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Eine Welt Un solo mondo Un seul monde N o 1 / MARS 2010 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Eau Une ressource surexploitée et mal répartie Moldavie : reportage au pays des Gagaouzes Que se passe-t-il après le retrait d’une agence de coopération ?

Eine Welt Un solo mondo - eda.admin.ch · Sean Sprague / Still Pictures Sven Torfinn / laif Le tabagisme accentue la malnutrition (bf ) Steven Block et Patrick Webb, de l’Université

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Eine WeltUn solo mondoUn seul monde

No1 / MARS 2010LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

EauUne ressource surexploitée et mal répartie

Moldavie : reportage au pays des Gagaouzes

Que se passe-t-il après le retrait d’une agence de coopération ?

Sommaire

DOSSIER

DDC

FORUM

Un seul monde No 1 / Mars 20102

EAUUne ressource très sollicitée et inégalement répartie Un nombre croissant d’êtres humains se partagent unequantité d’eau qui reste constante sur la planète

6« Nous travaillons main dans la main »Forte d’un important savoir-faire dans ce secteur, la Suisseplaide au niveau international pour la préservation de l’eau

10Une grande soif d’eau virtuelleDans le cadre d’un projet pilote en Colombie, six entreprisessuisses s’efforcent d’économiser l’eau à tous les stades de la production

12La démocratie de l’irrigationDans la vallée de Fergana, en Asie centrale, un projet suissevise à assurer un partage efficace et équitable de l’eau

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« On s’endort dans un pays et on se réveille dans un autre »La Moldavie reconnaît officiellement 28 minorités, une mosaïque qui ne facilite pas la quête d’identité de cette jeune nation

16Enfin, les Moldaves protestent Denis Cenusa évoque le fossé entre les gouvernants et les citoyens dans sa patrie

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Vers une plus grande cohérence des politiques Le directeur de la DDC Martin Dahinden commente le dernier rapport de l’OCDE sur la coopération suisse au développement

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Beaucoup de massacres, peu de condamnésBilan intermédiaire du Tribunal pénal international qui juge les responsables du génocide au Rwanda

22Rajeunir et féminiser la rechercheAvec l’aide de la Suisse, les pays des Balkans occi-dentaux adaptent leurs structures universitaires auxbesoins actuels

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Quand le donateur plie bagageLa coopération suisse réduit le nombre de ses paysprioritaires. Que se passe-t-il après son départ ?

26La paix passe par la coopération Ekrem Çitaku, dentiste et journaliste à Pristina, évoque le rôle des médias dans la construction de la paix

29

Le retour des Tatars De nombreux Tatars de Crimée, jadis déportés, rentrent au pays. Leur réintégration met à rude épreuve cette république autonome.

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Éditorial 3Périscope 4DDC interne 25Au fait, qu’est-ce que la gestion du savoir ? 25Service 33Impressum 35

Un seul monde est édité par la Direction du développement et de lacoopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée auDépartement fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’estcependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinionsy sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pasobligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

HORIZONS CULTURE

Plus de 70% de la surface terrestre est recouverted’eau. Les réserves avoisinent 1,386 milliard de kilo-mètres cubes. Mais l’eau douce représente seulement3,5% du total et on ne peut en consommer qu’une pe-tite partie. Malgré tout, les scientifiques sont convain-cus que la planète dispose d’assez d’eau pour tous ses habitants. À condition de la gérer avec soin.

Or cette ressource vitale est surexploitée, notammentpar l’agriculture qui doit nourrir une population mon-diale en hausse constante. Les prélèvements excessifsprovoquent dans bien des régions des pénuries d’eau,lesquelles sont encore accentuées par les change-ments climatiques : 43 pays souffrent déjà de « stresshydrique », c’est-à-dire que la demande d’eau y est su-périeure à la quantité disponible. De plus, quelque 900millions d’êtres humains sur la planète n’ont toujourspas accès à de l’eau potable. Ils sont obligés deconsommer l’eau souillée d’étangs, de rivières ou depuits non protégés. Conséquence : dans les bidonvillesqui jouxtent les grandes métropoles du Sud, beaucoupd’habitants doivent s’approvisionner auprès de reven-deurs privés et paient leur eau vingt à cinquante foisplus cher que les ménages raccordés au réseau public.Dans le domaine de l’assainissement, la situation estencore pire : 2,5 milliards de personnes sont privéesd’installations sanitaires convenables ; elles font leursbesoins à l’extérieur, utilisant souvent des seaux ou deslatrines rudimentaires. Il n’est dès lors pas étonnant queces populations soient exposées à de graves risquessanitaires.

La communauté internationale a pris conscience de-

puis longtemps de l’importance de « l’or bleu » pourl’humanité. Rien qu’au sein du système onusien, 26 en-tités s’occupent de cette problématique. Dans chaquepays, des autorités sont chargées de gérer l’eau au ni-veau national, régional et local. Même si tout le mondeadmet aujourd’hui l’imminence d’une crise mondiale del’eau, ce problème ne figure toujours pas en tête despriorités. C’est ce que constate Raymond Jost, secré-taire général du Secrétariat international de l’eau, quidénonce un manque de volonté politique. Lisez à cepropos notre dossier sur l’eau dès la page 6.

Cette année, Un seul monde confie la rédaction de saCarte blanche à Ekrem Çitaku, qui vit à Pristina, la ca-pitale du Kosovo. Âgé de 32 ans, ce dentiste et direc-teur de radio a grandi dans une région où « les gens ontété témoins, dès leur plus jeune âge, des événementsqui ont marqué le sud-est de l’Europe au cours des der-nières décennies ». Malgré la guerre et une crise éco-nomique bien plus grave que chez nous, il essaie devoir le bon côté des choses : « Nous pouvons tirer partides expériences de cette période pour élaborer desstructures, des projets et des relations qui serviront àapprendre les valeurs humaines, à accepter les chan-gements, à reconnaître la nécessité de promouvoir etde cultiver le respect réciproque et la paix dans cettepartie de l’Europe. » Sa première chronique, à la page29, montre que, pour lui, ce ne sont pas là que desmots.

La rédaction

(De l’allemand)

De l’eau pour tous, à condition de mieux la gérer

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Éditorial

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Le tabagisme accentue lamalnutrition(bf ) Steven Block et PatrickWebb, de l’Université Tufts àBoston, ont démontré que, dansles pays en développement, lesrépercussions négatives du taba-gisme vont bien au-delà des at-teintes directes à la santé des fu-meurs. Sur l’île indonésienne deJava, ces deux chercheurs ontétudié environ 33 000 ménagesruraux, dont la grande majoritévivent au-dessous du seuil depauvreté. Ils ont calculé qu’unefamille comprenant au moins unfumeur consacre en moyenne10% de son budget, déjà fortmodeste, à l’achat de tabac. Pourpouvoir se procurer des ciga-rettes, les gens économisent surl’alimentation. Non seulementles familles de fumeurs réduisentles quantités de nourriture, maiselles achètent également des ali-ments de moindre valeur pour lasanté. Elles privilégient le riz audétriment de la viande, des fruitset des légumes, aliments qui sontplus nutritifs mais aussi pluscoûteux. Et ce sont surtout lesenfants qui pâtissent de cette situation. Les deux scientifiquesaméricains l’ont démontré enétudiant leur masse corporelle,un indicateur largement re-connu de l’alimentation. Ainsi,dans les familles de fumeurs, les enfants souffrent de retardsde croissance et ils sont enmoyenne de plus petite tailleque leurs camarades du même

âge vivant au sein de foyers nonfumeurs. www.tufts.edu

Des préservatifs pour protéger le climat(gn) Plus la population s’accroît,plus il devient difficile de nourrir tout le monde. C’est le constat auquel parviennentégalement 37 des 40 pays en dé-veloppement que le scientifiquebritannique Leo Bryant aconsultés dans le cadre d’uneétude de l’Organisation mon-diale de la santé (OMS) consa-crée au changement climatiqueet à la croissance démographi-que. Pourtant, seuls six pays enont tiré la conclusion logiquequi est d’intensifier leurs effortsen matière de planification familiale et de contraception. Parmi eux figure l’Éthiopie, où un vaste projet a été lancé en 2005 pour rétablir l’équilibreentre l’environnement et lacroissance démographique : parallèlement à l’améliorationdu sol et à l’augmentation de la productivité qui en découle,on a développé les services deplanification familiale, y comprisl’accès aux moyens de contra-ception. Selon Leo Bryant, « ceprojet montre que les bénéficespour l’environnement d’unemeilleure gestion des terres peu-vent être durables s’ils ne sontpas sapés par l’accroissement dela population ».www.newscientist.com

La météo au secours despaysans( jls) En cette période de ré-chauffement climatique, la saisondes pluies est plus tardive et pluscourte qu’avant au Mali, ce quiperturbe l’organisation du ca-lendrier agricole. Afin de savoirquel est le moment appropriépour semer, épandre de l’en-grais, désherber ou récolter, lespaysans écoutent attentivementles conseils diffusés sur les ondesde la radio et de la télévision parle service météorologique natio-nal. Depuis 1996, celui-ci réaliseun programme d’assistance aumonde rural, en collaborationavec un réseau d’exploitants.Environ 1700 « paysans decontact » ont en effet appris à effectuer des relevés pluviomé-triques dans leurs champs. Aprèschaque pluie, ils mesurent le niveau des précipitations ettransmettent ces données au service météorologique. Là, ungroupe multidisciplinaire éla-bore des recommandations, parexemple sur les dates des semispour les diverses variétés de cé-réales. Grâce à ce programme,

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les rendements du mil ont dou-blé et ceux du sorgho presquetriplé. De ce fait, la sécurité ali-mentaire s’améliore et le revenudes paysans augmente.

Une batterie poids plume(bf ) Au lieu d’être un fléau,l’algue cladophora pourrait deve-nir une matière première fortutile, surtout pour les pays endéveloppement. À partir de lananostructure unique de sa cel-lulose, les chercheurs du labora-toire Ångström de l’Universitéd’Uppsala (Suède) ont déve-loppé un matériau inédit quipermet d’obtenir des batteriesparticulièrement écologiques.Ces dernières ne pèsent presquerien et battent tous les recordsen matière de capacité et de vi-tesse de charge. « Les batteries secomposent pour l’essentiel depapier et d’eau salée. En théorie,n’importe qui pourrait en fabri-quer dans sa cuisine, à condition

de disposer d’un mixeur assezpuissant », affirme MariaStrømme, professeure de nano-technologie. À ses yeux, tout lepotentiel de ces batteries résidedans la simplicité de leur fabri-cation. « Elles pourront être pro-duites sur place, dans les pays endéveloppement. » Mais la cher-cheuse suédoise voit aussi plusloin : « Essayez d’imaginer tout ce que l’on pourra faire lorsqu’ilsera possible d’intégrer une piledans du papier peint, des vête-ments, des emballages de médi-caments, etc. »www.angstrom.uu.se/eng

Frein à la surpêche(bf ) Avec de la chance, l’huma-nité pourra continuer de man-ger du poisson à l’avenir. Telleest la conclusion d’un groupeinternational d’experts coor-donné par le National MarineFisheries Service (service améri-cain des pêcheries maritimes).

Dans le cadre d’une étude qui a duré deux ans, les chercheursont démontré que les efforts delutte contre la surpêche dans denombreuses régions du mondecommencent à porter leursfruits. Mais il n’y a pas encore de quoi crier victoire. Pour 63%des stocks de poissons étudiés, ilest indispensable de prendred’urgence des mesures commela réduction des captures, si l’onveut éviter la disparition d’es-pèces particulièrement mena-cées. « De plus, 60 à 70% desprises ont lieu dans les pays endéveloppement, où les mesuresde protection des ressources ha-lieutiques sont encore rares »,souligne l’Autrichien GeorgScattolin, spécialiste de la pêcheau WWF. « Or les pays européenssont coresponsables de cette si-tuation. Après avoir épuisé laMéditerranée et la mer duNord, ils pêchent de plus en plus souvent au large des côtes

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Échanges

des pays tropicaux, en recourantparfois à la flotte des pays en dé-veloppement. »www.nefsc.noaa.gov

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R En raison de la sécheresse, les Maliens doivent souvent parcourir des kilomètres pour trouver de l’eau. Au Bangladesh, où cette ressource est pourtantplus qu’abondante, beaucoup de gens n’ont toujours pas accès à une eau salubre.

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Eau

Une ressource très sollicitée et inégalementrépartieUn nombre croissant d’usagers doivent se partager une quan-tité d’eau qui reste constante sur la planète. La surexploita-tion et la mauvaise gestion de ce capital provoquent toujours davantage de pénuries. Par ailleurs, le manque d’accès à l’eaupotable et à l’assainissement tue chaque année 1,8 million de pauvres dans les pays en développement. De Jane-LiseSchneeberger.

L’heure n’est plus aux incantations rituelles ou auxsacrifices de poules. Pour faire tomber la pluie, leMali recourt aux grands moyens. Lorsque les services météorologiques voient s’amoncelerquelques nuages, un avion décolle pour aller les «ensemencer » : il pulvérise un produit chimiquequi déclenche des précipitations. Cette technolo-gie sauve quelques récoltes, mais elle paraît déri-soire face à l’évolution inexorable du climat. Com-me le Niger, 42 autres pays sont déjà exposés au «stress hydrique », situation dans laquelle la de-mande d’eau dépasse la quantité disponible.

Prélèvements excessifs Les changements climatiques perturbent les cycleshydrologiques. Il pleut moins dans les régionsarides, tandis que les zones humides sont plus ar-rosées. Tempêtes, sécheresses et autres événementsextrêmes se multiplient. Si le réchauffement de laplanète accentue la pénurie d’eau, il n’en est tou-tefois pas le premier responsable. Le problèmevient de la surexploitation de la ressource. Pour ré-pondre à la demande alimentaire, qui s’accroîtavec l’essor démographique, l’agriculture absorbeà elle seule 70% de toute l’eau disponible. Les pré-lèvements d’eau par l’industrie, qui représentent20% de la consommation, sont eux aussi en aug-mentation. Les 10% restants couvrent les besoinsdomestiques. Dans de nombreuses régions du monde, le débitdes fleuves se réduit et le niveau des nappes souterraines baisse de manière inquiétante. « Nouspompons souvent beaucoup plus d’eau que lecycle naturel n’est capable d’en renouveler. Etquand nous la restituons à la nature, elle est pol-luée », déplore Raymond Jost, secrétaire général duSecrétariat international de l’eau. La contamina-

tion des rivières, par les produits agrochimiquesnotamment, rend l’eau inutilisable en aval, ce quiaccentue encore la pénurie.La raréfaction de l’eau accroît la concurrenceentre les différentes catégories d’usagers. Elle atti-se également les discordes entre les États qui doi-vent se partager les eaux d’un lac, d’un cours d’eauou d’une nappe souterraine. De tout temps, destensions ont opposé les pays contrôlant le courssupérieur d’un fleuve à ceux situés en aval. C’estle cas notamment en Asie centrale (voir page 14).

Les pauvres paient l’eau plus cher queles richesLa distribution de l’eau domestique recèle de pro-fondes inégalités dans les pays en développement.Malgré les progrès notables réalisés dans ce do-maine, environ 900 millions d’êtres humains n’onttoujours pas accès à une source d’eau potable. Cesont pour la plupart des pauvres vivant dans leszones rurales. Ils sont obligés de consommer l’eausouillée d’étangs, de rivières ou de puits non pro-tégés. Parmi les personnes ayant accès à l’eau po-table, la moitié seulement dispose d’un robinet àdomicile. Dans les villes du Sud, les réseaux de dis-tribution ne desservent souvent que le centre etles beaux quartiers. Les habitants des bidonvilless’approvisionnent auprès de petits revendeurs pri-vés. Ils paient alors le précieux liquide vingt oucinquante fois plus cher que les ménages raccor-dés au réseau municipal, ce qui est dû entre autresaux frais d’acheminement élevés. Sur le plan de l’assainissement, le tableau est en-core plus sombre : environ 2,5 milliards de per-sonnes sont privées d’installations sanitaires conve-nables. À la campagne, elles défèquent en plein air,dans des seaux ou dans des latrines rudimentaires.

Un enfant meurt toutesles 20 secondesChaque année, 200 mil-lions de tonnes d’excré-ments humains sont dis-persés dans la nature, infectant les sources d’eaupotable. Ils grouillent de virus et de bactéries quiprovoquent de graves maladies diarrhéiques,comme le choléra, la dysenterie et la fièvre ty-phoïde. Ces affections font1,8 million de victimes paran, principalement des enfants de moins de cinqans. Cela signifie qu’un enfant meurt toutes les 20 secondes. D’autresmaladies sont associées àl’eau. Ainsi, la malaria, ladengue et l’onchocercosesont transmises par la pi-qûre d’insectes qui se re-produisent dans les eauxstagnantes. La bilharzioseest due à la pénétrationdans la peau, lors de bai-gnades par exemple, d’unver aquatique contaminépar des matières fécales.Le trachome, maladie in-fectieuse des yeux, se pro-page surtout lorsqu’on nepeut pas se laver régulière-ment les mains et le visage.

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En ville, de nombreux ménages sont équipés defosses septiques, mais les boues de vidange sont ensuite déversées sur des terrains vagues ou dansdes rivières. Toutes ces pratiques exposent la po-pulation à des risques sanitaires majeurs. « C’est lescandale de la pauvreté. Des millions de gens meu-rent de maladies liées à l’eau, alors que l’on pour-rait facilement empêcher cette hécatombe », s’in-surge François Münger, chef de la section Initia-tives Eau à la DDC.

Le tabou de l’assainissementL’un des Objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement (OMD) vise à réduire de moitié d’ici 2015le pourcentage de la population mondiale n’ayantpas accès à l’eau et à l’assainissement. En ce quiconcerne l’eau, cette cible sera probablement at-teinte partout sauf en Afrique subsaharienne. Enrevanche, peu de régions atteindront l’objectif fixépour l’assainissement. Ce domaine a toujours été

le parent pauvre de la politique de l’eau. « Lesbailleurs de fonds et les gouvernements du Sud ont trop souvent privilégié les projets d’adductiond’eau, au détriment de l’évacuation des déchets fé-caux et des eaux usées, un domaine plus complexeet peu attrayant», constate Thomas Zeller, chef sup-pléant de la section Initiatives Eau.

Décentralisation incomplèteCe n’est pas le manque de moyens techniques quiretarde la réalisation de cet OMD. On sait com-ment construire des réseaux, évacuer de manièrehygiénique les eaux usées, les traiter, les recycler,etc. À Ouagadougou, au Burkina Faso, le Centrerégional pour l’eau potable et l’assainissement àfaible coût (Crepa) a mis au point, en collabora-tion avec des hautes écoles suisses, plusieurs tech-nologies peu coûteuses et spécialement adaptéesau contexte africain. Son directeur Cheick Ti-diane Tandia signale toutefois deux contraintes de

Long chemin vers undroit de l’homme Le droit à l’eau figure dansplusieurs traités internatio-naux et de nombreux paysl’ont inscrit dans leurConstitution. Cependant, il aura fallu des décenniespour le hisser au rang dedroit de l’homme. L’ONU a franchi ce pas en 2002 :dans une observation gé-nérale, elle a affirmé que le droit à l’eau est implici-tement protégé par lePacte international relatifaux droits économiques,sociaux et culturels, de1966, dans la mesure oùce texte reconnaît le droit àun niveau de vie suffisant.Cette interprétation n’atoutefois pas un caractèrecontraignant. Et certainsÉtats craignent toujoursqu’une reconnaissance officielle du droit à l’eau ne leur confère des obliga-tions irréalisables. Un autredébat est en cours actuel-lement. Il porte sur laquestion de savoir si l’as-sainissement doit être re-connu comme un droit distinct ou s’il découle dudroit à l’eau.

Au Burkina Faso (en haut à gauche), des technologies ont été développées avec l’aide de la Suisse pour gérer l’eau demanière plus économique et combattre l’érosion

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La galaxie de l’eauAu sein du système desNations Unies, 26 entitéss’occupent de questionsliées à l’eau. Le méca-nisme ONU-Eau a été créépour coordonner leurs ap-proches et faciliter leséchanges avec les parte-naires extérieurs. Et ceux-ci ne manquent pas. Dans le foisonnement d’acteursinternationaux, on dis-tingue cinq ténors : le Conseil mondial de l’eau, à Marseille, regroupe 500membres institutionnelspublics et privés ; le Conseilde concertation pour l’ap-provisionnement en eau etassainissement, à Genève,a notamment créé le Fondsmondial pour l’assainisse-ment ; le Partenariat mon-dial de l’eau, à Stockholm,milite pour une gestion du-rable des ressources ; leProgramme eau et assai-nissement a été lancé il y a trente ans sous les auspices de la Banquemondiale ; le Secrétariat international de l’eau, àMontréal, s’affirme commela voix citoyenne dans cedomaine.

Une corruption endémiqueComme les autres sec-teurs qui nécessitent d’im-portants investissements,celui de l’eau est très per-méable à la corruption. Dusimple citoyen obligé depayer un pot-de-vin pourêtre raccordé au réseau de distribution, jusqu’à lamultinationale qui soudoieun ministre pour décrocherun marché public, la cor-ruption se pratique à tousles niveaux et dans tousles domaines. En matièred’eau potable et d’assai-nissement, les dessous-de-table renchérissent jusqu’à 30% le coût desraccordements au réseau.La corruption est égale-ment très étendue dans laconstruction et la gestionde systèmes d’irrigation ou de barrages hydroélec-triques. Le Réseau d’inté-grité de l’eau a été créé en2006 pour combattre cefléau. Il est chargé notam-ment d’élaborer et de pro-mouvoir un code deconduite international.

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taille : « Dans le cadre de la décentralisation, les Étatsont délégué aux communes la gestion de l’eau,mais ce processus ne s’est pas accompagné d’untransfert de ressources financières. En outre, les éluscommunaux ont rarement la capacité d’élaborerdes plans d’assainissement et de superviser leurmise en œuvre. » Les mêmes problèmes se posentdans beaucoup d’autres régions du monde. Raymond Jost dénonce, pour sa part, un manquede volonté politique. « Les gouvernements du Sudplacent l’eau au cinquième ou au sixième rangdans l’ordre de leurs priorités, après la téléphoniemobile, les routes, l’armée… Je ne comprends pasqu’un besoin aussi fondamental ne figure pas entête de liste. » Les bailleurs de fonds ne se mobili-sent pas non plus suffisamment en faveur de l’eau : 8% seulement de l’aide internationale est allouée à ce secteur.

Réformer la gouvernanceLes organisations internationales estiment que lacrise de l’eau est essentiellement une crise de lagouvernance. Elles recommandent l’applicationde principaux fondamentaux. L’un d’eux est la «gestion intégrée des ressources en eau ». Il consis-te à prendre en compte les besoins de toutes lescatégories d’usagers, sans oublier ceux des écosys-tèmes aquatiques. On ne se soucie souvent que del’agriculture, de l’industrie et de la productionénergétique.Un autre principe veut que tous les acteurs parti-cipent aux décisions. « Les défis de l’eau requièrentla mobilisation non seulement des pouvoirs pu-blics, mais également du secteur privé, de la so-

ciété civile et des bailleurs de fonds », insiste Fran-çois Münger. « Ces différents intervenants doiventdialoguer dans la transparence et partager lesmêmes valeurs, comme le droit à l’eau. » Cette ressource étant un bien commun, il appartient àl’État d’en garantir une répartition équitable. « Uneautorité de régulation est indispensable pourcontrôler les activités des opérateurs privés et pu-blics, auxquels les collectivités locales confient lagestion de leurs services d’eau », souligne JohanGély, de la division Financement des infrastruc-tures au Secrétariat d’État à l’économie (Seco). «Ces entreprises possèdent certes un savoir-faireet une expertise qui font souvent défaut aux mu-nicipalités. Mais leurs impératifs de rentabilité peu-vent les inciter à diminuer les investissements et àaugmenter les tarifs. »

Dieu fournit l’eau, mais pas les tuyauxLa politique de l’eau est vouée à l’échec si la po-pulation n’y adhère pas. C’est pourquoi il est es-sentiel d’associer les usagers à son élaboration etde leur faire comprendre la structure tarifaire.«Bien des gens estiment que l’eau devrait être gra-tuite, car c’est un don de Dieu. On doit leur ex-pliquer qu’ils n’achètent pas l’eau elle-même, maisson captage, son transport et son traitement », noteJohan Gély. Selon les organisations internationa-les, les ménages ne devraient pas dépenser plus de3 ou 5% de leur revenu pour l’achat d’eau. Dansles bidonvilles, cette part dépasse souvent 10%. ■

Dans bien des régions du monde, notamment en Inde, au Burkina Faso (en haut), en Haïti et au Mexique (en bas), avoirde l’eau courante et des toilettes à la maison est encore un luxe

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Des communes solidaires Les communes de Suissese mobilisent en faveur devilles et de villages du Sudqui ont besoin d’aide pouraménager ou gérer leur système d’approvisionne-ment en eau. Sur la plate-forme Internet Solidarit’eauSuisse, lancée par des ser-vices d’eau municipaux etla DDC, des œuvres d’en-traide suisses présententdes projets en attente definancement. Les commu-nes choisissent celui qu’elles souhaitent appuyer.Par exemple, Münsingen(BE) a financé le forage etl’équipement de puits dans dix villages malga-ches. Gommiswald (SG) et Frauenfeld (TG) soutien-nent la construction et larénovation de puits dans22 villages de Guinée-Bissau. Six municipalitésromandes, dont Fribourget Lausanne, ont créé unpartenariat public-publicavec Nouakchott pour aider la capitale de laMauritanie à améliorerl’accès à l’eau des popula-tions défavorisées.www.solidariteausuisse.ch

« Nous travaillons main dans la main »Forte d’un important savoir-faire en la matière, la Suisse a faitde l’eau un thème prioritaire de son aide au développement. Surla scène internationale, elle plaide pour une utilisation durableet équitable de cette ressource. Les cinq offices fédéraux con-cernés parlent d’une seule voix au sein des organisations et desforums multilatéraux.

( jls) Dans les années 60 déjà, les premiers coopé-rants suisses foraient des puits, installaient despompes et creusaient des drainages pour alimenterdes villages du Sud. Au fil des ans, l’approche a évo-lué. Aujourd’hui, les projets de développement vontbien au-delà de l’assistance technique. Ils sont axéssur la durabilité des infrastructures, la gestion des res-sources par les communautés, la participation desusagers, la formation des acteurs locaux et le déve-loppement des politiques nationales de l’eau. Lesdeux offices fédéraux chargés de la coopération audéveloppement accordent une importance centra-le au secteur de l’eau. La DDC lui alloue environ90 millions de francs par an (10% de son budget)et le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) environ20 millions (7%). Leurs activités sont complémen-taires.

Des toilettes à dix dollarsLa DDC travaille essentiellement dans les zones ru-rales et les petites villes. Elle réalise actuellement 170projets consacrés à l’adduction d’eau potable, à l’as-sainissement ou à la production alimentaire. Dansce dernier domaine, ses interventions visent à amé-liorer les pratiques agricoles et à préserver les éco-systèmes. Ainsi, plusieurs projets portent sur la miseen place à petite échelle de systèmes d’irrigation augoutte-à-goutte. Au Népal, la Banque mondiale vareprendre à son compte le modèle testé par la Suis-se, afin de le reproduire sur de plus grandes surfaces. Depuis 2005, la DDC a élargi ses activités dans ledomaine de l’assainissement. Au Bangladesh, elle acofinancé une campagne dite d’« assainissement to-tal ». Dans tout le pays, les populations ont été sen-sibilisées aux problèmes posés par la défécation enplein air. Puis on a soutenu l’émergence d’un sec-teur privé capable de répondre à la demande de la-trines. Quelque 6000 ateliers ruraux se sont mis àfabriquer des toilettes à dix dollars la pièce. Cetteapproche a été reprise dans plusieurs autres pays duSud.

Impact sur l’industrie et le tourismeLe Seco se concentre, lui, sur les grandes villes. Il fi-nance la réhabilitation ou la construction d’infra-structures d’eau et d’assainissement. Il contribue

également à améliorer les performances financièreset techniques de l’entreprise municipale chargée duservice d’eau. Son objectif est d’aider les pays par-tenaires à s’intégrer dans l’économie mondiale. «L’accès à une eau de bonne qualité favorise le dé-veloppement de l’industrie et du commerce. Lesmarchandises s’exportent mieux si elles répondentaux normes internationales de qualité et d’hygiè-ne», remarque Guy Bonvin, de la division Finan-cement des infrastructures au Seco. L’eau peut aussi avoir un impact sur le tourisme,ajoute-t-il, citant à titre d’exemple l’appui du Secoaux villes de Boukhara et de Samarkand, en Ouz-békistan. Grâce aux premiers travaux réalisés sur lesréseaux de distribution municipaux, la qualité del’eau aux robinets des chambres d’hôtel s’est nette-ment améliorée ; cela vaut à ces deux cités histo-riques une meilleure réputation auprès des nom-breux visiteurs étrangers.

Tandis que la Suisse officielle réalise de grands projetsportant sur l’évacuation des eaux usées ou la construc-tion de latrines (au Bangladesh, par exemple), des com-munes suisses viennent en aide à des localités du Sud.Ainsi, Münsingen a financé le forage et l’équipement depuits dans dix villages malgaches.

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Investissement rentableChaque franc investi dansun projet d’adductiond’eau ou d’assainissementgénère un bénéfice de 3 à5 francs, si l’on additionneles dépenses évitées et legain de productivité. C’estce qu’a montré une ana-lyse des projets de la DDC.Une fois que l’eau potablearrive au village, les fem-mes ne sont plus obligéesde faire de longs trajetspour aller la puiser. Elleséconomisent ainsi des for-ces et du temps, qu’ellespeuvent consacrer à desactivités rémunératrices ouà l’éducation de leurs en-fants. D’autre part, la con-sommation d’eau propreréduit fortement la fré-quence des maladies diarrhéiques. Les famillesépargnent les frais de mé-dicaments. Étant en meil-leure santé, les villageoissont plus productifs, ce quise traduit par un accrois-sement de leurs revenus.

Pas d’eau propre sans forêtsLa Suisse est également très active dans les organi-sations, les réseaux et les forums multilatéraux. Elles’efforce en particulier de faire inscrire à l’agendamondial des thèmes essentiels à ses yeux, commel’assainissement ou la gestion intégrée des ressourcesen eau. Outre la DDC et le Seco, trois autres instances of-ficielles participent au dialogue international. L’Of-

fice fédéral de l’environnement (Ofev) se préoccu-pe en particulier de la dégradation des écosystèmes.«Avant d’arriver dans les rivières et les lacs, l’eau pas-se par les sols, les forêts et les zones humides. Il s’agitde préserver ces écosystèmes pour assurer un régi-me régulier d’eau propre en aval », rappelle SibylleVermont, de la division Affaires internationales del’Ofev. De son côté, l’Office fédéral de la santé publiques’intéresse à la qualité de l’eau. Il s’implique no-

Eau

tamment dans la mise en œuvre du Protocole de laCEE-ONU sur l’eau et la santé, un accord qui viseà faire reculer les maladies hydriques en améliorantla gestion de cette ressource. Enfin, l’Office fédéralde l’agriculture participe aux réflexions interna-tionales sur deux thèmes clés : comment produiredavantage de nourriture en utilisant moins d’eau etcomment réduire la pollution engendrée par les en-grais et les pesticides ?

Cinq offices, une seule voixCes différents acteurs de l’administration fédéralecoordonnent étroitement leurs activités. Au sein duComité interdépartemental sur le développementdurable dans le secteur de l’eau, ils se consultent etélaborent des prises de position communes. «Nousavons des idées largement convergentes et nous tra-vaillons main dans la main. Chaque office sait exac-tement ce que font les autres et quel est leur agen-da», se félicite Sibylle Vermont. «Grâce à cette co-opération hors pair, nous ne faisons pas que produiredes messages politiques, mais nous les mettons enœuvre sur le terrain. » À titre d’exemple, la DDCréalise plusieurs projets de paiements aux écosys-tèmes pour la gestion de l’eau en Amérique latine.En Moldavie, elle aide le gouvernement à satisfai-re aux exigences posées par le Protocole de la CEE-ONU. ■

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(jls) Un Suisse consomme en moyenne 160 litresd’eau par jour pour ses usages domestiques : cuisi-ne, toilettes, douche, lessive, arrosage du gazon, etc.C’est un volume considérable si l’on pense qu’unhabitant du Sahel vit avec moins de 5 litres par jourpendant la saison sèche. Pourtant, il est négligeableen regard des quantités astronomiques d’eau né-cessaires à la production d’aliments, de vêtementset de pratiquement tous les objets usuels. L’eau ca-chée ou «virtuelle » abonde en particulier dans ledomaine alimentaire. Il faut, par exemple, 16 000litres d’eau pour produire un kilo de viande debœuf. Ce chiffre inclut toute l’eau nécessaire à laculture de grains et de fourrage ainsi qu’à l’abreu-vement et à l’entretien de la vache durant trois ans.

Les céréales sont un peu moins voraces, mais il fauttout de même 1500 litres d’eau pour obtenir unkilo de blé et 5000 pour un kilo de riz. La pro-duction industrielle ne peut pas non plus se passerd’eau : 400 000 litres sont nécessaires pour la fabri-cation d’une voiture, 8000 pour une paire de chaus-sures en cuir et 2000 pour un tee-shirt en coton.

Flux d’eau virtuelleBeaucoup de ces marchandises sont produites àl’étranger, souvent dans des régions du monde quisouffrent d’un stress hydrique ou qui risquent d’yêtre exposées dans les prochaines décennies. Enachetant aux pays du Sud du riz, du coton, du café,des fruits ou encore des céréales destinées à nour-

La production de pratiquement tous nos biens de consomma-tion exige d’énormes quantités d’eau. Or, ces marchandisessont souvent importées de pays arides ou semi-arides. Dansle cadre d’un projet pilote lancé par la DDC en Colombie, sixentreprises suisses s’efforcent d’économiser l’eau à tous lesstades du processus de production.

Une grande soif d’eau virtuelle

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Le hamburger coûtecher en eauLe Réseau de l’empreintesur l’eau a été créé en2008 afin de développer etde diffuser ce nouvel indi-cateur. Il réunit près de 80 acteurs internationauxpublics et privés, dont laDDC, qui interviennentdans le secteur de l’eau.Son site Internet indiquel’empreinte sur l’eau dechaque pays. Celle-ci varienotamment en fonction du régime alimentaire de la population. Les peuplesqui consomment beau-coup de viande affichentdes niveaux très élevés.Les États-Unis battenttous les records, avec uneempreinte de 2483 m3

d’eau par an et par habi-tant. À l’autre bout du classement figurent notam-ment la Chine (702 m3),l’Afghanistan (660), leBotswana (623) et leYémen (619). L’internautepeut également calculer sa propre empreinte, au-trement dit la quantitéd’eau qu’il consomme enune année soit directement(besoins domestiques),soit indirectement (eau vir-tuelle contenue dans lesproduits consommés). www.waterfootprint.org

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rir nos vaches, nous importons virtuellement l’eauqui a servi à cultiver ces denrées. Le commercemondial s’accompagne dès lors de gigantesquestransferts invisibles d’eau. Un nouvel indicateur permet de déterminer lesquantités réellement utilisées, en tenant compte desimportations et des exportations d’eau virtuelle. Ils’agit de « l’empreinte sur l’eau » que l’on peut cal-culer pour un produit, un individu, une ville, uneentreprise ou un pays. L’empreinte de la Suisse, parexemple, s’élève à 1682 m3 par an et par habitant,dont pas moins de 79% viennent de l’étranger.«Notre confort et notre bien-être dépendent del’eau des autres », commente François Münger,chef de la section Initiatives Eau à la DDC. « Il estdonc dans notre intérêt d’aider les pays en déve-loppement à gérer leurs ressources. »

Optimiser la gestion de l’eauFin 2009, la DDC a lancé en Colombie un projetpilote qui met en œuvre ce nouveau concept. Ellea constitué un consortium regroupant six multi-nationales suisses ou à capitaux suisses – Nestlé,Syngenta, Holcim, Novartis, Clariant et Alpina –qui se sont engagées à réduire leur empreinte surl’eau dans la région où elles opèrent. «Elles ont déjàrationalisé leur consommation à l’intérieur des fa-briques, par exemple en recyclant l’eau de net-toyage. Le défi consiste maintenant à éliminer lesgaspillages et à optimiser l’utilisation de l’eau dansles chaînes d’approvisionnement », souligne Tho-mas Zeller, chef suppléant de la section InitiativesEau à la DDC. Dans un premier temps, les entreprises effectuentune analyse pour identifier les potentiels d’écono-mies. Elles se penchent sur les méthodes utiliséespar les paysans qui leur livrent la matière premiè-re : du lait et des grains de café pour Nestlé, desplantes médicinales pour Novartis, des semencespour Syngenta, du calcaire et de l’argile pour Holcim qui fabrique du ciment, etc. Sur la base decette analyse, les multinationales aideront leursfournisseurs à adapter leurs méthodes de travail enconséquence.

Solidarité avec les villageoisLes six partenaires de la DDC financeront égale-ment des mesures sociales et environnementalesdans le domaine de l’eau. « C’est une manière detémoigner leur solidarité avec la population loca-le, puisque les industries et les villageois partagentla même ressource », note François Münger. Les be-soins et les idées ne manquent pas : les entreprisespourraient soutenir l’aménagement de toilettesdans les écoles, la création de systèmes d’assainis-sement dans les villages, le traitement de l’eau ou

encore des travaux de reforestation afin de favori-ser l’infiltration d’eau dans les sols et de rechargerles nappes souterraines. Ces actions seront mises surpied avec l’appui technique de la DDC.

Un modèle pour d’autres entreprisesC’est la première fois que des entreprises de diverssecteurs industriels collaborent pour réduire leurempreinte sur l’eau. Cette expérience inédite estaccompagnée par plusieurs institutions impor-tantes, dont le Conseil mondial des affaires sur ledéveloppement durable, qui réunit 170 compagniesinternationales. La DDC espère que son projet ins-pirera d’autres sociétés étrangères actives en Co-lombie. Quant aux six entreprises suisses, ellespourraient par la suite reproduire ce modèle dansleurs autres filiales à travers le monde. Par ailleurs, la Suisse a suggéré en 2009 d’établirune norme internationale concernant l’emprein-te sur l’eau. Cette proposition a été retenue parl’Organisation internationale de standardisation(ISO). Le processus d’élaboration de la norme seradirigé par Quantis, une société vaudoise spéciali-sée dans les bilans écologiques. ■

Plusieurs entreprises suisses actives en Colombie sesont engagées à réduire leur empreinte sur l’eau. Parmielles figurent Nestlé, qui produit notamment du café (à gauche), et Syngenta qui est spécialisée dans les se-mences.

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( jls) La vallée de Fergana est la région la plus den-sément peuplée d’Asie centrale. Environ 10 mil-lions d’habitants se concentrent sur une superficieéquivalant à la moitié de la Suisse. Tous ou presquevivent de l’agriculture. Ils cultivent du coton, descéréales, des fruits, des légumes. Depuis la chute del’URSS, cette plaine fertile est partagée entre troisÉtats : la majeure partie de son territoire se trouveen Ouzbékistan, le reste appartient au Kirghizistanet au Tadjikistan. Ces deux derniers pays contrô-lent le cours supérieur du Syr-Daria et de ses af-fluents, fleuves qui arrosent la vallée et en assurentla fertilité. Rien ne pousserait dans cette région ari-de s’il fallait compter uniquement sur la pluie.Cependant, les paysans ne sont pas les seuls à dé-pendre du Syr-Daria. Le Kirghizistan, qui n’a pra-tiquement pas d’autre source d’énergie, exploiteplusieurs barrages hydroélectriques. En hiver, ilouvre les vannes pour faire tourner ses turbines et

produire l’électricité nécessaire au chauffage desbâtiments. De grandes quantités d’eau arriventdans la vallée, alors que les paysans n’en ont pas be-soin. Cela provoque fréquemment des inonda-tions. Au début de l’été, c’est l’inverse : les centralesprofitent de la fonte des neiges pour remplir les lacsde retenue, au moment précis où les cultures enaval devraient être irriguées.

Fuites, évaporation et gaspillage Depuis qu’ils ont accédé à l’indépendance, les troisÉtats ne parviennent pas à s’entendre sur une ré-partition de l’eau. Leurs disputes compromettentsérieusement l’approvisionnement de la vallée deFergana. Mais la pénurie a aussi d’autres causes. Onestime que 65% de l’eau d’irrigation n’arrive pasà destination. Elle se perd soit par évaporation, soità cause de fuites dues au délabrement des canaux.Ces infrastructures, construites à l’époque sovié-tique, se sont rapidement détériorées depuis l’in-dépendance en 1991, faute d’entretien. La politiquetarifaire incite au gaspillage, puisque l’eau est fac-turée en fonction de la surface irriguée et non dela quantité utilisée. De plus, la distribution ne ré-pond pas à des principes rationnels sur le plan hy-drologique. Pour toutes ces raisons, il arrive que lesexploitations agricoles situées à l’extrémité d’un ca-nal ne soient pas approvisionnées.

Les paysans s’organisent et se formentDans trois zones rurales situées respectivement enOuzbékistan, au Kirghizistan et au Tadjikistan, plu-

La démocratie de l’irrigationDans la vallée aride de Fergana, les paysans sont tributaires del’irrigation. Or, leur approvisionnement en eau est irrégulier etinsuffisant, en raison notamment des querelles entre les Étatsqui se partagent ce grenier de l’Asie centrale. Avec l’aide de laSuisse, les usagers s’organisent pour assurer un partage effi-cace et équitable de cette ressource.

L’eau des villes et l’eaudes champsLes deux acteurs de lacoopération suisse réali-sent des projets d’appro-visionnement en eau dansla vallée de Fergana.Tandis que la DDC tra-vaille en zone rurale, leSeco intervient dans laville de Khujand, centreéconomique de cette vallée. Il finance la réhabi-litation et l’extension duréseau d’eau potable.Construit à l’époque so-viétique, celui-ci s’étaitprogressivement délabrédepuis l’indépendance.Grâce aux travaux réalisésdurant la première phasedu projet, environ 40 000personnes disposent déjàd’un robinet d’eau cou-rante à domicile. Elles seront 90 000 à l’issue de la deuxième phase,actuellement en cours.Les ménages raccordésau réseau voient leur fac-ture d’eau diminuer. En effet, ils ne sont plus obli-gés d’acheter leur eauaux revendeurs privésdont les tarifs sont trèsélevés. Le Seco aide éga-lement l’entreprise munici-pale chargée de l’eau àaméliorer sa performancefinancière et opérationnelle.

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Modus vivendi à la soviétiqueL’Asie centrale est arroséepar le Syr-Daria et l’Amou-Daria, qui traversent plu-sieurs pays avant de se je-ter dans la mer d’Aral. Cesfleuves ont été surexploitésdès les années 60. Pour irriguer ses cultures inten-sives de coton, l’URSS amême détourné leur cours,provoquant l’assèchementde la mer d’Aral. Les sur-faces irriguées, en cons-tante augmentation, setrouvent principalement en Ouzbékistan, auKazakhstan et au Turkmé-nistan. Les agriculteurs deces pays dépendent toute-fois du Tadjikistan et duKirghizistan, qui contrôlentle débit des fleuves. Jadis,Moscou avait imposé unpartage des ressources :les deux républiques si-tuées en amont devaientstocker l’eau dans leursbarrages et la relâcher du-rant l’été pour permettrel’irrigation ; en échange, lestrois républiques en avalleur livraient du pétrole etdu gaz à bas prix. Maisdepuis qu’ils sont indépen-dants, les cinq États nerespectent plus cette règle.Chacun voudrait préleverdavantage d’eau pour sespropres besoins.

sieurs projets de la DDC visent à assurer une ges-tion efficace et équitable des ressources. De nou-velles structures de gouvernance ont été créées. Lespaysans constituent des groupes locaux d’usagers.Ensemble, ils définissent leurs besoins et établissentdes calendriers d’irrigation. Ces groupes formentensuite des associations régionales qui négocientavec les autorités les quotas d’eau attribués à chaquecommunauté. « Nous avons introduit une forme dedémocratie locale. Ce système fonctionne très bien,

alors qu’il était totalement nouveau pour des po-pulations habituées à des régimes autoritaires etcentralisés », se réjouit Markus Schäfer, chargé deprogramme à la DDC. Aujourd’hui, les paysans nemanquent plus d’eau. Ils savent à l’avance quellequantité ils vont recevoir et à quel moment. Lesrécoltes sont plus abondantes et les revenus ontaugmenté. En outre, les conflits entre voisins sur larépartition de l’eau ont nettement diminué. Par lepassé, il arrivait que des paysans détournent l’eaud’un canal pendant la nuit pour arroser discrète-ment leurs champs.Des formations ont été mises sur pied. « On en-seigne aux agriculteurs des méthodes d’irrigationmoins gourmandes en eau, qui leur permettent deproduire autant, sinon plus. Un apport excessifd’eau nuit en effet aux cultures et aux sols », ex-plique Markus Schäfer. Un nouveau système de ta-rification incite aux économies : dans certaines as-sociations, l’eau se facture désormais au mètre cube.Les usagers ont également entrepris de réparer lescanaux et les drainages défectueux.Parallèlement, la DDC finance l’automatisation deces canaux. Un système informatique commandel’ouverture des vannes, mesure les débits et com-pense, le cas échéant, l’afflux excessif d’eau provo-qué par l’ouverture des barrages.

Boire de l’eau sans tomber maladeLa qualité de l’eau potable constitue un autre pro-blème dans la vallée. Beaucoup de systèmes d’ap-provisionnement ne fonctionnent plus, car les États

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n’ont pas les moyens de les réhabiliter. Par consé-quent, environ 40% des familles rurales n’ontd’autre choix que de consommer l’eau insalubredes canaux d’irrigation, ce qui a de graves consé-quences sur le plan sanitaire. La DDC a lancé unprojet d’approvisionnement en eau potable et desensibilisation à l’hygiène, qui couvre déjà unetrentaine de villages. Avec son appui, les communesréhabilitent les forages, les réservoirs et construi-sent de nouveaux réseaux de distribution. Des co-

mités locaux, élus par les habitants, sont chargésd’entretenir ces équipements et de veiller à la qua-lité de l’eau. Le prix facturé aux usagers permet definancer la gestion et la maintenance des installa-tions. ■

La participation porte sesfruits. Dans la vallée deFergana, où les paysans gèrent désormais eux-mêmes la répartition del’eau, les pénuries ont dimi-nué, les récoltes sont plusabondantes et les revenusont augmenté.

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Ce qui fait la richesse de la Moldavie, pays le plus pauvre d’Eu-rope, ce sont ses groupes ethniques et linguistiques : le gou-vernement central de Chisinau ne reconnaît pas moins de 28minorités. Cette grande tolérance met toutefois le pays àl’épreuve. Comment une jeune nation peut-elle se forger uneidentité si une bonne partie de ses habitants ne maîtrisent pasla langue officielle ? Une visite dans le sud du pays montre com-ment la très combative minorité gagaouze répond à cette ques-tion. De Marc Lettau*.

Mikhail Formuzal n’est pas poète. Dans son im-peccable complet à rayures, cet ancien officier de-venu politicien prend toutefois des accents lyriqueslorsqu’il réajuste son nœud de cravate, pourtant ir-réprochable, pour déclarer : « Le peuple gagaouze estun joyau dans la grande couronne des petits peuplesde la Terre. »Mikhail Formuzal parle en connaissance de cause.Il est en effet le bashkan, c’est-à-dire le chef élu, deces anciens nomades turcophones de religion chré-tienne orthodoxe. Son règne s’étend sur un coinde terre appelé Gagauz Yeri (le pays des Gagaouzes).Depuis qu’il a obtenu en 1994 une large autono-mie au sein de la République moldave, ce terri-toire est un État dans l’État. Il illustre ainsi l’un desgrands défis qui se posent à la Moldavie. La diver-sité linguistique et ethnique est en effet frappantedans ce pays indépendant depuis 1991. Dans l’es-poir de créer une certaine unité et de donnercorps à l’« identité moldave », le gouvernementcentral de Chisinau s’attache à encourager l’usagedu roumain après l’avoir officiellement rebaptisé «moldave » en 1994. Le moldave est désormais la seule langue officiel-le du pays, car cette ancienne République socialis-te soviétique ne souhaitait plus accorder ce statutau russe. Or, la Moldavie n’est ni monolingue, nimême bilingue, mais plurilingue. Le pays le plus

pauvre d’Europe doit réussir le tour de force d’in-tégrer toutes ses minorités, à savoir les Russes, lesUkrainiens, les Gagaouzes et les Bulgares, sans ou-blier les Juifs, les Polonais, les Biélorusses ou enco-re les Tatars. L’autonomie accordée aux Gagaouzessignifie-t-elle que l’entreprise est vouée à l’échec ?

Une population tantôt minoritaire, tantôtmajoritaireLes passants interrogés dans les rues de Comrat, lacapitale gagaouze, sont unanimes : la Moldavie eststable ; personne n’a intérêt à la voir éclater ; c’estelle qui garantit le droit à l’autodétermination ob-tenu de haute lutte par les Gagaouzes. Le gouver-nement central ayant reconnu explicitement l’exis-tence d’un « peuple gagaouze autonome sur le ter-ritoire de la République de Moldavie », cettepopulation d’origine turque, plutôt querelleuse parle passé, exprime sa reconnaissance en faisant preu-ve de loyauté à l’égard de Chinisau.«Le problème des minorités ne pourra pas faireéclater le pays, car tous les habitants appartiennenttantôt à la minorité, tantôt à la majorité, selon larégion où ils se trouvent. » Telle est la logiquesimple d’un commerçant de Comrat, pour qui cet enchevêtrement ethnique est tout bonnementune réalité. Certes, la Gagaouzie est un «État dans l’État ». Mais c’est aussi une région où vivent des

« On s’endort dans un pays eton se réveille dans un autre »

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MoldaviePopulation : 3,8 millionsd’habitantsSuperficie : 33 843 km2

(Transnistrie comprise)Taux de pauvreté : plus de20% des habitants viventavec moins de 2 dollarspar jourGroupes ethniques :Moldaves roumanophones(64,5%), Ukrainiens(13,8%), Russes (13%),Gagaouzes (3,5%),Bulgares (2%), ainsi quePolonais, Biélorusses,Tatars, etc. La plupart des minorités forment lamajorité de la populationdans certaines localités ou régions.

GagaouziePopulation : 170 000 habitantsSuperficie : 1831 km2

Capitale : ComratProportion de Gagaouzes :83%

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minorités bulgare, ukrainienne, russe et moldave.«La République de Moldavie prend au sérieux laminorité formée par les Gagaouzes, car la Ga-gaouzie autonome tient compte, de son côté, desminorités qu’elle abrite. »

« Seuls les Occidentaux posent de tellesquestions »Reste à savoir comment vivent les minorités enGagaouzie. Les Bulgares d’origine, par exemple ?Hristo, enseignant dans le village de Kirsova où ilreprésente aussi l’association des patriotes bulgares,est bien placé pour répondre : à Kirsova, on dit queles Bulgares vivent d’un côté du village et les Ga-gaouzes de l’autre, l’interminable rue Lénine ser-vant de ligne de démarcation. Les oies, que cettefrontière virtuelle n’impressionne pas, passent paisiblement d’un côté à l’autre. Et les habitantsfont de même. « Il n’y a pas de séparation», affirmeHristo. «Pratiquement tous les mariages sont inter-ethniques. Nous chantons les mêmes chansons etnos valeurs culturelles sont très semblables. »Le fait d’être gagaouze ou bulgare relève plutôtd’un sentiment personnel et joue un rôle secon-daire dans la vie quotidienne. De toute façon, laplupart des habitants parlent le russe : « Ici, nul n’abesoin de se redéfinir constamment en s’appuyantsur les différences. Seuls les Occidentaux posent de

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telles questions », remarque Hristo. Et d’ajouter :«Nous sommes certes pauvres, mais nous vivonsbien, grâce à ce qui nous unit. » Aux yeux de Hris-to, il ne peut y avoir de mal à posséder de multiplesracines : «La Gagaouzie est ma patrie, la Moldaviemon foyer et la Bulgarie le pays de ma langue. »

L’histoire? Un orage qui finit par passer Deux rues plus loin, Maria Sicheli égraine des épisde maïs pour se nourrir et pour nourrir ses poulespendant l’hiver. Dans sa maison modeste mais bientenue, elle montre les draps frais et les habits re-passés qu’elle a prévus pour son dernier sommeil.Pour elle, ces préparatifs n’ont rien de morbide. Ilssont intégrés dans la vie quotidienne, d’autant quele village compte beaucoup de personnes âgées.Maria attend la mort et la mort l’attend. Elle faitpartie de ces gens profondément attachés à leur vil-lage, mais que l’histoire a souvent obligés à tout re-commencer : née à Kirsova du temps du royaumede Roumanie, Maria y a fréquenté l’école sous l’èresoviétique ; plus tard, elle s’est plainte à l’État mol-dave de sa rente trop modeste et aujourd’hui, ellenourrit ses poules en Gagaouzie : «L’histoire estpleine d’imprévus. On s’endort dans un pays et onse réveille dans un autre, sans même quitter son lit.Mais les sacrifices ne changent pas. »Malgré tous les soubresauts de l’histoire, on culti-

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L’unité mise à l’épreuvePeu après la proclamationde l’indépendance, en1991, l’unité de la Moldaviea été mise à rude épreuve.Nombre de minorités eth-niques se sont violemmentopposées à la majoritéroumanophone qui reven-diquait un rattachement dupays à la Roumanie. En1992, la sécession de laTransnistrie, région à majo-rité russophone située àl’est du fleuve Dniestr, amême fait couler le sang :1000 morts, 100 000 dé-placés internes et un pro-blème qui n’est toujourspas résolu. En revanche, larésistance des Gagaouzeset des Bulgares d’origine adébouché sur des solu-tions pacifiques : en 1994,les Gagaouzes ont été au-torisés à former un « terri-toire autonome», tandisque la région méridionalede Taraclia, à majorité bul-gare, a reçu le statut derayon (unité administrativeindépendante).

ve la vigne, on plante du tabac et on élève du bé-tail depuis des générations dans les plaines de Ga-gaouzie. Les sécheresses de ces dernières années onttoutefois ruiné de nombreuses exploitations agri-coles. Des sources se sont taries, des cultures ontséché sur pied, des débouchés se sont fermés. Pourse nourrir, il a fallu mener le bétail à l’abattoir. Au-jourd’hui, l’un des objectifs de la politique écono-mique extérieure de la Gagaouzie est de trouverdes investisseurs afin de relancer l’élevage.

Les émigrés nourrissent le paysEn bien des endroits, la pauvreté saute aux yeux.À Vulcaniesti, morne bourgade dans la steppe duBoudjak, Elena Toporaj prend plaisir à ses devoirsscolaires. Refermant sa grammaire moldave, cettefillette bulgare de 8 ans récite une poésie gagaou-ze en souriant :Bän büüdümEr gördüm pek çokAma bil, Bucak :Sendän gözal – yok!Ce qui signifie en substance : « Il n’y a pas decontrée plus belle que le Boudjak ! » Dehors, il tombe pourtant des cordes. De la lessi-ve est restée suspendue dans la cour. Rien ne sertd’aller la chercher, car la pluie a transformé le solpoussiéreux en bourbier. Dans la cuisine, la grand-mère est heureuse de voir Elena apprendre ses le-çons : «Les enfants de notre pays ne seront pas ré-duits au silence. Ils connaissent toutes les langues ! »Elle-même parle russe et bulgare, mais ne com-prend ni la grammaire moldave ni la poésie ga-gaouze. Mais où sont les parents d’Elena ? Ils vi-vent depuis des années à l’étranger : le père est ma-çon à Sotchi, la future métropole olympique russe ;la mère fait le ménage chez des nantis d’Istanbul.La famille d’Elena s’inscrit ainsi dans la norme dece pays : les grands-mères veillent pendant des an-

nées sur des enfants qui grandissent sans leurs pa-rents. Près d’une famille sur deux dépend finan-cièrement des Moldaves émigrés, dont le nombreest estimé à 1,6 million. L’argent que ces derniersenvoient chez eux représente officiellement 40pour cent du produit intérieur brut de la Molda-vie. S’ils nourrissent leur pays, les travailleurs émi-grés s’en éloignent aussi de plus en plus : ils ont quit-té une république qui parlait et pensait en russe ;ils reviendront dans une république dont la majo-rité des habitants parlent et pensent déjà en mol-dave.

Agir sans attendreMikhail Formuzal est aussi d’avis que l’émigrationprofessionnelle représente «un sérieux problème,surtout à cause des enfants, confiés à des prochesqui ne sont guère en mesure de les éduquer ». Dece fait, la Gagaouzie doit se charger de «nourrircorrectement » de plus en plus d’enfants dans lescantines scolaires et elle a besoin d’un nombrecroissant de crèches.Selon le bashkan, cet exemple montre toutefois aussi que la Gagaouzie est consciente de ses pro-blèmes et qu’elle utilise son autonomie pour trou-ver des solutions. Joignant le geste à la parole, il pré-sente un catalogue de 115 projets de développe-ment élaborés avec l’appui de la Fondation Soros.Mais la Gagaouzie n’entend pas seulement attendreles propositions de donateurs qui pourraient venirs’égarer dans ces contrées : «Nous ne travaillons pascomme dans un kolkhoze qui ne récolte rien pen-dant quarante ans. Faites-le savoir chez vous. » ■

*Marc Lettau est rédacteur au quotidien bernois «DerBund». Il se rend régulièrement en Moldavie.

(De l’allemand)

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(bf ) La Suisse soutient le pays le plus pauvre d’Eu-rope depuis 2000. Jusqu’en 2008, elle a mis l’ac-cent sur l’aide humanitaire, qui s’est ensuite reti-rée. Durant ces neuf années, elle a obtenu des ré-sultats remarquables : des homes et des cliniquespsychiatriques ont été rénovés, une aide d’urgen-ce a été fournie dans des situations de crise et desinstitutions sociales ont reçu du lait en poudre. Desurcroît, l’aide humanitaire a jeté les bases du pro-gramme d’adduction d’eau réalisé par la DDCdans les régions rurales de la Moldavie. Ce pro-gramme sera désormais pris en charge par la co-opération bilatérale.La Suisse s’est acquis une excellente réputation quifacilite grandement la poursuite de ses activités enMoldavie. Sa nouvelle stratégie, couvrant la pé-riode 2010-2013, accorde la priorité aux domainesde l’eau et de la santé. Pour 2010, le budget glo-bal de la coopération suisse en Moldavie se mon-te à 6,2 millions de francs.

Décentraliser les systèmes d’eau Dans le domaine de l’eau, la Suisse collabore étroi-tement avec la coopération autrichienne au déve-loppement, l’Union européenne et la Banquemondiale. Compte tenu de son intense engage-

ment par le passé et des résultats qu’elle a déjà ob-tenus dans ce secteur, la Suisse préside le groupedes donateurs consacré à l’eau. C’est là une véri-table consécration de son travail. Pour l’heure, desdiscussions sont en cours avec le nouveau gou-vernement moldave en vue d’assouplir, c’est-à-direde décentraliser, la gestion des systèmes d’eau po-table. À l’avenir, il est prévu d’accorder une plus gran-de attention au traitement des eaux usées. Celapermettra d’offrir aux zones rurales une solutionglobale pour l’approvisionnement en eau et l’as-sainissement. Jusqu’ici, on a installé chaque annéetrois ou quatre réseaux d’eau potable et d’évacua-tion des eaux usées dans des districts ruraux. Dé-sormais, cette dynamique passera à l’échelon ré-gional. Il s’agit de renforcer les capacités des au-torités locales et régionales, afin qu’elles puissentmettre en place et gérer ces projets de manière au-tonome. «C’est là un processus passionnant quenous venons d’amorcer », note Hynek Bures, char-gé de programme pour la Moldavie à la DDC.

Moderniser les services d’urgenceDans le domaine de la santé, l’aide humanitaire aégalement préparé le terrain à l’engagement ac-tuel de la coopération suisse. Elle s’est concentréesur la santé des mères et des nouveau-nés, avec desactivités comprenant la fourniture d’appareils à ul-trasons, la formation du personnel ou encore lasensibilisation des jeunes femmes et des futurs pa-rents. Depuis début 2009, le programme a été éten-du à la pédiatrie, c’est-à-dire à la santé des enfantsde moins de 5 ans. Il vise en premier lieu à mo-derniser les services d’urgence des hôpitaux, en leséquipant par exemple d’appareils respiratoires. Deleur côté, les établissements bénéficiaires se char-gent de rénover les locaux concernés.Les activités comprennent également un soutienà la réforme nationale des soins de santé mentale.La Suisse est l’unique donateur bilatéral qui in-tervient dans ce domaine en Moldavie. Il s’agit enparticulier d’aider les partenaires locaux à mettreen place de nouvelles normes et à décentraliser auniveau communal l’offre de prestations psychia-triques. ■

La Suisse et la Moldavie Les succès de l’aide humanitaire ont préparé le terrain

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Denis Cenusa, 27 ans,est diplômé en sciencespolitiques de l’Universitéd’État de Moldavie. Ardentdéfenseur des droits del’homme, il travaille à titrebénévole au sein de di-verses organisations inter-nationales, comme la sec-tion moldave d’AmnestyInternational ou l’Organisa-tion internationale pour lesmigrations. Il possède sonpropre blog à l’adressewww.cenusadi.word-press.com. De 2005 à2008, il a été assistant de recherche au centre indépendant d’analysesExpert-Group. À ce titre, il a rédigé une publicationsur le renforcement de lasociété civile dans le pro-cessus d’intégration euro-péenne et a participé àl’élaboration du rapport2008 sur la situation enMoldavie ainsi qu’à d’au-tres projets. Depuis l’andernier, Denis Cenusa estrédacteur en chef du por-tail Internet www.europa.md.

Enfin, les Moldaves protestent

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Ni les réseaux des organisations non gouverne-mentales actives dans le pays, ni les acteurs de la so-ciété de l’information ne sont jusqu’ici parvenus àaffranchir la population moldave de son fatalismecommuniste. Leur faible capacité à influencer lecomportement et la pensée des gens en dit long surle délabrement et l’anachronisme de tout le systè-me. Il n’est donc pas surprenant que l’apathie gé-nérale ait pesé lourd sur les premières élections de2009, qui se sont tenues début avril.

Quelques Moldaves émigrés sont pourtant parve-nus à attirer l’attention de l’opinion publique na-tionale sur ces élections parlementaires. Car il fautsavoir que les membres de la diaspora et les habi-tants restés au pays entretiennent des liens étroits,non seulement émotionnels mais également finan-ciers. Cependant, les émigrés ne se sont pas conten-tés d’envoyer de l’argent chez eux. Ils ont aussi trans-féré des valeurs immatérielles telles que la capacitéd’intégration, l’initiative individuelle et le couragecivique.

Consciente de la situation et souvent animée pardes motivations politiques, la jeunesse moldave aaussi pris des initiatives et exprimé son avis. Avantet pendant la campagne électorale, indépendam-ment de leur appartenance ethnique et de leurlangue maternelle, les jeunes n’ont pas hésité à dé-noncer les errements et les manquements du gou-vernement communiste.

Ce nouvel engagement civique a ébranlé le systè-me politique. Mais ce n’est qu’un premier pas, caril reste à revoir en profondeur les modes de penséeet de comportement de la population moldavepour qu’elle devienne une véritable société civile.

De larges portions de la population ont accueilliavec soulagement la décision des communistes dese retirer du gouvernement. À vrai dire, ce senti-ment est dangereux, car les nouvelles élections, or-ganisées en juillet, n’ont pas débouché sur une vic-toire éclatante de la démocratie face à l’autoritaris-me. La coalition libérale démocrate n’est pasparvenue à neutraliser durablement la machine depropagande contrôlée et soutenue par le Parti com-muniste. L’attitude positive de la majorité de la po-pulation envers l’alliance des partis pro-européenspourrait toutefois conforter la volonté d’adhérer àl’Union européenne. Tout dépend maintenant dusuccès des divers plans et initiatives que les libérauxdémocrates entendent mettre en œuvre avec leurspartenaires internationaux, avant tout européens.

Pour l’heure, la population est partagée entre deuxsentiments contraires : d’une part, la joie trompeu-se engendrée par l’affaiblissement des communistes;d’autre part, un mécontentement latent. En effet,alors que les citoyens ressentent durement les effetsde la crise économique et de l’incurie communis-te, le gouvernement les tient à l’écart des grandesdécisions, foulant ainsi au pied les principes démo-cratiques. Cette manière de faire ne peut que ren-forcer le conformisme qui transparaît dans le ca-ractère postsoviétique de nombreux Moldaves etdans leur perception – ou absence de perception –des devoirs civiques.

Dans les faits, ce phénomène se concrétise par les protestations des rentiers, notamment contre lasuppression de la gratuité des trajets sur présenta-tion d’une pièce d’identité. À leurs yeux, ce chan-gement relève d’une campagne menée par les li-béraux démocrates contre les retraités ou les « vé-térans de l’ère soviétique ». Selon les manifestants,de telles mesures ne visent pas à établir un équilibresocial en respectant la dignité humaine.

Une chose est sûre : le gouvernement doit tenircompte des situations dénoncées par la société etproposer des solutions pour y remédier, tout enveillant à respecter les droits de l’homme. Parailleurs, le développement de la Moldavie dépen-dra beaucoup des conditions que l’Union euro-péenne lui imposera et de son degré d’intégrationdans la politique européenne de voisinage. ■

(Du roumain)

Un seul monde No 1 / Mars 2010 21

Dans les débats sur la hausse de l’aide suisse au dé-veloppement, on a régulièrement entendu affirmerque c’est la qualité de l’aide qui est déterminan-te, et non sa quantité. En vérité, ces deux facteursdoivent être réunis pour obtenir des résultats. Carc’est bien l’efficacité de l’aide qui prime en fin decompte.

Les examens auxquels l’OCDE soumet tous lesquatre ans la politique de développement prati-quée par ses membres constituent des repères es-sentiels à cet égard, notamment parce qu’ils per-mettent de faire des comparaisons internationales.Celui consacré à la coopération suisse a été publiéfin 2009. Il se base sur des investigations et des au-ditions menées en Suisse ainsi que sur une analysede nos programmes au Nicaragua et en Albanie.

Le rapport de l’OCDE est très positif, mais il si-gnale aussi des points à améliorer. Il confirme laqualité de la coopération au développement, del’aide humanitaire ainsi que de la coopération dela DDC et du Secrétariat d’État à l’économie(Seco) avec l’Europe de l’Est. Il met en évidenceun travail de proximité, axé sur la lutte contre lapauvreté. La Suisse est un donateur exemplairepour les organisations de développement interna-tionales, car ses contributions ne sont pas liées àtoutes sortes de conditions tatillonnes – ce qui fa-vorise l’efficacité.

Ce rapport comporte aussi des recommandationscritiques : le volume de l’aide n’atteint pas le ni-veau que l’on peut attendre d’un des pays les plusriches du monde. Néanmoins, la décision prise parle Parlement de faire passer l’aide à 0,5% du reve-nu national brut d’ici 2015 a eu des échos positifssur la scène internationale.

La coopération suisse tend à se disperser entre unnombre excessif de secteurs et de thèmes diffé-rents. Ce constat est juste. Seule une concentra-tion bien ciblée de notre profil thématique per-mettra d’améliorer l’impact de notre travail et decoordonner plus étroitement nos champs d’actionbilatéraux et multilatéraux.

La recommandation la plus difficile à mettre enœuvre est celle de la cohérence des politiques. Lapolitique de développement va au-delà de l’aideproprement dite. Il s’agit de promouvoir le déve-loppement et la lutte contre la pauvreté dans uneoptique globale. Les activités de la DDC et du Secone sont pas les seules qui comptent. Les choix po-litiques faits par la Suisse en matière de commer-ce, d’agriculture, de finance, de brevets ou de re-cherche scientifique ont également des incidencessur le potentiel de développement des payspauvres. Assurer une cohérence entre ces diffé-rentes politiques est une tâche ardue, mais essen-tielle – pour la Suisse comme pour bon nombred’autres pays donateurs.

La réorganisation de la DDC – qui visait précisé-ment une ouverture aux autres domaines – est unpas dans la bonne direction. Mais une chose estplus importante encore : la société suisse doit re-connaître que nous vivons dans un seul monde etque notre propre avenir dépend des chances desurvie des pays et des populations pauvres. ■

Martin Dahinden Directeur de la DDC

(De l’allemand)

Vers une plus grande cohérence des politiques

Opinion DDC

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Un seul monde No 1 / Mars 201022

(mr) Le Tribunal pénal international pour leRwanda (TPIR) devrait fermer ses portes à fin2010. Cette instance, créée en novembre 1994 parune résolution du Conseil de sécurité de l’ONU,a pour mandat de juger les personnes qui ont par-ticipé au génocide perpétré au Rwanda ou qui ontcommis d’autres violations graves du droit inter-national humanitaire. Le siège du TPIR a été établi à Arusha, en Tanza-nie, tandis que sa Chambre d’appel se trouve à LaHaye (Pays-Bas). Quel aura été l’apport de cettejuridiction ? A-t-elle véritablement contribué à laréconciliation entre les Hutus et les Tutsis, com-me cela avait été prévu à l’origine ? Pour dresserun bilan provisoire, un colloque s’est tenu en août2009 à Genève sous le titre « TPIR : modèle oucontre-modèle pour la justice pénale internatio-

nale ? Le point de vue des acteurs ». Il a réuni unecinquantaine de personnes ayant travaillé pour letribunal ou collaboré avec lui : juges, procureurs,avocats, témoins, victimes, experts et journalistes.Financé par la DDC, ce colloque était organisé parl’Institut de hautes études internationales et du dé-veloppement, à Genève, ainsi que par l’Institutd’études du développement économique et social,à Paris.

Tribunal critiqué«Comme on pouvait s’y attendre, la principale cri-tique adressée au TPIR a porté sur sa poursuiteunilatérale des responsables du génocide », consta-te Didier Douziech, chargé de programme à laDDC pour la région des Grands Lacs. Les avocatsde la défense, en particulier, ont reproché au TPIR

Beaucoup de massacres, peude condamnésEn 1994, durant les trois mois qu’a duré le génocide au Rwan-da, des milliers de Hutus ont massacré entre 800 000 et un mil-lion de Tutsis. Le Tribunal pénal international, instauré par leConseil de sécurité des Nations Unies, a jugé à ce jour 29 cou-pables. L’an dernier, un bilan provisoire a été dressé à Genève.

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Un seul monde No 1 / Mars 2010 23

de Gisenyi, qui avait ordonné (après en avoir dis-cuté avec Bagosora) le massacre de tous les Tutsisdu district, et le major Aloys Ntakabkuze, com-mandant des commandos de parachutistes. Au cours des quinze dernières années, le TPIR ainculpé nonante responsables du génocide. À cejour, 29 accusés ont été définitivement condam-nés et six ont été acquittés. Le tribunal a traité 34cas en première instance et 21 en seconde instan-ce. Divers procès se poursuivront au moins jusqu’àfin 2010. On ne sait pas encore s’ils seront ensui-te transférés à des juridictions nationales. ■

(De l’allemand)

d’être devenu un « tribunal des vainqueurs » : seloneux, l’accusation n’a guère inquiété les Tutsis duFront patriotique rwandais (FPR), coupables decrimes de guerre, et s’est concentrée presque ex-clusivement sur les Hutus responsables du géno-cide.Cette critique est parfaitement justifiée. Il convienttoutefois de rappeler que le gouvernement rwan-dais a bloqué les tentatives visant à poursuivre éga-lement les crimes commis par des membres duFPR. L’actuel chef de l’État, Paul Kagamé, est l’an-cien leader du FPR. C’est sous sa conduite que lemouvement rebelle tutsi a mis fin au génocide du-rant l’été 1994 et qu’il a massacré à cette occasionplusieurs dizaines de milliers de Hutus, commel’ont dénoncé des enquêteurs de l’ONU et des or-ganisations des droits de l’homme. Carla Del Pon-te, l’ancienne procureure générale du TPIR, a es-sayé à plusieurs reprises d’ouvrir aussi des dossierssur les Tutsis du FPR coupables de crimes deguerre. Mais ses efforts ont échoué, faute de co-opération de la part du président Kagamé. On a également critiqué la lenteur des procédureset la durée de la détention préventive. Certains ac-cusés ont passé jusqu’à dix ans en prison dans l’at-tente de leur procès. Une pratique que certains ex-perts présents au colloque ont qualifiée d’incom-patible avec le droit international. Autre sujet decritique : les coûts du TPIR, jugés excessifs.

Des larmes de soulagementLe journaliste Thomas Kamilindi a témoigné dusoulagement qu’une victime peut ressentir lorsquela justice est rendue. Il avait échappé de justesse àun massacre perpétré par les milices hutues : « Jevoyais ces tueurs comme des dieux, je veux diredes dieux du mal, donc des intouchables. Quandle jugement est tombé contre l’un de ceux quiavait envoyé ses tueurs à l’Hôtel des Mille Col-lines, où j’étais réfugié, j’ai pleuré d’émotion.J’étais comme libéré de quelque chose que je nepeux pas décrire. »De l’avis général des participants au colloque, leprincipal mérite de ce tribunal est qu’il a tout demême permis d’arrêter et de juger quelques-unsdes « cerveaux » du génocide. C’est là un point es-sentiel pour le processus de réconciliation natio-nale. Le TPIR a prononcé en décembre 2008 unde ses jugements sans doute les plus importants :le colonel Théoneste Bagosora, directeur de cabi-net au ministère de la défense et principal res-ponsable du massacre des Tutsis, a été reconnu cou-pable de génocide et condamné à la réclusion àperpétuité. La cour a infligé la même peine à deuxde ses complices : le lieutenant-colonel AnatoleNsengiyumva, commandant de la région militaire

Le génocideAu cours du printemps1994, entre 800 000 et unmillion de personnes, enmajorité des Tutsis maisaussi des Hutus modérés,ont été systématiquementmassacrées au Rwanda.Ce génocide résultait d’unconflit larvé entre les deuxprincipales ethnies dupays, qui durait depuis des décennies. L’élémentdéclencheur a été l’attentatperpétré contre le prési-dent hutu JuvénalHabyarimana : son avion a été abattu par un missile le 6 avril 1994, au momentoù il s’apprêtait à atterrirsur l’aéroport de Kigali.Les milices hutues radica-les ont imputé cet assassi-nat à la minorité tutsie etappelé à la vengeance.

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(mr) Le but est ambitieux : le Regional ResearchPromotion Programme (RRPP) veut renforcer les capacités de recherche en sciences sociales dansles Balkans occidentaux – Albanie, Bosnie et Her-zégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro et Serbie. Il s’agit de hisser ces disciplines au niveauscientifique qui est celui de l’Europe occidentale. « Jusqu’à présent, les universités des Balkans occi-dentaux ont souvent négligé les sciences sociales.Or, celles-ci sont essentielles pour gérer les consé-quences des processus actuels de transformation etde modernisation. Ces disciplines sont en effet àmême de proposer des réformes nécessaires et demettre en évidence les répercussions des mesurespolitiques qui ont été prises », explique Roger Pfis-ter, conseiller de l’équipe chargée du projet. LeRRPP, financé par la DDC, est dirigé depuis juillet2008 par l’Institut interfacultaire de l’Europe cen-trale et orientale de l’Université de Fribourg.

Les vieux crocodilesCe programme vise à encourager en priorité lesjeunes et les femmes. En effet, les structures uni-

versitaires sont encore largement dominées par deshommes plutôt âgés qui appartiennent à la vieilleécole. Le RRPP adopte par ailleurs une approchedite ascendante : on commence par définir desthèmes généraux dans lesquels les scientifiques dela région reconnaissent qu’ils ont des retards ; puison soutient des travaux de recherche dans les do-maines correspondants. Le financement de projets de recherche est un élé-ment central du programme. En 2008, une pre-mière mise au concours a été lancée en Bosnie etHerzégovine ainsi qu’en Macédoine. Elle a abou-ti à l’approbation de sept projets qui portent aussibien sur des thèmes politiques que sur le rôle desmédias, par exemple, ou encore sur la coopérationéconomique. La deuxième mise au concours, enjuin 2009, s’adressait aux scientifiques d’Albanie etdu Kosovo. Quelque nonante requêtes ont été dé-posées. On donnera la préférence à des projets im-pliquant des groupes de chercheurs transnationauxafin de promouvoir la coopération régionale. ■

(De l’allemand)

Former des réseauxLe réseautage constitue un facteur essentiel pour la mise en œuvre duRRPP. Il s’agit d’établir des contacts entre scienti-fiques par-delà les fron-tières, notamment pour favoriser la coopération ré-gionale qui a tant de peineà s’instaurer sur le planpolitique. C’est aussi pour-quoi le RRPP organisechaque année une confé-rence. La première s’esttenue en 2009 à Ohrid(Macédoine) sur le thème« Idéologie, démocratie etchangement social dansles Balkans occidentaux :les défis posés auxsciences sociales ». La prochaine conférence se déroulera en Albanie. Leprogramme soutient égale-ment des réseaux natio-naux coordonnés par desgroupes de travail locaux.«Le but est de former desréseaux de recherche ensciences sociales qui couvrent l’ensemble desBalkans occidentaux », ex-plique Ralph Friedländer,de la section Balkans occi-dentaux à la DDC. LeRRPP finance en outre descours de méthodologie dela recherche et la participa-tion à d’importantes confé-rences scientifiques.www.rrpp-westernbal-kans.net

Rajeunir et féminiser la recherche

Pour mener à bien leurs processus de réformes, les pays desBalkans occidentaux ont besoin de compétences spécialiséesen journalisme, en sciences politiques, en ethnologie et en so-ciologie. Mais ces apports ne seront utiles que si la rechercheet l’enseignement de leurs universités correspondent aux be-soins actuels. La Suisse soutient un projet dans ce sens.

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Secouristes suisses à Padang(bmd) Le 30 septembre dernier,un violent séisme a dévastéPadang, une ville de 750 000 ha-bitants sur la côte occidentale del’île de Sumatra. Il a fait plus de1100 morts et provoqué l’effon-drement de nombreux bâti-ments. La Suisse a répondu trèsrapidement à la demande d’aideinternationale lancée parl’Indonésie. Dès le 2 octobre,115 spécialistes de la Chaînesuisse de sauvetage étaient à piedd’œuvre. Une unité médicale aapporté des soins aux blessés etveillé à leur évacuation. Uneéquipe de recherche, accompa-gnée de 18 chiens de sauvetage,a fouillé huit sites pour retrouverdes personnes ensevelies sous lesdécombres. Malheureusement,ces travaux n’ont permis de dé-gager que des corps sans vie, cequi est toutefois très importantpour que les familles puissentcommencer leur travail de deuil.

L’intervention s’est dérouléedans des conditions climatiqueset opérationnelles difficiles. Les membres de la Chaîne desauvetage ont quitté l’Indonésiele 5 octobre. Cependant, quatreexperts du Corps suisse d’aidehumanitaire sont restés sur place,afin de poursuivre les secoursd’urgence et l’aide à la survie. Ilssont rentrés en Suisse le 18 oc-tobre, après avoir fourni à unhôpital un kit médical couvrantles besoins de 10 000 patientspour une période de trois mois.Par ailleurs, la Suisse a remis auxpersonnes dans le besoin 4000bâches en plastique, 2000trousses de produits d’hygiène,3200 contenants pour l’eau po-table et une grande quantitéd’outils. La distribution a été effectuée en étroite collabora-tion avec les autorités locales. La plupart de ces produits, dontla valeur atteint plus de 100 000francs, ont été achetés en Indo-nésie.

L’économie politique au service du développement(drn) L’expérience montre quela seule analyse des processuséconomiques ne suffit pas à as-seoir une politique et à soutenirdes réformes dans les pays endéveloppement ou en transition.L’analyse des équilibres de pou-voirs, des intérêts particuliers etdes motivations idéologiques oureligieuses – en d’autres termes,la politique – est au moins aussipertinente. L’économie politique(political economy) offre un mo-dèle d’analyse équilibré. Ellefournit des moyens pour évaluerles éléments économiques et po-litiques d’un processus de ré-forme. Les instruments de l’éco-nomie politique permettent demieux connaître les parties pre-nantes, les bénéficiaires et lesvictimes du changement. Le réseau Économie politique etdéveloppement (PED) de laDDC se propose de développerune base d’échange d’expé-

riences et de savoirs. L’utilisationdes instruments de l’économiepolitique permet de mieux ajus-ter les stratégies de coopérationaux réalités et de mieux soutenirles réformes et la transition. Le réseau PED couvre aussi desthèmes spécifiques importantspour la DDC : gestion des finances publiques ; politique fiscale et taxation ; lutte contre lacorruption. Toutes ces questionssont particulièrement sensibles àl’équilibre entre raison et pou-voir.

DDC interne

(bf ) La gestion du savoir est une stratégie qui consiste à trans-mettre en temps utile les connaissances appropriées aux per-sonnes qui en ont besoin. Elle doit contribuer à partager le sa-voir (par exemple au sein de réseaux) et à le mettre en pratique.L’objectif réside dans l’amélioration des prestations et l’aug-mentation de l’efficacité. La gestion du savoir passe par la créa-tion d’une culture de l’échange et de l’acquisition de connais-sances. Elle a pour principaux critères l’apprentissage perma-nent, la capacité de s’adapter à des conditions et à des enjeuxnouveaux, la remise en question de pratiques établies (y com-pris des programmes, des processus et des structures organisa-tionnelles). Cette démarche met en lumière le fait que le savoir– qui se situe en général dans la tête des gens – est une ressourceà part entière.Contrairement à ce qui se passe dans une entreprise conven-tionnelle, un des principaux défis à relever par une agence dedéveloppement est de consolider non seulement le savoir de sonpropre personnel, mais aussi celui qui se trouve dans les paysd’intervention : on pense, par exemple, aux techniques agricoleslocales, connues des paysans, ou au savoir des organisations de développement présentes sur le terrain. Les projets et pro-grammes de la coopération au développement s’orientent sur

Au fait, qu’est-ce que la gestion du savoir ?

les connaissances et les points de vue des bénéficiaires, depuisl’étude préliminaire jusqu’à l’évaluation des résultats. En d’autrestermes, la gestion du savoir dans la coopération vise essentiel-lement à renforcer les ressources des populations concernées ;elle contribue ainsi à l’autonomie des groupes défavorisés.

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ration puissent être capitalisées », explique Jürg Benz.Le niveau actuel de son développement faisait del’Équateur un candidat naturel au changement destatut : avec un revenu annuel d’environ 3500 dol-lars par habitant, il y a longtemps que ce pays an-din ne compte plus parmi les plus pauvres de la pla-nète ; selon la DDC, il est en mesure d’atteindre parses propres moyens les Objectifs du Millénairepour le développement.L’organisation suisse de développement Swissaidvoit les choses différemment et poursuit son enga-gement en Équateur. « Dans les six provinces demontagne où nous travaillons, on compte jusqu’à90 pour cent d’habitants qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté », souligne Franziska Theiler,chargée des programmes en Équateur. Swissaidconsacre environ 1,1 million de francs par annéeau soutien de communautés paysannes dans des do-maines tels que la sécurité alimentaire, la gestionde l’eau ou le développement institutionnel. Cesprojets ne sont pas directement menacés par le retrait de la DDC, mais Swissaid regrette tout de même la fermeture du bureau de coopérationà Quito : « Il est dommage que la DDC quitte l’Équateur, notamment parce que les organisationssuisses actives dans ce pays perdent ainsi un inter-locuteur important », ajoute Franziska Theiler.

L’Inde, le Pakistan, le Pérou, l’Équateur et le Bhou-tan ne feront désormais plus partie des pays prio-ritaires de la coopération suisse au développement.Durant plus de trente ans, la DDC a participé à lalutte contre la pauvreté dans ces pays. Son départest lié à la nécessité de concentrer l’effort de co-opération : l’argent ainsi libéré profitera aux pro-grammes des douze pays qui restent prioritaires(voir Un seul monde 2/2009). La DDC justifie ces décisions par des critères quirelèvent de sa politique de développement – saufpour le Pakistan, que le Conseil fédéral a rayé dela liste des pays prioritaires, contrairement à la re-commandation du DFAE. «La situation est diffé-rente dans chacun de ces cinq pays, de sorte que lastratégie de sortie l’est aussi », confie Jürg Benz, chefsuppléant du domaine Coopération régionale à laDDC.

L’Équateur n’est plus pauvreEn Équateur, le processus de retrait progressif a durépresque quatre ans. Durant cette période, les orga-nisations partenaires ont été préparées à un avenirsans le soutien de la Suisse. «Pour chacun des pro-jets en cours, nous avons renforcé les capacités denos partenaires locaux et fait en sorte que les ex-périences acquises en quarante années de coopé-

Quand le donateur plie bagage

À la fin de l’année dernière, la DDC a fermé son bureau de co-opération à Quito, en Équateur. D’ici 2012, elle se retirera éga-lement de quatre autres pays jusque-là prioritaires. Un départqui ne signifie toutefois pas nécessairement la cessation de tou-te aide à ces États. De Gabriela Neuhaus.

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Ce départ a par contre de sérieuses répercussionssur Intercooperation, dont le siège principal pourl’Amérique latine était jusque-là basé en Équateur :cette organisation suisse de développement travailleen majeure partie sur mandat de la DDC ; elle sevoit donc contrainte de réduire et d’adapter son en-gagement dans ce pays – comme elle a déjà dû lefaire en Inde.

Précieux partenariats«Le besoin d’aide reste important dans des do-maines spécialisés, comme le développement com-munautaire ou la promotion des petites entreprisesrurales », constate Felix von Sury, directeur d’In-tercooperation. Mais cette organisation, commeSwissaid, n’est pas opposée au principe de laconcentration de l’aide.Pour être efficace, la coopération suisse doit utili-ser de manière ciblée les moyens limités dont elledispose. Cependant, les avis divergent dès lors qu’ils’agit de dire concrètement où et quand ces res-sources doivent être engagées. Felix von Sury re-gretterait que l’on abandonne toute activité dansles pays qui cessent d’être prioritaires, alors qu’il ya suffisamment d’argent disponible pour lancer denouveaux programmes dans des pays comme Cubaou la Mongolie : «C’est faire preuve de myopie quede dire ‘nous avons été présents durant quarante

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ans, maintenant ça suffit’. Pendant tout ce temps,nous avons mis en place des réseaux et constituéde précieux partenariats, qui produisent aujour-d’hui beaucoup d’effets avec des moyens relative-ment modestes. Une fois que le fil est rompu, onne peut plus le renouer. » La Suisse s’est profilée jus-qu’à présent par son engagement à long terme etpar les liens étroits de partenariat qu’elle a tissés avecles acteurs locaux. Et l’aspect financier n’a pas jouéun rôle primordial à cet égard. Pour les organisa-tions du Sud, ce qui compte le plus, ce sont sou-vent des facteurs tels que le transfert de connais-sances, les échanges d’expériences, la reconnais-sance et la sécurité.

S’en aller, oui mais...Dans aucun des cinq pays concernés, le retrait dela Suisse n’est aussi définitif qu’en Équateur. Le Pé-rou verra s’achever fin 2011 les programmes clas-siques de lutte contre la pauvreté, réalisés par laDDC, mais il deviendra un nouveau pays priori-taire du Secrétariat d’État à l’économie (Seco). Àce titre, il bénéficiera d’un soutien accru dans lesdomaines des infrastructures et de la promotionéconomique. Par ailleurs, la DDC restera présenteavec des projets relevant du programme globalChangement climatique.En Inde, le programme prioritaire de la Suisse se

Bhoutan : un engage-ment à reconsidérer«Au Bhoutan, nous avionsun programme de grandeenvergure et très efficace»,déclare Franz Gähwiler,chef de projet chezHelvetas. Cette organisa-tion de développement amis en œuvre une grandepartie des projets et desprogrammes de la DDC auBhoutan, pays prioritaire dela coopération suisse de1983 à 2006. Remo Gesù,responsable des pro-grammes internationauxchez Helvetas, résume ainsiles synergies qui ont parti-culièrement bien fonctionnédans ce petit pays : « Alorsque nous travaillons essen-tiellement sur le terrain, laDDC fait valoir ses principesthématiques au niveau de la politique nationale. » Lesprogrès réalisés avaientconduit la DDC et Helvetasà envisager un retrait duBhoutan. Mais la questionsera reconsidérée : les pre-mières élections organiséesdans le royaume, en 2008,ont ouvert la voie à la dé-mocratisation ; la Suisse,partenaire de longue dateet modèle de démocratie,pourrait accompagner ceprocessus et contribuer à le consolider.

Le retrait de la coopérationsuisse est plus radical enÉquateur (tout à gauche) que n’importe où ailleurs. Au Pérou (au centre), les pro-grammes classiques ferontplace à un soutien accrudans les domaines des infra-structures et de la promotionéconomique. L’Inde, quant àelle, continuera à bénéficierdu programme globalChangement climatique.

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terminera fin 2010. Compte tenu de son poidscroissant sur la scène internationale, ce pays ne veutplus d’une coopération bilatérale classique avec depetits bailleurs de fonds tels que la Suisse. SelonHansruedi Pfeiffer, de la section Asie du Sud à laDDC, la lutte contre la pauvreté reste indispensableen Inde – où des millions de gens vivent toujoursau-dessous du seuil de pauvreté – et elle se pour-suivra même sans le soutien de la Suisse : «Nousn’aurions pas fait correctement notre travail sinotre coopération n’avait pas renforcé l’autonomiede nos partenaires et influencé positivement leurfocalisation sur la pauvreté. »Le départ de la Suisse laissera tout de même destraces, par exemple sur Basix, une institution in-dienne de microfinance qui aide des centaines demilliers de pauvres. Privée de l’appui de la DDCen tant que partenaire international et bailleur defonds, cette organisation craint de ne plus avoir lemême potentiel de croissance et d’innovation.

Coopération avec l’Inde sur le climatCependant, la fin du programme prioritaire ne si-gnifie pas que la DDC cessera complètement sontravail en Inde. Après 2012, elle allouera chaque an-née 5 à 10 millions de francs à des projets relevantpour la plupart du programme global Changementclimatique. «L’Inde reste un partenaire importantpour la Suisse et, à l’avenir, nous chercherons da-vantage à coopérer avec elle sur un pied d’égali-té », souligne Jürg Benz. L’intérêt ne sera plus cen-tré sur le sort des populations défavorisées et sur

des mesures directes visant à améliorer leurs condi-tions de vie. Il s’agira plutôt de renforcer le dia-logue et des projets concrets dans le domaine duclimat, compte tenu du rôle de l’Inde dans la po-litique climatique mondiale – laquelle revêt uneimportance cruciale pour les pays et les populationsles plus pauvres. Cette forme de coopération vien-dra compléter d’autres aspects de la politique étran-gère suisse à l’égard de l’Inde, notamment la pro-motion des échanges scientifiques ou le renforce-ment des relations commerciales.Au Pakistan, la fin du programme prioritaire bila-téral se trouve partiellement compensée par le pro-gramme régional «Hindu Kush». Celui-ci est dotéd’un budget annuel de 5 millions de francs, ce quireprésente un tiers des moyens disponibles jus-qu’ici. Concentré sur les provinces frontalières duPakistan et de l’Afghanistan, il sera consacré à la sé-curité humaine et à la résolution de conflits. «L’im-portance géopolitique de cette région est telle quela Suisse se doit d’apporter une contribution dansce domaine », explique Jürg Benz pour justifier laréorientation du travail de la DDC dans le cadrede la lutte internationale contre le terrorisme enAfghanistan et au Pakistan. ■

(De l’allemand)

Redistribution de l’argent disponibleLa concentration géogra-phique de l’aide consentiepar la DDC a pour consé-quence la réaffectationd’environ 45 millions defrancs par année. Le bud-get de la coopération audéveloppement avec lePakistan, qui totalisait 15millions de francs en 2008,tombera à zéro dès 2013.En 2008, la DDC consa-crait encore 7 millions à l’Équateur, 8 au Pérou,13 à l’Inde et 3 au Bhoutan.Ces montants viendrontétoffer les budgets desdouze pays qui restent prioritaires, en particulierceux d’Amérique centrale,le Burkina Faso, le Mo-zambique et la Tanzanie,où l’engagement accru dela DDC compensera la ré-duction du programme duSeco.

Au Pakistan, un programmerégional suisse compen-sera en partie le retrait del’aide bilatérale. Il mettral’accent sur la sécurité humaine et la résolution de conflits.

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Les habitants de mon pays, leKosovo, ont été témoins, dèsleur plus jeune âge, des événe-ments qui ont marqué le sud-estde l’Europe au cours des der-nières décennies. Ils ont vécu le bouleversement des valeurshumaines et civiques ainsi quel’affrontement entre différentesconceptions du monde.

Cette même population aprouvé que, y compris dans les moments les plus difficiles, les êtres humains sont capablesde s’entraider et de faire preuvede solidarité. Ils trouvent lesmoyens de s’organiser, de releverles défis avec courage et de sortirvictorieux des épreuves, tout enayant acquis une profonde expé-rience de la vie.

Les événements du passé récentont également montré que lesgens peuvent avoir des compor-tements irrationnels, qu’ils nesont pas toujours en phase avecles valeurs modernes d’intégra-tion qui sont celles de l’Europeet du monde. Nous pouvons tirer parti des expériences decette période pour élaborer desstructures, des projets et des rela-tions qui serviront à apprendreles valeurs humaines, à accepter

les changements, à reconnaître lanécessité de promouvoir et decultiver le respect réciproque etla paix dans cette partie del’Europe. Il n’y a rien de plusbeau et de plus simple que d’ap-porter ce message de paix auxjeunes générations. Le meilleurmoyen d’y parvenir est la co-opération, celle des médias enparticulier.

Au Kosovo, cette tâche est assu-mée par le Human RightsRadio Network, qui relie les ra-dios locales les plus écoutées desdifférentes régions du pays, enassociant tous les groupes eth-niques (albanais, serbes, turcs etroms). Ce réseau multiethniquea été créé à l’initiative des radioselles-mêmes. Il est un bonexemple de ce que l’on peutfaire pour promouvoir la coha-bitation et la collaboration entrejournalistes albanais, serbes, turcset roms sur des thèmes ou desévénements qui mettent en re-lief les aspects foncièrement po-sitifs de notre histoire. Celaprend la forme de débats ou-verts, de dialogues, d’événe-ments liés à la vie sociale etquotidienne, le tout dans un cli-mat de tolérance et de libertémédiatique.

En fin de compte, la paix est unétat de sérénité et d’harmoniequi contribue à améliorer lasanté de tout un chacun. Il s’agitmaintenant de construire l’ave-nir des générations montantes,afin qu’elles n’aient pas un jourà affronter les mêmes problèmesque nous. C’est une motivationà poursuivre nos efforts. Il nousincombe, avec l’aide des médias,de tracer le chemin des popula-tions balkaniques vers la récon-ciliation. Car la paix commencepar l’intégration et la coopéra-tion.

C’est pourquoi nous ne voulonspas exiger la paix ou ne jurerque par elle. Nous entendons aucontraire nous engager de ma-nière concrète et constante, dansnotre travail journalistique, enfaveur de l’entente réciproque.Dans l’espoir qu’un jour, pluspersonne ne doutera de sonexistence réelle : la paix est pos-sible ; elle se réalisera lorsque lesgens auront appris à vivre côte àcôte et à travailler ensemble. ■

(De l’albanais)

La paix passe par la coopération

Carte blanche

Ekrem Çitaku est né il y a 32ans à Pristina, la capitale duKosovo. C’est dans cette villequ’il vit encore aujourd’hui,cumulant un emploi de dentis-te dans une clinique privée etla direction d’une station deradio. « Ces activités sont mesdeux passions dans la vie », affirme-t-il. Ekrem Çitaku pra-tiquait déjà le journalisme pen-dant ses études de médecine.En 2000, il a fondé Radio ValaRinore (les ondes de la jeu-nesse) qui est actuellement la station la plus populaire dePristina. En 2005, il a égale-ment créé le Human RightsRadio Network, un réseaumultiethnique et plurilingueauquel participent neuf sta-tions de diverses commu-nautés, basées dans toutesles régions du Kosovo. Sonobjectif est d’améliorer lacommunication entre les divers groupes ethniques etde promouvoir l’entente et latolérance réciproques.www.radiovalarinore.com

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La guerre qui a opposé la Russieà la Géorgie en août 2008 achoqué l’opinion mondiale etmontré une fois de plus avecquelle rapidité un conflit latentpeut se transformer en affronte-ment armé. Face à cette guerreéclair et à l’annexion de facto dedeux provinces géorgiennes parla Russie, l’Occident a faitpreuve d’une retenue qui auguremal de la stabilité dans la région.Dès lors, les experts sont trèspréoccupés par la situation enCrimée. Cette presqu’île, dont

les paysages sont parmi les plusenchanteurs d’Europe de l’Est,est aussi un foyer de conflit. Lesqualificatifs pour la désigner vontdu « joyau de la couronne » à la « prochaine Bosnie ».

Encore et toujours l’objet de conflitsL’ancien lieu de villégiature desdirigeants soviétiques est aujour-d’hui une république autonomeau sein de l’Ukraine. La Russie,qui avait annexé en 1783 cet an-cien bastion ottoman, cherche

maintenant à renforcer son auto-rité sur la région. Elle tient sur-tout à assurer l’avenir de sa flottede la mer Noire, dont le station-nement à Sébastopol est garantijusqu’en 2017. Le gouvernementde Kiev a annoncé qu’il n’avaitpas l’intention de proroger cedélai. Aux yeux de certains ex-perts, un tel refus pourrait pro-voquer l’effondrement de laCrimée. Du point de vue éco-nomique, celle-ci est en effetplus mal lotie que la plupart desautres régions ukrainiennes.

Voilà pourquoi tant la Russieque l’Ukraine tentent d’accroîtreleur influence sur la Crimée etd’instrumentaliser sa populationà leur profit. Mais ce ne sont làque les tensions les plus récentesqui aggravent une situation déjàdifficile. Au cours de son histoire,la Crimée a été maintes fois co-lonisée : Grecs, Scythes, Tatars,Turcs et Russes s’y sont succédéau fil des siècles (les uns faisantroute vers l’Orient, les autresvers l’Occident) et ont luttéâprement pour s’approprier cette

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Le retour des Tatars

Pour les Occidentaux qui en ont entendu parler, la Crimée est essentiellementun lieu de villégiature sur la mer Noire. Sur le plan géopolitique, elle joue pour-tant un rôle important pour la stabilité de la région. Le retour des Tatars deCrimée, jadis déportés, met à rude épreuve cette république autonome rattachéeà l’Ukraine. De Maria Roselli.

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perle sur les rives de la mer Noire,la marquant de leur culture.

Déportés vers l’OuzbékistanEn majorité russophone, la po-pulation de la Crimée – environ2 millons d’habitants – compte aujourd’hui 58% de Russes, 24%d’Ukrainiens et 12% de Tatars.Pour les 6% restants, la variété est de mise : Azerbaïdjanais,Géorgiens,Tchèques, Polonais,Arméniens, Bulgares, Grecs etAllemands. Depuis le démantèlement del’Union soviétique et l’accessionde l’Ukraine à l’indépendance en 1991, le retour de nombreux

émigrés met la capacité d’inté-gration de la presqu’île à rudeépreuve. La plupart d’entre euxsont des Tatars. Ce peuple d’ori-gine turque, qui était installé enCrimée depuis des siècles, a étédéporté à la fin de la SecondeGuerre mondiale. Le 18 mai1944, soit quelques jours après leretrait des troupes allemandes dela péninsule, Staline a ordonnéde rassembler les 200 000 Tatarsde Crimée. Il les accusait,comme d’autres peuples, d’avoircollaboré avec l’Allemagne nazie. Les Tatars ont alors été entassésdans des wagons à bestiaux avec 20 000 Grecs, 20 000 Arméniens

et 17 000 Bulgares, pour être dé-portés en Asie centrale, principa-lement en Ouzbékistan.Beaucoup de Tatars sont mortsdurant ce transfert. Pour ceuxqui ont survécu, il est vite de-venu évident qu’ils allaient toutmettre en œuvre afin de retour-ner dans leur patrie. « Dès les an-nées 50, on a vu apparaître unmouvement national très actifparmi les Tatars de Crimée. Leurobjectif était d’obtenir une réha-bilitation historique et politique,de même que le droit de retour-ner chez eux », explique ChristianDisler, chargé de programme à la DDC.

Rapatriés, mais privés de soutienCe n’est qu’en 1967 que le gou-vernement soviétique a lavé lesTatars de tout soupçon et dé-crété que les accusations de col-laboration avec les nazis étaientsans fondement. Officiellement,ils avaient désormais le droit derentrer en Crimée, mais ce retour était semé d’embûchesbureaucratiques. Il a fallu at-tendre 1989 et la perestroïka deGorbatchev pour que Moscoucondamne enfin la déportationdes habitants de la Crimée et organise leur rapatriement.Ayant lutté pendant des annéespour leurs droits, les Tatars deCrimée ne se sont pas fait prieret sont revenus en masse, commeon pouvait s’y attendre. Quelque250 000 personnes, pour la plu-part des Tatars déportés ou leursdescendants, ont regagné la pé-ninsule sur une période de sixans. Entre 150 000 et 250 000Tatars vivent encore en exil, maisnombre d’entre eux se préparentaussi à retourner en Crimée.La réintégration de cette popula-tion s’est jusqu’ici avérée diffi-cile. Les tensions sont fréquentesentre les Tatars, musulmans sun-nites, et les Russes, majoritaire-ment orthodoxes. De plus, laCrimée semble avoir oublié sonpassé tatar. Après la déportation,le gouvernement soviétique avait

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effacé toute trace de cette cul-ture en Crimée : les noms de lo-calités ont été changés ou russi-fiés ; des mosquées et des monu-ments ont été détruits.Sous le régime soviétique, lesTatars ont été contraints de chan-ger deux fois la manière d’écrireleur langue. En 1928, ils ont dûpasser de l’alphabet arabe à l’al-phabet latin. Dix ans plus tard,Staline leur a imposé l’écriturecyrillique. Il y a quelques années,des étudiants turcs et tatars del’Université d’Istanbul ont misau point leur propre alphabet.

Des questions sans réponseEn retournant chez eux, les an-ciens déportés formulent aussides revendications politiques. Ilsse considèrent comme le peupleautochtone de Crimée. Les

Russes et les Ukrainiens sont, àleurs yeux, des usurpateurs quidevraient retourner dans leurpays d’origine. Cette exigencene pouvait que les mettre enconflit avec le gouvernement dela Crimée, contrôlé par les Russes.Celui-ci entend rester aussi indépendant que possible del’Ukraine, afin de défendre sespropres intérêts stratégiques. Àplusieurs reprises, des heurts ontdéjà opposé la population slaveet la minorité tatare. Et il seradifficile d’en éviter de nouveauxtant que l’on n’aura pas apportéde solution aux problèmes éco-nomiques et sociaux ainsi qu’àl’épineuse question des terresdont les Tatars ont été spoliés en1944. ■

(De l’allemand)

Promouvoir la stabilité et la paixLa plupart des terres et des maisons ayant appartenu auxTatars sont aujourd’hui occupées par des Russes ou desUkrainiens. À leur retour en Crimée, les Tatars ont donc crééplus de 300 villages « sauvages » dans la steppe inhospitalière,où toutes les infrastructures font défaut, y compris un réseaud’eau potable. Pour remédier à cette situation précaire ettrouver des solutions à long terme, les Nations Unies ontlancé en 1995 le Programme d’intégration et de développe-ment pour la Crimée (CIDP). Celui-ci vise à soutenir le déve-loppement socioéconomique de la presqu’île, notamment enassurant la réintégration des Tatars, afin de consolider la paixet la stabilité. Pendant plusieurs années, ce programme a bé-néficié de l’appui technique et financier de la DDC : la coopé-ration suisse a contribué à améliorer durablement l’approvi-sionnement en eau, avec la participation active de lapopulation rurale multiethnique.

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SébastopolSimféropol

Ce pays a connu une gestionprivée de l’eau depuis le 19e

siècle, mais aujourd’hui, il tend à revenir vers une étatisation. Cefilm instructif est rendu vivantpar les contrastes qu’il présente.Il souligne la nécessité de consi-dérer l’eau comme un bien pu-blic et critique les tendances à laprivatisation, qui se manifestentpartout dans le monde. Damien de Pierpont : « L’or bleu »,film documentaire, Belgique/Maroc2007, dès 14 ans. Disponible enversion courte (37 minutes) avectrois autres films sur le DVD«L’eau» ; informations : serviceFilms pour un seul monde, 031 398 20 88, www.filmeeinewelt.ch

Le blues des hommes bleus(er) À la fin des années 70, desmusiciens touaregs ont échouédans des camps de réfugiés enAlgérie, non loin de la frontièremalienne. Ils ont constitué ungroupe informel, nomméTinariwen («désert » en languetamashek) et créé un style musi-cal qui reste unique en songenre, mélange de blues et demusique traditionnelle toua-règue. Cette année, le groupe asorti son quatrième album, enre-gistré dans un village du désertmalien. La pulsation magique de

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Les rendez-vous des cinéphiles romands(aze) Deux importantes mani-festations cinématographiques se préparent en Suisse romande. Le 24e Festival international defilms de Fribourg (FIFF) auralieu du 13 au 20 mars. Unedouzaine de films de fiction et de documentaires sont encompétition. Ils viennent essen-tiellement d’Amérique latine etd’Asie. À côté de cette sélectionofficielle, le FIFF proposera plu-sieurs panoramas, dont l’un surle cinéma russe contemporain.Un hommage sera rendu àl’œuvre de Kinji Fukasaku,maître du film de genre japo-nais, et au « cinéma vérité » duFrançais Jean Rouch. Le festival Visions du Réel ouvreses portes un mois plus tard àNyon. L’évolution sociale, lacroissance économique, leséchanges équilibrés entre conti-nents et pays, la justice pour tousou encore le développementdurable sont autant de valeursqui fondent le cinéma du réel.Ce festival est une façon pas-sionnante de découvrir la vietelle qu’elle est vraiment vécue,ici et ailleurs. Festival international de films deFribourg, du 13 au 20 mars,www.fiff.ch ; Visions du Réel, du 15au 21 avril, www.visionsdureel.ch

Un combat désespéré contreles marées Le dernier film du réalisateurcambodgien Rithy Panh estl’adaptation du roman deMarguerite Duras Un barragecontre le Pacifique, d’inspirationautobiographique. L’histoire sepasse dans le Golfe de Siam, au

début des années 30. Une veuvefrançaise (Isabelle Huppert) survittant bien que mal avec ses deuxenfants, Joseph et Suzanne, dansune propriété située au bord del’océan Pacifique. Cette mèrepossessive mène un combat solitaire contre les bureaucratescorrompus de l’administrationcoloniale, qui l’ont escroquée en lui vendant des terres régu-lièrement inondées, donc in-cultivables. Elle investit touteson énergie et ses dernières économies dans un projet fou :construire un barrage contre la mer, avec l’aide des paysans du village, pour protéger ses rizières. Ruinée et obsédée parson entreprise, elle laisse à sesenfants une liberté quasi totale.C’est alors que Monsieur Jo, filsd’un riche homme d’affaireschinois, tombe sous le charmede Suzanne. La famille va tenterd’en tirer profit. Rithy Panh : «Un barrage contre le Pacifique », film en v.o.khmer/français, sous-titres français-allemand, 115 minutes ; le DVD est paru aux éditions trigon-film,www.trigon-film.org

Marrakech asséchée par ses touristes(dg) Le film L’or bleu est consa-cré d’une part à l’eau, ressourceindispensable à la vie, d’autrepart au phénomène de la mar-chandisation et de la privatisa-tion. Le réalisateur belgeDamien de Pierpont y décritcette problématique à travers l’exemple du Maroc qui connaîtde sérieuses difficultés hydriques.La ville de Marrakech, dans lesud du pays, reçoit chaque année2 millions de touristes quiconsomment cinq fois plusd’eau que la population locale. Il en résulte une commercialisa-tion croissante de cette denréequi se raréfie. Marrakech a dé-cidé de privatiser le secteur del’eau. Le film compare cette ap-proche avec celle de la France.

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riffs de guitare bruts et répétitifscrée un groove hypnotique. Elleest soulignée par les motifs secset métalliques des guitares ryth-miques. Des voix d’hommes,basses et un peu rugueuses, semêlent à celles des femmes, plusclaires, qui se lancent parfoisdans des trilles. Tinariwenchante la rébellion passée, lalutte et l’exil, la nostalgie, labeauté du désert et la solitude,les déboires et les espoirs del’existence touarègue. La ca-dence soutenue des tambours etl’impulsion donnée par les bat-tements de mains contribuent àl’effet hypnotique. Ces chansonschargées de mélancolie ont vite grimpé au sommet des hit-parades des musiques du monde.Tinariwen : « Imidiwan :Companions »(Independiente/Musikvertrieb)

L’ambassadrice des Saamis(er) Sa voix est parfois rauque,parfois chaude et douce, vive etchatoyante. Elle plonge dans lesprofondeurs, puis s’élève à nou-veau, telle l’hirondelle de merqui vole vers le soleil de minuit.C’est cet oiseau migrateur,nommé sterna paradisea en latin,que chante Mari Boine dans lemorceau-titre de son neuvièmealbum. L’artiste norvégienne,âgée de 53 ans, s’y exprime dans la langue de son peuple, les Saamis ou Lapons. Pour lachanson intitulée «ConversationWith God», elle a invité la chanteuse sud-africaineMadosini et les AbaqondisiBrothers, une formation a ca-pella de douze chanteurs issuedes townships du Cap. Le timbrexhosa confère encore davantaged’intensité extatique à son jeud’ombres et de lumières. Le cos-mos musical de Mari Boine, cesont aussi des envolées élégia-ques de trompette, des guitaresmélodieuses, de subtiles lignesde basse et des percussions touten légèreté. Ses instrumentistes

virtuoses recourent à des élé-ments de folk, de smooth jazz,de trip hop, de dub et de poppour obtenir une respirationsphérique et intense. Mari Boine : «Cuovggaáirras/Sterna Paradisea » (EmarcyRecords/Universal Music)

Voyage vers des oasis musicales(er) Les trois CD du coffretEmociones, sorti pour les 25 ans de Network Medien, avaiententhousiasmé beaucoup de mé-lomanes. Cinq ans plus tard, lepatron du label et globe-trottermusical Christian Scholze lesconvie une nouvelle fois à unpassionnant voyage sonore, ac-compagné d’un livret instructifet richement illustré. Sous letitre World Ballads, il propose 29morceaux tous plus fascinants lesuns que les autres, joués par 23musiciens et ensembles connusou à découvrir. Cette anthologieest une sorte d’état des lieuxtranquille et méditatif. On y entend la Macédonienne EsmaRedzepova, considérée comme

la reine de la musique tsigane, leSénégalais Youssou N’Dour, levirtuose arménien de la flûteDjivan Gasparyan, la chanteuseargentine Adriana Varela avec lelégendaire Sexteto Mayor, le cla-rinettiste Giora Feidman et lessonorités mélancoliques de samusique klezmer, ou encore lemerveilleux chant cristallin de la soprano éthiopienne Gigi.Autant de voix humaines ouinstrumentales aussi magiquesqu’émouvantes, qui donnent lespleins pouvoirs à l’imagination et au rêve. Divers artistes : «World Ballads »,double album en coffret haut format(Network/Musikvertrieb)

L’état des ressources naturelles en Afrique(bf ) L’empreinte écologique(ecological footprint) désigne unoutil qui permet de mesurer lapression exercée par l’humanitésur les ressources naturelles. Ellefournit en quelque sorte un«extrait de compte » de la na-ture. Ce concept aide les entre-prises, les villes ou même lespays à visualiser leur écobilan, enleur procurant les informationsnécessaires pour assurer une gestion durable des ressourcesdisponibles. Créé en 2003, leGlobal Footprint Network apour but d’instaurer un régimedurable dans lequel tous les êtreshumains peuvent prospérer enrespectant les limites écolo-giques de la planète. Ce réseaumondial publie régulièrement de nouvelles données sur sonsite Internet. Il a réuni les plusrécentes dans l’ouvrage AfricaFactbook 2009. On y trouve deprécieuses informations de base,des faits surprenants, des tableauxet des comparaisons utiles. www.footprintnetwork.org

La richesse d’une sociétémétissée( jls) La population suisse compte22% d’étrangers. C’est à ces per-

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sonnes venues des quatre coinsdu monde que s’intéresse le magazine multiculturel«Carrefours ». Diffusé par neuftélévisions locales romandes, il met en valeur l’apport des migrants à la société helvétiqueet explore leurs réalités quoti-diennes. Il fournit de nom-breuses informations pratiquesqui aident les étrangers à accé-der aux institutions ou à mieuxcomprendre la vie en Suisse.Chaque émission est consacrée à une thématique différente.Depuis son lancement en juin2008, «Carrefours » a traité entreautres les sujets suivants : l’imagedes migrants dans les médias, ledroit du travail, la vie associative,le choix de la formation profes-sionnelle, l’apprentissage de lalangue, le travail indépendant etl’égalité des salaires. Ce maga-zine est une production de l’as-sociation A la vista !, fondée parla réalisatrice Patricia Anakwe, le vidéaste Laurent Bersier et lajournaliste Violeta Ferrer. Toutesles émissions peuvent être vi-sionnées sur le site Internet del’association.www.alavistatv.net

Dans les bidonvilles deManille(bf ) L’album de photos CaseStudy Homes est en fait un car-net de croquis. Dans le cadred’un projet réalisé début 2008,Peter Bialobrzeski a photogra-phié des structures urbaines dansun bidonville de Manille situésur la plage, entre deux termi-naux à conteneurs. Quand le

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ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Martin Dahinden (responsable) Catherine Vuffray (coordination globale) (vuc) Marie-Noëlle Bossel, Marc-André Bünzli, Beat Felber, Thomas Jenatsch, Roland Leffler,Sabina Mächler

Rédaction :Beat Felber (bf–production)Gabriela Neuhaus (gn) Maria Roselli (mr)Jane-Lise Schneeberger (jls) Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Vogt-Schild Druck AG, Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de : DFAE,Service de l’information, Palais fédéral Ouest,3003 Berne,Courriel : [email protected]él. 031 322 44 12Fax 031 324 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 52 000

Couverture : corvée d’eau dans le bidonvillede Kroo Bay, à Freetown (Liberia) ; AudreyWade, Panos/Strates

ISSN 1661-1675

photographe de Hambourg aréexaminé ce matériel six moisplus tard, la banque LehmanBrothers était en train de s’ef-fondrer et les médias, saisis d’unevéritable paranoïa, annonçaientla deuxième grande crise de l’économie mondiale. Son re-portage a pris alors brusquementune dimension supplémentaire :ces abris de travailleurs migrants,construits avec des matériaux re-jetés par la civilisation moderne,témoignent à la fois d’une vo-lonté de survie, d’une grandecréativité et du besoin de secréer son propre foyer. PeterBialobrzeski a su photographierces misérables cabanes de tellesorte qu’il en émane une vraiedignité.Peter Bialobrzeski : «Case StudyHomes », éditions Hatje Cantz,2009

Rêves d’or noir(bf ) L’industrie pétrolière estl’une des plus lucratives quisoient. Le nouvel oléoduc reliant la mer Caspienne à laMéditerranée promet au mondeoccidental un accès direct aux

réserves situées au-delà duCaucase. Mais pour les popula-tions d’Azerbaïdjan, de Géorgieet de Turquie, reliées par ce tubelong de 1700 kilomètres, il s’agitsurtout d’un monstre qui enri-chit une élite et porte malheurau plus grand nombre. La pho-tographe Rena Effendi, née en1977 à Bakou (Azerbaïdjan), aparcouru durant six ans les paystraversés par cet oléoduc. Elle estallée à la rencontre des habitantsdans leur environnement quoti-dien. Ses clichés en noir etblanc, austères et directs, révèlentde manière impitoyable le fosséentre la vie de ces gens et lemonde de ceux qui vont utiliserou commercialiser le pétrole.Rena Effendi les a réunis dansun ouvrage courageux et sincèrequi montre la vie actuelle de fa-milles que ce projet pharaoniquea privées de leurs moyens d’exis-tence.Rena Effendi : «Pipe Dreams – Achronicle of lives along the pipeline»,Schilt Publishing, 2009 ; «PipeDreams – Eine Chronik des Lebensentlang der Pipeline », BenteliVerlag, 2009

La Décennie des Roms(bf ) La Décennie 2005-2015pour l’intégration des Roms seréalise dans neuf pays d’Europecentrale et orientale : Bulgarie,Croatie, Hongrie, Macédoine,Monténégro, Roumanie, Serbie,Slovaquie et Tchéquie. Les gou-vernements de ces pays se sontengagés à intensifier leurs efforts

en vue d’éliminer la discrimina-tion à l’égard de la plus grandeminorité ethnique d’Europe.C’est dans ce contexte que laDDC vient de publier RomaRealities, en collaboration avec laBanque mondiale. Cet ouvrageprésente un bilan provisoire ainsiqu’une quantité de photos ori-ginales et extrêmement vivantessur la situation des Roms enEurope du Sud-Est. Il évoqueaussi bien les approches positivesque les défis encore à relever enmatière d’intégration des Roms.Cela donne une sorte de dialo-gue entre les images du photo-graphe suisse Yves Leresche, des experts et les populationsconcernées. Le livre est unecontribution au débat sur laDécennie des Roms. Il s’adresseà toutes les personnes ou institu-tions qui se préoccupent d’amé-liorer la situation de cette eth-nie, en particulier les responsa-bles politiques, les journalistes,

les activistes roms et les autresleaders d’opinion dans les paysparticipant à la décennie.«Roma Realities – Decade 2005 –2015» (en anglais uniquement)peut être commandé par courrierélectronique, au prix de 20 francs, à[email protected]. Un nombre li-mité d’exemplaires contiennent unDVD avec les séries de diapositives«Focus on Education » et «GeneralSituation », qui peuvent servir àanimer des séminaires et des ateliers.

Des spécialistes du DFAEviennent à vousSouhaitez-vous obtenir des in-formations de première main surla politique étrangère ? Des spé-cialistes du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)sont à la disposition des écoles,des associations et des institu-tions, pour leur présenter desexposés et animer des débats sur divers sujets touchant à lapolitique étrangère. Le servicede conférences est gratuit.Toutefois, cette prestation nepeut être offerte qu’en Suisse et trente personnes au moinsdoivent participer à la manifesta-tion.Service de conférences du DFAE,Service de l’information, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne ; tél. 031 322 31 53/ 35 80 ; fax 031 324 90 47/48 ; courriel : [email protected]

Dans le prochain numéro :

Quels sont les points forts de la Suisse dans la coopération au développement ?Dans quelle mesure peut-elle apporter unevaleur ajoutée par rapport à d’autres paysdonateurs ? Notre dossier consacré à la « suissitude » donnera la parole à desacteurs suisses, mais également à des voixdu Sud et de l’Est.

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