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Douleurs, 2005, 6, 3 151 VOTRE PRATIQUE Effets de la kétamine administrée par voie veineuse pendant trois jours sur les douleurs de fibromyalgie* Étude en double-aveugle, « cross-over », versus placebo André Muller (1) (photo), Christian Rempp (2) , Jacques Kopferschmitt (3) , Marie-Thérèse Haeringer (4) , Christian Brandt (5) , Pierre Meyer (6) , Jean-Louis Kuntz (7) , Jean Sibilia (8) , Jean-Marie Warter(†) (9) Le syndrome douloureux constitue la principale manifestation chez les patients souffrant de fibromyalgie (FM). Il retentit à la fois sur la qualité de vie et sur les activités profession- nelles, et est à l’origine de demandes de mise en invalidité. Parmi les hypo- thèses physiopathologiques, celle d’une perturbation du fonctionne- ment des voies de la douleur est étayée par de nombreux arguments [1, 2]. Il existe une hypersensibilité à de nom- breuses stimulations douloureuses (hyperalgésie) et non douloureuses (allodynie), qui serait due à une sensibilisa- tion excessive des neurones nociceptifs [3, 4]. Les acides aminés excitateurs (glutamate, aspartate) semblent consti- tuer le pivot commun à de multiples situations de sensibili- sation des neurones nociceptifs [5]. La kétamine à doses sub-anesthésiques a une action antago- niste sur les récepteurs NMDA aux acides aminés excita- teurs. Elle est de fait capable d’inhiber la survenue d’une telle sensibilisation neuronale, et est à ce titre utilisée en administration intraveineuse en association avec la morphine dans le cadre de l’analgésie post-opératoire [6]. De surcroît, elle peut contrecarrer une sensibilisation établie et a donc la propriété de procurer une analgésie de longue durée après une perfusion de quelques jours dans les douleurs neuropathiques [6, 7]. En administration aiguë, la kétamine atténue les douleurs spontanées et les douleurs musculaires provoquées de la fibromyalgie pour plusieurs jours [8-10]. Aucune étude n’a été réalisée pour préciser la durée et l’intensité du soulagement. L’objectif du présent travail a été de les évaluer sur plusieurs semaines, après une perfu- sion intraveineuse continue de faibles doses de kétamine pendant trois jours. PATIENTS ET MÉTHODOLOGIE Recrutement des patients Tous les patients atteints de fibromyalgie, des deux sexes, et déjà connus des investigateurs se sont vu proposer de participer à l’étude, sous réserve de conformité aux critères d’inclusion et d’exclusion. À cette occasion a été pratiquée une visite de pré-inclusion, et remis aux patientes un exem- plaire du formulaire d’information, un exemplaire du consen- tement éclairé, ainsi que l’accord du CCPPRB Alsace n° 1. Le diagnostic de fibromyalgie repose sur les critères du Collège Américain de Rhumatologie [11], et sur l’exclusion cliniquement et biologiquement confirmée de toute autre pathologie pouvant expliquer la symptomatologie. Lors de la visite de pré-inclusion, la douleur « globale » ainsi que la fatigue ont été estimées sur une échelle visuelle analogique (EVA) allant de 0 (absence de la manifestation) à 10 (inten- sité maximale imaginable de la manifestation). Critères d’inclusion – patients des deux sexes, âgés de 18 à 50 ans, résidant dans la communauté urbaine de Strasbourg ; – patients présentant une fibromyalgie primitive, d’après les critères évoqués ci-dessus ; 1. Centre d’évaluation et de traitement de la Douleur (CETD), Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67000 Strasbourg. 2. Centre d’évaluation et de traitement des douleurs pelviennes, SICHUS, rue Pasteur, 67300 Schiltigheim. 3. Service d’accueil des urgences, Hôpitaux universitaires de Strasbourg. 4. Centre d’évaluation et de traitement des douleurs pelviennes, SICHUS. 5. Centre d’investigation clinique (CIC), Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. 6. Département de statistiques médicales, Faculté de médecine, 11, rue Humann, 67000 Strasbourg. 7. Service de Rhumatologie, Hôpital de Hautepierre, avenue Molière, 67200 Strasbourg. 8. Service de Rhumatologie, Hôpital de Hautepierre, avenue Molière, 67200 Strasbourg. 9. Service de Neurologie et des Maladies du muscle, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. * Les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont été les promoteurs et les financeurs de cette étude réalisée dans le cadre d’un programme local de recherche clinique.

Effets de la kétamine administrée par voie veineuse pendant trois jours sur les douleurs de fibromyalgie

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Douleurs, 2005, 6, 3

151

V O T R E P R A T I Q U E

Effets de la kétamine administrée par voie veineuse pendant trois jours sur les douleurs de fibromyalgie*

Étude en double-aveugle, « cross-over »,

versus

placebo

André Muller

(1)

(photo), Christian Rempp

(2)

, Jacques Kopferschmitt

(3)

, Marie-Thérèse Haeringer

(4)

, Christian Brandt

(5)

, Pierre Meyer

(6)

, Jean-Louis Kuntz

(7)

, Jean Sibilia

(8)

, Jean-Marie Warter(†)

(9)

Le syndrome douloureux constituela principale manifestation chez lespatients souffrant de fibromyalgie(FM). Il retentit à la fois sur la qualitéde vie et sur les activités profession-nelles, et est à l’origine de demandesde mise en invalidité. Parmi les hypo-thèses physiopathologiques, celled’une perturbation du fonctionne-

ment des voies de la douleur est étayée par de nombreuxarguments [1, 2]. Il existe une hypersensibilité à de nom-breuses stimulations douloureuses (hyperalgésie) et nondouloureuses (allodynie), qui serait due à une sensibilisa-tion excessive des neurones nociceptifs [3, 4]. Les acidesaminés excitateurs (glutamate, aspartate) semblent consti-tuer le pivot commun à de multiples situations de sensibili-sation des neurones nociceptifs [5].La kétamine à doses sub-anesthésiques a une action antago-niste sur les récepteurs NMDA aux acides aminés excita-teurs. Elle est de fait capable d’inhiber la survenue d’unetelle sensibilisation neuronale, et est à ce titre utilisée enadministration intraveineuse en association avec la morphinedans le cadre de l’analgésie post-opératoire [6]. De surcroît,elle peut contrecarrer une sensibilisation établie et a donc

la propriété de procurer une analgésie de longue duréeaprès une perfusion de quelques jours dans les douleursneuropathiques [6, 7].

En administration aiguë, la kétamine atténue les douleursspontanées et les douleurs musculaires provoquées de lafibromyalgie pour plusieurs jours [8-10].

Aucune étude n’a été réalisée pour préciser la durée etl’intensité du soulagement. L’objectif du présent travail aété de les évaluer sur plusieurs semaines, après une perfu-sion intraveineuse continue de faibles doses de kétaminependant trois jours.

PATIENTS ET MÉTHODOLOGIE

Recrutement des patients

Tous les patients atteints de fibromyalgie, des deux sexes,et déjà connus des investigateurs se sont vu proposer departiciper à l’étude, sous réserve de conformité aux critèresd’inclusion et d’exclusion. À cette occasion a été pratiquéeune visite de pré-inclusion, et remis aux patientes un exem-plaire du formulaire d’information, un exemplaire du consen-tement éclairé, ainsi que l’accord du CCPPRB Alsace n

°

1.

Le diagnostic de fibromyalgie repose sur les critères duCollège Américain de Rhumatologie [11], et sur l’exclusioncliniquement et biologiquement confirmée de toute autrepathologie pouvant expliquer la symptomatologie. Lors dela visite de pré-inclusion, la douleur « globale » ainsi que lafatigue ont été estimées sur une échelle visuelle analogique(EVA) allant de 0 (absence de la manifestation) à 10 (inten-sité maximale imaginable de la manifestation).

Critères d’inclusion

– patients des deux sexes, âgés de 18 à 50 ans, résidant dansla communauté urbaine de Strasbourg ;

– patients présentant une fibromyalgie primitive, d’après lescritères évoqués ci-dessus ;

1. Centre d’évaluation et de traitement de la Douleur(CETD), Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, 1, place del’Hôpital, 67000 Strasbourg.2. Centre d’évaluation et de traitement des douleurspelviennes, SICHUS, rue Pasteur, 67300 Schiltigheim.3. Service d’accueil des urgences, Hôpitaux universitairesde Strasbourg.4. Centre d’évaluation et de traitement des douleurspelviennes, SICHUS.5. Centre d’investigation clinique (CIC), HôpitauxUniversitaires de Strasbourg.6. Département de statistiques médicales, Faculté demédecine, 11, rue Humann, 67000 Strasbourg.7. Service de Rhumatologie, Hôpital de Hautepierre, avenueMolière, 67200 Strasbourg.8. Service de Rhumatologie, Hôpital de Hautepierre, avenueMolière, 67200 Strasbourg.9. Service de Neurologie et des Maladies du muscle,Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.

* Les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont été lespromoteurs et les financeurs de cette étude réalisée dans lecadre d’un programme local de recherche clinique.

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– patients ayant déjà bénéficié d’un bilan biologique (urée,créatinine, transaminases, potassium, sodium, calcium, phos-phore, vitesse de sédimentation, numération formule san-guine, créatine posphokinase, anticorps anti-nucléaires,facteur rhumatoïde, hormones thyroïdiennes et TSH, séro-diagnostics de l’hépatite A, B et C, de la borréliose, du sida)dont la normalité permet d’exclure toute pathologie associée,– patientes dont le test urinaire de grossesse (contrôlé àchaque séquence d’administration) est négatif ;– patients ne prenant aucun opioïde faible (codéine, dextro-propoxyphène, poudre d’opium) ou fort depuis au moinsun mois au moment de l’entrée dans l’étude ; les antalgiquesmineurs, les antidépresseurs et les myorelaxants pris par lespatients sont maintenus, sous réserve d’une posologie stabledepuis quatre semaines au moment de l’inclusion ; de mêmetoute prise en charge de type kinésithérapie ou acupuncturedéjà en cours a été maintenue, sous réserve d’avoir débutéau moins un mois avant le début de l’essai ;– patients dont l’intensité du syndrome douloureux est égaleou supérieure à 5 sur l’EVA ;– patients ayant donné leur consentement.

Critères d’exclusion

– patients ne répondant pas aux critères d’inclusion ;– grossesse « prévue » dans les 6 mois (durée totale du suivipour un patient) suivant le début du protocole ;– antécédent de cancer, quel qu’il soit ;– toxicomanie passée ou en cours, quelle que soit la subs-tance ;– psychopathologie avérée (une évaluation psychologiquecomplète a été faite en début et en fin d’étude) ;– insuffisance cardiaque, hépatique, ou rénale ;– porphyrie connue ;– traitement antérieur par de la kétamine dans le cadre de lafibromyalgie ;– incapacité à donner un consentement.

Objectifs de l’étude

L’objectif principal est d’évaluer la survenue d’un soulage-ment (estimé par une diminution de 50 % de la douleurglobale mesurée sur l’EVA ; cette valeur de 50 % est cellequi ressortait d’études préliminaires). L’EVA est considéréecomme un critère d’évaluation fiable de « l’intensité glo-bale » de la douleur pour un patient qui est son propretémoin, à condition qu’il n’ait pas souvenir des valeurs desévaluations précédentes.La durée du soulagement, lorsqu’il existe, a été suivie dansle temps.La mesure de la qualité de vie par le questionnaire SF-36[12] a constitué un objectif secondaire. La consommationd’antalgiques dans les semaines qui suivent chaque perfu-sion a été relevée.

Protocole et lieu de l’étude

Le plan expérimental est celui d’une étude en double aveu-gle, cross-over, kétamine versus placebo. Chaque patientinclus dans l’étude est hospitalisé à deux reprises, à douzesemaines d’intervalle, pendant 60 heures (du lundi matin8 heures au mercredi soir 20 heures) au Centre d’Investiga-tion Clinique (CIC) pour recevoir une perfusion continueadministrée à l’aide d’une pompe portable type Infusor

®

(laboratoire Baxter) délivrant 0,5 ml par heure, soit de solutéphysiologique, soit de kétamine (laboratoire Panpharma) àraison de 1 mg/kg/jour. La solution est préparée d’après larandomisation le matin de l’admission des patientes par l’undes investigateurs concerné ni par le recrutement, ni parl’évaluation du suivi. La posologie de 1 mg/kg/jour a étéchoisie en raison de son efficacité sur d’autres types de dou-leurs, mais aussi parce qu’elle est assez faible pour que lespatients ne ressentent aucun effet central, ce qui ne leurpermet pas de soupçonner la nature du produit contenudans la pompe.

Les patients ont été hospitalisés par deux pour des raisonsde faisabilité au CIC.

Au début de chaque hospitalisation, les critères d’inclusionont été contrôlés, la douleur et la qualité de vie ont étéévaluées, les enzymes hépatiques dosées, et un test uri-naire de grossesse a été effectué. Au début de la premièreséquence, un entretien psychologique approfondi a étépratiqué, complété par une évaluation à l’aide de test (testde Rohrschach, questionnaire simplifié de Beck, question-naire « Hospital Anxiety and Depression Scale » ou HAD).Un nouvel entretien a été pratiqué lors de la visite de find’étude.

En cours d’hospitalisation, la température corporelle, le pouls,la tension artérielle, la fréquence respiratoire ont été mesu-rés à trois reprises chaque jour. La douleur a été évaluéegrâce à une EVA mesurée à l’admission (J1) et à la sortie (J3).Les effets secondaires indésirables minimes potentiels ontété recherchés.

Suivi des patients

Le

tableau I

résume les étapes de l’évaluation. Lors de leurséjour à domicile, entre les deux séquences d’hospitalisa-tion, les patients disposaient d’un cahier pour, à la fin dupremier et du second mois, noter la douleur « globale » esti-mée sur le mois passé (EVA), remplir le SF-36, mentionnerles antalgiques consommés, et donner un avis global surla période écoulée. Lors de la visite de fin d’étude, à l’issuede l’évaluation, l’ordre d’administration des produits aété communiqué aux patients afin que ceux qui le désirentpuissent renouveler, hors protocole, l’administration dekétamine.

Pour les douleurs non soulagées, ou pour une exacerba-tion des douleurs existantes, des antalgiques de secours

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(paracétamol, aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens,néfopam, spasmolytiques) ont été autorisées, en sus dutraitement antalgique habituel des patients.

Gestion des effets indésirables

Aux posologies utilisées dans l’étude, la kétamine n’a àpriori que peu ou pas d’effets secondaires. Néanmoins, ontété inclus dans les effets secondaires minimes, et recherchésen cours d’étude, une irritation de la veine par laquelle lesproduits ont été administrés, une sensation d’ébriété, la sur-venue d’une hypersalivation, d’une accélération du pouls,un état d’agitation anxieuse. Ont été considérés à prioricomme effets indésirables graves une élévation des transa-minases (à trois fois la norme de départ), des troubles durythme, voire un collapsus ou un décès.

Analyse statistique

La randomisation de l’ordre d’administration des produits aété faite grâce à une table de nombre au hasard, les nom-bres pairs correspondant à une administration de placeboau cours de la première séquence, et les nombres impairs àune administration de kétamine

(tableau II)

.

Les données d’études ouvertes non publiées laissaiententrevoir qu’une telle perfusion de kétamine pendant troisjours permet d’espérer un soulagement d’au moins 50 % dela douleur globale pour au moins deux mois : cette estima-tion a servi au calcul du nombre de sujets nécessaires.Compte tenu de la procédure de cross-over, l’effectif mini-mal nécessaire pour observer une telle différence au risque

α

de 5 % était estimé à 15 patients, le chiffre de 20 qui a étéretenu permettant d’assurer une marge de sécurité en cas

Tableau IÉtapes de l’évaluation et du suivi.

Vérification des critères d’éligibilité

Consente-ment éclairé

EVA SF 36 Hamilton Rohrschach BeckTGO/TGP

Test de grossesse

Visite d’inclusion X X X

1er séjourEntrée J1 X X X X X X X

Sortie J3 X X

Autoévaluation N° 1 (M1) X X

Autoévaluation N° 2(M2) X X

2e séjour. (M3)

Entrée J1 X X X X X X

Sortie J3 X X

Autoévaluation N° 3 (M4) X X

Autoévaluation N° 4 (M5) X X

Visite de fin d’essai (M6) X X X X X

Tableau IIRandomisation des patients inclus dans l’étude.

N° 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Ordre A B B B A A B A A B A B A A B B A A B B

Les patients ont eu un numéro selon leur rang d’admission dans l’étude. Ils ont à deux reprises été hospitalisés par paire (1 & 2, 3 & 4,….). L’ordre A correspond à la séquence placebo à la première hospitalisation et kétamine à la seconde, l’ordre B correspond à la séquence inverse.

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de sortie d’essai. Ont été considérées comme sortiesd’essai : l’abandon volontaire du protocole par le patient, laprise de médicaments interdits, l’arrêt pour cause d’effetsindésirables (altération des test hépatiques, allergie), la sur-venue d’une grossesse.

L’étude a été construite pour rechercher les effets sur lavariable principale (EVA) des facteurs traitement, ordre detraitement et temps. Le modèle considéré fait appel a l’ana-lyse de la variance pour mesures répétées, analyse permet-tant de tenir compte du fait que le patient est son propretémoin en ce qui concerne le traitement et que les mesurespour chaque patient sont répétées dans le temps selon leprotocole défini. Ce modèle permet aussi de tester l’effetordre de traitement. L’analyse a été réalisée à l’aide du logi-ciel SPSS. Les scores dérivés des questionnaires ont été trai-tés de la même façon, mais il ne s’agit que d’indications carce n’était pas l’objectif principal de l’étude. Les sortiesd’essai à survenir devaient être motivées et incluses dansl’analyse faite en intention de traiter.

RÉSULTATS

Sélection des patientes

Compte tenu de la prépondérance féminine de la fibromyal-gie, et d’un recrutement pour l’essentiel issu d’un centre deprise en charge de douleurs pelviennes (et accessoirementd’un service de rhumatologie et d’un service de neurolo-gie), vingt femmes ont été incluses dans l’étude. Vingt-septavaient été pressenties, mais sept ne répondaient pas stric-tement aux critères de sélection : trois pour des raisonsd’âge, deux pour des raisons d’incertitude du diagnostic,une pour des raisons de consommation d’opioïdes, et unepour cause d’éloignement géographique. Toutes les patien-tes ont terminé l’étude et il n’y a donc eu aucune sortied’essai.

Caractéristiques des patientes

L’âge moyen des patientes est de 42,05

±

4,36 ans (avec desextrêmes de 33 et 49 ans). Quatorze patientes prenaient, aumoment de l’entrée dans l’étude, des antalgiques autorisés(AINS, antalgiques mineurs, psychotropes à doses stabili-sées depuis plus d’un mois) qui ont été poursuivis, sansécarts au protocole, tout au long de la période de suivi.

Les entretiens psychologiques semi-structurés, ainsi quel’analyse des tests de Rorschach, et des questionnaires deBeck et HAD ont permis de constater la présence d’unestructuration névrotique (N) chez 12 patientes (8 fois dansle registre hystérique ; 3 fois dans le registre dépressif ; unepatiente dans la norme) et d’un fonctionnement psychiqueavec risque de dépression psychotique (P) chez 8 patientes.Cependant, aucune des patientes ne présentait de névrose

hystérique ou de dépression avérée au moment de l’entréedans l’étude. Douze patientes avaient préalablement ététraitées pour un syndrome dépressif sévère, et quatorzeavaient déjà eu un suivi psychiatrique qui n’avait pas réussià atténuer suffisamment le syndrome douloureux. Douzepatientes avaient dans leur famille un parent, un collatéral,ou un enfant ayant eu ou ayant un problème psychologiquequalifié de grave. Aucune des patientes, sauf une, n’envi-sage de guérison !

Effets des traitements sur la douleur globale

1. Si l’ordre des traitements n’est pas pris en compte

(fig. 1)

et que seuls sont étudiés sur cinq temps (J1 : EVA au pre-mier jour, avant tout traitement ; J3 : EVA globale du troi-sième jour de chaque traitement ; M1 : EVA globale dupremier mois écoulé après le premier traitement ; M2 : EVAdu second mois écoulé ; M3 EVA du troisième mois écoulé)l’effet traitement et l’effet temps, on constate que, surl’ensemble des patientes, il y a un effet temps (p = 1 % ;ceci signifie que l’EVA est modifiée au cours de la durée del’étude du simple fait du temps passé, quel que soit le trai-tement administré) alors que le traitement par la kétaminen’est pas significativement supérieur au placebo (p à 10 %),vraisemblablement du fait d’un manque de puissance (0,37alors qu’il faudrait atteindre 0,8), par effectif trop réduit.Une nouvelle analyse incluant l’effet d’ordre montre que laréponse à la deuxième perfusion n’est pas significativementaffectée par l’effet de la première perfusion.

2. Il n’y a pas d’effet d’ordre (p = 53 %). Ceci signifie quel’ordre d’administration des substances (placebo ou kéta-mine) n’a eu aucune influence sur l’évolution des EVA.

3. Les deux tiers des patientes ont eu recours aux antalgi-ques de secours, quelle que soit la substance administrée(14 patientes au décours de l’administration du placebo, et13 au décours de l’administration de kétamine). Sept patien-

Figure 1. Évolution de l’EVA pour les 20 patientes. L’intervalle deconfiance (IC95) des moyennes s’échelonne de 0,83 à 1,23.

3

4

5

6

7

8

J1 J3 M1 M2 M3

Temps

EV

A Placebo

Kétamine

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tes ont consommé moins d’antalgiques de secours aprèskétamine qu’après placebo, et toutes font partie du groupe« répondeur » défini ci-après. Une seule patiente a pris plusd’antalgiques après la kétamine qu’après le placebo.

4. L’identification de patientes « répondeuses » selon les cri-tères de sélection proposés [8, 9] par Sörensen (diminutiond’au moins 30 % de l’EVA avec la kétamine et effet négligea-ble avec le placebo) a permis de constituer

a posteriori

ungroupe de neuf patientes répondant à ce critère au tempsM1

(fig. 2)

. Il est donc logique qu’il n’y ait pas d’effet tempspour le placebo, et que la supériorité de la kétamine soitstatistiquement significative (p = 1‰ à tous les temps de J3à M 3, comparativement à la valeur notée à J1). Il y a autantde patientes classées « répondeurs » parmi celles qui ont eula séquence placebo puis kétamine que parmi celles qui onteu la séquence inverse. Toutes ces patientes ont spontané-ment signalé avoir noté une amélioration de la qualité deleur sommeil pour au moins trois semaines après la perfu-sion de kétamine.

5. Nous avons tenté de déterminer si la notion de « répon-deur » avait ou non un lien avec la présence ou l’absenced’une psychopathologie estimée de façon dichotomique(oui/non) d’après les conclusions des entretiens psycholo-giques. Un test des probabilités exactes de Fisher conclut àl’absence de lien.

Effet des traitements sur l’état psychologique

Analyse du questionnaire HAD

Toutes les patientes attendaient énormément d’améliorationà l’issue de cette étude. Indépendamment du produit reçu, lasimple prise en charge a eu un impact psychique important.

Pour 10 patientes, la prise en charge a abouti à une améliora-

tion du psychisme dans ses composantes anxieuse et dépres-

sive (9 points sur l’échelle de retentissement émotionnel qui

correspond à la somme des scores anxiété et dépression).

Cette amélioration concerne 7 patientes classées N et 3 patien-

tes classées P.

À l’inverse, pour 7 patientes (5 N, 2 P), il y eu une détériora-

tion (4,1 points sur l’échelle de retentissement émotionnel)

de l’état psychique.

Analyse du questionnaire de Beck

La composante dépressive est améliorée quelle que soit la

structuration psychopathologique chez 12 patientes (7 lors

de l’administration de kétamine, 5 lors de l’administration de

placebo). Cette amélioration ne va pas de pair avec une amé-

lioration physique chez 6 patientes.

Appréciation globale

Douze patientes disent avoir été améliorées à l’issue de l’hos-

pitalisation correspondant à l’administration de kétamine

(7 N, 5 P), et sept par le placebo (3 N, 4 P).

Effets des traitements sur la qualité de vie (SF-36)

Douleur physique (BP)

Si l’on considère l’ensemble des 20 patientes, il n’y a aucune

différence dans l’évolution de BP, quel que soit le produit

administré. Chez les patientes classées « répondeuses », on

note une élévation de BP (maximum possible 100, corres-

pondant à une EVA de zéro) après la kétamine, ce qui corres-

pond à une baisse de l’EVA

(fig. 3)

. Bien qu’il ne s’agisse pas

du critère principal de l’étude, un calcul statistique a été fait

qui montre une différence significative à 1 %.

Il existe une bonne corrélation entre l’évolution de l’EVA de

la

figure 2

et celle de la douleur évaluée au SF-36 et expri-

Figure 2. Évolution de l’EVA chez les patientes « répondeuses » (n = 9).L’IC95 des moyennes s’échelonne de 0,55 à 1,33. La significativité est de1 ‰ aux temps J3, M1, M2, et M3.

3

4

5

6

7

8

9

J1 J3 M1 M2 M3

Temps

EV

A PlaceboKétamine

Figure 3. Évolution du score de douleur physique du SF-36 (un BPélevé signifie peu de douleur) chez les 9 patientes « répondeuses ».

0

10

20

30

40

50

60

70

J1 M1 M2 M3

Temps

BP Placebo

Kétamine

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156

mée sous forme modifiée (100-BP/10, façon d’avoir des uni-tés comparables) aux temps analogues

(fig. 4)

.

Score « globaux » d’état physique (PCS) et d’état mental (MCS)

Là encore, une différence apparaît uniquement pour lespatientes classées « répondeurs », mais sans significativité.

Différence significative des autres critères du questionnaire SF-36

Pour l’ensemble des autres critères du questionnaire SF-36,à savoir « limitations dues à l’activité physique » (RP), « santéperçue » (GH), « vitalité » (VT), « vie et relations avec lesautres » (SF), « limitations dues à l’état psychique » (RE),« santé psychique » (MH), et « évolution de la santé perçue »(HT), aucune différence significative n’a été observée.

Effets secondaires

Le seul effet secondaire notable imputable à la kétamine estune irritation de la veine périphérique perfusée. Il a falluchanger la canule de perfusion pour cause de rougeur et dedouleur chez 5 patientes lors de l’administration de placebo,et chez 17 patientes lors de l’administration de kétamine.

Un état ébrieux a été signalé par 4 patientes lors de la per-fusion de placebo, et par 5 patientes recevant de la kéta-mine.

D’autres effets secondaires ont été signalés (céphalées par3 patientes, crise de spasmophilie avec tachycardie chezune patiente, sensation d’oppression chez deux patientes),sans différence selon la substance perfusée.

Les paramètres hémodynamiques ne sont pas modifiés, etaucune variation notable des tests hépatiques n’a étéobservée.

DISCUSSION

Les multiples hypothèses physiopathologiques ont faitl’objet d’une revue critique [13].

La composante psychopathologique

C’est sans doute celle qui fait le plus débat [14-20]. La dépres-sion franche n’est pas une constante, alors que des traitsdépressifs sont fréquents, et ceci se confirme dans notresérie. Douze patientes ont des antécédents d’hospitalisationpour dépression, et il s’agit de celles dans la famille desquel-les il y a des parents, des collatéraux, ou des enfants qui onteux-mêmes des problèmes. Treize patientes ont été amélio-rées au plan psychologique par « les perfusions », dont septlors de l’administration de kétamine. Même si le repos« forcé » dû à l’hospitalisation a joué un rôle, l’effet de la priseen charge et le cautionnement du syndrome par le corpsmédical sont aussi responsables. Cette revalorisation narcissi-que autorise la construction d’une identité dans laquellel’implication psychologique est niée. Dix-neuf patientesn’envisagent d’ailleurs pas de guérison. La fibromyalgieconstitue un syndrome psychosomatique salvateur et sociale-ment reconnu qui protège d’une décompensation plussévère. La réalité psychologique qui se dégage de cette sérien’implique nullement la négation de facteurs somatiques.

La sensibilisation des voies nociceptives

Évoquée depuis quelques années [21], elle s’appuie surdes arguments cliniques et expérimentaux [1-4-22]. Elles’accompagne d’une perturbation des processus cognitifs[22], et se traduit essentiellement par une hyperalgésie àla pression et au chaud [23]. L’administration aiguë de0,3 mg/kg de kétamine perfusée en 30 minutes [8-10] atté-nue chez les patients atteints de fibromyalgie les douleursspontanées et surtout les douleurs provoquées par une pres-sion répétée, et diminue la zone d’hyperalgésie secondaireinduite par l’administration intramusculaire de petites dosesde sérum salé hypertonique. La kétamine réduit donc dansces cas les phénomènes de sensibilisation centrale des voiesnociceptives.

La présente étude avait pour but d’évaluer l’existence d’unéventuel soulagement des

douleurs spontanées

et son évo-lution dans les semaines suivant une perfusion de kétamineou de placebo. Sur l’ensemble de la population, la kétamineatténue un peu plus la douleur que le placebo, mais defaçon non significative, du fait d’un effectif trop restreint,le calcul du nombre de sujets nécessaires ayant été fait surdes données préliminaires optimistes d’efficacité. L’effettemps (c’est-à-dire l’atténuation de la douleur à J3), aussibien avec le placebo qu’avec la kétamine, relève vraisembla-blement de l’attention portée aux patientes au cours de leurséjour au CIC. Cela concorde avec l’appréciation faite parla psychologue.

Les modalités d’hospitalisation, par deux, pouvaient fairecraindre qu’il y ait une influence réciproque au sein d’un« couple » de patientes quant aux effets observés au décours

Figure 4. comparaison des évolutions de l’EVA et de BP.

3

4

5

6

7

8

9

J1 M1 M2 M3

Temps

EV

A

& (

100-

BP/

10)

Placebo EVA

Kétamine EVA

Placebo BP

Kétamine BP

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Douleurs, 2005, 6, 3

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de la seconde hospitalisation. En effet, les patientes, ainsid’ailleurs que le personnel du CIC, attendaient un effet dif-férent de celui éprouvé lors de la première hospitalisation.L’analyse a révélé qu’il n’y avait pas d’effet d’ordre signifi-catif au plan statistique.Il est artificiel de constituer

a posteriori

un groupe depatientes « répondeuses », mais cette option déjà retenuepar d’autres auteurs [10] souligne que sous le même labelde « fibromyalgie » coexistent sans doute différentes entitésphysiopathologiques, dont au moins une variété avec sensi-bilisation des voies nociceptives. Nous aurions pu, à l’issued’une étude préliminaire, constituer un groupe de patientsrépondeurs et analyser, en tant qu’objectif principal, l’évo-lution du soulagement dans le temps. Néanmoins, les moda-lités utilisées par Sorensen [10] supposaient une perfusionrapide de doses plus importantes qui parfois sont accompa-gnées d’effets secondaires centraux, lesquels peuvent fairesuspecter au patient et à l’évaluateur la nature du produitadministré. De plus, dans une optique pragmatique, il estplus facile d’administrer de faibles dosesà petit débit, lesquelles peuvent avoir,comme cela avait été suggéré par lesétudes préliminaires, un effet antalgiqueretardé, d’où notre choix. Nos travauxpréliminaires, qui ont servi au calcul dunombre de patients à inclure, tablaientsur un soulagement de 50 %, alors que lasélection des répondeurs par Sorensen[10] se basait sur une baisse de 30 %,chiffre qui a été retenu car paraissantsatisfaisant d’après l’estimation globale faite par lespatientes.Les patientes ainsi sélectionnées sont totalement insensi-bles à l’effet du placebo, alors que la kétamine diminue ladouleur relevée avec une EVA de 40 % à J3, de 35 % à M1,et de 20 % à M2 et M3

(fig. 2)

. Encore faut-il noter quel’EVA relevée à J3 correspond à la douleur de la journéeécoulée, alors que les EVA relevées à M1, M2, et M3 éva-luent la douleur globale du mois écoulé, et l’on sait que lamémoire des aspects sensori-discriminatifs se détériorerapidement au profit du souvenir des aspects affectifs [24].Douze patientes ont demandé, à l’issue de l’étude, à pou-

voir profiter d’une nouvelle administration de kétamine

tous les trimestres. Celles qui n’avaient pas été soulagées

par la posologie de 1 mg/kg/j ne l’ont pas été par des doses

supérieures (2 mg/kg/j) qui ont eu des effets secondaires

prononcés de type ébriété. Celles qui faisaient partie du

groupe des « répondeurs » ont été régulièrement soulagées

par la kétamine à la posologie de 1 mg/kg/j. Le doublement

de la posologie n’a jamais permis d’obtenir un soulagement

plus durable, et a même, chez deux patientes, été moins

efficace.

La qualité de vie

Telle qu’elle a été explorée par le questionnaire SF-36, ellen’est améliorée que chez les patientes classées « répondeu-ses », et uniquement pour certaines valeurs dérivées. Il estrassurant de constater que l’item BP qui évalue la douleurphysique a une évolution parallèle à celle des chiffres del’EVA. Ceci permet de valider l’utilisation de l’EVA puisquel’item BP, dérivé de plusieurs questions, prend en comptedifférents aspects de l’expérience douloureuse. L’évolutionfavorable des scores « globaux » de santé physique (PCS) etmentale (MCS) chez les « répondeuses » montre que le sou-lagement dû à la kétamine influence globalement la qualitéde vie.

La méthodologie de l’étude

Elle peut,

a posteriori

, être considérée comme critiquableà plusieurs points de vue :– le cross-over permet d’assurer la comparabilité des grou-pes et de diminuer le nombre de patients nécessaires. Néan-

moins, même si l’analyse statistiquen’a pas permis de retrouver un effetd’ordre significatif, il n’est pas nul,puisqu’à la seconde administration, lespatients attendent un effet opposé àcelui observé après la première adminis-tration. En outre, le cross-over nécessiteun suivi plus long de chaque patient,avec le risque que cela comporte de voirun évènement intercurrent, d’ordre psy-

chologique en particulier, venir modifier la symptomatolo-gie ;– l’hospitalisation des patientes par deux au CIC les aconduites, pour certaines, à rester en contact et à échangerleurs impressions pendant les trois mois qui ont suivi cha-que hospitalisation, et cela a pu biaiser leur appréciation ;– l’évaluation de la douleur « globale » aurait peut-être dûfaire appel à des questionnaires pluridimensionnels, et nepas forcément se contenter d’un chiffre d’EVA. En effet,une telle échelle est plus appropriée à l’évaluation d’unedouleur à un instant donné qu’à l’appréciation rétrospec-tive de la douleur sur une période de temps plus longue.De plus, une telle appréciation inclut aussi bien les dou-leurs spontanées que les douleurs induites par l’activité,alors que l’EVA mesurée lors de l’hospitalisation ne porteque sur les douleurs spontanées, les patientes ayant été aurepos ;– l’absence d’amélioration significative sur l’ensemble dupanel tient soit au nombre insuffisant de patients inclus,soit à une trop faible posologie de kétamine. En effet, lesétudes pilotes qui ont servi au calcul du nombre de sujetsnécessaires utilisaient des posologies supérieures d’au moins50 %, mais au prix d’effets secondaires qui auraient pu faire

L’étude qui mériterait

d’être faite devrait, dans un premier temps, sélectionner les patients

répondeurs.

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deviner la nature du produit. Il aurait alors fallu utiliser unplacebo impur.

Au vu de ces critiques, l’étude qui mériterait d’être faitedevrait, dans un premier temps, sélectionner les patientsrépondeurs, au décours d’un cross-over placebo impur

ver-sus

kétamine à posologie plus élevée. Le second tempsaurait alors pour objectif de déterminer la durée du soula-gement des douleurs.

CONCLUSION

L’hypothèse selon laquelle la fibromyalgie s’accompagned’une hyperalgésie a conduit à proposer l’administrationde kétamine qui a fait la preuve de ses propriétés anti-hyperalgésiantes dans de nombreuses situations de dou-leurs avec sensibilisation des voies nociceptives.

La perfusion de kétamine à raison de 1 mg/kg/j pendanttrois jours n’a pas d’effet significatif sur les douleurs sponta-nées si l’on considère l’ensemble des patientes. Néanmoins,elle a permis d’identifier un sous-groupe de patientes (45 %de l’effectif) insensibles au placebo et soulagées à plusde 30 % de leurs douleurs pour deux au moins deux mois.Sous le label de fibromyalgie existent sans doute des entitésphysiopathologiquement différentes, quoique cliniquementproches.

L’analyse psychologique a permis de relever chez la majoritédes patientes des troubles variés (traits dépressifs, névro-tiques, ou limites, et surtout failles narcissiques), sans quepour autant il ne soit possible d’assimiler la fibromyalgie àune névrose hystérique.

D’un point de vue pratique, l’utilisation de kétamine peutfaire partie des thérapeutiques « réutilisables » chez despatients sélectionnés comme répondeurs.

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Résumé

Objectifs de l’étude.

La kétamine à faibles doses en intraveineuxa des effets anti-hyperalgésiants. L’objectif principal est de vérifiersi elle est efficace sur le syndrome douloureux des patients atteintsde fibromyalgie. Les objectifs secondaires concernaient l’évalua-tion de la durée de ce soulagement et le retentissement sur la qua-lité de vie.

Méthodologie.

Vingt patientes ont été incluses dans un essai ran-domisé en cross-over de perfusion pendant trois jours soit de pla-cebo, soit de kétamine (1 mg/kg/j), les deux administrations étantséparées de trois mois. Elles ont fait l’objet d’une évaluation psy-chologique au début et à la fin de l’étude. La douleur a été appré-ciée grâce à la mesure de l’EVA et à l’item BP du questionnaire dequalité de vie SF-36.

Résultats.

Sur l’ensemble des patientes, la kétamine n’est pas signi-ficativement supérieure au placebo. Il existe un sous-groupe de pa-tientes « répondeuses » (45 % de l’effectif) qui sont soulagées à plusde 30 % pour plus de deux mois. Il n’y a pas de lien avec la psycho-pathologie qui est présente chez toutes les patientes.

Conclusion.

Le label « fibromyalgie » regroupe différentes entités,avec un sous-groupe de patients chez lesquels une perfusion de ké-tamine a des effets antalgiques prolongés.

Mots-clés :

douleur, fibromyalgie, kétamine, psychopathologie.

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Douleurs, 2005, 6, 3

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Summary: Effects of intravenous ketamine administe-red for three days in patients with fibromyalgic pain:double-blind, crossover study

versus

placebo

Objectives. To determine a possible antalgic effect of ketamineupon pain in fibromyalgia. Secondary objectives were evalua-tion of the duration of pain relief, and effects on quality of life.Methods. Twenty women were included in a cross-over controlledtrial, placebo versus kétamine (1 mg/kg/d IV during three days);the two sessions were three months distant. VAS was used for eval-uation of pain, and the SF-36 questionnaire for evaluation of lifequality.Results. On the selected population, kétamine is not significant-ly better than placebo. Nevertheless, a sub-group of responders(45%) experienced pain relief (over 30%) for at least twomonths, and there is no link with a special psychopathology.Conclusion. In some patients with fibromyalgia, there is proba-bly a sensitization of nociceptive pathways which responds wellto IV ketamine.Key-words: pain, fibromyalgia, ketamine, psychopathology.

Tirés à part : A. MULLER,Centre d’évaluation et de traitement

de la Douleur (CETD),Hôpitaux universitaires de Strasbourg,

1, place de l’Hôpital,67000 Strasbourg.

Diplôme Universitaire Thérapie Cognitive

et Comportementale de la Douleur chronique

La formation s’adresse à des professionnels desanté confrontés à la prise en charge de ladouleur chronique.

L’enseignement est délivré sous forme d’ate-liers interactifs et de stages pratiques organiséssur une année universitaire. Nombre de placeslimité.

Thèmes abordés : Généralités. Bases neurobiologiques. Basesthéoriques des thérapies cognitivo-comporte-mentales. Niveau de preuve. Analyse fonction-nelle. Relaxation. Stratégie de gestion dustress. Réactivation physique. Prise en chargecognitivo-comportementale d’une douleurchronique, d’une céphalée, d’une lombalgie.Aspects psychiatriques de la douleur. Présen-tation de cas.

Dossier de candidature d’inscription à :Mme P. BROTTES,Centre d’Évaluation et de Traitement de la Douleur,Hôpital Saint-Antoine,184, rue du Faubourg Saint-Antoine,75571 Paris Cedex 12.Tél : 01 49 28 23 08.Fax : 01 49 28 21 [email protected]