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 Christian Chavagneux Économie politique internationale Collection R E P È R E S  ÉCONOMIE SOCIOLOGIE SCIENCES POLITIQUES DROIT HISTOIRE NOUVELLE ÉDITION « L ’ouvrage, précis et documenté, entreprend de montrer l’enrichissement qu’apporte cette “nouvelle” science pour penser les rapports de forces mondiaux. » LE MONDE DE L ÉCONOMIE Ce livre numérique ne comporte pas de dispositif de cryptage limitant son utilisation mais est identifié par un « tatouage »  permettant d'assurer sa traçabilité.

Économie_politique_internationale Chavagneux

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Christian Chavagneux

Économiepolitique

internationale

La Découverte

Collection

R E P È R E S  

ÉCONOMIE

SOCIOLOGIE

SCIENCES POLITIQUES• DROIT

HISTOIRE

GESTION

CULTURE • COMMUNICATION

N O U V E L L E É D I T I O N

« L’ouvrage, précis et documenté, entreprend de montrer

l’enrichissement qu’apporte cette “nouvelle” science

pour penser les rapports de forces mondiaux. »LE MONDE DE L’ÉCONOMIE

Ce livre numérique ne comporte pas de dispositif de cryptagelimitant son utilisation mais est identifié par un « tatouage »

 permettant d'assurer sa traçabilité.

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Qui détient le pouvoir dans l’économie mon-diale ? Les banques ? Le G20 ? La Chine ?Google ? Telle est la question principale àlaquelle répondent les spécialistes de l’éco-nomie politique internationale.

Mêlant l’économie, la science politique etl’histoire, cette discipline offre les outils per-mettant d’analyser les rapports de forcesmondiaux qui influencent la mondialisation.Une approche qui permet de décrypter desquestions au cœur de l’actualité : la domina-tion des États-Unis est-elle durable ? Lesmarchés financiers imposent-ils leur loi ?Quel est le pouvoir des entreprises multi-nationales? Etc.

Trois écoles de pensée, analysées ici endétail, se partagent les débats. La premièredéfend l’idée que les États restent les prin-cipaux acteurs du système international.La deuxième insiste sur la montée en puis-sance d’une classe dirigeante transnationale.La troisième met l’accent sur le rôle poli-tique croissant des acteurs non étatiques

(multinationales, banquiers, bandits…).Largement implantée dans les universitésanglo-saxonnes, l’économie politique inter-nationale reste peu connue en France. Cetouvrage veut combler cette lacune.

Christian Chavagneux

Économie politique internationale (nouvelle édition)

Christian Chavagneux est

 journaliste, rédacteur en

chef adjoint du mensuel

Alternatives économiques et rédacteur en chef de la

revue L’Économie politique .Il est l’auteur, dans la

collection « Repères », deLes Paradis fiscaux (avec

R. Palan, 2007, 2e éd.).

DANS LA MÊMECOLLECTION

Les classes sociales dans lamondialisation • La constructioneuropéenne • Les enjeux de lamondialisation • La gouvernancede la mondialisation • Sociologiedes relations internationales...

ISBN 978-2-7071-6477-3

TUE LE LIVRE

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Plus de 500 synthèses à jour, rédigées par des

spécialistes reconnus en économie, sociologie,

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Pour en savoir plus :www.collectionreperes.com

ÉCONOMIE

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Christian Chavagneux

Économie politiqueinternationaleN O U V EL L E É D I T I O N

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Remerciements. Merci à Jean-Christophe Graz, Ronen Palan etMarie-Claude Smouts pour leurs conseils lors de l’écriture de la

première édition de ce livre. Cette nouvelle édition a bénéficiéde mes échanges réguliers avec Ronen Palan et Benjamin J. Cohen sur leur discipline. Merci à Béatrice, ma fidèle lectrice.

Si vous désirez être tenu régulièrement informé des parutions de la collection« Repères », il vous suffit de vous abonner gratuitement à notre lettre d’informationmensuelle par courriel, à partir de notre site http://www.collectionreperes.com,où vous retrouverez l’ensemble de notre catalogue.

ISBN numérique : 978-2-7071-6477-3 Papier : 978-2-7071-6459-9

Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que repré-sente pour l’avenir du livre, tout particulièrement dans le

domaine des sciences humaines et sociales, le développementmassif du photocopillage. Nous rappelons donc qu’en applica-tion des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toutephotocopie à usage collectif, intégrale ou partielle, du présent ouvrage est interditesans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, ruedes Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale oupartielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.

© Éditions La Découverte, Paris, 2004, 2010.

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Introduction

« J’ai essayé d’apprendre à mes étudiants et à mes

enfants de ne pas s’attendre à un monde juste — mais

d’essayer de l’obtenir ; de travailler dur — mais de

remettre en question l’autorité, qu’elle soit politique

ou universitaire ; de se méfier des idéologies — mais

de respecter l’évidence ; d’éviter de suivre la foule

— pour faire confiance à son propre jugement et

défendre ses idées. »Susan STRANGE, 1989.

Q ui dirige l’économie mondiale ? Qui a assez d’influence pour

définir les règles du jeu et donner telle ou telle direction à la

mondialisation économique ? Les banquiers ? La Chine ? Le

G20 ? Google ? Cette question est essentielle, aussi bien pour

ceux qui se contentent du monde actuel et veulent seulementl’améliorer, que pour ceux qui souhaitent le changer. Changer

le monde, un peu ou beaucoup, demande de savoir comment y

sont organisés les rapports de forces et ce qui peut les modifier.

Face à une interrogation aussi essentielle, le citoyen se trouve

fort démuni. Il peut s’adresser aux économistes. Peine perdue.

Habitués à comprendre le monde à partir des échanges entre

les nations, ils ne s’interrogent ni sur les conditions politiques

des transformations économiques en cours ni sur la capacité desgouvernements à les ma îtriser politiquement. Le discours domi-

nant de la science économique se résume à une idée simple :

la mondialisation a accru les interdépendances entre les États,

ceux-ci devraient donc coopérer pour mettre en œuvre les solu-

tions efficaces que leur proposent leurs conseillers économiques.

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S’ils ne le font pas, c’est parce que la « volonté politique » n’est

pas au rendez-vous. Regardez bien les textes des économistes qui

s’aventurent à parler des enjeux politiques de la mondialisation,peu échappent à ce discours. Pourquoi cette volonté politique

n’est-elle pas présente ? Pourquoi les États n’adoptent-ils pas le

comportement a priori le plus efficace ? Quel est le rôle poli-

tique des multinationales, des investisseurs financiers, des orga-

nisations non gouvernementales (ONG) ? On ne le saura jamais.

Ainsi, l’économiste américain Barry Eichengreen [1998]* peut-il

expliquer beno îtement que les économistes n’ont rien à dire sur

le sujet parce qu’ils ne s’intéressent qu’à ce qui est quantifiable,

révélant ainsi l’une des grandes limites de la science écono-

mique pour comprendre le monde (même si lui en conclut que

les approches de science politique ne sont pas scientifiques pour

cette raison…).

Le citoyen motivé pourra alors être tenté de s’adresser aux

politistes qui s’intéressent aux relations internationales. Après

tout, ce sont eux les spécialistes des questions de pouvoir (qu’ilsappellent « puissance ») et des rapports de forces ! Seconde

déception. La très grande majorité souffre d’un handicap sérieux

pour expliquer les transformations du monde : leur manque de

formation économique n’a d’égal que celui des économistes en

matière de théorie politique. L’université n’aime pas le mélange

des genres. Elle reproduit des disciplines académiques dont les

figures principales se contentent souvent de leur monopole

local. Le politiste se retrouve ainsi autant perdu que son collègueéconomiste. Comment peut-il par exemple analyser les déci-

sions du G20 en matière de régulation financière s’il ne sait pas

lire un bilan bancaire ? Comment peut-il juger des rapports de

force entre la Chine et les États-Unis s’il ne sait pas lire les

comptes financiers d’une balance des paiements, etc. ?

Bref, ni la science économique ni la science politique ne

peuvent légitimement prétendre rendre compte à elles seules des

transformations majeures du monde. Doit-on se résoudre à desconnaissances parcellaires enfermées dans les contraintes d’un

découpage séculaire des sciences sociales ? Heureusement, la

réponse est non. Nombreux sont les chercheurs à avoir tenté de

* Les réf érences entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.

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sortir de leur discipline d’origine pour proposer une vision

alliant divers regards sur le monde. Ainsi, l’économie politique

internationale (EPI) qui est issue de la nécessaire complémenta-rité entre la science économique et la science politique, a étébâtie à partir du début des années 1970 pour proposer des

réponses pertinentes aux questions que suscite l’apparent

désordre international.

L’EPI n’est pas la seule à avoir emprunté cette voie. Chacune

à leur manière la théorie des jeux, l’économie du développe-

ment, la sociologie historique, ou les études de relations interna-

tionales mettant au centre de leur préoccupation l’analyse des

sexes, des races et des cultures procèdent des mêmes motiva-

tions. Autant d’approches qui mériteraient chacune un ouvrage

(pour une présentation de base, voir Palan [2000]). On s’est

centré ici sur les analyses qui cherchent à répondre directe-

ment à notre question « qui dirige l’économie mondiale ? ».

Elles ont pour commun dénominateur de vouloir associer dans

un même mouvement de pensée l’économique et le politique.Toutes cherchent à expliquer la nature, le fonctionnement et

la dynamique d’une économie mondialisée où l’espace de la

décision politique reste fragmenté, c’est-à-dire où il y a plusieurs

États et des acteurs politiques internationaux autres que les

États. Toutes laissent la place au temps long et à la dimension

historique des explications. Toutes mettent au cœur de leurs

réflexions une analyse du pouvoir (que chacune définit à sa

manière, on le verra).

Les trois réponses de l’EPI

Bien que partageant ces mêmes nécessités, les trois approches

d’économie politique internationale présentées ici proposent

des outils diff érents et offrent des visions contrastées de l’état du

monde et de ses rapports de forces.Pour l’EPI américaine, portée principalement par Robert

Gilpin, Robert Keohane et Joseph Nye, les États ont toujours étéet restent les acteurs dominants de l’économie mondiale. Ils exer-

cent un pouvoir dit « relationnel », car il s’exprime dans un

affrontement direct entre les acteurs. Il est déterminé par la

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mesure de leurs ressources matérielles (population, territoire,

capacités militaires…) et repose d’abord sur la force. Les cher-

cheurs qui s’en réclament cherchent à améliorer une planète quileur convient globalement, en conseillant la politique étrangère

de son acteur le plus puissant, les États-Unis. Ils souhaitent

améliorer la qualité de son leadership et promouvoir la coopéra-

tion interétatique dans le cadre des organisations internatio-

nales. Il faut à leurs yeux renforcer le libéralisme international,

pénaliser les États qui n’y obéissent pas et persuader les gouver-

nements que l’ouverture de leur économie leur sera toujours

bénéfique. Cette vision du monde est largement présente chez les

économistes et les hauts fonctionnaires des gouvernements. On

en a un exemple frappant dans le texte de synthèse du rapport

du Conseil d’analyse économique sur la régulation mondiale

[Jacquet, Pisani-Ferry, Tubiana, 2002 ; voir aussi Waltzer, 2001]

où la « bonne gouvernance » se résume à améliorer les condi-

tions de fonctionnement des organisations internationales. La

ma îtrise politique de la mondialisation devient alors un problèmed’optimisation sous contrainte de la répartition des tâches entre

ces organisations. L’objectif est de définir le bon modèle qui

suscitera les « bonnes pratiques » (coordination, légitimité, etc.)

capables d’assurer une action efficace des institutions intergou-

vernementales (une approche utile mais largement insuffisante,

cf. infra chapitre I et Chavagneux [2002b]).

L’EPI élaborée par la Britannique Susan Strange se place à

l’inverse dans une perspective critique de l’ordre établi. Lepouvoir est dit « structurel » et défini comme la capacitéd’influer sur l’état des choses de telle sorte que les préf érences de

celui qui l’exerce aient la priorité sur les préf érences des autres

dans les quatre structures fondamentales que sont la sécurité,

la production, la finance et la connaissance. Au total, le pouvoir

mondial résulte d’un mélange complexe d’autorités dans ces

diff érentes structures. Comme cette EPI veut changer le monde,

elle cherche d’abord à comprendre comment il fonctionne etqui le domine. Chaque domaine de l’économie mondiale doit

être examiné selon une méthode de diagnostic proposée par

cette littérature, et aboutir à des propositions alternatives pour

ceux qui ne se satisfont pas des rapports de forces ainsi révélés.

À chacun, ensuite, de faire ses choix, une fois informé du

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résultat des marchandages des forces en présence, de qui profite

de quoi, et des valeurs prioritaires qui en résultent. Comme le

résume Christopher May [1996, p. 189], les principes de base decette approche sont d’éviter de s’intéresser aux structures secon-

daires (le commerce, les transports, etc.), d’éviter de séparer le

national de l’international, et le politique de l’économique pour

se préoccuper du pouvoir structurel, de la hiérarchie des valeurs

et du rôle politique des acteurs non étatiques. L’approche par

le pouvoir structurel permet alors de décrypter la façon dont

s’exerce le pouvoir dominant des États-Unis, les canaux

d’influence de la montée en puissance des acteurs privés interna-

tionaux (firmes, ONG, mafias…), le développement de zones

sans régulation politique et la prise en compte d’une évolution

de la mondialisation qui ne soit le résultat de la stratégie définie

d’aucun acteur en particulier.

Enfin, pour l’EPI développée par le Canadien Robert Cox,

également située dans une perspective critique, la mondialisa-

tion est le résultat d’une « nébuleuse », regroupant les élémentsd’une classe dirigeante transnationale alliant les hauts respon-

sables des États et du secteur privé, capable d’exercer une hégé-

monie mondiale. Celle-ci est déterminée par la capacité de cette

classe dirigeante à contrôler les rapports de production et l’État,

à créer les conditions d’un consensus idéologique en sa faveur

et à cristalliser l’ensemble dans des institutions internationales

à leur service. Cette classe transnationale dominante impose à

l’ensemble du monde un « néolibéralisme disciplinaire », unordre global fondé sur la primauté des relations de marchéimposées dans toutes les formes de relations sociales et ancrées

dans nos pratiques quotidiennes, une marchandisation du

monde confortée par un « nouveau constitutionnalisme » qui

empêche le contrôle démocratique des puissants. Mais,

construction politique, économique et sociale qui prend sa

source aux États-Unis, ce néolibéralisme est en crise car contesté,

sans être encore véritablement remis en cause. Car ni unconsensus idéologique alternatif ni de nouvelles formes de

contrôle sur l’appareil productif n’ont encore vu le jour. C’est

une EPI critique qui souhaite, dans une position normative

assumée, que ces alternatives pourront exister et donner nais-

sance à une économie mondiale plus humaine et plus juste.

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     T    r    o     i    s    p    e    r    s    p    e    c    t     i    v    e    s     d        ’         é    c    o    n    o    m     i    e    p

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     4     7 ,

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    t    r    e     2     0     0     1 .

ÉC O N O MI E P O L IT I Q U E I N T ER N A TI O N AL E8

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D’où vient l’économie

politique internationale ?

L’économie politique internationale est

née quasiment en même temps des

deux côtés d e l’ Atlantique, aux États-

Unis et au Royaume-Uni, à la fin des

années 1960. S’il fallait lui trouver un

début « officiel », l’article de la Britan-

nique Susan Strange, en 1970, dans la

revue International Affairs , est un bon

candidat [Cohen, 2008, p. 21]. Strangeappara î t comme la première à s’être

pr éoccupée d e l a nécessité d’un e

nouvelle approche [Keohane, 2009,

p. 35]. Son article est suivi d’un numéro

spécial sur les relations transnationales,

publié en 1971, sous la direction des

 Américains Robert Keohane et Joseph

Nye, dans la revue International Organi-

zation. Il faut y ajouter ensuite le livrepublié par l’économiste Charles Kindle-

berger en 1973 qui, sans chercher  à  fonder une nouvelle discipline, nourrira

beaucoup l’approche américaine.

L’étude des relations internationales

est alors dominée par l’« école r éaliste »,

dont la principale pr éoccupation apr ès

deux conflits mondiaux et en pleine

période de guerre froide, est d’analyser 

le potentiel de conflit entre les grandsÉtats (voir chapitre I). L’EPI vient

d’abord bousculer cette vision du

monde à qui elle reproche sa courte

vue : il y a d’autres acteurs internatio-

naux que les États et, surtout, il y a

d’autres problèmes internationaux que

ceux touchant à la guerre, à la sécuritédu monde et aux rapports de forces

militaires.Pourquoi l’EPI na î t-elle à ce

moment-là, au début des années 1970 ?

La montée en puissance sur la scène

économique internationale de l’Europe

et du Japon est per çue comme un chan-

gement important apr ès le cavalier seul

des États-Unis dans la période d’apr ès

guerre. Afin que cette concurrence ne se

transforme pas en un affrontementsusceptible de diviser le camp de ceux

qui ont choisi de contenir l’influence de

l’URSS, un investissement intellectuel

devenait nécessaire pour comprendre la

montée de ces « interdépendances »économiques entre grandes puissances,

comme il allait devenir courant de les

appeler, et la façon dont elles étaient

traitées par la diplomatie des pays

démocratiques, dans des domainescomme la monnaie ou l’investissement.

C’est l’objet du livre pionnier de Richard

Cooper [1968], qui fait dire à Susan

Strange que « l’EPI n’était qu’une arme

supplémentaire dans la compétition

entre le capitalisme et le socialisme »[1998b, p. 8]. La décision du gouverne-

ment des États-Unis de dévaluer le dollar 

en 1971, mettant fin au système de tauxde change fixes de Bretton Woods, et le

premier choc pétrolier de 1973 vien-

nent donner raison à ces nouveaux

penseurs : économie et politique,

national et international sont liés. Ces

événements nourrissent l’intér êt portédans les années 1970 à l’EPI, qui finira

par s’institutionnaliser comme discipline

dans les années 1980 avant de se

développer véritablement dans lesannées 1990.

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Veut-on un exemple des diff érentes lectures du monde

auxquelles conduisent ces trois EPI ? Prenons l’accroissement du

rôle international des ONG. Les spécialistes de la premièreapproche le lisent comme la montée en puissance d’organisa-

tions étatiques cachées ou bien comme l’émergence de mouve-

ments de contestation déstabilisant la cohésion nationale et

l’autorité des États, interf érant dans leur diplomatie [Josselin et

Wallace, 2001, p. 1 ; Sur, 1999]. Pour Strange, ce sont des acteurs

au pouvoir structurel encore faible mais à surveiller [1999,

p. 353-354]. Pour l’approche canadienne, c’est le signe d’un

mouvement de contestation de l’ordre dominant, un élément

essentiel de la construction d’une classe sociale transnationale àmême de contester l’ordre mondial néolibéral et de promouvoir

la démocratie [Gill, 2002, chapitre 11].

On dira, par commodité, qu’il y a trois « écoles » d’EPI. Tout

en précisant immédiatement que, pour chacune d’elles, les

auteurs qui y sont rattachés conservent une liberté personnelle

telle qu’il ne faut pas imaginer l’affrontement de trois écoles depensée fermées, figées et uniformes. Mais ce sont tout de même

trois approches diff érentes et irréconciliables. C’est à ces trois

grands courants d’EPI, à ces trois visions de la mondialisation

et des rapports de forces qui la façonnent que l’ouvrage est

consacré. Pour comprendre comment chacune d’elles répond ànotre question de départ « qui domine l’économie mondiale ? ».

Tour d’horizon des outils disponibles pour penser les rapports de

forces mondiaux.

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I / Les États, rien que les États

Face à ceux qui pourraient s’inquiéter d’une érosion du pouvoir

des décideurs politiques devenus incapables de ma îtriser les

évolutions du monde, cette première approche est rassurante.

Les États restent les acteurs décisifs de la mondialisation écono-

mique et de sa régulation politique. Il en a toujours été ainsi etil en sera toujours ainsi. De ce point de vue, affirme le cher-

cheur américain Robert Gilpin, « la nature des relations interna-

tionales n’a pas fondamentalement changé depuis mille ans ».

La période contemporaine n’est que le nouvel épisode d’un

scénario immuable.

Quelles sont les lignes directrices de ce scénario ? Elles sont

au nombre de trois. La première stipule que les questions de

sécurité dominent l’organisation du monde. Hier, les questionsnucléaires, le terrorisme aujourd’hui. C’est le fondement de

l’approche réaliste. La seconde postule que la planète ne peut

conna ître une évolution stable que s’il existe un pays dominant

se donnant pour objectif d’organiser les rapports mondiaux.

C’est la théorie de la stabilité hégémonique. La dernière souligne

la nécessité d’une coopération entre États, notamment par

l’intermédiaire des organisations internationales comme le

Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisationmondiale du commerce (OMC), pour élaborer les règles et les

normes d’une bonne régulation. C’est la théorie des régimes.

Trois idées de bon sens. C’est en tout cas la façon dont elles

sont perçues, et acceptées, par la très grande majorité des écono-

mistes, des spécialistes de relations internationales et des hauts

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fonctionnaires du monde entier. Puisqu’elles tiennent lieu de

pensée dominante, d’orthodoxie, il faut entrer dans le détail de

leurs raisonnements. Pour mieux les comprendre. Et montrerqu’elles sont fausses.

Après avoir nourri un nombre considérable de volumes

pendant des années, elles sont désormais assez largement aban-

données. Une nouvelle mode a commencé à se développer au

cours des années 1990 pour s’installer ces dernières années au

cœur de l’approche américaine d’EPI. Elle consiste à souligner

les liens entre dimensions politiques internes et externes dans

le cadre d’une approche dite « politique en économie ouverte »(Open Economy Politics ou OEP). Ses méthodes s’appuient sur

celles de la science économique dominante, ce qui n’est pas sans

produire des débats au sein de la communauté des chercheurs

d’EPI dans la mesure où elle en reproduit tous les défauts.

À la base : l’« école r éaliste »

À la base de cet échafaudage, il y a l’école réaliste. Une

approche qui comporte des dimensions philosophiques, reli-

gieuses, etc. Il ne s’agit pas ici d’en présenter toutes les facettes

mais seulement une lecture dont l’objectif est de mettre en

évidence la façon dont elle pense la régulation politique de

l’économie mondiale.

On peut lui donner une origine très ancienne, par exemplechez Thucydide, un historien grec du Ve siècle avant notre ère

dont la postérité provient de sa magistrale Histoire de la guerredu Péloponnèse où la volonté de puissance des États joue un rôle

essentiel. Un peu plus près de nous, la vision du monde qui

prévaut à la fin du XIXe siècle s’appuie sur le discours de la puis-

sance et du droit : le monde est considéré comme la rencontre

d’États égaux assurant les règles nécessaires à leur coexistence

(ce que l’on baptisait alors de « concert des nations »). Un degréminimum de coopération favorise les arbitrages juridiques

nécessaires (notamment par la signature d’accords bilatéraux

entre les pays). Le premier conflit mondial de 1914-1918 amène

le développement de la discipline des relations internationales

dont l’objectif est de comprendre les conditions de la guerre et

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de la paix. L’entre-deux-guerres est alors marqué par une vision

« idéaliste » du monde confiant au droit international le soin de

régler d’éventuels conflits (c’est l’idéal de la Société des Nations)et au progrès technologique et à l’accroissement des liens écono-

miques internationaux celui de contribuer à la formation d’une

société globale, harmonieuse et pacifiée. La montée du nazisme,

l’affrontement des années 1940 et les premiers pas de la guerre

froide jettent le doute sur cette représentation du système poli-

tique et économique international et suscitent, en réaction, une

approche se réclamant du « réalisme politique », c’est-à-dire « le

langage du pouvoir et des intérêts plutôt que celui des idéaux

et des normes », indique l’Américain Robert Keohane [pour une

présentation de la naissance et de l’évolution de l’école réaliste,

voir Guzzini, 1998 ; Battistella, 2006].

Les fondements 

Quels sont les fondements de l’approche réaliste ? Plus qu’une

théorie scientifique, souligne Robert Gilpin, l’un de ses meilleurs

défenseurs contemporains, le réalisme « doit être vu comme une

disposition philosophique…, comme une prise de position sur la

condition humaine…, qui est fondée sur une vision pessimiste

des capacités humaines et du progrès moral » [1986, p. 304]. Au

départ, donc, un pessimisme philosophique de principe sur la

nature humaine.Sur cette base, l’approche réaliste s’appuie sur trois hypo-

thèses fondamentales : les États, soit, dans leur forme contem-

poraine, les États-nations, sont les acteurs les plus puissants du

système international ; l’État-nation est un acteur unitaire (il n’ypas de bataille entre les diff érents ministères), il parle d’une

seule voix, et il est le lieu de médiation unique entre l’inté-

rieur et l’extérieur d’un pays, les autres acteurs agissant à l’inter-

national (entreprises, ONG…) n’ont pas de stratégie propre etsont négligeables dans la compréhension du monde car les iden-

tités sont d’abord nationales. L’État-nation est aussi un acteur

rationnel, comme celui des économistes néoclassiques, qui fait

son bilan coût-avantage à chaque fois qu’il prend une décision ;

les États-nations ne sont motivés que par leur intérêt propre,

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même s’ils doivent l’exprimer au détriment de celui des autres

États-nations.

De sa prise de position philosophique initiale et de ses hypo-thèses fondamentales résulte un ensemble de propositions qui

complète le corpus réaliste. D’abord, on n’en sera pas surpris, les

relations entre États suffisent à définir le système mondial dans

son ensemble. Une fois que l’on a compris la nature des relations

entre les dirigeants des États-Unis, de l’Union européenne et de

la Chine, on a tout compris de l’état de la planète. Surtout, les

relations internationales sont conflictuelles par nature, l’anar-

chie en est la règle et la tendance naturelle. De ce fait, c’est l’État

le plus fort qui sera le mieux à même de promouvoir son intérêt

national. Chaque État est à la recherche des moyens qui lui

permettra de contraindre les autres États directement, par

l’affrontement, à faire ce qu’ils n’auraient pas fait volontaire-

ment. D’où l’intérêt que porte la tradition réaliste aux réflexions

sur la guerre et les débats de stratégie militaire. Car les États se

trouvent à la recherche du maximum de sécurité, c’est-à-dire dela meilleure protection contre les contraintes des autres. La défi-

nition et la mise en œuvre de cette sécurité s’inscrivent même

au cœur de leurs préoccupations. La conclusion est directe : le

meilleur instrument est la force, qui dépend des ressources maté-

rielles (puissance de l’économie, nombre d’avions, de chars, etc.)

et humaines (démographie) installées sur le territoire national.

La diplomatie et la guerre sont les instruments privilégiés de

résolution des conflits entre les États et les thèmes principaux deréflexion des chercheurs réalistes.

Le pouvoir relationnel 

Pour cette école, le pouvoir est donc relationnel : il se définit

comme la capacité d’un État à forcer directement un autre État àfaire ce qu’il n’aurait pas fait sinon, dans l’objectif d’accro ître

sa sécurité. Il dépend des ressources (militaires, naturelles, démo-graphiques) dont dispose chacun des États. Il repose sur la force.

C’est pourquoi les réalistes donnent la priorité à l’étude des

questions de sécurité internationale (high politics), les aspects

politiques des relations économiques et sociales internationales

étant secondaires (low politics). Ce qui se produit dans la sphère

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économique internationale se trouve ainsi entièrement subor-

donné au système politique international, l’économie n’étant

que l’un des champs particuliers de la lutte pour la sécurité entreles États-nations. Par exemple, les firmes multinationales n’exis-

tent que parce que leurs activités servent « les intérêts de base

(économiques, politiques ou même de sécurité) de leur nation

d’origine », souligne Robert Gilpin. Certes, les réalistes ne nient

pas l’existence d’autres acteurs internationaux que les États,

qu’ils soient individuels ou collectifs, en particulier les acteurs

économiques. Mais ces derniers évoluent dans un système inter-

national sur lequel ils n’ont pas d’influence et qui reste struc-

turé par les relations de sécurité entre États. Les multinationales

n’ont donc aucun poids politique, ni les mouvements sociaux

à dimension internationale. Si la mondialisation de l’économie

progresse, c’est parce que les États le veulent bien et que cela

sert sûrement les intérêts des plus puissants d’entre eux. Une

situation tout à fait réversible s’ils décident d’y mettre fin et de

recourir à des pratiques moins libérales. Le degré de mondiali-sation en diminuera d’autant, obéissant à leur volonté politique.

Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, cette

lecture du monde axée sur la domination des questions de sécu-

rité est revenue s’installer en force sur le devant de la scène. On

ne peut être que frappé par la façon dont elle a nourri une partie

du discours des conseillers stratégiques du président Bush : le

monde ne peut être stable que si l’Amérique fait voir sa force

dans un affrontement avec un terrorisme mondial émanantforcément d’autres États, voyous, comme l’Irak. Sans aller

jusqu’aux États-Unis, on a un exemple des implications d’une

lecture du monde réaliste par les commentaires de la situation

mondiale proposés alors par le chercheur français Pierre Hassner

dans la revue Esprit  [2002]. Pour ce spécialiste, avec l’adminis-

tration de George W. Bush, « on passe de la mondialisation

heureuse où l’Amérique clintonienne espérait régner par la

séduction et le dynamisme économique, à la mondialisationsombre, dramatique ou tragique, où l’Amérique livre une lutte

sans merci, en tout lieu et en tout temps à un ennemi mortel ».

La mondialisation n’est lue qu’au travers du comportement de

son État le plus puissant, les États-Unis, lui-même ramenéuniquement à l’expression de sa politique étrangère, elle-même

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ramenée uniquement aux questions de sécurité. Une démarche

réaliste typique. Est-elle éclairante pour comprendre notre

monde ? Il ne semble pas, par exemple, que Microsoft ou Googlese portent mal, que la diffusion mondiale du cinéma holly-

woodien périclite ou que le dollar ait perdu de son influence

internationale même après la crise des subprimes ! Bref, la

mondialisation n’appara ît ni sombre, ni dramatique, ni tragique

pour de nombreux acteurs américains. On comprend bien que

l’approche réaliste ne nous donne pas les outils suffisants pour

porter un diagnostic général sur l’état du monde.

Les réalistes proposent en fait une photographie de la planète

à un moment donné, qui la montre prise dans un équilibre de

forces politiques étatiques, où le plus fort, forcément un État,

est uniquement préoccupé de régler la sécurité du monde à son

profit. En bref, la mondialisation, dans toutes ses dimensions,

ne peut être comprise au début du siècle que par l’étude du posi-

tionnement de l’administration américaine face aux questions

de sécurité internationale. Toute autre forme d’analyse, ne sepréoccupant que de sujets secondaires, est superflue. Afin de

progresser dans l’analyse, plusieurs auteurs ont introduit des

éléments dynamiques tentant de comprendre les transforma-

tions dont fait l’objet le système international. C’est là qu’entre

en jeu la théorie de la stabilité hégémonique.

Stabilité et guerres hégémoniques

On doit à l’économiste américain Charles Kindleberger

d’avoir proposé le premier, au début des années 1970, les

éléments de la théorie de la stabilité hégémonique. Expliquant

la crise financière de 1929, il note que la période est marquée

par la fin de la domination britannique sur le monde sans que

les États-Unis aient encore pris la relève. Il manquait donc un

leader pour prendre en charge politiquement la stabilité finan-cière internationale [Kindleberger, 1973]. La théorie de la stabi-

lité hégémonique pose donc que l’existence d’une puissance

dominante est la condition nécessaire et suffisante à l’existence

d’une économie internationale ouverte et stable. Le pays leader

maintient la stabilité de l’économie mondiale en assurant que la

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distribution du crédit mondial est adéquate (il fournit la liqui-

dité nécessaire en cas de crise, jouant le rôle de prêteur en

dernier ressort), que les taux de change sont stables, la coordi-nation macroéconomique assurée et les marchés ouverts. Il est le

géant bienveillant qui assure le respect des règles par l’ensemble

de la communauté des États. Sur cette base, les auteurs réalistes

comme Stephen Krasner et Robert Gilpin complètent l’approche

en indiquant que la puissance dominante ne joue pas ce rôle par

pure bonté mais parce que cela sert ses intérêts, en particulier la

promotion de sa sécurité.

Ainsi, forte de sa position dominante au début du XIXe siècle,

la Grande-Bretagne a assuré la promotion d’un système

commercial ouvert en démantelant ses protections tarifaires,

l’activité de la place financière de Londres permettant en même

temps un accroissement sans précédant de la mobilité des capi-

taux, tout en maintenant un système de change stable,

l’étalon-or. Puis, au fur et à mesure du déclin britannique, le

protectionnisme commercial et financier a fait son retour à la findu siècle et le premier conflit mondial a emporté l’étalon-or. Il

faudra attendre l’après Seconde Guerre mondiale pour que les

États-Unis jouent à nouveau le même rôle de leader bienveil-

lant. Encore une fois, la tendance de l’économie à se mondia-

liser résulte entièrement des choix de l’État le plus puissant qui

dispose des moyens d’en imposer le respect aux autres États.

C’est ce qu’ont fait la Grande-Bretagne au XIXe siècle et les

États-Unis au XXe siècle.

Le libé ralisme contre l ’ hé g é monie 

Comment s’articule alors la dynamique du système interna-

tional ? L’ouvrage de 1981 de Robert Gilpin y est entièrement

consacré. Le système international est, à l’origine, supposé en

état d’équilibre, c’est-à-dire que les conditions économiques,

politiques et territoriales du système conviennent aux États lesplus puissants qui le dominent, en particulier au premier d’entre

eux, l’« hegemon ». Le facteur déstabilisant qui vient perturber

cet équilibre tient à ce que, pour des raisons technologiques,

économiques et politiques, le pouvoir des diff érents États a

tendance à évoluer de manière diff érenciée, incitant ceux dont

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le pouvoir s’est accru à réorienter le fonctionnement du système

international en leur faveur. La résolution des conflits, liés à la

modification de la répartition des pouvoirs, passe alors par une

« guerre hégémonique » dont le résultat déterminera le nouveau

ma ître du monde.

Explications : le leader hégémonique occupant le centre de

l’économie internationale, étant le plus compétitif des acteurs,

est incité à maintenir un système économique libéral. Malheur

à lui : ce libéralisme contribue à diffuser l’innovation au niveau

international, entra înant son déclin par la montée en puis-sance de ses concurrents, début d’une transition d’un leader

hégémonique à un autre. Cette période de transition est

marquée par une montée du nationalisme économique et une

concurrence f éroce entre États qui menacent l’ordre du système

international. C’est exactement la mésaventure qui est survenue

aux États-Unis, d’après les défenseurs de cette approche. Après

avoir assuré un système économique international ouvert dans

la période d’après guerre, l’Europe et le Japon ont vu leurs forcesse reconstituer, ce qui les a placés en position de concurrents,

cherchant à prendre la premièr e p la ce a u détriment des

États-Unis, considérés comme en déclin.

Lue à l’aune du début du XXIe siècle, cette vision du monde

d’où la Chine est encore absente et où le Japon et l’Europe sont

comme des puissances mondiales lancées dans une guerre hégé-

monique pour abattre dé

finitivement desÉ

tats-Unis en dé

clin ade quoi surprendre. Mais cela n’empêche pas certains auteurs

de s’accrocher ferme à leurs convictions. Ainsi, Robert Gilpin

[1987, 2001] nous décrit un monde instable et dangereux, en

proie au développement d’un mercantilisme généralisé où prime

l’alliance du nationalisme économique — chaque État cher-

chant à influencer à son profit la division internationale du

travail — du repli régionaliste et du protectionnisme sectoriel.

Par exemple, même s’il écrit qu’il est trop tôt pour mesurer lesconséquences politiques de la création de l’euro, Gilpin ne peut

s’empêcher quelques pages plus loin de la présenter comme une

source de conflit entre l’Europe et les États-Unis avant de finir

sur un scénario catastrophe, typique de l’auteur, d’explosion du

système monétaire international [2001, p. 255-257].

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En définitive, l’état du monde actuel ne peut être que transi-

toire. Seule une guerre pourrait apporter une solution défini-

tive à l’instabilité du monde contemporain, unique moyen defaire émerger un nouveau leader hégémonique après les

États-Unis, point de passage obligé d’un retour à l’équilibre du

système international. Jusqu’à présent, les vestiges de la puis-

sance américaine — Gilpin indique même, de manière éton-

nante par rapport à sa p ropr e thèse, q ue « le pouvoir

économique américain et sa force de marchandage sont restés

substantiels » [1987, p. 379] —, l’inertie des forces historiques

et l’intérêt commun des États à éviter les conflits ont modéréles conséquences inéluctables de cette situation anarchique

[p. 394].

Gilpin ne croit pas à la possibilité d’un leadership multiple

associant les grandes puissances, car chacune poursuit ses

propres priorités et refusera toujours de sacrifier ses intérêts sur

l’autel d’une quelconque coordination internationale. Celle-ci

est impossible à mettre en œuvre, tout simplement parce qu’iln’existe aucun objectif qui soit commun aux principaux

pouvoirs étatiques ou interétatiques. Plus, les diff érences entre,

par exemple, le Japon et ses principaux partenaires, ne sont pas

d’ordre économique mais résultent d’un « clash culturel des

sociétés, avec des priorités nationales, des valeurs sociales et des

structures domestiques diff érentes », souligne Gilpin dès 1987

[p. 377], annonça n t a in si les thèses à venir de Samuel

Huntington sur l’affrontement des civilisations.La théorie de la stabilité et des guerres hégémoniques remplit

son contrat : sur les bases de l’approche réaliste, elle fournit les

éléments d’analyse expliquant comment se produisent les trans-

formations du système international. Ses défenseurs ont le

mérite de pointer du doigt que ni la mondialisation libérale ni sa

stabilité ou son instabilité ne sont des évolutions naturelles.

Elles résultent en grande partie de choix (ou de non-choix) poli-

tiques dans lesquels la Grande-Bretagne, au XIXe siècle, et lesÉtats-Unis, depuis plus de cinquante ans, jouent un rôle

prépondérant.

Pourtant cette approche ne semble pas à même d’expliquer le

monde actuel. Elle est d’ailleurs tombée en désuétude. Même si

l’on accepte de se situer dans sa logique, rien ne permet en effet

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d’expliquer l’état des lieux initial avant que le système ne se

transforme : ni pourquoi il a pris cette forme (d’où vient l’hégé-

monie américaine ?) ni comment on en est arrivé là (il n’y a paseu de guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis). De la

même façon, on a du mal à savoir pourquoi les forces de chan-

gement de l’équilibre initial vont se mettre en route (quand et

comment les États-Unis ont-ils commencé à décliner ?). De plus,

une fois le changement lancé, les conflits qu’il provoque sont

censés s e résoudre par la guerre entre grandes puissances

étatiques. Or la supposée chute de l’Empire américain et la

montée en puissance du Japon et de l’Europe puis de la Chine

auraient dû provoquer cette guerre. La réalité dément jour après

jour cette conclusion.

Face à cette impasse, deux solutions vont se développer dans

la littérature. Soit constater qu’en dépit du déclin avéré des

États-Unis, le système international ne s’est pas dévoyé dans la

guerre et essayer d’expliquer pourquoi. C’est la voie qui mène

à la théorie des régimes (c’est le choix que fera par exemple Joseph Nye dans les années 1980). Soit une remise en cause de

l’affirmation de départ selon laquelle les États-Unis ont perdu

leur titre de leader hégémonique (c’est le choix que fera par

exemple Joseph Nye au début des années 1990).

La théorie des r égimes

En l’absence de leader hégémonique, le système interna-

tional ne dispose pas d’autorité politique mondiale. Les États,

qui n’ont plus de chef pour les guider, sont perdus, se coordon-

nent mal. Ils sont prisonniers de « coûts de transaction élevés

en situation d’incertitude », pour parler comme les écono-

mistes, et n’adoptent pas les solutions optimales que donnerait

la coordination. Pourtant, le système international fonctionne,

il existe des institutions internationales, il s’en crée même denouvelles comme l’OMC pour régler les diff érends commer-

ciaux. Comment cela est-il possible ? La réponse de la théorie

des régimes consiste à affirmer simplement que l’hégémonie

n’est pas forcément nécessaire à la stabilité et au libéralisme du

système international. Les régimes représentent ainsi la variable

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complémentaire qui permet de répondre à l’incertitude et aux

défaillances du « marché politique international ». Elle est un

complément, et non un concurrent, à l’approche réaliste.Robert Keohane et Joseph Nye ont développé en 1977 les

premières intuitions qui allaient amener à cette nouvelle

approche. Ils définissent alors un régime international comme

l’ensemble des accords qui permettent de gérer des relations

d’interdépendance complexes. Un régime correspond au

« réseau de règles, normes et procédures qui orientent les

comportements et contrôlent leurs effets ». Mais c’est la défini-

tion proposée en 1983 par Stephen Krasner qui fera autorité : les

régimes sont « les principes, normes, règles et processus de déci-

sions autour desquels convergent les anticipations des acteurs

dans un domaine précis d’interaction » [1983, p. 1]. Ils permet-

tent aux États de faire des choix qui, sans être complètement

optimaux, satisfont au plus près leurs objectifs par la coordina-

tion de leurs comportements, et sont nécessaires à la stabilité

du système en l’absence de leader hégémonique. Une coopéra-tion posthégémonique devient alors possible comme source de

régulation de l’économie mondiale. Elle s’établit au niveau de

chaque domaine traité (issue area), défini comme l’ensemble des

problèmes résolus par une négociation commune et par les

mêmes acteurs [Keohane, 1984, p. 61]. La stabilité du système

international résulte ainsi d’un réseau de régimes internatio-

naux qui crée un cadre permanent et organisé de négociations

entre les États et établit les normes de comportement et decontrôle de leurs actions. Les théoriciens des régimes étudient

ainsi le régime commercial international, le régime monétaire

international, le régime de régulation des océans, le régime

pétrolier, etc.

Dans le monde d’interdépendance complexe décrit par les

régimes, le pouvoir ne peut plus reposer sur la force. La loi du

plus fort s’exprime dans chacun des régimes sectoriels et le vain-

queur change en fonction des domaines (finance, commerce,pétrole…). C’est donc un monde duquel toute hiérarchie

absolue est absente. Il n’y a plus de pays globalement dominant,

de leader hégémonique total, capable d’assurer un contrôle

entier sur le système international et de veiller à sa stabilité. Les

régimes permettent d’assurer celle-ci en organisant un

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leadership multiple, où un pays peut être leader sur un domaine

et suiveur dans un autre. Chacun assure, en fonction de ses

propres intérêts, le fonctionnement du régime considéré. Unesolution plus facile à mettre en œuvre qu’un leadership collectif 

qui supposerait un niveau de coordination entre les grandes

puissances difficile à atteindre.

Cette approche va dominer les études anglo-saxonnes des

relations internationales pendant de nombreuses années. Hasen-

claver, Mayer et Rittberger [1997], largement repris par Kébabd-

jian [1999], ont montré que le vaste ensemble d’études se

réclamant de la théorie des régimes peut être regroupé en trois

grands courants : l’approche par les intérêts (les régimes sont

le résultat de l’intérêt des États et produisent l’information

nécessaire à la réduction de l’incertitude qui permet la coopéra-

tion), l’approche par le pouvoir (les régimes résultent surtout

du pouvoir relatif des diff érents États et sont d’autant plus

stables que l’un d’entre eux est en position dominante), ou

l’approche par le savoir (la façon dont les États se définissentles uns par rapport aux autres et déterminent leurs intérêts

dépend des croyances et des savoirs normatifs des décideurs).

Le chapitre final de leur ouvrage appelle à la synthèse des trois

courants comme l’aboutissement souhaitable de la théorie des

régimes.

Le passage des principes de la théorie à l’étude concrète de

l’économie mondiale va se révéler décevant. On en a un

exemple frappant avec la mise en perspective des évolutions ducommerce et du système monétaire et financier international.

Kébabdjian, par exemple [1999, chap. 4], de manière révéla-

trice pour ce genre d’approche, propose une histoire du système

monétaire international de l’étalon-or à nos jours qui reste une

description très classique telle qu’on peut la trouver dans

n’importe quel bon manuel de finance internationale. L’auteur

nous indique que telle période peut être qualifiée de « régime »

et pas telle autre, sans que cela ajoute grand-chose à la compré-hension des événements.

L’approche par les régimes, sa focalisation sur les États et la

coopération interétatique sous-tendent une bonne partie des

réflexions des économistes sur les organisations économiques

internationales. On en a un exemple avec le rapport du Conseil

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d’analyse économique sur la gouvernance mondiale [Jacquet,

Pisani-Ferry et Tubiana 2002]. Il nous propose une vision de la

régulation politique de la mondialisation ramenée à unproblème d’optimisation sous contrainte de la répartition des

tâches entre les organisations internationales. L’objectif est de

définir le bon modèle politique qui suscitera les « bonnes

pratiques » (coordination, légitimité, etc.) capables d’assurer une

action efficace des institutions intergouvernementales. Cher-

cher les moyens de rendre le Fonds monétaire international, la

Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce, etc.

plus légitimes, mieux spécialisés, plus responsables, transpa-

rents et démocratiques est nécessaire et le rapport y contribue

largement par ses propositions. En rester là lorsque l’on s’inter-

roge sur la nature des forces politiques susceptibles d’orienter la

mondialisation est insuffisant.

Cela conduit, par exemple, à refuser de s’interroger sur le rôle

de l’hégémonie américaine, qui fait pourtant toujours débat

aujourd’hui. Celle-ci est assimilée à la défense de l’intérêtnational américain par la coercition, or, nous est-il dit, « nul

n’est prêt à accepter sans discussion les options avancées par

quelque pays que ce soit, y compris le plus puissant » [p. 31].

Une analyse assez fruste de l’hégémonie des États-Unis pour un

rapport censé s’intéresser à la régulation politique de la mondia-

lisation économique.

Par ailleurs, la période d’après guerre est présentée comme un

âge d’or de la coopération internationale sur lequel nousdevrions prendre modèle. On oublie que les négociations de

Bretton Woods ont d’abord été celles entre les États-Unis et le

Royaume-Uni, entre 1942 et 1944, et que les autres pays ont étéconviés ensuite à ratifier ce qui avait été décidé. On oublie que

les objectifs des Américains étaient de casser l’Empire britan-

nique, pour pouvoir mieux y exporter, et instaurer la domina-

tion du dollar. On oublie que les Britanniques, endettés jusqu’au

cou, voulaient obtenir le droit d’être le plus longtemps possibleà découvert, et cherchaient à imposer aux États-Unis un méca-

nisme institutionnel les contraignant à dépenser leurs excédents

pour nourrir l’économie mondiale. Bel exemple de coopération !

On oublie aussi que la Banque d’Angleterre, en association avec

les élites financières de la City, jettera le système par-dessus bord

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dès 1957, sacrifiant définitivement le rôle international de la

livre sterling au profit du développement de la place financière

de Londres, en organisant la naissance du marché des euro-dollars (des dollars déposés et prêtés en dehors des États-Unis)

[Burn, 1999]. Ce marché ouvre une brèche dans le système régle-

menté des opérations bancaires internationales, à partir de

laquelle les dollars peuvent s’échapper pour passer dans un

univers monétaire parallèle que nous appelons maintenant off-

shore, celui de la mondialisation financière, celui des paradis

fiscaux [Chavagneux et Palan, 2010 ; Palan, Murphy et Chava-

gneux, 2010] dont les dysfonctionnements produisent les crises

que nous connaissons aujourd’hui. C’est cela l’âge d’or de la

coopération internationale qui nous manquerait tant

aujourd’hui…

Une critique des r é gimes 

Dès 1982, Susan Strange proposait une critique de la théoriedes régimes dont les éléments restent valides et sont même

aujourd’hui en partie reconnus par ses défenseurs. La critique

porte sur cinq domaines.

Il y a d’abord le flou conceptuel de la notion de régime. Les

années 1980 et 1990 sont marquées par des discussions sans fin

sur la définition et la dynamique des régimes internationaux,

chaque auteur proposant sa propre définition et ses propres caté-

gorisations. Hasenclaver, Mayer et Rittberger [1997, p. 8-22] ontainsi répertorié dans leur synthèse au moins six cadres concep-

tuels diff érents et concluent à la validité de la critique de

Strange : le régime est un concept mou. Comme le montre égale-

ment la conclusion de leur ouvrage et ainsi que l’indique

Kébabdjian [1999, p. 45-46], les théoriciens des régimes croient

en l’existence d’un « Eldorado » de la science politique qui

permettrait de rendre compte en un seul schéma théorique de

l’ensemble du monde, pourtant découpé en une multitude derégimes. La réalité se conformant mal à un cadre unique

d’analyse, cas et sous-cas se sont multipliés à l’excès.

Le questionnement proposé par les régimes est, deuxième-

ment, trop americano-centré. Au-delà du fait que ceux qui ont

développé l’approche par les régimes sont tous américains,

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celle-ci est née en réponse à deux perceptions de l’évolution du

système international présentes surtout outre-Atlantique : celle

d’une perte de pouvoir des États-Unis et celle d’une déceptionface aux difficultés des institutions internationales à repré-

senter une autorité politique internationale. Le reste du monde

a gardé plus de distance avec la thèse du déclin américain et

les populations des pays en développement n’ont pas toujours

trouvé que le FMI et la Banque mondiale exerçaient une autoritéfaible ! En fait, avec la théorie des régimes, les États-Unis sortent

exempts de toute responsabilité dans l’évolution de la mondiali-

sation : puisqu’ils ne sont pas puissants et que leur autorité est

déclinante, on ne peut les tenir pour responsables de l’évolution

du monde et de son instabilité.

Le concept de régime est, troisièmement, biaisé en faveur de

l’ordre et de la permanence du système au détriment, d’une part,

de l’analyse de sa dynamique et, d’autre part, de la justice, de

l’efficacité ou de sa légitimité [par exemple, Kébabdjian, 1999,

p. 141-144]. C’est un point important. Il conduit les spécialistesconcernés à ne pas s’interroger sur les domaines de l’économie

mondiale qui peuvent être caractérisés par l’absence de régime,

comme on essaie de le montrer dans le cas de la finance interna-

tionale (chapitre II). Il conduit également à vouloir démontrer àtoute force que l’ordre du monde change peu, en tout cas peu

souvent.

La théorie des régimes présente en effet une vision trop

statique : cette approche ne donne finalement qu’un cadred’analyse qui observe un ensemble de régimes à un moment

donné. D’où viennent-ils ? Quelles sont les forces qui les font

changer ? Pourquoi sont-ils supposés être stables ? Autant de

questions qui restent sans réponse. Les régimes sont censés

représenter des périodes de stabilité qui n’existent pas. Les règles

et normes politiques de la mondialisation sont en renégocia-

tion permanente et cet aspect dynamique est primordial pour

comprendre la façon dont évoluent les rapports de forces dansl’économie mondiale.

C’est enfin une approche stato-centrée, uniquement préoc-

cupée du rôle des États. Les théoriciens des régimes sont des

universitaires souvent proches des processus de décision de la

politique étrangère américaine [Hoffmann, 1977]. De ce fait, les

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questions politiques internationales qui les intéressent sont

surtout celles de la politique des États. Et, comme ils sont améri-

cains, leur principale et souvent seule préoccupation est decommenter ou d’influencer la politique étrangère du gouverne-

ment des États-Unis. Une approche bien trop limitée pour

comprendre les rapports de forces en jeux au niveau mondial.

Dans la théorie des régimes, l’économie et les forces écono-

miques, où dominent les signaux de prix et où le secteur privéest actionné uniquement par des logiques de profit et de concur-

rence, et le système politique international, où dominent les

relations de hiérarchie et de contrôle du conflit, opèrent dans

deux mondes séparés dont les interactions doivent être étudiées.

En refusant à l’économie d’être l’un des facteurs déterminants

de ce système politique international, les théoriciens des régimes

restent fondamentalement des politistes spécialistes de relations

internationales. La faiblesse de leur approche les a d’ailleurs

condamnés à un oubli progressif. Après avoir imposé le flou de

ses analyses à l’EPI américaine pendant de nombreuses années,la théorie des régimes est aujourd’hui enterrée.

Le soft power 

À partir de 1990, Joseph Nye, qui avait été l’un des initia-

teurs de la théorie des régimes, change sa vision du monde et

développe une nouvelle notion qui va faire florès, celle de soft  power . On la retrouve depuis à toutes les sauces, dans la plus

grande imprécision. Aussi cela vaut-il la peine de retourner aux

textes de Nye [1990, 2002] pour présenter cette nouvelle façon

d’appréhender le pouvoir dans l’économie mondiale.

Dans la ligne du questionnement originel de l’économie poli-

tique internationale, il s’agit bien pour Joseph Nye de répondre

à la question : « Quelles sont les nouvelles formes du pouvoir

dans la vie politique internationale contemporaine ? » Cesformes nouvelles du pouvoir permettent à Nye de justifier le

retournement de sa position : alors que la théorie des régimes

avait été inventée pour comprendre comment le monde peut

être stable en l’absence de leader global, Nye affirme d’emblée

que les États-Unis n’ont en fait jamais cessé d’être l’acteur

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étatique le plus puissant. Son souci est alors de s’assurer que les

dirigeants américains puissent jouer le rôle de leaders éclairés

de la planète, d’organisateurs de la production des biens publicsmondiaux (stabilité financière internationale, lutte contre les

mafias, protection du climat…). L’objectif premier des analyses

de Nye est de conseiller la politique étrangère du gouverne-

ment américain en lui donnant les clés de compréhension de

l’exercice du pouvoir dans l’économie mondiale. Il sera ainsi

membre des gouvernements démocrates de Jimmy Carter et de

Bill Clinton. Car les États restent pour Nye les premiers acteurs

de la mondialisation, ceux qui y jouent le rôle de premier plan,

même s’ils partagent la scène avec d’autres acteurs importants.

Mais ceux-ci ne sont pas la source d’un défi frontal pour les

États ; ils ajoutent de nouvelles relations internationales

évoluant dans un autre monde, à côté des États et non

contrôlées par eux.

Comment analyse-t-il le pouvoir dans l’économie mondiale ?

Dans son ouvrage de 2002, Nye en propose une définition : « Lepouvoir est la capacité de parvenir au résultat que l’on souhaite

et d’être capable, si nécessaire, de changer le comportement des

autres pour y arriver » [p. 4]. Nye s’intéresse alors à l’étude des

ressources qui permettent d’exercer le pouvoir. Dans une

approche réaliste de base, la principale ressource est militaire.

Celle-ci joue encore un rôle, nous dit Nye, mais plus le rôle prin-

cipal. La force de frappe nucléaire rend les moyens militaires

classiques moins importants. La montée des nationalismes rendles conquêtes de territoires difficiles. De plus, l’action guerrière

peine à être justifiée dans des pays riches où la prospérité écono-

mique prime sur l’accumulation par le conflit. L’approche des

guerres hégémoniques à la Gilpin est définitivement mise au

placard.

Désormais, les ressources les plus importantes de pouvoir sont

les soft power resources. Elles correspondent à la capacité d’attrac-

tion, de séduction, exercée par un modèle culturel, une idéo-logie et des institutions internationales qui font que les autres

s’inscrivent dans le cadre déterminé par celui qui dispose de ces

ressources. Elles représentent une capacité à faire accepter

comme universelle une vision du monde particulière afin que la

domination de celui qui la produit soit acceptée car considérée

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comme légitime (une réf érence au philosophe italien Antonio

Gramsci et à l’approche canadienne d’économie politique inter-

nationale, présentée au chapitre III, entièrement assumée parNye). Pas grand-chose à voir avec la « puissance douce », par

laquelle est souvent traduite l’expression de soft power .

Il existe ainsi trois types de ressources dans l’analyse de Nye :

— les ressources militaires : les États-Unis sont ceux qui en

détiennent le plus, beaucoup plus que les autres acteurs,

— les ressources économiques : tous les grands pays indus-

trialisés en ont et celles de la Chine progressent vite,

— les ressources intangibles : tout le monde en a, les gouver-

nements, les ONG, les firmes… Elles sont dispersées et de ce fait,

nous dit Nye, non hiérarchisées.

De cette analyse, Nye conclut que les États-Unis profitent de

la mondialisation mais ne la contrôlent pas. Ils disposent d’un

pouvoir certain sur les autres États, mais moins de pouvoir

qu’hier sur l’économie mondiale du fait de la montée en puis-

sance des acteurs privés. Ces derniers voient leur influenceprogresser, mais de manière non coordonnée et on ne peut en

tirer de conclusion quant à la contribution des forces privées àla gouvernance mondiale, conclut Nye. À court terme, les

États-Unis doivent s’appuyer sur les institutions internationales,

défendre leurs valeurs universelles et entretenir leur pouvoir

d’attraction (renforcé par leur domination sur les nouvelles

technologies de l’information) pour faire accepter leur poli-

tique et éviter le développement d’un sentiment antiaméricain.À long terme, la diffusion des nouvelles technologies diminuera

leurs ressources intangibles, faisant évoluer le monde vers une

répartition du pouvoir plus équilibrée.

On peut faire quatre reproches aux analyses proposées par

Nye. Elles restent profondément américano-centrées. L’objectif 

n’est pas tant d’expliquer le monde que de donner les moyens

au gouvernement américain de définir sa politique étrangère

dans un sens favorable à son acceptation par le reste du monde.Les États et les acteurs non étatiques évoluent dans des espaces

séparés : les interrelations entre acteurs restent le parent pauvre

de l’analyse, même si la possibilité d’une gouvernance hybride

mêlant acteurs étatiques et non étatiques est évoquée. Nye ne

s’interroge pas sur le fait que de nombreux acteurs non étatiques

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Les diff érentes formes

de pouvoir

Le soft power  ne correspond pas chez

Nye à une qualification de la nature

du pouvoir exercé dans l’économie

m on di al e. I l déc r i t u n t y p e d e

ressources particul ièr es , p ar mi

d’autres, mais dont le poids est

devenu pr épondérant. Les ressourcesde pouvoir dont dispose un acteur lui

permettent ensuite d’exercer diff é-

rents types de pouvoir tout au long

d’un continuum :

Pouvoir de commande Pouvoir de cooptation

= -------------- | ----------------- | ------------------- | ----------------- | -------------- \

coercition incitation dé  finition séductionLe pouvoir de commande, la

capacité de changer ce que les autres

 font, peut s’appuyer sur la coercition

ou l’incitation. Le pouvoir de coopta-

tion, la capacité de changer ce que

les autres veulent, peut s’appuyer sur 

la séduction ou sur la possibilité de

dé  finir la hiérarchie des problèmes

politiques du moment de telle façon

à empêcher les autres d’exprimer des

points de vue qui para î traient irr éa-

listes face aux enjeux du moment.

Source  : Nye, 1990, p. 266-267.

influents (multinationales, ONG…) viennent des États-Unis,

contribuant ainsi, comme le fait l’État américain, à influencer

l’économie mondiale dans un sens qui donne la priorité aux

débats, problèmes et questionnements issus de la société améri-

caine. Enfin, en en restant à une analyse du pouvoir par les

ressources, le problème du passage entre utilisation des

ressources et résultat de cette utilisation, et celui de la compara-

bilité des ressources intangibles des uns et des autres demeurentposés et non résolus.

La fuite dans le formalisme

Si l’expression soft power  a connu un beau succès médiatique

international, l’approche qu’elle suggèr e de l’économie poli-

tique internationale n’a pas fait d’émules. L’EPI américaine s’estplutôt orientée au cours de ces dernières années vers un forma-

lisme de plus en plus abstrait où les batailles de noms en « isme »ont fait rage.

Un débat s’est noué entre deux types d’approches : le ratio-

nalisme et le constructivisme. L’objectif essentiel est d’arriver à

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déterminer comment un pays, un État, s’inscrit dans le champ

économique et politique international. On le mesure générale-

ment par rapport aux objectifs qu’il poursuit (sécurité, richesse)

et aux moyens qu’il met en œuvre (conflit, coopération). Dans

une approche rationaliste, la réaction rationnelle de l’État à son

environnement extérieur décide de ses actions. Dans une

approche constructiviste, son positionnement dépend de sa

trajectoire historique, de ses représentations du monde, de ses

croyances. Après l’effondrement de l’ex-Union soviétique, les

principaux animateurs de l’école néoréaliste ont plaidé pour lanécessité d’une approche en termes constructivistes [Katzen-

stein, Keohane et Krasner, 1998 ; Keohane, 2009, p. 38].

Comme pour les régimes, il existe plusieurs formes de ratio-

nalisme et de constructivisme dont l’exposition des diff érences

subtiles occupe une bonne partie de cette littérature. Les

batailles font rage entre auteurs. Pour Jervis [1998], l’approche

rationaliste, qui explique le comportement des États par leur

volonté de maximiser une fonction d’utilité, ne dit rien ni surleurs valeurs prioritaires, ni sur le type de comportements qui

leur permettra de maximiser cette fonction. Et l’approche

constructiviste, qui demande de s’intéresser aux discours, aux

pratiques communes développées par les États, aux identités

diff érentes, ne dit rien sur la façon dont les normes et pratiques

se forment, sur la façon dont les identités se construisent et

comment les intérêts sont définis. Gilpin va même jusqu’à dire

dans son ouvrage de 2001 que, après tout, les réalistes se sont

également toujours intéressés au rôle des idées et de la forma-

tion des identités nationales et que le constructivisme n’en est

finalement pas si éloigné… (pour une présentation du projet

constructiviste, voir Battistella [2006] ; Palan [2000b]).

Pour David Lake, ces débats et ceux qui les ont précédés

s’inscrivent dans une « cacophonie » dont l’approche qu’il

défend, l’Open Economy Politics (OEP), a permis de sortir. Réécri-vant l’histoire de la discipline, il la voit émerger dès la fin des

années 1980 et s’imposer au milieu des années 1990 par un

processus de « normalisation » qui permet à la « meilleure »approche de devenir le point central de la discipline [Lake,

2009].

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L’OEP se réclame du rationalisme. Si les États ne sont pas les

seuls acteurs considérés, l’objectif reste celui d’expliquer leurs

politiques extérieures à partir des outils de l’analyse microéco-nomique néoclassique. Ainsi, « l’OEP déduit les intérêts [des

acteurs de la scène internationale], définis comme les préf é-

rences entre des résultats alternatifs, des conséquences redistri-

butives de politiques économiques diff érentes » [Lake, 2009].

L’OEP innove en termes de méthode, en examinant les choix

des États comme des politiques de maximisation sous contrainte

aux conséquences quantifiables et modélisables, et en termes de

résultats en insistant sur le fait que les choix de politique exté-

rieure des États sont souvent le reflet des choix de politique

intérieure.

S’il est difficile de savoir ce que pèse véritablement cette

approche dans le champ académique de l’EPI américaine, il est

certain que ses méthodes, de même que ses présupposés poli-

tiques en faveur d’une économie libérale se sont imposés. C’est

ce que montre clairement l’enquête de deux chercheurs amé-ricains, Daniel Maliniak et Michael J. Tierney [2009]. En

s’appuyant sur un questionnaire envoyé aux chercheurs et en

étudiant le contenu d’articles publiés entre 1980 et 2007 par les

spécialistes américains d’EPI dans douze grandes revues de rela-

tions internationales, ils montrent une montée en puissance des

travaux d’obédience libérale en même temps qu’une croissance

exponentielle du recours aux méthodes quantitatives. Ainsi,

affirment les deux auteurs, « les méthodes de la science écono-mique sont devenues l’outil standard des chercheurs d’EPI ».

Une évolution confirmée par l’utilisation accrue de modèles

formels : de zéro au début des années 1990, leur part atteint

désormais 20 % de la production intellectuelle d’EPI américaine

passant par les revues.

Une EPI en voie d’extinction

Cette évolution n’est pas sans faire débat aux États-Unis.

Kathleen R. McNamara [2009] dénonce ainsi les dangers de

l’absence de biodiversité intellectuelle. De fait, la crise des

subprimes a largement contribué à remettre en cause l’approche

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standard formalisée des économistes [Krugman, 2009] dont les

spécialistes d’EPI ont de plus en plus fait leur spécialité, ce qui

entame leur crédibilité. Le trop-plein de formalisme, de libéra-lisme et d’étroitesse d’esprit reproché à l’économie dominante

est d’ailleurs déjà mis en cause dans la communauté EPI améri-

caine. Benjamin J. Cohen [2008, p. 127] dénonce ainsi un

« économisme rampant » et la « réduction des horizons ». Robert

O. Keohane [2009] regrette de la même façon l’absence d’une

« interprétation synthétique des changements » auxquels le

monde est confronté, ce que ses travaux et ceux de Susan

Strange et Joseph Nye tentaient de mener à bien en observant

la réalité plutôt qu’en inventant des problèmes pour les rendre

plus facilement modélisables. McNamara [2009], Helleiner

[2009] et Kirshner [2010] regrettent la place prise par le forma-

lisme dans les études d’EPI et le reflux des formations antérieures

où primaient l’interdisciplinarité et le travail de mise en pers-

pective historique.

L’EPI américaine appara ît finalement de plus en plus mal enpoint. Ses chercheurs sont déchirés. Si tous les néoréalistes ont

pu travailler ensemble à un moment, les critiques de Gilpin sur

les régimes, celles de Nye et Keohane sur Gilpin n’ont pas tardé,

suivies désormais par celles de Cohen, Katzenstein et Keohane sur

Lake, etc. Plus fondamentalement, la volonté d’expliquer les

rapports de force mondiaux fait désormais place à un niveau

d’abstraction des débats qui n’ont plus d’intérêt que pour les

spécialistes. Comme hier pour les régimes, les auteurs poursuiventaujourd’hui la quête insensée d’une théorie universelle abstraite

qui permettrait d’expliquer d’un seul coup aussi bien les déci-

sions à l’intérieur des États que les relations interétatiques. À cette

aune, pour Jonathan Kirshner [2010], « la discipline aura de

moins en moins de choses à dire à tous ceux qui seront en dehors

de la monoculture, tandis que, dans sa bulle, elle n’entendra plus

que le son de ses propres applaudissements ».

Enfin, mis à part les travaux de Joseph Nye qui restent direc-tement centrés sur les moyens d’appréhender le pouvoir dans

l’économie mondiale, mais dont l’écho universitaire est insigni-

fiant, les autres ne se posent plus la question. Est-ce aller trop

loin que de dire que l’approche d’économie politique interna-

tionale semble dispara ître en tant que telle aux États-Unis ? Le

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numéro anniversaire de la revue International Organization, fer

de lance de toutes ces approches, publié en 1998 sous la direc-

tion de Peter Katzenstein, Robert Keohane et Stephen Krasner,ne mentionne le label qu’au début de l’article de synthèse et

aucun des auteurs suivants ne s’en réclame, comme le fait remar-

quer justement Robert Jervis dans ce numéro. Le livre de

Benjamin J. Cohen en 2008 sur l’histoire de la discipline n’est

pas très optimiste alors même qu’il provient d’un chercheur

revendiquant son appartenance à l’école américaine. La domi-

nation revendiquée par Lake de son approche passe par le glis-

sement de l’EPI à l’OEP, comme si le label, comme pour le

numéro de International Organization dix ans plus tôt, devait être

remisé pour gagner en crédibilité. Toutes les figures historiques

de l’approche sont passées à autre chose [Cohen, 2008, p. 144]

et la jeune génération se perd dans les sables de l’économisme

néoclassique qui tombe pourtant en désuétude même chez les

économistes.

Face à cette impasse, deux approches critiques de l’EPI améri-caine se sont développées, offrant des alternatives, dépassant le

seul rôle des États, pour comprendre les rapports de force

mondiaux.

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II / La diffusion du pouvoiret la non-gouvernance

Si, pour les néoréalistes, le monde n’a pas changé depuis mille

ans, pour l’économie politique internationale de la Britan-

nique Susan Strange, ce sont plutôt ses transformations rapides

qui posent problème. Les firmes multinationales, les banques,

les ONG, les mafias, etc., nombre d’acteurs disposent desmoyens de peser sur les rapports politiques mondiaux afin

d’orienter la mondialisation dans tel ou tel sens. Les États aussi,

mais ils ne sont pas les seuls. Bousculés, ils doivent composer

avec d’autres forces politiques. De ces affrontements et des

compromis qui en résultent, naissent des normes publiques,

nationales, régionales ou internationales, des normes privées et

des zones où plus personne ne ma îtrise rien. La mondialisa-

tion est gouvernée par un entremêlement de toutes ces règlesqui, loin d’être figées dans des « régimes », font constamment

l’objet de négociations. L’objectif de cette EPI est alors de fournir

les cartes pour retrouver son chemin dans ce monde au pouvoir

diffus. Les concepts de base en ont été proposés par Susan

Strange. Ils sont présentés au début de ce chapitre. Nombre de

chercheurs s’en sont ensuite inspirés pour développer leurs

travaux et aboutir à un ensemble de conclusions politiques

allant au-delà (et quelquefois contre) celles de Strange pourfournir un ensemble de clés utiles au décryptage des rapports de

forces mondiaux.

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Susan Strange

et ses âmes sœurs

Susan Strange est née le 9 juin 1923

dans le Dorset au Royaume-Uni. Fille

du colonel Louis Strange, as de l’avia-

tion britannique, elle est diplômée en

économie en 1943. Elle débute sa

carrière professionnelle comme jour-

nal i ste po u r l’hebdomadaire The 

Economist , avant d’être nommée la

pl us j e une c o rre spo nd ante à laMaison-Blanche, à Washington, pour 

The Observer . Elle en est ensuite la

correspondante aux Nations unies, àNew York, avant de revenir en Angle-

terre en 1949.

Toujours journaliste, elle

commence à enseigner les relations

internationales au University College, à

Londres. En 1965, elle entame unecarrière de chercheur à 42 ans en rejoi-

gnant le Royal Institute of Interna-

tional Affairs à Chatham House, dirigéalors par Andrew Shonfield, d’abord

comme chercheuse associée pu i s

comme directrice du projet sur les rela-

tions transnationales. C’est là qu’elle

produira les premiers travaux qui lui

valent un début de reconnaissance. En

1978, elle est nommée professeur derelations internationales à la London

School of Economics. Bataillant avec

ses collègues, elle finit par imposer la

cr éation d’une filière de troisième cycle

en économie politique internationale.

Elle atteint l’âge de la retraite en 1988

et doit avec regret abandonner son

poste. Elle est rapidement appelée par 

l’Institut européen de Florence qui luioffre en 1989 une chaire d’EPI. Apr ès

cinq années en Ital ie, el le rejoint

l’université de Warwick comme profes-

seur  émérite.

En 1995, les chercheurs américains

en relations internationales, qu’elle

critique beaucoup, n’en reconnaissent

pas moins son travail en l’élisant pr ési-

dente de l’International Studies Asso-ciation, un honneur que seuls deux

Européens ont partagé. Son discours

inaugural a fait beaucoup de bruit par 

s on ir r  évére nc e , c arac téristique

constante du personnage. Elle y invite

les étudiants à ne surtout pas respecter 

les professeurs bien établis et à bâtir 

leur propre chemin. Elle met en rage

les f éministes des gender studies en leur 

c o nse il l ant d e f aire d’ab o rd d e senfants (elle en a eu six), avant de se

pr éoccuper de leur carrière…Elle décède le 25 octobre 1998,

quinze jours apr ès la parution de son

dernier livre. Avec plus de 120 publi-

cations el le laisse son empreinte

universitaire et institutionnelle dans les

nombreux lieux de prestige auxquels

elle a été associée. Personnage charis-matique, elle laisse également une

trace profonde chez nombre de cher-

cheurs qui partagent, aussi bien sur un

pl an hu mai n qu ’ intellectuel, son

rapport au monde, et qu’elle bapti-

sait son « collège invisible » ou ses

« âmes sœurs » (kindred spirits ). Ce qui

l u i val u t d’être qual i f iée p a r s o n

collègue britannique A. J. R. Groom de

« Mère Supérieure » de l’économiepolitique internationale…

P o u r a l l e r p l u s l o i n : R i c h a r d

Higgott et Roger Tooze [1998], Susan

Strange [1989, 1995a].

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Le pouvoir structurel

À la base de l’EPI britannique, on trouve deux questions : Cuibono ? (à qui cela profite ?…) ; et quelles sont les valeurs priori-

taires mises en œuvre par ceux qui détiennent le pouvoir ? Est-ce

la prospérité et la richesse ? La justice et l’équité ? La sécurité,

l’ordre et la stabilité ? La liberté et l’autonomie de décision ?

Pour y répondre, il faut définir ce qu’est l’action politique et le

pouvoir.

Strange définit l’action politique comme l’agrégation de

volontés au service d’un objectif partagé en termes de hiérarchi-

sation des valeurs et de leur répartition. Comment ces agréga-

tions se forment-elles, quels en sont les résultats, qui en profite,

quelles valeurs mettent-elles en avant, que se passe-t-il

lorsqu’elles disparaissent, quelles en sont les raisons, etc. ?

Autant de questions autour desquelles doit se constituer

l’analyse politique, dépassant largement la seule préoccupation

de comprendre le comportement des États. Pour y répondre, uneproblématique du pouvoir doit être adoptée.

Strange en propose une définition la plus globale possible

comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe de

personnes d’influer sur l’état des choses de telle sorte que ses

préf érences aient la priorité sur les préf érences des autres »[1996, p. 17]. Dit autrement, c’est la capacité d’élaborer, décider,

légitimer, mettre en œuvre, et contrôler les règles du jeu de la

mondialisation dans lesquelles les autres devront forcéments’inscrire. Au pouvoir relationnel de l’EPI américaine analysé par

les ressources matérielles et reposant sur la force, Strange oppose

la notion de pouvoir structurel analysé par le résultat de son

exercice et reposant sur la capacité de façonner et de déter-

miner les « structures » de l’économie politique globale au sein

desquelles les autres acteurs devront évoluer.

L’analyse du pouvoir passe alors par l’étude de quatre struc-

tures fondamentales : la structure de sécurité, la structure deproduction, la structure financière, la structure du savoir.

Comprendre où se situe l’autorité politique qui influence les

évolutions du système international et quel monde elle façonne

demande de s’intéresser d’abord à ces quatre structures en

interaction.

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La structure de s é curit é 

La structure de sécurité est définie comme l’ensemble desaccords qui déterminent les conditions dans lesquelles est distri-

buée la protection qui permet aux sociétés humaines de se mettre

à l’abri des menaces qui pèsent sur elles. Cette définition large de

la sécurité permet de ne pas en rester aux questions militaires liées

aux relations interétatiques. Les menaces peuvent provenir de la

nature : ce sont les catastrophes naturelles. Des inondations récur-

rentes au Bangladesh à celles qui ont frappé l’est de l’Europe durant

l’été 2002, aux tremblements de terre au Japon ou celui survenu en

Haïti en 2010, des passages de tornades en Asie et aux États-Unis

aux feux de forêts en Amazonie ou à la canicule de l’été 2003 en

Europe, les événements mondiaux montrent que chaque habi-

tant de la planète n’est pas exposé et protégé de la même façon

face à l’éventualité de catastrophes naturelles. Mais les principales

sources de menaces résultent de l’action humaine. Les menaces

pesant sur la sécurité de chaque individu, de chaque société résul-tent de n’importe quelle situation où deux autorités entrent en

conflit pour la définition de ce qui constitue leur champ d’action

respectif. Cela peut concerner deux États (guerre, dissémination

nucléaire), mais également un État face à des groupes terroristes, àdes guerres civiles ou au crime organisé. La distribution de sécu-

rité entre individus, entreprises, groupes sociaux peut également

résulter de comportements issus d’autres acteurs que les États. Que

l’on pense à la dissémination mondiale du sida, à celle de lamaladie de la vache folle en Europe, de la grippe H1N1, etc.

Les États jouent un rôle important dans cette structure car ils

sont censés assurer la sécurité de leur économie et de leur popu-

lation tout en maintenant le respect des libertés individuelles.

Si les spécialistes d’études stratégiques s’intéressent aux poli-

tiques de défense et ceux de relations internationales aux poli-

tiques étrangères, l’EPI de Strange cherche à expliciter le cadre

des marchandages déterminant la répartition de la protectionface aux diff érentes menaces existantes, qu’elles soient d’ordre

stratégique, alimentaire, naturel, etc. Ce qui demande de s’inté-

resser à un nombre beaucoup plus vaste d’acteurs afin de déter-

miner quelles parties du monde, quels groupes sociaux sont plus

ou moins bien protégés.

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Le spécialiste se demande également en quoi la structure de

sécurité, qui privilégie l’ordre et la stabilité, affecte les priorités

qu’une société peut vouloir donner à la richesse, l’égalité ou laliberté. Un débat qui s’est imposé de lui-même au moment de la

mise en œuvre des mesures attentatoires à la liberté indivi-

duelle prises aux États-Unis et dans de nombreux autres pays

au nom de la lutte contre le terrorisme international après les

événements du 11 septembre 2001. Les débats de 2009-2010 sur

la sécurité dans les aéroports (transmission de données sur les

passagers, utilisation de scanners) soulignent la permanence du

dilemme entre sécurité et liberté suscité par la lutte contre le

terrorisme.

Strange n’a jamais développé ses travaux sur la structure de

sécurité. Elle rappelle souvent l’argument traditionnel selon

lequel une économie ne peut prospérer que dans un cadre mili-

taro-stratégique assurant la paix, et combien les États-Unis et les

grosses multinationales de l’armement y jouent un rôle impor-

tant. Elle considère également que la probabilité d’une guerreentre pays développés est quasi nulle car représentant une

menace trop importante pour leur prospérité. Des conflits

peuvent éclater dans telle ou telle région du monde mais sans

que cela remette en cause fondamentalement la marche en

avant du capitalisme [Strange, 1994]. Pourtant, on est frappé par

le fait que, de par la construction même de sa méthode d’analyse

(l’intérêt pour ce qui se passe politiquement en dehors des seules

relations étatiques), elle ait été conduite à mettre en avant dèsles années 1980, sans s’y investir par la suite, la nécessité de

s’intéresser de près aux catastrophes naturelles, aux menaces

terroristes et aux questions de sécurité au sens large (alimen-

taires, environnementales, etc.) qui occupent aujourd’hui large-

ment le devant de la scène politique internationale (Strange

avait initialement développé l’idée d’une autre structure, celle

du Welfare, de l’insécurité sociale, associée à une analyse du

risque pesant sur les individus. Elle a finalement été fondue dansune structure de sécurité au sens large). Contrairement à l’EPI

orthodoxe, tellement proche de la politique étrangère du

gouvernement américain qu’elle fait des questions de la guerre

et de la paix le problème unique de la sécurité des peuples, celle

de Strange propose une définition plus large des menaces qui

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correspond plus à ce que vit le citoyen d’un pays développé.

Un Américain, un Européen, un Japonais ont moins de chances

aujourd’hui de perdre la vie dans un conflit guerrier qu’à caused’une inondation, d’un tremblement de terre ou d’une

épidémie.

La structure de production

La structure de production est l’ensemble des accords qui

déterminent ce qui est produit, par qui, pour qui, où, avec

quelles méthodes, quelles combinaisons des facteurs de produc-

tion (terre, travail, capital, technologie) et à quelles conditions.

Historiquement, la structure de production a connu deux chan-

gements substantiels : la naissance en Europe du capitalisme et

son développement dans cette région du monde, et le passage

graduel de systèmes de production destinés à servir des marchés

nationaux à une organisation productive tournée vers un

marché mondialisé. La structure de production appara ît ainsidominée aujourd’hui par les 82 000 multinationales et leurs

810 000 filiales recensées par la Cnuced. Aucun facteur unique

ne peut expliquer cette tendance à la mondialisation de la

production. Elle résulte d’une combinaison de politiques

étatiques, en particulier aux États-Unis, de tendances des

marchés, de stratégies de gestion des entreprises et de change-

ments techniques. Dans ce cadre général, Strange privilégie un

processus dynamique spécifique : le rythme soutenu des inno-vations technologiques impose aux entreprises un renouvelle-

ment plus rapide des équipements. Le coût du capital augmente

en même temps que sa durée de vie diminue. Les entreprises

doivent donc chercher à accro ître leurs profits, ce qu’elles font

en agrandissant la taille de leur marché. Plus que les entreprises,

ce sont les marchés qu’elles servent qui se sont mondialisés.

Quels sont les problèmes politiques posés par la mondialisa-

tion des entreprises ? Strange en met deux en avant. Le premierconcerne les conséquences de l’organisation internationalisée

des entreprises sur la capacité des États à taxer leurs activités.

Strange souligne dans States and Markets la façon dont les comp-

tables américains ont inventé dans les années 1970 le creative

accounting  (comptabilité créative, mais ne faudrait-il pas dire

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imaginaire ?) qui a donné lieu à tant de commentaires en 2002

après les scandales liés aux entreprises Enron, WorldCom,

Ahold, Parmalat, etc. Elle consacrera d’ailleurs dans un ouvrageultérieur un chapitre entier à l’analyse du pouvoir des grandes

firmes internationales d’audit et de conseil [1996, p. 135-146].

Il montre comment ces cabinets (KPMG, Ernst & Young…) ont

substitué un objectif de richesse à celui de la sécurité : censés

certifier que les comptes des entreprises qu’ils auditent reflè-

tent correctement la réalité, ils préf èrent toucher des commis-

sions élevées avalisant les malversations de dirigeants à qui ils

vendent par ailleurs du conseil en tout genre, y compris pour les

aider à frauder le fisc comme l’a montré à la fin 2003 un rapport

du Sénat américain dans le cas de KPMG [Levin, 2003] et comme

le leur a reproché l’OCDE en 2006 lors d’une « déclaration de

Séoul » assez peu diplomatique à leur égard. Elle insiste égale-

ment sur l’utilisation des paradis fiscaux par les multinatio-

nales, un thème qui fera l’objet d’une analyse approfondie dans

le cadre de la structure financière (cf. infra) et la course au moins-disant fiscal engagée par les États. Au total, le constat est celui

d’un recul des capacités des États à taxer les entreprises mondia-

lisées. En effet, au sein de l’Union européenne à vingt-sept, le

taux d’imposition des entreprises a perdu 12 points de pourcen-

tage entre 1995 et 2007, passant de 35,3 % à 23,5 %. Les États

ont intégré l’existence des paradis fiscaux et internalisé la néces-

sité de ne pas trop demander à l’impôt en dépit des immenses

besoins sociaux et économiques que réclame une insertionréussie et équitable dans la mondialisation. En France, selon un

rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de la fin 2009,

les entreprises françaises sont très loin de payer le taux officiel

d’imposition de leurs bénéfices fixé à 33,3 %. Le taux d’imposi-

tion implicite (les impôts sur les bénéfices ramenés à l’excédent

net d’exploitation) des entreprises du CAC 40 se situe en effet en

moyenne à seulement 8 %, soit largement en dessous du niveau

légal.Le second problème politique est celui du risque et de sa

responsabilité. L’activité des entreprises est source de risques de

toute sorte, des conditions de production pour leurs salariés aux

menaces générales sur la santé, l’environnement, etc. L’organi-

sation mondialisée des firmes accro ît-elle les risques ? Et qui en

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porte la responsabilité ? Une question essentielle qui se pose

depuis les origines du capitalisme moderne et qui explique pour-

quoi, souligne Strange, les bâtiments les plus luxueux des villescontemporaines ne sont plus les églises et les cathédrales mais

les sièges sociaux des compagnies d’assurance.

Le triangle des marchandages 

L’analyse du rôle de l’internationalisation des entreprises a

fait l’objet d’un ouvrage particulier par Strange, en collabora-

tion avec John Stopford, un professeur de gestion de la London

Business School [Stopford et Strange, 1991]. La méthode

d’analyse de la mondialisation des activités des entreprises

qu’elle y propose suggère de se situer au cœur d’un triangle déli-

mité par les relations de marchandages entre États, les rela-

tions entre firmes et entre les firmes et les États. Comme le fait

remarquer Cohen [1996, p. 27-28], la mondialisation est ainsi

déconstruite et analysée selon trois types d’enjeux : « L’enjeu dela relation firme-firme est celui de la globalisation : c’est dans

ce contexte qu’il faut penser le développement du commerce

intrafirmes, les stratégies de localisation et le processus d’inté-

gration-désintégration de la cha îne de production… l’enjeu de la

relation firme-État est celui de la compétitivité… l’enjeu des rela-

tions entre États est tout simplement celui de la souveraineté. »D’un côté, les États cherchent à maximiser la part de la

demande mondiale servie à partir de leur territoire, quelle quesoit l’origine de l’entreprise qui le permet ; de l’autre, les entre-

prises souhaitent un contrôle maximal des processus de produc-

tion qui leur permette de servir des marchés mondiaux, quel que

soit le lieu d’où elles le font. Deux objectifs qui peuvent donner

lieu aussi bien à des relations coopératives que conflictuelles.

Il y a complémentarité lorsque l’État garde la ma îtrise du lieu

de production et l’entreprise la façon de produire. La France a

ainsi attiré plus de 117 milliards de dollars d’investissementsétrangers en 2008 — deuxième destination mondiale derrière les

États-Unis. Il y a conflit lorsque l’entreprise décide qu’elle

préf ère une autre localisation (après la hausse du yen et la chute

de croissance liée à l’éclatement de la bulle financière, le stock

des investissements à l’étranger des multinationales japonaises

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est passé de 3,2 % du PIB en 1985 à 8,3 % en 2002, puis à 14 %

en 2008 après la nouvelle appréciation de la devise japonaise àpartir de 2007), ou bien que l’État cherche à restreindre lecontrôle exercé par la firme sur la façon dont elle produit ses

biens et services [Stopford et Strange, 1991, p. 212]. À ce jeu,

les entreprises multinationales ont clairement vu leur pouvoir

s’accro ître dans l’économie politique mondiale : les États, au

Nord comme au Sud, ont fait évoluer leurs législations fiscales

et réglementaires de manière à imposer de moins en moins de

contraintes aux entreprises. En plus de leur capacité à échapper

au paiement de l’impôt et à faire payer par les États les consé-

quences de leurs prises de risques, les firmes ont gagné de

nouveaux avantages :

— les États se retirent, partout dans le monde, des activités

productives, dans tous les secteurs, au profit des entreprises

privées : d’après l’OCDE, le montant des privatisations d’entre-

prises publiques dépasse les 500 milliards de dollars depuis 2000.

Il ne s’agit pas pour Strange de dresser l’image d’une économiemondiale ma îtrisée par des firmes privées apatrides. Elle recon-

na ît que les firmes multinationales gardent des éléments natio-

naux forts. Pour autant, les relations entre entreprises privées

peuvent avoir beaucoup plus d’importance pour elles que leurs

relations avec les gouvernements. Ainsi, dans un article de 1995,

Strange a montré en quoi la pénétration du marché japonais

par des firmes américaines était plus liée à leurs propres contacts

avec la communauté d’affaires japonaise plutôt qu’à l’agitationpolitico-médiatique entretenue par le gouvernement américain

[1995b] : par exemple, les multinationales de l’automobile

américaines ont fait leurs premiers pas au Japon surtout grâce

aux alliances obtenues par leur diplomatie privée avec les

producteurs locaux (Chrysler avec Mitsubishi, Ford avec Mazda,

etc.) — et en opposition totale avec la stratégie du ministère de

l’Industrie japonais qui souhaitait regrouper les producteurs

locaux pour en faire un géant mondial —, de même que Coca-Cola et IBM ;

— les stratégies de localisation des firmes sont bien plus

importantes pour la redistribution des ressources financières et

technologiques mondiales que l’aide au développement des

États et que l’endettement des pays du Sud. Aujourd’hui, les flux

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d’investissements directs étrangers sont la première source de

financement du développement, suivis par les envois de fonds

en provenance de travailleurs installés à l’étranger, et loindevant l’aide publique qui n’arrive qu’en troisième position ;

— les conditions de travail qui, en particulier en Europe, se

définissent dans la relation des employeurs et des syndicats àl’État ont tendance à échapper au cadre de la loi pour se définir

de plus en plus à l’intérieur des firmes. En ce sens, on peut parler

de privatisation de la gestion sociale, salaires, emplois et condi-

tions de travail étant de plus en plus définis à l’intérieur des

entreprises.

L’accroissement de l’influence des multinationales s’appuie

sur le pouvoir de groupes d’intérêt transnationaux issus des

milieux d’affaires disposant de puissants leviers d’influence sur

les dirigeants politiques des grands pays industrialisés (cf. infra

pour des exemples). Strange n’adhère pas pour autant à l’idée

d’une classe capitaliste transnationale. Les intérêts des chefsd’entreprise lui paraissent trop divergents pour suggérer l’unifor-

mité et la solidarité d’une classe sociale. Le domaine de l’envi-

ronnement en est un bon exemple : les grandes compagnies

pétrolières, les firmes pharmaceutiques et les producteurs de

voitures s’opposent à ceux qui défendent les technologies

propres mais aussi aux grandes compagnies d’assurance et de

réassurance transnationales.

Les États n’ont pas perdu pour autant tout leur pouvoir sur lesentreprises. Ils conservent une capacité d’influence sur les règles

du jeu économiques et sociales de leurs marchés nationaux dans

lesquels les firmes locales doivent s’inscrire. Ainsi, le gouverne-

ment de Lionel Jospin a-t-il pu légif érer pour mettre en œuvre

le passage aux 35 heures. Une mesure qui n’a pas fait fuir les

multinationales, la France restant parmi le trio de tête des pays

accueillant les investissements directs étrangers. Mais leur

pouvoir d’influence direct sur l’organisation de la productionde biens et services a diminué et ils ne peuvent aujourd’hui que

marchander leur place dans un environnement de concurrence

forte pour gagner des parts de marché dans la division interna-

tionale du travail.

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La structure financi è re 

La finance internationale est le terrain d’étude privilégié deSusan Strange. Nombre de ses publications des années 1960 et

1970 y sont consacrées, complétées par deux ouvrages, Casino

Capitalism [1986] et Mad Money  [1998a] (son dernier livre). La

structure financière est définie comme l’ensemble des accords

qui décident de la disponibilité des financements dans les diff é-

rentes parties du monde et qui définissent le niveau des taux de

change entre les devises. Dans ces domaines, les États ont clai-

rement perdu de leur pouvoir : ils ne sont capables de déter-

miner ni le niveau des taux de change ni le montant des crédits

disponibles à tel ou tel endroit.

Même si le rôle de la technologie (innovations techniques

— comme les liens entre l’informatique et les télécommunica-

tions ; innovations financières —, comme celles des produits

dérivés, des actifs financiers permettant de se protéger contre

les variations imprévues des prix d’autres actifs comme les tauxd’intérêt, des devises étrangères, le pétrole… mais servant aussi

d’instruments opaques de spéculation et de fraude fiscale), tient

une place importante dans son analyse, Strange s’attache surtout

à retracer dans ses diff érentes publications sur la finance les

séries de décisions (passage des changes fixes aux changes flot-

tants, libéralisation des mouvements de capitaux…) et d’absence

de décisions politiques (refus de légif érer sur le contrôle des

paradis fiscaux, des produits de spéculation…) qui ont amenécelle-ci dans son état actuel, à savoir une absence totale de

ma îtrise des risques qu’elle fait subir à l’économie mondiale. En

effet, la perte de contrôle des États ne s’est pas traduite par un

pouvoir accru des agents privés, banquiers et investisseurs

comme l’a bien montré la crise des subprimes. En cela, la finance

est la principale zone de non-gouvernance de l’économie

mondiale (cf. infra), une situation à laquelle les grands pays

tentent de remédier depuis la crise de 2007-2008.La responsabilité de cette situation est imputée a u x

États-Unis. Comparant le rôle de la Grande-Bretagne au

XIXe siècle et celui des États-Unis aujourd’hui, Strange [1988]

montre combien la stabilité financière internationale du régime

d’étalon-or n’avait rien d’automatique mais provenait d’un

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ensemble de décisions politiques britanniques. À l’inverse, les

dirigeants américains ont préf éré exploiter le système monétaire

et financier international à leur avantage, avec des objectifs decourt terme (faire exploser le système de taux de change fixe

de Bretton Woods en 1971-1973 pour régler leur problème de

financement des déficits extérieurs, libéraliser le financement

des déficits publics en l’ouvrant aux non-résidents pour pour-

suivre leur politique de relance keynésienne au début des années

1980…) plutôt que de chercher à stabiliser le système au profit

de tous.

Depuis vingt ans déjà, Strange affirmait que l’instabilité de la

finance était aujourd’hui le premier problème posé à l’économie

mondiale ou plutôt la source de menace la plus immédiate sur la

croissance et sur la vie quotidienne des gens (la dégradation de

l’environnement est le problème le plus important mais ses

conséquences, souligne Strange, se feront sentir à plus long

terme, ce qui ne diminue pas l’urgence de l’action dans ce

domaine). Certes, en dépit de crises importantes et plusfréquentes aujourd’hui qu’hier, le système monétaire et finan-

cier international finit toujours par se remettre debout. Mais il

fait de nombreuses victimes et la recherche des moyens de sa

régulation s’impose comme un problème politique majeur.

Réguler la finance internationale nécessite de trouver les moyens

d’y supprimer la volatilité, c’est-à-dire de mettre fin aux deux

sentiments animant les financiers qui en sont la source : l’appât

du gain et la peur [1998a, chapitre 8]. Le premier leur faitprendre de trop grands risques et la seconde les fait surréagir

lorsqu’i ls s’en aperçoivent. Une analyse dont la crise de

2007-2008 est venue montrer une nouvelle fois la pertinence.

FMI et BRI inadapt é s 

Peut-on faire confiance aux institutions financières interna-

tionales pour réguler la finance ? La réponse est assurémentnégative [1998a, chapitre 9]. La Banque des règlements interna-

tionaux, chargée de la politique de supervision « prudentielle »des banques en établissant les normes censées les empêcher de

prendre trop de risques, a abandonné son rôle en autorisant les

banques à organiser toutes seules leur politique de contrôle des

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risques, faisant jouer le rôle de douanier au contrebandier,

comme on le verra ci-dessous. Le Fonds monétaire interna-

tional n’a pas les compétences techniques pour faire face à lacomplexité de la finance : ses équipes d’économistes, spécialistes

de la macroéconomie, ne sont pas bien armées pour réformer

les établissements bancaires des pays dans lesquels elles inter-

viennent. Au niveau européen, la Banque centrale européenne

n’a pas de doctrine d’intervention et ses pouvoirs d’interven-

tion en termes de ma îtrise des risques systémiques sont plus que

limités. Bref, les réponses politiques des acteurs publics ne sont

pas adaptées. C’est tout l’enjeu des décisions des G20 de Londres

et de Pittsburgh de 2009 que d’arriver à créer une nouvelle

gouvernance financière qui permette de prévenir et de gérer les

crises financières.

Strange ne croyait pas non plus aux propositions de grande

réforme de l’« architecture financière mondiale », projets qui

n’aboutissent généralement à rien, comme l’enseigne l’histoire.

Elle réfutait également la proposition traditionnelle des écono-mistes qui consiste à en appeler à une meilleure coordination

des politiques économiques nationales des grands pays [1986,

p. 148-155]. Non pas que le principe en soit erroné mais la solu-

tion est tout bonnement impossible à mettre en œuvre : les

gouvernements les plus importants n’acceptent pas de sacrifier

leur capacité d’action politique sur l’autel de la stabilité interna-

tionale. Strange n’a pas connu l’avènement en 1999 de la

monnaie unique européenne. Mais elle considérait qu’il luifaudrait de nombreuses années avant de jouer un rôle lui

permettant d’agir en faveur de la stabilité du système monétaire

et financier international, si tant est que les dirigeants européens

le souhaitent (Benjamin Cohen [2003, 2009a] montre quelle ne

pourra pas le faire avant longtemps).

En 1986, Strange en appelle à convaincre les États-Unis de

jouer le rôle d’un leader hégémonique bienveillant assurant la

stabilité de la finance mondialisée. En 1998, sa première préoc-cupation est de ma îtriser les acteurs privés en avançant comme

première proposition la fermeture des paradis fiscaux plus de dix

ans avant qu’elle ne s’inscrive dans les priorités politiques de

l’agenda international. Même si elle insiste beaucoup sur le rôle

financier accru des mafias, ses principales préoccupations sont

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de fermer la possibilité d’un comportement criminel des entre-

prises (fraude fiscale) et de bloquer l’argent de la corruption. La

finance libéralisée est en effet d’autant plus dangereuse pourStrange que s’y développent des comportements amoraux oùl’accumulation de richesses personnelles peut devenir la valeur

prioritaire de certains acteurs comme la crise des subprimes et

le retour d’une course aux rémunérations « indécentes » des

banquiers, selon le mot du président américain Barack Obama

début 2010, l’ont amplement démontré. Une amoralité conta-

gieuse : avec ses gros profits et ses gros revenus, la finance

devient une source de corruption des hommes politiques,

achetés pour éviter toute législation contraignante. L’éclatement

des scandales américains, du type Enron, liés à des comptabi-

lités truquées dans le cadre de relations ambiguës avec des hauts

dignitaires de l’administration du président Bush a montré que

ses craintes étaient justifiées.

En matière financière, une plus grande libéralisation amène

toujours des prises de risque plus importantes de la part desintermédiaires financiers confrontés à une concurrence accrue.

Un risque que chacun de nous doit subir, que l’on soit proche

ou non du monde financier, où d’autres prennent des paris àun bout du monde qui mettent en jeu, par contagion, les

emplois et les conditions de vie des populations à l’autre bout.

La ma îtrise de la finance internationale était aussi pour Strange

un besoin essentiel de restauration de la démocratie.

La structure des savoirs 

La structure des savoirs se définit à un double niveau. Au

niveau abstrait, il y a le monde des idées, les systèmes de

croyance qui font qu’à un moment donné chacun se construit

sa représentation du monde, des contraintes et des opportu-

nités qu’il peut y développer. À un niveau plus pratique, elle

concerne tous les accords qui définissent les conditions permet-tant de découvrir, d’accumuler, de stocker et de communiquer

des informations. Les deux sont liés. Au Moyen Âge, de par son

savoir sur les moyens de bénéficier de la résurrection après la

mort et de par son contrôle sur les systèmes éducatifs, l’Église

catholique était un acteur essentiel de la structure des savoirs.

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Son influence s’exerçait sur la vie personnelle des princes, sur

leur façon de faire la guerre, ainsi que sur la façon de juger

l’échange, la monnaie et le crédit. L’Église défendait alors vigou-reusement son monopole moral et spirituel, illustrant le prin-

cipe selon lequel le pouvoir s’exerce dans cette structure par la

capacité de ceux qui le détiennent à en refuser l’accès aux autres.

Au niveau le plus général, la structure des savoirs s’intéresse

à la nature de la communication, à ses usages sociaux et aux

relations de dépendance entre des combinaisons d’idées et de

croyances, d’évolution des techniques de communication et des

pratiques politiques et sociales. Strange renvoie aux auteurs

contemporains qui ont à ses yeux la plus grande influence pour

la compréhension de ce domaine, Jürgen Habermas, Michel

Foucault, Karl Popper et Georg Lukàcs. Trois changements

importants sont à l’œuvre : les États ont accru leur concurrence

pour la ma îtrise de la structure et acquérir, États-Unis en tête,

un leadership en la matière ; l’asymétrie de pouvoir entre les

États pour l’acquisition des savoirs a augmenté : les entreprises etuniversités américaines apparaissent largement en pointe en

même temps que l’anglais s’est imposé comme le principal

langage de communication internationale ; les changements en

cours modifient de manière substantielle la répartition du

pouvoir au sein des groupes sociaux de chaque société et entre

les sociétés.

Les quatre structures de Strange n’évoluent pas de manière

indépendante. Leurs interactions déterminent les structuressecondaires de la mondialisation dont les plus importantes sont

le système de transport, de commerce international, d’énergie

et d’aide publique au développement [1988]. Pour Strange,

l’erreur des spécialistes de relations internationales, économistes

et politistes, est de se préoccuper de ces aspects secondaires de la

mondialisation plutôt que des structures les plus importantes.

Ainsi réfute-t-elle l’approche économique traditionnelle

d’abord préoccupée par les questions de commerce interna-tional et par le rôle qu’y jouent les États. Pour elle, le commerce

international est une structure secondaire de la mondialisation

économique largement déterminée par les conditions du finan-

cement des échanges. Plusieurs études historiques lui permet-

tent ainsi de rappeler que, dans les années 1930, la chute du

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commerce international s’explique surtout par le fait que les

banques de Londres et de New York ont considérablement freinéla distribution de crédits, en particulier aux non-résidents. Demême, l’explosion des échanges d’après guerre s’explique

surtout par le fait que les États-Unis ont injecté de larges doses

de pouvoir d’achat dans l’économie mondiale [Strange, 1985].

Le protectionnisme des années 1930 ou la libéralisation d’après

guerre sont ainsi considérés comme des explications secon-

daires de l’évolution du commerce international. Un résultat

retrouvé par l’économiste Andrew K. Rose [2002] lorsque, cher-

chant à expliquer les déterminants du commerce entre les pays,

il montre que l’appartenance d’un pays aux accords du Gatt ou

à l’OMC ne joue aucun rôle.

Une méthode de diagnostic

L’exemple précédent montre que Strange cherche d’abord àinciter ses lecteurs à se poser les bonnes questions. De fait, son

approche permet de faire l’économie de bien des débats ou de

proposer de nouvelles interrogations. Par exemple, l’exercice du

pouvoir structurel dépasse largement l’utilisation des ressources

traditionnellement analysées que sont la démographie, le terri-

toire, le nombre et la qualité de l’armement, etc. Il faut aussi

être à même de comprendre, par exemple, comment les multi-

nationales, les marchés financiers ou les détenteurs de savoiremploient leur force, ce qui réclame des concepts plus larges et

une approche plus historique que le simple rassemblement

d’indicateurs quantitatifs.

De même, le recours à la rationalité des acteurs n’est plus

indispensable. En introduisant une problématique du pouvoir

et donc des asymétries de pouvoir entre les participants à une

structure donnée, on peut montrer que le plus fort peut utiliser

son pouvoir pour un gain marginal au prix de coûts exorbitantspour les autres, un comportement que l’analyse rationaliste a

du mal à intégrer (Joseph Stiglitz [2002] en donne un exemple,

quand l’administration américaine pousse à l’organisation d’un

cartel mondial de l’aluminium pour redresser les profits à cour

terme de l’entreprise Alcoa). L’hypothèse de rationalité des

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acteurs suppose une certaine permanence de leurs choix et de

leurs objectifs, alors même que ceux-ci peuvent être à même de

se modifier en fonction de l’état du marché, d’un changement

d’orientation politique, etc. Le prix de la Banque de Suède en

économie 2002 Daniel Kahneman a été récompensé pour avoir

décrit les nombreuses situations décrivant les sources de l’irratio-

nalité des comportements économiques (tendance exagérée àl’optimisme, jugement de situations générales à partir d’expé-

riences personnelles réduites, etc.). Cela permet également

d’ouvrir la possibilité d’une analyse où l’état du monde nedépend pas seulement de la confrontation d’acteurs aux stra-

tégies rationnellement définies mais peut résulter d’effets non

voulus de décisions ou d’absence de décisions.

La séparation d’analyse entre politique intérieure et politique

internationale n’a plus lieu d’être. D’une part, l’État-nation n’est

plus considéré comme un acteur unitaire du système interna-

tional mais est appréhendé à partir de tous les acteurs politiques

qu’il englobe et qui le dépassent dans l’action internationale.D’autre part, les fondements nationaux des prises de position

internationales des acteurs doivent être explicités, un résultat

mis en avant par Strange bien avant les études savantes de

l’approche d’OEP américaine… De même, la diff érence concep-

tuelle entre acteurs étatiques, publics en général, et privés, perd

de sa pertinence : l’analyse porte sur toutes les formes d’autorité,

en général, qui agissent pour faire prévaloir leurs préf érences et

leurs valeurs. L’analyse des actions politiques ainsi proposée

dépasse celle des politiques publiques pour essayer de

comprendre les objectifs, les volontés, de tous les acteurs impor-

tants. Cela permet d’avoir une vision plus juste, non tronquée,

des rapports de forces en jeu et donc de mesurer la responsabilitépolitique de tous les acteurs, sans en rester aux seuls États qui

ne sont que des acteurs parmi d’autres de la régulation politique

mondiale.Pour qui veut comprendre la mondialisation et la possibilité

de la réguler, cette EPI propose non pas une théorie clés en main

mais une méthode de diagnostic articulée en cinq niveaux,

valable pour n’importe quel domaine d’étude que l’on veut

aborder :

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1) Identifier le réseau complexe d’autorités entrecroisées àl’œuvre.

2) Mettre en évidence les accords qu’ont passés entre elles cesautorités et le résultat (outcome) produit.

3) Mettre au jour les valeurs prioritaires retenues par ces auto-

rités (prospérité et richesse ; justice et équité ; sécurité, ordre et

stabilité ; liberté et autonomie de décision) et comment elles se

répartissent entre groupes sociaux et individus, qui gagne quoi,

qui perd quoi ?

4) Identifier les points de fragilité des accords en cours.

5) Mettre en évidence les accords alternatifs possibles.

Selon la définition de Roger Tooze [1984], ce type d’EPI ne

propose pas une théorie mais « un champ d’investigation, un

ensemble particulier de questions et une série d’hypothèses sur

la notion du “système” international et la façon dont on peut

le comprendre ». Et Strange d’ajouter, de manière ambitieuse,

que l’objectif des études d’EPI doit être de fournir un « cadre

d’analyse, une méthode de diagnostic de la condition humaine,telle qu’elle est, ou telle qu’elle était, dans un environnement

économique, politique et social » [1988, p. 16].

Le refus des grandes thé ories 

Les travaux de Susan Strange sont quelquefois critiqués pour

ne fournir que cette méthode et non pas un modèle général du

fonctionnement du système international. Comme le souligneRonen Palan [1999], ils sont quelquefois regardés comme ceux

d’une empiriste naïve avec de fortes convictions morales. À cela

Strange répondait avec plusieurs arguments [1988, 2002].

Le constat, d’abord, que nombre de théories dominantes

présentes sur le marché universitaire en économie et en relations

internationales proposent à ses yeux des conclusions entière-

ment fausses (et produisent donc de mauvais conseils), que ce

soit la théorie des régimes, celle de la stabilité hégémonique etde son corollaire sur le déclin américain.

Les grandes théories de science sociale lui semblent trop

descriptives, réordonnant avec un vocabulaire diff érent des faits

connus. Ce n’est pas inutile mais cela n’explique rien. L’impor-

tance donnée par les économistes et par les politistes aux

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approches quantitatives lui paraissent par ailleurs aller dans la

mauvaise direction : le choix de ce qui doit être compté est trop

arbitraire et déterminer le sens de la causalité dans une corréla-tion trop subjective. De manière induite, Strange n’a aucune

confiance dans les prédictions sur l’avenir du monde, notam-

ment celles des économistes, car les facteurs irrationnels dans

le comportement humain lui paraissent trop nombreux (et leurs

combinaisons encore plus nombreuses) pour être prévus. Libre

alors à chaque chercheur de savoir jusqu’où il peut jouer le rôle

de conseiller du Prince.

Reprenant ensuite l’analyse de Robert Cox (voir chapitre III),

Strange affirme qu’une théorie n’existe pas en elle-même mais

sert toujours les intérêts de quelqu’un ou un objectif particu-

lier. Ou bien, elle est proposée contre quelqu’un ou quelque

chose. Elle indique ainsi clairement avoir développé son travail

pour remettre en question les approches dominantes des rela-

tions internationales des politistes et des économistes (qualifiant

par exemple son livre States and Markets d’antimanuel [1996]).Qu’est-ce qui fait l’attrait d’une théorie particulière ? Les univer-

sitaires se trompent en croyant qu’ils font des émules grâce à la

clarté ou à la rationalité de leurs arguments. C’est le partage des

mêmes biais et des mêmes préjugés qui lie les gens entre eux.

D’où l’insistance de nombreux travaux issus de cette approche

d’EPI à vouloir analyser les conditions sociologiques et poli-

tiques de la construction des connaissances sur le monde.

L’objectif de bâtir une grande théorie des changements dumonde tels qu’ils sont orientés par les compromis entre des

autorités multiples paraissait à Strange tout bonnement hors de

portée. Impossible de trouver une cause unique, ou plusieurs

causes hiérarchisées de manière prévisible, à la façon dont le

pouvoir s’organise au niveau international. Chercher une expli-

cation théorique simplement formalisable pour expliquer la

dynamique politique du pouvoir mondial représente un leurre

que les politistes ont emprunté aux économistes et qu’ils pour-suivent en commun avec le même degré d’insuccès.

Strange refuse donc complètement de se présenter comme

une théoricienne. Pour toutes les raisons précédentes et parce

que le langage universitaire abstrait (academic speak) lui parais-

sait totalement inapproprié pour informer et engager le débat

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avec le plus grand nombre. À ses yeux les chercheurs doivent

rendre compte de leur travail en priorité à la société tout entière

et ne pas se confiner à des débats uniquement accessibles à despetits cercles d’experts.

C’est pourquoi si les travaux de Strange ont nourri et nourris-

sent encore de nombreux chercheurs, il n’y a pas d’école Susan

Strange d’économie politique internationale. Parce qu’elle n’apas de grande théorie à défendre mais une façon de diagnosti-

quer les problèmes du monde. Parce que son travail s’est

toujours nourri de la critique de tout ce qui pouvait ressembler

à une théorie bien instituée. Ainsi, dans le discours inaugural

de sa prise de fonctions comme présidente de l’International

Studies Association conseillait-elle à son audience : « Ne tenez

pas trop compte des barons et des hiérarques. Ayez le courage de

suivre votre propre voie et dites vraiment ce que vous pensez,

pas ce que d’autres vous ont dit de penser » [1995]. Et parce que,

ainsi que l’a écrit Roger Tooze [2001a], qui fut l’un de ceux qui

travaillèrent le plus avec elle, l’approche de Strange « n’était paslonguement mûrie ; ce n’était pas un modèle réduit parfait, une

solution théorique ou un code pour les problèmes qu’elle voyait

se multiplier dans l’économie politique mondiale. Elle a émergé,

au départ, d’un patchwork de convictions, d’hypothèses, de

scepticisme et d’observation ».

Les seules réf érences épistémologiques qu’elle se reconnaissait

étaient Paul Feyerabend (car il défendait l’idée que la seule chose

nécessaire à la recherche est de se poser les bonnes questions)et le penseur du XIVe siècle Ibn Khaldun (car il cherchait àrépondre à la question « pourquoi les choses sont-elles comme

elles sont » ?) [Strange, 2002, p. 116]. Ronen Palan [2003b] a

montré par ailleurs que, s’il fallait vraiment rattacher Strange àune approche particulière, elle pourrait s’inscrire dans le prag-

matisme philosophique américain (Charles S. Pierce, William

  James, etc., dont le trait qui nous intéresse ici consiste à souli-

gner que « la vérité relève plus de l’invention que de la décou-verte ; toujours faillible, elle est indissociablement liée àl’expression, à la réalisation et à l’évolution de certains intérêts »[Frobert et Ferraton, 2003, p. 14]) et dans la continuité des

travaux de l’économiste institutionnaliste John R. Commons,

dont Palan montre que Strange n’est pas éloignée dans sa

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volonté de cerner la dimension économique et politique du

capitalisme à l’ère de la mondialisation. Une double filiation,

pragmatiste et institutionnaliste, utilisée également pour carac-tériser les travaux d’Albert O. Hirschman, un autre penseur

éclectique [Frobert et Ferraton, 2003, p. 13-14, 248].

Les cinq conclusions politiques

Quelles conclusions politiques peut-on en tirer sur l’état du

pouvoir dans le monde et sur la régulation politique de la

mondialisation économique à l’aune de la méthode proposée

par l’EPI de Strange ? Nombre de chercheurs, y compris aux

États-Unis, s’en sont inspirés. Sans prétendre à une synthèse

générale de tous ces travaux, on peut mettre en évidence cinq

grandes conclusions politiques.

L’ hé g é monie de l ’ Empire amé ricain

Pendant une trentaine d’années, les spécialistes américains

ont bâti leur vision du monde sur l’hypothèse d’un déclin de

l’hégémonie américaine. Puis, après l e s événements du

11 septembre 2001, il semblait évident à tous que les États-Unis

dominaient le reste du monde. Une fois passée la première

décennie du XXI e siècle, nouveau retournement, la thèse du

déclin américain revient en force. Les signes ? Une désindustria-lisation liée à la mondialisation, une forte dépendance aux capi-

taux étrangers, un affaiblissement annoncé du rôle international

du dollar (pour une synthèse de la littérature sur ces sujets, voir

Artus et Virard [2009], Chavagneux [2008]) et la montée en puis-

sance inéluctable de la Chine [Jacques, 2009], même si les diff é-

rents auteurs n’oublient pas de souligner que l’affaiblissement

des États-Unis devrait se produire à un terme si long qu’il

semblerait que nous ne soyons pas là pour le voir…Comment éviter de changer d’avis sur le statut du pouvoir

américain à chaque fois qu’un événement important se produit

dans l’économie et la politique mondiales ? Strange propose

bien évidemment de s’appuyer sur sa méthode de diagnostic du

pouvoir structurel [1987]. Elle lui a permis de ne pas sombrer

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dans le ridicule du déclin de l’Empire américain. Sans s’en tenir

aux seules actions de politique étrangère du gouvernement

américain comme cela est fait généralement, elle s’attache àanalyser le pouvoir structurel de ce qu’elle qualifiait d’Empire

américain non territorialisé : pas un empire dirigé d’en haut et

guidé par la volonté de conquêtes territoriales mais une sociétéaméricaine et ses acteurs capables d’« exporter » leurs problèmes,

leurs débats, leurs attentes politiques et de les imposer au reste

du monde. Le gouvernement américain pense que le premier

problème mondial de sécurité est le terrorisme ? Les autres

gouvernements en font leur priorité. Microsoft invente

Windows ? Les ordinateurs du monde entier en sont équipés et

Google s’impose comme le premier moteur de recherche

mondial. Le gouvernement américain ne conquiert pas le

monde comme le faisaient les notables romains il y a deux mille

ans. Mais l’Empire américain s’étend.

Le premier grand résultat politique de l’analyse de Strange

souligne ainsi l’asymétrie croissante entre les États, au profit desÉtats-Unis, dans leur capacité à agir sur l’économie et la société,

tant au niveau international qu’à leurs diff érents niveaux natio-

naux. L’Europe para ît ainsi très loin, en l’état actuel, de pouvoir

exercer du pouvoir structurel. L’Empire américain, au sens de

Strange, domine largement les conditions de la définition des

menaces et de la sécurité pesant sur la planète, du fonctionne-

ment de la finance, de la production et du savoir mondial (voir

tableaux). À l’aune du pouvoir structurel, l’Empire chinois resteencore aujourd’hui bien loin d’exercer la même influence sur

la mondialisation contemporaine que les États-Unis, même si

l’on commence à voir appara ître des multinationales chinoises

en tête des classements.

C’est l’une des victoires intellectuelles de l’EPI de Strange que

d’avoir fait changer d’avis les plus sérieux défenseurs de la thèse

du déclin. Robert Gilpin l’a reconnu de mauvaise grâce, dans

une note de bas de page de son ouvrage de 2001 [p. 94]. Meil-leur joueur, Robert Keohane, dont le livre After Hegemony [1984]

était le fer de lance de l’école décliniste, rappellera à l’occasion

d’un article sur Strange les critiques que celle-ci lui adressait à ce

sujet pour conclure que « sur ce point, je le concède simplement,

j’aurais dû l’écouter plus tôt » [2000, p. XIII].

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Le savoir

Nombre de prix Nobel individuels (hors organisations),

toutes disciplines y compris prix de la Banque de Suède en économie,sur la période 1901-2009, cinq premiers pays(en % du total)

États-Unis 313 (38,8)

Royaume-Uni 107 (13,3)

  Allemagne 81 (10)

France 54 (6,7)

Suède 30 (3,7)

Source  : Fondation Nobel.

Classement des trois premières multinationales,par niveau de capitalisation boursière en mars 2009dans les secteurs d’innovations fortes

Pharmacie Télécoms

mobiles

Équipement

technologique

Informatique Finance

Johnson &Johnson

China Mobile Cisco Microsoft GoldmanSachs

Roche Vodafone Apple IBM Bank of New

 York Mellon

Novartis NTT DoCoMo Intel Oracle Visa

Lé gende : sur les quinze sociétés, dix sont américaines. Roche et Novartis sont suisses, China

Mobile chinoise, Vodafone britannique et NTT japonaise.

Source  : Financial Times 500.

La production

Classement des cent premières multinationales(par niveau de capitalisation boursière en mars 2009),par pays d’origine

États-Unis 40

Chine 11

Royaume-Uni 10

  Allemagne 6France 6

Japon 6

  Autres (15 pays) 21

Source  : Financial Times 500.

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Classement des cent premières marques de multinationalespar pays d’origine, en 2009

États-Unis 50

Europe 37

Japon 7

  Autres 6

Source  : Interbrand.

La finance

Part des diff érentes devises dans les avoirs officiels en devises,à la fin 2009

Dollar 61,6

Euro 27,7

Livre sterling 4,3

  Yen 3,2

  Autres 3,2

Source  : FMI.

Part des diff érentes devises dans les transactions sur les marchésdes changes (le total fait 200 car chaque échange impliquedeux monnaies), en 2007

Dollar 86,3

Euro 37

  Yen 16,5

Livre sterling 14,9

Franc suisse 6,8  Autres 38,5

Source  : BRI.

Par des diff érentes devises dans les actifs internationaux des banques,encours à fin juin 2009(en %)

Dollar 56,7

Euro 22,8

Livre sterling 6,4

  Yen 3,4

Franc suisse 2,3

  Autres 8,5

Source  : BRI.

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La force militaire

Part des dépenses militaires mondiales en 2008

(en % du total mondial)

2008

États-Unis 48

Europe 20

Chine 8

  Asie Est 8

  Autres 16

Source  : Center for Arms Control and Non-Proliferation.

La réaffirmation, sur la base de l’analyse du pouvoir struc-

turel, de la domination des États-Unis est une conclusion impor-

tante : elle revient à chercher la part de responsabilité qu’ont

les acteurs américains dans les évolutions du monde. Qu’elles

soient négatives ou positives. Chercher les voies d’une ma îtrise

politique de la mondialisation demande de s’interroger sur lepoids de l’influence américaine. Sans tomber dans une posture

de dénonciation permanente de leur hégémonie, sans croire àune américanisation du monde, mais tout en ayant la possibi-

lité de les critiquer sans être victime de l’étiquetage immédiat

dans la catégorie de l’antiaméricanisme primaire. Il est ainsi

impossible de comprendre la crise économique et financière de

2007-2010 sans s’interroger sur les évolutions de la finance

américaine. Aucun autre pays au monde n’a la possibilité dedéstabiliser la mondialisation comme peuvent le faire les déra-

pages du système financier américain. D’autres crises sont

possibles ailleurs, mais leurs conséquences sur le reste du monde

sont moindres. De la même façon, les conditions du débat

américain sur le degré de régulation de la finance ont largement

influencé les décisions prises dans le reste du monde.

Mais la critique de ceux qui ne se satisfont pas de la mondiali-

sation actuelle ne peut viser uniquement les États-Unis : leurdomination ne revient pas à dire qu’ils tirent les ficelles du

monde toujours et partout. D’autres forces sont également àl’œuvre.

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La mont é e en puissance des acteurs priv é s 

Si l’Empire américain est dominant, tous les États, y compriscelui des États-Unis, ont perdu en autorité sur leur société et

leur économie au bénéfice des acteurs privés qui exercent un

pouvoir équivalent ou supérieur dans beaucoup de domaines.

Le rôle essentiel des acteurs privés dans l’écriture des règles du

jeu de la mondialisation est un résultat présent dans les travaux

de Strange dès les années 1970. D’autres ont pris la relève et il

constitue aujourd’hui l’un des secteurs les plus dynamiques en

matière de recherche [par exemple : Cutler, Haufler et Porter,

1999 ; Sassen, 2000, 2002 ; Higgott, Underhill et Bieler, 2000 ;

 Josselin et Wallace, 2001 ; Hall et Bierstecker, 2002].

Dans son analyse des acteurs privés, Strange reste encore

prisonnière d’une analyse qui les ramène aux États. Ainsi

propose-t-elle dans The Retreat of the State [1996] de classer les

acteurs non étatiques en fonction de l’intensité avec laquelle ils

peuvent remettre en cause l’autorité étatique. C’est l’une des

avancées de l’EPI critique contemporaine que d’avoir commencéà progresser dans le domaine d’une meilleure compréhension du

rôle politique des acteurs privés au sens large : multinatio-

nales, ONG, mafias, cabinets de conseil, chercheurs, dias-

poras… À partir des travaux de Hall et Biersteker [2002], on a

essayé de fournir quelques pistes d’analyse du pouvoir des

acteurs privés sur la base d’une division en trois catégories :

acteurs économiques, ONG et acteurs illicites [Chavagneux,2002b]. Un découpage aux vertus heuristiques mais qui ne peut

être qu’une étape dans la compréhension fine du rôle poli-

tique des acteurs non étatiques. Quelles sont les sources de leur

pouvoir dans l’économie mondiale ?

Les acteurs économiques. — Leur influence politique passe par

six canaux institutionnels diff érents [Cutler, Haufler, Porter,

1999].Au niveau le plus faible de la coordination entre firmes, les

normes informelles sont le fruit d’habitudes, de règles non

écrites, qui s’imposent à travers l’histoire d’un secteur industriel

ou d’une activité spécifique. Ainsi, il n’existe aucun règlement

qui interdise aux petites et moyennes entreprises de se financer

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sur les marchés euro-obligataires. Néanmoins, ce compartiment

de la finance internationale a été dès le début tacitement réservéaux grosses entreprises et aux États.

La mondialisation des activités productives et financières

s’appuie sur un certain nombre d’infrastructures qui assurent des

fonctions de coordination du capitalisme dont l’existence n’est

souvent analysée qu’en rapport avec l’efficacité et la sécurité des

transactions qu’elles procurent. La façon dont elles sont

produites et dont elles fonctionnent comporte pourtant des

dimensions politiques importantes qui sont souvent des lieuxde pouvoir pour les acteurs économiques privés. Les grands

cabinets d’audit internationaux (PricewaterhouseCoopers,

KPMG, Ernst & Young, Deloitte Touche Tohmatsu et Arthur

Andersen, ce dernier ayant partiellement disparu en raison de

ses déboires liés au scandale Enron) ont ainsi été à l’origine de

l’établissement de normes comptables internationales que

l’Union européenne a adoptées et que les entreprises euro-

péennes ont dû adopter le 1er janvier 2005. Pour Michel Capronet Ève Chiapello [2005], « on peut aller jusqu’à dire que la

conception comptable internationale se pense aujourd’hui

largement dans ces cabinets, que rien ne peut s’élaborer sans

leur concours et que nulle décision ne peut s’affranchir de leur

aval ». Leurs fondements ressortent des principes de la compta-

bilité anglo-saxonne et de la place qu’ils laissent au marché dans

l’appr

éciation de la valeur comptable des actifs d

étenus par lesfirmes, une pratique qui n’est pas répandue sur le continent

européen où les actifs sont valorisés à leur coût historique (lié àla valeur à laquelle ils ont été achetés). Un choix qui permet

aux grands cabinets comptables mondialisés de minimiser leurs

coûts en proposant les mêmes services partout dans le monde.

Mais dont le prix, en termes d’instabilité, est payé par l’ensemble

du monde. La crise des subprimes a ainsi incité les États à

remettre en cause partiellement les nouvelles règles pour éviteraux banques de devoir supporter trop vite dans leurs comptes

la dépréciation des actifs financiers qu’elles détenaient. Dans un

autre domaine, les normes émises par des regroupements

d’entreprises prennent un poids de plus en plus important

dans les processus de normalisation internationale (normes

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sanitaires, techniques, etc.) par rapport aux normes publiques

nationales ou celles mêlant acteurs publics et privés au niveau

international (la norme ISO — de l’Organisation internationalede normalisation — par exemple) [Graz, 2002].

Les associations professionnelles transfrontalières consti-

tuent un autre canal d’influence des acteurs économiques

privés. Elles jouent à la fois un rôle de régulateur au sein de

secteurs spécifiques et un rôle de lobby auprès des gouverne-

ments. Au plan européen, la Business European Roundtable, par

exemple, qui regroupe quarante-cinq patrons de multinatio-

nales européennes, a été l’un des fers de lance de la construction

de l’Europe, soutenant auprès des gouvernements la nécessité de

créer rapidement un marché unique, une monnaie unique et

de procéder le plus tôt possible à un élargissement de l’Europe.

L’Unice, qui rassemble trente-trois f édérations d’employeurs

provenant de vingt-cinq pays européens, exerce un lobbying

important afin d’éviter l’accumulation de contraintes législa-

tives européennes tant environnementales que sociales.L’AmCham représente la voix des multinationales américaines

installées en Europe. Elle a réussi à décourager les velléités euro-

péennes de taxation trop forte des activités de commerce élec-

tronique [Balanya et al., 2000].

Une quatrième source d’influence passe par les partenariats

stratégiques entre entreprises. Les multinationales se trouvent

en concurrence mais également en liaison étroite dans le cadre

de coopérations qui concernent essentiellement la recherche(par exemple l’alliance IBM-Motorola-Apple pour inventer un

microprocesseur concurrent au pentium d’Intel). L’automobile,

les semi-conducteurs, l’industrie pharmaceutique et les indus-

tries de technologie de l’information en sont des exemples.

Cette observation a conduit l’économiste américain John

Dunning à soutenir que la mondialisation économique actuelle

se développe dans le cadre d’un « capitalisme d’alliance » dont

les décisions conditionnent la place des territoires dans la divi-sion internationale du travail.

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Le poids des cartels 

À un niveau plus élaboré, la coordination devient cartel. C’estune source importante d’influence des acteurs économiques. Les

cartels se définissent comme des accords formels ou informels

entre des entreprises a priori concurrentes pour fixer des prix

élevés, limiter la production, empêcher la diffusion de leur

avance technologique et gérer de manière coordonnée leurs

parts de marché. La pratique appara ît ancienne puisqu’elle était

déjà dénoncée par Adam Smith dans sa Recherche sur la nature et 

les causes de la richesse des nations : « Les gens du même métier

se rassemblent rarement, même pour se divertir et prendre de

la dissipation, sans que la conversation aboutisse à une conspi-

ration contre le public ou à quelque invention pour augmenter

leurs prix » [1809, livre I, chapitre 10, page 248].

Ce type d’ententes illicites existe au plan national mais égale-

ment international. Les accords comportent alors trois dimen-

sions : laisser chaque entreprise dominante sur son marché localfixer ses prix comme elle l’entend, partager les marchés d’expor-

tations vers les autres pays et organiser un « fonds de combat »au cas où certaines entreprises de l’accord se feraient prendre

par des régulateurs. L’un des cartels internationaux les plus

anciens a été constitué en 1823 entre les producteurs de rails

d’acier et n’a dû sa disparition qu’au déclenchement de la

Première Guerre mondiale. L’entre-deux-guerres a connu une

prolif ération importante des cartels. Un rapport des Nationsunies de 1947 indiquait que, durant la période 1929-1937, 42 %

du commerce mondial était sous le contrôle de cartels. D’oùl’expression de « protectionnisme privé » utilisée pour qualifier

leurs activités internationales, leurs décisions ayant des consé-

quences sur le commerce mondial aussi importantes que celles

des États.

Dans un rapport rendu public en 2000, l’OCDE souligne

combien on mésestime aujourd’hui leur rôle dans l’économiemondiale en précisant que « de telles ententes sont beaucoup

plus importantes et néfastes pour l’économie mondiale qu’on

n e le p en sa it p récédemment ». Le docum en t don n e de

nombreux exemples de cartels internationaux montrant bien

que, contrairement à l’analyse qu’en font les économistes

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libéraux, les cartels ne sont pas toujours de courte durée. Une

idée que confirme Frédéric Jenny [2003], président du groupe

de travail de l’OMC sur le commerce international et la concur-rence, qui montre également que ces ententes ont des consé-

quences bien plus fortes sur le commerce mondial que les

mesures de libéralisation définies par les États dans le cadre de

l’OMC. Tomber entre les griffes d’un cartel a des conséquences

douloureuses. Un pays qui ouvre ses frontières en espérant faire

jouer la concurrence internationale pour faire baisser les prix de

ses approvisionnements se retrouve confronté à un fournisseur

unique lui imposant des prix élevés. D’après les informations

disponibles, « l’augmentation moyenne des prix due à la collu-

sion dans les cartels internationaux est de l’ordre de 25 % à30 % », juge Frédéric Jenny. Citant une étude portant sur seize

produits cartellisés importés par les pays en développement, il

souligne que le surcoût provoqué a été de l’ordre de 20 à25 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de la moitié de

l’aide publique au développement international. Une autre tech-nique consiste à mettre en œuvre des « prix de prédation » pour

décourager les entreprises concurrentes : ainsi, le cartel du gros

équipement électrique (dans lequel on retrouvait Alsthom,

Siemens, etc.) qui a œuvré des années 1930 aux années 1980, a

systématiquement proposé des prix très bas dans tous les appels

d’offre que tentaient de remporter les entreprises brésiliennes,

non-membres du cartel. Le résultat a été la faillite de ce secteur

industriel au Brésil.Rien, dans les informations publiques fournies sur ce type

d’activité, ne permet de savoir dans quelle mesure les amendes

imposées par les régulateurs ont entamé les fonds de combat des

cartels mis au jour. Néanmoins, dans un second rapport paru en

2002, l’OCDE souligne combien les entreprises craignent d’autant

moins les sanctions dont elles pourraient être frappées que la

probabilité d’être découvertes est faible. Une enquête menée aux

États-Unis sur la période 1960-1988 situait la probabilité de détec-tion des ententes entre 13 % et 17 %, soit un cas sur six ou sept.

Pour être vraiment dissuasives et pallier les lacunes en matière de

détection, les pénalités devraient donc multiplier au moins par

six les gains estimés d’un cartel. En fait, seules les législations de

trois pays, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande (avec un coefficient

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multiplicateur de 3) et les États-Unis (coefficient multiplicateur

de 2), sont conçues en ce sens. Dans la pratique, les amendes

réclamées sont bien plus faibles. D’après les rares donnéesrecueillies par l’OCDE, les sanctions financières imposées vont de

3 % à 189 % de l’estimation des gains frauduleux. L’institution

appelle alors les pays industrialisés à accro ître considérablement

le montant des sanctions afin que la protection assurée par les

fonds de combat ne puisse plus jouer son rôle. L’Europe semble

s’engager dans cette voie avec des niveaux d’amende de plus en

plus élevés, le record en la matière étant détenu par les produc-

teurs de verres plats utilisés dans la fabrication de pare-brise qui

ont écopé, en novembre 2008, de la plus forte amende infligée

par la Commission européenne (1,4 milliard d’euros dont

896 millions pour l’entreprise française Saint-Gobain).

La loi internationale au service des int é r ê ts priv é s 

La forme la plus extrême d’influence des acteurs économiquesprivés s’exprime dans leur capacité à inscrire dans le droit inter-

national public les règles destinées à servir leurs intérêts parti-

culiers [Gill, 1999 ; Underhill, 2000]. Pour le sociologue Ulrich

Beck [2004], « les firmes mettent en place un “droit privé”. Cela

vaut pour les normes techniques comme pour le droit du travail

ou celui des contrats, les procédures d’arbitrage, etc. Il se

construit une sorte de souveraineté juridique du capital, qui lui

donne une certaine indépendance à l’égard de la légitimationétatique ». Un premier exemple historique se trouve dans les

accords de Bretton Woods [Helleiner, 1994, p. 44-49]. La rédac-

tion initiale des statuts du FMI prévoyait que lorsqu’un pays

était victime de fuites de capitaux importantes, le pays qui rece-

vait ces capitaux avait l’obligation de collaborer avec les auto-

rités du pays d’origine pour mettre fin à la situation. Sous

l’influence des banquiers américains, qui avaient bénéficié des

fuites de capitaux européens dans les années 1930, cette dispo-sition a été supprimée pour donner l’article VIII-2-b actuel des

statuts de l’institution qui autorise mais n’impose pas la coopé-

ration entre États.

Susan Sell [2003] a montré comment une douzaine de diri-

geants de multinationales américaines opérant dans les secteurs

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de la pharmacie, de l’informatique et du divertissement ont écrit

ce qui deviendra les accords Trips sur la propriété intellec-

tuelle, instaurant une protection exclusive de leurs brevets surune durée de vingt ans. Jamais, historiquement, la loi interna-

tionale n’avait été aussi favorable aux multinationales (ce qui

n’empêche pas sa contestation comme l’a montré la remise en

cause du monopole sur les médicaments antisida en 2001). Ces

leaders ont d’abord convaincu les entreprises nationales de leurs

secteurs respectifs de s’associer à leur démarche. Ils ont égale-

ment su présenter leur cas au gouvernement américain : à partir

d’une expertise technique et juridique de haut niveau et sur la

base d’estimations — qui s’avéreront avoir été largement suré-

valuées — du coût du piratage sur les déficits extérieurs, au

moment où ceux-ci croissaient fortement. L’administration a

alors repris à son compte les demandes des industriels, soutenue

en cela par Edmund Pratt, alors dirigeant de l’entreprise pharma-

ceutique Pfizer (l’un des douze) et membre de la délégation offi-

cielle des États-Unis dans les négociations de l’Uruguay Round.Ils ont également su convaincre leurs concurrents étrangers de

faire pression sur leurs gouvernements afin de donner une prio-

rité à ces négociations. Au total, les multinationales américaines

ont réussi à atteindre leur objectif  à partir de jeux d’influence

mélangeant autorités privées, publiques, nationales et interna-

tionales, dont les frontières apparaissent très poreuses.

L’évolution des normes internationales qui empêchent les

grandes banques de prendre trop de risques permet égalementde montrer la montée en puissance des acteurs économiques

privés. Même dans une économie de marchés financiers, les

banques continuent de jouer un rôle important : par les crédits

qu’elles distribuent aux entreprises, aux ménages et aux inves-

tisseurs, et par les risques qu’elles prennent elles-mêmes sur les

marchés financiers, soit par leurs placements, soit par leur spécu-

lation. La « politique prudentielle » organisée au niveau interna-

tional par la Banque des règlements internationaux (BRI) au seindu Comité de Bâle pour le contrôle bancaire, consiste à surveiller

à la fois les risques de crédit et les risques de marché que pren-

nent les banques.

A van t l a c ri se d es subprimes, la banque américaine

  J. P. Morgan, relayée ensuite par les grands établissements

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financiers internationaux, a été à l’origine du développement

de l’« autocontrôle » comme principe prudentiel face aux risques

de marché. L’autocontrôle représente la possibilité laissée auxétablissements financiers d’utiliser des modèles statistiques

internes pour contrôler et gérer leurs risques financiers. Un

modèle interne se définit par trois composantes : une méthodo-

logie d’ensemble et des algorithmes de calcul, une organisation

des responsabilités et des procédures de contrôle, un système

d’enregistrement et de traitement des opérations. Le principe

d’une influence décisive de gros acteurs privés sur la définition

des règles de sécurité de la finance mondiale ne pose pas de

problème a priori. Elle ne devient problématique que si les règles

en question aboutissent à servir leurs intérêts au détriment de

ceux de la communauté. De fait, plusieurs études ont montréque la mise en œuvre de l’autocontrôle comporte de sérieuses

lacunes techniques, organisationnelles (Sumitomo, Daiwa,

Metallgesellschaft, Barings en sont des exemples), technolo-

giques (les établissements financiers semblent avoir réalisé desprogrès en la matière) et managériales (affrontement entre les

cellules de surveillance des risques, enclines à la prudence, et

les opérationnels, en quête de volumes d’affaires importants).

La crise des subprimes est venue confirmer que l’on ne pouvait

pas faire confiance aux banques pour se contrôler elles-mêmes.

Les régulateurs publics, regroupés dans le Senior Supervisors

Group [2008], ont ainsi mis l’accent sur la mauvaise gouver-

nance du risque au sein des grandes banques internationalescomme élément explicatif de la crise. Leurs enquêtes in situ

soulignent combien les établissements ont abandonné toute

prudence, les gestionnaires de risques étant marginalisés par les

financiers de terrain, qui ne voyaient que des opportunités de

bonus dans les produits spéculatifs qu’ils manipulaient. En

même temps, les conseils d’administration et les P-DG, dépassés

techniquement, se contentaient d’approuver des activités mal

comprises mais tirant la croissance de leurs profits. En écho, lerapport remis aux actionnaires de la banque suisse UBS et

l’enquête précise menée sur les déboires de la banque belge

Fortis [Condijts et al., 2009] viennent montrer concrètement

comment des grandes banques ont passé outre leurs propres

règles internes de contrôle des risques. D’autres études ont

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insisté sur la mobilisation du pouvoir de lobbying des acteurs

bancaires afin d’éviter toute régulation financière contraignante,

en particulier aux États-Unis [Buiter, 2008 ; Johnson, 2009 ; Iganet al., 2010].

Les ONG. — Le regroupement régulier des ONG contestant la

mondialisation libérale dans le cadre du Forum social mondial

de Porto Alegre a illustré le poids grandissant des organisations

non gouvernementales dans l’arène politique internationale.

Cela en fait-il pour autant aujourd’hui des acteurs clés de la

régulation politique de la mondialisation ? Si leur contestation

de la mondialisation libérale occupe le devant de la scène, visi-

bilité médiatique et influence politique ne peuvent être

confondues. La première se constate de manière immédiate, la

seconde demande une analyse fine et du temps pour être

estimée.

D’où l’importance de situer le rôle international des mouve-

ments sociaux dans le temps long. Le travail de Steve Charno-vitz [1997] montre que les premières mobilisations datent du

XVIIIe siècle, et que les ONG ont su prendre une place politique

essentielle dans les années 1920. Elles ont ainsi gagné leur légi-

timité historique en œuvrant, souvent de manière détermi-

nante, pour la défense des droits humains (abolition de

l’esclavage, développement des droits des femmes, des mino-

rités…). Après une période de relatif effacement, un mouve-

ment citoyen international s’est reconstitué dans les années1990 autour de diff érentes campagnes de mobilisation ciblées :

annulation de la dette des pays pauvres, réformes des institu-

tions financières, etc.

On le sait peu mais la croissance la plus importante des acti-

vités des ONG internationales s’est produite dans la fourniture

de services de base (éducation, santé) [Kaldor, Anheier et

Glasius, 2003]. Elle provient des grandes organisations mobi-

lisées par les institutions internationales comme la Banquemondiale pour se substituer ici et là à des autorités nationales ou

locales défaillantes. À côté du rôle de sous-traitant des institu-

tions interétatiques internationales, certaines ONG (Green-

peace, WWF) ont choisi de développer leurs relations avec les

multinationales, jouant le rôle de surveillants de leurs pratiques

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en matières sociales et environnementales. Un troisième type

d’intervention consiste à construire des réseaux internationaux

d’associations, avec l’idée que le renforcement des liens entreacteurs civiques à travers les frontières contribue à la cohésion

sociale internationale. C’est le rôle que s’est donné une ONG

comme Civicus qui cherche à promouvoir les pratiques démo-

cratiques partout dans le monde. La quatrième forme d’inter-

vention, la plus médiatisée mais comme on vient de le voir c’est

loin d’être la seule, repose sur l’activisme international, afin de

défier les pouvoirs économiques et politiques en place en orga-

nisant des manifestations contre tel rassemblement (le G7), telle

institution (le FMI, l’OMC…), ou pour développer le contenu

d’un programme alternatif  à la mondialisation libérale. Les

Forums sociaux mondiaux, régionaux et nationaux y jouent un

rôle à côté des grands réseaux d’ONG institutionnalisées.

Ces mouvements citoyens ont déjà gagné deux batailles : en

animant le débat social et politique international elles ont

ramené beaucoup de gens vers l’action politique ; elles se sontimposées comme des interlocuteurs incontournables et sont

reconnues comme tels par les États [voir Jacquet, Pisani-Ferry

et Tubiana, 2002] et les firmes. Néanmoins, l’influence poli-

tique de ces mouvements sociaux, reste aujourd’hui limitée

[Pouligny, 2001 ; Cohen, 2003]. D’après O’Brien et al. [2000],

les ONG n’ont par exemple pas réussi à modifier la substance

des politiques suivies par les institutions internationales qu’elles

contestent, en dépit du fait qu’elles ont joué un rôle certain dansle choix des institutions de Bretton Woods de procéder, même àreculons, à l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus

pauvres.

Les acteurs illicites. — Les bandits faisaient partie des sujets de

prédilection de Strange [1996, p. 110-121 ; 1998a, p. 123-138].

Voici un domaine d’étude sur lequel les économistes restent

sans voix, prisonniers de leurs grands ancêtres tel Jean-BaptisteSay pour qui l’économiste n’étudie « les phénomènes que sous

le point de vue qui peut jeter du jour sur sa science. Dans un

gain frauduleux, il verra un déplacement de richesse lorsque le

moraliste y condamnera une injustice » [1840, p. 6], ou Léon

Walras indiquant « qu’une substance soit recherchée par un

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médecin pour guérir un malade, ou par un assassin pour empoi-

sonner sa famille, c’est une question très importante à d’autres

points de vue, mais tout à fait indiff érente au nôtre » [1874,p. 43]. Pourtant, la mondialisation du crime économique s’est,

de l’avis de tous les experts, largement accrue. D’abord parce

que, ne constituant pas un monde à part, le crime économique

transnational s’inscrit dans les réseaux licites de circulation des

marchandises et des capitaux. La mondialisation économique

progressant, les réseaux criminels en ont profité, sans qu’il soit

possible de dire s’ils l’ont fait plus vite que le reste de la mondia-

lisation ou non.

Que peut-on en conclure quant au pouvoir des mafias dans

l’économie mondiale ? Pour Strange, l’accroissement des

ressources financières des acteurs illicites et les liens qui les unis-

sent à travers le monde en font une source de pouvoir remet-

tant en cause l’influence des États. S’appuyant sur une lecture

fine des écrits de Strange sur le sujet, H. Richard Friman [2001] a

montré combien elle surestimait cette menace à partir de deuxcritiques principales. Strange étudie les groupes criminels en les

posant comme des unités semblables du point de vue du fonc-

tionnement, accordant insuffisamment d’attention à leurs diff é-

rences, largement analysées par Friman. Il n’y a donc pas un

groupe mafieux puissant mais diff érentes mafias dont la coordi-

nation n’est pas évidente. Tout en soulignant que la mesure de

la menace mafieuse ne peut être que subjective, Strange repre-

nait à son compte sans perspective critique la réalité de lamenace telle qu’elle est décrite par les organismes internatio-

naux de police et de contrôle. Or nombre de recherches ont

montré la fragilité de leurs discours, de leurs estimations et de

la construction même du crime sur laquelle ils s’appuient

[ L’Économie politique, 2002 ; Naylor, 2002]. Longtemps consi-

dérées comme un monde à part, une déviance par rapport à une

économie pure et honnête, les activités économiques criminelles

sont désormais prises au sérieux par les travaux de sciencessociales pour montrer que les États, les grands acteurs privés et

les mafieux évoluent dans un même espace politique. Les

  Japonais ont même un mot, ankoku jidai (quartiers clan-

destins), pour désigner ces lieux où tous ces acteurs se rencon-

trent. Friman [2009] prend bien soin de souligner combien

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l’étude de la place des activités mafieuses ne peut s’arrêter aux

estimations de « produit criminel brut » mondial et autres

fadaises. Les estimations dont on dispose à cet égard sont soitfarfelues, soit le résultat des diff érents acteurs (police, organisa-

tions internationales, etc.) qui ont tout intérêt à gonfler le

problème. La vérité est que personne n’a la moindre idée des

montants en jeu. Ce qui n’empêche pas la production de

recherches précises mettant en évidence les mécanismes par

lesquels les frontières entre milieux criminels et milieux poli-

tiques deviennent poreuses et s’inscrivent dans des trajectoires

de long terme mêlant le légal et l’illégal, le national et l’interna-

tional, le violent et le respectable [Briquet et Favarel-Garrigues,

2009].

La principale menace criminelle est celle de la criminalité en

col blanc, celle des actions illicites des entreprises légitimes (type

Enron), celle de la fraude fiscale (qui prive les États de leur possi-

bilité d’action). Les banquiers, en privé, le reconnaissent :l’argent des trafics mondiaux qui passe par leurs tuyaux est bien

plus faible que celui de la fraude fiscale et des détournements

de déréglementations en tout genre. Strange partageait ce point

de vue : après quelques générations, les descendants de mafieux

rejoignent la bonne société et vivent de ressources légales. Le

principal problème politique est celui des paradis fiscaux et des

comportements frauduleux des entreprises qu’ils permettent,

privant les États de leurs ressources tout en favorisant la dissimu-lation de l’argent de la corruption des fonctionnaires et des

hommes politiques. Des conclusions auxquelles les travaux de

Strange menaient dès les années 1990, avant les scandales de

type Enron et avant que les paradis fiscaux n’entrent dans

l’agenda politique international à partir de 2009.

Au total, trois conclusions provisoires ressortent de l’étude du

rôle des acteurs privés :

— il n’y a pas de modèle institutionnel unique qui permettede rendre compte de la diversité de leur influence ;

— les diff érentes recherches conduisent à souligner la

difficulté à distinguer parfaitement espace privé et espace public

de décision, entre le licite de l’illicite, entre le national et

l’international, toutes ces frontières traditionnelles paraissant

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extrêmement poreuses. Toutes les entreprises ne sont pas

mafieuses, toutes les ONG ne sont pas inf éodées aux États, etc.

Ce constat indique seulement qu’il est difficile de raisonner surles sources de production des normes internationales à partir

d’une distinction entre espace public et espace privé, les deux

s’enchevêtrant, tout en flirtant quelquefois avec le « marché de

l’immoralité » analysé par Jean de Maillard [2001] ;

— ce caractère hybride de la gouvernance de la mondialisa-

tion économique contemporaine présente quelques ressem-

blances avec des périodes historiques précédentes et semble bien

être la norme tout au long de l’histoire plutôt qu’une exception

de notre période contemporaine.

Des zones de non-gouvernance 

L’économie mondiale voit se développer des zones de non-

régulation (ungovernance), points de fragilité du système, où les

acteurs étatiques et non étatiques en présence ne peuventassurer la ma îtrise des événements. Soit qu’ils s’y refusent, soit

qu’ils en sont incapables. La finance mondiale est pour Strange

une telle zone de non-régulation. D’où ses récriminations àl’encontre des spécialistes de relations internationales de ne pas

s’en préoccuper assez.

De fait, comme le souligne Ronen Palan [2009], si les diff é-

rentes approches d’EPI doivent être jugées à l’aune des

problèmes concrets de fonctionnement du capitalisme contem-porain qu’elles ont pointés du doigt, l’insistance de Strange àanalyser et dénoncer le développement d’une finance interna-

tionale opaque aux risques mal ma îtrisés confirme l’efficacité de

sa méthode. Pendant que les chercheurs américains organi-

saient force débats sur les régimes, la stabilité hégémonique et la

nécessité ou pas de recourir à la théorie des jeux, Strange publiait

Casino Capitalism en 1986 et Mad Money  en 1998 et « pratique-

ment tout ce qu’elle a écrit dans ces deux livres prophétiquess’applique à la crise que nous vivons aujourd’hui » [Palan, 2009,

p. 387]. Et Palan de lister le vaste ensemble de travaux issus de

l’EPI britannique s’inscrivant dans cette veine analytique des

dysfonctionnements de la finance internationale. Parmi les

sujets financiers pointés par Strange figurent d’ailleurs les

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paradis fiscaux, dont elle avait repéré le rôle important de

manière prémonitoire, bien avant les réunions du G20 de 2009,

suscitant des travaux [Chavagneux et Palan, 2010 ; Palan,Murphy et Chavagneux, 2010] sur un sujet que l’EPI américaine

n’a toujours pas pris en considération.

Cohen [2009b] avance deux arguments pour expliquer pour-

quoi l’EPI américaine est passée complètement à côté du sujet

de l’instabilité financière. Le premier tient au sentiment d’une

bonne résistance du système financier international aux diff é-

rentes crises qui l’ont affecté depuis les années 1970 et àl’a bsen ce de dérapages importants depuis le début des

années 2000. En oubliant que, des fluctuations erratiques des

taux de change à la crise asiatique de 1997-1998 en passant par

la quasi-faillite du fonds spéculatif américain LTCM en 1998,

ce sont à chaque fois des croissances en berne et des emplois

perdus. Même si la finance avait résisté, les coûts économiques

et sociaux de ses dérapages auraient mérité que l’on s’y intéresse.

De plus, on aurait pu attendre des chercheurs américains qu’ilsaillent au-delà des apparences pour étudier le fonctionnement

d’un système où les prises de risque excessives, pour être dissi-

mulées, étaient légion.

Le second argument est de méthode. L’EPI américaine s’inté-

resse à des problèmes étroits et quantifiables. Elle suppose un

cadre général donné et stable, sans s’interroger sur son fonction-

nement. En voulant bâtir des modèles testables avec des

données, elle « marginalise automatiquement les questionslarges qui ne peuvent être réduites à un ensemble gérable de

régressions statistiques ».

On pourrait également ajouter que, comme la théorie écono-

mique dominante, l’EPI américaine entretient une croyance

profonde dans la capacité des marchés à s’autodiscipliner dont

la crise de 2007-2010 a montré l’inanité.

Si ma îtriser la mondialisation demande de repérer ces zonesde non-gouvernance qui sont autant de points de fracture

possibles du système international, alors l’EPI britannique a

nettement montré sa supériorité en ce domaine.

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Pas de complot mondial 

L’analyse du jeu politique des acteurs capables d’influencerles règles du jeu de la mondialisation ne doit pas conduire àpenser que l’expression du pouvoir dans l’économie politique

mondiale résulte toujours de l’expression de stratégies de domi-

nation rationnellement définies. James Ferguson [1994] l’a

montré par exemple dans l’analyse de l’influence de la Banque

mondiale au Lesotho, en expliquant comment l’institution

cherche à effacer toute considération politique de ses interven-

tions pour les présenter comme purement techniques. Elle

devient une antipolitics machine, une machine à effacer la poli-

tique qui, en ne cherchant pas à comprendre en quoi ses inter-

ventions ont aussi des dimensions en ce domaine, s’engage dans

des actions qui peuvent se révéler politiquement coûteuses, sans

qu’un plan ait été établi en ce sens à Washington. Dans le même

ordre d’idée, on a pu montrer dans le cas du Ghana combien

les interventions du FMI ont pu fragiliser à un moment donnéles débuts du retour à la démocratie, sans que cela résulte de la

volonté politique de l’institution [Chavagneux, 1997].

À un niveau plus important pour la compréhension de la

mondialisation contemporaine, Ronen Palan [2003a ; Palan,

Murphy et Chavagneux, 2010] montre à partir d’une approche

politique et historique, mêlant construction de la souverainetéet transformations du capitalisme, comment les caractéris-

tiques contemporaines des centres financiers offshore ont étéconstruites progressivement, un peu au hasard de décisions

prises dans diff érents pays. Le début du livre montre le peu de

réflexion sur le sujet en provenance des économistes (soit ils ne

s’y intéressent pas du tout, soit ils soulignent qu’ils sont la

conséquence « naturelle » de la montée des prélèvements obli-

gatoires liée à l’État-providence) et des spécialistes de relations

internationales (qui les considèrent comme des États au rabais et

donc peu dignes d’intérêt). Combinant alors économie, sciencepolitique et histoire longue dans un exercice exemplaire d’EPI àla Strange, Palan montre que le principe d’offrir un havre fiscal

aux entreprises, pour les attirer, semble se généraliser à partir des

années 1880 dans les États américains du New Jersey et du Dela-

ware, alors en quête de financements. En 1929, les tribunaux

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britanniques vont plus loin en inventant l’un des principes clés

de fonctionnement des paradis fiscaux : la résidence fictive,

c’est-à-dire la capacité pour une entreprise de mener ses affairesdans un pays tout en étant enregistrée fiscalement dans un

autre. La Suisse développe dans le même temps l’équivalent des

sociétés écrans et formalise le secret bancaire dans sa loi de 1934.

Le tout donne les caractéristiques actuelles des centres offshore

dont on voit qu’elles se sont développées dans diff érents lieux,

sous l’impulsion multiple des États, des firmes, des juges…Est-ce un hasard si toutes ces mesures sont nées à peu près

en même temps ? Pas du tout, nous dit Palan. On l’oublie trop

souvent mais la séparation nette du monde en États nations ne

s’est véritablement imposée qu’au XIXe siècle. Ce n’est qu’à ce

moment-là que les gouvernements ont édicté les lois leur

permettant de définir leur territoire, de contrôler leur popula-

tion, de se poser en « individus » distincts des uns des autres

sur la scène mondiale. Or la fin du XIXe siècle est aussi marquée

par le développement d’une forte mondialisation économique,notamment par la liberté donnée aux capitaux de circuler libre-

ment. Les investisseurs sont alors confrontés au problème de la

compatibilité des diff érentes législations nationales et à leur

respect mutuel. Les gouvernements y apportent plusieurs

réponses, par la prolif ération de traités de libre-échange et par

le droit donné aux entreprises de régler entre elles leurs litiges.

Mais la seule solution assurant la compatibilité entre leur souve-

raineté récemment acquise et la mobilité internationale descapitaux a consisté à créer une fiction juridique, celle de

l’ubiquité des investisseurs, enregistrés légalement, ici pour

produire, là pour payer des impôts et encore ailleurs pour gérer

leurs comptes en banque.

Un principe qui respectait les souverainetés au détriment des

capacités de régulation des États. Multinationales, banquiers,

chefs d’État corrompus, mafieux et milliardaires apprendront

vite à tirer avantage de cette fiction juridique en s’organisantdiff érentes existences légales en fonction de leurs besoins. La

mondialisation n’est rien d’autre, conclut Palan, que cet enche-

vêtrement de deux mondes économique et politique, réels et

fictifs dont l’état actuel n’est le résultat de la stratégie délibérée

de personne.

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Une vision pessimiste mais qui reste motiv é e par la critique 

de l ’ ordre  é tabli 

Confrontée au constat de la puissance des États-Unis, Strange

a d’abord pensé que la dénonciation des travers des décisions,

ou des non-décisions, américaines permettrait d’ouvrir un débat

politique, notamment avec ses principaux collègues d’outre-

Atlantique, proches des réseaux de pouvoir. Puis, face au main-

tien de la thèse du déclin, qui avait l’avantage de refuser aux

États-Unis toute responsabilité internationale, elle a suggéré une

alliance possible entre l’Union européenne et le Japon afin

qu’ensemble ils puissent exercer une pression sur les États-Unis

[1995b].

Elle devient ensuite plus pessimiste. Il n’est plus l’heure, dit-

elle, de simplement constater le désordre mondial. Il faut

désormais s’inquiéter de la viabilité d’un système mondial pris

dans un ensemble d’autorités diffuses, multiples, où les lieux

sans règle progressent. C’est un monde où le contrôle démocra-tique s’affaiblit et où les acteurs économiques privés dévelop-

pent une puissance qui manque de contre-pouvoirs à même de

les ma îtriser. L’objectif est clair, il s’agit de recréer des lieux

d’autorité démocratique dans le système international.

Quelles forces sociales pourraient engager ce mouvement ?

Dans un renversement total de perspective par rapport à son

analyse globale, Strange finit The Retreat of the State en

renvoyant l’avenir de la régulation du pouvoir mondial auxchoix de chaque individu, confronté au « problème de Pinoc-

chio » : une fois détaché de ses fils (ceux de l’État), la marion-

nette a dû choisir par elle-même quelle autorité respecter et

laquelle combattre. Confronté à un monde d’autorités multiples

en conflit, il appartient à chacun d’exercer ses propres choix.

Dans son dernier article, publié de manière posthume en

1999, Strange renonce à faire confiance aux États pour régler

les trois principaux problèmes du monde qui sont la montéedes inégalités mondiales, l’instabilité financière et la dégrada-

tion de l’environnement. La gestion de la planète par le système

international des États a été à ses yeux un échec total. « Ceux

d’entre nous préoccupés par l’étude de l’international devraient

désormais consacrer leurs réflexions et leurs efforts futurs à la

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manière dont il pourrait être changé ou remplacé » [1999,

p. 345].

C’est clairement l’objectif des chercheurs qui s’inspirent dece genre d’EPI critique de l’ordre établi. Ils s’appuient sur deux

principes [Murphy et Tooze, 1991 ; Amin et Palan, 1996 ;

Amoore et al., 2000 ; Amin et Palan, 2001, Langley, 2002 ; Palan,

2009] que partage l’autre EPI hétérodoxe présentée au chapitre

suivant. Le premier est le refus d’une approche positiviste au

profit de la reconnaissance de la subjectivité des sciences

sociales. Les croyances, les valeurs font partie intégrante de la

dynamique du pouvoir de l’économie politique mondiale et

doivent être analysées en tant que telles. Ainsi, au-delà de la

mise en évidence nécessaire de ses propres valeurs et des valeurs

privilégiées par son époque, l’EPI critique souhaite intégrer

l’étude des processus de production du savoir et des enjeux de

pouvoir qui les accompagnent, considérés comme l’un des

déterminants de la compréhension du monde actuel. De même,

une analyse du pouvoir doit tenir compte des comportementsqui trouvent leur source dans les émotions, les normes sociales

et culturelles, la nature de la période historique, les hasards,

l’intersubjectivité des relations.

Le second repose sur la nécessité d’« historiciser » les analyses

en réponse à l’individualisme méthodologique de l’EPI améri-

caine. Plutôt que le résultat des actions rationnelles d’acteurs

considérés comme des individus, l’EPI critique met l’accent sur

les explications qui cherchent à révéler la contingence socio-historique dans laquelle ces acteurs agissent. Les approches

traditionnelles d’économie ou de science politique ont tendance

à considérer que le temps long de l’histoire représente une sorte

de laboratoire qui permet de vérifier des lois générales valables

de manière universelle. Les approches d’EPI hétérodoxes voient

au contraire le présent et les théories qui veulent l’expliquer

comme un ensemble de pratiques sociales situé dans le temps et

l’espace. L’analyse peut permettre de mettre au jour des inva-riants, des éléments que l’on retrouve dans le temps long, par

exemple l’hégémonie, la mondialisation ou la révolution, mais

ces invariants prennent des formes diff érentes selon les époques

et leur spécificité historique doit être explicitée. L’intérêt d’une

approche historicisée est de souligner que les innovations

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sociales sont négociées dans un moment historique qui leur

donne sens. Elles dépendent donc de l’état des lieux technolo-

giques, des savoirs, des représentations de l’époque. Le change-ment qu’elles introduisent dépend d’une trajectoire historique

donnée ( path dependent ). Et comme il est le résultat de négocia-

tions, il peut être contesté. Il n’est ni « naturel » ni incontrô-

lable et sa gestion est au cœur des enjeux politiques de la

mondialisation.

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III / La mondialisation

des classes dominantes

Au moment où l’école américaine prend son essor avec la

théorie des régimes, une autre approche d’économie politique

internationale se développe au Canada sous l’impulsion initiale

de Robert Cox. Elle met l’accent sur le rôle des classes sociales

dominantes comme organisatrices de la mondialisation. Sesdéfenseurs la considèrent comme le résultat d’une dynamique

de changements sociaux qu’ils proposent d’expliquer par une

analyse du pouvoir, dans les sociétés nationales et dans le

monde, à partir de l’étude des relations entre le système

productif et l’État. Les classes sociales y jouent un rôle prépon-

dérant, notamment parce qu’elles s’internationalisent. Pour

bien comprendre cette vision du monde, il faut donc d’abord

analyser les espaces politiques nationaux et le rôle qu’y jouent

les classes sociales. Comme Strange, l’approche élaborée par

Robert Cox est une théorie critique pour qui l’ordre du monde

actuel n’est pas satisfaisant. Son objectif est politique et claire-

ment revendiqué comme tel : donner à mieux comprendre le

monde pour pouvoir le changer. Pourtant, on le verra à la

présentation ci-dessous, les recherches issues de cette approche

s’éloignent assez largement de celles provenant de l’EPI britan-nique. On ne peut donc qu’être surpris, et au-delà, de voir un

auteur comme Benjamin J. Cohen [2008] regrouper tout ce qui

n’est pas américain dans une seule « école britannique ». Les

diff érences de méthode, d’analyse et même de style sont là pour

confirmer la discontinuité.

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L’une des difficultés pour comprendre les travaux de cette

troisième approche provient de l’utilisation extensive de

concepts relativement complexes. Ce qui rend le discoursquelque peu hermétique pour le non-spécialiste, confronté à la

définition de cette lecture du monde comme « une forme spéci-

fique d’historicisme non structuraliste qui se pose en contraste

des structuralismes abstraits »… S’y ajoute le fait que chaque

auteur ne donne pas toujours tout à fait le même sens aux

mêmes mots, quand ne priment pas des conflits d’interpréta-

tion sur la signification exacte à donner à telle ou telle idée ou

intuition issue des emprunts effectués aux diverses traditions

intellectuelles inspirées du marxisme. On s’y interroge aussi

beaucoup pour savoir si tel ou tel auteur est plus ou moins

proche de telle école de pensée.

Trancher ces querelles n’est pas dans notre propos. On

essaiera plus modestement de présenter les outils et les résultats

analytiques proposés par cette vision du monde. Elle en vaut la

peine : elle comporte maintes analyses originales qui ont permisà certains de ses auteurs, entre autres choses, de s’intéresser de

près aux mouvements de contestation de la mondialisation libé-

rale avant qu’ils ne connaissent un certain succès médiatique.

Le triptyque de base : production, État, ordre mondial

Première étape de l’analyse, les relations entre le systèmeproductif, l’État et l’ordre mondial [Cox, 1987, 1996].

La production

La façon dont l’économie produit des biens constitue le

premier niveau. Les processus de production sont présentés

comme indissociables des relations sociales de production.

Celles-ci sont organisées autour de trois dimensions qui intera-gissent les unes sur les autres.

Il y a d’abord le contexte social de la production. Il détermine

le type de biens produits à un moment donné. Cela dépend des

besoins valorisés à tel ou tel moment par la société : veut-on des

voitures rapides ou écologiques, etc. Cela dépend aussi de la

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Les origines de l’approche

Le philosophe italien Antonio Gramsci

a tr ès peu écrit sur les relations interna-

tionales. Néanmoins, Robert Cox en a

repris l’idée que les changements dans

l’ordre mondial trouvent leur origine

dans les changements au sein des rela-

tions sociales nationales. Également

repris de Gramsci, l’idée qu’il n’ y a pas

de séparation entre l’État et la société

civile : le premier soutient la hiérar-chie des rapports sociaux issue de la

seconde qui le cr ée. Une hiérarchie

prenant la forme d’une hégémonie

dont le fonctionnement repose sur sa

capacité à cr éer les conditions de

son consentement plutôt que sur 

l’exercice d’une domination par la

contrainte. De par ces diff  érents

emprunts, cette approche est souventbaptisée de « néogramscienne ». Mais

elle est loin de se r ésumer aux intui-

tions de Gramsci.

D’un autre intellectuel italien,

Giambattista Vico, un napolitain du

XVIIIe siècle, est reprise l’idée que les

institutions changent toujours de

  f o r m e e t q u e l’u n d e s b u t s d e

l’analyse des sociétés doit être de

repérer ces changements, qui r ésul-tent des modifications des rapports

de forces entre les classes sociales. De

  Vico, vient également le principe

selon lequel il n’existe pas de théorie

universelle capable d’expliquer les

changements du monde : les outils

d’analyse doivent être « historicisés »,c’est-à-dire adaptés à la période qu’ilssouhaitent expliquer.

De Karl Marx proviennent le souci

d’adopter une approche dialectique

et de concentrer l’attention sur le

monde de la production comme

s ou rc e d’explication prioritaire

du complexe État/économie/ordre

mondial et comme lieu déterminant

de l’exercice du pouvoir.Enfin, les travaux du philosophe

  franco-grec Nicos Poulantzas ont

inspir é les recherches sur la forma-

tion de classes sociales transnatio-

nales et leur rapport à l’État.

L’intér êt pour le r ôle des idées et

leur lien aux conditions matérielles

place les auteurs de cette approche

dans la perspective du « matérialismehistorique », et comme ils le font

dans un cadre d’analyse touchant àl’ international, on peut baptiser 

l’approche « matérialisme historique

transnational », une dénomination

qu’ils revendiquent aujourd’hui.

(Pour une introduction à ces diff é-

rentes origines, on pourra se r é f érer 

à l’excellente pr ésentation de Henk

Overbeek [2000]. Gill [2002] et Cox[2002] reviennent sur leur formation

intellectuelle et expliquent en détail

les filiations de leur approche.)

façon de les produire, dans le cadre de relations hiérarchiques

entre les entreprises et leurs sous-traitants.

La seconde dimension touche à la structure d’autorité interneau sein de chaque entreprise : elle émane de la hiérarchie des

pouvoirs entre les actionnaires, les managers, les syndicats… La

troisième caractéristique est liée aux modes de répartition des

gains liés à la production : ils tiennent à la fois à la façon dont tel

ou tel apport des facteurs de production est valorisé (la

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répartition salaires-profits) et, corrélativement, aux luttes

sociales entre les diff  érents groupes qui participent aux

processus de production.Les relations sociales de production sont donc, par défini-

tion, hiérarchisées. Elles s’inscrivent, en particulier, dans la

domination d’une classe sociale sur les autres. C’est alors la

conscience d’appartenir à cette classe dominante qui fait le lien

entre les relations sociales de production et l’État. Car les forces

sociales qui dominent le monde économique de la production

sont celles qui sont à la base du pouvoir des États, et celles qui

contribueront à façonner l’ordre mondial. Les relations sociales

de production représentent ainsi un élément clé d’explication

du monde.

L’É tat 

La fonction de l’État est de fournir le cadre légal et institu-

tionnel des relations économiques dont le contenu est défini parla classe dominante. Dans les États « faibles », les capacités régu-

latrices de l’État sont capturées au profit des intérêts particuliers

de ceux qui le tiennent entre leurs mains. Dans les États « forts »,

l’État sert les intérêts généraux de l’ensemble des dominants.

La domination des plus forts, qui les place aux commandes

de l’État, leur donne une position qualifiée d’« hégémonique »dans la société. La notion d’hégémonie joue, comme dans

l’approche américaine, un rôle important. Mais la significationen est diff érente. Là où ces derniers y voient toujours l’expres-

sion d’une contrainte exercée par la domination, pour les relec-

teurs de Gramsci l’hégémonie de la classe dominante ne peut

exister qu’en s’appuyant sur la capacité de l’État à créer les

conditions de son consentement, en la rendant acceptable, voire

profitable, à tous. Certes, la force n’est pas totalement absente

de l’exercice de l’hégémonie car elle peut toujours être utilisée

en dernier recours pour faire taire les récalcitrants. Mais la carac-téristique première reste le consentement, atteint grâce au

leadership moral exercé par la classe dominante et à sa supré-

matie idéologique, qui permet de faire passer pour l’état

« naturel » du monde ce qui correspond en fait à la promotion

de ses propres intérêts. On retrouve là le rôle des « intellectuels

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organiques », tel que l’avait conceptualisé Gramsci, au service

de la diffusion d’une idéologie consensuelle qui cherche à carac-

tériser le discours dominant comme universel afin de lui faireperdre son caractère de soutien à l’ordre établi. Chaque période

conna ît ainsi ses essayistes à succès dont le principal discours

consiste à faire comprendre et accepter l’ordre des choses.

L’ ordre mondial 

La position de chaque État dans le champ des relations inter-

nationales dépend plus de la façon dont il s’est formé au niveau

national et de la façon dont il s’intègre dans le champ interna-

tional. Celui-ci a des caractéristiques propres qui dépendent à la

fois des modes existants de résolution des conflits et des condi-

tions de la création et de la répartition de la richesse à l’échelle

mondiale.

La façon dont tout cela se combine dépend à son tour de

l’existence ou non d’un pouvoir hégémonique à l’échelle dumonde. L’hégémonie internationale est le fruit d’un État domi-

nant qui, comme dans le cadre national, crée les conditions de

la stabilité du système international en assurant par l’idéologie

le consentement des autres États, et donc, des diff érentes classes

sociales partout dans le monde.

Les classes sociales qui dominent les relations de production

dans le pays hégémonique exercent ainsi le pouvoir le plus fort

au niveau mondial. L’hégémonie est ici, non pas en priorité unerelation entre États mais une forme de pouvoir de classe. De

manière dialectique, les conditions qui règnent dans l’ordre

international influencent à leur tour la nature des États natio-

naux en fonction du niveau de sécurité dont ils peuvent béné-

ficier et de leur degré d’adhésion au modèle dominant diffusépar le pays leader.

L’ordre mondial néolibéral : de 1945 à nos jours…

Sur cette base, l’analyse se poursuit en précisant que chacun

des trois éléments (les forces sociales, l’État, l’ordre mondial)

peut être représenté schématiquement comme le résultat de

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l’interaction de trois forces : les capacités matérielles, les idées et

les institutions.

Les capacités matérielles rassemblent tout ce qui est dispo-nible pour nourrir une dynamique de production : les ressources

naturelles, technologiques, les biens d’équipement et le capital

financier. Les idées correspondent à la représentation domi-

nante du monde à un moment donné. C’est le mélange de deux

choses : les représentations subjectives que nous avons du

monde, qui définissent à nos yeux les degrés de liberté et de

contrainte existants (les acteurs les plus importants sont aux

États-Unis, l’économie est complètement mondialisée…) et les

images collectives de l’ordre social tel qu’il est perçu par les diff é-

rents groupes sociaux. Alors que les représentations subjectives

sont généralement communes à l’ensemble des personnes d’une

époque donnée, les images collectives sont diverses et s’oppo-

sent car chacun de nous ne reconna ît pas le même niveau

d’autorité aux États, aux multinationales, etc. Les institutions

correspondent aux lieux qui cristallisent des relations depouvoir particulières et s’en font l’écho par la promotion

d’images collectives tendant à les faire accepter (le FMI oblige

les pays du Sud à ouvrir leurs frontières et présente le libéra-

lisme comme une stratégie de développement, l’OMC fait passer

les questions sanitaires ou environnementales après les intérêts

commerciaux au nom de l’efficacité…).

Capacités matérielles, idées et institutions interagissent de

manière non déterministe pour créer la « structure historique »dans laquelle s’inscrivent forces sociales, États et ordres

mondiaux. Quand on peut repérer une période de relative stabi-

lité de l’ensemble de ces interrelations, on a affaire à un « bloc

historique ». Robert Cox en a répertorié trois qui correspon-

dent à l’émergence de l’économie libérale (1789-1873), à la

période des impérialismes rivaux (1873-1945), pour finir sur le

monde actuel, celui de l’ordre mondial néolibéral, né en 1945.

Il se caractérise par une internationalisation de la production,une internationalisation de l’État et un ordre mondial hégémo-

nique, présenté comme en crise. C’est l’étape finale de l’analyse.

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L’ internationalisation de la production

On aurait pu s’attendre à ce qu’une approche donnant tantde place aux relations sociales de production conduise à une

analyse originale de la mondialisation de l’activité des entre-

prises. De ce point de vue, on est un peu déçu. L’analyse de

l’internationalisation de la production proposée revient à ce que

les économistes ont qualifié de passage d’une intégration écono-

mique « relationnelle » à une intégration « structurelle ». La

première s’organise autour du commerce entre pays, les

échanges inter-nationaux. Dans la seconde, le commerce intra-firmes (les relations entre filiales et maisons mères) joue un rôle

important dans le cadre d’une cha îne de valeur ajoutée orga-

nisée de plus en plus mondialement, plaçant chaque segment

de la production et de son financement dans le pays permettant

d’en minimiser le coût. Le coût de production est ici pris dans

son sens le plus large, intégrant aussi bien celui des matières

premières, que ceux du travail, des biens d’équipement et des

externalités négatives (comme la pollution). La sensibilité aux

évolutions du monde du travail conduit à préciser que l’un des

effets de cette internationalisation de la production a été de

renforcer les privilèges relatifs des employés des grandes entre-

prises de services tandis que les ouvriers liés à la production

voyaient leur pouvoir de négociation diminuer du fait de la

délocalisation vers les pays du sud des segments de production à

faible valeur ajoutée et à fort contenu en emplois non qualifiés.

L’ internationalisation de l ’É tat 

L’internationalisation de l’État représente la contrepartie dans

les institutions politiques de l’internationalisation de la produc-

tion dans le domaine économique. C’est un processus qui

comporte deux dimensions. D’une part, il correspond à la façon

dont les élites politiques des grands pays industrialisés et desinstitutions internationales construisent ensemble le consensus

idéologique touchant à la représentation de la mondialisation

qu’ils s’imposent et qu’ils imposent au reste du monde, de

réunion du G7 en assemblées annuelles du FMI et de la Banque

mondiale. Ce consensus est aujourd’hui inspiré par un

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libéralisme économique mâtiné d’institutions. Il s’établit de

manière hiérarchisée puisque les États des pays les plus puissants

en sont à l’origine. D’autre part, c’est la façon dont certainesparties des appareils d’État, en particulier les ministères des

Finances, les banques centrales, les cabinets de Premiers mini-

stres ou de présidents, organisent l’adaptation des politiques

nationales aux exigences de l’économie mondiale définies par

ce consensus — par exemple la façon dont les gouvernements

français et japonais ont adopté les principes de libéralisation de

leur marché des capitaux dans les années 1980 p our se

conformer aux standards anglo-saxons en vigueur.

L’internationalisation des États sert donc à expliquer le rôle

que jouent ces derniers dans le soutien à l’ordre mondial exis-

tant. Loin de constituer des « régimes », ils sont engagés dans

une dynamique portée par les groupes sociaux dominants et la

machinerie administrative des parties de l’appareil d’État qui

s’internationalisent (et en retirent de ce fait une influence locale

plus grande) (pour une analyse de ce phénomène dans les paysen développement, voir Robinson [2010]). Ils le font de manière

hiérarchisée, l’hégémonie américaine jouant le rôle de leader

dans ce processus.

La projection de l ’ hé g é monie amé ricaine 

Sans surprise, l’hégémonie des États-Unis est comprise dans

l’analyse des rapports sociaux au sein de la société américaine.Les classes sociales sont bien le cha înon qui permet d’expli-

quer les liens entre production et État, aussi bien au niveau

international que national. Comment s’explique alors la

mondialisation de l’économie ? Les groupes dominants assu-

rant le leadership interne aux États-Unis se sentent assez forts

pour projeter leur domination à l’échelle mondiale et contribuer

à la création d’une classe sociale dominante internationalisée.

Une classe transnationale managériale, disposant d’uneconscience de classe, se constitue, regroupant les élites écono-

miques, politiques, financières des principaux pays (le Forum de

Davos en est l’un des symboles). Cette classe dominante trans-

nationale regroupe quelques milliers de personnes : P-DG de

multinationales, élites politiques et hauts fonctionnaires des

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pays les plus importants élites intellectuelles et culturelles,

médias, grandes fondations, think tanks, etc.

L’hégémonie mondiale trouve donc d’abord son origine dansl’expansion d’une hégémonie sociale locale. Les institutions

économiques et sociales, la culture, la technologie qui lui sont

associées deviennent des modèles pour les classes hégémoniques

des autres pays qui servent de passeurs pour leur adaptation aux

conditions locales des diff érentes sociétés. Ces alliances de classe

font l’objet d’une attention analytique particulière. Kees Van der

Pijl a ainsi étudié de manière spécifique la constitution, à partir

des années 1930, de ce qu’il appelle la « classe dominante atlan-

tique », alliance des capitalistes européens et américains pour

mettre en œuvre un ordre international libéral, poursuite d’un

mouvement de plus long terme présent dès les origines du capi-

talisme [1985, 1997, 1998]. Une approche fondée sur les travaux

de Nicos Poulantzas, pour la partie politique, et sur la périodi-

sation de l’évolution du capitalisme proposée par l’école de la

régulation, pour la partie économique (fordisme et crise dufordisme) — alliance qui fait de Kees Van der Pijl le chef de file

de ce que certains appellent l’« école d’Amsterdam » au sein de

cette famille de pensée.

Loin d’être une simple affaire d’État, comme dans l’EPI améri-

caine, l’hégémonie est ici une structure à la fois sociale, liée à des

oppositions de classes, économique, liée à un mode de produc-

tion dominant, et politique, liée aux relations entre États mais

qui ne suffisent pas à la définir.La finance mondialisée joue également un rôle dans le main-

tien de l’hégémonie. Elle agit comme le principal agent de

normalisation, d’uniformisation, garant de la conformité àl’ordre hégémonique en cours. État, entreprise, qui ne respecte

pas ses règles (gouvernance d’entreprise, ma îtrise de l’infla-

tion…) ne peut en profiter et se trouve exclu du jeu. Mais la

finance internationale est ici un résultat du processus de produc-

tion : elle correspond au surplus résultant de l’activité écono-mique qui n’est pas directement réinvesti dans l’économie. Les

intermédiaires financiers peuvent ensuite s’émanciper de ce lien

pour devenir une force influençant en retour le mode de produc-

tion. En décidant qui a le droit de bénéficier de combien de

crédits et à quelles conditions, la finance reste le moteur du

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développement économique. Elle est également perçue comme

sa faiblesse principale du fait de l’endettement, jugé excessif, des

gouvernements et des grandes entreprises. Pour cette approche,la crise du capitalisme sera d’abord financière.

En attendant qu’elle survienne, les classes transnationales

dominantes imposent à l’ensemble du monde un « néolibéra-

lisme disciplinaire », selon l’expression de Stephen Gill, un ordre

global dominant fondé sur la primauté des relations de marchéimposées dans toutes les formes de relations sociales, une

marchandisation du monde confortée par un « nouveau consti-

tutionnalisme » qui empêche le contrôle démocratique des

classes dominantes. Les individus qui les composent sont définis

comme une « nébuleuse » ou « l’ensemble des forces politiques

et sociales qui reproduisent, régulent, organisent et protègent

les règles d’un ordre mondial néolibéral » [Gill, 1999, 2002 :

chapitres 7, 10 ; Cox, 2002, p. 33-43, 83 ; Faux, 2006]. Cela ne

signifie pas qu’il existe un groupe ordonné et hiérarchisé dont

le pouvoir secret passerait au-dessus des États pour mettre enœuvre un libéralisme à l’échelle mondiale, mais que les élites

dirigeantes des grands pays construisent, épousent et défen-

dent un consensus idéologique favorable au libéralisme, repous-

sant toute forme d’autorité politique qui le mettrait en cause.

Ils bâtissent ainsi un nouveau constitutionnalisme qui est

l’ensemble des changements politiques et constitutionnels qui

visent à protéger et assurer la pérennité de cet ordre mondial

libéral qui sert les intérêts des entreprises à l’échelle mondiale. Ilse construit par trois voies [Gill, 1999, p. 26-28] :

— la reconfiguration des appareils d’État de façon à les faire

agir comme soutien à la discipline imposée par les marchés :

interdiction des nationalisations (notamment dans les pays du

Sud), développement des autorités protégées de la pression

démocratique (banques centrales indépendantes), renforce-

ment des pouvoirs de surveillance des institutions internatio-

nales, notamment par l’approfondissement des conditionnalitésdu FMI et de la Banque mondiale, qui passent d’une obliga-

tion de libéralisation des prix (des services publics, du taux de

change…) et des échanges extérieurs à des conditions touchant

directement à l’organisation des politiques sociale, sanitaire,

environnementale : ces conditions « structurelles » sont passées

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de deux par programme, en moyenne, en 1987 à dix-sept à leur

sommet en 1997, avant de revenir à treize, en moyenne, en

1999, un niveau bien trop élevé pour être efficace selon le FMIlui-même ;

— l’établissement d’un ordre juridique favorable aux déten-

teurs de capitaux : au niveau international, l’Organisation

mondiale du commerce joue ce rôle de construction d’une juris-

prudence favorable au droit des affaires contre le respect de

normes sanitaires, sociales ou environnementales ;

— la récupération des critiques : afin de faire accepter l’avène-

ment d’une société de marché sans contestation violente, les

défenseurs du néolibéralisme savent adopter une attitude

consensuelle, soulignant, ici, la nécessité d’institutions interna-

tionales plus transparentes et démocratiques, là, leur croyance

en l’avenir de l’entreprise éthique.

Pourtant, le pouvoir politique des puissants n’est pas sans

limite : construction politique, économique et sociale, le néoli-béralisme peut être contesté.

La remise en cause de l’ordre libéral

Pour cette approche, l’ordre mondial est aujourd’hui victime

d’une crise d’hégémonie. Mais elle ne prend pas les mêmes

formes que celle de l’EPI américaine. Ici, les États-Unis conti-nuent à dominer le monde mais ne savent plus créer le consen-

tement nécessaire à l’acceptation de cette domination. La classe

dominante est remise en cause, aux États-Unis mêmes, par la

montée des sentiments protectionnistes, la contestation du

financement américain des institutions internationales et le

refus d’une libéralisation à tout prix. Elles sont également

remises en cause au plan international, par la violence, comme

celle du 11 septembre 2001, par la montée d’une société civileémergente qui s’organise pour faire contrepoids à la classe trans-

nationale dirigeante, ou par d’autres pays, comme la France, lors

du choix unilatéral américain d’attaquer l’Irak au début 2003.

Dès les années 1980, les contestataires de la mondialisation

libérale sont suivis de près par cette littérature dans le cadre de

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son analyse de la crise d’hégémonie. Robert Cox souligne ainsi

de manière prémonitoire, dès 1987, qu’ils sont encore loin de

pouvoir prétendre à un renversement de l’ordre en place maisque la stratégie à suivre est celle du développement d’une

culture de contestation dans plusieurs pays dont la conju-

gaison des forces finira par avoir de l’influence au niveau

mondial. De par l’intérêt qu’ils portent aux conflits sociaux,

Stephen Gill et David Law diagnostiquent aussi dès 1989 l’exis-

tence d’une société civile internationale encore « sous-déve-

loppée mais déjà discernable ». Ils appellent à une action des

ONG contestant la mondialisation libérale, une préfiguration de

la ruche militante que deviendra le Forum social mondial, un

regroupement hétéroclite des ONG contestataires de la mondia-

lisation libérale provoqué par Le Monde diplomatique et des mili-

tants brésiliens, et qui a gagné ses lettres de noblesse à Porto

Alegre au Brésil.

Assumant entièrement la normativité de leurs analyses (voir

encadré), ces chercheurs appellent de leurs vœux la montée enpuissance de cette contestation. L’état des forces en présence

n’est jamais figé et le renversement du bloc historique, actuelle-

ment celui de la domination du néolibéralisme, est possible.

Mais, précisent-ils, l’avènement d’une société civile internatio-

nale, même si elle devait se réaliser, n’y suffirait pas. Un chan-

gement des rapports de forces au sein des classes sociales est en

effet nécessaire mais pas suffisant. Fidèle aux trois dimensions

définissant le bloc historique, un changement d’envergure nepourra se produire que si émerge également un nouveau

consensus idéologique qui permette de créer les institutions qui

le porteront, ainsi que de nouvelles formes de contrôle sur le

mode de production, ce qui a poussé certains de ces auteurs,

encore une fois de manièr e p rémonitoire, à s’intéresser

aux placements éthiques et à l’investissement socialement

responsable.

Apports et critiques

Au moment où Robert Cox et Stephen Gill publient les

premiers travaux qui vont servir à l’émergence de cette

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approche, la réflexion nord-américaine d’EPI va bientôt se vouer

largement à la théorie des régimes. Cox a ouvert la voie à une

représentation alternative du monde, en employant le langage

(État, hégémonie, ordre mondial…) et en se saisissant des

problématiques traditionnelles des politistes. C’est pourquoi il

a pu être entendu et discuté en Amérique du Nord (ainsi qu’il

le sera plus tard au Royaume-Uni où une partie des étudiants

qu’il a formés iront finir leurs études et enseigneront). L’école

d’Amsterdam, de son côté, a une audience plus réduite, essen-

tiellement limitée aux Pays-Bas et à l’Allemagne, et à quelquesdébats avec les marxistes britanniques.

Cette approche d’économie politique internationale apporte

quatre éléments d’analyse essentiels pour comprendre l’état des

rapports de forces mondiaux. Les espaces nationaux et interna-

tionaux ne sont plus séparés dans deux mondes distincts. Un

lien existe entre les dynamiques nationales et internationales,

l’internationalisation des relations de production, des rapports

sociaux et des diff érentes facettes de l’appareil d’État étant priseen compte. L’intérêt porté au rôle des classes sociales, en parti-

culier dans leur dimension internationale, montre toute son

importance en offrant une mise en perspective des mouve-

ments sociaux internationaux de contestation de la mondialisa-

tion libérale. Le doigt pointé sur les dimensions idéologiques de

l’hégémonie offre également un outil d’analyse pertinent pour

lire les débats qui ont animé la fin des années 1990 autour du

« consensus de Washington » — le libéralisme généralisé prônépar les institutions économiques internationales notamment

par le biais des conditionnalités du FMI et de la Banque

mondiale — ou des recommandations de politique écono-

mique et sociale de l’OCDE. Enfin, sur le plan de la méthode,

l’approche permet de mettre en avant trois affirmations assez

fortes : la réalité sociale n’étant pas objective mais construite, les

conditions de la production du savoir doivent être analysées ;il n’existe pas de lois universelles, ni de concepts aux significa-

tions inchangées qui permettent de comprendre le monde,

chaque explication doit être historicisée ; la façon dont on

conçoit le monde fixe le champ des possibles pour agir dans le

sens de sa transformation et la bataille de ceux qui se refusent à

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Une théorie critique

De par le r ôle essentiel de l’idéologie

dans le soutien à l’hégémonie et dans

la dé  finition plus générale des forces

à l’œuvre dans la détermination d’un

bloc historique, les r é  flexions sur 

les méthodes et les façons de repr é-

senter le monde jouent un r ôle impor-

tant pour cette approche d’EPI [Gill,

1997 ; 2002]. On doit à Robert Cox

une discussion importante à ce sujet[1981]. La dé  finition d’un objet

de recherche, ce qu’il est considér écomme légitime d’étudier et la façon

de l’étudier au mieux, ne sont jamais

  fortuits, souligne-t-il. « Une théorie

sert toujours quelqu’un et une inten-

tion quelconque (theory is always for 

someone and for some purpose )… il

n’existe rien de tel qu’une théorie ensoi sépar ée d’un point de vue dans le

temps et dans l’espace. » Ce qui

signifie que, même si le chercheur en

sciences humaines doit r ésister  à la

tentation de projeter ses propres

intér êts, ou ceux qu’il sert, en exer-

çant ce que Max Weber appelle « le

devoir  élémentaire de contr ôle scien-

tifique de soi-même », il reste prison-

nier non seulement des valeurs de lasociété dans laquelle il vit mais égale-

ment d’une distribution particulière

du pouvoir au sein de la société dans

laquelle il s’inscrit [Tooze, 1984].

Quels sont dans ces conditions lescritères qui peuvent être utilisés pour 

appr écier les diff érentes visions du

monde qui sont proposées ? Dans la

perspective des travaux de Thomas

Kuhn montrant comment les relations

de pouvoir participent largement à la

détermination des domaines de la

recherche scientifique, il para î t impor-

tant de distinguer  à partir de la termi-

nologie de Cox, les deux sortes dedesseins que peut vouloir servir une

théorie, r ésoudre des problèmes ou

apporter un regard critique.

Dans le premier cas (problem-

solving theory ), la r é flexion proposée

accepte le paradigme dominant et la

repr ésentation de la r éalité qui y est

associée. L’o b j e c t i f e st a l o rs d e

r ésoudre les problèmes qui se posentà son bon fonctionnement. Une fois

le cadre général accepté, il devient

possible de centrer ses recherches

sur tel ou tel problème particulier.

  Ainsi, les théories de r ésolution des

problèmes, nous dit Cox, sont plutôt

 fragmentées et appellent à la spécia-

lisation pointue. C’est la voie suivie

aujourd’hui par la science écono-

mique dominante. Ceci a pour effetde limiter le nombre de paramètres àprendre en compte et d’arriver plus

accepter le monde actuel doit aussi être gagnée de ce point de

vue-là.

Quelques faiblesses de l ’ approche 

Cette approche est aussi victime de quelques faiblesses. Si le

souci de périodisation des blocs historiques mondiaux est

louable, les trois périodes proposées, rappelées ci-dessus, restent

particulièrement larges. La mise en évidence du rôle des

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 facilement à déterminer soit des lois

générales, soit des solutions quali-

 f iées de techniques, c ’est-à-diresupposées libres de toute normati-

vité ou du moins qui apparaissent

comme telles car elles supposent en

 fait l’acceptation du monde dé fini par 

le paradigme initial. Ainsi, conclut

Cox, les théories de r ésolution des

problèmes peuvent servir de guide àl’action tactique pour soutenir et

améliorer l’ordre existant.

D an s l e s ec on d c as , (critical theory ), la r é  flexion est dite critique

car elle ne s’interdit pas de s’inter-

roger sur la validité du paradigme

dominant et de l’organisation du

monde qui l’accompagne. Concr ète-

ment, elle ne va pas considérer que

les institutions, les relations sociales et

de pouvoir et leur repr ésentation sont

données mais va s’interroger sur leursorigines et sur la façon de les faire

évoluer. Il en r ésulte d’abord que si

l e s théories crit iques démarrent

souvent en abordant un domaine de

spécialisation particulier, elles ne le

considèrent que comme une étape

en vue de tenter de reconstruire un

t o u t . I l e n r  ésu l te e nsu i te qu ’àl’inverse des théories de r ésolution

des problèmes qui se meuvent dansun cadre global permanent, les

théories critiques veulent intégrer 

une forte dimension historique

dans le sens, pr écise Cox, où elles ne

sont pas seulement intéressées par lepassé mais par les processus continus

d’évolution historique. Il en r ésulte

e n f i n q u e l e s t héories crit iques

s’ i ns cr iv en t d ir ec te me nt d an s

l’expression de choix normatifs, ce

sont des théories « engagées ». Ainsi,

conclut Cox, les théories critiques

peuvent être utilisées comme un

guide à l’action stratégique pour 

remettre en cause l’ordre existant.L’EPI américaine soutient ceux qui

ont le pouvoir dans le capitalisme

mondialisé, car elle ne cherche àr ésoudre les problèmes se posant au

niveau international que pour main-

tenir le système en place, sans se

demander comment ces problèmes

sont nés. L’approche développée par 

Robert Cox revendique pour sa partla qualification de théorie critique,

avec po ur o b je c ti f e x pl i ci te d e

remettre en cause l’ordre néolibéral

existant et donner la priorité à la

recherche d’une société plus fondée

sur l’éthique que sur l’ordre. L’EPI

issue des travaux de Susan Strange se

place également r ésolument dans la

catégorie des approches insatisfaites

de l’état du monde et appelant à satransformation.

mobilisations sociales permet de rééquilibrer les présentations

traditionnelles des évolutions du monde qui tendent parfois àles oublier. Mais les analyses qui sont présentées ne diff èrent

guère en substance de celles que proposerait un politiste ou unéconomiste qui s’intéresse à l’histoire. De même, l’analyse du

rôle de la finance internationale reste assez générale. Les méfaits

potentiels de ses dysfonctionnements sont soulignés. Mais

l’analyse de la montée en puissance de la finance manque, de

même que la nature exacte des menaces que les crises financières

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font peser sur la croissance mondiale, en même temps qu’une

analyse plus précise du discours des institutions financières

internationales (FMI ou Banque des règlements internationaux).

Une situation qui provient du fait que les relations de produc-

tion sont considérées comme prioritaires dans l’explication.

On peut aussi s’interroger sur l’insistance à décrire la mondia-

lisation contemporaine comme exemplaire d’un libéralisme

débridé. Les règles du jeu de la mondialisation économique qui

se sont imposées au cours des dernièr es décennies sont

clairement d’inspiration libérale : libéralisation du commercemondial, ouverture aux grands vents de la finance mondialisée,

déréglementations, privatisations, réformes libérales imposées

par le FMI et la Banque mondiale au Sud, etc. Pour autant, au

Nord, comme au Sud, le libéralisme qui a été mis en œuvre est

loin de correspondre à la primauté des règles du jeu du marché.

Les deux grandes périodes de mondialisation du XXe et du début

du XXIe siècle sont marquées par une progression rapide, pour la

première, et un poids important, pour la seconde, des prélève-ments obligatoires. Aujourd’hui, près de la moitié des richesses

produites dans les économies des pays industrialisés est prélevée

par l’État pour être redistribuée. La France n’est pas la dernière àce jeu, ce qui ne l’empêche pas — ou lui permet ? — de compter

parmi les premiers bénéficiaires des flux internationaux d’inves-

tissement. D’une manière générale, des politiques commer-

ciales protectionnistesà

la dé

fense des champions nationaux,en passant par le niveau élevé des subventions agricoles et les

contraintes qu’ils font peser sur la circulation des hommes, les

pays riches sont loin d’être fidèles aux discours libéraux

entonnés avec régularité par la « nébuleuse ». De même, les pays

du Sud qui réussissent, que ce soit la Corée du Sud, la Chine,

le Brésil ou d’autres, ont organisé leur développement d’une

main autoritaire. Et ceux qui ne réussissent pas ont inventé

depuis vingt ans toutes les ruses possibles pour faire croire auxinstitutions internationales qu’ils obéissaient à leurs injonctions

de libéralisation, tout en continuant à manipuler les marchés

des changes aussi bien que les processus de privatisation (pour

un bilan de la permanence des politiques publiques, voir Coussy

[2003]).

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Le faux nez du libéralisme est également présent sur le visage

des entreprises privées. Nombre de secteurs sont désormais aux

mains de monopoles mondiaux, comme Microsoft, ou d’oligo-poles, dont la première stratégie est de minimiser autant que

faire se peut la concurrence. Et les cartels internationaux se

portent bien. D’une manière générale, les entreprises véritable-

ment globales restent assez rares tant des fonctions aussi essen-

tielles que la recherche-développement ou le financement àlong terme restent largement ancrées dans les espaces nationaux

d’origine. Il a fallu toute la force de conviction des idéologues

libéraux pour faire croire que la mondialisation était l’aboutis-

sement de leurs rêves.

Enfin, à bien lire Robert Cox [1987, p. 399], après toutes ces

analyses, il ressort que les acteurs principaux du monde contem-

porain restent… les États ! Certes, les diff érents États sont prison-

niers à la fois de leurs conditions historiques d’émergence et de

développement, ainsi que de la place du système de production

auquel ils sont reliés dans la division internationale du travail.Mais ce sont eux qui, in fine, tiennent l’ensemble, en créant les

conditions de la permanence de la hiérarchisation des groupes

sociaux qui structure le système de production. Des États qui

ont une profondeur historique et sont intrinsèquement liés aux

rapports de classes et au système économique, ce qui les diff é-

rencie de la conception américaine.

Reste à souligner l’ouverture vers de nouveaux champs

d’analyses proposées par les publications les plus récentes deCox, reprises dans son ouvrage de décembre 2002 (une excel-

lente mise en perspective de l’ouvrage dans les travaux de Cox

est proposée par Graz [2003]). On y trouve par exemple des

travaux sur le rôle du crime organisé, toujours dans une perpec-

tive historique, contextualisée, et faisant le lien avec les condi-

tions économiques, sociales et politiques. Pour Cox, les mafias

ne constituent que l’élément parasitaire de l’expansion d’un

monde clandestin, qui se développe lorsque « une portion signi-ficative de la population perçoit les autorités politiques exis-

tantes et les idées reçues de l’ordre économique et social comme

étrangères et en totale opposition à leur propre sens de la justice

et du bien-être » [p. 137]. C’est un autre signe de la crise d’hégé-

monie. On y trouve surtout un recours accru au concept de

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civilisation pour analyser le monde. La problématique de Cox

repose sur l’idée que la mondialisation contemporaine produit

une uniformisation culturelle à même de détruire la diversité dumonde, un phénomène contre lequel il faut lutter de toutes ses

forces, nous dit l’auteur. Il ne s’agit pas pour Cox de pointer la

mise en œuvre d’un capitalisme global uniforme. Mais plutôt de

préserver une diversité des rapports au monde et de ses représen-

tations qui permette d’éviter la généralisation d’une civilisa-

tion de marché uniquement inscrite dans des comportements

marchands et obéissant à l’idéologie néolibérale [Cox, 2009].

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Conclusion

Pendant quarante ans d’existence, l’EPI n’a cessé de s’étendre.

Après les textes fondateurs du début des années 1970, son déve-

loppement véritable a débuté dans les années 1980 et a pris

toute sa vigueur au cours des années 1990. Elle s’est, depuis,

institutionnalisée avec ses réseaux, ses colloques annuels, sessociétés savantes, ses collections chez les éditeurs, etc. Quel est

aujourd’hui l’avenir de cette discipline ?

On l’a vu au premier chapitre, l’approche américaine est mal

en point. Réductionniste dans sa méthode, vouant un culte àl’économie dominante qui traverse une crise sans précédent et

peu en prise avec les problèmes du monde, elle s’enferme de

plus en plus dans un cercle étroit de reproduction de ses élites

sans fournir un éclairage pertinent sur le monde. Supportriceidéologique du libéralisme économique, elle est aussi victime de

sa remise en cause et de sa perte de crédibilité.

Du côté des approches critiques, les augures paraissent un peu

meilleurs. Si Robert Cox ne publie pratiquement plus et si

aucune école canadienne n’a véritablement pris corps, Cox

semble néanmoins se sentir à l’aise dans une présentation qui le

place dans le champ comme l’une des multiples branches d’une

« école britannique » dont l’objectif principal est de repérer lestensions et points de conflit susceptibles de modifier en profon-

deur les structures de la mondialisation [Cox, 2009]. De ce fait,

bien que Susan Strange soit décédée depuis plus de dix ans, c’est

son approche éclectique qui semble le mieux résister au passage

du temps. On ne peut qu’être surpris par le nombre d’auteurs

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faisant réf érence à ses travaux lors des numéros spéciaux de la

  Review of International Political Economy  et de la New Political

 Economy consacrés à l’état de la discipline en 2009 et repris avecd’autres contributeurs dans l’ouvrage général dirigé par Nicola

Phillips et Catherine E. Weaver [2010]. Des traditions intellec-

tuelles diverses se sont regroupées autour de son EPI critique,

sans jamais développer de consensus méthodologique. Ce qui

pourrait a priori appara ître comme une source de confusions et

un handicap s’est transformé en un avantage, celui d’organiser

un lieu d’échanges entre des chercheurs critiques des consé-

quences de la mondialisation actuelle et soucieux de les analyser

dans une perspective historique. Ce qui signifie, comme le

précise Ronen Palan [2009, p. 392], une plus grande attention àl’histoire mais également une prédisposition à vouloir penser les

ruptures historiques et les moments charnières de changement

d’époque.

Fort de ces trajectoires divergentes, des appels se sont fait

entendre en faveur d’un rapprochement entre les approchesdéveloppées des deux côtés d e l’Atlantique [Cohen, 2008 ;

Helleiner, 2009]. Une évolution qui para ît bien illusoire tant les

chapitres précédents ont montré combien les écoles en présence

n’ont pratiquement plus rien en commun [Higgott et Watson,

2008]. Benjamin Cohen est bien obligé de constater lui-même

que, « en grande majorité, les universitaires des deux factions

se rencontrent séparément, dans leurs associations profession-

nelles et leurs conf érences respectives et même à l’âge descommunications électroniques se parlent entre eux plutôt

qu’entre l’océan » [Cohen, 2010]. Les commentaires d’un Louis

W. Pauly [2010], présentant l’EPI comme une grande tente

ouverte à tous ceux qui refusent les hiérarchies intellectuelles

et dont les seuls critères de qualité sont « la clarté de pensée,

la pertinence thématique et une préf érence pour les arguments

contre-intuitifs », paraissent ainsi bien angéliques.

Dans son livre paru en français en 2003, le sociologue alle-mand Ulrich Beck a rendu le meilleur service possible à l’EPI :

sans citer l’approche, il utilise et intègre certains de ses auteurs et

de ses résultats, proposant une théorie de la mondialisation qui

place le pouvoir au cœur de l’analyse et demandant de rompre

avec le tropisme étatique des sciences humaines pour s’intéresser

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aux acteurs économiques privés et aux mouvements de la

société civile. L’EPI critique commence ainsi à diffuser ses idées

en dehors de son propre champ.Tous les débats présentés jusqu’à présent ont exclusivement

concerné le monde anglo-saxon. Qu’en est-il en France ?

L’EPI en France : l’état du débat

Notre pays affiche deux exceptions. D’une part, plus de

quarante années de littérature en EPI ont à peine pénétrél’université française. D’autre part, dans les pays anglo-saxons

où elle s’est fortement développée, mais également en Italie, aux

Pays-Bas, au Japon, etc., partout où elle est présente l’EPI est

d’abord une approche de politistes spécialistes des relations

internationales. Concrètement, les enseignants d’EPI sont le

plus souvent installés dans les départements de science politique

où ils ont été formés. L’économie arrive en plus — signe toutde même d’une volonté d’ouverture des politistes plus grande

que celle des économistes. En France, les spécialistes de sciences

politiques restent, sauf exception, complètement hors jeu dans

un domaine où le nombre d’étudiants conna ît ailleurs une crois-

sance rapide et ce sont plutôt les économistes qui se sont

approchés le plus de cette littérature [Berthaud et Kébabdjian,

2006 ; Woll, 2008].

Sans prétendre à une analyse éditoriale approfondie, unregard sur quelques grands textes introductifs aux relations

internationales le confirme. On trouve des ouvrages où l’EPI en

tant que telle, ou ses diff érents auteurs sont peu ou pas présents

[Moreau Defarges, 1998 ; Roche, 1999], d’autres où ils bénéfi-

cient de quelques pages et citations éparses [Senarclens, 1998 ;

Badie et Smouts, 1999]. Ceux qui leur reconnaissent une place

à part entière [Smouts, 1998 ; Laroche, 2000 ; Battistella, 2006]

puisent dans l’une ou l’autre approche mais aucun ne fournit deprésentation complète des diff érentes représentations du monde

issues de l’EPI.

Il est vrai que la discipline des relations internationales est

assez jeune en France. Son véritable développement contempo-

rain date des années 1980-1990 et la matière comporte assez peu

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de spécialistes. Le poids de l’approche réaliste de relations inter-

nationales, dominée par la figure tutélaire de Raymond Aron,

et donnant un rôle prédominant aux questions de sécuritécollective et aux relations interétatiques, au détriment des autres

acteurs et d’autres types d’enjeux, a également sa part. Est égale-

ment présent le sentiment que l’EPI s’adresse plutôt aux écono-

mistes qu’aux politistes, ainsi que l’illustre l’ouvrage de

Marie-Claude Smouts, une politiste, dont le chapitre sur l’EPI a

été rédigé par Jean Coussy, un économiste. Cela n’empêche pas

de trouver des politistes spécialistes de l’international dont les

travaux originaux s’inscrivent dans un état d’esprit proche de

l’EPI britannique, sans qu’ils en partagent pour autant les

conclusions (voir par exemple la passionnante analyse de la

mondialisation de Jean-François Bayart [2004] ou les travaux de

Béatrice Hibou [1999, 2006]).

L’EPI et les économistes français

Les spécialistes anglo-saxons d’EPI citent souvent les travaux

de l’historien Fernand Braudel comme précurseurs de leurs

propres recherches. La multiplicité des temps sociaux, des

niveaux d’analyse sociale, économique, politique, culturelle,

historique de l’approche d’économie-monde de Braudel ont

séduit plusieurs chercheurs qui y ont puisé de quoi nourrir leur

compréhension du monde contemporain [Germain, 1997 ; Cox,2002 ; Gill, 2002]. De même, les analyses de l’économiste

François Perroux sont reconnues comme une forme de contri-

bution française à la critique de la science économique domi-

nante et de son absence de prise en compte des questions de

pouvoir. Comme l’écrivait ce dernier en 1948, « la force, le

pouvoir et la contrainte sont des objets totalement étrangers àla science moderne de l’économie et que ses perfectionne-

ments les plus récents ne sont pas parvenus à intégrer » [reprisin 1991, p. 69]. Il montre le biais normatif de l’approche écono-

mique dominante et la façon dont elle sert à évacuer l’analyse

des rapports de forces. « À la question : sous quelles condi-

tions, en fait, la concurrence est-elle économiquement active et

efficiente, avec quelles règles générales du jeu peut-on espérer

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obtenir un approvisionnement étendu de produits à bas prix ? »s’est substituée cette autre question : « Sous quelles conditions,

fussent-elles entièrement irréelles, puis-je considérer que les prixet les quantités sont mathématiquement déterminés dans un

ensemble ? » [1991, p. 140]. « Sur le marché concurrentiel

comme dans la démocratie individualiste, une règle imperson-

nelle est censée se substituer aux luttes de pouvoirs et aux

conflits intentionnels de puissance » [p. 141]. Sa critique en ce

domaine conserve toute sa force et sa pertinence. Si Perroux fait

encore quelques émules en France, ses travaux n’ont donné lieu

qu’à de rares développements.

Michel Beaud [1987] s’est intéressé de près à l’analyse des

économies dominantes. Il prend comme hypothèse de base que

« national, international, multinational et mondial sont indisso-

ciablement imbriqués, puisqu’ils se constituent mutuelle-

ment » [p. 7] et que l’économie n’explique pas tout : « Il faut

saisir les interdépendances, les interactions, les interdétermina-

tions avec le social, le politique, les croyances, les religions, lesidées, les valeurs, les institutions, le droit ; et, pour cela, la prise

en compte des temps, l’éclairage historique sont indispen-

sables. » Une profession de foi qui s’inscrit en plein dans

l’approche britannique d’EPI, dont les travaux ne sont visible-

ment pas connus par Beaud au moment où il développe ses

propres thèses. L’ouvrage est ainsi amené à présenter une étude

des rapports de forces entre les grandes puissances économiques,

ce qui le convie à relativiser la thèse du déclin américain trèsen vogue à l’époque. La notion de pouvoir reste peu précise mais

l’ouvrage de Beaud est l’un des rares à s’inscrire dans un effort

de compréhension du monde alliant économie, politique et

histoire.

De son côté, François Fourquet s’affronte directement aux

économistes et à leur méconnaissance des questions de pouvoir.

À la fois étude historique sur les rapports de forces mondiaux et

sur la façon dont la science économique traditionnelle manqueà les analyser, Fourquet [1989] convie notamment à une relec-

ture éclairante d’Adam Smith. Il montre combien le philo-

sophe écossais a été instrumentalisé par les économistes libéraux

pour en faire le défenseur d’une économie de marché alors que

son approche laisse beaucoup de place à l’analyse politique,

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privilégiant par exemple les questions de défense sur l’effi-

cience économique [p. 153]. Au-delà, les conflits d’intérêt dans

l’œuvre de Smith ne se ramènent pas à des conflits interindivi-duels, entre personnes, finalement réglés par le marché par la

compensation accordée aux perdants (allocation chômage…).

Les rapports de domination entre groupes sociaux y sont très

présents. La prise en compte du rôle politique des acteurs privés,

qui constitue l’un des fers de lance de l’approche d’auteurs

contemporains d’EPI, appartient déjà aux thèmes de réflexion

d’Adam Smith (sur tous ces thèmes et sur la façon dont les

économistes ont traité de la question politique voir [Chava-

gneux, 2002a]). Pour Fourquet, « l’économie n’est pas un objet

autonome muni de ses lois propres », et d’ailleurs « aucune

partie de la réalité humaine (une période historique, une sociétéparticulière, un champ social) n’est intelligible en elle-même »[2002]. Aussi s’inscrit-il dans la perspective braudelienne de la

longue durée, nécessaire à la mise en perspective de chaque

société, tout en étant préoccupé de saisir les liens entre richesseet puissance, avec l’ambition large de comprendre l’évolution du

monde comme un tout. Une démarche originale et stimulante.

Plusieurs ouvrages d’économistes font directement réf érence

à l’EPI contemporaine. Celui de Philippe Hugon [1997] s’inti-

tule bien Économie politique internationale et mondialisation mais il

s’agit en fait d’une présentation standard d’économie interna-

tionale où seules quelques pages sont consacrées aux liens entre

le politique et l’économique dans la sphère internationale.Hugon s’est surtout intéressé, dans d’autres travaux, aux liens

entre les théories économiques et politiques dans le domaine

du développement [1999 ; 2000] pour montrer combien les

tentatives récentes de l’économie néoclassique pour bâtir une

« nouvelle économie politique » manquaient de pertinence. Le

livre de Gérard Kébabdjian [1999], Les Thé ories de l’é conomie poli-

tique internationale, s’inspire directement des travaux de Robert

Gilpin [1987] et de ceux d’Andreas Hasenclaver, Peter Mayer etVolker Rittberger [1997]. L’ouvrage souhaite présenter les

théories de l’EPI [p. 11] et s’adresser « en premier lieu aux

étudiants et aux enseignants (c’est d’abord un manuel) et

concerne une discipline qui est inévitablement appelée à se

développer en France » [p. 13]. Josepha Laroche [1999] et

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  Jean-Christophe Graz [1999] ont largement critiqué ce travail

pour ses insuffisances : une incapacité de l’auteur à s’ouvrir au

dialogue avec des disciplines et des problématiques qui ne sontpas celles de l’économie ; une présentation limitée à la seule

approche qui domine le champ disciplinaire aux États-Unis en

oubliant l’ensemble des courants théoriques divers qui forment

l’EPI ; un auteur qui souligne à plusieurs reprises l’insuffisance

des approches économiques pour comprendre l’évolution du

système international, mais qui s’appuie tout au long de sa

présentation sur les méthodes de la théorie microéconomique

néoclassique (l’article de Pierre Berthaud [2001] s’inscrit dans la

même veine). Berthaud et Kébabdjian [2006] ont dirigéensemble un ouvrage regroupant des auteurs aux approches

assez hétéroclites et où l’introduction de Gérard Kébabdjian

montre la poursuite d’une vision partiale du champ de la disci-

pline. Il y est question d’hégémonie, de régimes, d’approche

économique du politique : autant de thèmes très en phase avec

les approches américaines des années 1980-1990, en mêmetemps que les travaux de Strange et de ses continuateurs sont

liquidés en quelques lignes critiques. Pierre Berthaud, de son

côté, continue à y vanter la vieille théorie des régimes qui a

disparu du radar américain.

Au fait de la littérature anglo-saxonne d’EPI qu’il contribue

à faire conna ître en France [Chavagneux et Coussy, 1998], Jean

Coussy cherche à montrer la façon dont les économistes ont

pu traiter des liens entre économie et politique pour expliquerla dynamique du système international, une réflexion qu’il avait

déjà commencé à mener dès les années 1970 à propos des rela-

tions Nord-Sud dans la droite ligne de François Perroux [1978]. Il

rappelle ainsi combien les mercantilistes avaient bâti leur propre

EPI et comment les travaux de Wilfredo Pareto ont largement

contribué à faire de la politique le « repoussoir » et même le

« refoulé » de la science économique (ce qui ne l’empêche pas

d’écrire également dans son Manuel d ’é conomie politique qu’« àla longue, seule la force détermine les formes sociales ; la grande

erreur du XIXe siècle sera d’avoir oublié ce principe »). Les études

comportant une volonté d’associer les dimensions politiques,

économiques et sociales par la prise en compte de l’analyse des

rapports de forces se réfugieront alors dans les travaux

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d’économistes hétérodoxes tels Gunnar Myrdal sur le dévelop-

pement, Albert Hirshman sur la clarification des rapports

complexes entre démocratie et économie de marché — uneinterrogation sur les microfondements, en particulier écono-

miques, d’un ordre social démocratique — ou l’école de la

dépendance latino-américaine expliquant le non-développe-

ment du Sud comme une volonté politique du Nord. Comme

Hugon, Coussy s’attache à montrer le manque de pertinence de

la « nouvelle économie politique » du courant dominant de la

science économique. Les travaux de Coussy ne présentent donc

pas véritablement les analyses d’EPI contemporaines mais, àpartir de leur connaissance, cherchent à montrer les voies paral-

lèles suivies par les économistes sur la base de problématiques

relativement proches.

L’école de la r égulation et les r égimes

L’EPI proposée par les régimes a connu une forme de succès

inattendue en France en étant récupérée par les économistes de

l’école de la régulation. Mais d’une façon bizarre : sa méthode,

aux antipodes de celle de la théorie de la régulation, est reprise,

mais ses conclusions, qui vont dans le sens des régulationnistes,

sont contestées ! Comment expliquer ce paradoxe ?

La théorie de la régulation est construite sur une doublecritique. Celle de l’économie néoclassique, pour qui l’économie

est un monde autonome, peuplé d’ Homo œconomicus au

comportement individuel et rationnel. Les régulationnistes affir-

ment au contraire que l’économie est encastrée dans les

pratiques sociales, que les comportements individuels s’inscri-

vent dans des normes générales et que la dynamique écono-

mique est irréversible, dépendante de sa trajectoire passée. Mais

la critique vise aussi le marxisme. Là où ce dernier voyait unereproduction automatique de la dynamique économique, les

régulationnistes montrent que les conditions de sa réussite sont

changeantes. Là où les travailleurs sont présentés comme des

supports passifs des relations de production, la régulation les

présente comme engagés dans les luttes sociales. Là où le

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capitalisme est censé être éternel, la régulation insiste sur ses

crises et ses discontinuités.

Pour l’école de la régulation, la croissance, pour se main-tenir dans le temps dans un pays donné, a besoin qu’existent un

certain nombre de règles ou de comportements permanents qui

font système, c’est-à-dire dont le respect engendre une stabilitésuffisante pour que la dynamique économique puisse se pour-

suivre. Ces règles et ces comportements définissent un « mode

de régulation » défini comme l’ensemble « de normes, d’habi-

tudes, de lois, de réseaux régulateurs, qui assurent, à travers la

routine du comportement des agents en lutte les uns contre les

autres (dans la lutte économique entre capitalistes et salariés,

dans la concurrence entre les capitaux), l’unité du processus »[Lipietz, 1985, p. 15-16]. Ce mode de régulation, qui donne lieu

à une dynamique économique spécifique baptisée « régime

d’accumulation » (sans rapport avec la théorie des régimes) est

défini par la combinaison et la hiérarchisation de cinq éléments

de base : la monnaie, le rapport salarial, la concurrence, l’État etles relations internationales.

Le r é gime international des r é gulationnistes 

C’est dans l’analyse de ces dernières qu’intervient la théorie

des régimes. En effet, dans la logique des principes décrits

ci-dessus, la théorie de la régulation (TR) cherche à déterminer

comment est assurée la stabilité politique internationale, jugéenécessaire à la continuité des processus d’accumulation natio-

naux. En paraphrasant Lipietz, on peut dire que les régulation-

nistes s’interrogent pour savoir à partir de quelles normes,

habitudes, etc. se construit une routine internationale qui

permet au système mondial d’assurer la paix et la stabilité inter-

nationales, gages de l’accumulation.

En effet, pour la TR la stabilité n’est pas donnée a priori. Pour-

quoi ? La mondialisation de l’économie, où chaque pays s’insèreen fonction de sa plus ou moins grande adhésion au régime de

croissance développé par l’économie dominante, se développe

dans un espace politique composé d’une multitude d’États et

donc forcément tiré vers l’anarchie [Mistral, 1986, p. 181 ;

Billaudot, 2001, chap. 9]. Une représentation du monde

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(anarchie naturelle, rôle clé de l’économie dominante, recherche

des modes de stabilité) qui est très proche des présupposés des

théoriciens des régimes.D’où vient donc la stabilité mondiale ? Pour Lipietz, rien n’est

institutionnalisé : on a juste une « configuration mondiale réali-

sant provisoirement la compatibilité d’une juxtaposition de

régimes d’accumulation semblables, mais diff érents dans leur

rythme de croissance et leur mode d’insertion internationale »,

on ne dépasse pas « un niveau d’organisation implicite » [1985,

p. 39]. Avec Mistral [1986], la TR se met en quête de formes

d’organisation de l’international plus institutionnalisées.

La stabilité est-elle assurée par les firmes multinationales ?

Non, nous dit Mistral. Il n’y a aucune tendance naturelle au

maintien d’une mondialisation portée par les acteurs écono-

miques privés. Elle ne résulte pas non plus du prolongement des

régulations nationales et de leur rapport de domination poli-

tique au niveau international : ce n’est pas la domination des

États-Unis sur l’Europe et le Japon, ni celle des pays du Nord surceux du Sud qui stabilisent le système. Qu’est-ce qui assure la

stabilité mondiale alors ? Et la réponse est : les régimes, bien

sûr. La stabilité du système international résulte d’un réseau de

régimes internationaux qui crée un cadre permanent et orga-

nisé de négociations entre les États et établit les normes de

comportement et de contrôle de leurs actions et de celles de

l’ensemble des acteurs. Ainsi comme l’indiquent Billaudot et

Figuière [2000, p. 212] — même s’ils sont contredits parBillaudot [2001, p. 243] —, les multinationales qui portent la

mondialisation économique n’ont pas d’autre choix politique

que de s’inscrire dans le régime international que forment les

États, présentés comme les acteurs prépondérants [Mistral, 1986,

p. 183-184], producteurs de l’ensemble des normes, règles,

contraintes et institutions qui servent à médiatiser les rivalités

concurrentielles et les antagonismes entre nations. D’où

l’importance à accorder, pour les régulationnistes, à la façondont les États coopèrent dans les institutions internationales

pour codifier leurs règles de coexistence. La TR à plein régime !

 Jusqu’ici, tout va bien. La représentation du monde de la

théorie de la régulation est comparable à celle de l’approche des

régimes et le rôle de ces derniers dans la stabilisation du monde

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s’en déduit. En principe. Car dès que les régulationnistes passent

à la description concrète des évolutions mondiales récentes, le

message se brouille. L’image présentée est celle d’une périodede stabilité et de cohérence du système international de l’après-

guerre jusqu’au début des années 1970 [Mistral, 1986, p. 167,

193], puis l’entrée dans un monde d’instabilité et d’incertitude

que symbolisent le passage aux changes flottants avec la fin du

système de Bretton Woods et la stagflation (stagnation de la

croissance et inflation). Le tout résultant d’une hégémonie

américaine en panne. L’idée du cycle hégémonique à la Gilpin,

avec rattrapage et montée de la concurrence de l’Europe et du

 Japon face à des États-Unis en déclin est reprise [Lipietz, 1985,

p. 43, 91 ; Billaudot, 2001, p. 266-267]. Elle bute sur le même

problème : comment expliquer l’absence de guerre mondiale

alors que la « crise d’hégémonie » [Billaudot et Figuière, 2000,

p. 214] n’assure plus la régulation politique et devrait conduire

au conflit ? La réponse devrait être évidente puisque les régimes

ont été inventés justement pour répondre à cette question. Ilsdevraient faire là leur apparition dans l’explication. Mais ils

n’arrivent pas. Finalement, il n’y a pas de régime disent les régu-

lationnistes qui préf èrent attendre l’arrivée d’un autre

« hegemon » [Billaudot, 2001, p. 269] et constatent entre-

temps la montée de blocs régionaux et leur affrontement à venir

[Mistral, 1986, p. 197] dans une perpective calquée sur celle des

guerres hégémoniques à la Gilpin.

Pas de r é gime 

Ainsi, bien que mobilisant l’appareillage théorique des

régimes, les conclusions qui s’en déduisent ne sont finalement

pas retenues : les années 1970 ont ouvert une période où le

modèle ne marche pas, où la réalité constatée (l’absence de

régimes) réfute les principes de l’analyse. Cela remet-il en cause

le modèle ? Non. Comme l’ont montré les critiques de KarlPopper, les défenseurs d’une explication trouvent toujours une

excuse pour ne pas la remettre en cause même lorsqu’elle ne

passe pas le test de la falsifiabilité : la conclusion de Mistral n’est

pas que l’utilisation par la TR des régimes conduit à des résultats

bizarres mais que l’économie mondiale est entrée dans un

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« non-régime » international ! Personne ne produit de règles, il

n’y pas régime mais l’accumulation se produit tout de même en

temps de paix et cela reste un mystère. Jean-François Vidal a bien repéré cette ambiguïté lorsqu’il

généralise cette absence de résultat en soulignant la difficulté àmettre en évidence, quelle que soit la période historique, des

« régimes internationaux », des périodes de stabilité dans tel ou

tel domaine de l’économie mondiale [1995, p. 174]. C’est un

contrepoint tellement fort à tout ce qui s’écrit alors chez les

régulationnistes sur l’international que le message n’est pas

entendu et pas discuté par eux.

Cette absence de résultat aurait pu contribuer à mettre en

évidence le peu d’intérêt pour la TR à se rapprocher d’une

théorie des régimes au faible pouvoir explicatif, d’autant plus

que les deux approches s’opposent sur de nombreux points.

Certes, les régulationnistes privilégient les analyses des trajec-

toires nationales en longue période. Mais, il y a un fossé entre

choisir d’analyser les dynamiques internes aux États-nations etconsidérer que les États nationaux restent les principaux acteurs

de la définition du système international.

En fait, les principes d’analyse de la TR et de la théorie des

régimes sont diamétralement opposés. Les théoriciens des

régimes revendiquent l’approche économique néoclassique

dont la TR n’a de cesse de démontrer les faiblesses et les limites.

Là où les premiers ont un rapport à l’histoire qui en fait la fille

de la théorie, où le temps et l’espace ne sont que répétition delois universelles (comme le cycle hégémonique), pour la régula-

tion, la théorie est fille de l’histoire et l’on ne peut comprendre

les difficultés du monde qu’en les historicisant, c’est-à-dire en

tenant compte du contexte spécifique dans lequel elles ont étécréées. Là où la TR propose une approche dynamique des évolu-

tions, les régimes raisonnent en termes d’équilibre statique et

ne conçoivent le changement qu’en termes de déviation par

rapport à cet équilibre. Là où la TR explique la crise des années1920 ou celle des années 1970-1980 comme une crise profonde

de transformation des capitalismes, les néoréalistes l’expli-

quent par l’affaiblissement des hégémonies. Là où la TR consi-

dère l’État parmi d’autres institutions sociales, les théoriciens des

régimes en font l’objet d’analyse unique [Palan, 1998, p. 74-75].

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Comment expliquer ce mariage des contraires ? Il y a une part

de contingence : au moment où l’approche régulationniste se

développe, les économistes qui se préoccupent de ses aspectsinternationaux tombent sur la théorie américaine, la plus

visible, qui les séduit. La TR en reste là faute d’un intérêt marquépour chercher d’autres clés de lecture du monde. Mais ce choix

a bénéficié d’un terrain propice. La TR conçoit à l’époque

chaque science sociale comme pouvant offrir un discours auto-

nome et pertinent : les économistes ont réfléchi au fonctionne-

ment des marchés, les politistes aux mécanismes de domination.

Chacun de leur côté, ils l’ont bien fait. Sans tenir compte les

uns des autres, mais sans que cela entache leur pertinence parce

que l’économie ou la science politique se suffisent à elles-mêmes

pour fournir des explications du monde (le politique et l’écono-

mique sont considérés comme vivant dans des mondes auto-

nomes). Il suffit alors, si on veut se préoccuper de richesse et

de puissance, de mélanger les apports des deux sciences [Boyer

et Saillard, 1995, p. 11]. De même, la géographie du monde dela TR comporte, d’un côté, des États-nations disposant de leur

mode de régulation et, de l’autre, un espace international, avec

sa logique propre, l’objectif  étant de comprendre la dialectique

entre les deux.

Aujourd’hui, non seulement l’aspect contingent de ce choix a

disparu, mais la théorie de la régulation considère désormais que

l’économie, même en prise sur l’histoire et les institutions, ne

se suffit pas à elle-même [Boyer, 2000]. Robert Boyer fixe mêmecomme l’un des cinq principaux champs de développement de

l’approche qu’il anime le rapprochement avec la science poli-

tique. Le moment para ît donc propice pour que la théorie de

la régulation s’offre un regard plus large sur les travaux des poli-

tistes spécialistes des relations internationales. Le moment de

changer de régime… mais un moment qui n’arrive pas. Les régu-

lationnistes n’ont pas poursuivi leurs réflexions en ce domaine.

Et les rares incursions de chercheurs se revendiquant de cetteapproche font plutôt frémir : partant d’une approche par les

régimes, Éric Lahille [2009] finit son analyse par le retour en

arrière à un réalisme pur où les questions de sécurité internatio-

nale finissent par tout expliquer. L’international reste un

domaine insuffisamment pensé de la théorie de la régulation.

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Enseigner l’EPI

La France est ainsi le seul grand pays à ne pas proposer à sesétudiants un enseignement organisé d’économie politique inter-

nationale. À de rares exceptions près, l’apprentissage des rela-

tions internationales reste dominé en sciences politiques par les

héritiers de Raymond Aron et des universités de droit pour qui

les questions de sécurité entre les États sont les seules à être

dignes d’un enseignement. Les chercheurs du Centre d’études

et de recherche internationale (CERI), regroupés il y a plus de

dix ans dans l’ouvrage de Marie-Claude Smouts [1998], ainsi

qu’une jeune génération de chercheurs n’hésitant pas à reven-

diquer l’étiquette, font partie des exceptions mais l’EPI n’est pas

leur champ de réf érence analytique et aucun d’entre eux ne

l’enseigne.

L’économie dominante, de son côté, est tout entière fidèle au

précepte présenté par Edmond Malinvaud [2001] selon lequel

les progrès dans les sciences sociales ne peuvent s’opérer qu’àl’intérieur de disciplines bien délimitées. De plus, l’économie

dominante contemporaine cherche en partie à montrer sa scien-

tificité par le fait qu’elle se démarque complètement des ques-

tions politiques et de l’analyse des rapports de forces [Coussy,

1998 ; Chavagneux, 2002a ; Sapir, 2002]. « L’économie politique

n’est pas la politique ; elle ne se préoccupe point de la distribu-

tion ni de la balance des pouvoirs », soulignait déjà Jean-Baptiste

Say dans la phrase d’ouverture de son Cat é chisme d ’é conomie poli-tique en 1821…

Un enseignement d’économie politique internationale néces-

site des étudiants formés à la multidisciplinarité. Comment faire

pour la mettre en œuvre ? La solution la plus simple reste celle

de l’enseignement parallèle des diff érentes disciplines. Pourtant,

la division des connaissances est telle aujourd’hui que, au fur

et à mesure que l’on avance dans un domaine, la spécialisa-

tion s’impose et restreint d’autant la capacité de dialogue avecles autres domaines. Les étudiants doivent donc être sensibilisés

le plus tôt possible aux diff érentes disciplines.

Certes, à trop vouloir élargir, on peut perdre en profondeur.

C’est souvent l’argument de ceux qui, arc-boutés dans le cadre

étroit de leur spécialité, restent toujours prompts à dénoncer

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une « dispersion disciplinaire » aboutissant finalement à des

analyses superficielles. Cependant, comme le souligne Jean

Coussy [1998, p. 259], le recours à la multidisciplinarité « créeun danger de perte de cohérence mais c’est un risque assumépour gagner en pertinence ». Le monde réel n’est pas découpéen disciplines universitaires : prétendre l’expliquer à partir d’un

seul point de vue ne semble guère pertinent, vouloir l’appré-

hender de plusieurs points de vue demande de reconstituer

ensuite une image claire. Robert Gilpin fait le même constat :

la pertinence de l’explication est toujours préf érable à la rigueur

d’une démonstration obéissant aux canons d’une discipline

particulière [2001, p. 49]. Le risque d’incohérence diminue

lorsque les étudiants sont confrontés simultanément, dès leurs

années de formation, aux diff érentes disciplines.

On est loin de ce genre de comportement en France, même si

la nouvelle organisation des études universitaires en 3-5-8 (on

peut recevoir un diplôme au bout de trois, cinq, ou huit ans)

laisse ouverte a priori la possibilité de choix laissant place à lapluridisciplinarité lors des trois premières années. Dans le cadre

d’un enseignement de base ouvert aux diff érentes approches des

sciences sociales, la liste des cours nécessaires pour assurer la

formation de base de l’étudiant en EPI pourrait comporter un

enseignement de philosophie politique et morale, une forma-

tion aux théories de la science politique, aux théories de la

science économique, à l’histoire politique internationale, à

l’histoire de l’économie mondiale et doit proposer une analysedes trajectoires nationales des pays les plus puissants, États-Unis

en tête et sans oublier les émergents.

« Les approches hétérodoxes en EPI forment aujourd’hui un

véritable carrefour transdisciplinaire qui convoque de

nombreuses traditions des sciences humaines », souligne Jean-

Christophe Graz [2000]. Le contenu de la Review of International

 Political Economy , véritable tête de réseau dans la construction

de théories critiques transdiciplinaires, montre qu’il est possiblede produire des travaux de qualité en la matière. On y lit des

articles qui dépassent l’association de l’économie, de la science

politique et de l’histoire, à laquelle se limitent les approches que

l’on a présentées ici, pour introduire des dimensions géogra-

phiques, sociologiques, juridiques, etc. Murphy et Tooze [1991]

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soulignent les obstacles que rencontre toute tentative de fonder

un programme de recherche sur une multidisciplinarité large : la

difficulté de faire dialoguer entre elles des recherches d’originesdiff érentes et la volonté de chaque spécialité d’affirmer son iden-

tité au milieu d’un foisonnement divers et pas toujours ma îtrisé.

D’où l’éventuelle nécessité d’une première étape qui consiste àformer des chercheurs capables de se positionner à l’intersection

de l’économie, de la science politique et de l’histoire. On peut

juger que c’est insuffisant. Que cela ne répond pas au pari d’une

« vraie » transdisciplinarité. Pourtant, si à une échelle moins

ambitieuse, on a pu inciter les économistes et les politistes às’ouvrir aux hypothèses, aux problématiques et aux résultats de

l’économie politique internationale pour mieux éclairer les

citoyens sur l’état des rapports de forces mondiaux et leur

permettre de faire des choix politiques, alors un premier pas aura

été franchi.

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Table des matières

Introduction 3Les trois réponses de l’EPI 5

_ Encadr é : D’ où vient l’é conomie politique internationale ? 9

I Les États, rien que les ÉtatsÀ la base : l’« école réaliste » 12

Les fondements, 13

Le pouvoir relationnel, 14

Stabilité et guerres hégémoniques 16Le libéralisme contre l’hégémonie, 17

La théorie des régimes 20Une critique des r égimes, 24

Le soft power  26_ Encadr é : Les diff é rentes formes de pouvoir, 29

La fuite dans le formalisme 29Une EPI en voie d’extinction 31

II La diffusion du pouvoir et la non-gouvernance

_ Encadr é : Susan Strange et ses âmes sœurs, 36

Le pouvoir structurel 37

La structure de sécurité, 38La structure de production, 40

Le triangle des marchandages, 42

La structure financière, 45

FMI et BRI inadaptés, 46

La structure des savoirs, 48

Une méthode de diagnostic 50

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Le refus des grandes théories, 52

Les cinq conclusions politiques 55

L’hégémonie de l’Empire américain, 55La montée en puissance des acteurs privés, 60

Le poids des cartels, 63

La loi internationale au service des intér êts privés, 65

Des zones de non-gouvernance, 72

Pas de complot mondial, 74

Une vision pessimiste mais qui reste motivée

par la critique de l’ordre établi, 76

III La mondialisation des classes dominantes

La triptyque de base : production, État,ordre mondial 80La production, 80_ Encadr é : Les origines de l’ approche, 81

L’État, 82

L’ordre mondial, 83

L’ordre mondial néolibéral : de 1945 à nos jours… 83

L’internationalisation de la production, 85L’internationalisation de l’État, 85

La projection de l’hégémonie américaine, 86

La remise en cause de l’ordre libéral 89Apports et critiques 90

_ Encadr é : Une thé orie critique, 92

Quelques faiblesses de l’approche, 92

Conclusion 97

L’EPI en France : l’état du débat 99L’EPI et les économistes français 100L’école de la régulation et les régimes 104

Le r égime international des r égulationnistes, 105

Pas de r égime, 107

Enseigner l’EPI 110

Repères bibliographiques 113

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Collection

  R E P   È R E Scr éé e par 

MICHEL FREYSSENET et OLIVIER PASTRÉ (en 1983),

dirig é e par 

 JEAN-PAUL PIRIOU (de 1987 à 2004), puis par  PASCAL COMBEMALE,

avec STÉPHANE BEAUD, ANDRÉ CARTAPANIS, BERNARD COLASSE, FRANÇOISE DREYFUS,

CLAIRE LEMERCIER, YANNICK L’HORTY, PHILIPPE LORINO, DOMINIQUE MERLLIÉ, MICHEL RAINELLI et

CLAIRE ZALC.

Le catalogue complet de la collection « Repères » est disponible sur notre site

http://www.collectionreperes.com

GRANDS REPÈRES

Classiques

  R E P   È R E S

La formation du couple. Textesessentiels pour la sociologie de lafamille, Michel Bozon et FrançoisHéran.

Invitation à la sociologie,Peter L. Berger.

Un sociologue à l’usine. Textes

essentiels pour la sociologie dutravail, Donald Roy.

Dictionnaires

  R E P   È R E S

Dictionnaire de gestion,Élie Cohen.

Dictionnaire d’analyseéconomique, microé conomie,macroé conomie, thé orie des jeux,etc., Bernard Guerrien.

Guides

  R E P   È R E S

L’art de la thèse. Comment pr é  parer et r é diger un mé moire de master, unethèse de doctorat ou tout autretravail universitaire à l’ère du Net ,Michel Beaud.

Comment parler de la société. Artistes, é crivains, chercheurs et repr é sentations sociales,Howard S. Becker.

Comment se fait l’histoire. Pratiques et enjeux,François Cadiou,Clarisse Coulomb, Anne Lemondeet Yves Santamaria.

La comparaison dans les sciencessociales. Pratiques et mé thodes,

Cécile Vigour.

Faire de la sociologie. Les grandesenquê tes franç aises depuis 1945,Philippe Masson.

Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciencessociales, Howard S. Becker.

Le goût de l’observation.Comprendre et pratiquer l’ observation participante en sciencessociales, Jean Peneff.

Guide de l’enquête de terrain,Stéphane Beaud et

Florence Weber.Guide des méthodes del’archéologie, Jean-Paul Demoule,François Giligny, Anne Lehoërff etAlain Schnapp.

Guide du stage en entreprise,Michel Villette.

Manuel de journalisme. Écrire pour le journal, Yves Agnès.

Voir, comprendre, analyser lesimages, Laurent Gervereau.

Manuels

  R E P   È R E S

Analyse macroéconomique 1.

Analyse macroéconomique 2.17 auteurs sous la direction de Jean-Olivier Hairault.

Consommation et modes de vieen France. Une approcheé conomique et sociologique sur undemi-siècle, Nicolas Herpinet Daniel Verger.

Déchiffrer l’économie, DenisClerc.

L’explosion de lacommunication. Introduction auxthé ories et aux pratiques de lacommunication, Philippe Bretonet Serge Proulx.

Les grandes questionséconomiques et sociales,Pascal Combemale (dir.).

Une histoire de la comptabiliténationale, André Vanoli.

Histoire de la psychologie enFrance. XIXe-XXe siècles, J. Carroy,A. Ohayon et R. Plas.

Introduction aux sciences del’information, Jean-Michel Salaünet Clément Arsenault (dir.).

Macroéconomie financière,Michel Aglietta.

La mondialisation de l’économie.Genèse et problèmes, Jacques Adda.

La notion de culture dans lessciences sociales, Denys Cuche.

Nouveau manuel de sciencepolitique, Antonin Cohen,Bernard Lacroix, Philippe Riutort(dir.).

La théorie économiquenéoclassique. Microé conomie,macroé conomie et thé orie des jeux,Emmanuelle Bénicourt etBernard Guerrien.

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Composition Facompo, Lisieux (Calvados).

Dépôt légal : juin 2010