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LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE 4 e Convention des juristes de la Méditerranée Actes du colloque d’Alger, 9-10 décembre 2012 La sécurité juridique Préface de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, ministre de la Justice SUPPLÉMENT AU N° 27, 1 ER JUILLET 2013 ISSN 0242-5777

ÉDITION GÉNÉRALE - web.lexisnexis.frweb.lexisnexis.fr/LexisMaroc/pdf/sjg1388_recadre_bd.pdf · morales dans le droit pénal algérien ... Christian Lestournelle , rapporteur général,

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La semainejuridiqueÉDITION GÉNÉRALE

4e Convention des juristes de la méditerranéeactes du colloque d’alger, 9-10 décembre 2012

La sécurité juridiquePréface de Christiane Taubira,

Garde des Sceaux, ministre de la Justice

SuPPLÉmENT Au N° 27, 1ER JuILLET 2013 Issn 0242-5777

LA SEmAINE JuRIDIQuEJuris-Classeur Périodique (JCP)87e année

Président Directeur Général, Directeur de la publication : Philippe CarillonDirecteur éditorial, Directeur de la rédaction : Guillaume [email protected]

Comité scientifique : Yves Bot, Loïc Cadiet, Christophe Caron, Jane Ginsburg, Jean-Yves Le Borgne, Agathe Lepage, Bertrand Mathieu, Nicolas Molfessis, Philippe Pétel, Fabrice Picod, Benoît Plessix, Philippe Stoffel-Munck, Frédéric Sudre, Bernard Teyssié

Rédactrice en chef : Hélène Béranger Tél. : 01.45.58.93.24 - [email protected]édactrice en chef adjointe : Élise Fils Tél. : 01.45.58.92.86 - [email protected]Éditeur : Florence Creux-ThomasTél. : 01.45.58.92.42 - [email protected]étaire d’édition : Delphine Adam

Mise en page : Evoluprint

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Merci à Nelly Catusse pour la mise en page de ce numéro

Correspondance :Mme Hélène BérangerLa Semaine Juridique (Édition générale)141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15

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N° Imprimeur : 5250N° Éditeur : 5179Dépôt légal : à parutionCommission paritaire : n° 1116 T 80376

Photos : droits réservés

Photo de couverture : © Alan John Lander Phillips - iStockPhoto

4e Convention des juristes de La méditerranéeun événement international pour placer le droit au service de ses acteurs

Organisé par le Centre de recherche juridique et judi-ciaire en collaboration avec la Fondation pour le droit continental, la quatrième Convention des juristes de la Méditerranée a réuni à Alger en décembre dernier pas moins de 500 représentants des professions juri-

diques et judiciaires des 29 États invités sur le thème de « La Sécu-rité juridique ». Un succès !nous reproduisons dans ces colonnes les principales réflexions des deux journées consacrées à ce thème.L’analyse scientifique réalisée lors de la première journée de ces rencontres à l’aide de points de vue et retours d’expérience de juges constitutionnels, européens et administratifs a confirmé que le principe de sécurité juridique est un élément essentiel de l’État de droit et le produit d’une évolution continue. L’approche pratique qui s’en est suivie, agrémentée d’ateliers et tables rondes, a amené les participants à se nourrir des nombreux témoignages croisés des professionnels du droit des pays du pour-tour méditerranéen. Ces échanges ont été l’occasion de répondre à un certain nombre de questions : que prévoient les règles régissant la sécurité juridique ? Comment les professionnels les mettent-ils en œuvre ? sont-elles efficaces ? Avocats, notaires, juristes d’entreprise, huissiers de justice, magis-trats et professeurs d’universités ont ainsi fait part de leurs expé-riences en matière de propriété immobilière, de propriété intellec-tuelle ou de médiation.Un thème transversal accompagnait ces deux journées : la « confiance dans les relations juridiques ». Le terme « confiance » est utilisé à de nombreuses reprises dans les contributions repro-duites. non seulement considéré comme un principe qui gouverne le choix des agents économiques, il est aussi évocateur de partage et d’échanges. Ainsi, les pages qui suivent traduisent la volonté des acteurs du droit de l’espace méditerranéen de se retrouver pour tout mettre en œuvre pour enrichir et développer les bonnes pratiques au pro-fit des usagers du droit et de l’économie. s’unir pour créer un espace de sécurité et d’échanges, développer les réseaux juridiques pour mieux préparer des projets communs, la 4e convention des juristes de la méditerranée aura répondu à tous ces vœux.

Hélène Béranger Élise FilsRédactrice en chef Rédactrice en chef adjointe

SommaireLa Semaine Juridique - Édition Générale - Supplément au N° 27, 1er juillet 2013

Préface ➜ Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice p. 3

Séance d’inauguration ➜ Djamel Bouzertini, directeur général du Centre de recherche juridique et judiciaire d’Alger p. 4

Ouverture des travaux ➜ Jean-Pierre Ferret, président des acteurs du droit à l’international, notaire, France p. 6

4e Convention des juristes de la MéditerranéeActes du colloque d’Alger 9 -10 décembre 2012

La sécurité juridique

Premier volet : La sécurité juridique élément essentiel de l’État de droit

Propos introductifs ➜ Anne Levade, professeur à l’université Paris Est-Créteil (SDIE – EA n° 4389), France p. 8

1re conférence : Le point de vue des juges constitutionnels et européens ➜ Jean-Claude Bonichot, juge à la Cour de justice de l’Union européenne et Abdelmajid Djebbar, maître de conférences, expert auprès du Conseil constitutionnel, Algérie p. 12 et 22

2e conférence : Le point de vue des juges administra-tifs ➜ Kamel Fenniche, président de chambre au Conseil d’État, Algérie et Thierry le Roy, président adjoint de la section de l’intérieur, Conseil d’État, France p. 28 et 32

AteliersAtelier n° 1 : L’entreprise et la gestion du risque juridique ➜ Bertrand Debosque, avocat associé de la SCP Bignon Lebray Avocats, président de la Commission des affaires européennes et internationales du CNB, France, Véronique Abrouk, consultante PPG, Algérie, Nadir Ammari, res-ponsable juridique Michelin, Algérie et Pascale Modelski, avocate au barreau de Grenoble, vice-présidente du CNB, France p. 37

Ateliers n° 3 - 8 : Sécurisation foncière et titrement. Facteurs de progrès économique et de progrès social ➜ Pascal Chassaing, notaire, France, Sébastien Collet, notaire, France, Serge Krief, notaire, France et Hugues Marcard, notaire, France p. 38

Atelier n° 4 : L’arbitrage en Méditerranée ➜ Marc Lévis, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, France et Mario Celaya, avocat, Espagne p. 39

Atelier n° 5 : La responsabilité pénale des personnes morales dans le droit pénal algérien ➜ Serge Mackowiak, magistrat de liaison français en Algérie et Frank Natali, avocat, France p. 40

Atelier n° 7 : L’exécution et le procès équitable ➜ Manuel Bosqué, avocat à la cour d’appel de Paris, barreau de Seine-Saint-Denis, France et Mohamed Bousmaha, huissier de justice, Algérie p. 41

Deuxième volet : Approche professionnelle de la sécurité juridique

Table ronde n° 1 : Sécuriser les propriétés immobilière et intellectuelle (synthèse) ➜ Fawzi Marref, rapporteur général, notaire, Algérie, Pascal Chassaing, notaire, France, Mohamed Chérif, huissier de justice, Algérie, Hossam Loutfi, professeur, Égypte et Patrice Vidon, conseil en propriété industrielle, France p. 43

Table ronde n° 2 : Sécuriser les paiements (synthèse) ➜ Patrick Sannino, rapporteur général, huissier de justice, France, Taoufik Azzouzi, notaire, Maroc, Frédéric Barbin, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, France, Olivier Kattie, président de la Chambre nationale des huissiers de justice, Côte d’Ivoire, Abdelazziz Hadri, huissier de justice, Algérie et Houda Sahri, juriste d’entreprise, Lafarge, Algérie p. 45

Table ronde n° 3 : Les nouveaux modes alternatifs de règlements des différends - Médiation judiciaire, média-tion conventionnelle et procédure participative ➜ Christian Lestournelle, rapporteur général, avocat au barreau de Marseille, France, Lotfi El Ajeri, avocat, Tunisie, Ryad Ghali, avocat, Syrie, Ali Boukhekal, médiateur judiciaire, Algérie, Abdelaziz Medjdouba, avocat, union nationale des barreaux, Algérie, et Zahera Guendil, juriste d’entreprise RGS, Algérie p. 48

Séance de clôturePropos conclusifs ➜ Jean-Claude Bonichot, juge à la Cour de justice de l’Union européenne p. 53

Hôtel Sheraton, Staoueli, Alger

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4e Convention des juristes de La Méditerranée aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

P endant trop longtemps, l’idée que seul l’État était un acteur du droit international a pré-valu. L’internationalisation du droit et, pour

l’Europe sa régionalisation, sont nées des initiatives des États auxquels appartiennent l’élaboration des textes, la ratification des conventions internatio-nales et l’exécution des normes.

C’est bien à ces institutions publiques, garantes de l’intérêt général, qu’il revient de construire le cadre juridique nécessaire à l’équilibre et à la régulation de la société mondialisée, ainsi qu’à la qualité du droit qui s’appliquera demain. Toutefois, si l’État en est l’architecte, les acteurs du droit que sont les professions juridiques et judiciaires les tissent au quotidien.

Les travaux de la Quatrième Convention des juristes de la Méditerranée portant sur « La sécurité juri-dique » en sont une illustration dont témoignent ces actes que j’ai le plaisir de préfacer.

Préface

Christiane taubira,Garde des Sceaux, ministre de la Justice

La sécurité juridique est essentielle aux relations contractuelles internationales. Le rôle des profes-sions juridiques est de rendre claires et cohérentes les règles de droit appliquées ou applicables. Il est aussi d’analyser les articulations entre les règles de fond et de procédure issues de pays différents. Ce travail d’analyse permet une lisibilité des normes et ainsi prévient les difficultés éventuelles qui peuvent sur-venir lors de l’exécution des contrats internationaux.

C’est une forme d’intelligence de « son » droit pour l’appliquer ici ou ailleurs et pour protéger chacune des parties. C’est un des enjeux majeurs de la dif-fusion du droit continental auquel concourent les professions juridiques. Parmi les outils essentiels à leur disposition : la rédaction des actes, leur inter-prétation, sans oublier la médiation.

Le monde méditerranéen est riche d’une grammaire des civilisations1. Pour les juristes celle-ci s’incarne dans le code civil en Egypte, en Jordanie ou en Algé-rie, le code des obligations et des contrats au Liban, en Tunisie et au Maroc. Cette proximité juridique se révèle dans les échanges portant sur la propriété immobilière et sur la propriété intellectuelle. Sans doute, les difficultés ne sont pas toujours absentes, il reste que le dialogue est naturel.

C’est une chance qu’il faut cultiver. Le rapproche-ment de nos systèmes juridiques n’a de sens que s’il consolide les droits des citoyens de chacune des rives de la Méditerranée.

1 Fernand Braudel

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

OUvERTURE DE LA CONvENTION

séance d’inauguration

Monsieur le président de la Cour suprême, Mme la présidente du Conseil d’État,

Monsieur le président du Conseil national économique et social, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitution-nel, Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le directeur général de la Fondation pour le droit continental, Monsieur le ministre plénipotentiaire représentant Monsieur l’ambassadeur de France,Nos honorables invités.Soyez les bienvenus,Permettez-moi tout d’abord de vous remercier et dire ma grati-tude à cette invitation à participer à cet événement internatio-nal organisé par le Centre de recherche juridique et judiciaire en collaboration avec la Fondation pour le droit continental, et ce dans le cadre de la quatrième Convention des juristes de la Méditerranée, sur le thème de « La Sécurité juridique ». Je remercie tout particulièrement nos frères et amis des pays de la méditerranée qui sont venus assister à nos travaux, et tous ceux qui ont contribué et continuent à nous accompagner, par leur présence permanente, dans la démarche du développement de notre pays. Mesdames et Messieurs, Ce séminaire international vise à renforcer les réformes initiées par son Excellence le président de la République après la phase difficile de son histoire que l’Algérie a traversée depuis son indé-pendance, marquée par l’instabilité à cause du terrorisme, en plus de la nouvelle tendance vers la libéralisation de l’économie. Ces réformes générales sont caractérisées par la mise à jour de la législation, et le renouvellement des institutions. La dernière réforme en 2012 correspond à l’élection par le peuple de ses re-présentants parlementaires et locaux. Tout cela en réponse aux aspirations des citoyens pour vivre dans un état d’équité et de droit. L’organisation de cet événement scientifique coïncide égale-ment avec les changements que connaît la communauté inter-nationale dans le domaine des droits de l’homme et du citoyen, dont certains sont en rapport, initialement, avec le problème de la sécurité juridique posé par la législation en termes de com-plexité, d’incertitude, de changement constant, à tel point que les spécialistes eux-mêmes éprouvent des difficultés à com-prendre ses règles, en plus de la non-publication des décrets exécutifs indispensables pour l’application des textes législatifs.

D’autre part, les causes peuvent provenir du non-achèvement de la sécurité judiciaire, qui se reflète dans le défaut de clarté de certains jugements et décisions judiciaires par manque de tech-niques de rédaction, en plus de la difficulté d’unification de la jurisprudence, de sa contradiction et parfois de ses revirements. Mesdames et Messieurs,Le principe de sécurité juridique revêt une importance considé-rable en Algérie en raison de plusieurs facteurs, à savoir : - l’effort du législateur pour le remplacement de l’arsenal légis-

latif et réglementaire hérité de l’époque coloniale ainsi que la mise en place d’une nouvelle législation afin de renforcer la construction des institutions de l’État ;

- l’effort de la promulgation de la législation nécessaire pour le passage d’un système de parti unique à un système du multi-partisme qui constitue le pilier d’une société démocratique ;

- l’effort de l’élaboration des lois et règlements indispensables pour la phase des grandes réformes, et notamment celles qu’a connues notre pays depuis le début du deuxième millénaire.

Les statistiques établies par le secrétariat général du Gouverne-ment reflètent l’accroissement de l’effort législatif. Sur les 590 lois environ promulguées au cours des cinquante dernières années depuis l’indépendance, 202 - soit le tiers -, l’ont été au cours de la dernière décennie, dont 62 dans le secteur de la jus-tice. Seules 11 lois ont été promulguées au cours de la décennie allant de 1990 à 1999, et 13534 décrets exécutifs au cours des deux dernières décennies.Mesdames et Messieurs,L’objectif de l’organisation de ce séminaire est de répondre aux interrogations des hommes de loi sur le principe de la sécurité juridique, un sujet qui fait partie des missions du Centre de recherche juridique et judiciaire qui vise à moderniser l’arse-nal législatif national, afin d’accompagner les développements constatés au niveau national, et le mettre en conformité avec les obligations internationales, en particulier grâce à la coopération avec la Fondation française pour le droit continental qui nous honore par sa contribution à la réalisation de cette mission, en raison de son expérience dans le domaine du droit continental européen avec qui nous lie la proximité géographique et juri-dique.Ce qui augmente l’importance du thème est la complexité du droit dans des champs spécialisés, notamment dans les do-maines du crédit, de la monnaie, le mouvement des capitaux, la biotechnologie et les technologies de l’information et de la communication, qui nécessitent tous la satisfaction aux normes de la sécurité juridique. Bien que le principe de sécurité juridique soit le produit d’une évolution continue, il peut aussi s’apparenter à une lutte dans le but de promouvoir les libertés publiques et la protection des droits de l’homme. Il n’était pas codifié explicitement comme c’est le cas aujourd’hui. Mais ses composants étaient déjà inclus

djamel bouzertini, directeur général du Centre de recherche juridique et judiciaire d’Alger

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dans les décisions des institutions chargées de la surveillance de la constitutionnalité, et notamment en France. On peut considérer qu’ils exigent que la loi soit claire et précise - ce qui facilite la compréhension et l’assimilation de ses disposi-tions - d’une part, et la stabilité et la prévisibilité qui permettent la protection des situations juridiques antérieures et les droits acquis d’autre part. Enfin le législateur doit adopter des textes de qualité.Toutes ces exigences et d’autres encore renforcent le principe de la confiance légitime que les gens pla-cent dans les lois et les institutions, qui seront expliquées lors de ce sé-minaire par les intervenants.Mesdames et Messieurs,À travers ce séminaire, nous sou-haitons échanger sur les expé-riences entre les pays frères et amis du bassin méditerranéen, et mettre en évidence le rôle de nos institu-tions directement concernées par la consécration du principe de la sé-curité juridique dans ses missions, à l’instar du Conseil consti-tutionnel, du Conseil d’État et de la Cour suprême, ainsi que le rôle des professionnels concernés par la mise en application du principe de la sécurité juridique dans la pratique de leurs acti-vités, tels que les avocats, les notaires, les huissiers de justice et

autres. Ce séminaire est l’occasion d’enrichir nos réflexions sur le principe de la sécurité juridique, ainsi que d’évaluer l’étendue de l’application de ce principe dans l’élaboration de nos lois et la gestion de nos institutions. Ce sera également l’occasion de s’interroger sur une utilisation plus fréquente à l’avenir.Afin d’atteindre cet objectif et d’approfondir nos connais-sances, nous avons établi un programme scindé en deux axes,

l’un portant sur la sécurité juri-dique du point de vue constitution-naliste, l’autre sur les applications pratiques dans divers domaines.De même un espace a été réservé pour les ateliers de travail et des tables rondes traitant des applica-tions de la sécurité juridique dans le domaine des entreprises écono-miques, de la propriété intellec-tuelle et industrielle, ainsi que dans le domaine des droits de propriété et de concession et autres, réunis-sant des personnalités d’une expé-rience avérée dans le domaine.

Avec cet espoir, je clôture mon allocution en déclarant le lance-ment des travaux du séminaire sous le thème « La Sécurité juri-dique » avec mes vœux de réussite et de succès, et en souhaitant à nos frères et amis des pays de la méditerranée un agréable séjour.Je vous remercie pour votre attention. n

« À travers ce séminaire, nous souhaitons mettre en évidence le rôle (...) des professionnels concernés par la mise en applica-tion du principe de la sécurité ju-ridique dans la pratique de leurs activités, tels que les avocats, les notaires, les huissiers de justice et autres. »

Hôtel SHeraton, StaoUeli, alger

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OUvERTURE DE LA CONvENTION

ouverture des travaux

Monsieur le président de la Cour suprême,Madame la présidente du Conseil d’État,

Monsieur le ministre conseiller à l’ambassade de France,Monsieur le vice-président du Sénat,Messieurs les présidents des commissions juridiques du Sénat et de l’Assemblée populaire nationale,Mesdames, Messieurs les parlementaires,Monsieur le président du Conseil national économique et social,Mesdames, Messieurs les hauts magistrats,Mesdames, Messieurs les présidents des ordres professionnels,Mesdames, Messieurs les universitaires,Mesdames et Messieurs,Dans quelques instants nous allons aborder concrètement la première approche de la sécurité juridique, thème qu’en parfait accord, le Centre de recherche juridique et judiciaire et la Fon-dation pour le droit continental, ont convenu de retenir pour cette 4e Convention des juristes de la Méditerranée.Mais avant tout, je tiens à remercier tout particulièrement Mon-sieur Mohamed Charfi, ministre de la Justice, garde des Sceaux, pour l’efficacité avec laquelle ses principaux collaborateurs, le CRJJ et notamment son directeur Monsieur Bouzertini, se sont investis depuis des mois, dans notre projet commun, et pour la collaboration active des autorités algériennes pour que cette 4e Convention des juristes de la Méditerranée se déroule dans les meilleures conditions.J’ai l’honneur, en tant que président des acteurs du droit à l’in-ternational, en abrégé les ACDI, d’en ouvrir les travaux. Les ACDI sont un groupe informel de juristes (notaires, avocats, huissiers, juristes d’entreprise, administrateurs et mandataires judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, conseils en propriété industrielle, experts judiciaires à l’international) dont l’objectif principal est de promouvoir la tradition juridique de type latin, la sécurité juridique qui la caractérise, et ce notam-ment, en favorisant les relations entre les professionnels du droit à l’international, le tout dans le souci de faciliter les échanges économiques. Étant un groupe informel, la mission d’organi-ser, de mettre en œuvre, d’assurer le suivi et la promotion de la Convention des juristes de la Méditerranée a été confiée à la Fondation pour le droit continental, dont je remercie le direc-teur général, Monsieur Patrick Papazian.La Fondation pour le droit continental a été créée il y a quelques années, à l’initiative des professionnels du droit et des minis-tères français de la Justice et des Affaires étrangères. Son but est de contribuer à l’équilibre juridique mondial en assurant la

promotion du droit continental. Même si seule la partie euro-péenne de l’espace méditerranéen est de pure tradition de droit continental, le versant sud de la Méditerranée est fortement imprégné de la culture juridique continentale.Le droit continental est un droit accessible, il est en effet large-ment synthétisé sous la forme de codes. Il privilégie la préven-tion des litiges, grâce à des règles établies à l’avance, lesquelles permettent de donner aux transactions une sécurité juridique accrue. Le droit continental est aussi marqué par son souci de l’équilibre entre les parties au contrat, par sa flexibilité et par son ouverture à toutes les sources de droit. Enfin, le droit continen-tal présente l’avantage d’être relativement peu coûteux, tant au niveau du conseil que du contentieux. Il permet ainsi de mino-rer les coûts juridiques liés aux transactions économiques.C’est pourquoi les professionnels qui pratiquent et appliquent ce droit, sont convaincus qu’il y a lieu d’en assurer la promotion, face notamment à la Common Law. Le droit de Common Law est caractérisé par une faible codification et une importance par-ticulière accordée à la jurisprudence comme source principale du droit. L’existence de ces deux systèmes n’induit nullement la supériorité de l’un sur l’autre. Leurs particularismes reposent sur des traditions culturelles, sur des aspirations sociales et une perception de la justice différentes. Aujourd’hui le système de droit continental et les systèmes juri-diques mixtes qui s’en rapprochent représentent environ 60 % du PIB mondial, alors que le système de Common Law en repré-sente environ 35 %.Mais le droit de Common Law est très présent au plan interna-tional et ceux qui le pratiquent ont souvent tendance à vouloir l’imposer chez leurs partenaires. En effet chacun sait aujourd’hui que le droit est aussi un moyen de conquérir des marchés. Dès lors si notre environnement juridique venait à basculer vers un système de Common Law, la compétitivité de nos entreprises en subirait les conséquences. C’est pourquoi l’influence de la tradition continentale et la valorisation de ses atouts doivent être développées, à la fois pour préserver notre croissance et nos emplois, mais aussi pour favoriser les échanges entre nos pays. C’est là l’objectif de la Fondation pour le Droit continental.La Convention des juristes de la Méditerranée, dont les ini-tiateurs poursuivent le même objectif, s’inscrit dans le cadre plus large de l’Union pour la Méditerranée lancée à Paris le 13 juillet 2008 par 47 chefs d’État et de Gouvernement. En ef-fet, c’est justement en prévision de la tenue de ce sommet, que les professionnels du droit ont organisé à Nice en juin 2008, la 1re Convention des juristes de la Méditerranée. Cette 1re Convention avait pour objectif de démontrer l’impli-cation des professionnels du droit dans la construction d’un espace méditerranéen. Des règles stables et lisibles, des moyens efficaces de régler les conflits, permettent de gagner la confiance des agents économiques et de favoriser les échanges. Les juristes

jean-Pierre Ferret,notaire à Montpellier,président honoraire du Conseil supérieur du notariat

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se devaient de rappeler ces principes essentiels à la mise en œuvre d’un espace économique devant reposer sur la liberté, la sécurité et la justice. Cette Convention a donc donné lieu à la signature d’une déclaration commune qui a recueilli près de 300 signatures. Elle a été remise aux chefs d’État et de Gouver-nement réunis pour le sommet de Paris quelques semaines plus tard.Fort du succès de cette Convention, ses initiateurs ont décidé d’en tenir une seconde en 2009, et c’est ainsi que la 2e Conven-tion se réunit en octobre 2009 au Caire. Le thème en était « Le droit continental : des solutions innovantes à la crise éco-nomique mondiale ». Plus de 200 juristes avaient répondu à l’appel. La 3e Convention s’est tenue à Rome en juin 2010. Nos juristes méditerranéens se sont réunis cette fois pour échanger sur les « PME dans l’espace européen, la sécurité des paiements et des investissements ».En raison d’un contexte politico-social difficile en 2011, la Convention n’a pu se tenir.C’est donc aujourd’hui la 4e fois que les acteurs du droit de l’espace méditerranéen se retrouvent pour faire connaître leur dynamisme, affirmer leur confiance dans le système juridique qu’ils mettent en œuvre au quotidien, échanger sur les diffé-rentes règles, enrichir leur pratique, le tout au plus grand profit des usa-gers du droit et de l’économie.D’ores et déjà cette 4e Convention est un succès : vous êtes près de 500 à y participer et je suis convaincu que vos attentes ne seront pas dé-çues.Je tiens à l’instant à remercier Nicole Souletie, collaboratrice de la Fondation pour le droit continental, pour avoir, par son dévouement et ses efforts, su régler les problèmes liés à cette affluence.Cette 4e Convention sera aussi un succès par sa qualité. Je l’ai souligné, les entrepreneurs et les juristes considèrent le droit comme un vecteur de compétitivité économique. Le droit per-met de se prémunir contre le risque contentieux, d’organiser et de sécuriser une négociation. Expression des choix fondamentaux d’une société, le droit est aussi un produit et un service qui se vendent et s’exportent. Je le redis, le droit constitue un facteur d’attractivité pour les inves-tisseurs et améliore l’environnement des affaires. La diversité des techniques juridiques ouvre une gamme de solutions flexibles pour les décideurs économiques qui leur permettent de s’adap-ter au mieux à la concurrence internationale. Mais un principe gouverne le choix des agents économiques : la confiance. Cette confiance repose sur la sécurité juridique.C’est pourquoi notre 4e Convention a fait de « La sécurité juri-dique », le thème de ses réflexions.La première journée de nos travaux sera principalement consa-crée à l’approche légistique de la sécurité juridique. Toute règle de droit s’inscrit elle-même dans un cadre légal : une Consti-tution, un traité, une loi fondamentale, en un mot des textes supérieurs que toute règle de droit doit respecter. Des hauts magistrats ou experts des cours algérienne, française et euro-péenne nous donneront leur vision de la sécurité juridique, en

tant qu’élément essentiel à l’état de droit. Je les remercie tout particulièrement d’avoir accepté de participer à nos travaux, comme je remercie à nouveau le CRJJ pour sa contribution particulièrement active à cette première approche.Après cette première partie qui nous promet des échanges de très haut niveau, nous terminerons notre journée par des as-pects beaucoup plus concrets de la sécurité juridique. Nous vous inviterons en effet à échanger autour de huit ateliers, tous très pratiques. Malheureusement chacun ne pourra participer qu’à deux ateliers, puisque ces huit ateliers se tiendront en deux vagues de quatre. Mais nous avons voulu, en multipliant le nombre des ateliers, donner à chacun la possibilité d’échanger sur les sujets qui le concerne le plus directement.Après le constat qui aura été dressé aujourd’hui, à savoir, la sé-curité juridique est un des fondements de l’état de droit, nous passerons demain à son application pratique : comment nous, professionnels, mettons-nous en œuvre les règles censées ap-porter la sécurité juridique. Ces règles sont-elles toujours aussi claires, leur efficacité est-elle réelle, quels enseignements tirer des expériences des uns et des autres ? Une 1re table ronde sera consacrée à la sécurisation des pro-priétés immobilières et intellectuelles. Tout investisseur a besoin

de préserver ses droits de propriété. Sans confiance quant à la réalité et l’effectivité des droits de propriété, il n’y a pas d’investissement. Le rap-porteur général de cette table sera un notaire algérien, mon confrère Fawzi Marref.La 2e table ronde abordera la sécu-

risation des paiements. Les échanges économiques ne sont pos-sibles que si le vendeur, le prestataire de services, a confiance dans le paiement qu’il attend. Cette table ronde aura pour rap-porteur général un huissier français, Me Patrick Sannino.La 3e table ronde traitera enfin d’un aspect essentiel de la sécu-rité juridique : en cas de conflits, comment assurer au mieux leurs traitements ? Les modes alternatifs de règlement des conflits sont des solutions possibles et souvent mises en avant. Me Christian Lestournelle, avocat à Marseille sera le rapporteur général de cette table ronde.Chacun des rapporteurs généraux sera entouré d’autres prati-ciens issus de différents pays du pourtour méditerranéen. Je ne peux tous les citer ici, notaires, avocats, huissiers, juristes d’en-treprises, conseils et spécialistes, aussi je n’en citerai aucun, mais dès à présent je remercie chacun d’eux pour sa contribution. Les débats qui suivront chaque table ronde vous donneront l’occa-sion d’échanger avec eux.À l’issue de ces deux journées intenses, je suis persuadé que notre Convention aura atteint son objectif : participer à la créa-tion d’un espace de sécurité et d’échanges, contribuer au déve-loppement des réseaux juridiques, avoir donné à chacun l’occa-sion d’exposer ses expériences, de faire de multiples rencontres, et de développer des projets communs. À tous je souhaite une excellente 4e Convention des juristes de la Méditerranée, et une nouvelle fois je remercie nos amis algé-riens pour l’accueil qu’ils nous ont réservé. n

« Un principe gouverne le choix des agents économiques : la confiance. Cette confiance re-pose sur la sécurité juridique. »

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

1 - Se voir confier l’ouverture d’un congrès est toujours un hon-neur ; mais il s’agit d’un honneur redoutable !C’est un honneur, d’abord, parce que ce congrès est un moment important pour la Fondation pour le droit continental et pour l’ensemble des participants ; votre présence en témoigne. C’est un honneur, ensuite, parce que réunir l’ensemble des acteurs de la communauté des juristes de la Méditerranée a un sens tout particulier, et spécialement les réunir à Alger. C’est un honneur, enfin, parce que réunir des professionnels du droit pour un congrès sur le thème de la sécurité juridique, revient à aborder l’un des thèmes juridiques les plus actuels et les plus impor-tants ; structurant les systèmes juridiques et indispensable aux rapports qui s’établissent entre eux, la sécurité juridique est évi-demment le gage de la qualité des relations qui peuvent se nouer entre leurs acteurs.Mais cet honneur est redoutable. Il l’est, d’abord, à l’évidence, pour les trois mêmes raisons ; il l’est, ensuite, compte tenu du principe envisagé ; enfin, il l’est parce que les interventions de ces deux journées vont avoir pour objet d’examiner le principe de sécurité juridique sous ses différentes facettes et qu’il revient donc à l’auteur des propos introductifs d’aborder le sujet sans le déflorer. C’est à cet exercice que l’on entend s’essayer.

2 - Entamons le propos par un constat : la sécurité juridique présente une originalité. Principe sur lequel s’accorde l’en-semble des systèmes juridiques et qui, pour nombre d’entre eux, apparaît même structurant, il n’est pas expressément consacré par tous en ces termes, ni a fortiori effectif dans tous. Pour ce motif, il est un principe aux contours flous mais dont, parado-xalement, le contenu semble de plus en plus précis.De prime abord, le principe de sécurité juridique s’apparente à ce que les juristes qualifient de standard et serait même unani-mement considéré comme consubstantiel au modèle de l’État de droit. Il s’agirait donc d’un principe fondateur au sens où, pré-requis ou dénominateur commun, nul État ne saurait y dé-roger puisqu’il est la manifestation tangible d’un système juri-dique dans lequel - et l’on emprunte la formule à la Convention EDH - la prééminence du droit est une réalité. Mais, au-delà du nominalisme juridique, la sécurité juridique serait un principe dont résultent des exigences en termes de

qualité des normes et, sans doute aussi, de qualité de l’interpré-tation que le juge est amené à en donner. Logique autant que paradoxe de la sécurité juridique, le principe n’aurait de sens qu’à la condition d’être effectif, c’est-à-dire à la condition de pouvoir être invoqué devant un juge et le juge, dans l’applica-tion qu’il fait du droit, doit s’astreindre a minima aux exigences mêmes qu’il reproche à l’auteur de la norme de ne pas avoir respectées.Disant cela, le cadre est tracé et l’on comprend qu’il n’est pas de système juridique qui pût faire l’économie de la sécurité.On attendrait donc, légitimement, que tout système juridique consacre expressément ce principe et, sans doute même, fasse le choix de le consacrer au plus haut niveau de la hiérarchie de ses normes afin de garantir son respect par l’ensemble des pouvoirs constitués. Or, il y a loin de là à la réalité.Certes, c’est le cas dans certains systèmes juridiques. Ainsi en est-il, par exemple, de l’Allemagne où l’article 20 de la Loi fondamentale, qui énonce les fondements de l’ordre étatique, établit un lien étroit entre le modèle de l’État de droit au sein duquel « le pouvoir législatif est lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit »1 et la confiance légitime qui justifie le droit de résistance « à qui-conque entreprendrait de renverser cet ordre »2. Si l’expression « sécurité juridique » n’est pas expressément utilisée, nul ne disconviendra que l’article 20 de la Loi fondamentale renvoie à l’idée.

3 - Le système communautaire devenu système de l’Union euro-péenne apparaît beaucoup plus explicite. En effet, la Cour de justice a très tôt reconnu, par un arrêt Bosch de 19623, le « prin-cipe général de sécurité juridique - règle de droit à respecter dans l’application des traités ». Le principe sera constamment réaffirmé ensuite, le juge le mettant en relation avec celui de confiance légitime. Mais dans d’autres systèmes juridiques, les choses sont moins clairement dites ou, du moins, ont été longtemps ambiguës.

4 - Le système juridique français en est l’illustration. Que l’on en juge ! En 1984, le Conseil constitutionnel refusait de reconnaître valeur constitutionnelle au principe de sécurité juridique4. En revanche, il considérait, en 2007, que le fait pour le législateur d’apporter une précision « qui tend à assurer une meilleure

1 L. fondamentale allemande, art. 20, § 3.2 L. fondamentale allemande, art. 20, § 4.3 CJCE, 6 avr. 1962, aff. 13/61 : Rec. CJCE 1962, p. 89.4 Cons. const., déc. 29 déc. 1984, n° 84-184 DC, Loi de finances pour 1985 :

JO 30 déc. 1984, p. 4167.

PREMIER vOLET : LA SÉCURITÉ JURIDIqUE ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L’ÉTAT DE DROIT

Propos introductifs : La sécurité juridique

anne Levade,professeur à l’université Paris est-Créteil (SDie - eA n° 4389)

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

sécurité juridique n’est pas contraire à la Constitution »5. Dé-pourvue de valeur constitutionnelle en tant que principe, la sécurité juridique peut donc être un objectif que le législateur fait le choix de poursuivre ; il figure d’ailleurs au titre de la « ga-rantie des droits » parmi les « principes généraux applicables aux droits et libertés constitutionnellement garantis » que mentionnent les tables thématiques des décisions du Conseil et semble même trouver son fondement dans les articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789.On arguera sans doute à juste titre que les deux décisions sont complémentaires bien plus que contradictoires. Mais, surtout, on ne saurait oublier que plus de vingt ans les séparent et que, entre temps, la jurisprudence administrative et judiciaire avait si significativement évolué que le Conseil constitutionnel a pu s’en trouver influencé. En effet, en 2006, le Conseil d’État franchissait un pas important en considérant qu’« il incombe au pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, le cas échéant, une réglementation nouvelle », notam-ment si ces règles nouvelles sont susceptibles de porter atteinte à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement constituées6. Cet impératif nouveau de sécurité juridique devait être confirmé dès l’année suivante7 puis constam-ment réaffirmé par la suite. Presque simultanément, la Cour de cassa-tion s’inscrivait dans un mouvement identique en faisant une application stricte de la solution dégagée par la Cour EDH rela-tivement en matière de lois de validation et de lois interpréta-tives ; dans l’un et l’autre cas, elle estimait que l’intervention du législateur ne saurait se justifier que par un impérieux motif d’intérêt général, mais sans que la sécurité juridique fût nom-mée8.Paradoxe donc, puisque la sécurité, si elle est bien un principe omniprésent dans les systèmes juridiques, aurait une normati-vité à éclipses qui demande encore à être affinée. Mais paradoxe apparent seulement peut-être car, à bien y penser, lorsque l’on parle de sécurité juridique, l’essentiel n’est pas tant de savoir si le principe est nommément et sous cette appellation consacré - quand bien même il y gagnerait en clarté - mais ce qu’il signifie. Ce sont des exigences substantielles qui lui sont inhérentes ou consubstantielles qui ont été consacrées.

5 - Disant cela, on en vient au contenu.À cet égard, le Conseil d’État est celui qui l’a le plus clairement identifié lorsque, dans le rapport qu’il lui consacre en 20069,

5 Cons. const., déc. 15 févr. 2007, n° 2007-547 DC, Loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’Outre-mer : JO 22 févr. 2007, p. 3252.

6 CE, ass., 24 mars 2006, n° 288460, KPMG et a. : JurisData n° 2006-069857.7 CE, ass., 16 juill. 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation.8 Cass. soc., 13 juin 2007, n° 05-45.694 et n° 05-45.696 : JurisData n° 2007-

039503. - n° 06-40.823 à n° 06-40.830 : JurisData n° 2007-039499. - Cass. 3e civ., 19 mars 2008, à mettre en relation avec CEDH, 28 oct. 1999, n° 24846/94, Zielinski c/ France. - CEDH, 9 janv. 2007, n° 20127/03, Arnolin c/ France.

9 Rapp. CE, Sécurité juridique et complexité du droit, 2006.

il affirme que « le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable ». Il précise en outre que « pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles ».Ainsi présenté, le principe de sécurité juridique renverrait fina-lement avant tout à une forme de bon sens qui impose la per-manence - ou du moins une certaine permanence -, la cohé-rence et l’intelligibilité de la norme, c’est-à-dire de la règle de droit écrit, mais aussi des décisions de justice et, par conséquent, des interprétations et, le cas échéant, des revirements de juris-prudence. Évidemment, de telles exigences demandent à être mises en application et conduisent à des efforts diversifiés, que l’on songe, par exemple, aux chantiers de codification, moder-nisation ou simplification des normes existantes, à la volonté

d’apporter un soin particulier à la motivation des décisions de justice ou encore aux mécanismes d’éva-luation de la norme a priori, telles les études d’impact, ou a posteriori lorsque la règle de droit écrit com-porte une clause de rendez-vous.En toute hypothèse, la démarche conduit à s’interroger sur l’équi-libre subtil et délicat qu’il convient d’établir entre intérêt général - qui justifie que la norme juridique soit

modifiée - et protection des droits individuels - qui impose qu’elle le soit en prenant en considération l’ensemble des effets de la modification envisagée. Dit autrement, la question est tou-jours identique : l’intérêt général peut justifier un changement, encore faut-il en apprécier l’impact sur les droits et opérer un contrôle de proportionnalité seul à même de garantir que la solution retenue n’emporte pas des effets déraisonnables ou disproportionnés. Ainsi entendue, la sécurité juridique serait partout ! Et le constat n’a pas lieu de surprendre puisqu’il s’agit d’un principe qui structure et irrigue tout système juridique fondé sur le modèle de l’État de droit.Mais parce que l’on ne saurait s’en tenir à ce premier constat, il convient de l’approfondir et d’aller plus loin - sans aller trop loin - en s’essayant à esquisser son contenu et identifier les exi-gences que la sécurité juridique emporte. Elles portent à la fois sur la qualité (1) et la prévisibilité (2) du droit.

1. Sécurité juridique et qualité du droit

6 - Reconnaissons-le, l’aspiration à la qualité du droit confine à la formule incantatoire. Elle suppose que soit posé un diagnos-tic seul à même de permettre que les remèdes fussent identifiés.Dans son rapport de 200610, le Conseil d’État faisait un double constat : d’une part, celui de la dégradation et, d’autre part, celui de l’instabilité de la loi. Propre à la France, il est partagé par de

10 Rapp. CE, préc.

« Lorsque l’on parle de sécurité juridique, l’essentiel n’est pas tant de savoir si le principe est nommément et sous cette ap-pellation consacré - quand bien même il y gagnerait en clarté - mais ce qu’il signifie. »

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nombreux États et les systèmes supranationaux eux-mêmes, au premier rang desquels l’Union européenne, n’y échappent pas. Le phénomène s’expliquerait, en premier lieu, par l’infla-tion normative, chaque situation, fait divers ou innovation semblant appeler une réponse législative ; c’est ce que certains auteurs ont, en France, qualifié de lois du vingt heures. Mais au-delà de cet aspect purement quantitatif, c’est, en second lieu, la complexité des systèmes et des rapports entre systèmes juridiques qui en serait principalement la cause ; la superpo-sition des règles juridiques, qu’elles soient issues d’un système unique ou de systèmes articulés les uns aux autres, les rendrait in fine inintelligibles, expliquant aussi la multiplication des lois rétroactives. Dans ce cadre, c’est un véritable plan de bataille que le Conseil d’État proposait aux fins d’améliorer la situation et d’agir pour la qualité de la loi. Nul doute que le constat peut être élargi de la loi au droit et que, spécialement du fait de l’interpénétration des systèmes juridiques, il n’est pas de niveau normatif qui se trouve épargné.

7 - Le diagnostic étant posé, on en vient aux remèdes et c’est autour de trois axes qu’ils sont désormais classiquement présen-tés ; ils renvoient à la fois à la forme et au contenu de la norme juridique.Le premier remède résiderait dans la normativité de la loi. Le système juridique français a, à cet égard, fait l’objet de réformes sous l’impulsion d’une jurisprudence constitutionnelle qui a clairement mis en évidence la difficulté. Le principe fut posé par une décision de 2004 : « sous réserve de dispositions par-ticulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative »11. Sur ce fondement, peuvent être censurées des dispositions qualifiables de neutrons législatifs ou des lois inter-prétatives. Incontestable, le raisonnement conduit à s’interroger sur le rôle du législateur entendu, stricto sensu, comme l’auteur de la loi. Ainsi, la loi n’est pas le lieu d’une prise de position politique, raison pour laquelle les Parlements disposent de l’alternative du droit de résolution dont le Parlement français était privé depuis 1958 et qui lui fut rendu à l’occasion de la révision constitution-nelle du 23 juillet 200812. De même, la question de la normati-vité de la loi est au cœur du débat relatif à ce que l’on qualifie de lois mémorielles et qui, en France, n’est qu’imparfaitement tranché13.La question de la normativité concerne à l’évidence l’ensemble des normes juridiques et si la question ne pose guère de difficul-té dans le cas des actes administratifs, on conviendra qu’elle est plus délicate lorsqu’est en cause une disposition figurant dans la Constitution. Une fois encore, la jurisprudence du Conseil constitutionnel enseigne que l’on aurait tort de préjuger. Ainsi, il a pu reconnaître une portée à des dispositions que l’on pou-vait légitimement considérer comme neutralisées : c’est le cas du

11 Cons. const., déc. 29 juill. 2004, n° 2004-500 DC, Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales : JO 30 juill. 2004, p. 13562.

12 Const. 4 oct. 1958, art. 34-1.13 Cons. const., déc. 28 févr. 2012, n° 2012-647 DC, Loi visant à réprimer la

contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi : JO 2 mars 2012, p. 3988.

premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui, se référant « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur ceux qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine », lui permet de consacrer le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine14 ou de l’article 88-1 de la Constitution dont il déduit une exigence constitutionnelle de transposition des directives15. En sens inverse, il est des disposi-tions constitutionnelles récentes que le Conseil constitutionnel semble avoir, lui-même et au moins provisoirement, neutrali-sées, que l’on songe à l’article 75-1 de la Constitution, relatif aux langues régionales16 ou encore au pluralisme énoncé par son article 4, alinéa 3.Le deuxième remède consiste dans le respect des compétences normatives. La Constitution française de 1958 offre en la ma-tière un terrain privilégié puisque le constituant a, aux fins d’encadrer le Parlement, clairement identifié les matières rele-vant du domaine de la loi. C’est dans ce cadre atypique que le Conseil constitutionnel a développé, au titre du contrôle de constitutionnalité, une jurisprudence relative à l’incompétence négative qu’une question prioritaire de constitutionnalité a per-mis de préciser17. Il s’est aussi, sur le même fondement, autorisé à déclarer de nature réglementaire des dispositions introduites par la loi18. C’est alors de la procéduralisation que dépend la qualité de la loi.Le troisième remède réside dans l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. Consacré en droit français sous la forme d’un objectif de valeur constitutionnelle19, il est gage de clarté et, par voie de conséquence, de qualité. Exigence a priori pour le législateur et, plus généralement, tout auteur d’une norme juridique, elle sup-pose a posteriori que le juge pallie les carences que le législateur aurait laissé subsister. Outre la question centrale de l’étendue du pouvoir d’interprétation du juge et celle, corrélative, de l’auto-rité de la chose interprétée, l’intelligibilité de la norme juridique nécessite la détermination préalable de son interprète authen-tique et a notamment conduit à une jurisprudence évolutive de la Cour de cassation dans le cadre du contrôle de constitution-nalité a posteriori des dispositions législatives telles qu’interpré-tées.Mais la qualité n’est rien sans la prévisibilité.

2. Sécurité juridique et prévisibilité du droit

8 - C’est sous cet angle que les solutions jurisprudentielles sont assurément les plus claires qui renvoient au rapport qu’entre-tiennent le droit et le temps. La problématique n’en demeure pas moins épineuse que l’on s’attache à l’application du droit

14 Cons. const., déc. 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC, Lois dites « bioé-thique » : JO 29 juill. 1994, p. 11024.

15 Cons. const., déc. 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l’économie numérique : JO 22 juin 2004, p. 11182.

16 Cons. const., déc. 20 mai 2011, n° 2011-130 QPC, Mme Cécile L. : JO 21 mai 2011, p. 8889.

17 Cons. const., déc. 18 juin 2010, n° 2010-5 QPC, SNC Kimberley Clark : JO 19 juin 2010, p. 11149.

18 Cons. const., déc. 21 avr. 2005, n° 2005-512 DC, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école : JO 24 avr. 2005, p. 7173.

19 Cons. const., déc. 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC, Loi de finances pour 2005 : JO 31 déc. 2005, p. 20705.

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dans le temps ou au respect des situations acquises ; l’une et l’autre seront l’objet de plusieurs ateliers lors de ce congrès, jus-tifiant que l’on s’en tienne aux grandes lignes d’un débat dont les termes sont désormais bien établis.La problématique de l’application de la loi dans le temps est assurément la plus complexe qui renvoie tout autant à l’auteur de la norme qu’au juge chargé de son interprétation et son ap-plication. Entrent dans son champ des questions aussi difficiles que la rétroactivité de la loi, y compris celle plus spécifique des lois de validation, les revirements de jurisprudence et le pouvoir qu’a le juge de moduler les effets de ses décisions dans le temps.En premier lieu, nul ne contestera que la rétroactivité de la norme juridique soit problématique à l’aune de sa prévisibilité. Dans le cadre du droit français, quand bien même le principe constitutionnel de non-rétroactivité ne trouve à s’appliquer qu’à l’égard de la loi pénale plus sévère, le Conseil constitution-nel pose des conditions à l’édiction d’une loi rétroactive20: uni-quement justifiable par la poursuite d’un but d’intérêt général suffisant, elle doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée, définir strictement la portée de la modification et ne pas mettre en cause des règles et principes de va-leur constitutionnelle. La situation est à l’évidence particulièrement délicate lorsque la loi dont il s’agit est de validation, c’est-à-dire vient modifier l’issue d’un litige en cours ou interrompre rétro-activement l’effet d’une décision de justice passée. C’est la jurisprudence européenne qui, en exigeant que la loi soit jutifiée par un motif impérieux d’intérêt général, a conduit à ce que le droit fran-çais évolue21. Le Conseil constitutionnel semble s’y rallier, par exemple lorsqu’il censure une disposition d’une loi de finances rectificative dont l’objet était de revenir sur une décision de la Cour de justice de l’Union22. Mais, ne le négligeons pas, un temps il y eut désaccord, conduisant à ce que la Cour EDH constate que la France avait violé la Convention par une dispo-sition législative que le Conseil constitutionnel avait précédem-ment jugé conforme à la Constitution23.En deuxième lieu, la prévisibilité de la norme suppose que des revirements de jurisprudence ne surviennent que lorsqu’ils s’analysent en une nécessité. Point n’est besoin de longuement gloser, la problématique est indissociable de celle du pouvoir d’interprétation du juge.En troisième lieu, enfin, l’exigence de prévisibilité impose de prendre la mesure des incidences d’une décision de justice et, par voie de conséquence, de permettre au juge de moduler les effets de sa décision dans le temps.

9 - Le Conseil d’État a, le premier en droit français, arrêté une position de principe. Dans l’hypothèse où l’annulation d’un acte administratif implique, en principe, que cet acte est réputé

20 Cons. const., déc. 14 déc. 2006, n° 2006-544 DC, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 : JO 22 déc. 2006, p. 19356.

21 CEDH, n° 24846/94 et n° 20127/03, préc.22 Cons. const., déc. 29 déc. 2005, n° 2005-531 DC, Loi de finance rectificative

pour 2005 : JO 31 déc. 2005, p. 20730.23 CEDH, 14 févr. 2006, n° 67847/01, Lecarpentier c/ France. - CEDH, 12 juin

2007, n° 40191/02, Ducret c/ France.

n’être jamais intervenu, l’office du juge peut exceptionnellement le conduire à moduler dans le temps les effets de l’annulation qu’il prononce ; une telle option est conditionnée : il faut que les conséquences de l’annulation rétroactive soient manifestement excessives pour les intérêts, publics ou privés, en présence24.Dans la perspective du contrôle de constitutionnalité de dis-positions législatives en vigueur qu’il savait devoir, à brève échéance, exercer, le Conseil constitutionnel a transposé ce rai-sonnement25. Dans le cadre de la procédure de la question prio-ritaire de constitutionnalité, le constituant a expressément habi-lité le Conseil en ce sens en prévoyant cette possibilité à l’article 62 de la Constitution et, on le sait, le juge constitutionnel en a très tôt usé.

10 - Une autre problématique est celle du respect des situations acquises, spécialement lorsque le juge statue sur les lois appli-cables aux contrats en cours. Elle est d’autant plus complexe

que, sans qu’elle soit expressément affirmée, nul ne conteste l’exigence de mutabilité législative. On peut donc considérer que, s’il est loisible au législateur d’adopter pour l’ave-nir des règles plus strictes, il ne peut, s’agissant de situations intéressant un droit ou une liberté, les remettre

en cause que dans l’hypothèse où ces situations auraient été illé-galement acquises ou si leur remise en cause est nécessaire pour assurer la réalisation d’un objectif constitutionnel. Bon sens, une fois encore, puisque toute autre solution serait de nature à ébranler la confiance que légitimement chacun peut et doit avoir dans la règle de droit.Appliquée au cas particulier des contrats, la solution conduit à considérer que la loi n’a d’effet que relativement à ceux qui ont été conclus postérieurement à son adoption. Ainsi, par exemple, le Conseil a-t-il rappelé que « s’il est loisible au législateur d’ap-porter, pour des motifs d’intérêt général, des modifications à des contrats en cours d’exécution, il ne saurait porter à l’écono-mie des contrats légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Constitution »26. L’idée est évidemment centrale en matière de rapports économiques et sociaux, manière de dire que la boucle est bouclée et que sont bien introduits les propos de ces deux journées de congrès.

11 - En définitive, on voit surtout combien la sécurité juridique est essentielle au modèle de l’État de droit car, s’il suppose que l’État impose et s’impose à lui-même le respect du droit, il exige la confiance dans la norme. Le fait que la règle de droit soit dé-mocratique est source de sa légitimité, mais la sécurité juridique seule, entendue dans sa double dimension de qualité et de pré-visibilité, peut justifier et fonder sa normativité. n

24 CE, ass., 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et a. : JurisData n° 2004-066645.

25 Cons. const., déc. 18 juin 2008, n° 2008-564 DC, Loi relative aux orga-nismes génétiquement modifiés : JO 26 juin 2008, p. 10228.

26 Cons. const., déc. 26 juill. 1999, n° 99-416 DC, Loi portant création d’une couverture maladie universelle : JO 28 juill. 1999, p. 11250.

« La sécurité juridique est essen-tielle au modèle de l’État de droit, il exige la confiance dans la norme. »

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1 - Quelle que soit la rive de la Méditerranée où l’on se trouve, le droit a pour vocation essentielle d’assurer l’harmonie dans les relations sociales, de leur garantir une certaine stabilité, d’en rassurer les acteurs, de rendre ces relations prévisibles. Dès lors, évoquer la « sécurité juridique », rapprocher ces deux termes : « sécurité » et « juridique », peut apparaître comme l’expression d’une redondance, voire d’une tautologie.Pourtant tout le monde sait que la norme juridique elle-même peut être source d’insécurité, surtout qu’aujourd’hui on est bien loin de ne toucher aux lois « que d’une main tremblante », comme le recommandait Montesquieu. Elle peut être à l’origine de situations que les sujets de droit perçoivent comme déstabili-satrices, perturbantes, bref, génératrices d’insécurité.Par essence, un changement de législation crée une situation nouvelle qui peut emporter des conséquences plus ou moins déstabilisantes pour ses destinataires : la nouvelle loi a-t-elle, par exemple, pris en compte les exigences liées aux obligations contractuelles en cours ? A-t-elle prévu des dispositions tran-sitoires ? L’autorité administrative peut-elle retirer à tout mo-ment un acte administratif créateur de droits ? Une juridiction suprême peut-elle opérer un revirement de jurisprudence dont l’application immédiate ferait fi des situations jusqu’alors léga-lement établies1 ? On pourrait multiplier les exemples.

2 - On relève partout le foisonnement toujours plus important de textes législatifs ou règlementaires ou de conventions inter-

1 il s’agit de « faire évoluer la jurisprudence, sans déstabiliser les justi-ciables » et de faire en sorte que les décisions soient comprises : inter-vention du vice-président du Conseil d’État français, Jean-Marc Sauvé, à l’audience solennelle de la cour administrative d’appel de Versailles : Annonces Seine 7 févr. 2013, p. 11.

nationales et la complexité de ces textes qui n’est d’ailleurs que le reflet de la complexité des sociétés contemporaines. Celles-ci sont contraintes d’adapter en permanence leurs règles de fonc-tionnement aux exigences, notamment, du développement des relations internationales, des techniques de communication, des avancées scientifiques et technologiques. Tous ces facteurs provoquent inéluctablement des remises en cause incessantes de situations que le droit doit accompagner.Parallèlement, l’évolution des mentalités dans le sens d’une protection toujours plus grande des droits individuels a mis en évidence la nécessité de prendre en compte l’impact de ces bou-leversements et de trouver les moyens juridiques de les amor-tir, de lisser leurs effets. Il faut aussi tenir compte de ce que la complexité actuelle du droit engendre des risques dans la mise en œuvre des mécanismes classiques de la responsabilité pénale. Il y a quelques années on parlait peu du risque pénal qui est maintenant un « classique », notamment pour les responsables publics.C’est à un effort d’atténuation de ces effets néfastes que tend à répondre l’exigence de sécurité juridique : il s’agit de garantir la lisibilité, la prévisibilité et la proportionnalité dans le droit en général. La sécurité juridique constitue bien, comme on a pu le dire, une sorte de « droit du droit »2.

3 - Le concept de sécurité juridique, - peut-être parce qu’il est consubstantiel aux sociétés de droit, dont il est une « vérité d’évidence » - est apparu subrepticement. Certains auteurs le qualifient de « clandestin ». Il ne figure pas en tant que tel dans la Constitution française de la Ve République, ni davantage dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Il ne figure pas non plus dans la Charte des droits fonda-mentaux de l’Union européenne3, ni même dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

2 EDCE 2006, p. 394.3 Qui est entrée en vigueur avec le traité de lisbonne et a la même valeur

que les traités de l’Union européenne.

PREMIER vOLET : LA SÉCURITÉ JURIDIqUE ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L’ÉTAT DE DROIT1RE CONFÉRENCE : LE POINT DE vUE DES JUGES CONSTITUTIONNELS ET EUROPÉENS

La sécurité juridique en droit constitutionnel français et dans le droit de l’union européenne

jean-Claude boniCHot,juge à la Cour de justice de l’union européenne

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Pourtant le principe de sécurité juridique s’est imposé de lui-même et a pris une place centrale dans nos systèmes juridiques4. Il est devenu une exigence essentielle de l’État de droit. La sécurité juri-dique est même devenue un fondement de l’État de droit5. Elle est reprise désormais, en France, dans la jurisprudence constitution-nelle, judiciaire ou administrative6. Elle l’est aussi dans la jurispru-dence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH).Je vais tenter d’en décrire les manifestations principales d’abord dans le droit jurisprudentiel constitutionnel français (1) et en-suite dans le droit de l’Union européenne (2).

1. Le principe de sécurité juridique dans le droit jurisprudentiel constitu-tionnel français

4 - Il est frappant qu’une exigence de sécurité juridique soit ti-rée par le Conseil constitutionnel français de la « garantie des droits » proclamée à l’article 16 de la DDHC de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »7. Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas ex-pressément reconnu la sécurité juri-dique comme un principe constitutionnel en tant que tel et cela contrairement au Conseil d’État français8.Cette « exigence » entraîne pourtant certaines conséquences précises tant pour le législateur que pour le juge constitutionnel lui-même.

4 il est à la base de l’organisation de certaines professions. ainsi, dans ses arrêts relatifs au notariat qui ont fait beaucoup de bruit, la CJUe a certes considéré que les activités notariales n’entraient pas dans l’exercice de l’autorité publique au sens du traité, mais elle a reconnu « le fait que les activités notariales poursuivent des objectifs d’intérêt général qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers », ce qui constitue une raison impérieuse d’intérêt gé-néral de nature à justifier l’ensemble des éléments de son statut : CJUE, gr. ch., 24 mai 2011, aff. C-50/08, Comm. européenne c/ Rép. française : JurisData n° 2011-032037.

5 le Conseil d’État français lui a consacré son étude annuelle : EDCE 2006, p. 281.

6 CE, ass., 24 mars 2006, n° 288460, Sté KPMG : JurisData n° 2006-069857 ; Rec. CE 2006, p. 154 ; GAJA 2007, p. 920. - le Conseil d’État en a d’ores et déjà fait différentes applications : CE, 25 juin 2007, n° 304888, Synd. CFDT min. aff. étrangères : JurisData n° 2007-072084. - CE, 8 oct. 2008, n° 311160, Registre des ostéopathes de France : JurisData n° 2008-074268. - CE, 24 juin 2009, n° 298960, Sté Centre parisien de recyclage c/ Réseau ferré de France : JurisData n° 2009-075671.

7 le professeur François luchaire la rattachait à la sûreté : F. Luchaire, La sécurité juridique en droit constitutionnel français : Cah. Cons. const. 2001, n° 11, p. 67.

8 Pas plus d’ailleurs que la confiance légitime, de laquelle il sera question plus loin : « aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de confiance légitime » : Cons. const., déc. 7 nov. 1997, n° 97-391 DC : JurisData n° 1997-280133 ; AJDA 1997, p. 969, J.-É. Schoettl ; LPA 4 mars 1998, p. 16, M. Verpeaux et B. Mathieu ; Rev. adm. 1997, p. 634, T. Meindl ; RFD const. 1998, p. 141, L. Philip et P. Gaïa.

A. - La sécurité juridique et le législateur

5 - La sécurité juridique implique que la loi présente un certain nombre de caractères de nature à la rendre prévisible. Mais elle ne doit pas non plus constituer une menace pour les situations légalement acquises. Cela amène à s’interroger sur le contenu de la loi et sur ses rapports avec le temps.

1° Clarté, intelligibilité, accessibilité et portée normative de la loi

6 - Selon le Conseil constitutionnel, la garantie des droits ne serait pas effective si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une inutile complexité9. Il incombe en effet au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution. Ce plein exercice de sa compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’in-telligibilité et d’accessibilité de la loi qui découle de la DDHC de

1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques10. La loi doit donc être un texte précis.C’est ainsi qu’une disposition légis-lative fiscale, dès lors qu’elle était susceptible de deux interprétations, a été considérée comme n’ayant pas

fixé les règles concernant l’assiette de l’impôt et comme étant dès lors entachée d’incompétence négative11.De même est contraire à la Constitution la disposition d’une loi de finances relative au plafonnement des « niches fiscales » en raison de son excessive complexité qu’aucun motif d’intérêt général ne justifie12.

7 - C’est un des avantages de la question prioritaire de consti-tutionnalité (QPC) créée en France en 2008 que de permettre un « nettoyage » de l’ordre juridique, notamment s’agissant de prescriptions que seule explique l’histoire d’une nation mais qui peuvent ne plus correspondre aux exigences du temps. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il récemment déclaré non conformes à la Constitution certaines dispositions du Code local des professions d’Alsace-Moselle comme contraires à la liberté d’entreprendre, mais en saisissant l’occasion de dire que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelli-gibilité de la loi qui ne peut normalement pas être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité, car il ne s’agit pas d’une violation des droits et libertés garantis au sens de la Constitution, peut néanmoins l’être lorsque le défaut d’ac-

9 Cons. const., déc. 26 juin 2003, n° 2003-473 DC : JO 3 juill. 2003, p. 11205, consid. 5 ; Rec. Cons. const. 2003, p. 382.

10 Cons. const., déc. 28 déc. 2011, n° 2011-644 DC : JO 29 déc. 2011, p. 22562, consid. 16. - Cons. const., déc. 28 déc. 2011, n° 2011-645 DC : JO 29 déc. 2011, p. 22568, consid. 7. - le Conseil constitutionnel se réfère aux articles 4, 5, 6 et 16 de la DDHC.

11 Cons. const., déc. 10 juill. 1985, n° 85-191 DC : JO 12 juill. 1985, p. 7888 ; Rec. Cons. const. 1985, p. 46.

12 Cons. const., déc. 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC : JO 31 déc. 2005, p. 20705 ; Rec. Cons. const. 2005, p. 168.

« La sécurité juridique implique que la loi présente un certain nombre de caractères de nature à la rendre prévisible. »

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cessibilité « résulte de l’absence de version officielle en langue française d’une disposition législative »13.L’objectif n’est toutefois pas simple à atteindre dans la pratique et le Conseil a dû admettre que la seule diversité des dispositions d’une loi et donc son manque d’homogénéité ne suffisait pas à l’entacher d’inconstitutionnalité.

8 - La loi doit aussi être une prescription normative et le Conseil constitutionnel juge qu’est contraire à la Constitution une dis-position d’une loi qui n’a pas une portée normative.C’est ce qu’il a jugé à propos de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien. Une telle loi, dès lors qu’elle se borne à « reconnaître » un crime de génocide, n’est pas revêtu de la portée normative qui doit s’attacher à un texte législatif et est de ce fait contraire à la Constitution14. Il en va différemment de la loi instituant une « journée nationale du souvenir et de recueillement » pour les victimes tant civiles que militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc : elle n’est pas inintelligible et ne méconnaît aucune exigence consti-tutionnelle15.Sont manifestement dépourvues de toute portée normative les dispositions d’une loi sur l’école aux termes desquelles : « L’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves. Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et pro-mouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents. La formation scolaire, sous l’autorité des enseignants et avec l’appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives. Elle contribue à la pré-paration de son parcours personnel et professionnel ». Ces dis-positions sont contraires à la Constitution16. Comme le disait le Conseil d’État dans son rapport de 1991 « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite »17.Une telle jurisprudence contraint à renouer avec de saines pra-tiques. Une chose est le discours politique qui peut s’exprimer dans un exposé des motifs, autre chose est le corps de la loi lui-même qui doit avoir un contenu prescriptif. Il ne s’agit pas là d’une simple question de style ou de méthode. La loi « ba-varde » induit en erreur. Elle ouvre la porte aux interprétations exagérément constructives, voire farfelues. Comme la loi traduit toujours un équilibre de droits et d’obligations, la loi déclara-toire, voire déclamatoire, est un véritable danger. Venons-en maintenant au beau sujet des rapports de la loi au temps.

2° Rapport de la loi au temps

9 - Il est évident que, dans le droit moderne, une loi peut tou-jours modifier une loi existante. Jèze a fort bien dit que « politi-quement il est absurde, chimérique et criminel de vouloir enfer-mer les générations successives dans des institutions politiques,

13 Cons. const., déc. 30 nov 2012, n° 2012-285 QPC : JurisData n° 2012-028142 ; JO 1er déc. 2012, p. 18908.

14 Cons. const., déc. 28 févr. 2012, n° 2012-647 DC : JO 2 mars 2012, p. 3988.15 Cons. const., déc. 29 nov. 2012, n° 2012-657 DC : JO 7 déc. 2012, p. 19162.16 Cons. const., déc. 21 avr. 2005, n° 2005-512 DC : JurisData n° 2005-

400068 ; JO 24 avr. 2005, p. 7173, consid. 16 et 17 ; Rec. Cons. const. 2005, p. 72.

17 EDCE 1991, p 20.

administratives, sociales, etc., même si elles étaient en contra-diction absolue avec l’idéal du moment, la morale à la mode, la justice en faveur, les besoins politiques, économiques, etc. C’est acculer une génération à la révolution et a la violence »18. Mais les rapports entre la loi et le temps ne sont pas simples. La remise en cause de ce qui a été fait, et légalement fait, est une des pires menaces qui puisse peser sur les rapports des hommes les uns avec les autres : « le droit mouvant est le jouet et l’instru-ment des passions » a dit Bertrand de Jouvenel19. Il en va ainsi aussi bien dans les rapports des particuliers avec l’État que dans les rapports entre particuliers.Selon une formule consacrée du Conseil constitutionnel : « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Il ne saurait toutefois priver les exigences constitutionnelles de garanties légales. En particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ».C’est ce que le Conseil a jugé à propos d’une loi qui mettait fin, de façon anticipée et progressive, à la diffusion des services na-tionaux de télévision par voie hertzienne terrestre. Cette mesure avait pour effet de réduire la durée des autorisations de diffu-sion qui avaient pourtant été accordées aux éditeurs de ces ser-vices jusqu’à des dates précises. La loi portait ainsi atteinte à des situations légalement acquises20.La même solution est applicable lorsqu’une loi interfère avec des contrats en cours : le législateur ne peut porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne serait pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la DDHC21. Le Conseil consti-tutionnel fait en effet dériver la liberté contractuelle du principe général de liberté inscrit à l’article 4 de la Déclaration de 178922. Et c’est de cette disposition, combinée avec la garantie des droits de l’article 16, que découle l’interdiction de remettre en cause de manière injustifiée les contrats en cours.

10 - La modification des relations contractuelles fait l’objet d’un contrôle strict, comme le montre la comparaison des deux déci-sions du 13 janvier 200323 et du 7 août 200824.La première est relative à une loi qui concernait, notamment, les heures supplémentaires. Elle validait des accords collectifs de travail illégaux au regard de la législation antérieure, mais valables au regard de la nouvelle législation. Le juge constitu-tionnel constate que cela n’a pas pour conséquence de conférer « aux accords antérieurs d’autres effets que ceux que leurs signa-

18 G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif : Dalloz, coll. Biblio-thèque Dalloz, 2005, t. 1, p. 112.

19 B. de Jouvenel, Du pouvoir : Hachette Litterature, coll. Pluriel, 1972, p. 511.20 Cons. const., déc. 27 févr. 2007, n° 2007-550 DC : JO 7 mars 2007, p. 4368 ;

Rec. Cons. const. 2007, p. 81.21 Cons. const., déc. 13 janv. 2003, n° 2002-465 DC : JO 18 janv. 2003, p. 1084 ;

Rec. Cons. const. 2003, p. 43.22 V. J.-C. Bonichot, Constitution et contrats en droit français in Nouveaux

défis du droit des contrats en France et en Europe : Sellier, coll. GPR Grun-dlagen, 2009, p. 97.

23 Cons. const., déc. 13 janv. 2003, n° 2002-465 DC, préc. note (21).24 Cons. const., déc. 7 août 2008, n° 2008-568 DC : JO 21 août 2008, p. 13079 ;

Rec. Cons. const. 2008, p. 352.

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taires ont entendu leur attacher » et, sous cette réserve expresse, valide le dispositif. La même loi attachait aux accords en vigueur un effet nouveau : celui de déclencher l’obligation du repos compensateur. Dès lors qu’il résultait de l’ensemble du nouveau système que la situation des salariés s’en trouvait améliorée, la Haute juridiction considère qu’aucune atteinte inconstitution-nelle n’est portée à l’économie de contrats légalement conclus. Cette partie de la décision pose toutefois la question de savoir si l’amélioration de la situation de salariés est en soi un objectif d’intérêt général…La décision de 2008 censure, en revanche, une intervention du législateur jugée excessive. Dans le but de mettre en place un nouveau système pour les heures supplémentaires une loi avait prévu l’entrée en vigueur au 31 décembre 2009 de toutes les clauses des accords collectifs relatives aux heures supplémen-taires. Constatant que cette mesure touchait plusieurs centaines de conventions, dont de nombreuses d’ores et déjà conformes à la nouvelle loi et des millions de salariés, et « en modifierait l’équilibre en conférant à ces accords antérieurs d’autres effets que ceux que leurs signataires ont entendu leur attacher », le Conseil constitutionnel considère que l’atteinte portée aux contrats en cours est excessive et censure la loi.Les formations administratives du Conseil d’État français ap-pliquent les mêmes principes. A ainsi été admise la possibilité d’une application immédiate aux contrats de bail en cours de la faculté de résiliation ouverte aux bailleurs sociaux par le pro-jet de loi de mobilisation pour le logement de 2008. Le Conseil d’État a tenu compte tant de la spécificité des relations qui unissent un bailleur social et son locataire, que du but d’intérêt général que constitue la libération des logements sociaux par ceux qui ne remplissent plus les conditions pour leur obten-tion et du régime protecteur de la rupture du bail prévu par le texte25. A aussi été considérée comme légale l’application aux contrats en cours, par la voie d’une ordonnance26, de disposi-tions prévues par une directive communautaire qui devait être transposée dans les délais faute de quoi la France se serait re-trouvée en manquement27.

11 - De manière plus générale, comme on le sait, la loi ne doit disposer que pour l’avenir et ne doit pas avoir d’effet rétroactif.Le principe de non-rétroactivité de la loi n’a, il est vrai, de valeur constitutionnelle qu’en matière répressive. Il n’en résulte tou-tefois pas une liberté totale du législateur d’adopter des règles rétroactives. L’encadrement de la rétroactivité est aujourd’hui très strict, sous l’influence de l’évolution générale des mœurs mais aussi de la position des juridictions internationales et notamment de la CEDH. C’est ainsi que le législateur ne peut, dans les domaines autres que celui du droit pénal, adopter de dispositions rétroactives que pour des motifs d’intérêt général suffisants et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. Il en va ainsi, par exemple, en matière fiscale28.

25 EDCE 2009, p. 75.26 Qui n’a qu’un caractère réglementaire tant qu’elle n’est pas ratifiée.27 EDCE 2010, p. 184.28 Cons. const., déc. 18 déc. 1998, n° 98-404 DC : JurisData n° 1998-993283 ;

JO 27 déc. 1998, p. 19663 ; Rec. Cons. const. 1998, p. 315.

Il résulte de l’article 16 de la DDHC que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition de pour-suivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions. En outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’inté-rêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être stricte-ment définie29.Le Conseil constitutionnel a rejoint ainsi, comme d’ailleurs le Conseil d’État, la position de la CEDH dont la jurisprudence a été à l’origine d’un contrôle beaucoup plus strict des validations législatives.

B. - La sécurité juridique et le juge

12 - On sait que depuis la réforme constitutionnelle de 2008 a été introduite en France l’exception d’inconstitutionnalité sous la forme - on l’a déjà dit - de la QPC30. Selon la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de déterminer lui-même les effets de ses déclarations d’inconstitutionnalité. Il a rapide-ment dégagé une jurisprudence empreinte d’un souci d’équi-libre.En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéfi-cier à l’auteur de la QPC et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitu-tionnel. Mais l’article 62 de la Constitution réserve à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration31.Par exemple, le juge constitutionnel décide que la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition de la loi du 30 dé-cembre 1967, d’orientation foncière, permettant aux com-munes d’imposer une cession gratuite de terrains prendra effet à compter de la publication de sa décision. Elle peut dès lors être invoquée dans les instances en cours à cette date et dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitu-tionnelles32. Cette approche rejoint d’ailleurs la jurisprudence de la CJUE.De même, l’abrogation d’une disposition de l’ordonnance de 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels prend effet à compter de la publication de la déci-sion, ce qui permet aux intéressés de demander, à compter du

29 Cons. const., déc. 20 juill. 2012, n° 2012-263 QPC : JurisData n° 2012-016575 : JO 21 juill. 2012, p. 12000.

30 C. Maugüé et J.-H. Stahl, La question prioritaire de constitutionnalité : Dalloz-Sirey, coll. Connaissance du droit, 2012, 2e éd.

31 Cons. const., déc. 25 mars 2011, n° 2010-108 QPC : JurisData n° 2011-015516 ; JO 26 mars 2011, p. 5404, consid. 5. - Cons. const. déc. 25 mars 2011, n° 2010-110 QPC : JurisData n° 2011-015518 ; JO 26 mars 2011, p. 5406, consid. 8. - Cons. const. déc. 1er avr. 2011, n° 2011-112 QPC : Juris-Data n° 2011-015520 ; JO 2 avr. 2011, p. 5892, consid. 8.

32 Cons. const., déc. 7 oct. 2011, n° 2011-176 QPC : JurisData n° 2011-021363 ; JO 8 oct. 2011, p. 17019, consid. 6.

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même jour, leur inscription immédiate sur la liste électorale dans les conditions déterminées par la loi33.En revanche le Conseil constitutionnel a reporté l’abrogation de l’article L. 43 du Code des pensions civiles et militaires de retraite. En effet, sa décision avait pour effet de supprimer les droits reconnus aux orphelins par cette disposition. Après avoir rappelé qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, il décide de reporter au 1er janvier 2012 la date d’abrogation de cet article afin de permettre au législateur d’apprécier les suites qu’il convient de donner à la déclaration d’inconstitutionnalité34.De même a été reportée l’abrogation de l’article 618-1 du Code de procédure pénale qui avait pour effet, en faisant disparaître l’inconstitutionnalité constatée, de supprimer les droits recon-nus à la partie civile par cette disposition, afin de permettre au législateur d’apprécier les suites qu’il convenait de donner à la déclaration d’inconstitutionnalité35.Une telle solution est couramment appliquée, par exemple, par la Cour constitutionnelle allemande. Toutefois, comme on le verra, la CJUE est, pour sa part, réticente à s’engager dans cette voie lorsqu’est constatée l’incompatibilité d’une disposition du droit national avec le droit communautaire.

2. Le principe de sécurité juridique dans la jurisprudence de la CJUE

13 - La sécurité juridique a été reconnue très tôt par la Cour de justice comme un principe général du droit communautaire (A). Elle est devenue un véritable guide constitutionnel de la législation de l’Union. Ses exigences se manifestent tant lors de l’adoption des actes que dans leur contenu même ou au regard des conditions de leur application dans le temps. Le principe se présente donc sous diverses facettes (B) qui illustrent son em-prise sur l’ordonnancement juridique communautaire.

A. - La reconnaissance du principe général de sécurité juridique

14 - Bien que le principe n’ait pas été reconnu en tant que tel par tous les ordres juridiques des États membres, la Cour a, relati-vement tôt, expressément constaté qu’il faisait partie de l’ordre juridique communautaire.C’est, en effet, par un arrêt du 6 avril 1962, société de Geus et société Robert Bosch36, que la Cour de justice a consacré l’exis-tence du « principe général de la sécurité juridique ». Cet arrêt a été rendu dans le domaine du droit de la concurrence, à propos des effets de l’article 85 CEE (devenu TFUE, art. 101) : pour des raisons de sécurité juridique, la Cour décide que les accords existants entre les entreprises avant l’entrée en vigueur du pre-mier règlement d’application de l’article 85 CEE ne sont pas frappés de manière automatique de nullité.

33 Cons. const., déc. 27 janv. 2012, n° 2011-211 QPC ; JurisData n° 2012-000879 ; JO 28 janv. 2012, p. 1674, consid. 8 et 9.

34 Cons. const., déc. 25 mars 2011, n° 2010-108 QPC, préc., consid. 6 35 Cons. const., déc. 1er avr. 2011, n° 2011-112 QPC, préc., consid. 9.36 CJCE, 6 avr. 1962, aff. C-13/61, De Geus en Uitdenbogerd c/ Bosch e. a. :

Rec. CJCE 1962, 00089.

Dans le même domaine du droit de la concurrence la Cour a jugé, par un arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical In-dustries c/ Commission37, que « (l)’exigence fondamentale de la sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de son pouvoir d’infliger des amendes ».

15 - Curieusement, le principe n’a pas été pour autant expli-citement affirmé dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, entrée en vigueur le 1er décembre 2009 en même temps que le Traité de Lisbonne. Il reste à ce titre un principe général du droit de l’Union, source non-écrite de ce droit38. Il est toutefois sous jacent à divers droits ou principes consacrés par la Charte comme, par exemple, le droit de toute personne à être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecte défavorablement ne soit prise à son encontre (art. 4) ou le principe de légalité des délits et des peines (art. 49).

B. - Les diverses facettes du principe général de sécurité juridique

16 - Souvent invoqué, le principe de la sécurité juridique se retrouve dans de nombreux arrêts de la CJUE. Il a des impli-cations de différents ordres. Il commande l’accessibilité de la norme communautaire aussi bien que sa prévisibilité.

1° L’accessibilité de la norme communautaire

17 - Les actes de l’Union doivent être authentifiés, publiés et clairs.

18 - L’exigence d’authentification des actes de l’Union. - Dans un arrêt Commission contre Imperial Chemical Industries39, qui avait fait quelque bruit en son temps, la Cour de justice a confirmé l’annulation par le tribunal d’une décision de la Com-mission européenne qui infligeait une amende à une entreprise pour abus de position dominante et n’avait été signée par per-sonne.Elle a considéré que « le principe de sécurité juridique exige que tout acte de l’administration produisant des effets juridiques soit certain, notamment quant à son auteur et à son contenu », car l’authentification des actes juridiques a pour but d’assurer la sécurité juridique.19 - L’exigence de publication des actes. - Dans son arrêt du 25 janvier 1979, Racke40, la Cour de justice a jugé que « un prin-cipe fondamental dans l’ordre juridique communautaire exige qu’un acte émanant des pouvoirs publics ne soit pas opposable aux justiciables avant que n’existe pour ceux-ci la possibilité d’en prendre connaissance ».

37 CJCE, 14 juill. 1972, aff. C-48/69, ICI c/ Comm. CE : Rec. CJCE 1972, 00619.

38 Dont l’existence ou la survivance est consacrée à l’article 6 du tFUe. V. J.-C. Bonichot : Des rayons et des ombres : les paradoxes de l’article 6 du Traité sur l’Union européenne in La conscience des droits, mélanges en l’honneur de J.-P. Costa : Dalloz, coll. Études Mélanges, 2011, p. 49.

39 CJCE, 5e ch., 6 avr. 2000, aff. C-286/95 P, Comm. CE c/ ICI : Rec. CJCE 2000, I-02341.

40 CJCE, 25 janv. 1979, aff. C-98/78, Racke c/ Hauptzollamt Mainz : Rec. CJCE 1979, 00069.

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Elle a fait de cette règle une application topique dans son arrêt du 11 décembre 2007, Skoma-Lux41 : si le défaut de publication d’un acte dans l’une des langues officielles de l’Union n’affecte pas sa validité, cette circonstance le rend inopposable aux par-ticuliers, ce que la Cour de justice fait découler du principe de sécurité juridique. De même ne peut être antidaté le numéro du Journal officiel dans lequel un règlement a été publié42.

20 - L’exigence de clarté. - La jurisprudence de la Cour de jus-tice correspond à celle du Conseil constitutionnel français. Elle considère que le principe de sécurité juridique exige que « une réglementation imposant des charges au contribuable soit claire et précise, afin qu’il puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre ses dispositions en conséquence43 ».

2° La prévisibilité de la norme communautaire

21 - Plusieurs conséquences sont tirées de l’obligation de pré-visibilité de la norme communautaire : la non-rétroactivité des actes, la protection de la confiance légitime, le principe de légalité des délits et des peines et la possibilité pour le juge de moduler les effets dans le temps de ses propres décisions.

22 - La non-rétroactivité. - La CJUE se fonde sur le principe de sécurité juridique pour limiter la possibi-lité pour le législateur de l’Union d’adopter des actes ayant un effet rétroactif. La rétroactivité n’est admise que par exception et sous d’assez strictes conditions. La règle pour l’application dans le temps de la législation et des actes de l’Union est tout à fait classique : « en principe, une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui la porte. Si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitive-ment acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs de celles-ci, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles (…). Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des actes juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps44 ».Dans son arrêt du 25 janvier 1979, Racke45, la Cour de justice juge que la sécurité juridique s’oppose, en principe, à la rétroac-tivité des actes de l’Union. Elle fait, en règle générale, obstacle « à ce que la portée dans le temps d’un acte communautaire voie son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication ». Il ne peut en être autrement, que « à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l’exige et lorsque la confiance légitime des inté-ressés est dûment respectée ».

41 CJCE, gr. ch., 11 déc. 2007, aff. C-161/06, Skoma-Lux : Rec. CJCE 2007, I-10841.

42 TPICE, 4e ch., 22 janv. 1997, aff. T-115/94, Opel Austria c/ Conseil : Rec. TPICE 1997, II-00039.

43 CJCE, 3e ch., 9 juill. 1981, aff. C-169/80, Gondrand et Garancini : Rec. CJCE 1981, 01931. - CJCE, 22 févr.1989, aff. C-92/87 et C-93/87, Comm. CE c/ France et Royaume-Uni : Rec. CJCE 1989, 00405.

44 CJUE, 4e ch., 16 déc. 2010, aff. C-266/09, Stichting Natuur en Milieu e.a. : Rec. CJUE 2010, I-13119.

45 CJCE, 25 janv. 1979, aff. C-98/78, préc. note (40).

La Cour en a fait une application caractéristique dans son arrêt Kloppenburg, du 22 février 198446. Dans cette affaire, les institu-tions avaient adopté la neuvième directive TVA pour proroger, ex post, le délai de transposition de la sixième directive. Il résulte de l’arrêt que le principe de sécurité juridique (que la Cour ne mentionne pas expressément) est susceptible de s’opposer à un acte qui reporte la date d’entrée en vigueur d’un autre acte ayant une portée générale, alors que la date initialement prévue est déjà dépassée. Le principe de sécurité juridique est violé si une telle « prorogation vise à enlever aux particuliers les remèdes juridiques que l’acte initial leur a déjà conférés ». Toutefois, la Cour de justice a admis, en l’espèce, la validité de la prorogation réalisée par la nouvelle directive, dès lors que celle-ci pouvait être interprétée en ce sens qu’elle ne modifiait pas « la situation des opérateurs économiques à l’égard des opérations effectuées par eux préalablement à l’entrée en vigueur ».Ces conditions de fond ont été complétées par une exigence de motivation : « il faut que les décisions ayant un tel effet com-portent dans leurs motifs les indications qui justifient l’effet rétroactif recherché ». La motivation « a pour but de permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise

afin de défendre leurs droits et à la Cour d’exercer son contrôle47 ».Il faut, enfin, remarquer que la Cour de justice distingue elle-aussi la rétroactivité en matière pénale et non-pénale. Le principe de non-rétroactivité prend toute sa dimension en matière pénale. Le

principe de la non-rétroactivité des dispositions pénales est, en effet, un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux du droit48. Un acte de l’Union ne peut imposer aux États membres de prendre des mesures contraires au principe de non-rétroac-tivité des peines. Une directive ne peut pas non plus, par elle-même, fournir un fondement à des poursuites pénales. Il s’agit là d’une des limites classiques à l’effet direct des directives. Ceci résulte du fait que « une directive ne peut pas avoir comme effet, par elle-même et indépendamment d’une loi interne prise par un État membre pour son application, de déterminer ou d’ag-graver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions49 ».

23 - La confiance légitime. - Le respect de la confiance légitime est-il une expression du principe de sécurité juridique ou un principe autonome ? Le principe tente d’échapper à sa propre catégorisation : reconnu en tant que principe général du droit de l’Union, il est présenté, dans quelques affaires, comme un corol-laire du principe de sécurité juridique50. Quoi qu’il en soit ces

46 CJCE, 22 févr. 1984, aff. C-70/83, Kloppenburg : Rec. CJCE 1984, 01075.47 CJCE, 5e ch., 1er avr. 1993, aff. C-261/91, Diversinte et Iberlacta : Rec. CJCE

1993, I-01885.48 CJCE, 10 juill. 1984, aff. C-63/83, Regina c/ Kent Kirk : Rec. CJCE 1984,

02689. - V. J.-C. Bonichot : Union européenne et droit pénal : le vent du large ? in Le dialogue des juges, mélanges en l’honneur de B. Genevois : Dal-loz, coll. Études Mélanges, 2009, p. 75.

49 CJCE, 5e ch., 13 nov. 1990, aff. C- 331/88, Fedesa e.a. : Rec. CJCE 1990, I-04023.

50 V. J.-P. Puissochet, Vous avez dit confiance légitime ? (Le principe de confiance légitime en droit communautaire) in L’État de droit, mélanges en

« Le respect de la confiance lé-gitime est-il une expression du principe de sécurité juridique ou un principe autonome ? »

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principes sont au moins étroitement liés et poursuivent en réalité un objectif commun : celui de la sécurité juridique. La protection de la confiance légitime garantit les personnes, et notamment les opérateurs économiques, contre les brusques changements de réglementation et oblige les pouvoirs publics à tirer les consé-quences de ce que leur comportement a pu faire naître des espé-rances fondées. Il fait « partie de l’ordre juridique communau-taire, de sorte que sa méconnaissance constituerait une violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application51 ».La Cour a affirmé la portée constitutionnelle du principe de confiance légitime, qui « s’inscrit parmi les principes fonda-mentaux de la Communauté52 ». Il n’empêche toutefois pas, de façon générale, qu’une réglementation nouvelle s’applique aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementa-tion antérieure et ses effets sont réduits dans les domaines où une constante adaptation des règles est nécessaire afin de tenir compte de la situation économique. Il est souvent présenté comme un corollaire du principe de sécurité juridique. Ainsi peut-on lire dans un arrêt Duff, du 15 février 199653, qu’il « est le corollaire du principe de sécurité juridique qui exige que les règles de droit soient claires et précises, et vise à garantir la pré-visibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire ».On peut toutefois en avoir une vue différente et, par exemple, le tribunal, dans un arrêt du 22 janvier 1997, Opel Austria c/ Conseil54, l’a présenté comme autonome et distingué du prin-cipe de sécurité juridique55. Ce dernier principe est également invoqué et appliqué par le tribunal mais de manière séparée et en lui donnant une portée différente. L’arrêt du tribunal dit ceci : « (l)e principe de bonne foi est le corollaire, dans le droit inter-national public, du principe de protection de la confiance légi-time qui, selon la jurisprudence, fait partie de l’ordre juridique communautaire ». Il en résulte que si les Communautés ont ratifié un accord international et si sa date d’entrée en vigueur est connue, les opérateurs économiques peuvent se prévaloir du principe de la confiance légitime pour s’opposer à l’adoption, dans la période qui précède l’entrée en vigueur de l’accord, de tout acte contraire aux dispositions de celui-ci qui, après son entrée en vigueur, produisent un effet direct dans leur chef.Compte tenu de la variété des affaires dans lesquelles le principe de la confiance légitime était invoqué, la Cour a été amenée à lui donner un contenu assez variable. On peut en prendre quelques exemples.

l’honneur de G. Braibant : Dalloz, coll. Études Mélanges, 1996, p. 581. - D. Simon, La confiance légitime en droit communautaire : vers un principe général de limitation de la volonté de l’auteur de l’acte ? in Le rôle de la volonté dans les actes juridiques, études à la mémoire du professeur A. Rieg : Émile Bruylant, 2000, p. 733.

51 CJCE, 3 mai 1978, aff. C-112/77, Töpfer c/ Comm. CE : Rec. CJCE 1978, 01019.

52 CJCE, 5 mai 1981, aff. C-112/80, Dürbeck c/ Hauptzollamt : Rec. CJCE 1981, 01095.

53 CJCE, 6e ch., 15 févr. 1996, aff. C-63/93, Duff e.a. : Rec. CJCE 1996, I-00569. - V. aussi, CJCE, 3e ch., 10 sept. 2009, aff. C-201/08, Plantanol : Rec. CJCE 2009, I-08343.

54 TPICE 4e ch., 22 janv. 1997, aff. T-115/94, préc. note (42).55 V. aussi, CJCE, 1re ch., 16 déc. 2010, aff. C-537/08 P, Kahla Thüringen

Porzellan c/ Comm. CE : la Cour répond distinctement aux deux moyens tirés, d’une part, de la sécurité juridique, d’autre part, de la confiance légitime.

Dans le domaine des réglementations économiques, la Cour de justice a jugé à plusieurs reprises que les opérateurs écono-miques concernés par une modification de l’organisation d’un marché doivent s’attendre à ce que l’augmentation de leur pro-duction soit limitée. Toutefois, de telles mesures ayant des ré-percussions sur les investissements des opérateurs, elles doivent leur être annoncées en temps utile. Si ce n’est pas le cas il en résulte une atteinte à leur confiance légitime56.Ces orientations jurisprudentielles ont donné lieu à une très intéressante application dans le domaine délicat et sensible des suppressions d’exonérations fiscales. L’Allemagne ayant modifié sa fiscalité sur les biocarburants dans le cadre de la transposition de la directive de 2003 sur la promotion des carburants renou-velables, la Cour de justice a été saisie de la question de savoir dans quelle mesure le respect de la confiance légitime pouvait faire échec à la suppression d’une exonération fiscale dont le maintien avait pourtant été expressément prévu et confirmé jusqu’à une date déterminée. Dans son arrêt Plantanol57 la Cour de justice, après avoir constaté que l’Allemagne était tenue par les principes généraux du droit communautaire, dès lors qu’elle avait adopté une réglementation dans le but de trans-poser une directive, a donné un certain nombre d’indications sur les conditions qui doivent être respectées lorsqu’un État membre entend supprimer un avantage existant. Elle affirme d’abord que le respect de la confiance légitime s’impose « avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des charges financières ». Le change-ment doit être prévisible et, le cas échéant, s’accompagner de mesures d’adaptation, ce qui rejoint la jurisprudence du Conseil d’État français issue de l’arrêt KPMG. C’est au juge national de décider si le principe a été respecté, mais la Cour énumère un certain nombre de critères à appliquer. Il est frappant que ces critères soient pour partie généraux ou, si l’on veut, objectifs et pour partie très subjectifs, c’est-à-dire qu’ils amènent à s’inter-roger sur la situation particulière de l’opérateur économique en cause, ce qui peut entraîner des difficultés dans les contentieux objectifs comme le recours pour excès de pouvoir. C’est ainsi qu’il y a lieu de prendre en compte tant l’attitude générale des autorités nationales qui tient au cadre légal lui-même, que les annonces publiques faites par le Gouvernement, ou encore ce qu’a pu raisonnablement penser le contribuable en cause : s’est-il comporté comme un opérateur « prudent et avisé », compte tenu de sa taille, des investissements qu’il avait réalisés et, plus généralement, de son assise économique ? A-t-il pu raisonna-blement acquérir une conviction quant au maintien de l’avan-tage fiscal ? Finalement, dit la Cour de justice, le juge national doit se livrer à « une appréciation globale effectuée in concreto » de la situation du requérant. Cette approche assez subjective de-vrait naturellement conduire à ce que les conclusions ne soient pas toujours les mêmes d’une entreprise à l’autre, ce qui n’est sans doute guère satisfaisant.Ces orientations contrastent avec la rigueur, il est vrai assez cou-tumière, de la Cour de justice dans le domaine du droit de la concurrence. Celle-ci considère ainsi que l’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Com-

56 CJCE, 5e ch., 11 juill. 1991, aff. C-368/89, Crispoltoni : Rec. CJCE 1991, I-03695.

57 CJCE, 3e ch., 10 sept. 2009, aff. C-201/08, préc. note (53).

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mission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique. Elle peut, dès lors, abandonner une pratique qui a pu la conduire à infliger, dans le passé, des amendes d’un certain niveau. En effet, « (l)es opérateurs ne peuvent placer une confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée par la Commission dans le cadre de son pouvoir d’appréciation58 ».La confiance légitime existe dès que l’administration provoque elle-même cette confiance dans le chef des intéressés. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, le com-portement d’une administration peut créer des situations de confiance légitime. Si l’affaire qu’on vient d’évoquer montre qu’il n’en est pas ainsi lorsque l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation, il en va tout autrement lorsqu’une autorité donne par son comportement une impression de confiance légitime.Ainsi, dans le domaine de la fonction publique, la Cour consi-dère que tout particulier « qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration a fait naître dans son chef des espérances fondées » peut invoquer la protection de la confiance légitime qui peut, notamment, résulter des infor-mations figurant dans un avis de concours59. De même en matière d’aides d’État où la confiance est toutefois assez rarement retenue en pratique.Un bon exemple récent peut en être trouvé dans l’arrêt Kahla Thürin-gen Porzellan contre Commission60, où la Cour de justice, après avoir rappelé que, selon une jurisprudence constante, « le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légi-time appartient à tout justiciable dans le chef duquel une insti-tution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à son égard des espérances fondées », rappelle aussi la condition selon laquelle il doit s’agir de renseignements précis, inconditionnels et concordants et que tel n’est évidemment pas le cas d’un régime d’aide approuvé par la Commission en ce qu’il n’aurait pas expressément exclu tel type d’entreprise de son bénéfice.La sécurité juridique est souvent invoquée à propos de la récu-pération des aides. Les entreprises peuvent faire valoir que la Commission a trop attendu avant de s’adresser à elles et, selon une jurisprudence bien établie, « même en l’absence de délai de prescription fixé par le législateur communautaire, l’exi-gence fondamentale de sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pou-voirs ». Toutefois, en vertu d’une jurisprudence aussi constante, si une aide n’a pas été notifiée, les intéressés ne peuvent placer leur confiance dans sa régularité. Il en résulte que le retard mis par la Commission à agir ne rend la décision de récupération illégale que « dans des cas exceptionnels qui traduisent une ca-rence manifeste de la Commission et une violation évidente de son obligation de diligence ». Ce n’est évidemment pas souvent

58 CJCE, gr. ch., 28 juin 2005, aff. C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Dansk Rørindustri e.a. c/ Comm. CE : Rec. CJCE 2005, I- 05425.

59 CJCE, 2e ch., 19 mai 1983, aff. C-289/81, Mavridis c/ Parlement : Rec. CJCE 1983, 01731.

60 CJCE, 1re ch., 16 déc. 2010, aff. C-537/08 P, préc. note (55).

le cas. Une telle jurisprudence conduit le juge à apprécier les comportements respectifs des intéressés. Le principe de sécurité juridique ne joue donc pas de manière abstraite. Il faut recher-cher l’influence qu’a pu avoir le comportement des pouvoirs publics compte tenu de la situation et du propre comportement de celui qui en invoque la violation61.On relèvera enfin l’interaction des différents principes généraux du droit qui, pour distincts qu’ils soient, s’épaulent en quelque sorte mutuellement. C’est ainsi que la confiance légitime rejoint et renforce le principe général de non-rétroactivité.La configuration de l’affaire Fedesa62 est, à cet égard, topique. Dans cette affaire une directive sur l’utilisation des hormones dans l’élevage avait été annulée par la Cour de justice pour des raisons de procédure. Quelques jours après l’arrêt, le Conseil constitutionnel en avait repris les termes dans une nouvelle di-rective, cette fois régulièrement adoptée. Toutefois, pour éviter toute solution de continuité dans le droit applicable, le Conseil avait conservé la date de transposition de la directive initiale qui se situait donc, par définition, avant l’adoption de la nouvelle directive et lui conférait par là même incontestablement un effet rétroactif, ce qui était contesté. Dans son arrêt, la Cour de justice

distingue la rétroactivité en matière pénale et non-pénale. S’agissant de l’aspect pénal, le Cour juge, dans la ligne de l’arrêt Kent Kirk63, qu’une directive rétroactive ne peut léga-lement servir de fondement à des mesures nationales rétroactives.

La directive ne peut pas davantage par elle-même servir direc-tement de fondement à des poursuites en vertu d’une juris-prudence là aussi bien établie64. S’agissant de l’aspect civil ou commercial, en revanche, la Cour rappelle que si le principe de sécurité juridique s’oppose normalement aux dispositions rétroactives, « il peut en être autrement à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée ». De ce dernier point de vue, l’arrêt relève que la directive précédente avait été annulée pour une seule irrégularité de procédure, que la nouvelle a été adoptée très vite après et que les opérateurs, qui étaient soumis à la législation nationale qui n’avait pas bougé, ne pouvaient rai-sonnablement s’attendre à ce que le Conseil prenne une régle-mentation différente de la précédente. La rétroactivité ne violait donc pas la confiance légitime.

24 - La légalité des délits et des peines. - Ce principe est regardé par la CJUE comme une expression particulière du principe général de sécurité juridique. Il implique, comme l’exige d’ail-leurs de son côté la CEDH, que les textes donnent une défini-tion claire de l’infraction, de manière que chacun puisse, à par-tir de leur lecture et de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, savoir quelles actions ou omissions engagent leur responsabilité pénale65.

61 V. par ex., CJCE, gr. ch., 22 avr. 2008, aff. C-408/04 P, Comm. c/ Salzgitter.62 CJCE, 5e ch., 13 nov. 1990, aff. C- 331/88, préc. note (49).63 CJCE, 10 juill. 1984, aff. C-63/83, préc. note (48).64 CJCE, 6e ch., 8 oct. 1987, aff. C-80/86, Kolpinghuis Nijmegen : Rec. CJCE

1897, 03969 ; Rev. sc. crim. 1988, p. 596, J.-C. Bonichot.65 CJCE, gr. ch., 3 mai 2007, aff. C-303/05, Advocaten voor de Wereld : Rec.

CJCE 2007, I-03633.

« La sécurité juridique est sou-vent invoquée à propos de la récupération des aides. »

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La Cour de justice en a fait une application topique dans l’arrêt Intertanko66. La Cour y était interrogée par la High Court du Royaume-Uni sur la validité de certaines dispositions de la di-rective de 2005 sur la pollution causée par les navires. Celle-ci obligeait les États membres à considérer comme une infraction pénale tout rejet en mer causé par une « négligence grave ». Il était soutenu que cette formule portait atteinte à la sécurité juri-dique du fait de son imprécision. La Cour de justice a rejeté cette argumentation pour deux catégories de raisons. La première est que la notion de négligence grave a vocation « à s’appliquer à un nombre indéfini de situations qu’il est impossible d’envisager à l’avance et non à des comportements précis susceptibles d’être détaillés dans un acte normatif de droit communautaire ou de droit national ». La seconde est que cette notion est parfaite-ment connue des droits nationaux et couramment pratiquée. Une telle solution qui nous paraît la seule praticable, compte tenu notamment des développements futurs du droit de l’Union dans le domaine pénal, revient à consacrer un certain type de législation, plutôt « continentale », dans laquelle on peut faire appel à des définitions synthétiques et raisonner par catégories plutôt que de tenter de fixer dans les plus extrêmes détails les éléments constitutifs des infractions.

25 - La modulation par la CJUE des effets de ses arrêts. - Comme on le sait, les traités ont permis à la Cour de justice de limiter les effets de ses arrêts d’annulation67. Elle a étendu de manière prétorienne cette possibilité au cas des interprétations68, puis des déclarations d’invalidité69 par voie préjudicielle. Cette pos-sibilité n’est d’ailleurs pas si répandue que cela dans le droit des États membres70.Il mérite d’être relevé que, même si elle prend soin de dire qu’elle ne l’exerce que « à titre tout à fait exceptionnel », la CJUE trouve le fondement de ce pouvoir dans le « principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union », afin que ne soient pas fragilisées des relations juridiques établies de bonne foi. Ce fondement implique d’ailleurs les deux condi-tions auxquelles la mise en œuvre de ce pouvoir de limitation est subordonnée, ce qui est somme toute assez rare : la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves71.En pratique, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises. Ce fut le cas lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves, dues en par-ticulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant valablement en vigueur et qu’il apparaissait que les par-ticuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des

66 CJCE, gr. ch., 3 juin 2008, aff. C- 308/06, Intertanko e. a. : Rec. CJCE 2008, I-04057 ; AJDA 2008, p. 1533, E. Broussy, F. Donnat et Ch. Lambert.

67 TFUE, art. 264.68 CJCE, 8 avr. 1976, aff. C-43/75, Defrenne c/ SABENA : Rec. CJCE 1976,

00455.69 CJCE, 15 oct. 1980, aff. C-145/79, Roquette c/ France : Rec. CJCE 1980,

02917.70 V. l’étude de J.-H. Stahl et A. Courrèges en vue du jugement de l’affaire

Association AC! par le Conseil d’État français : RFDA 2004, p. 438.71 CJCE, gr. ch., 10 janv. 2006, aff. C-402/03, Skov et Bilka : Rec. CJCE 2006,

I-00199, n° 51. - V. aussi, CJCE, 1re ch., 3 juin 2010, aff. C-2/09, Kalinchev : Rec. CJCE 2010, I-04939, n° 50.

dispositions du droit de l’Union ; incertitude à laquelle avaient pu éventuellement contribuer les comportements mêmes adop-tés par d’autres États membres ou par la Commission.La question a récemment été posée à la Cour de savoir si les ju-ridictions nationales pouvaient, elles aussi, suspendre les effets de la constatation, dans un cadre procédural ou un autre, de l’incompatibilité d’une règle nationale avec le droit de l’Union. Autrement dit, une juridiction nationale peut-elle ne pas faire jouer, dans certaines hypothèses, l’effet d’éviction normalement attaché à la primauté du droit de l’Union ? La réponse apportée par la CJUE dans son arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wet-ten72, est un peu équivoque. Était en cause la législation alle-mande relative aux jeux de hasard. Celle du Land de Bavière avait été jugée contraire à la loi fondamentale par la juridiction constitutionnelle, le Bundesverfassungsgericht, par un arrêt de 2006, plusieurs fois confirmé par la suite pour d’autres Länders pour, en gros, les mêmes raisons que celles retenues par la juris-prudence de la Cour de justice dans cette matière. Toutefois, la Cour constitutionnelle avait pris le parti de ne pas annuler la législation en cause, mais de donner au législateur un délai jusqu’au 31 décembre 2007 pour la mettre en conformité. Elle avait, en effet, considéré que le législateur avait différentes pos-sibilités devant lui et qu’il fallait éviter un vide juridique dans une matière dans laquelle certaines restrictions pouvaient être justifiées. Elle avait toutefois posé à ce sursis des conditions précises. Pour sa part, la Cour administrative du Land de Nor-drhein-Westphalen avait jugé la loi du Land contraire tant à la loi fondamentale qu’au droit de l’Union. Mais elle avait estimé qu’il fallait procéder comme l’avait fait antérieurement la Cour constitutionnelle et laisser au législateur un délai. Saisi de son côté, le tribunal administratif de Cologne se demandait si c’était possible dès lors qu’avait été expressément constatée la non-conformité de la loi non seulement à la Constitution, mais aussi au droit de l’Union. C’est de cette question qu’il saisissait la Cour de justice. Celle-ci, après un long rappel de la jurispru-dence Simmenthal, de ce qui en découle qui n’étonnera guère, et de sa propre jurisprudence sur la limitation des effets dans le temps de ses arrêts, se borne à répondre que « à supposer même que des considérations similaires à celles sous-jacentes » à sa propre jurisprudence « soient de nature à conduire, par analogie et à titre exceptionnel, à une suspension provisoire de l’effet d’éviction exercé par une règle de droit de l’Union direc-tement applicable à l’égard du droit national contraire à celle-ci, une telle suspension, dont les conditions ne pourraient être déterminées que par la seule Cour, est à exclure d’emblée, en l’occurrence, eu égard à l’absence de considérations impérieuses de sécurité juridique propres à justifier celle-ci ». On aura évi-demment connu la Cour de justice plus constructive…Toujours est-il que l’on a pu raisonnablement conclure de son arrêt que la Cour n’excluait pas, par principe, le maintien à titre transitoire d’une législation incompatible avec le droit de l’Union, même si elle paraissait de toute évidence ne pas mani-fester pour cette possibilité un grand enthousiasme73. Comme on a pu le faire remarquer, le maintien à titre provisoire et dans des conditions clairement définies d’une législation nationale

72 CJUE, gr. ch., 8 sept. 2010, aff. C-409/06, Winner Wetten : Rec. CJUE 2010, I-08015.

73 AJDA 2010, p. 2305, M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat.

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incompatible avec le droit de l’Union peut néanmoins s’avérer justifié, comme peut l’être l’édiction de mesures transitoires pour l’application d’une directive même quand son délai de transposition est expiré74. Il en va ainsi lorsqu’une telle légis-lation est, dans son principe, admissible au regard du droit de l’Union, mais incompatible dans ses modalités. S’il est vrai que le secteur des jeux ne se prêtait peut-être pas le mieux à une évolution jurisprudentielle de ce type, il est plus d’un cas où la mise à bas radicale d’une législation nationale fondée dans son principe est dommageable, ne serait-ce que parce que cela crée des situations difficilement réversibles.Fort heureusement, le cours normal des affaires a donné à la Cour de justice l’occasion de revenir sur la question et d’ap-porter quelques précisions bien venues dans un contexte, il est vrai, particulier par rapport à l’affaire Winner Wetten, mais qui pourrait avoir des prolongements. C’est le Conseil d’État de Belgique qui a amené la Cour de justice à approfondir sa réflexion. Il avait été saisi de recours contre le Code de l’eau de Wallonie, transposition d’une partie de la directive de 1991 sur la pollution de l’eau par les ni-trates. Après que la Cour de justice avait jugé qu’il s’agissait d’un plan ou d’un programme au sens de la directive 2001/42, relative à l’éva-luation des incidences des plans et programmes, le Conseil d’État avait dû se pencher sur la question de savoir quelles conséquences il fal-lait tirer de ce que celui-ci n’avait pas fait l’objet d’une évaluation environnementale. Il se trouvait devant la situation paradoxale suivante : le Gouvernement wallon avait entendu transposer la directive de 1991 et avait pris à cet effet des mesures que tout le monde s’accordait à considérer comme correctes. Au surplus, cette transposition était intervenue après que la Belgique avait été déclarée en manquement, faute de transposition. Les me-sures en cause avaient été mises en œuvre en pratique. Pourtant il lui fallait annuler l’arrêté pour défaut d’étude d’impact. Telle est la raison pour laquelle il demandait à la Cour de justice s’il pouvait aménager sa décision de manière à ne pas créer de vide juridique qui serait revenu à priver de nouveau la directive de toute mesure de transposition.La Cour de justice, dans son arrêt du 28 février 2012, Inter-En-vironnement Wallonie et Terre wallonne75, donne une réponse qui doit être approuvée. Elle admet le maintien provisoire par la voie d’une sorte d’autorisation donnée au Conseil d’État sous de strictes conditions : d’une part, l’acte attaqué devant le juge national doit être « une mesure de transposition correcte » de la directive ; en deuxième lieu son annulation créerait un vide juridique, ce qu’il appartient au juge national de vérifier à partir

74 RFDA 2009, p. 201, B. Genevois.75 CJUE, gr. ch., 28 févr. 2012, aff. C-41/11, Inter-Environnement Wallonie et

Terre wallonne.

de son contenu même, dès lors que certaines dispositions pour-raient peut-être avoir comme portée d’éviter ce vide ; enfin, le maintien ne peut durer que le laps de temps strictement néces-saire à l’adoption des mesures permettant de remédier à l’irré-gularité. Une telle solution est dictée par la sécurité juridique puisqu’elle permet de stabiliser les mesures réglementaires ou individuelles déjà prises sur la base du Code de l’eau.

26 - Ces questions devront un jour ou l’autre être traitées dans leur ensemble. La réalité juridique s’accommode mal en effet de solutions par trop dogmatiques même si l’ardente obligation d’une application uniforme du droit de l’Union doit toujours être gardée présente à l’esprit.C’est ce que montre bien l’affaire Société Techna où le Conseil d’État français avait décidé de suspendre un décret de trans-position d’une directive relative à l’étiquetage des produits ali-mentaires compte tenu des doutes qui étaient apparues quant à la légalité de celle-ci, doutes qui avaient conduit la High Court d’Angleterre à saisir la Cour de justice à titre préjudiciel. Ce

décret prévoyait des mesures tran-sitoires. Après la confirmation par la Cour de justice de la validité de la directive et après le rejet consécutif du recours pour excès de pouvoir par le Conseil d’État, le décret au-rait dû s’appliquer immédiatement, mais cela aurait privé les entreprises du bénéfice de la période transitoire qu’il avait prévue. Le Conseil d’État a donc décidé de reporter la date

d’effet de son arrêt. Mais de ce fait la date de transposition s’est trouvée largement dépassée. Le Conseil d’État justifie sa solu-tion en disant que « doivent être conciliés, d’une part, l’objectif de sécurité sanitaire que poursuivent les nouvelles dispositions et l’obligation de pourvoir à la transposition d’une directive communautaire et, d’autre part, le principe de sécurité juri-dique, reconnu tant en droit interne que par l’ordre juridique communautaire » qui implique que les entreprises bénéficient d’une période d’adaptation qui était prévue dès le début76.Tels sont les principes applicables tant dans le droit constitu-tionnel français que dans le droit de l’Union.Ces quelques remarques, qui sont bien loin d’épuiser le sujet, montrent, je crois, que par des voies différentes, sous des appel-lations souvent différentes aussi, et dans des systèmes fort éloi-gnés, on retrouve une même et ardente préoccupation : assu-rer le délicat équilibre entre l’action des pouvoirs publics et le besoin d’un minimum de stabilité des relations juridiques. n

76 CE, réf., 29 oct. 2003, n° 260768 : Rec. CE 2003, p. 422. - CE, sect., 27 oct. 2006, n° 260767 : Rec. CE 2006, p. 451 ; RFDA 2007, p. 265, F. Séners ; RFDA 2007, p. 596, T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; AJDA 2006, p. 2385, C. Landais et F. Lénica ; D. 2007, p. 621, P. Cassia ; JCP G 2006, I, 201, n° 9, B. Plessix ; JCP G 2006, II, 10208, note S. Damarey ; JCP A 2007, 2001, F. Melleray ; LPA 2 janv. 2007, p. 3, F. Chaltiel ; Procédures, comm. 281, S. Deygas.

« Une même et ardente préoc-cupation : assurer le délicat équi-libre entre l’action des pouvoirs publics et le besoin d’un mini-mum de stabilité des relations juridiques. »

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« S’il y a entre vous une confiance réciproque, que celui à qui on a confié quelque chose la restitue » (Extrait du Coran, sourate Al-Baqara, verset 273)

Introduction

1 - La sécurité juridique et la modernisation du droit consti-tutionnel. - Pendant les quelques dernières décennies, le droit constitutionnel a été marqué par une nouvelle ère résultant de divers facteurs qui ont été mentionnés par la jurisprudence1; ce qui a engendré une évolution remarquable de la justice consti-tutionnelle. En effet, la plupart des pays ont établi des cours constitutionnelles qui font en sorte que la loi respecte les valeurs et les règles énoncées dans les Constitutions. Ces cours ont pu, pendant un laps de temps très court, mettre en place des juris-prudences complexes dont les dimensions sont très importantes et qui ont profondément marqué le droit constitutionnel. Elles ont énormément contribué dans la relecture des divers systèmes juridiques en écartant les études comparatives traditionnelles dans la mesure où ses domaines de spécialisation se chargent du contrôle et de l’analyse des différentes branches de la loi. En effet, il s’avère que l’ensemble de ces branches trouve son origine, d’une manière ou d’une autre, dans la Constitution. Il est évident que ces jurisprudences puisent leur importance du fait que l’activité de ces cours soit étroitement liée au domaine du droit de l’homme et des libertés des individus. Il s’agit d’un domaine qui a sollicité l’intérêt croissant de l’opinion publique dans la plupart des pays et sur le plan international. Cet intérêt est dû à plusieurs facteurs liés à la notion de l’État de droit qui est fondé sur l’obligation de respecter les droits et les libertés des individus au point de nommer certaines de ces libertés des droits fondamentaux. On peut constater cela à travers les titres des publications qui étudient « les libertés générales » qui sont devenues dès lors « les libertés fondamentales ».

1 V. Renouveau du droit constitutionnel, Mél. L. Favoreu : Dalloz, 2007. - F. Hamon et M. Troper, Droit constitutionnel : LGDJ, 2007, 3e éd., p. 26. - P. Jan, Traité de droit constitutionnel : 2012. - B. Cuberttafond, Crise posi-tiviste et renouveau sociologique du droit constitutionnel. (d’autres droits constitutionnels) : www.droitconstitutionnel.org/.

Cet intérêt se manifeste également par le biais d’un nombre important d’études approfondies portant sur « l’État » qui ont révélé que ce dernier n’est pas uniquement un simple cumul de divers éléments (un peuple, un territoire et une autorité poli-tique) mais également un ensemble d’éléments moraux (l’idée de l’État, la culture…)2.Il est à rappeler aussi que les études constitutionnelles ont mis en relief de nouveaux sujets lorsque certains domaines ont bénéficié d’une analyse pertinente et ce, en ce qui concerne les droits de l’homme et le droit parlementaire ainsi que les conflits constitutionnels…

2 - Ainsi, certains juristes ont filé la métaphore entre les étapes de l’évolution du droit constitutionnel et les quatre saisons3 ; ce droit serait à présent au printemps même si certains croient qu’il traverse un passage à vide4…sans évoquer d’autres des-criptions évoquées pour citer ce que le droit constitutionnel subit régulièrement.

3 - Cependant, il est clair que le droit constitutionnel aspire à encadrer la pratique de l’autorité politique. Il est également évident que le monde de la politique a tendance à s’écarter des règles imposées par la législation, qu’elles soient instaurées dans la Constitution ou par les diverses lois et réglementations. C’est dans ce sens que nous pouvons déduire que le droit constitu-tionnel demeure, dans plusieurs de ses domaines, « un droit qui n’est pas suffisamment contrôlé »5 a contrario des autres branches de la loi et ce malgré sa remarquable évolution…

4 - Il ne s’agit pas ici de traiter d’une façon pointue les aspects instables ou les facteurs de changement qui menacent le fonde-ment principal et théorique du droit constitutionnel, mais nous allons mentionner un ensemble d’outils et de méthodes qui ont été créés afin de lutter contre cette instabilité, notamment la notion de la sécurité juridique émise par la jurisprudence et le droit allemand. Désormais, cette notion s’est propagée pour atterrir dans divers domaines du droit constitutionnel contrai-rement à d’autres notions et valeurs de ce droit dont la mise en place a été plus longue.

2 P. Haberle, L’État constitutionnel : Economica-Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2004. - G. Burdeau, L’État : Seuil, 1970.

3 F. Delpérée, le renouveau du droit constitutionnel, Mél. L. Favoreu, op. cit. note (1), p. 227.

4 B. Cubertafond, op. cit. note (1).5 Ph. Ardant et B. Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel :

LGDJ, 2011, p. 16.

PREMIER vOLET : LA SÉCURITÉ JURIDIqUE ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L’ÉTAT DE DROIT1RE CONFÉRENCE : LE POINT DE vUE DES JUGES CONSTITUTIONNELS ET EUROPÉENS

Le Conseil constitutionnel et la sécurité juridique

abdelmadjid djebbar,maître de conférences,expert auprès du Conseil constitutionnel, Algérie

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5 - S’il devient possible, à présent, de révéler le secret de l’éclosion

de la notion de la sécurité juridique et sa ratification par le droit

positif et le droit constitutionnel, il n’en demeure pas moins que

cerner ses limites et déterminer son aspect demeurent une tâche

difficile. À vrai dire, cela est souvent le cas des « notions fonc-

tionnelles » qui ne peuvent être ni limitées par les théories ni

encadrées par les définitions ; tel est le cas de certaines notions

du droit général, notamment les notions de l’intérêt public, des

activités du gouvernement et des circonstances exceptionnelles.

Cette idée est confirmée par l’un des jurisconsultes qui souligne

que « la sécurité juridique nourrit l’ensemble des branches du

droit » dans la mesure où le droit vise, dans son essence, à ins-

taurer le plus de sécurité et de stabilité au sein de la société. Ain-

si, le droit se caractérise par une sécurité qui y est ancrée. Dans

ce sens, le Parlement, l’Administration, et le légiste doivent agir

dans un contexte dont les caractéristiques correspondent à ceci.

6 - De ce point de vue, le Conseil constitutionnel se charge de

faire respecter la Constitution et il a, donc, pour mission « d’as-

surer » les pratiques qui s’y passent à travers son contrôle des ac-

tivités du Parlement en particulier. Dans ce sens, le Conseil a pu

effectivement mettre en place des outils procéduraux et légaux

pour observer des déformations, des déséquilibres, des contra-

dictions et des violations présentes dans les textes juridiques

qui lui sont exposés afin de s’en débarrasser. Nous nous posons

ainsi la question suivante : est-ce que le Conseil constitutionnel

en Algérie reconnaît et saisit la notion de la sécurité juridique ?

Ou bien, est-ce que le Conseil constitutionnel algérien a déjà

utilisé cette notion ou du moins quelques-uns de ses contenus ?

1. La notion de la sécurité juridique entre la reconnaissance et la consé-cration

7 - Une première approche nous permettrait de confirmer que

le fondateur de la Constitution ignore la notion de la sécurité

juridique étant donné que cette expression n’existe ni dans la

Constitution ni dans les autres documents constitutionnels de

référence. Cependant, l’analyse des applications connues de ce

principe à travers le droit et la jurisprudence du droit comparé

a révélé que ses domaines d’application sont larges. L’analyse

a également démontré qu’il est difficile d’examiner le principe

d’une façon indépendante6 des autres principes comme par

exemple le caractère non-rétroactif des lois, la protection des

droits acquis, les consignations légitimes ainsi que l’ensemble

des valeurs qui aspirent à défendre les droits fondamentaux des

individus7. À partir de ce principe, il n’est pas étonnant qu’il

soit facile d’observer les applications du principe et sa défini-

tion. Ainsi, malgré l’absence du terme de façon manifeste, il est

possible de mémoriser ses applications à travers les attitudes

mêmes du fondateur de la Constitution ainsi que les documents

de référence.

6 V. B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fon-damentaux : LGDJ, 2002, p. 704.

7 Ce chevauchement entre les normes et les principes serait probablement la raison qui a fait que certains juristes qualifient ce principe juridique comme étant un principe fédérateur, B. Mathieu et M. Verpeaux, op. cit. note (6), p. 705.

Hôtel SHeraton, StaoUeli, alger

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

A. - La sécurité juridique dans la Constitution algérienne

8 - Comme nous l’avons précédemment cité, la Constitution ne se réfère pas à ce principe explicitement. Il est à préciser égale-ment qu’on n’en trouve aucune trace dans tous les composants de l’ensemble des références constitutionnelles. Cependant, l’utilisation de certaines expressions et certains termes par le fondateur constitutionnel démontre que la sécurité juridique n’est pas une idée tout à fait absente de la Constitution. À vrai dire, il s’agit d’une idée évidente dans la mesure où chaque loi aspire à assurer la stabilité des relations et des situations sociales.

9 - D’une part, l’évolution remarquable du système juridique fondé sur le principe de la défense et la protection des droits de l’homme et de ses libertés, et ce à l’échelle mondiale, a influen-cé les institutions nationales qui n’ont pas pu résister contre l’étendue de ce phénomène. Il est clair que l’Algérie a rejoint la plupart des conventions et des accords internationaux liés à ce sujet. Par conséquent, les empreintes d’un tel engagement appa-raissent bien évidemment dans le contenu de la Constitution et l’ensemble des lois, notamment le Code pénal, le Code de la procédure pénale, le droit civil, la loi électorale, etc.

10 - Par ailleurs, l’étendue de la théorie de l’État de droit et tout ce qui s’ensuit, plus précisément l’accès à la voie de la codifica-tion sur le plan international, est devenue l’un des enjeux les plus importants pour la majorité des pays en voie de développement qui appliquent la primauté de la loi et préservent les droits et les libertés individuels. Il est évident qu’une telle renommée a non seulement influencé la régularité des institutions gouvernemen-tales mais également la culture juridique nationale en Algérie, et ce malgré un contexte caractérisé par un passage particulier où le terrorisme et d’autres éléments essayent d’affecter la stabilité et la sécurité des citoyens ainsi que leurs droits et libertés.

11 - Outre ces éléments connus, nous pouvons citer d’autres obligations sécuritaires requises dans un contexte complexe dû à la modernisation qui a touché tous les aspects de la vie et ce, sur le plan interne ou externe. Ces éléments se caracté-risent par leur périodicité et leur instabilité. Pour appuyer cette idée, il serait judicieux de citer les crises périodiques en relation avec l’économie mondiale en plus de la remarquable évolution des découvertes scientifiques et les relations internationales et l’ensemble de ses conséquences.

12 - Finalement, ces facteurs ont été marqués par une autre évo-lution qui touche la régularisation de la vie sociale et politique à travers la mise en place d’un réseau de lois et de réglementations complexes. En conséquence, il a été nécessaire de mettre en place de nouveaux organismes et de nouvelles institutions pour être au courant de ces nouveautés. Ces raisons ont contribué à libérer le système juridique de toute forme de contradiction et d’ambiguïté.

13 - Même s’il demeure difficile de préciser et d’observer ces aspects dans la Constitution, le phénomène de la sécurité ju-ridique peut être déduit du Préambule de la Constitution qui énonce explicitement ce qui suit : « La Constitution est au-des-sus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et

libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l’exercice des pouvoirs. Elle per-met d’assurer la protection juridique et le contrôle de l’action des pouvoirs publics dans une société où règnent la légalité et l’épa-nouissement de l’homme dans toutes ses dimensions ».

14 - Ce paragraphe est d’une richesse culturelle et intellectuelle rarement évoquée dans les Constitutions des autres pays. Il se réfère à un ensemble de notions et de valeurs étroitement liées à la sécurité juridique. Le principe de la légitimité, de la protec-tion juridique, de la protection des droits et libertés individuels et collectifs et le principe du contrôle sous toutes ses formes représentent une référence à la notion de l’État de droit et l’en-semble des obligations requises généralement par la sécurité et l’assurance d’un point de vue strictement juridique.

15 - D’autres mesures constitutionnelles s’associent au contenu de ce paragraphe de référence afin de contribuer à la sécurité juridique ; notamment l’article portant sur les droits et les liber-tés fondamentales du citoyen et les mesures énonçant la non-rétroactivité des lois en matière de droit pénal, etc.

B. - La sécurité juridique, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale

16 - La décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 2012 relative au contrôle de la loi électorale8 représente une décision importants dans la mesure où elle intègre la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » à l’ensemble de la masse constitu-tionnelle qui a été validée par un référendum. Le Conseil consti-tutionnel se réfère à cette décision comme étant « l’expression explicite de la souveraineté du peuple (…) qui occupe une place plus importante que celle des lois organiques et ordinaires (…) ».

17 - Certes, il ne s’agit pas d’analyser l’attitude du Conseil constitutionnel par rapport à l’une des questions les plus per-tinentes concernant la Constitution9, mais plutôt de se pencher sur le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation na-tionale qui offre non seulement des mesures pour la protection des droits des individus mais également des garanties contre les aspects qui menacent la stabilité, la sécurité, et les droits des individus ainsi que leurs libertés. En outre, la place remarquable qu’occupe cette Charte au sein de l’échelle juridique témoigne de la pertinence de ce texte juridique.

2. La sécurité juridique et la jurispru-dence du Conseil constitutionnel

A. - Remarques

18 - Selon le diagramme proposé par M. Bertrand Mathieu10, ardent défenseur du principe de la sécurité juridique, nous pou-vons analyser ce principe selon deux axes principaux : la nature

8 JO n° 2, 15 janv. 2012.9 V. A. Djebbar, La hiérarchie des normes dans la jurisprudence du Conseil

constitutionnel : Rev. IDARA, ENA, 2011, n° 2, p .7-48.10 B. Mathieu et M. Verpeaux, op. cit. note (6), p. 705.

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de la loi et les prévisions de cette dernière. Le premier axe exige les notions suivantes relatives à l’accessibilité, l’efficacité et l’ef-fectivité et le deuxième axe fait appel à la non-rétroactivité des lois, la protection des droits acquis, la confiance légitime ainsi que la stabilité des relations contractuelles.

19 - Certes ce diagramme explique le contenu du principe de la sécurité juridique ainsi que ses règles et principes, mais il n’expose ni l’ensemble de ses applications ni les concepts fon-damentaux nécessaires à tout système juridique et politique.

20 - Il est à rappeler que l’évolution des systèmes juridiques varie d’un pays à un autre et que ces derniers se présentent d’une ma-nière différente. Le degré de différence ne se manifeste pas uni-quement au niveau des systèmes anglo-saxons, germaniques et de ceux de l’Europe de l’Est mais également au sein d’un même groupe. Cette différence est indiscutable ainsi que la variation de l’évolution. Par conséquent, admettre que les systèmes juri-diques des pays en voie de développement sont encore en cours de construction demeure l’un des fondements théoriques et pratiques qui ne doit pas être igno-ré. En principe, s’interroger sur le contenu des textes ainsi que sur les décisions juridiques pour confir-mer que ces pays adoptent cette no-tion et l’appliquent en tant que l’un de leurs principes a l’air d’être une tâche accessible. Cependant, saisir une notion ne s’opère pas toujours à travers son adoption, sa reconnaissance ou sa consécration. D’ailleurs, il y a de fortes chances que les textes constitution-nels soient mis à l’écart ou ignorés à cause de leur manque de légitimité. Ces textes seraient, ainsi, une simple utopie qui ne pourrait qu’affecter l’État constitutionnel.

21 - Ce constat révèle donc des situations différentes et dé-montre, en même temps, une interaction et une influence entre les divers systèmes juridiques. Dans ce sens, l’évolution du droit constitutionnel, à l’échelle mondiale, représente l’un des exemples les plus pertinents dans l’entraide juridique mondiale. Peter Häberle souligne, dans son livre « l’État constitutionnel », que les pays en voie de développement, qui essayent de suivre l’évolution de la situation constitutionnelle mondiale, font des efforts remarquables pour trouver le juste milieu entre leurs réa-lités et les systèmes juridiques11. Il est clair que cette tâche est difficile à réaliser et exige beaucoup de temps pour sa mise en place car le droit demeure un phénomène social qui ne peut que refléter la réalité dans laquelle il a vu le jour.

22 - D’autre part, les pays développés se distinguent par l’évolu-tion remarquable de leurs systèmes juridiques qui représentent, à présent, une masse consistante composée d’un ensemble de règles juridiques. Cette richesse résulte de la variété des voies et des intérêts ainsi que de leur interaction et contradiction. Cette situation a exigé l’invention et la mise en place de nou-veaux systèmes de contrôle et des outils de coordination pour

11 P. Häberle, L’État constitutionnel : Economica, p. 18.

résoudre les points conflictuels et contradictoires. Parmi ces

mécanismes, nous pouvons citer le principe de la répartition

des compétences, le principe de la conservation de l’équilibre

institutionnel, le principe de la séparation des pouvoirs, le prin-

cipe de gradation des lois et finalement l’ensemble des principes

liés à la notion de l’État de droit et de la démocratie.

23 - En fonction de toutes ces remarques, nous pouvons dire

que le Conseil constitutionnel algérien a adopté des attitudes

qui correspondent fortement à la notion de la sécurité juridique.

B. - L’attitude du Conseil constitutionnel concernant la notion de la sécurité juridique

24 - Le Conseil constitutionnel n’a ni évoqué ni défini, dans sa

juridiction, la notion de la sécurité juridique. Ceci impliquerait

que ce sujet n’a pas été l’une de ses priorités. Toutefois, nous ne

pouvons pas confirmer que le Conseil a écarté les avantages de

ce principe, ses applications et ses

conséquences à partir du moment

où ce dernier se charge principa-

lement de vérifier la correspon-

dance des textes de lois qui lui sont

exposés aux valeurs et principes de

la Constitution. Il se charge égale-

ment d’assurer cette compatibilité

tout en analysant l’ensemble des

valeurs normatives et les éléments qu’il a conclus à partir de ses

propres interprétations de la Constitution.

25 - À partir de ce principe, nous pouvons avancer que le Conseil

constitutionnel a déjà traité certaines idées étroitement liées à

la sécurité juridique tout en précisant son attitude envers cette

notion. Dans ce sens, il est possible d’organiser ces attitudes à

partir de principes et de notions fondamentales qui riment avec

la démocratie, la légitimité, la notion de l’État de droit, la sépa-

ration des pouvoirs et l’équilibre institutionnel. Le Conseil s’est

également appliqué pour que le texte issu de ses décisions soit

clair et respecte le principe de la répartition des compétences et

la gradation des règles juridiques ainsi que d’autres principes

visant directement la notion de la sécurité juridique.

1° Les principes de référence fondamentaux de la sécurité juridique dans la juridiction du Conseil constitutionnel

26 - Le Conseil constitutionnel a accordé de l’importance à un

ensemble de principes et de notions fondamentales et ce à tra-

vers ses premières décisions. Cet ensemble de principes résulte

de l’État de droit et de la démocratie. Cette idée est appuyée par

la première décision du Conseil qu’il a revendiquée plusieurs

fois : « L’exercice de ce droit (électoral) ne peut pas être unique-

ment l’objet de restrictions nécessaires dans une société démo-

« La référence du Conseil consti-tutionnel à la société démocra-tique n’est pas un acte anodin qui vise à embellir le texte sur le plan lexical. »

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cratique, pour protéger les libertés et les droits mentionnés dans la Constitution, et la garantie de son effet total »12.

27 - La référence du Conseil constitutionnel à la société démo-cratique n’est pas un acte anodin qui vise à embellir le texte sur le plan lexical ; il s’agit de créer un lien direct avec les droits et les libertés des individus. Cette attitude reflète parfaitement l’adop-tion d’un droit politique fondamental qui n’est pas uniquement lié à la démocratie, mais également à l’État de droit dans la me-sure où ce dernier aspire à assurer et à protéger ces droits.

28 - Le Conseil constitutionnel a non seulement mis en valeur les principes liés à la démocratie et à l’État de droit, mais il a éga-lement insisté à plusieurs reprises sur le principe de séparation des pouvoirs : « Vu que le principe de séparation des pouvoirs exige que chaque pouvoir exerce sa juridiction dans le domaine que la Constitution lui a attribué »13.

29 - Et si le Conseil constitutionnel a accepté de déclarer le prin-cipe14, il avait, à vrai dire, comme objectif d’activer le principe de la répartition des compétences entre les pouvoirs, en d’autres termes le principe qui permet de garantir les droits fondamen-taux. Il faut également préciser que le Conseil a adopté les deux principes dans des décisions rédigées pour favoriser leur effecti-vité. Par ailleurs, il n’a cessé de confirmer que « la loi est l’expres-sion de la volonté publique »15 et « (…) elle ne peut engendrer l’inégalité entre les citoyens ».16

30 - En dernier lieu, le Conseil constitutionnel a eu d’autres posi-tions, notamment dans ses conclusions relatives au projet de loi concernant le remaniement constitutionnel en confirmant ce qui suit : « (…) n’affecte guère les principes généraux qui régissent la société algérienne, les droits de l’homme et ceux des citoyens ainsi que leurs libertés, et il n’affecte en aucune manière les équilibres fondamentaux des pouvoirs et institutions constitutionnelles ».17

31 - En effet, cet avis en soi exige une étude approfondie et sus-cite en même temps des questions constitutionnelles très im-portantes qui représentent la pierre angulaire de tout système

12 Cons. const., déc. n° 1-K-K-MD, 20 août 1989, relative à la Loi électorale. - Cons. const., déc. n° 5/R.M.D/11, 22 déc. 2011, relative au contrôle de la conformité de la loi organique qui précise comment répandre la représenta-tion de la femme dans le Conseil, ainsi, le Conseil constitutionnel a précisé que « le principe de la séparation des pouvoirs exige que chaque pouvoir définisse son travail dans les limites imposées par la Constitution ».

13 Cons. const., déc. n° 2-K.K -MD, 30 août 1989, relative à la loi fonda-mentale du député. - Cons. const., déc. 18 déc. 1989, relative à la liste du Conseil populaire national. - Cons. const., déc. n° 1- R.K -M.D, 28 août 1989, relative au règlement interne du Conseil populaire national : « Vu que le rédacteur de la Constitution a établit le principe de la séparation des pouvoirs comme étant un élément essentiel dans l’organisation des pouvoirs publics ... et Vu qu’un tel choix implique que chaque juridic-tion a le pouvoir de régir et contrôler son règlement interne… »

14 il est à préciser ici que les fondateurs de la Constitution n’ont pas énoncé le principe de la séparation des pouvoirs, mais le Conseil constitutionnel l’a déduit en étudiant l’organisation des autorités.

15 Cons. const., déc. 30 août 1989, préc.16 Avis n° 4/R.M.D, 22 déc. 2011, relatif au contrôle de la conformité de la Loi

organique qui précise les cas qui contredisent la responsabilité parlemen-taire : JO n° 1, 14 janv. 2012.

17 Avis n° 01/08, 7 nov. 2008, relatif au projet de loi concernant le remanie-ment de la Constitution. - Avis n° 1/R.T.D/, 3 avr. 2002, relatif au projet de remaniement de la Constitution.

constitutionnel basé sur le principe de l’État de droit et de la démocratie. Il est évident que ces principes mentionnés ci-des-sus interagissent pour garantir l’harmonie des relations sociales pour instaurer la sécurité et la stabilité.

32 - Cette simple observation des positions du Conseil constitu-tionnel nous permet de constater rapidement que son objectif est d’instaurer une certaine stabilité des relations juridiques et de fournir un minimum d’équilibre pour les centres juridiques.Cependant, cette extension législative et cette action juridique du Conseil constitutionnel demeurent encore à l’étape de la construction et de la formation. Si le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à confirmer et à rappeler ses positions sur certaines questions essentielles et constitutionnelles, c’est parce que leur mise en place exige l’association de plusieurs facteurs ; sans ou-blier que la discipline des institutions ne cède pas facilement à la souveraineté de la loi comme cela a été précédemment indiqué.

2° Les nécessités de la sécurité juridique dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

33 - Le juge constitutionnel a pu non seulement en déduire cer-tains des principes fondamentaux qui régissent l’activité des pouvoirs publics, mais il a également pu mettre en place un ensemble de règles qui gèrent en particulier le bon fonction-nement du travail législatif. On pourrait croire que cela reflète l’application du principe de la sécurité juridique. À vrai dire, le juge a pu maîtriser l’ensemble de ces dispositions en se basant sur ces fonctions de contrôles qui lui permettent d’approcher les textes tout en veillant à respecter la Constitution. Mais, ces textes doivent contenir les éléments nécessaires pour la cohé-rence lexicale, l’accessibilité et la clarté sémantique.

34 - Pour vérifier cela, nous pouvons citer certains cas relatifs à la législation du Conseil constitutionnel.

35 - Dans sa décision du 13 janvier 2001 et en se basant sur le prin-cipe de la répartition des compétences, le Conseil a, tout d’abord, précisé que « le législateur a introduit des provisions de la Consti-tution et de la loi organique ainsi que le règlement interne des deux chambres du Parlement » pour en déduire que : « Transférer l’intégralité de certaines provisions de la Constitution, de la Loi, et du Règlement interne des deux chambres du parlement et/ou transférer leur contenu ne représente pas une forme de législa-tion mais est considéré comme un simple transfert »18

36 - Non seulement le juge constitutionnel n’a pas refusé le transfert lexical et sémantique, mais il a également démuni cet acte de tout caractère législatif. Juridiquement parlant, ce texte législatif manque de normativité ; il ne peut donc pas être consi-déré comme un acte légal. Cette forme d’adaptation pourrait correspondre à la notion de sécurité juridique.19

18 Avis n° 12/R.K./, 13 janv. 2001, relatif au contrôle de la constitutionnalité de la Loi contenant la loi fondamentale du membre du parlement : les dis-positions de la jurisprudence constitutionnelle algérienne, 2001, n° 6, p. 9.

19 Avis n° 9/R.N.D/M.D/99, 22 nov. 1999, relatif au contrôle de la conformité du règlement interne du Conseil populaire aux dispositions de la Constitu-tion : les dispositions de la jurisprudence constitutionnelle algérienne, 1999, n° 4, p. 25.

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37 - Le Conseil s’est arrêté à plu-sieurs reprises sur les expressions ambiguës qui peuvent être inter-prétées de plusieurs manières. Dans ces cas, le Conseil a parfois déclaré la discordance des dispositions lé-gislatives20. Il a également exprimé ses réserves quant à l’utilisation du terme par le législateur21 et il a même rédigé à nouveau la disposi-tion législative sous contrôle22.

38 - En citant certains de ses points de vue les plus pertinents, le Conseil constitutionnel s’est basé sur le principe de la gradation des lois qui résulte de l’État de droit ainsi que le principe de la légalité. Il a ainsi déclaré : « Le législateur a opté pour l’organi-sation des formules de la loi organique, objet de la déclaration, selon une chronologie relative à la parution des textes législatifs, contrairement à ce qu’énonce la règle de la gradation des lois ; on doit remédier à cela ».

39 - Ensuite, il a conclu en précisant la nécessité de : « (…) réorganiser les formules de la loi organique, objet de la décla-ration »23.

40 - Concernant le même sujet, et en évoquant sa décision du 8 janvier 2012, mentionné ci-dessus, et au cours de son examen établi pour vérifier l’adéquation de l’utilisation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, le Conseil constitu-tionnel a concentré ses efforts sur le principe de la gradation des normes législatives. L’expression suivante témoigne de la pertinence de ce qui a précédé : « (…) La Charte pour la paix et la réconciliation nationale a été recommandée lors d’un referen-dum qui représente l’expression directe de la volonté souveraine du peuple. Ainsi, on lui attribue, dans l’échelle de la gradation

20 Par ex. avis n° 01/R.K.A./, 5 févr. 2004, relatif au contrôle de la confor-mité de la Loi organique des élections constitutionnelles à la jurisprudence constitutionnelle : les dispositions de la jurisprudence constitutionnelle algé-rienne, 2001, n° 6. - Avis n° 02/R.M.D/07, 23 juill. 2007, relatif au contrôle de la conformité de la Loi organique des élections constitutionnelles à la jurisprudence constitutionnelle : les dispositions de la jurisprudence consti-tutionnelle algérienn , 2007, n° 12, p. 17.

21 Avis n° 04/R.M.D/11, 22 déc. 2011, relatif au contrôle de la conformité de la Loi organique qui précisent les cas de discordance avec les dispositions parlementaires de la Constitution : JO n° 1, 14 janv. 2012.

22 Avis n° 10/R.N.D/, 13 mai 2000, relatif la conformité du règlement interne du Conseil populaire national à la Constitution : les dispositions de la juris-prudence constitutionnelle algérienne, 2000, n° 5, p. 9.

23 Avis n° 10/R.M.D/07, 23 juill. 2007, relatif au contrôle de la conformité de la Loi organique contenant l’ajournement des élections pour renouveler les conseils populaires et municipaux de la Constitution : la jurisprudence constitutionnelle algérienne, 2007, n° 12, p. 13.

des règles législatives, un rang supé-rieur à celui des lois organiques et ordinaires, compte tenu de la diffé-rence de la procédure de prépara-tion, d’approbation et de contrôle constitutionnel »24.

41 - Nous pouvons ainsi conclure que le Conseil constitutionnel s’est basé, sous contrainte, avant l’adop-tion du principe de la gradation des

normes législatives sur le référendum ; étant l’expression de la volonté souveraine du peuple pour pouvoir par la suite définir le rang de la Charte dont la supériorité sur les autres lois orga-niques et ordinaires a été mise en relief. Le Conseil a également adopté le principe de la répartition des compétences et ce d’une manière indirecte et implicite. Cette capacité analytique cor-respond sans aucun doute à l’État de droit et est donc liée au contenu de la sécurité juridique.

42 - En guise de conclusion, le Conseil constitutionnel a évoqué des questions législatives très pertinentes qui sont étroitement liées à la masse constitutionnelle, à l’état législatif et constitu-tionnel du référendum et bien sûr au principe de la gradation des normes dans la jurisprudence. En d’autres termes, le Conseil s’est référé d’une manière intelligente et fluide à un sujet fonda-mental concernant le système juridique en Algérie.25

43 - Évoquer la sécurité juridique attire désormais l’attention autour de nous et dans certains pays en voie de développement car elle représente un indice qui reflète l’aspect international qui caractérise le droit constitutionnel. Ce sujet demeure cependant une preuve des tentatives des autres pays pour ne pas s’écarter de l’évolution des pays développés qui commencent à manifes-ter leur malaise quant aux conséquences négatives concernant la base juridique. Si le premier groupe de ces pays essaye vrai-ment de ne pas perdre le fil de cette évolution concernant la pro-tection des droits et des libertés individuelles et la promotion de l’activité juridique, cela ne signifie pas que ces derniers ont adopté la notion de la sécurité juridique et qu’ils l’appliquent. Cette situation n’exclut toutefois pas le fait que ces pays utilisent les méthodes et les outils législatifs qui assurent les centres juri-diques et la stabilité des échanges législatifs. n

24 Avis 01, 8 janv. 2012, relatif à la conformité de la Loi organique des parties politiques : JO n° 2, 15 janv. 2012.

25 V. A. Djebbar, La hiérarchie des normes dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit. note (9). - A. Djabbar, Les travaux du Parlement et le principe de gradation des normes législatives : Rev. de l’intellect parle-mentaire, Conseil national, 2012, n° 26, pp. 22-46.

« Évoquer la sécurité juridique at-tire désormais l’attention autour de nous et dans certains pays en voie de développement car elle représente un indice qui reflète l’aspect international qui carac-térise le droit constitutionnel. »

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Introduction

1 - Je commencerai par cette citation du professeur Maurice Hauriou qui écrivait dans son précis de droit public « chaque loi est une chaussée publique bien pavée sur laquelle on peut marcher avec assurance »1.La sécurité juridique est un principe du droit qui a pour objectif de protéger les citoyens contre les effets secondaires néfastes du droit, en particulier des incohérences, ou la complexité des lois et règlements, ou leur changement trop fréquent.

2 - Historiquement, ce principe né en Allemagne a trouvé sa reconnaissance internationale avec la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes dès 1962, dans l’arrêt Bosch du 6 avril 19622. En 1981, cette même Cour rendait l’arrêt Dürbeck dans lequel elle évoquait le principe de confiance légi-time proche de celui de sécurité juridique3. Quant au conseil d’État Français il a procédé à un revirement de jurisprudence modifiant sa position antérieure en consacrant le principe de sécurité juridique au niveau du droit interne.C’est donc un principe ancien convoqué à nouveau face à l’in-flation et l’instabilité normative, comme le constate le rapport du Conseil d’État Français pour 1991 : « quand le droit bavarde le citoyen ne lui prête qu’une oreille distraite »4.

1 M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public : Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2002, 12e éd.

2 CJCE, 6 avr. 1962, aff. C-13/61, Bosch : Rec. CJCE 1962, 00089.3 CJCE, 5 mai 1981, aff. C-112/80, Dürbeck : Rec. CJCE 1981, 01095.4 EDCE 1991, p 20.

Le président du Conseil constitutionnel français a été encore plus sévère dans son allocution lors des vœux au président de la République en janvier 2005 en pointant du doigt « la loi qui hésite, tâtonne, bafouille ».

3 - La sécurité juridique s’appuie essentiellement sur les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle est en quelque sorte le corollaire du droit à un procès équi-table ; elle protège contre l’arbitraire et répond à l’aspiration sociale à la sécurité faisant intervenir deux organismes différents avant la promulgation de la loi : le Conseil d’État lors de l’élabo-ration de la loi intervenant à titre consultatif et au contentieux, le Conseil constitutionnel comme juge constitutionnel dans le but de préserver la sécurité juridique.La sécurité juridique est une notion vague et polymorphe ab-sente de la Constitution algérienne. La jurisprudence du Conseil d’État s’en est indirectement référée pour asseoir les contraintes imposées au législateur dans la production de la loi.

4 - Le contrôle du juge constitutionnel et du juge administra-tif sur la loi s’est considérablement développé dans les années récentes. Pour le Conseil constitutionnel, l’événement qui a activé le contrôle de constitutionalité a été la révision constitu-tionnelle de 2008. Quant au Conseil d’État, il rend chaque année plusieurs avis au Gouvernement, et rend également, au conten-tieux, plusieurs décisions tranchant des questions importantes de droit. Cette évolution peut susciter des divergences, dans l’interprétation des textes législatifs, à éviter, en souhaitant que les jurisprudences de ces deux institutions convergent.

1. Les missions du Conseil d’État

5 - Cette Haute juridiction intervient, lors de l’élaboration de la loi, en tant qu’organe consultatif pour le Gouvernement et en tant que juridiction. Les préoccupations du Conseil d’État, lors de l’examen d’un projet de loi, portent sur la qualité du droit, sur le respect de

PREMIER vOLET : LA SÉCURITÉ JURIDIqUE ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L’ÉTAT DE DROIT2E CONFÉRENCE : LE POINT DE vUE DES JUGES ADMINISTRATIFS

La jurisprudence du Conseil d’état et le concept de sécurité juridique

Kamel FenniCHe, président de chambre au Conseil d’État, Algérie

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la hiérarchie des normes et sur l’efficacité et l’effectivité de son avis :- L’effectivité du droit est son application concrète dans les faits.- L’efficacité du droit est son aptitude à atteindre concrètement

les objectifs qui lui ont été assignés, à savoir, sur la société, les effets escomptés plutôt que les effets pervers.

- Est effectif ce qui produit un effet ; est efficace ce qui produit l’effet attendu.

A. - Le Conseil d’État veille à la qualité du droit

6 - En vertu de l’article 119 de la Constitution, les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Dans cette procédure le Conseil d’État n’intervient pas comme juge administratif mais comme conseiller du Gouver-nement. La mission du Conseil d’État lors de l’examen du projet consiste à veiller à : - la qualité de la rédaction : le Conseil d’État veille à ce que

le projet de loi soit rédigé dans une langue correcte et com-préhensible par le plus grand nombre de lecteurs possible. La clarté de la loi est un élément essentiel de la sécurité juridique ; elle découle de l’article 122 de la Constitution algérienne. Une dis-position législative incompréhen-sible est inapplicable ;

- le texte doit être concis et sa dé-composition en articles doit cor-respondre à la nature des ques-tions traitées ;

- le projet de loi doit contenir des dispositions normatives et non pas des déclarations sans effet juridique ;

- le Conseil d’État vérifie que le texte proposé exprime sans am-bigüité les intentions du Gouvernement ;

- enfin, le Conseil d’État s’efforce de prévoir et de prévenir les difficultés d’interprétation et d’application du texte.

B. - Le respect de la hiérarchie des normes

7 - Le Conseil d’État vérifie que le projet de loi n’est pas en contradiction avec des normes supérieures à la future loi. Il s’ef-force de soulever spontanément tous les problèmes juridiques posés par le texte.Le premier problème de hiérarchie concerne la constitutionna-lité des lois : le Conseil d’État vérifie que le projet de loi n’est pas contraire à la Constitution.Le deuxième problème de hiérarchie concerne la compatibilité du projet de loi avec les traités internationaux.Le troisième problème de hiérarchie concerne la conformité des lois ordinaires aux lois organiques : une loi ordinaire ne peut méconnaître les dispositions d’une loi organique5.

5 Const. Rép. algérienne démocratique et populaire, art. 115.

C. - L’efficacité de l’avis du Conseil d’État au Gouvernement

8 - Le Gouvernement, en vertu de l’article 119 de la Constitu-tion, n’est pas juridiquement lié par l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi. Mais si l’objection du Conseil d’État concerne la compatibilité de la loi avec un traité ou une autre disposition de droit, cette objection est d’autant plus forte que le Conseil d’État, statuant au contentieux comme juge administratif, pourrait écarter la norme comme contraire.Un exemple pour illustrer l’efficacité de l’objection à l’occasion de l’examen d’un projet de loi qui contient une disposition qui fait revivre une prescription acquise : si le législateur fait fit de l’avis du Conseil d’État au contentieux, cette disposition sera écartée.

9 - La notion d’efficacité recherchée par le Conseil d’État à l’oc-casion des projets de loi entretient avec celle de sécurité juri-dique des rapports beaucoup plus intéressants. L’efficacité du droit et sa capacité à atteindre les objectifs qui lui ont été assi-gnés est la préoccupation majeure des magistrats.

10 - Le Conseil d’État s’efforce de prévenir les cas de discrimination. Lors de la création de l’article 104 de la loi de finances pour 20126 concernant les poursuites pénales, l’alinéa 2 de cet article, tel que rédi-gé, ne répondait pas aux exigences de la procédure mise en œuvre pour la saisine de la commission des infractions fiscales qui limitait les plaintes à certains impôts, à l’ex-

ception de celles portant sur les infractions relatives aux droits de garantie et droit de timbre. D’autre part, cette procédure ne prévoyait pas de débat contradictoire devant la commission.Le Conseil d’État a jugé cet alinéa discriminatoire en violation de l’article 29 de la Constitution du 26 novembre 1996 qui pré-voit que les citoyens sont égaux devant la loi. Le Conseil d’État avait émis un avis dans le but de revoir l’alinéa susvisé dans ses dispositions, pour être conforme à la Constitution et étendre la procédure pénale à tous les impôts directs, de taxes sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droit d’enregis-trement, de taxe de publicité foncière et de droit de timbre l’avis a suggéré également que le contribuable soit avisé de la saisine de la commission pour lui permettre de lui communiquer les informations nécessaires, avant qu’elle ne se prononce.

2. Les implications nouvelles dans le droit interne

11 - Il est souvent fait grief au droit fiscal algérien de ne pas ga-rantir aux contribuables un degré suffisant de sécurité juridique et qui concerne la stabilité de la norme, à ne pas confondre avec l’immobilisme.

6 L. n° 11-16, 28 déc. 2011, portant loi de finances pour 2012.

« La notion d’efficacité recher-chée par le Conseil d’État à l’occasion des projets de loi en-tretient avec celle de sécurité juridique des rapports beaucoup plus intéressants. »

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A. - L’amélioration de la qualité de la norme fiscale

12 - La loi de finances de 2012 a introduit une procédure proche de celle connue à l’étranger sous l’appellation de ruling. Il s’agit du rescrit fiscal, prévu par l’article 174 bis de la loi de finances. Ce dispositif offre un degré suffisant de sécurité juridique puisqu’il prévoit que l’administration ne pourra pas mettre en œuvre la procédure de répression à l’encontre des contribuables ayant consulté préalablement l’administration des impôts sur la portée d’un contrat ou d’une convention.Le Conseil d’État a toujours suggéré dans un but de sécurité juridique de rendre la loi fiscale plus facilement compréhensible pour les contribuables en raison du caractère technique des textes fiscaux qui peuvent être porteurs de difficultés d’inter-prétation. Le commentaire de la loi fiscale par l’administration est caractérisé par un abandon de ce détail qui nuisait à son intelligibilité.

B. - Rétroactivité et sécurité juridique

13 - L’article 2 du Code civil pose le principe selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir, mais il arrive que les lois de finances soient appliquées à l’année en cours. Par exemple, le fait générateur de l’impôt est fixé, pour l’impôt sur le revenu, à l’expiration de l’année civile et, pour l’impôt sur les sociétés, à la clôture de l’exercice, qui s’opère en général le 31 décembre. Il en résulte que la loi de finances pour l’année 2002 votée à la fin du mois de décembre 2001 s’applique en principe aux bénéfices réalisés pendant l’année 2001.Ce phénomène, parfois appelé petite rétroactivité de la loi de finances, est souvent critiqué, notamment lorsqu’elle est défavo-rable au contribuable. Celui-ci peut en effet être gêné de ne pas savoir exactement à quels taux exacts les opérations auxquelles il se livre seront taxées.

3. Le Conseil d’État dans ses attribu-tions contentieuses

14 - La jurisprudence du Conseil d’État est davantage centrée sur le respect du principe de sécurité juridique, en reconnaissant au citoyen certains droits. Ce principe n’est pas inconciliable avec le principe de légalité, du fait que ce principe juridique ait une valeur fondamentale non seulement à propos des sources du droit mais encore quant au contenu même de la règle de droit qui vise à protéger directement la sécurité juridique des citoyens contre les changements trop fréquents.

A. - La reconnaissance au citoyen de ne pas voir sa situation bouleversée par un changement de jurisprudence

15 - Ce faisant, dans un premier arrêt rendu sur le recours de l’appelant, le Conseil d’État exprime sa volonté de se référer à l’impératif de sécurité juridique.

Dans une affaire du 30 juillet 20127, l’appelant sollicitait l’annu-lation de l’acte de vente notarié enregistré et publié auprès de la conservation foncière, en date du 24 juin 1964, portant acquisi-tion d’une villa par X, aux motifs que cette vente était intervenue contrairement aux dispositions du décret 62.03 du 23 octobre 1962 et de ce fait la vente de la villa est nulle et non avenue.Le Conseil d’État considère que l’action en annulation d’un acte de vente nul ne saurait rester indéfiniment ouverte du fait que l’action en nullité se prescrit par 15 ans à partir de la conclusion du contrat. Il souligne également que l’appelant a lui-même enre-gistré et publié l’acte de vente, le rendant opposable aux tiers. Le Conseil d’État admet l’inertie de l’appelant pour ne pas consolider et stabiliser une situation non-conforme au droit mais il semble difficile de remettre en cause une situation 45 ans après les délais prescrits par l’article 102 du Code civil, au nom du principe de sé-curité juridique. Le Conseil d’État ne confirme pas l’arrêt attaqué.

B. - La limitation de la rétroactivité

16 - C’est notamment en matière fiscale que le Conseil d’État a limité les possibilités de rétroactivité de la loi. Dans une décision rendue le 8 novembre 2012, le nommé (Z) a saisi le tribunal d’un contentieux fiscal en vue de l’annulation du rôle le sou-mettant à l’I.R.G.8 et à la T.A.P.9 concernant les exercices 2005, 2006 et 2007. Il résulte du dossier que le requérant, dans le but d’exercer la profession de pharmacien, a bénéficié d’une déci-sion de l’agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes, en date du 8 août 2004, suivi d’une seconde décision en 2005 lui octroyant une exonération en matière d’ I.R.G. et de T.A.P. par application de l’ordonnance 31.96 du 30 décembre 1996 et ceci pour une période de trois années à compter de la date d’entrée en phase d’exploitation, soit pour les années 2005, 2006 et 2007. Que par rôle n° 39.2008, l’administration fiscale, qui avait expli-citement donné son accord pour l’exécution desdites décisions d’exonération par lettre datée du 18 août 2004, se rétracte et notifie au requérant le montant de l’I.R.G. et de la T.A.P. des exercices 2005, 2006 et 2007, au motif que son activité de phar-macien, qualifiée d’activité d’achat vente, figure parmi celles ne pouvant pas bénéficier des exonérations prévues par l’ordon-nance 03.01, conformément au décret exécutif n° 08.2007 du 11 octobre 2007 fixant la liste des activités exclues du bénéfice des exonérations sus indiquées. Que le tribunal, à bon droit et après avoir discuté les moyens soulevés par les parties, et no-tamment celui de la non-rétroactivité de la loi, a annulé le rôle litigieux en considérant que les avantages octroyés au sieur Z, concernant les années antérieures à la date de la promulgation du décret 08.2007, ne peuvent s’appliquer rétroactivement, tel que prévu par l’article 2 du Code civil.

C.- La portée rétroactive de la décision judiciaire

17 - Une décision qui se borne à préciser le sens d’une dispo-sition législative qui s’applique de plein droit à tout ce que les

7 CE, 30 juill. 2012, n° 63456.8 Impôt sur le revenu global.9 Taxe sur l’activité professionnelle.

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particuliers avaient pu faire sur la base de la jurisprudence a une portée rétroactive.L’arrêt rendu par la Cour suprême illustre bien ce cas, la Haute Cour reprochant aux juges du fond d’avoir fait une mauvaise interprétation de l’article 211 du Code de statut personnel qui ne contient que des dispositions générales et de n’avoir indiqué aucune procédure particulière pour révoquer la procuration faite par la mère à son fils. Qu’en conséquence, la révocation de la donation faite devant notaire est régulière. Peut-on considé-rer que cette jurisprudence a fait référence à l’impératif de sécu-rité juridique ou bien a-t-elle uniquement un effet déclaratif ?

D. - Sécurité juridique et atteinte à l’autorité de la chose jugée

18 - Le Conseil d’État a franchi un pas supplémentaire dans sa décision du 16 novembre 201210 à propos d’un logement ayant fait l’objet de plusieurs décisions juridictionnelles devenues dé-finitives. L’appelant remettait en cause, devant le juge adminis-tratif, la dernière décision en date, rendue par la Cour suprême le 12 mars 1990 ayant acquis l’autorité de la chose jugée, en met-tant en cause le président de l’APC, auteur de la décision de cession du logement.Le Conseil d’État dit, d’une part, qu’il ne peut occulter une décision devenue définitive, même ren-due par une juridiction de droit commun et que, d’autre part les droits du citoyen nés de décisions devenues définitives passées en force de chose jugée sont sau-vegardés et qu’on ne peut porter atteinte à l’autorité de la chose jugée. En conséquence, le Conseil d’État rejette les prétentions de l’appelant.

E. - Sécurité juridique et protection limitée des droits acquis

19 - Le Conseil d’État, dans cette affaire, rappelle que les actes acquis par fraude ne peuvent bénéficier d’une quelconque pro-tection. En l’espèce, la dame X s’est présentée à la Willaya de Constantine pour acquérir un local commercial en sa qualité d’artisan. Le 16 septembre 1997, le wali fait droit à sa demande, mais le 5 janvier 1998, il retire son premier arrêté au motif que la requérante est fonctionnaire et n’est donc pas titulaire de la carte d’artisan. Sur action de la requérante, la chambre adminis-trative de la Cour de Constantine annule l’arrêté n° 8, du 25 jan-vier 1998 portant retrait du premier arrêté en date 11 septembre 1997. Elle soulevait comme moyen les droits acquis et notam-ment les aménagements effectués au local commercial.Le Conseil d’État, après examen des éléments du dossier, constate d’une part que la dame est bien fonctionnaire à l’ins-titut de technologie de la santé, est détentrice d’une carte pro-fessionnelle n° 150/656 et est affiliée à la caisse de la sécurité sociale sous le numéro n° 071/699, et d’autre part non-titulaire

10 CE, 16 nov. 2012, n° 06679.

de la carte d’artisan. Par lettre en date du 18 novembre 1978, l’administration a invité la dame à produire les documents sus énoncés, en vain.Le Conseil d’État constate que les conditions qui ont présidé à l’édiction de l’arrêté d’attribution ne sont plus satisfaites d’une part, que les locaux étaient destinés aux artisans, d’autre part ; que la dame a dissimulé les faits et qu’en vertu de l’adage se-lon lequel la fraude corrompt tout, elle ne saurait se prévaloir de droits acquis, la fraude commise par la dame résidant dans la fourniture de faux documents et de fausses informations consistant dans la dissimulation de faits. Les premiers juges ont fait une mauvaise appréciation des faits. En conséquence, l’arrêt d’appel a été infirmé et l’action déclarée non-fondée.

F. - Le développement de la jurisprudence du Conseil d’État

20 - Il s’agit de la consécration d’un objectif de valeur consti-tutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. L’égalité devant la loi, énoncée par l’article 29 de la Constitution du 28 novembre 1996, et la garantie des droits ne seraient pas effec-

tives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des décisions du Conseil d’État et des règles qui leur sont applicables.Aussi la base documentaire, qui figure sur le site internet du Conseil d’État algérien, a pour vocation d’informer le public des activités du Conseil. Existent également les

commentaires des décisions du Conseil qui sont publiés dans la revue semestrielle du Conseil d’État, de sorte que, lorsqu’on lit la décision, on la comprend beaucoup mieux.

Conclusion

21 - Le principe de sécurité juridique répond au mouvement profond de complexité croissante du droit face au désordre du droit. Il apparaît comme le dernier recours auquel s’accrochent les juges pour maintenir un semblant d’ordre et permettre au droit de remplir la mission qui est normalement la sienne.On assiste dans beaucoup de pays à une prolifération des lois et des normes. Cela crée un véritable maquis juridique, complexe, peu compréhensible, face auquel les citoyens se trouvent le plus souvent désemparés.La réalisation du droit en général implique des rapports entre citoyens et administrations, dans un contexte d’État de droit balbutiant en cas de conflit. L’intervention des juridictions est le lieu privilégié d’insécurité juridique pour le monde des affaires.D’autant que la notion juridique dans le cadre d’une mondiali-sation en marche a débordé de la sphère strictement juridique pour embrasser la sphère économique. C’est pourquoi le rôle du juge administratif en particulier devient aujourd’hui déter-minant. n

« La base documentaire, qui figure sur le site internet du Conseil d’État algérien, a pour vocation d’informer le public des activités du Conseil. »

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1 - En droit administratif, plus encore peut-être que dans les autres branches du droit, la sécurité juridique est un concept « polysémique » : il inclut souvent la problématique de la stabili-té de la règle autant que celle de la sécurité des acteurs ; on y rat-tache parfois les enjeux de clarté et de lisibilité, d’accessibilité – si importante pour le droit continental – et, bien entendu, ceux de la prévisibilité de la règle de droit et de ses impacts sur les situa-tions juridiques existantes. Il recouvre des théories imbriquées : je pense, en particulier, à celles de la non-rétroactivité des lois et des droits acquis des citoyens. Les aspects mêmes de l’exigence de sécurité juridique pour les citoyens sont multiples : besoin de clarté, de connaissance des effets juridiques et de la date de ces effets, de prévisibilité. Et parfois contradictoires : besoin de stabilité des droits acquis, et besoin de droit au recours. Tant il est vrai que principe de légalité et principe de sécurité juridique s’opposent souvent, et en même temps se combinent : il suf-fit de recenser, comme je l’ai fait avant de venir, la production doctrinale administrativiste de ces dernières années sous cette thématique.

2 - En outre, le concept de sécurité juridique n’est, formelle-ment, pas né dans le droit administratif. Son origine est plu-tôt, à nos yeux, dans le droit européen, et, plus profondément, dans le droit allemand. Le droit administratif ne l’a importé que tardivement, et partiellement, aussi bien quant au champ d’application – la jurisprudence du Conseil d’État l’a longtemps cantonné au champ de la transposition du droit communau-taire – que dans son étendue, puisque l’importation a toujours rejeté – désaccord ou réticence résiduelle – sa version subjective du droit à la sécurité, nommé principe de confiance légitime.

3 - Encore, la jurisprudence et le droit administratif n’y sont al-lés qu’avec les encouragements du Conseil constitutionnel qui, en matière de rétroactivité des textes normatifs, de protection des contrats en cours et de stabilité des situations contractuelles, de validations législatives, a souvent montré le chemin – avec

d’ailleurs la même réticence que le Conseil d’État, puisqu’il n’y a pas reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe, comme vient de le rappeler Anne Levade1.

4 - Mon propos, cependant, ne sera pas de droit comparé (d’autres que moi, ici, y pourvoiront mieux que moi). C’est le cheminement du Conseil d’État que je vais essayer de montrer, en dégageant trois temps de l’évolution.Le temps, d’abord, de la présence implicite du principe de sé-curité juridique dans sa jurisprudence classique (1). Ensuite, la montée de la préoccupation de sécurité juridique devant les pratiques du législateur et de l’administration. Le Conseil d’État dans son rôle d’alerte des pouvoirs publics (2). Enfin, la der-nière période, qui est celle de la reconnaissance et de la consé-cration du principe dans la jurisprudence, avec des applications spectaculaires, encore isolées (3).

1. La sécurité juridique, un fonde-ment implicite de la jurisprudence du Conseil d’État

5 - A. - Tout occupé à construire sa cathédrale du principe de légalité, le juge administratif a toujours veillé à équilibrer la sou-mission de l’administration à ce principe par des considérations touchant, sans le dire toujours dans ces termes, à l’exigence de stabilité des règles de droit applicables ou à la garantie des droits des citoyens.C’est cet équilibre que recherchent les grandes jurisprudences du Conseil d’État, que vous connaissez.

6 - La première sécurité, pour un citoyen, est de connaître son droit. Il faut donc citer en premier le régime (jurisprudentiel au départ, et encore en partie aujourd’hui) de la publicité des actes administratifs, condition de leur opposabilité.Ensuite, on doit penser aux effets dans le temps de ces actes. La jurisprudence la plus directement topique, et j’y reviendrai dans un instant, est la jurisprudence sur l’abrogation et le retrait des actes administratifs : celle qui interdit à toute autorité adminis-trative de retirer, au-delà d’un certain délai, les actes créateurs

1 V. supra p. 8

PREMIER vOLET : LA SÉCURITÉ JURIDIqUE ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L’ÉTAT DE DROIT2E CONFÉRENCE : LE POINT DE vUE DES JUGES ADMINISTRATIFS

La sécurité juridique au point de vue du droit administratif

thierry Le roY, conseiller d’État, France

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de droits, même lorsqu’ils sont illégaux2, et celle qui énonce le principe général de non-rétroactivité des actes administratifs3.

7 - Mais il faut rattacher à la même préoccupation (au même principe caché ?) l’organisation générale du droit au recours contre les actes administratifs, qui s’est dégagée peu à peu de la jurisprudence, avant d’être codifié dans le droit positif : tout le régime des délais de recours, voire des recours administra-tifs préalables (le Conseil d’État a même publié voici quelques années un rapport sur les RAPO [recours administratifs préa-lables obligatoires]. C’était notre contribution à la réflexion sur les modes alternatifs de règlement des différends), et, de façon plus générale encore, toutes les sécurités de notre procédure contentieuse ; les mesures internes à la juridiction administra-tive destinées à prévenir les jurisprudences erratiques des degrés inférieurs de la juridiction administrative (les avis de l’ancien article 12) ; l’introduction puis l’extension de la pratique du référé, qui réduit l’incertitude liée au contentieux administratif et à sa durée.

8 - Il faut aussi mentionner ici la jurisprudence sur les substi-tutions de motifs, qui donne au juge de l’excès de pouvoir la possibilité de ne pas prononcer une annulation dans les cas où l’administration aurait pu prendre la même décision en se fondant sur les motifs non censurés ; la juris-prudence sur la substitution de base légale en cas de compétence liée. Ces jurisprudences sont très actuelles4.

9 - On trouve, dans la même veine, le souci de limiter les effets en chaîne des annulations : effets de l’annulation d’une déci-sion individuelle de nomination sur les actes, normatifs ou non, pris par l’autorité irrégulièrement nommée, avec la théorie des fonctionnaires de fait (on veut, là, tenir compte des situations dans lesquelles l’administré pouvait légitimement croire en un comportement déterminé de l’administration) ; absence d’effet, symétriquement, de l’annulation d’une décision réglementaire sur les décisions individuelles créatrices de droits prises sur le fondement de cette décision et devenues définitives (faute de recours dans les délais).

10 - Ce recensement ne sera cependant pas exhaustif si je ne mentionne pas la place prise également par la préoccupation de la sécurité juridique des administrés dans ce que nous appe-lons le plein contentieux : celui de la responsabilité, lorsque le juge administratif indemnise les victimes de renseignements fautifs ou de promesses non tenues ; celui des contrats adminis-tratifs, où la jurisprudence équilibre les droits d’adaptation ou de mutabilité de la puissance publique par la prise en compte des situations acquises, ou, plus récemment, par l’ouverture du droit de recours.

2 Depuis CE, 3 nov. 1922, n° 7401, Dame Cachet : Rec. CE 1922, p. 790.3 rappelé par CE, 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore : Rec. CE 1948,

p. 289.4 V. les enrichissements avec CE, 3 déc. 2003, Préfet de Seine Maritime c/

El Bahri. - CE, 6 févr. 2004, n° 240560, Mme Hallal : JurisData n° 2004-066277.

11 - B. - Dans toute cette jurisprudence classique, je voudrais m’arrêter un instant sur notre jurisprudence concernant le re-trait et l’abrogation – vous connaissez le sens de cette distinction – des actes administratifs, enrichie en 2001 par l’arrêt Ternon5.Elle combine deux théories ou principes de notre droit admi-nistratif : la non-rétroactivité des actes normatifs, et les droits acquis du bénéficiaire d’un acte administratif réglementaire ou individuel. On pourrait dire que la première illustre la préoc-cupation de la stabilité juridique, tandis que le second renvoie davantage à l’exigence de sécurité juridique.

12 - C’est principalement la notion de droits acquis qui fonde cette jurisprudence. Elle part d’une distinction entre les actes administratifs créateurs de droits, nécessairement individuels (tels que les nominations, ou les décisions accordées à ceux qui en remplissent les conditions, y compris, depuis une décision de 2009, celles qui accordent un avantage financier – comme les décisions de subvention), et les actes à simple effet de droit, non créateurs de droits (tels que les actes simplement déclaratifs, les autorisations de police, ou les décisions obtenues par fraude, ou les décorations). La frontière n’en est pas immuable (voir le cas des subventions).

13 - Le retrait (rétroactif, comme les annulations contentieuses) d’un acte est subordonné à son illégalité. Ce qui n’est que la traduction du principe de non-rétroactivité des

actes administratifs. Depuis 19226, notre jurisprudence l’avait enfermé, pour les actes créateurs de droits, dans le délai du recours (ou du jugement) contentieux. Nous avons explicité, avec l’arrêt Ternon7 qui a modifié ce délai, le lien avec les effets créateurs de droits (point de départ dès la prise de la décision individuelle, non plus de sa publicité ; durée : 4 mois au lieu de 2). Au contraire, pour les actes non créateurs de droits, le retrait, subordonné à leur illégalité, n’est enfermé dans aucun délai : comme celui des actes réglementaires, le retrait des actes individuels légalement pris, s’ils n’ont pas créé de droits, n’est soumis qu’au principe de non-rétroactivité.

14 - Jusqu’à tout récemment, le régime de l’abrogation des actes administratifs entrait dans la même logique : inapplication du principe de non-rétroactivité, mais plein effet du principe des droits acquis (l’abrogation d’un acte créateur de droits n’est possible qu’aux conditions d’illégalité et de délai définies par la jurisprudence Ternon8). Avec, il est vrai des cas particuliers (la jurisprudence admet, par exemple, que l’administration sup-prime un avantage financier soumis à condition lorsque cette condition n’est plus remplie).

15 - En somme, la sécurité, c’est celle des « droits acquis ». Dans un tel cadre, les actes réglementaires, au maintien desquels nul n’a droit, ne sont pas concernés par la sécurité juridique.

5 CE, 26 oct. 2001, n° 197018, Ternon : JurisData n° 2001-063051.6 V. CE, Dame Cachet, préc. note (2).7 V. CE, Ternon, préc. note (5).8 CE, Ternon, préc. note (5).

« La sécurité, c’est celle des "droits acquis". »

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C’est ce qui a commencé à faire problème dans notre ordre juri-dique lorsque la production normative a tendu à se dérégler.

2. La montée de la préoccupation de la sécurité juridique devant les dérè-glements de la production normative

16 - Du Conseil d’État, ou en marge du Conseil d’État, sont venues des alertes, depuis quelques années. Le Conseil d’État, conseil et légiste, pas seulement juge.

17 - A.- C’est, d’abord, l’instabilité juridique, normative, qui a été soulignée. En vingt ans, le Conseil d’État y a consacré deux de ses « études » ou « considérations générales » qui accom-pagnent son rapport d’activité annuelle (1991 et 2006).

18 - Dès 1991, est mise en cause la prolifération des textes. Le Conseil d’État met en garde les pouvoirs publics contre l’abus du recours à la loi, y compris pour des objets non normatifs, ou parce que ce recours n’est motivé pour leurs auteurs que par le retentissement médiatique recherché. Avec la croissance du nombre, vient la baisse de la qualité des textes : l’insuffisance des exposés des motifs, le besoin d’étudier au préalable l’impact juridique des projets de normes (cette préoccupation deviendra si forte qu’en 2008 l’obligation d’une étude d’impact accompa-gnant tout projet de loi a été inscrite dans notre Constitution).Dans le même élan, le Conseil d’État s’est attaché à souligner l’instabilité croissante des règles, dont la durée de vie se raccour-cit, au point parfois qu’on les modifie avant tout commence-ment d’application. J’ai remarqué qu’avec leur code des marchés par exemple, les Algériens connaissent cela aussi. Je pourrais citer, dans ma section de l’intérieur, les textes qui régissent le droit des étrangers, ou celui des collectivités territoriales, ou en-core de l’audiovisuel (mais je sais qu’il en va de même en droit fiscal ou de l’urbanisme), qui sont remis en chantier avec une fréquence quasi annuelle – avec une accélération d’ailleurs ces toutes dernières années. Dans cette frénésie normative, la ten-tation de légiférer ou réglementer de manière rétroactive vient naturellement, de sorte que le Conseil d’État recommandait par exemple, en 1991, que la valeur constitutionnelle du principe de non-rétroactivité des lois soit étendue du champ pénal tradi-tionnel au domaine fiscal.C’est aussi l’époque où, devant la dégradation de la substance même des textes normatifs, on a commencé à parler du « droit à l’état gazeux ».

19 - En 2006, le Conseil d’État revient à la charge, avec une étude plus fouillée des causes de ces phénomènes caractéristiques de la production normative contemporaine : les développements du droit communautaire, et, à partir de conventions internatio-nales comme celles du Conseil de l’Europe (la Convention EDH notamment), de jurisprudences qui contraignent le législateur ; les transferts et aménagements de compétences de l’État (qui nous ont conduit par exemple, à rendre un avis très circons-tancié sur l’étendue du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales), et tout ce qui pousse à faire des lois non norma-tives ; l’impératif de la communication médiatique, les pressions

incessantes des milieux professionnels et de l’opinion ; et, bien sûr, la force symbolique qui continue de s’attacher à la loi (utili-sée dans ce sens dans des domaines comme celui de la sécurité, de l’emploi, voire du sens de l’histoire – je pense à toutes ces lois « mémorielles » –, mais aussi du « droit au logement oppo-sable »). Le rapport parle, avec des adjectifs qualificatifs choisis, d’un législateur « contraint », « submergé », contourné ; d’un usager « égaré » ; de l’insécurité des opérateurs économiques (on est à l’époque du doing business), alors que monte le conten-tieux administratif économique ; et de juges « perplexes ». Ces observations débouchent sur un retour de la réflexion sur les questions de la sécurité juridique, à laquelle est consacré un chapitre de ce rapport 2006 (que j’ai communiqué aux organi-sateurs de la Convention).

20 - B.- Pour compléter cet aperçu sur la montée de la préoc-cupation de la sécurité juridique, je voudrais évoquer les tra-vaux commandés, dans la même période (2005, 2008) par des ministres particulièrement soucieux des difficultés de la sécurité juridique dans leur secteur. Deux domaines.

21 - Le premier, si emblématique, est le domaine fiscal, que je connais un peu pour avoir présidé pendant cinq ans une sous-section fiscale mais peu évoqué dans ce colloque, et où la sécu-rité juridique est un souci aussi bien du côté de l’administration fiscale (vis-à-vis du législateur fiscal), que du côté des contri-buables. Mais secteur particulier en ce qui concerne la produc-tion des normes, puisqu’elle est à la fois législative et « doctri-nale » (les circulaires et instructions de l’administration fiscale), et fort peu réglementaire. Dans un rapport publié en 2008 d’un groupe de travail présidé par Olivier Fouquet au ministre du Budget, on voit ainsi :- poindre l’idée qu’il faudrait désormais mieux discipliner le

législateur fiscal, par des dispositions contraignantes à inscrire dans une loi organique (la LOLF), voire dans la Constitution : obliger le législateur à toujours préciser la durée de validité d’une nouvelle dépense (niche) fiscale ; à réserver les disposi-tions fiscales aux lois de finances (on l’a fait par circulaire) ; à donner la même valeur constitutionnelle au principe de non-rétroactivité des lois en matière fiscale qu’en matière répressive ;

- une mise en cause de la rétroactivité en matière fiscale, dont on sait qu’elle revêt plusieurs aspects : la « grande rétroactivité », qui joue avec les lois de validation destinées à surmonter les conséquences des décisions de justice, ou avec les lois qu’on appelle « interprétatives » (pour donner une portée nouvelle, rétroactive, à une disposition législative déjà en vigueur) – qui ne devrait jouer que lorsqu’un motif d’intérêt général suffisant le justifie (c’est la jurisprudence du Conseil constitutionnel) ; la « petite rétroactivité », qui est liée au caractère rétrospec-tif de la loi de finances, dont les dispositions s’appliquent aux opérations faites au cours de l’année écoulée – difficile à remettre en cause ; enfin, la rétroactivité économique, qui joue en fait quand on modifie pour l’avenir un dispositif sur la base duquel un contribuable s’est engagé dans la durée en anticipant sa pérennité – qu’il faudrait combattre par l’énoncé à l’avance de la durée d’un nouveau dispositif ;

- surtout proposer un développement du « rescrit ». Le Code général des impôts comporte déjà, on le sait, un mécanisme

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de sécurisation de l’interprétation de la norme fiscale, en rendant opposable par le contribuable à l’administration fiscale la doc-trine publiée dès lors qu’il s’y est conformé, même et surtout si elle contredit la loi (on parle de la garantie contre les changements de doctrine de l’administration, aussi importants que les change-ments législatifs en matière fis-cale). À cette doctrine administra-tive « spontanée », il était proposé d’ajouter (ou développer) la possibilité de prises de position de l’administration sollicitées par le contribuable. Par « rescrit » fiscal, nous entendons deux choses : d’une part, l’obligation pour l’administration fiscale de répondre dans un délai donné, sous peine d’approbation réputée acquise, à un contribuable qui a besoin de connaître la qualification à retenir pour une situation de fait donnée (cela existe déjà pour les cas d’abus de droit) ; d’autre part, la possi-bilité pour le contribuable de consulter le fisc pour obtenir sa position sur un point de droit ou de fait.

Le rapport constate une forte demande de développement de la pratique et des possibilités du rescrit, qui est vu comme l’outil moderne de la sécurité juridique en matière fiscale, et propose de l’institutionnaliser davantage (notamment par l’organisation de mécanismes de recours contre les rescrits).

22 - Je serai plus rapide sur le second domaine où on a vu s’ex-primer fortement la demande de sécurité juridique pour les acteurs, qui est celui de l’urbanisme et des autorisations d’ur-banisme. Domaine intéressant, car on y trouve des besoins de sécurité des citoyens intéressés, en partie contradictoires.

23 - C’est aussi un rapport aux ministres intéressés qu’a été abor-dée, une fois de plus en 2005, la question de l’amélioration de la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme. Je dis, une fois de plus, parce que le législateur avait déjà beaucoup fait pour la stabilité des droits régulièrement acquis dans ce domaine, notamment par rapport au flux du contentieux qui le caracté-rise : obligation de notifier un recours contre une autorisation à son bénéficiaire ; prescription par six mois de la possibilité de soulever par voie d’exception certains moyens de forme ou de procédure l’obligation pour le juge de purger les autorisations contestées de toutes leurs faiblesses même non contestées… (modifications au Code de l’urbanisme qui datent de 1994) ; rôle du référé pour accélérer les solutions… Mais la difficulté là tient au besoin de sécurité juridique – parfois contradictoire - de toutes les parties. Le rapport examinait, pour les rejeter, di-verses propositions tendant à modifier les équilibres entre elles : modification des délais de recours, introduction de procédures de concertation préventive du contentieux, inspirées du droit comparé. Pour conclure que c’était de la qualité du droit appli-cable au fond (les plans d’urbanisme) que devait venir le salut, pour l’essentiel.Je cite ces réflexions car elles ont indubitablement préparé les évolutions de notre jurisprudence sur le principe de sécurité juridique.

3. La reconnaissance formelle du principe de sécurité juridique dans la jurisprudence administrative

24 - Depuis quelques années, le principe de sécurité juridique est expressément reconnu comme un principe général du droit (c’est-à-

dire de valeur législative dans notre hiérarchie des normes) par la jurisprudence du Conseil d’État.Cette novation s’est produite là où on observe le plus les diffi-cultés croissantes suscitées en pratique, dans nos sociétés plus complexes comme disait tout à l’heure Jean-Claude Bonichot9, par la rigidité de notre conception des effets dans le temps des actes réglementaires, qu’il s’agisse de ceux, illégaux, dont l’an-nulation entraîne des effets rétroactifs excessifs, ou de ceux dont l’entrée en vigueur immédiate a elle-même des effets excessifs, quasi-rétroactifs, sur des situations juridiques constituées (no-tamment les contrats en cours, mais aussi les autorisations qui prolongent durablement leurs effets dans le temps, comme en matière d’urbanisme).

25 - Dans les deux types de cas, parce qu’on est dans le domaine des actes réglementaires, joue normalement le principe selon lequel nul n’a droit au maintien d’un règlement. Il a fallu, pour le surmonter, faire de la sécurité juridique un principe général du droit.

26 - A.- On aura reconnu, dans le premier type de cas, la ju-risprudence dite «AC ! »10, qui a admis que, un peu comme le Conseil constitutionnel justifie une loi de validation par un motif impérieux d’intérêt général, et pour éviter que l’admi-nistration soit acculée à y recourir (comme c’était devenu trop fréquemment le cas) lorsque la balance entre la satisfaction du droit au recours que représente une annulation qui efface tout, d’un côté, et , de l’autre, les inconvénients des effets immédiats et rétroactifs de cette annulation sur des situations constituées dont le maintien peut correspondre à l’intérêt général, les juge-ments d’annulation pouvaient désormais comporter des modu-lations de leurs effets dans le temps, pour le passé voire pour l’avenir.

27 - Jurisprudence voulue d’abord comme exceptionnelle, limi-tée dans un premier temps aux cas de disproportion manifeste entre la nature d’une irrégularité (par exemple un simple vice de forme ou de procédure) et les conséquences pratiques d’une annulation immédiate ou rétroactive, cette jurisprudence a ce-pendant bien prospéré. Deux exemples de cette démarche : la prévention de l’annulation pour irrégularité de la composition de l’instance consultative (le Conseil supérieur de la fonction publique) tous les textes statutaires examinés par lui jusqu’à

9 V. supra p. 12 et s.10 CE, 11 mai 2004, 255886, Assoc. AC : JurisData n° 2004-066645 ; JCP G

2004, II, 10189, note J. Bigot.

« Parce qu’on est dans le do-maine des actes réglementaires, nul n’a droit au maintien d’un règlement. Il a fallu, pour le sur-monter, faire de la sécurité juri-dique un principe général du droit. »

4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

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l’annulation du décret fixant cette composition ; la sauve-garde de la légalité de marchés publics passés sans publicité ni mise en concurrence lorsque leur fragilité résulte de ce que le relèvement du seuil d’application de cette obligation avait été fait irrégulièrement11. Le Conseil d’État n’a d’ail-leurs pas tardé à étendre cette démarche de sécurisation aux effets des revirements de jurisprudence (eux aussi, en prin-cipe, dotés d’effets ab initio), dans le domaine du régime de recours dans le contentieux des contrats12.

28 - B. - L’autre type de cas d’explicitation du principe de sé-curité juridique a également fait l’objet d’un de nos « grands arrêts » récents13. À propos de l’application du nouveau Code de déontologie des commissaires aux comptes aux situations contractuelles en cours, il a été jugé qu’il incom-bait à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, « pour des motifs de sécurité juridique », les mesures transi-toires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle.

29 - La jurisprudence n’avait pas attendu le principe de sé-curité juridique pour distinguer, lorsqu’une règle nouvelle vient s’appliquer à des « situations régulièrement consti-tuées », ce qui peut être légalement modifié, ou ne peut

11 CE, 10 févr. 2010, n° 329100, Perez : JurisData n° 2010-000403, déci-sion qui se réfère explicitement au principe de sécurité juridique.

12 CE, 16 juill. 2007, n° 291545, Tropic Travaux signalisation : JurisData n° 2007-072199 ; JCP G 2007, II, 10156, note M. Ubaud-Bergeron.

13 CE, 24 mars 2006, n°288460, KPMG : JurisData n° 2006-069857 ; JCP G 2006, II, 10113, note J.-M. Belorgey.

l’être, par la règle nouvelle (par exemple la procédure de de-mande de permis de construire, mais non la validité du per-mis antérieurement délivré ; non, en principe, les contrats en cours, sauf lorsque la loi ou un impératif d’ordre public le veut : cas de la réglementation applicable aux contrats de travail, ou à la fixation des prix). Ce qui est nouveau, c’est non seulement que l’application immédiate (aux contrats en cours) d’un nouveau Code de déontologie soit reconnue comme justifiée par un impératif d’intérêt général, mais, surtout, que ce ne soit pas légalement possible sans égard à la sécurité juridique des co-contractants, concrètement sans que la réglementation nouvelle ne comporte les dispositions de droit transitoire appropriées. Il est d’ailleurs frappant de constater le trouble qu’a intro-duit cette référence au principe de sécurité juridique comme fondement, là où nos concepts traditionnels, on l’a vu, au-raient été le principe de non-rétroactivité ou les droits ac-quis : nombre de commentateurs les cherchent encore sous la jurisprudence nouvelle14. D’autres s’attachent – mais ce n’était pas mon propos ici – à retrouver les filiations, consti-tutionnelles, européennes ou plus généralement de droit comparé, de ce principe apparemment nouveau.Je dis « apparemment », car, vous m’aurez compris, je pense que sa formulation explicite sert seulement d’habillage à des adaptations qui se seraient de toutes façons produites. n

14 V. pour illustration cet article remarquable : S. Lasvignes, Droit tran-sitoire et sécurité juridique ou comment un nouveau principe peut raviver d’anciennes questions : Dalloz, Mélanges Daniel Labetoulle, 2007.

Hôtel SHeraton, StaoUeli, alger

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

1 - L’entreprise se trouve aujourd’hui face à de nouveaux défis juridiques, liés tant à la gestion du risque juridique interne à l’entreprise qu’à la gestion du risque juridique externe.Pour l’entreprise, l’objectif de la gestion du risque juri-dique est de réduire les coûts liés à l’application du droit, qu’il s’agisse d’une mise en conformité ou d’un risque de procédure contentieuse. Des risques croissants au sein de l’entreprise imposent au juriste d’entreprise et à l’avocat d’y apporter en amont des réponses adaptées. Selon qu’il existe ou non un service juridique dans l’entreprise, le recours à l’avocat ne répondra pas au même objectif. Toutefois, l’exis-tence d’un juriste interne à l’entreprise n’exonère pas celle-ci du recours à l’avocat. La décision d’externaliser la gestion des risques juridiques par le recours à un avocat externe est, en soi, une décision de gestion du risque juridique. La pré-sence d’un juriste interne déclenche d’ailleurs un recours plus fréquent à l’avocat car le juriste interne va permettre à l’entreprise d’avoir une meilleure appréciation du droit et une meilleure connaissance de ses risques. C’est ainsi qu’entre juristes d’entreprises et avocats, il y a complémen-tarité et non concurrence.

2 - Le Conseil national des barreaux et l’Association fran-çaise des juristes d’entreprises poursuivent ainsi un objectif commun, celui de renforcer la place du droit dans les entre-prises françaises et de développer le recours par les entre-prises aux professionnels du droit, tant juristes d’entreprises qu’avocats.Dans la gestion du risque juridique, le rôle de l’avocat consiste non seulement à défendre les entreprises lorsque leurs pratiques sont attaquées, mais aussi à intervenir en amont afin de prévenir les contestations. À cet égard, l’acte

d’avocat complète désormais l’arsenal juridique français. L’acte d’avocat est un acte sous seing privé, contresigné par un avocat, qui atteste ainsi avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de l’acte, et qui est tenu d’en garantir l’efficacité. La loi octroie de plus à l’acte d’avocat une force probante renforcée, ce qui a pour conséquence de réduire les possibilités de contesta-tions, et donc de procès. L’acte d’avocat est ainsi un instru-ment de prévention et de gestion des conflits, important en termes d’efficience économique et de diminution des contentieux soumis au juge. Une très grande partie des actes de l’entreprise ont intérêt à prendre la forme de l’acte d’avocats.

3 - Or, aujourd’hui, les entreprises multinationales sont confrontées à un nouveau défi majeur : le respect des droits de l’homme et le droit pénal international. Les entreprises font face à une nouvelle responsabilité, tout particulière-ment dans les zones de conflits où se commettent les plus importants crimes internationaux et dont les acteurs sont souvent financés par l’exploitation et l’exportation de res-sources naturelles. Si l’impunité a prévalu jusqu’alors, car il a longtemps été considéré que le droit pénal internatio-nal ne s’appliquait pas aux opérations commerciales des entreprises transnationales, depuis quelques années les cas de poursuites engagées à l’encontre de sociétés qui se sont rendues complices de violation des droits de l’homme se multiplient.Ont été dénoncées ces dernières années des entreprises soupçonnées d’avoir acheté des matières premières pour la production de téléphones portables auprès de fournis-seurs ayant obtenu ces matériaux dans des mines contrôlées par des forces rebelles dans la guerre civile en République démocratique du Congo qui donne lieu à de graves vio-lences de masses et à des abus systématiques des droits de l’homme. Récemment, une enquête du Wall Street Journal a révélé qu’une société française a fourni en 2008 au dictateur libyen du matériel de surveillance à distance des télécom-munications. Une plainte a été déposée auprès du procureur de la République de Paris à l’encontre de la société pour la vente illégale d’un important dispositif de surveillance à dis-tance destiné à traquer les forces rebelles et les opposants au régime.Il existe ainsi une pression accrue sur les grandes entre-prises qui les oblige à faire preuve de diligence raisonnable quant aux impacts réels de leurs opérations sur les droits de l’homme lorsqu’elles interviennent dans des zones de conflits ou des États fragiles.

ATELIER 1 - SyNTHèSE

L’entreprise et la gestion du risque juridiqueSous la direction de

bertrand debosque, avocat associé de la SCP Bignon Lebray Avocats, France, président de la Commission des affaires européennes et internationales du Conseil national des barreaux

Avec véronique abrouK, responsable juridique PPG, Algérie (AFJe)nadir aMMari, responsable juridique Miche-lin, Algérie (AFJe)Pascale ModeLsKi, avocate au barreau de Grenoble, France, vice-présidente du Conseil national des barreaux

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Les plus grandes institutions internationales se sont également saisies de la question. C’est ainsi que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU adoptait, le 16 juin 2011, les « principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme », présentés par le professeur John Ruggie, représentant spécial de l’ONU pour les droits de l’homme et les affaires. Cette série de principes visent à « contraindre » - du moins à inciter fortement puisqu’il s’agit de soft law - le monde des affaires à respecter et améliorer le respect des droits de l’homme dans la gestion et la pratique quotidienne des affaires.

4 - On relèvera notamment les trois principes suivants :- Toutes les entreprises ont pour responsabilité de respecter les

droits de l’homme ;- Les entreprises devraient formuler leur engagement de

s’acquitter de leurs responsabilités en matière de droits de l’homme ;

- Les entreprises devraient faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme afin d’identifier leurs inci-

dences sur les droits de l’homme, de les prévenir, d’en atté-nuer les effets, et de rendre compte de la manière dont elles y remédient.

Ces principes directeurs sont devenus un point de référence glo-bal pour les affaires et les droits de l’homme. À titre d’exemple, ils ont été incorporés dans un nouveau chapitre des lignes direc-trices de l’OCDE pour les entreprises multinationales ou encore par la Commission européenne dans sa nouvelle stratégie rela-tive à la responsabilité sociale des entreprises. Les entreprises doivent donc désormais mener de véritables en-quêtes face aux situations qui prévalent sur le terrain et évaluer les tenants et aboutissants des relations qu’elles tissent et qui sous-tendent leurs opérations commerciales, afin de prendre des mesures qui limitent les risques qu’elles encourent tant sur le plan légal que celui de leur réputation.Pour les juristes d’entreprise comme pour les avocats, une parfaite connaissance des questions juridiques que soulève ce domaine s’impose, afin d’aider les entreprises à mieux appré-hender les risques juridiques encourus.

1 - Il ne peut y avoir de développement économique s’il n’y a pas de sécurité juridique. Or, la sécurisation foncière est la première des sécurités juridiques car elle apporte aux populations une protection de leurs droits de propriété ou d’occupation. Cette sécurisation s’obtient, notamment, pour ne pas dire essentielle-ment, par la délivrance d’un titre (le titrement) qui est un outil de progrès économique et social. En effet, le titre est un moyen pour une personne de prouver son droit (de propriété ou d’oc-cupation). Or, si on ne peut pas prouver un droit, c’est comme si celui-ci n’existait pas !Mais la sécurisation foncière est l’affaire de tous les acteurs du foncier (juristes -anthropologues - géomètres - informaticiens -

urbanistes - architectes - politiques) car le foncier est à la croisée du droit, de l’économie et du social.

2 - Le titrement consiste dans la délivrance de titres conférant un droit d’usage ou de propriété sur des terres. Il est aujourd’hui défini comme « la matérialisation par l’autorité publique d’un droit sur un espace foncier au nom d’une personne ou d’une collectivité avec inscription de ce droit dans un registre pu-blic »1.C’est une démarche globale qui donne à l’organisation foncière une dimension stratégique pour la modernisation d’un pays ou d’une région. Sur le terrain elle repose sur trois piliers : - une identification précise et concrète de la propriété ; - un acte qui offre une sécurité juridique ; - un registre immobilier public et exhaustif.L’initiative est politique et le soutien de l’État est indispensable pour qu’elle puisse réussir. Le succès n’est possible que si elle

1 Citation de H. de Soto.

ATELIERS 3 ET 8 - SyNTHèSE

sécurisation foncière et titrementFacteurs de progrès économique et de progrès social

Pascal CHassaing, notaire, France

sébastien CoLLet, notaire, France

serge KrieF, notaire, France

Hugues MarCard, notaire, France

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1 - La quasi-totalité des participants à l’atelier étaient des natio-naux des pays de la rive sud de la Méditerranée. Au terme d’un tour de table, il apparut que le degré de familiarité avec la pra-tique arbitrale était très différent selon les participants. Leurs attentes l’étaient aussi, certains souhaitant que soit faite une présentation des traits essentiels de l’arbitrage, d’autres voulant débattre du développement de la pratique arbitrale. Ces deux aspects furent abordés successivement. Un troisième sujet s’im-posa au cours des discussions : la médiation.

2 - Les animateurs de l’atelier exposèrent brièvement les condi-tions requises pour soumettre valablement un litige à l’arbitrage et répondirent aux questions des participants.Me Ali Haroun, ancien ministre, fit un état des lieux de l’arbi-trage en Algérie, regrettant que le Centre de médiation et d’arbi-trage près la Chambre algérienne de commerce et d’industrie

(CACI) soit insuffisamment connu. Il insista sur l’utilité de l’arbitrage pour le règlement des différends internes.

3 - Il apparut rapidement que l’ensemble des participants était vivement intéressé par la médiation. Plusieurs d’entre eux in-diquèrent que les pays musulmans constituent culturellement un terrain particulièrement favorable au développement de la médiation.

4 - S’agissant des projets visant à développer l’arbitrage en Mé-diterranée, Me Lévis rappela que la création d’une cour d’arbi-trage méditerranéenne évoquée par l’Union pour la Méditer-ranée en 2008 apparaissait comme le complément nécessaire d’une charte multilatérale de promotion et de protection des in-vestissements dans cette région. Quant à savoir s’il est préférable de créer un nouveau centre d’arbitrage spécifique (projet iden-tifié au réseau de chambres de commerce ASCAME) ou plutôt de développer les relations entre les centres d’arbitrage existants (projet dit ISPRAMED), la totalité des participants à l’atelier se déclarèrent favorables à la seconde solution, du moins dans un premier temps. Le dynamisme de l’ISPRAMED fut d’ailleurs souligné par les participants algériens et marocains notamment.

ATELIER 4 - SyNTHèSE

L’arbitrage en MéditerranéeMarc Lévis, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, France

Mario CeLaYa, avocat, espagne

prend en compte les spécificités humaines du lieu où elle va être appliquée. À terme, c’est un levier de développement au service des citoyens.S’interroger sur le foncier et son lien avec l’économie est devenu une nécessité dans les pays méditerranéens dans la mesure où la spéculation est en contradiction avec un développement har-monieux et respectueux des droits existants. L’identification du propriétaire d’un bien reste en effet une difficulté et les notaires algériens, très présents dans cet atelier, ont fait part de la com-plexité des situations rencontrées sur le terrain.Le concept de titrement qui semble une évidence trouve son uti-lité en ce qu’il permet d’ouvrir la discussion avec les autres ac-teurs du foncier qui ne sont pas juristes. Il donne une méthode pour aboutir à la sécurisation foncière indispensable à la mise en valeur des richesses des pays de la Méditerranée.

3 - Un facteur de progrès économique, parce que l’organisation rationnelle de la propriété immobilière permet :- au titulaire d’un droit de propriété ou de jouissance de le don-

ner en garantie et, aussi, d’obtenir du crédit,- et à l’autorité publique de « lever » les impôts correspondants.

4 - Un facteur de progrès social, parce que la garantie de pou-voir rester chez soi, de pouvoir exploiter sa terre ou son usine, est le gage d’un climat social apaisé, permettant ainsi :- de respecter les droits de la femme et des enfants,- et d’accroître la sécurité alimentaire par la fertilisation des

terres.

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1. Le principe de la responsabilité pénale de la personne morale en Algérie

1 - Le législateur français a adopté le principe de la responsabili-té pénale des personnes morales dans le nouveau Code pénal de 1992 (C. pén., art. 121-2). Jusqu’en 2005, cette responsabilité ne s’appliquait que si un texte le prévoyait spécialement. À partir de décembre 2005, la responsabilité pénale des personnes morales s’est étendue et s’applique sans la nécessité d’un texte spécial. Cette responsabilité est encourue par toutes les personnes mo-rales à l’exception de l’État et des collectivités territoriales dont la responsabilité ne peut être engagée que pour des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public (C. pén., art 121-2). Mais toutes les autres personnes morales de droit public encourent une responsabilité pénale.

2 - L’Algérie a introduit la responsabilité des personnes morales dans son droit positif avec l’ordonnance du 9 juillet 1996 relative à la répression des infractions à la réglementation des changes modifiée par l’ordonnance du 19 février 2003. La loi n° 04-14 du 10 novembre 2004, modifiant et complétant le Code pénal, a prévu la responsabilité pénale de la personne morale dans de nombreuses infractions comme le blanchiment de capitaux en introduisant un nouvel article 51 bis qui stipule que la personne morale, à l’exclusion de l’État, des collectivités locales et des per-sonnes de droit public, est responsable pénalement, lorsque la loi le prévoit, des infractions commises, pour leur compte, par ses organes ou représentants légaux.Par conséquent, le législateur algérien a doublement délimité le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales qui ne concerne que certaines personnes morales et pour des infractions limitativement énumérées.L’ordonnance du 19 février 2003 sur la réglementation des changes et le Code pénal, amendé par la loi du 10 novembre 2004, ne prévoient que la responsabilité pénale des personnes morales de droit privé et exclut les personnes morales de droit public contrairement au droit français qui exclut uniquement l’État et les collectivités locales dans certains cas.

3 - Conformément à l’article 51 bis du Code pénal algérien, introduit par la loi du 10 novembre 2004, la personne morale, n’est responsable pénalement d’une infraction que lorsque la loi prévoit expressément que le comportement incriminé compte parmi les infractions entraînant la responsabilité des personnes morales. Mais la loi n° 06-23 du 20 décembre 2006, modifiant et complétant le Code pénal, a considérablement élargi la liste des infractions. L’Algérie a ainsi consacré le principe de spécialité de la responsabilité des personnes morales. Les infractions concer-nées sont celles contre la sûreté de l’État (C. pén. algérien, art. 96 bis) les infractions commises par les personnes contre l’ordre public (art. 175 bis) les infractions contre la foi publique (art. 253 bis) les infractions contre les personnes (art. 303 bis 3 et art. 321) les infractions contre les biens (art. 382 bis 1 et 417 bis 3) les fraudes dans la vente des marchandises (art. 435 bis).

4 - Mais face à l’importance prise par cette forme de répression dans le Code pénal, la législation pénale complémentaire et, en particulier, le domaine du droit pénal des affaires, n’a pas consa-cré la responsabilité pénale de la personne morale. En effet, hor-mis quelques infractions relevant de ce domaine pour lesquelles le législateur a prévu cette forme de responsabilité, telles par exemple les infractions en matière de lutte contre la corruption (L. n° 06-01, 20 févr. 2006) ou contre la contrebande (Ord. n° 05-06, 23 août 2005, modifiée), de nombreuses autres infractions, voire des disciplines entières demeurent encore hors du champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales. C’est ainsi que des textes importants pour la vie des affaires qui est indéniablement le domaine privilégié de l’activité des per-sonnes morales, comme ceux relatifs aux infractions douanières (C. douanes) ou bancaires (Ord. n° 03-11, 26 août 2003 relative à la monnaie et au crédit) ou encore celles relatives aux sociétés (C. com.) ignorent la responsabilité pénale des personnes.

2. Les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité pénale de la per-sonne morale en Algérie

5 - En droit algérien comme en droit français, la responsabilité pé-nale des personnes morales exige la réunion de deux conditions.

6 - En premier lieu, l’infraction doit être commise par un organe ou un représentant de la personne morale. Aussi bien dans l’ar-ticle 51 bis qui détermine le régime général de la responsabilité pénale de la personne morale que dans l’article 5 propre aux

ATELIER 5 - SyNTHèSE

La responsabilité pénale des personnes morales dans le droit pénal algérienserge MaCKoWiaK, magistrat de liaison fran-çais en Algérie

Frank nataLi, avocat, France

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

infractions de changes, la personne morale n’est responsable que des infractions commises par ses organes ou représentants.L’article 65 quater du Code de procédure pénale, introduit par la loi du 10 novembre 2004, définit le représentant légal de la per-sonne morale comme suit : « le représentant légal de la personne morale est la personne physique qui bénéficie conformément à la loi ou au statut de la personne morale d’une délégation de pouvoir ».Par cette définition restrictive, le législateur délimite davantage le champ d’application de la responsabilité pénale des per-sonnes morales qui ne concerne que les infractions commises par les dirigeants désignés par la loi, en l’occurrence le Code de commerce pour les banques ou par les statuts de la personne morale et qui ont bénéficié d’une délégation de pouvoir.Par conséquent, la personne morale ne répond que des infrac-tions commises, s’agissant d’une société par actions, soit par le

PDG, les administrateurs ou les directeurs généraux bénéficiant

d’une délégation de pouvoir conformément au Code du com-

merce, soit par une personne bénéficiant d’une délégation de

pouvoir en vertu des statuts de la personne morale.

7 - En second lieu, l’infraction doit être commise au nom et

pour le compte de la personne morale c’est-à-dire dans le cadre

de l’organisation et du fonctionnement de la personne morale,

d’où l’exclusion des fautes qui ne sont pas commises dans l’inté-

rêt de la personne morale.

8 - Il convient de souligner que la responsabilité pénale de la

personne morale n’exclut pas celle de la personne physique au-

teur ou complice des mêmes faits.

1 - Le droit au procès équitable ne s’arrête pas au moment où la décision de justice (pénale, civile ou administrative) est rendue.L’arrêt Hornsby contre Grèce, rendu le 19 mars 1997 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a véritablement érigé le droit de l’exécution forcée en droit de l’homme. Le droit à l’exé-cution forcée s’étend également à l’exécution des actes notariés, ce qui détache définitivement le droit à l’exécution du droit au procès équitable pour en faire un droit fondamental autonome.

2 - Les intervenants se sont attachés à démontrer, de façon très concrète, comment, chacune des professions qu’ils représentent

est confrontée à ce nouveau droit fondamental, manifestation d’ailleurs de la mondialisation du droit. Le public qui a participé à cet atelier était composé de professionnels de l’exécution : avo-cats, commissaires-priseurs et bien sur des huissiers de justice dont un grand nombre d’huissiers algériens avait fait le dépla-cement depuis leurs études.Me Mohamed Boushama a rappelé l’importance pour les huissiers de justice d’une formation continue de qualité et a posé la question du rôle du parquet dans la mise en œuvre des voies d’exécution.

3 - Se livrant à une sorte de jeu de rôle spontané, les animateurs de l’atelier se sont efforcés de démontrer que le fait d’entourer le droit de l’exécution des mêmes garanties que pour le procès équitable, aboutit à un équilibre entre les droits du créancier et la protection des droits légitimes du débiteur.

Quelques exemples :

ATELIER 7 - SyNTHèSE

L’exécution et le procès équitableManuel bosqué, avocat à la cour d’appel de Paris – barreau de Seine-Saint-Denis, France

Mohamed bousMaHa, huissier de justice, Algérie

Droits du créancier à l’exécution Protection des droits légitimes du débiteur

Droit de gage général sur tous les biens Protection de la vie privée et familiale

Existence de mesures adaptées à la nature des biens Protection des biens du débiteur

Liberté dans le choix des mesures d’exécution Protection des droits procéduraux du débiteur

Droit au concours du ministère public et au concours de l’État Droit à réparation en cas d’exécution irrégulière

Possibilité de demander des dommages - intérêts pour résis-tance abusive du débiteur

Possibilité pour le débiteur de bénéficier des délais de grâce

À partir d’exemples concrets tirés de leurs exercices profession-nels les intervenants et le public (participant activement) ont échangé sur leur pratique respective et les difficultés qu’ils ren-contraient quotidiennement.

4 - En conclusion, les intervenants se sont interrogés sur le thème de leur atelier au regard du thème plus général de la 4e Convention des juristes de la Méditerranée : la sécurité juri-dique. Le droit au procès équitable, appliqué aux procédures d’exécution, est apparu comme un facteur de sécurité juridique.

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Au plan économique, le marché est fondé sur des droits de propriété immobiliers, mobiliers et intellectuels et des contrats qui permettent leur circulation. Le droit, trop souvent négli-gé ou décrié, n’est pas l’ennemi du marché, ni un frein. Il en constitue l’armature indispensable pour assurer son bon fonc-tionnement et le réguler. Des droits reconnus et garantis, par une législation claire et stable et des contrats fiables, fondent la confiance des opérateurs, en réduisant les risques juridiques, et favorisent le développement.Au plan social de tels droits reconnus et garantis permettent à la population de sécuriser son habitat, d’accéder au crédit et de favoriser l’investissement et la création d’entreprises, constituant un facteur essentiel de paix sociale.À ce double point de vue, sécuriser les droits de propriété immobiliers et intellectuels, en réduisant les aléas juridiques, constitue pour toute société qui souhaite harmonieusement se développer un impératif.

1 - La sécurisation des marchés. - L’économie de marché se nourrit d’initiatives, d’incertitudes et de prises de risques économiques et financiers, facteurs d’innovation, de dyna-misme et de développement.Mais, pour exister et se développer, tout marché a besoin d’un environnement juridique sécurisé de nature à fonder la confiance indispensable à son bon fonctionnement.Il en est ainsi pour tout marché national où la reconnaissance de la propriété foncière privée et de la propriété intellectuelle et leur sécurisation sont essentielles pour permettre aux po-pulations urbaines et rurales de sécuriser leur habitat, leur outil de travail et de favoriser la création d’activités, l’inves-tissement, l’accès au crédit et le développement économique.Il en est également ainsi dans une économie de marché ouverte et globalisée qui ne connaît plus de frontières, dans laquelle les avancées technologiques ont aboli les distances,

A

DEUxIèME vOLET : APPROCHE PROFESSIONNELLE DE LA SÉCURITÉ JURIDIqUESyNTHèSE DE LA TABLE RONDE 1

Sécuriser les propriétés immobilières et intellectuellesFawzi MarreF, rapporteur général, notaire, Algérie

avec

Pascal CHassaing, notaire, France,

Mohamed CHériF, huissier de justice, Algérie,

Hossam LoutFi, professeur, Égypte

Patrice vidon, conseil en propriété industrielle, France

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démultiplié les connaissances, accéléré la vitesse des infor-mations et des échanges et dématérialisé les supports.Les acteurs économiques déterminent leur stratégie de développement et leur politique de production et d’inves-tissements en faisant fi des frontières et en assumant les risques économiques et financiers inhérents à tout marché, mais ils ont en horreur l’insécurité juridique, facteur d’aléas, de délais et de surcoût non prévisibles et non maîtrisables. La décision d’investir dans tel ou tel pays est donc souvent conditionnée par la qualité du système juridique du pays d’accueil et des garanties qu’il offre pour l’exercice par les opérateurs de leurs droits de propriété.

2 - La sécurisation du droit. - Les besoins économiques et sociaux, couplés à une offre en constante évolution - due au progrès de la science -, ont rendu les rapports contractuels de plus en plus variés et complexes et dont la formulation juridique est contenue dans un enchevêtrement de textes que le profane et parfois même le professionnel y trouvent des difficultés à en faire bon usage.En effet, l’inflation des textes et, parfois, la dégradation de leur qualité, ont suscité chez le praticien et le consomma-teur du droit la nécessité de mettre en place et d’observer des règles et mécanismes indispensables à sa sécurisation, afin de mieux protéger les droits des individus et, partant, à préserver l’ordre public et assurer la paix juridique.La sécurisation du droit implique la production de textes qui répondent aux critères de clarté, de lisibilité, de préci-sion, de traçabilité, de prévisibilité, d’efficience, d’effectivité et d’efficacité. Elle procède aussi du respect, notamment, de la hiérarchie des normes, de la stabilité des lois, de leur non-rétroactivité, de revirements jurisprudentiels raisonnables, et l’égal accès au droit.Ces grands principes sont - entre autres - une source directe de la sécurité des « droits » individuels, que la loi garantit dans différents domaines dont particulièrement la propriété intellectuelle et la propriété immobilière.Le droit de la propriété est un droit fondamental de l’individu. Il figure comme tel dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ce droit est garanti par de nombreuses Constitutions, y comprises celles du bassin méditerranéen.Cependant, ces garanties ne sont pas suffisantes par elles-mêmes, si elles ne font pas l’objet d’une mise en œuvre au travers de mécanismes juridiques appropriés. En l’occur-rence, en matière de transfert de propriété, l’efficacité de ces mécanismes juridiques se mesurera à la fiabilité de l’acte portant transfert de propriété qui - en principe - ne saurait être remis en cause dès lors que les formes prescrites par la loi auront été respectées.C’est donc au notaire qu’il échoit d’assurer l’efficacité juri-dique des actes qu’il instrumente. Il participe, à ce titre, à la garantie des droits de propriété, par la mise en œuvre notamment des règles de « formalisme » et de « publicité foncière », indispensables à la sécurité juridique dans tout transfert de propriété immobilière ou foncière.Sécuriser les propriétés immobilières et intellectuelles né-cessite donc dans un système juridique déterminé, d’amé-liorer la définition et la protection des droits de propriété privée, des contrats qui permettent à ces droits de circuler de manière sûre pour toutes les parties ou de servir de garantie et du système de publicité qui les rend opposables à tous, tout en leur assurant une parfaite information.

3 - La nécessité d’un système juridique fiable. - Un système juridique fiable, susceptible d’emporter la confiance des opérateurs économiques repose en matière de propriété immobilière sur quatre piliers :1) des droits de propriété déterminés, reconnus et garantis ;2) une identification précise des titulaires de droits de pro-priété, de la localisation et de la consistance des biens, objets et droits ;3) des actes de transfert qui offrent des garanties aux parties contractantes ;4) un mécanisme de publicité foncière reposant sur un re-gistre public fiable et à jour.C’est par le respect de ces règles et de ces mécanismes que la propriété immobilière se trouvera sécurisée et assurera la quiétude et la tranquillité au propriétaire actuel de ce droit, d’une part, et permettra au futur acquéreur une prévisibilité certaine quant à la protection de ses droits et de ses biens indépendamment des aléas du marché, d’autre part.Ainsi, au plan économique, le droit, qu’il s’agisse de droits de propriété ou de contrats nécessaires pour le faire circuler, est l’armature du marché. Il en assure le bon fonctionne-ment et sa régulation.Au plan social, disposer de titres de propriété fiables et non contestables, permet à la population d’être confortée dans ses droits. La paix juridique est source de paix sociale. Toutes deux contribuent à un développement économique stable et durable.Dans les pays développés, toute parcelle de terrain, tout bien bâti ou tout droit réel immobilier est constaté par un titre. Actuellement, les pays en voie de développement visent à at-teindre ce même objectif par la voie du « titrement » à l’effet de formaliser la propriété, la jouissance ou l’occupation du bien immobilier dont ils ont l’usage.L’intérêt - entre autres - est de voir ces titres se transformer en garantie réelle, leur permettant ainsi d’accéder au crédit hypothécaire. « La propriété doit être convertie en garantie, la garantie en crédit, le crédit en revenu » (Mme Ana Palacio, alors vice-présidente de la Banque mondiale).Une telle proposition peut amener le propriétaire à dévier de ses objectifs initiaux : sécuriser ses droits de propriété et ses biens, pour opter pour une solution du gain facile, et, partant, contribuer à la situation d’une situation de crise, semblable à celle générée par la pratique des sub primes aux États-Unis.Seule une législation rigoureuse régissant l’octroi de cré-dit assortie d’un mécanisme efficace de gestion des sûretés réelles, peut éviter une pareille catastrophe, voire atténuer de manière importante ses effets sur le marché immobilier.Un système de droit dans lequel le formalisme juridique est omniprésent en matière de transfert et de protection de la propriété immobilière, place impérativement le notaire au centre des opérations et exige de lui : conseil, impartialité et efficacité dans l’instrumentalisation de ses actes.Par sa qualité de juge en amont, de conciliateur des intérêts des parties et de garant de l’application de la loi, le notaire, de par ces fonctions, constitue une source directe de sécurité juridique en matière de propriété immobilière et une source de sécurisation du droit.Ainsi, de nos jours, le formalisme constitue l’espace de pré-dilection de la sécurité juridique moderne, particulièrement en matière de propriété immobilière.

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

La question de la sécurisation des moyens de paiement est un enjeu majeur pour le développement des relations éco-nomiques internationales. Elle l’est d’autant plus dans le contexte euro-méditerranéen dans la mesure où une part essentielle des flux économiques est mise en œuvre par des petites et moyennes entreprises (PME), particulièrement sensibles aux retards de paiement, et encore plus aux im-payés, notamment en période de crise économique.La plupart des pays disposent de mesures permettant de bloquer les biens du débiteur en vue de garantir le recou-vrement de la créance dès l’obtention d’un titre exécutoire. Ainsi en est-il des procédures de saisies conservatoires, ins-cription de sûretés judiciaires et séquestres diligentés par les huissiers de justice. Cependant, les entreprises et les citoyens sont le plus souvent réticents à intenter des actions en jus-tice dans un autre État en vue de recouvrer la somme qui leur est due, pour des raisons de coûts ou encore de délais.Il convient donc de promouvoir le rôle des différents acteurs du droit et le développement des instruments nationaux et régionaux de sécurisation des paiements afin de renforcer la sécurité juridique et d’accroître la confiance des acteurs éco-nomiques dans le cadre de leurs transactions commerciales.

1 - La question de la sécurisation des moyens de paiement, telle que l’a précisé Patrick Sannino en ouverture de la table ronde n° 2, est un enjeu majeur pour le développement des relations économiques internationales. Elle l’est d’autant plus dans le contexte euro-méditerranéen dans la mesure où une part es-sentielle des flux économiques est mise en œuvre par des PME, particulièrement sensibles aux retards de paiement, et encore plus aux impayés, notamment en période de crise économique.

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DEUxIèME vOLET : APPROCHE PROFESSIONNELLE DE LA SÉCURITÉ JURIDIqUESyNTHèSE DE LA TABLE RONDE 2

Sécuriser les paiementsPatrick sannino, rapporteur général, huissier de justice, France,

avec

taoufik azzouzi, notaire, Maroc,

Frédéric barbin, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de com-merce, France,

olivier Kattie, président de la Chambre na-tionale des huissiers de justice, Côte d’ivoire,

abdelazziz Hadri, huissier de justice, Algérie,

Houda saHri, juriste d’entreprise, Lafarge, Algérie

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Comme le rappelait Anne Houtman, chef de la représentation de la Commission européenne en France, lors de la conférence de clôture du projet Exécution judiciaire en Europe (EJE) du 18 juin 2012, un quart des PME en Europe, soit 5 millions d’en-treprises, réalise du commerce dans d’autres États membres, 12 millions de personnes étudient, travaillent, vivent dans un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité… « Ce-pendant nos entreprises et nos citoyens sont encore trop sou-vent confrontés à des obstacles quand ils veulent exercer leurs droits à l’étranger : 1 million d’entreprises rencontrent des diffi-cultés pour recouvrer leurs créances dans un autre État membre (chaque année, jusqu’à 600 millions d’euros dus ne sont pas recouvrés), seulement 7 % de consommateurs achètent sur Internet à l’étranger, car ils n’ont pas suffisamment confiance dans la justice des autres pays pour résoudre leurs litiges. Dans ce contexte, l’Europe de la justice est une nécessité ». Cette réalité n’est pas uniquement européenne, il s’agit d’une problématique à laquelle de nombreux pays sont confrontés, notamment en Afrique du Nord.La plupart des pays disposent de mesures permettant de blo-quer les biens du débiteur en vue de garantir le recouvrement de la créance dès l’obtention d’un titre exécutoire. Ainsi en est-il des procédures de saisies conservatoires, inscription de sûretés judiciaires et séquestres diligentés par les huissiers de justice. À titre d’exemple, la saisie conservatoire des avoirs bancaires est pratiquée dans la majorité des États, du fait de sa rapidité et de son efficacité pour lutter contre les défauts de paiement, problème préoccupant en temps de crise car une entreprise qui ne peut recouvrer sa créance à temps éprouvera des difficultés financières qui pourront la conduire à la faillite.Cependant, les entreprises et les citoyens sont le plus souvent réticents à intenter des actions en justice dans un autre État en vue de recouvrer la somme qui leur est due, pour des raisons de coûts ou encore de délais. Pourtant, à l’inverse, il est aisé de déplacer des fonds d’un État à un autre et de répartir ses avoirs entre plusieurs comptes bancaires situés dans différents États, alors même que le gel des avoirs d’un débiteur sur un compte bancaire situé à l’étranger fonctionne mal, en raison de la grande diversité des législations nationales.L’Union européenne s’est dotée d’instruments afin de faciliter la circulation des actes et des décisions judiciaires en Europe et de sécuriser ainsi le recouvrement des créances, notamment :- L’injonction de payer européenne : procédure applicable aux

créances pécuniaires transnationales non contestées par le défendeur et fondée sur l’utilisation de formulaires types dans toutes les langues. Elle est reconnue et exécutée sans aucune mesure d’exequatur dans tous les États membres.

- Le titre exécutoire européen : certificat permettant aux déci-sions, transactions judiciaires et actes authentiques portant sur des créances incontestées d’être reconnus et exécutés au-tomatiquement dans un autre État membre, sans procédure intermédiaire.

- L’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires (en cours de discussion au Parlement européen) : procédure permettant aux créanciers de faire saisir le montant détenu par le débiteur sur un compte bancaire situé dans un autre État membre.

Cette ordonnance revêtira une importance déterminante pour les actions en recouvrement de créances, car elle empêchera les débiteurs de déplacer ou de dilapider leurs avoirs pendant le temps nécessaire à l’obtention et à l’exécution d’une décision de justice sur le fond. Les possibilités de recouvrer des créances transfrontières s’en trouveront accrues.Ces outils, dont la connaissance et l’usage, tant par les citoyens que les professionnels du droit, restent encore imparfaits et ont vocation à se développer afin de renforcer la sécurité juridique et d’accroître la confiance des acteurs européens dans le cadre de leurs transactions commerciales sur le marché unique.De plus, l’e-justice est désormais au centre des priorités de la Commission européenne mais aussi de nombreux États membres, tel que la France. En effet, la dématérialisation de la circulation des titres exécutoires constitue un vecteur indé-niable de sécurisation et de rapidité des échanges et, de fait, des paiements.

2 - Me Taoufik Azzouzi a également souligné la crainte des en-treprises marocaines à l’égard des impayés dans la mesure où les procédures de recouvrement dans un pays tiers représentent un coût élevé et implique des délais qui peuvent varier d’un État à un autre ; ceci sans compter les problèmes liés à l’efficacité de l’appareil judiciaire aussi bien en ce qui concerne la qualité des jugements rendus que la rapidité dans l’exécution de ces juge-ments.En effet, la procédure d’exequatur répond à trois critères stricts : compétence du tribunal étranger, jugement définitif et respect de l’ordre public marocain et s’applique uniquement aux déci-sions de justice. Les ordonnances rendues par un État étranger en matière de saisie conservatoire ou exécutoire ne peuvent être revêtues de l’exequatur, la version arabe (officielle) de l’article 430 du Code de procédure civile offre cette possibilité aux juge-ments étrangers et non aux ordonnances étrangères. Néanmoins, rien n’empêche qu’un acte établi à l’étranger et portant constitution d’une sûreté réelle (hypothèque, nantis-sement…) soit revêtu de la mention d’exequatur, pourvu qu’il obéisse aux conditions précédemment énoncées, notamment quant à la régularité de l’acte et au respect de l’ordre public marocain.Taoufik Azzouzi a abordé le sujet de la création d’un titre exé-cutoire euro-méditerranéen. Il a insisté sur l’importance de sen-sibiliser les magistrats et les autorités publiques internationales sur cet outil. 3 - Frédéric Barbin a présenté l’originalité du greffier du tribu-nal de commerce français : officier public et ministériel, il est membre d’un tribunal composé de juges élus, issus du monde économique. Il s’est ensuite attaché, dans un premier temps, à montrer le rôle central dévolu au greffier en matière de publicité des sûretés mobilières - qu’il a qualifié de « forme moderne et aboutie du droit de la garantie » - avant d’évoquer l’impact de cette publi-cité sur la sécurisation des paiements et la transparence de la vie économique. En effet, elle permet aux partenaires économiques et financiers de conclure des accords et conventions financières en apportant la sécurité de paiement attendue par le créancier de l’obligation. Grâce à l’absence de dépossession des actifs mo-

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biliers, le fonctionnement de l’en-treprise ne s’en trouve pas altéré.

4 - Olivier Kattie a décrit les ins-truments prévus par les actes uni-formes OHADA permettant de faciliter et sécuriser les transactions commerciales transfrontalières.Il a ainsi énuméré les différentes inscriptions de sûretés mobilières et immobilières (hypothèques) régies par l’acte uniforme du 17 avril 1997, puis les outils mis en place par l’acte uniforme du 10 avril 1998 (l’injonction de payer, qui ne constitue cependant qu’une invitation faite au débiteur d’exécuter son obligation de bonne foi, et les différents modes de saisies). Enfin, il a attiré l’attention de l’assemblée sur les instruments internationaux de sécurisation dans les espaces monétaires comprenant les États de l’OHADA, en particulier le règlement adopté en 2002 par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et en 2003 par la Communauté écono-mique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) prévoyant une procédure simplifiée en matière de recouvrement des créances nées de chèques sans provision. Dans le cadre de cette procédure, la signification du certificat de non-paiement déli-vré par l’établissement teneur de compte au débiteur vaut com-mandement de payer. De plus, depuis 2010, la Banque centrale

des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a créé un dispositif dé-nommé « centrale des incidents de paiements » qui permet à l’opéra-teur économique de s’assurer de la régularité du moyen de paiement qui lui est présenté.

5 - Houda Sahri a précisé que face aux difficultés de recouvrement

de créances en Algérie et aux lenteurs administratives ou judi-ciaires, les entreprises ont désormais recours à une forme de transaction commerciale, procédure dépourvue de formalisme qui ne confère aucune sécurité juridique.

6 - Abdelaziz Hadril a mis en exergue les missions dévolues aux huissiers de justice algériens tout en effectuant un bref rappel de la procédure civile d’exécution.

7 - En conclusion, Patrick Sannino a souligné que l’ensemble des professionnels du droit participent à la vie économique des États et sont les garants de la sécurité juridique, laquelle a pour objectif de protéger les citoyens contre les incohérences ou les changements législatifs trop fréquents. La sécurité juridique doit, dès lors, être traitée au niveau du droit constitutionnel.

Hôtel SHeraton, StaoUeli, alger

« En conclusion, Patrick Sannino a souligné que l’ensemble des professionnels du droit parti-cipent à la vie économique des États et sont les garants de la sécurité juridique. »

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4e Convention des juristes de La Méditerranée - aCtes du CoLLoque d’aLger 9-10 déCeMbre 2012

Les nouveaux modes alternatifs de résolution des différends, en dehors de toute procédure judiciaire, constituent ainsi un nou-vel ensemble d’outils, cohérents et efficaces, à la disposition des entreprises, qui leur permettent d’éviter le procès, de maintenir le lien contractuel, tout en leur apportant la sécurité juridique requise et nécessaire à leur développement économique. Dans un souci de sécurité juridique, de nombreux législateurs de la zone euro-méditerranéenne ont ainsi adopté, ou envisagent d’adopter, des dispositions législatives et réglementaires per-mettant l’instauration d’un droit cohérent, offrant une plus grande efficacité de ces nouveaux modes de règlements des différends et une information accrue du public. Dans ce même souci de sécurité juridique, ces textes se sont en général accom-pagnés de dispositifs relatifs à la formation des médiateurs, au contrôle de la qualité de la médiation et au rôle essentiel de l’avocat. Les avocats méditerranéens sont désormais en mesure d’assurer pleinement leur rôle d’acteurs clefs dans la mise en œuvre de tels processus et de garants de la qualité de ces proces-

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DEUxIèME vOLET : APPROCHE PROFESSIONNELLE DE LA SÉCURITÉ JURIDIqUESyNTHèSE DE LA TABLE RONDE 3

Les nouveaux modes alternatifs de règlement des différents - médiation et procédure participativeChristian LestourneLLe, rapporteur général, avocat au barreau de Marseille, France,

avec

Lotfi el ajari, avocat, tunisie,

ryad gHaLi, avocat, Syrie,

ali bouKHerKHaL, médiateur judiciaire, Algé-rie,

abdelaziz Medjdouba, avocat, union natio-nale des barreaux, Algérie,

zahéra guendiL, juriste d’entreprise recouvre-ment Groupe Service (rGS), Algérie

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sus. L’avocat est soumis au secret professionnel, à une déontolo-gie garantissant le respect des principes essentiels de confiden-tialité, de conscience, d’indépendance, ainsi que des règles du conflit d’intérêts. La compétence de l’avocat permet de garantir le consentement éclairé, compris et donc accepté des parties, ainsi qu’une solution transactionnelle efficiente. L’avocat pré-sente ainsi toutes les garanties attendues du tiers « médiateur ».

1 - On assiste, depuis quelques années, à une demande accrue de justice négociée, préférée à une justice imposée. Nombreux considèrent qu’une solution négociée présente de meilleures garanties d’efficacité et d’exécution, notamment parce qu’elle est librement consentie et qu’elle est justifiée par la réalité des questions appréhendées par les parties qui en me-surent toutes les conséquences. La présence d’un tiers neutre et impartial permet une meilleure implication des parties et un dialogue, qui offre également les moyens de recréer un lien entre les parties. La confidentialité du processus leur assure de sur-croît la possibilité de formuler leurs demandes essentielles.

2 - Les modes alternatifs de réso-lution des litiges apparaissent ainsi être une réponse adaptée à la judi-ciarisation croissante des sociétés contemporaines et à l’encombre-ment des tribunaux. Ils constituent un ensemble de dispositifs et de pratiques qui tout à la fois se dis-tinguent des procédures judiciaires classiques et les complètent.Si la médiation et la conciliation font partie du paysage judiciaire depuis plusieurs années et que leur utilisation au cours d’un procès peut être imposée par la loi ou au choix du juge et des parties, il est désormais acquis que leur utilisation peut présenter un réel intérêt avant tout procès, en demeurant dans le respect des garanties de sécurité juridique requises par les opérateurs économiques. Dans le même ordre d’idées, la procédure participative a récemment fait son appari-tion dans nos sociétés méditerranéennes. Une telle procédure encadre les négociations intervenues avec l’aide d’avocats afin de leur octroyer une autorité renforcée.

3 - Dans un souci de sécurité juridique, de nombreux législa-teurs de la zone euro-méditerranéenne ont ainsi récemment adopté, ou envisagent d’adopter, des dispositions législatives et réglementaires permettant l’instauration d’un droit cohé-rent, offrant une plus grande efficacité de ces nouveaux modes de règlements des différends et une information accrue du public. Pour être efficace, le processus doit inspirer confiance, être encadré, garantir la confidentialité et être mis en œuvre par des acteurs de qualité reconnue, indépendants et garants du consentement éclairé des parties et de l’ordre public. La sortie de conflit doit être licite, ce qui suppose que l’accord des parties soit soumis au juge, garant de sa conformité à l’ordre public par l’exercice de son impérium au moment de l’homologation de l’accord, et qu’il puisse être l’objet d’un titre exécutoire, oppo-

sable aux tiers. Dans ce même souci de sécurité juridique, ces textes se sont accompagnés de dispositifs relatifs à la formation des médiateurs, au contrôle de la qualité de la médiation et au rôle essentiel de l’avocat.

4 - Ces nouveaux modes alternatifs de résolution des différends, en dehors de toute procédure judiciaire, constituent ainsi un nouvel ensemble d’outils, cohérents et efficaces, à la disposition des entreprises, qui leur permettent d’éviter le procès, de main-tenir le lien contractuel, tout en leur apportant la sécurité juri-dique requise et nécessaire à leur développement économique.

5 - Il est essentiel que les avocats méditerranéens prennent la mesure des évolutions en la matière et jouent pleinement leur rôle d’acteurs clefs dans la mise en œuvre de tels processus et de garants de la qualité de ces processus. L’avocat est soumis au secret professionnel, à une déontologie garantissant le respect des principes essentiels de confidentialité, de conscience, d’in-

dépendance, ainsi que des règles du conflit d’intérêts. La compétence de l’avocat permet de garantir le consentement éclairé, compris et donc accepté des parties. L’avocat présente ainsi toutes les garanties attendues du tiers « médiateur ». Dès lors, les législations doivent veiller à ne pas exclure l’avocat du processus de médiation par la créa-tion d’une profession réglementée de médiateur, car l’avocat, par sa déontologie, sa compétence et sa formation, est le mieux placé pour rechercher de manière efficiente une solution transactionnelle en

cas de litige.Parallèlement, l’avocat, qui a le monopole du conseil et de la représentation des parties en matière de résolution des litiges, doit être en mesure de conseiller les parties au cours de tels pro-cessus et l’intervention d’un médiateur ne saurait exclure l’avo-cat. Le rôle de l’avocat est d’abord d’aider ses clients à résoudre les problèmes, et notamment les litiges, qu’ils rencontrent. Cette recherche de solution doit pouvoir être menée par les parties, avec l’assistance de leurs avocats et, éventuellement, en utilisant les méthodes alternatives de résolution des conflits.

6 - Cette table ronde a ainsi été l’occasion de revenir sur les récentes évolutions au sein du bassin méditerranéen en cette matière et de mettre en exergue le rôle de l’avocat, pivot de tels dispositifs.

1. L’exemple français

7 - En France, en application, d’une part, de l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale et, d’autre part, de l’article 37 de la loi

« Si la médiation et la concilia-tion font partie du paysage judi-ciaire depuis plusieurs années, il est désormais acquis que leur utilisation peut présenter un réel intérêt avant tout procès, en demeurant dans le respect des garanties de sécurité juridique requises par les opérateurs éco-nomiques. »

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n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées, a été adopté le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends. Ce décret insère un nouveau Livre V dans le Code de procé-dure civile (CPC, art. 1528 à art. 1568) consacré aux modes de résolution amiable des différends en dehors d’une procédure judiciaire et à l’initiative des parties. Trois modes de résolution amiable sont prévus, à savoir la médiation conventionnelle, la conciliation conventionnelle et la procédure participative.

A. - La conciliation et la médiation conventionnelle

8 - Une définition commune de la médiation et de la concilia-tion conventionnelles est donnée, qui est directement inspirée de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008. La médiation et la conciliation conventionnelles s’entendent comme « tout pro-cessus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ». Ces deux processus sont soumis au principe de confidentialité. Si l’intérêt de la conciliation, en dehors de domaines très spé-cifiques comme celui des procédures collectives, s’avère assez faible pour les entreprises dans la mesure où le conciliateur ne joue pas un rôle actif et est davantage chargé de garantir un ter-rain d’entente minimal, sans définir lui-même les termes d’un éventuel accord, la médiation conventionnelle présente un réel intérêt pour la résolution des litiges entre partenaires industriels ou commerciaux, en permettant notamment le maintien d’un lien d’échanges, dans des situations parfois très conflictuelles.

9 - Le décret introduit un statut spécifique du médiateur conven-tionnel calqué pour l’essentiel sur celui du médiateur judiciaire. Le médiateur conventionnel peut être une personne physique ou morale. Dans ce dernier cas, le médiateur personne morale ne désignera la personne en charge de la médiation qu’avec l’ac-cord des parties. Le décret impose au médiateur conventionnel des conditions de moralité, de compétence et de formation. Ces exigences s’imposent également à la personne physique dési-gnée par la personne morale médiatrice. En revanche, le texte ne reprend pas l’exigence de garanties d’indépendance pesant sur le médiateur judicaire. Si le processus de médiation conventionnelle débouche sur un accord, il peut faire l’objet d’une demande d’homologation pré-sentée au juge par voie de requête soit par l’ensemble des parties à la médiation, soit par l’une des parties avec l’accord exprès des autres parties. La procédure d’homologation présente un caractère non-contradictoire. Le juge est autorisé à statuer sans entendre les parties, à moins qu’il ne l’estime nécessaire. L’ho-mologation confère à l’accord un caractère exécutoire.

10 - C’est ainsi que, dans la mesure où la médiation va débou-cher sur un accord homologué par le juge, l’intervention d’un avocat médiateur qui, par son expérience et par ses compé-tences, apporte le conseil indispensable à un choix éclairé et les

garanties d’un accord juridiquement viable. Les avocats sont des professionnels impartiaux et indépendants spécialement formés à la mise en œuvre d’un tel processus. Il est à préciser que l’intervention d’un avocat médiateur ne fait pas obstacle à ce que, comme dans tout processus de médiation engagé, les parties soient assistées par leur propre avocat, tout au long du processus de médiation.

B. - La procédure participative

11 - La procédure participative offre une voie nouvelle de mode de règlement des différends. La procédure participative est un processus amiable qui présente à la fois une nature contractuelle et une nature procédurale : la procédure participative se déroule selon une procédure conventionnelle de recherche d’un accord par les parties obligatoirement assistées de leurs avocats et se poursuit, le cas échéant, par une procédure aux fins de juge-ment, soit pour homologuer un accord mettant fin à l’entier différend, soit pour homologuer un accord partiel et statuer sur la partie du litige persistant, ou bien statuer sur l’entier litige. Dans ce dernier cas, la mise en état du litige et la tenue du pro-cès seront facilités, grâce aux travaux préparatoires auxquels la phase conventionnelle aura donné lieu.La convention de procédure participative est une conven-tion par laquelle les parties à un différend, qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre, s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend. Cette convention est conclue pour une durée déterminée et crée ainsi un temps encadré de négociation. La convention, qui est écrite à peine de nullité, précise son terme, l’objet du différend, les pièces et informations nécessaires à la résolution du différend et les modalités de leur échange.Chaque partie à la procédure doit être assistée par un avocat : il s’agit d’une procédure de négociation entre les parties, conduite par leurs avocats, en vue de régler leur différend (« les parties, assistées de leurs avocats, recherchent conjointement, dans les conditions fixées par convention, un accord mettant un terme au différend qui les oppose ») (CPC, art. 1544).

12 - En vue d’une sécurité juridique renforcée, la convention de procédure participative peut être formalisée par un acte d’avo-cat. Pour rappel, l’article 66-3-1 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée énonce qu’en « contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir éclairé la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte ». Cet « acte sous seing privé contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l’avocat de toutes les parties, fait pleine foi de l’écriture et de la signature de celles-ci tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayant cause » (L. n° 71-1130, art. 66-3-2). Tant qu’elle est en cours, la convention de procédure participa-tive rend irrecevable tout recours au juge pour qu’il statue sur le litige. Toutefois, l’inexécution de la convention par l’une des parties autorise une autre partie à saisir le juge pour qu’il statue sur le litige.La convention de procédure participative s’éteint par l’arrivée du terme, la conclusion d’un accord mettant fin en totalité au différend ou l’établissement d’un acte constatant la persistance de tout ou partie du différend.

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13 - Les parties qui, au terme de la convention de procédure participative, parviennent à un accord réglant en tout ou partie leur différend peuvent soumettre cet accord à l’homologation du juge. Le juge peut ainsi être saisi de l’affaire, selon le cas, pour homologuer l’accord des parties mettant fin en totalité au dif-férend, homologuer un accord partiel et statuer sur la partie du litige persistant ou pour statuer sur l’entier litige. En cas d’accord mettant fin à l’entier différend, l’ensemble des parties ou la partie la plus diligente peut présenter devant le juge une requête d’homologation. La requête est accompagnée de la convention de procédure participative, sous peine d’irrecevabi-lité. Le juge statue sur requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu’il estime nécessaire d’entendre les parties. Le juge ne pourra pas modifier l’accord soumis à homologation. En cas d’accord partiel, les parties peuvent demander son homologa-tion dans les conditions précitées. Si elles le souhaitent, elles peuvent également saisir le juge pour qu’il statue sur le différend résiduel, soit conformément aux règles régissant la procédure applicable devant lui, soit ainsi que le décret en offre la possibili-té, en saisissant le juge par requête conjointe contentieuse signée des avocats les ayant assistées durant la procédure participative. La saisine indiquera, sous peine d’irrecevabilité, les points faisant l’objet d’un accord entre les par-ties (dont il peut être demandé au juge l’homologation dans la même requête), les prétentions respectives des parties pour les points sur les-quels elles restent en litige, l’exposé de leurs moyens de fait et de droit, et l’indication pour chacune des prétentions des pièces invoquées. La requête sera obligatoirement accompagnée de la convention de procédure participative ainsi que des pièces communiquées. Dans un tel cas, lorsque les parties soumettent leur litige au juge, elles sont dispensées de la conciliation ou de la médiation pré-alable prévue le cas échéant en application des règles de pro-cédure ordinaire. C’est en principe lors d’une seule et unique audience que l’affaire sera évoquée, la mise en état ayant été faite en amont par les parties et leurs conseils dans le cadre de la phase conventionnelle.

14 - En cas de persistance de l’entier différend, le juge pourra être saisi soit par requête conjointe avec exposé des arguments de fait et de droit, soit par requête unilatérale de l’une des par-ties, soit suivant la procédure applicable devant la juridiction. Cette requête sera notifiée à la partie adverse elle-même ainsi qu’à l’avocat l’ayant assisté au cours de la procédure conven-tionnelle. L’avocat du requérant est informé par le greffe, dès la remise de la requête, de la date de la première audience utile à laquelle l’affaire sera appelée. Cette date est portée à la connais-sance de la partie adverse lors de la notification de la requête. Il importe de noter que les échanges opérés dans la première phase de procédure participative permettent d’accélérer la pro-cédure et d’obtenir un jugement plus rapide. La procédure par-ticipative donne ainsi une nouvelle solution aux entreprises qui souhaitent un déroulement actif des négociations visant la réso-

lution de leur conflit. L’articulation de la procédure participa-tive avec le système judiciaire présente l’avantage d’en sécuriser l’issue avec un maximum d’économie de moyens, tant pour les parties que pour le juge et le greffe.

2. L’exemple tunisien

15 - Bien que la Tunisie fût le premier État de la rive sud de la Méditerranée à introduire le terme « médiation » dans son arse-nal juridique, il demeure aujourd’hui le seul parmi les trois États du Maghreb à ne pas avoir adopté une loi introduisant la média-tion, qu’il s’agisse de la médiation judiciaire ou de la médiation conventionnelle, en Tunisie. En effet, la loi du 10 décembre 1992 relative à la création du médiateur administratif a introduit le médiateur Ombudsman, qui est chargé de recevoir toutes les plaintes relatives aux ser-vices administratifs. Ce médiateur reçoit entre 10 000 et 15 000 requêtes par an. Ce type de médiation a ensuite été initié au Ma-roc à travers le Diwan El Madhalem (l’Office des injustices), au Liban à travers le médiateur administratif ou encore à Djibouti.

Dans la même perspective, un dé-cret n° 188-2006 du 10 juillet 2006 a institué le médiateur bancaire et a ouvert la possibilité aux anciens banquiers ou à des experts-comp-tables d’être nommés médiateurs des banques.

16 - Pendant ce temps, des avocats tunisiens ont été formés à l’étran-ger à la médiation et ont voulu in-troduire la médiation en Tunisie. À

cette fin, ils ont souhaité créer une Association des médiateurs. Trois demandes de création ont été déposées auprès des services gouvernementaux compétents mais ont systématiquement été refusées pour des motifs infondés.

A. - L’avocat médiateur

17 - À la suite de la révolution, l’Ordre national des avocats de Tunisie a permis à ces avocats médiateurs d’organiser deux ses-sions d’ « initiation à la médiation et aux techniques de négo-ciation », qui se sont déroulées en février et juin 2012, l’une à Tunis et l’autre à Sousse. Ces sessions d’initiation ont mis en exergue le besoin de l’avocat médiateur d’une part, et l’intérêt pour l’avocat d’être formé au rôle de médiateur d’autre part. C’est ainsi que l’Ordre national des avocats de Tunisie vient de décider d’organiser les deux premières sessions de formation de médiateurs en Tunisie. Ces sessions de formation se dérouleront sur la base d’un programme de formation de 60 heures. L’une se tiendra au mois de novembre à Tozeur, l’autre en mars 2013 à Tunis.

18 - Enfin, une Association de médiation vient de naître. Elle travaille actuellement sur une proposition de projet de loi qui sera soumise au Gouvernement en vue de l’introduction de la médiation en droit tunisien.

« Une Association de médiation vient de naître. Elle travaille ac-tuellement sur une proposition de projet de loi qui sera soumise au Gouvernement en vue de l’intro-duction de la médiation en droit tunisien. »

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B. - L’assistance des parties par l’avocat au cours du processus de la médiation

19 - L’Ordre national des avocats de Tunisie et l’association de médiation s’attachent à souligner l’importance du rôle de l’avocat dans le processus de médiation, que ce soit avant de faire le choix de la médiation, en cours du processus ou lors de sa concrétisation.

20 - Avant l’engagement du processus : déterminer la pro-cédure la plus adoptée au besoin du client. - À ce stade, l’avocat doit analyser les besoins et les intérêts de son client et choisir la procédure la plus adaptée pour répondre à ses besoins et à ses intérêts, en prenant en considération les élé-ments « temps » et « charges ».L’avocat assiste ses clients dans le choix de la médiation, en lui expliquant le processus, ainsi que dans le choix du médiateur. L’avocat rédige la convention de médiation qui détermine les droits et obligations des parties en veillant au respect de la loi et aux intérêts de son client, tels que le respect de la confidentialité qui doit couvrir l’échange des informations ou des données, pièces, etc. À cet égard, l’avo-cat doit établir une stratégie pour la communication des données au cours du processus de médiation. Il doit, avec son client, déterminer les conditions de communication des pièces. L’avocat prépare son client au processus de la négociation. Il lui présente les comportements à anticiper et les aléas qui pourraient survenir au cours du processus de négociation. Il

doit également, à ce stade, informer son client des possibi-lités d’échec de la médiation ainsi que définir et présenter à son client les alternatives qui se présenteront en cas d’échec de la médiation. Il doit fournir à son client les éléments lui permettant de faire un choix éclairé.

21 - Au cours du processus : veiller au respect du cadre et jouer le rôle du facilitateur et catalyseur. - Au cours du pro-cessus de médiation, l’avocat est celui qui est en mesure de résumer la position et les intérêts de son client. L’avocat peut aider son client à proposer des solutions en lui expliquant les conséquences juridiques des solutions envisagées. L’avo-cat doit veiller à la gestion des données échangées et à la pro-tection des données qui sont à protéger. L’avocat doit égale-ment protéger son client contre une mauvaise foi flagrante.

22 - En fin de processus. - L’avocat doit veiller à l’efficacité et à la sécurité juridique de la solution adoptée. En fin de processus, l’avocat est ainsi invité à intervenir afin de mettre en place un cadre juridique à l’accord trouvé et de veille au respect des conditions légales permettant l’exécution de l’accord. Ainsi, le rôle de l’avocat dans la médiation est primordial et gagne à être reconnu par l’incitation des avocats à se for-mer à la médiation. Au-delà d’assurer le rôle de médiation, l’avocat formé à la médiation sera en mesure de proposer ce mode alternatif de règlement des différends à ses clients et pourra ainsi les faire bénéficier d’une procédure qui peut être rapide, efficace et moins onéreuse.

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Propos conclusifs

1 - Je voudrais, dans cette intervention de clôture, revenir en quelques mots sur l’intérêt de ce genre de rencontre. À mon avis, il est triple : elles permettent de se connaître, de se comprendre et de se rapprocher.

2 - Se connaître d’abord. Je dois confesser avoir été surpris des liens qui se sont d’ores et déjà tissés entre les profession-nels des différents pays représentés ici, et en particulier entre professionnels du droit algérien et français, entre notaires, huissiers, avocats, magistrats des deux pays. Vous êtes nom-breux à vous connaître et à bien vous connaître.Sont aussi apparus des liens institutionnels forts. J’ai été très heureux hier lorsque j’ai entendu M. Djebbar parler du Conseil constitutionnel français, M. Feniche dresser un tableau du Conseil d’État algé-rien. J’ai eu un peu l’impression de me retrouver sur les bancs de l’université à Paris, en train d’assister à un cours de droit public. Nous avons vraiment des conceptions et des forma-tions très proches.

3 - J’avais réellement sous-estimé pour ma part, je dois l’avouer, la vivacité et l’ampleur de ces liens. Se connaître est le seul moyen de se comprendre et mon expérience m’a montré depuis plusieurs années que se comprendre d’un système juridique à un autre, même lorsque les systèmes peuvent paraître proches, est quelque chose de très difficile ; chacun développe des raisonnements qui sont propres au système dans lequel il se trouve et il n’est pas toujours facile d’entrer dans le raisonnement de l’autre.Ce qui m’a frappé lorsque je suis arrivé à Luxembourg, d’abord comme collaborateur du juge français de l’époque, Yves Galmot, il y a de nombreuses années, c’est que ce qui pouvait paraître évident à un français peut jeter un italien dans la perplexité ; que telle question de recevabilité ou de compétence qui ne pose aucune difficulté à un allemand va provoquer bien des hésitations chez un hongrois et ain-si de suite. Pourquoi ? Parce, que tout simplement, on ne raisonne pas ici et là de la même façon. Parce que, comme l’a dit Montesquieu, qui a presque tout dit en matière de législation, « plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du Gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières ;

d’où il se forme un esprit général qui en résulte ». Y a-t-il de bonnes solutions ? Y en a-t-il de mauvaises ? Sans doute. Mais tous les systèmes, a justement écrit Laferrière, « doivent être vus à l’œuvre dans le milieu pour lequel ils sont faits », et « il n’en est pas que l’on puisse critiquer ou louer a priori, au nom de principes abstraits ».Ce qu’il faut donc faire - et c’est un effort - c’est de se retenir de penser que son interlocuteur n’a rien compris, mais de parvenir à concevoir qu’il a compris autrement, et essayer de comprendre pourquoi il a compris autrement et pour-quoi il raisonne autrement. À cela s’ajoute le fait que les différences entre les systèmes juridiques, même lorsqu’ils sont considérés a priori comme proches, sont souvent pro-fondes : nous avons des mécanismes et des principes qui sont parfois divergents, parfois incompatibles et même lorsque l’on a des bases communes comme c’est le cas ici, on voit très bien qu’avec l’histoire de chaque nation, avec le développement de la jurisprudence et des évolutions poli-tiques, chacun développe son système de son propre côté. On peut ainsi être légitimement surpris des très grandes dif-férences qui existent entre les États de l’Union européenne,

par exemple. On pourrait, en effet, penser que les États de l’Union sont par définition, puisque précisément ils se sont unis, très proches les uns des autres. Au demeurant, les trai-tés ne manquent pas de tirer des coups de chapeau aux « tra-ditions constitutionnelles com-

munes aux États membres » ou aux « principes généraux communs aux droits des États membres ». Mais ce serait une erreur de minimiser les différences et je vous en donne-rai l’exemple suivant.Comme vous le savez, nous avons dans l’Union européenne, qui n’est pas une fédération mais presque, un système regar-dé comme la clé de voûte de l’Union : le renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne. Lorsqu’ un tri-bunal de l’un des États membres doit appliquer une règle de l’Union européenne et qu’il a besoin d’en connaître l’inter-prétation, parce qu’il a un doute sur cette interprétation ou bien s’il doute de la validité même de la règle à appliquer, il saisit la Cour de justice de l’Union européenne qui siège à Luxembourg. Celle-ci donne l’interprétation ou dit si la règle en question est légale ou pas, est ou non valide. On appelle cela le mécanisme de la question préjudicielle. Il y a quelques mois, on a découvert, à l’occasion d’une affaire que, dans certains États membres, lorsqu’un juge décide de saisir la Cour de Luxembourg, on peut faire appel de sa décision comme on peut faire appel du refus de renvoi et comme on pourrait faire appel de n’importe quel juge-ment, mais que dans d’autres on ne peut jamais faire appel

jean-Claude boniCHot,juge à la Cour de justice de l’union européenne

« Les différences entre les systèmes juridiques, même lorsqu’ils sont considérés a priori comme proches, sont souvent profondes »

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alors que dans d’autres États encore on peut faire seulement appel de la décision qui refuse le renvoi préjudiciel et que dans d’autres encore on ne peut faire appel que de la déci-sion en sens inverse : celle qui décide de renvoyer. Pour un mécanisme fondamental de l’Union européenne il est assez étonnant de voir de telles différences d’un pays à un autre et si l’on veut travailler et construire quelque chose ensemble, il faut commencer par comprendre les différents systèmes dans le but de se rapprocher.

4 - Quels sont les rapprochements possibles et quelles sont les voies du rapprochement ? Et pourquoi le faire ?Tout simplement, d’abord, pour rendre les relations juri-diques plus efficaces et plus faciles. On n’a pas manqué de souligner le lien très étroit qu’il y a entre le droit et le déve-loppement économique. C’est évidemment une réalité à laquelle aujourd’hui personne n’échappe.Il y a quelques mois, à l’occasion d’une visite à Luxembourg de la Cour suprême des États-Unis, un professeur de droit d’une université du Texas m’expliquait qu’elle allait chaque année plusieurs semaines en Chine parce que la Chine avait décidé de former tous les ans plusieurs milliers de spécia-listes des brevets. Un État comme la Chine se rend compte que l’on ne peut pas, à long terme, se développer économi-quement, que l’on ne peut simplement pas faire d’affaires si on n’a pas un cadre juridique solide. La même chose se vérifie ailleurs : on ne peut pas développer l’économie sans un cadre juridique sûr.À cet égard chaque système joue sa partie. Comme vous le savez, nous sommes dans un univers juridique concurren-tiel. On ne l’aurait pas dit il y a une trentaine d’années, mais maintenant on peut et doit le dire dans les termes mêmes qu’a utilisés le président Ferret hier : le droit est aussi un produit qui se vend et qui s’exporte. Une bonne partie des États qui sont représentés ici ont un droit d’inspira-tion continentale et contrairement à ce que l’on se plaît à dire dans certaines enceintes, il favorise la vie des affaires. La France, par exemple, n’attirerait pas autant les investis-sements étrangers si elle n’avait pas le système juridique et l’administration qu’elle a et qui garantissent tant la sécurité des transactions que celle des actes administratifs.Dans l’Union européenne le rapprochement des droits se fait au moyen de ce que l’on appelle les directives dont beaucoup d’entre vous ont entendu parler, qui sont soit des directives d’harmonisation, soit des directives de coordina-tion.L’harmonisation consiste à rendre les législations des diffé-rents États plus ou moins homogènes, presque à substituer une législation commune aux différentes législations des États. Dans le domaine judiciaire on parle encore pour l’ins-

tant de « décisions-cadres ». La décision-cadre sur le man-dat d’arrêt européen est un bon exemple de cette harmoni-sation : elle a remplacé entre les États membres l’extradition par un système de « remise » des personnes condamnées ou poursuivies qui fonctionne d’autorité judiciaire à autorité judiciaire. Il s’agit là d’un pas de géant fait dans le domaine de la lutte contre la criminalité.La coordination consiste à rapprocher ce qui peut l’être et à lever le plus possible d’incompatibilités. De tels mécanismes ne peuvent sûrement pas être utilisés tels quels dans des États qui ne sont pas des États fédérés ou qui ne sont pas dans une quasi-fédération comme l’Union européenne, mais il me semble qu’on peut faire des efforts dans trois directions.La première est de travailler sur la prise en compte dans le droit national des nécessités des relations juridiques avec les autres pays, par des dispositions appropriées. C’est une réflexion qu’il faut avoir maintenant de manière bien plus systématique qu’auparavant, dans un esprit d’ouverture. Cela passe sans doute par un approfondissement des méca-nismes classiques de droit international privé, mais va au-delà.Il y a un deuxième chemin qui, à mon avis, doit être em-prunté : c’est d’éliminer les incompatibilités inutiles, de s’interroger systématiquement sur toute règle ou pratique qui dans chaque ordre juridique des différents États rend les relations avec l’extérieur difficiles, alors que ce n’est pas un enjeu majeur pour l’État en question et que l’on peut très bien laisser cela de côté. Cette réflexion sur les incompati-bilités inutiles dans les relations juridiques transfrontalières est un domaine qui mérite réflexion.Le troisième chemin serait de construire, là où c’est pos-sible dans des domaines déterminés et dans des domaines importants, des ponts entre un système et l’autre. Objectif plus ambitieux, mais pas impossible, et je crois que des ren-contres comme celles qui ont été organisées par le centre de recherche juridique et judiciaire que dirige M. Bouzertini et la Fondation pour le droit continental tracent la route dans ce sens.

5 - Le thème transversal des deux journées de réflexion était la confiance dans les relations juridiques. Le but à atteindre était de voir comment on pourrait disposer des instruments juridiques qui permettent dans le plus grand nombre de domaines possibles à nos différents ordres juridiques de se faire une confiance mutuelle.On ne peut que s’étonner et se réjouir du nombre important - plus de 500 personnes - de participants à cette rencontre. C’est la preuve vivante qu’il y a de ce point de vue non seu-lement une demande mais un véritable besoin. n

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