigner l’EPI 110
Repères bibliographiques 113
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Collection
R E P È R E Scr éé e par
MICHEL FREYSSENET et OLIVIER PASTRÉ (en 1983),
dirig é e par
JEAN-PAUL PIRIOU (de 1987 à 2004), puis par PASCAL COMBEMALE,
avec STÉPHANE BEAUD, ANDRÉ CARTAPANIS, BERNARD COLASSE, FRANÇOISE DREYFUS,
CLAIRE LEMERCIER, YANNICK L’HORTY, PHILIPPE LORINO, DOMINIQUE MERLLIÉ, MICHEL RAINELLI et
CLAIRE ZALC.
Le catalogue complet de la collection « Repères » est disponible sur notre site
http://www.collectionreperes.com
GRANDS REPÈRES
Classiques
R E P È R E S
La formation du couple. Textesessentiels pour la sociologie de lafamille, Michel Bozon et FrançoisHéran.
Invitation à la sociologie,Peter L. Berger.
Un sociologue à l’usine. Textes
essentiels pour la sociologie dutravail, Donald Roy.
Dictionnaires
R E P È R E S
Dictionnaire de gestion,Élie Cohen.
Dictionnaire d’analyseéconomique, microé conomie,macroé conomie, thé orie des jeux,etc., Bernard Guerrien.
Guides
R E P È R E S
L’art de la thèse. Comment pr é parer et r é diger un mé moire de master, unethèse de doctorat ou tout autretravail universitaire à l’ère du Net ,Michel Beaud.
Comment parler de la société. Artistes, é crivains, chercheurs et repr é sentations sociales,Howard S. Becker.
Comment se fait l’histoire. Pratiques et enjeux,François Cadiou,Clarisse Coulomb, Anne Lemondeet Yves Santamaria.
La comparaison dans les sciencessociales. Pratiques et mé thodes,
Cécile Vigour.
Faire de la sociologie. Les grandesenquê tes franç aises depuis 1945,Philippe Masson.
Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciencessociales, Howard S. Becker.
Le goût de l’observation.Comprendre et pratiquer l’ observation participante en sciencessociales, Jean Peneff.
Guide de l’enquête de terrain,Stéphane Beaud et
Florence Weber.Guide des méthodes del’archéologie, Jean-Paul Demoule,François Giligny, Anne Lehoërff etAlain Schnapp.
Guide du stage en entreprise,Michel Villette.
Manuel de journalisme. Écrire pour le journal, Yves Agnès.
Voir, comprendre, analyser lesimages, Laurent Gervereau.
Manuels
R E P È R E S
Analyse macroéconomique 1.
Analyse macroéconomique 2.17 auteurs sous la direction de Jean-Olivier Hairault.
Consommation et modes de vieen France. Une approcheé conomique et sociologique sur undemi-siècle, Nicolas Herpinet Daniel Verger.
Déchiffrer l’économie, DenisClerc.
L’explosion de lacommunication. Introduction auxthé ories et aux pratiques de lacommunication, Philippe Bretonet Serge Proulx.
Les grandes questionséconomiques et sociales,Pascal Combemale (dir.).
Une histoire de la comptabiliténationale, André Vanoli.
Histoire de la psychologie enFrance. XIXe-XXe siècles, J. Carroy,A. Ohayon et R. Plas.
Introduction aux sciences del’information, Jean-Michel Salaünet Clément Arsenault (dir.).
Macroéconomie financière,Michel Aglietta.
La mondialisation de l’économie.Genèse et problèmes, Jacques Adda.
La notion de culture dans lessciences sociales, Denys Cuche.
Nouveau manuel de sciencepolitique, Antonin Cohen,Bernard Lacroix, Philippe Riutort(dir.).
La théorie économiquenéoclassique. Microé conomie,macroé conomie et thé orie des jeux,Emmanuelle Bénicourt etBernard Guerrien.