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Éléments d’ethnologie ANT 1013 Guy Lanoue C-3075, 3150 Jean-Brillant Guy Lanoue, Université de Montréal, 2009-2013

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Éléments d’ethnologieANT 1013

Guy LanoueC-3075, 3150 Jean-Brillant

Guy Lanoue, Université de Montréal, 2009-2013

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L’ethnologie et la culture

La culture est:a) un ensemble (pas «un système») de représentations b) créée par les individus, mais aucun individu n’incarne

tous les traits de la culture c) reproduit et véhiculée par de choix individuels, même par

des comportements et des attitudes non-conformes et hautement idiosyncrasiques

d) naturalisée et normalisée; elle est donc véhiculée par les émotions et par d’autres dimensions du corporel; on sent la culture dans les tripes

e) parfois irrationnelle et toujours arbitrairef) indépendante des actions et de la volonté d’un individu

(«superorganique»)

•http://i36.photobucket.com/albums/e46/Spazmoticat/ideology.jpg

http://www.csmb.qc.ca/recit/valeurs_ecouter2.gif

http://www.cartoonstock.com/lowres/jsi0028l.jpg

http://images.azeofspades.multiply.com/image/1/photos/upload/300x300/R15qLQoKCCUAAHU5@tU1/480px-Rubik%27s_cube.svg.png?et=E74xNzXRA1thWA3s65lPgg&nmid=

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a) l’idéologie (un ensemble assez cohérent d’idées), parce que ses composants ne sont pas nécessairement cohérents l’un avec l’autreb) limitée aux valeurs explicitement partagées par la communauté c) un synonyme pour «un peuple», comme se dit parfois dans le discours populaire, «la culture des X», comme si la culture était une entité étanche qui se colle à tous les membres d’une société de façon identique. C’est faux. Chaque société est parsemée de plusieurs dynamiques culturelles qui sont parfois en contradiction l’une et l’autre. Par exemple, les grandes civilisations possèdent de cultures qui sont organisées, métaphoriquement, en forme de pyramide. Vers le sommet, occupés par les élites qui contrôlent les représentations, il y a peu de composants, mais ils sont très complexes et difficiles à maitriser, comme p.e. la haute culture «classique». La survalorisation de ces éléments permet à l’élite de reproduire la hiérarchie sociale; maitriser ces éléments «raffinés», selon les normes définies par l’élite, devient un composant essentiel de l’identité sociale. Par contraste, les personnes ayant un statut bas dont l’accès au pouvoir est limité souvent développent de cultures dont les composants sont simples et faciles à maitriser, mais qui sont combinés dans des ensembles

http://www.knowgangs.com/gang_resources/handsigns/menu005004.jpg

Symbole de la gang de rue Bloods

complexes, fluides et novateurs, pour ériger une frontière culturelle relativement imperméable aux membres de l’élite – par exemple, des argots populaires tels que la langue SMS, les gang signs (à droite), la langue djeunz (France), le rhyming slang cockney, le gangsta rap américain; ou, il peut s’agir de certains types de comportements corporels, tels que le pimp roll; le décor riche ou kitsch; habillement scene ou obscène. Les deux dynamiques culturelles – l’une dont le signifié est une société relativement fermée, l’autre se référant à une société relativement ouverte – peuvent coexister tranquillement.

La culture n’est pas:

Voir Bruno Munari, Supplemento al dizionario italiano, Mantoue, 2007 (1963; un dictionnaire de gestes italiens «typiques»).

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Les thèmes populaires de l’ethnologie

- l’économie et les rapports écologiques; adaptation à l’environnement; modes de survie; technologies; pressions et dynamiques démographiques

- politique; structure sociale, gouvernance; rapports de pouvoir et de force; résistance individuelle et collective au pouvoir coercitif; le contrôle indirect du temps et de l’espace

- représentations et symboles; religion, l’imaginaire et la projection du Soi; mythe et mythification; la production d’une communauté de référence; métaphorisation et métonymisation

- autres formes de production culturelle – musique, art visuel et dimensionnel, littérature et légendes, films et télévision, mode et habillement, décoration et ameublement; la production et la consommation du spectacle comme lieu ritualisé

- parenté et l’intime; la production du Moi et du Soi social; l’individualisation et l’identité sociale; la corporalité et le pouvoir; la politisation de la sexualité et du genre

- l’utilisation du temps – la production du passé, de l’histoire et de souvenirs- la ritualisation, la normalisation, la ritualisation – comment fonctionnent les

technologies de la gouvernance en créant des ponts symboliques entre la communauté imaginée et le vécu; comment s’incarne le pouvoir dans le quotidien

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Faire l’ethnologie

- se concentrer sur les dimensions «cachées» d’un phénomène

- examiner comment un trait est lié aux autres (l’effet du «système»)

- analyser comment les diverses frontières se chevauchent (autour du Soi, autour de la communauté, autour de la société)

- être sensible aux divergences entre la description (la rhétorique, l’idéologie) et la pratique

- identifier les mécanismes par lesquels les individus se situent vis-à-vis de la communauté de référence et les moyens par lesquels ils partagent cette construction

http://i229.photobucket.com/albums/ee109/roidjk27/LAFOIREOLIEN/merkeloslo2.jpg

esterne030956230304095729_big.jpg

Angela Merkel shooped?*L’image a été utilisée dans la campagne électorale de 2009, sans l’approbation de Mme Merkel. Publicité postmoderne

* Shoop = photoshop déformé et transformé en netspeak et verbe

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Le terrain – l’approche à l’Autre

le recul – peut mener au scientisme aveugle, car semble être la à base du regard objectif, mais est néanmoins incontournable comme condition du terrain

le temps artificiel de la recherche – dominé parfois par un modèle bureaucratique sensibilisé aux rythmes administratifs et non aux dynamiques qui gouvernent la production des savoirs; l’éternel présent; l’intensité et donc l’intimité de la rencontre sont exagérées par le temps limité de la recherche

l’idéal et le vécu – les déclarations de l’Autre font partie de son imaginaire et ne sont nécessairement des miroirs des règles de vie

le terrain traditionnel ou le terrain sans frontières; méthodologie basée sur l’orientation envers sensible à l’aire culturelle ou à une thématique?

http://www.latrobe.edu.au/rclt/StaffPages/post%20photos/Fieldwork.JPG

Le terrain contemporain

http://news.boisestate.edu/newsrelease/archive/2003/112003/chagnon.jpg

Le terrain traditionnel

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L’idéal et le vécu

http://img2.timeinc.net/people/i/2004/04/startracks/040524/kbeckinsale.jpg

http://www.worst-city.com/pictures/fat-girls-in-thomgs-ugly-women-topless-breasts-rio-beach.jpg

http://doctorheadly.files.wordpress.com/2007/04/speedo_guy.jpg

http://images.pictureshunt.com/pics/t/taylor_lautner_of_twilight-2659.jpg

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Dangers du terrain

«Exotiser» l’autre- être séduit par l’intimité et croire que les secrets sont

partagés par tout le monde- penser que la dimension intime et «cachée» de l’Autre est

plus importante que ses institutions et pratiques publiques- être trop sensible aux conditions locales mais s’aveugler aux

conditions globales qui peuvent impacter le local- penser que les conditions locales sont complètement créées

par les dynamiques de la mondialisation- être trop orienté aux prévisions de la théorie et insensible

aux croyances de l’Autre- être trop sensible aux déclarations de l’autre et avoir peur de

théoriser- être piégé par la rectitude politique et cacher certains traits

«inconfortables»- être incapable d’utiliser la méthode comparative, car les

frontières politiques ou géographiques ne définissent plus les limites de l’agir culturel; sans comparaison, comment arriver à des lois universelles?

- confondre l’engagement politique et moral avec l’anthropologie; vouloir aider ou changer le monde n’est pas un substitut pour l’analyse

http://i12.photobucket.com/albums/a246outoforbit/Henri_matisse_Odalique_1923.jpg

L’exotisme et l’orientalisation de l’Autre: Henri Matisse, Odalisque, 1923

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Le terrain traditionnel (1976):jadis, la barbe était signe obligatoire du sérieux et de l’engagement envers la discipline (le premier

film d’Indiana Jones est apparu en 1981; comme d’habitude, j’étais à l’avant-garde de la mode, comme ma chemise témoigne). Cependant, les femmes anthropologues devaient parfois

improviser. Les résultats sont … incertains.

http://c0424372.cdn.cloudfiles.rackspacecloud.com/fake-beards.jpg

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Le terrain traditionnel (1976)Avant l’invention des mesures de sécurité avancées telles que le Bear-dar™, des centaines

d’ethnologues ont sacrifié leur vie pour la science; à l’époque, des collisions entre les chercheurs et les ours dominent les manchettes

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Le terrain traditionnel (1979)À l’époque, la quantité et la brillance des théories ethnologiques étaient limitées par la longueur excessive des cheveux, qui empêchent les chercheurs de voir certains détails importants. Les ethnologues porteurs de fusils sont particulièrement dangereux, surtout dans les contextes urbains. Des douzaines d’informateurs potentiels perdent la vie parce que l’association américaine refuse d’imposer des limitations sur l’utilisation des fusils

lors du terrain. Heureusement, l’image de l’intellectuel comme bohème passe de mode, et le progrès scientifique fait de bonds notables quand un ethnologue mâle se coupe les cheveux après avoir assisté à un

congrès féministe à Seattle.http://www.dogsindepth.com/herding_dog_breeds/images/old_english_sheepdog_h03.jpg

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Le terrain en Italie (Abruzzes), 1997Parfois, des paysans nous tombent du ciel; des douzaines d’ethnologues perdent la vie ou sont gravement blessés dans une série d’accidents bizarres; les écoles ne préparent aucunement les

ethnologues en herbe pour affronter ce danger, car l’époque est dominée par le matérialisme; la plupart des ethnologues, entrainés à être sensibles aux infrastructures, ne conçoivent pas que les superstructures soient importantes. Heureusement pour vous, j’assume comme mission sacrée la responsabilité de vous

sensibiliser à tous les dangers de la recherche: n’oubliez pas de regarder vers le haut.

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Le terrain transversal (2000 à présent)

Le terrain transversal est un concept introduit par George Marcus («multi-sited fieldwork», Ethnography Through Thick and Thin, 1998), où l’ethnologue tente de tracer les liens parfois politiques, parfois économiques, partant d’un seul phénomène. Il oblige le chercheur d’ignorer les frontières géographiques. C’est la méthode de recherche privilégiée pour une planète désormais mondialisée. Parfois, comme dans mon cas, on se trouve dans la nature sauvage. L’ethnologue est désormais comme l’image hollywoodienne du Mountie, qui n’abandonne jamais l’enquête, malgré l’effet néfaste de certains lieux sur l’esprit.

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Le terrain transversal (2000 à présent):La poursuite de la vérité lointaine peut nous mener à des lieux imprévus et même dangereux. Derrière la nouveauté du phénomène désormais global, cependant, se trouve parfois de situations déjà vécues.

La formation doit donc accorder un certain poids à l’histoire de la pensée. Ici, on voit l’anthropologue, aujourd’hui et hier, faire face aux dangers aquatiques.

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Le terrain transversal (2000 à présent):On s’efforce de travailler même quand on est entouré de choses vieilles et abimées, dans de conditions dominées par des ruines. On fonce vers la vérité, carnet dans une

main, un café espresso dans l’autre.

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Le terrain transversal (2000 à présent):il faut parfois consommer des quantités dangereusement élevées d’alcool et de mets raffinés pour

se désensibiliser à l’agression esthétique qu’on subit lors de l’enquête en certains quartiers

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Le terrain (2000 à présent)Comment mener l’enquête quand on est continuellement obligé à combattre la solitude existentielle qui nous accompagne partout? Bonjour, tristesse. Notre seule arme: le cocktail, mais, attention!, seulement sans glaçons, sinon c’est inefficace. Ces techniques avancées sont en général enseignées uniquement

lorsqu’on s’inscrit aux études supérieures, mais je partage ce petit secret du métier avec vous.

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Le terrain transversal (2000 à présent):par politesse, il faut s’habituer à la nourriture locale et avaler notre répulsion; pour cela, il est nécessaire de subir un entrainement rigoureux, s’habituant peu à peu à des saveurs exotiques et bizarres. Le programme

d’études spécialisées consiste de cours à l’Institut d’hôtellerie.

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Le terrain transversal (2000 à présent):souvent, nos sensibilités raffinées d’intellectuel se heurtent contre les réalités philistines et grossières de la vie contemporaine; on continue, moralement obligé par notre engagement envers notre discipline, à

visiter des centres d’achats, malgré le risque d’être contaminé par l’esprit du commerce. Heureusement, nous sommes soutenus par l’idée que notre travail un jour transformera le monde pour le mieux.

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Problèmes liés à la collecte de données qualitatives:

1)Les faits ne sont pas discrets (qu’est-ce qui constitue un fait?)2)Les faits ne sont pas toujours significatifs en soi 3)Les données ne consistent pas uniquement des déclarations des informateurs, mais de leurs gestes (il faut une longue période d’observation)4)On doit lier les gestes l’un à l’autre pour définir une séquence significative5)On a donc un grand ensemble de petits gestes, dont aucun n’est nécessairement important en soi. Il faut trouver une façon de lier un fait à l’autre pour dégager les dynamiques.

Le but est donc de trouver une méthode d’arranger les données non significatives en soi pour qu’elles

dégagent de connexions qui ne sont pas évidentes à premier vue d’œil, et d’éviter de projeter de liens basés sur les préjugés et postulats de la culture de

l’observateur.

Travailler le terrain/1

http://markandrews.edublogs.org/files/2011/06/malinowski2-2botbx1.JPG

Depuis l’époque de Malinowski, cette image de la recherche est devenue iconique, mais aujourd’hui elle n’est plus typique de la recherche de terrain.

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Semaine 1:

B1a: blablablaB1b: blablablaC1a: blablabla

Semaine 2:

C2a: blablablaC2b: blablablaA2a: blablabla

Semaine 3:

C3a: blablablaC3b: blablablaA3a: blablabla

Chaque observation est codée simplement selon: a)le type d’activité (A= politique; B = sociale; C = économie; b)l’indice du temps (semaine 1, semaine 2, etc.); on peut utiliser le jour ou le mois comme unité de temps, mais une semaine est un bon compromis;c)un troisième code qui distingue les activités dans la même semaine (a, b, c, etc.)

Première étape: un journal quotidien où on écrit tout; chaque observation (une ligne, un paragraphe) est codée

Deuxième étape: On prépare de matrices, une par semaine, où on insère les codes de gauche à droite dans l’ordre chronologique, respectant le code de chaque colonne (p.e., un Bxx est placé dans colonne no. 2).

Le terrain/2

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A) Politique B) Sociale C) Économie

B1a C1a

B1b

A B C

C2a

C2b

A2a

A B C

C3a

C3b

A3a

Semaine 1:

Semaine 2:

Semaine 3:

Le terrain/3

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On peut lire l’information sur trois axes: 1) de gauche à droite, de haut en bas (structure narrative), comme un livre 2) de l’avant-plan à l’arrière-plan, cellule par cellule (structure dynamique, où on voit le développement dynamique d’un thème, p.e., l’économie, où un phénomène est une condition antérieure pour un autre)3) colonne par colonne (structure thématique, mais qui indique la densité d’un phénomène ou d’un secteur: plusieurs observations dans l’espace d’une semaine peuvent indiquer que le phénomène a une dimension temporelle)

Michael Taussig est un anthropologue renommé qui utilise ses carnets de terrain pour dessiner, pour se laisser aller, car il considère la rencontre avec l’Autre un travail de l’imagination. Il revisite donc souvent les vieilles observations pour y apposer de commentaires (visuels et autres), transformant le texte original en hypertexte. Ma méthode est la même, mais plus organisée.

Le terrain/4

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L’agir: souvent, la traduction française du mot agency (une autre est « agencéité) utilisé surtout par les Américains influencés par Michel Foucault et par sa notion de biopouvoir; les actions de l’individu qui sont marquées comme significatives et définitoires pour le Moi autocensuré et pour le Soi superficiellement complice de l’Autre. Originalement, utilisé pour contraster la liberté de choix avec le conformisme à une structure, mais aujourd’hui se réfère à la capacité de naviguer indépendamment dans le cadre d’une structure (ou un cadre) particulière. C’est la conscience que nos actions ont des conséquences pour nos rapports avec les autres.

Biopolitique: souvent et erronément synonyme du biopouvoir, exercer le pouvoir sur le corps; la biopolitique est la politisation de la sensibilité corporelle de l’humain. Par exemple, obliger des élèves à respecter un plan rigide de placement dans une salle de cours, jour après jour, les sensibilise à involontairement traiter le corps, censé être au cœur de l’identité individuelle, comme un engin de conformisme; cependant, orné de tatouages et de vêtements non-standards, et utilisant un ton de voix et une gestualité «vulgaire» ou «impoli», il peut également souligner l’individualité et former la base du rejet de la complicité et du conformisme (en fait, le biopouvoir). Proposé et utilisé par Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t.1, 1976.

http://www.positivelife.ie/dev/wp-content/uploads/2009/07/self-esteem.jpg

http://jewishphilly.org/getimage.asp?id=265689

http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/media/01/01/1604051361.2.jpg

Le Soi et le Moi: le Moi est l’égo primordial, composé des émotions, pensées, et pulsions qui sont propres à l’Égo individuel et qui sont invoquées quand l’individu se constitue comme une entité; le Soi y ajoute une couche sociale, la sensibilité du Moi envers le monde social (vécu ou imaginé) dans lequel il vit; le Moi comme sujet social. Traditionnellement, plusieurs théories donnent la primauté au Moi, sur lequel s’érige le Soi, mais la postmodernité a mis cette hiérarchie en question.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/98/MiiReuel.jpg

Le Mii ≠ le Moi

Michel Foucault

Quelques définitions provisoires:

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Dynamique culturelle (10NAMK Q2RL, pour ceux et celles qui visionnent ce texte via Blackberry) ou processus culturel: les séquelles de l’agir individuel, qui s’insèrent dans un cadre intersubjectif. Ceci crée un pont liant les choix et les réactions de l’individu à la communauté. Autrement dit, il s’agit du mécanisme qui établit de liens entre un sujet et un ou plusieurs autres (qui peut être des catégories ayant de manifestations existentielles, telles que «mon peuple», «ma communauté», ou il peut s’agir de catégories abstraites, telles que «l’amour»). Un exemple très simple est le rapport du rouge (en Occident) à l’obligation de s’arrêter à un carrefour, et donc les personnes ont tendance à choisir cette couleur pour signaler l’obligation de s’arrêter face au danger, et par métonymie, pour signaler le danger en soi. Ce choix de couleur tient compte, consciemment ou inconsciemment, des attentes et de réactions possibles de la part des autres. De plus, on actionne des objets selon notre interprétation de leurs qualités sémiotiques et de leur impact sur les autres, mais ceux-ci peuvent être tellement complexes ou imprévisibles que leurs mises en scène ne sont pas identiques ou même similaires d’une situation à l’autre; donc, on parle de «tendances» et non de «structure» contraignante. Deux, la dynamique culturelle se réfère aux tentatives de simplifier et de canaliser l’interprétation des gestes de l’autre en les étiquetant pour que ceux-ci soient facilement interprétables selon un ensemble de catégories supposément fixes (voir ritualisation). Ceci signifie qu’il existe toujours une tension au cœur de la dynamique culturelle entre attente « idéalisée » et résultat « pratique ». Trois, une fois définis, les personnes peuvent y ajouter d’autres couches de signification au processus pour expérimenter la nouveauté, la résistance à l’hégémonie, et l’individualisation. Par exemple, quand les membres d’une classe inférieure veulent améliorer leur statut en imitant un trait censé être typique d’une classe supérieure, ils peuvent le modifier pour que le trait devienne « typique » de leur classe et, donc, de leur résistance au « système ».

http://www.isere.fr/uploads/Image/e2/WEB_CHEMIN_1073_1246610214.jpg

Les personnes qui s’habillent en costume lors d’une fête ou selon les exigences du lieu sont un exemple d’une dynamique culturelle

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Identité: aujourd’hui, c’est un mot très en vogue en anthropologie sociale et surtout en anthropologie politique. On a tendance à penser que derrière chaque geste ou habitude est un désir d’épater et d’affirmer l’identité personnelle ou du groupe. La dynamique culturelle, selon cette position, est réduite à une pose, et l’interaction devient une stratégie pour obtenir la plus grande quantité de bénéfices, surtout la reconnaissance de la part de l’Autre que l’identité revendiquée soit « légitime ». Cette position est le fruit de la politisation du monde contemporain, et l’incapacité des anthropologues de se distancer suffisamment des positions idéologiques du système mondial. L’emphase contemporaine sur l’identité est évidemment liée au néo-libéralisme, et, trop souvent, est issue des idéologues et non des théoriciens: professeurs désireux d’obtenir des subventions (p.e., en économie avec les théories du « bottom up », qui justifient les approches laissez-faire à la gouvernance, ce qui permet aux grandes entreprises de faire ce qu’ils veulent) et politiciens mineurs qui veulent faire du chemin en créant de positions idéologiques qui justifient des compressions aux avantages sociaux.

Ce que plusieurs semblent avoir oublié deux choses: 1) une identité, reconnue par autrui, ne doit nécessairement être étiquetée comme « légitime » pour qu’elle soit « efficace » (c.-à-d., pour qu’elle satisfasse le désir d’être reconnu par autrui); il y a plusieurs identités contre les normes et même « illégitimes », mais qui néanmoins fonctionnent pour les individus et les petits groupes: héroïnomane (qui peut « excuser » un autre problème psychiquement inacceptable), « Gitan » ou groupe marginalisé (qui peut permettre à ses membres de vivre dans la semi-légalité); 2) si on ignore les aspects psychiques (qui ne sont pas une dimension étudiée par les anthropologues), toute identité est efficace dans le cadre hiérarchique duquel elle émerge, et donc peut servir à protéger les personnes d’abus venant du « haut » autant qu’elle peut les aider à « avancer » ou « grimper » l’échelle sociale partant du « bas ». Donc, les personnes ne sont pas forcément motivées par un désir d’épater ou de laisser une impression sur l’autre. Comme Michael Herzfeld l’a dit (Cultural Intimacy: Social Poetics in the Nation-State, New York, 1997), les personnes peuvent être complices dans un système inégalitaire et même injuste; elles acceptent une identité “négative” parce qu’elle les permet de manoeuvrer dans une autre dimension, parfois illégitime ou cachée.

Un restaurant européen avec décor « traditionnel » et serveurs en costume traditionnel. Il y a-t-il un enjeu identitaire?

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Normalisation: concept issu du domaine de la statistique et de la politique, la transformation d’une condition sociale ou d’un trait culturel en norme, qui se présente donc comme inné ou incontournable; définir la normativité.

Naturalisation: souvent un synonyme de «normalisation», le processus où un trait ou une condition se présente comme naturelle et donc incontournable, mais avec l’addition d’une couche supplémentaire de signification: le trait ou la condition est lié sémiotiquement à la force primordiale et inexorable de la nature, ce qui renforce la «norme». Cela peut inclure de références subtiles à la nature: se promener avec une bouteille d’eau visible; insister sur un habillement plus adapté au trekking au Népal, etc.

Hégémonie: le pouvoir culturel; un mécanisme de contrôle social et politique basé sur l’autocensure et sur la complicité individuelle et parfois inconsciente, quand les valeurs incarnées par les individus sans accès au pouvoir centralisé (de classes «subalternes», «marginales», prolétaires, sous-prolétaires, etc.) les encouragent à faire des choix qui implicitement reproduisent le statuquo du pouvoir; le «consentement fabriqué», selon Antonio Gramsci.

Valeurs: les orientations «éthiques» vis-à-vis de la communauté; souvent (mais pas toujours) inconscientes, car elles sont normalisées et incarnées; elles agissent surtout dans la dimension émotive, comme véhicules de l’hégémonie.

Idéologie: un ensemble cohérent d’idées et d’orientations explicites, surtout politiques, censé animer la communauté, mais qui, en réalité, se réfère implicitement à des actions qui peuvent menacer le groupe. L’idéologie est le point cardinal sur lequel s’oriente la définition formelle de la communauté et, donc, la rationalité de la gouvernance. Sa nature explicite, structurée et cohérente autorise une logique dont la qualité universelle cache les intérêts individuels – plus est-elle cohérente, plus apparaissent «logiques» les actions calculées qu’elle est censée justifier. Autrement dit, c’est son aspect formel et non son continu qui cache les motivations intéressées qui potentiellement affaiblissent la solidarité.

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Métaphore et métonymie: à gauche, un suisse, nom québécois d’un tamia, parce que son dos rayé ressemble aux uniformes rayés de la Garde suisse pontificale du Vatican. Les uniformes des zouaves* et les dos de l’animal sont dans un rapport métonymique, car la distance symbolique entre les deux est trop grande pour que le lien soit évident. Il est nécessaire d’y ajouter d’autre information particulière et locale pour comprendre le rapport entre l’objet et sa représentation. Pour un lien métaphorique, la distance entre signifié et signifiant est raccourcie, et la connaissance même superficielle du contexte culturel général suffit pour déchiffrer la signification du lien. http://filer.livinginperu.com/

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http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/87/Gardes_suisses.JPG/200px-Gardes_suisses.JPG

* Zouave = d’un mot kabyle pour les soldats «africains» dans les unités de l’Armée française; le Garde pontifical n’est pas, strictement parlant, composé de zouaves, mais leurs uniformes farfelus rappellent celle de cette unité militaire.

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À gauche, un carrefour au Maroc. On n’a pas besoin de lire l’arabe pour comprendre le rapport entre l’octogone, la couleur rouge, et l’obligation de s’arrêter.

Face à ce symbole sans mots, vous arrêteriez-vous?

http://brtdesignportfolio.com/88th/website/drummer/Fr128d_Zouave_Drum_major_North_Africa_1880_by_Detaille_copy.jpg Un vrai zouave

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«Halte!»

«Bon» rouge (collecte de sang: vie, communauté,

gouvernance)

«Mauvais» rouge (tache de sang; violence, mort)

Rouge «pure»

= métaphore

Rose rouge (le sexe féminin; la transgression)

«Halte!» (danger, normativité)

Drapeaux et uniformes militaires (puissance, force,

protéger la communauté)

Lèvres rouges (sensualité,

l’individualité,biopouvoir)

Moulin Rouge (transgression)

Classe moyenne (normativité, communauté)

St-Valentin (amour, passion «retenue»,

mariage, vie)

Un champ de métonymies:

Dans un champ très restreint et très structuré (le mythe), ce rapport est bidirectionnel:

«Halte!»

Notez que tout passe par le rouge au centre, mais cela aurait produit un dessin incompréhensible

Le lien ici est métonymique, car basé sur une inversion

La métaphore de la métaphore = métonymie

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Mythologie: un domaine de la pensée souvent contrasté à la pensée «scientifique». La mythologie est généralement considérée comme étant dans un rapport complémentaire avec le rituel. Les deux ont comme but définir les possibilités d’agir sans pourtant définir toutes les limites de la structure du social: a) à différence des valeurs ou de l’idéologie, qui souvent sont explicitées dans le discours, la mythologie généralement utilise de métaphores et de métonymies pour atteindre son but, toujours dans un cadre narratif; b) à différence de l’histoire, qui insiste que ses composants soient «vrais» selon les conventions qui gèrent le vécu, ou la légende ou le conte de fées, qui proposent que leurs fantaisies reposent sur quelques faits primordiaux, la mythologie s’exprime dans l’imaginaire, où les conventions du vrai et du faux sont consciemment ignorées par les raconteurs et leur public; c) le mythe n’adhère à aucune logique du «vrai», les éléments métaphoriques qui composent un mythe se transforment allégrement selon une logique aléatoire. Par exemple, la Belle au Bois Dormant meurt et «renait (grâce à un acte sexuel symbolique); Cendrillon «renait» complètement transformée, et Oedipe «renait» après sa rencontre avec la Sphinx (sur une un devinette dont la réponse juste est le cycle de vie de l’homme, une allusion métaphorique à la naissance; voir Structuralisme/2)

Aujourd’hui, le discours populaire insiste que le mythe soit une métaphore, une erreur ou un mensonge, ou, parfois, un récit du monde Antique. Parce que l’idéologie moderne de l’Occident insiste que le mythe fasse partie du passé, la mythologie antique continue à animer l’imaginaire occidental, surtout parce qu’elle permet d’explorer de thèmes autrement ignorés par l’idéologie, la religion ou par la science.

À gauche, les Mythbusters, de l’émission homonyme; à droite, Saturne qui dévore ses enfants (peinture de Francisco Goya, 18e siècle).

La pensée mythique peut donc émergée dans la culture populaire (p.e., les manga japonais) ou dans la psychologie, dans une tentative d’échapper la complicité et le conformisme engendré par l’hégémonie du régime politico-culturel dominant.

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Réflexivité: une dimension de la culture, la perception qu’un geste tient compte des réactions des autres personnes. En particulier, une action est conditionnée par la perception de l’acteur qu’il fait partie d’un système qui inclut d’autres personnes, qu’il y a de conséquences à son l’action et qu’il modifie l’action selon cette perception. Plus le système mondial a des effets locaux (échanges rapides et toujours en augmentation du capital, des marchandises, des idées, des personnes), plus un acteur individuel est-il conscient et sensible à ses paramètres et à ses dynamiques. Sur le plan philosophique, ceci brouille la logique traditionnelle qui définit un évènement (action) comme cause et un autre comme effet, car « l’effet » conditionne l’action première et donc la soi-disant cause. Ceci est important, car les États-nations contemporains établissent un système de gouvernance hégémonique en contrôlant les horaires et l’utilisation de l’espace (le plan urbain) pour obliger les personnes d’adhérer à une navette continuelle. Ceci devient la base des rapports cause-effet et établit un sous-texte social et surtout politique à la rationalité, qui devient l’outil dominant de la complaisance et de la complicité avec le statuquo. Mais, il faut être attentif: par exemple, quand une personne allume un feu dans le foyer familial pour réchauffer l’ambiance, il peut être conscient du prix du bois et donc de la dimension économique de sa vie, comme il peut être conscient qu’elle possède un foyer et ses voisins, non, mais cela ne change pas nécessairement la charge symbolique de l’action, qui en premier lieu est dirigée vers la production d’un ton accueillant pour sa famille. La réflexivité est importante, mais ne change pas obligatoirement la décision d’agir d’une façon ou d’une autre. En fait, la théorisation de la réflexivité qui a débutée en anthropologie dans les années 1980 avec la critique lancée par George Marcus et James Clifford (parmi d’autres) à propos de la distance arbitraire (et politisée) qui était censée séparer l’anthropologue de ses sujets (selon les canons de l’anthropologie classique), n’est nul d’autre que le même mécanisme qui contrôle les marchés capitalistes qui dominent les économies de l’Occident depuis des siècles.

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Ritualisation – traditionnellement, le rituel est vu par plusieurs anthropologues et par le discours populaire comme une forme de mis-en-scène cérémoniale pour illustrer, souligner et transmettre (lors d’une performance) les valeurs principales d’une société, comme si les symboles du rituel étaient sélectionnés et contrôlés par une élite gouvernementale. Cependant, ceci n’est qu’une dimension du rituel. Le rituel est une performance composée d’éléments appauvris ou simplifiés, un modèle du vécu. N’importe activité ou comportement conforme à un modèle est une forme de ritualisation – le chant, la danse, etc. Le rituel n’est pas uniquement une performance de valeurs importantes; il est aussi un champ sémiotique très puissant au cœur du banal, car le lien du signifiant dans le champ rituel avec son signifié «normalisé» dans le vécu est brisé, interrompu, ou transformé et modifié. Cela veut dire que les éléments sélectionnés qui composent le champ rituel sont en effet hyperchargés, car ils sont des signes «purs», des signifiants sans signifiés évidents. Ces éléments se lient l’un à l’autre à l’intérieur du champ rituel, où un signifiant devient le signifié d’un autre signifiant. Autrement dit, le rituel est un aussi un engin qui peut transformer le lien d’un symbole avec son signifié «normal» d’une métaphore (où le lien est évident) en métonymie (où le lien ne l’est pas). Les personnes y participent volontiers dans un rituel (et ont tendance à ritualiser plusieurs aspects de la vie), car l’affaiblissement de la valeur d’un signe quand il est placé à l’intérieur d’un champ rituel signifie qu’ils sont plus facilement manipulés et contrôlés par les personnes. Autrement dit, les symboles du champ rituel appartiennent autant aux individus qu’aux instances du pouvoir institutionnel. La ritualisation est un outil qui souligne l’agir individuel. Cet aspect explique pourquoi les personnes participent volontairement dans des champs rituels, même quand ceux-ci sont parfois imposés par les instances du pouvoir.

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Qui ne peut oublier ce moment de la semi- finale Italie-France du Mondial 2006, la réaction de Zidane après que Materazzi ait insulté sa mère et sa sœur (Materazzi admet seulement qu’il a insulté la sœur de Zidane). La masculinité méditerranéenne a ses rituels, dont protéger «ses» femmes.

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Ritualisation/2 – Exemples: danse (les mouvements du corps suivent des matrices connues), musique (les sons sont conformes à des modèles sonores bien établis, p.e., la gamme ou clef musicale), Twitter (les messages ne doivent dépassés 140 caractères) et d’autres formes de réseautage telles que Facebook (photos de 720 pixels), Myspace, YouTube (2GB, 15 min.), Craigslist et les les petites annonces («compagnons/compagnes recherchés», etc.) adhèrent à un modèle fortement contrôlé et limité. Plus est restreint et rigide la structure, plus deviennent puissants ses composants, car chaque élément devient polysémique, c.-à-d., il est chargé de communiquer plusieurs messages. Cela semble paradoxal: plus est restreint et formel le modèle de communication, plus ses composants augmentent leur polyvalence sémiotique et donc leur puissance communicative: la danse, la musique, la poésie. Les personnes participent volontairement aux rituels parce que la polysémie rehaussée de l’espace rituel et de ses composants leur fournit un véhicule public pour leurs émotions et pensées individuelles. Voir Victor Turner, The Ritual Process: Structure and Anti-Structure, 1969.

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Une page Facebook (ci-haut) peut être considérée comme un rituel du jeune adulte urbain single, non parce que tout le monde en a une,

mais parce qu’elle adhère à une matrice qui encadre et canalise l’individualité selon un modèle assez rigide. Cela produit un espace

relativement neutre composé d’éléments surchargés sur le plan de signification, car le sens d’un seul élément, sa capacité de se référer à

quelque chose du vécu, est toujours ambigu.

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La tradition est un mot intimement associé avec l’ethnologie, car, selon certains points de vue assez répandus (mais aujourd’hui niés par la majorité des ethnologues), la tradition est censée être l’objet d’étude de l’anthropologie. 1) Épistémologiquement, nous sommes déjà face à un problème, car cette «définition» tautologique signifie que la tradition en tant que telle n’existe pas empiriquement, mais est un objet heuristique créé par le geste d’enquêter. 2) La plupart des ethnologues parlent de tradition dans un sens plutôt ambigu, mais ne l’utilisent rarement dans leurs théorisations, car nous savons que la tradition n’est pas aussi hermétique ni aucunement étanche que l’anthropologie d’antan laissait croire. Dans un monde colonial, où existaient de différences hautement visibles séparant les grandes puissances de leurs colonies, les riches et les pauvres, les sociétés industrialisées et les peuples possédant de technologies simples, il était relativement facile de tracer les frontières d’une «tradition», qui souvent était synonyme du mot «culture», dans le sens de «peuple». 3) «Tradition» est souvent la poubelle de l’ethnologie, dans le sens que, quand un phénomène est mal compris (c.-à-d., on ne peut préciser les mécanismes liants les humains aux créations de l’imaginaire), on l’attribue à «la tradition». Il est un peu inquiétant que cette utilisation de «tradition» soit rarement attribuée aux cultures urbaines de l’occident. Celles-ci sont vues comme étant trop «dynamiques» pour être «traditionnelles», sauf parfois les pauvres, pour lesquels la tradition locale est parfois interprétée comme une forme de «résistance» http://www.moonbattery.com/tradition.jpg

à l’hégémonie, ou pour les élites, qui s’identifient davantage avec la stabilité fictive incarnée par l’histoire officielle (et donc avec la «tradition politique»). Dans l’imaginaire populaire (qui laisse ses empreintes sur le domaine intellectuel), la «tradition» serait donc utilisée pour établir une hiérarchie: un Nous «moderne», et un Autre «traditionnel» – les paysans, les Autochtones, les Aborigènes, les Indios, etc. 4) Quand on trouve une pratique jugée répugnante selon les valeurs censées être au cœur du projet occidental – le cannibalisme, consommer des insectes, la clitoridectomie – on est tenté de l’attribuer à la «tradition». 5) Dans son sens général, la tradition peut être conçue comme une matrice assez stable censée orienter l’individu vers l’autre; cette structure a tendance à perdurer, car les personnes y projettent de l’autorité morale en invoquant le passé, qui est simplement une métaphore pour situer les créations de l’imaginaire dans un espace lointain et donc relativement intouchable. Cette définition peut nous servir pour mieux comprendre l’individualité dans certains contextes contemporains, où on renonce à la tradition, afin de créer un Soi apparemment plus souple et plus autonome. Quand on largue la tradition, on renonce aussi au Soi orienté vers l’Autre. Ceci a certainement de conséquences importantes pour les définitions de la communauté et de l’individu, surtout dans un régime mondial qui, apparemment et ironiquement, nous «rapproche» davantage l’un à l’autre. Voir E. Hobsbawm et T. Ranger (eds.), The Invention of Tradition, Londres, 1983.

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Modernité: mot ambigu, car utilisé par plusieurs disciplines de façon aléatoire pour parler de la contemporanéité, de l’après (2e)-guerre, du futurisme fin de siècle, du mouvement banlieusard des années 1950s, de la révolution sexuelle des années 1960s, de programmes de développement économique et culturel du Tiers monde des années 1970s, du style Art déco des années 1920-30s; de la période de démocratisation qui suit les Lumières, etc. Les historiens ont choisi, de façon plus ou moins arbitraire, la date de 1450 pour marquer la transition de la fin de l’époque médiévale et le début de la Renaissance et de la période moderne. La modernité est liée à l’ascension du capitalisme et notamment aux changements sociaux qui l’accompagnent, surtout le sens que l’individualité est à désormais une dimension de toute identité sociale et politique (les bourgeois capitalistes ont tendance à croire dans la notion qu’ils se créent par un acte de volonté et d’engagement). L’individualité (pas l’individualisme, associé parfois dans le discours populaire à la consommation démesurée et à l’avarice) est quelquefois identifiée avec l’humanisme néoclassique de la Renaissance censé être à l’origine des Lumières.

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Contemporanéité est ici utilisée pour parler de la période du perfectionnement du pouvoir étatique après les émeutes et les revendications populaires des années 1840s en Europe occidentale. Il n’y a pas de date précise pour ses débuts, car les États ont réagi selon les secousses qu’ils ont subi (par exemple, aux États-Unis, ce sont les revendications anarcho-syndicalistes des années 1880s), mais, en général, l’époque contemporaine se réfère à l’application étendue de systèmes de gouvernance basés sur l’hégémonie, où les valeurs normalement reléguées au domaine de la culture du quotidien sont politisées pour les transformer en véhicules censés orienter les individus vers l’État.

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La condition postmoderne n’est pas le postmodernisme, qui est un ensemble de théories littéraires du texte et de l’image, souvent incompréhensibles . Il y a plusieurs pistes, traces, idées et notions qui sont réunies sous la rubrique de la postmodernité (c-à-d., la condition postmoderne), mais ils semblent tous partager une position: l’individu est déraciné des contextes culturels, politiques et sociaux qui définissaient le compromis «traditionnel» (dès les années 1850s) du partage de pouvoir en Occident. Ce compromis peut être visualisé, plus ou moins, comme un triangle, dont les points sont composés du peuple/ouvriers et ses représentants les syndicats, du gouvernement, et des entreprises/le marché capitaliste. Quand un de ces composants ne se comporte plus selon les règles structurelles du jeu (par exemple, l’accélération de l’échange mondial est liée au déplacement rapide du capital, qui affaiblit le contrôle gouvernemental keynésien du système financier, qui pousse les personnes vers une forme plus forte de l’individualisation pour compenser la perte de stabilité sociale), le résultat est, selon le philosophe Jean-François Lyotard (à gauche; professeur qui a travaillé à l’Université de Montréal,* il est considéré un des pères fondateurs des études de la postmodernité), l’affaiblissement des métarécits sur lesquels s’érige la structure sociale. Les métarécits seraient des orientations primordiales qui, généralement, ne sont pas explicitées, mais qui soutiennent autant les idéologies nationalises que les prises de position individuelles. Voir La condition postmoderne, Rapport sur le savoir, Paris, 1979. Les théories de Lyotard sont fortement enracinées dans les approches philosophiques et littéraires typiques du courant intellectuel qui cible le rapport entre le savoir (sous sa forme idéologique) et l’équilibre politique. Ceci trace ses origines à la notion du contrat social de Jean-Jacques Rousseau (Du contrat social, 1752), et, avant lui, à Thomas Hobbes (Leviathan, 1651) et à John Locke (Two Treatises of Government, 1689); sa contrepartie économique est Adam Smith, The Wealth of Nations (1776).

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* Je ne mentionne pas son lien à l’Université de Montréal par chauvinisme, mais parce que son hypothèse fameuse de métarécits devenus moins «bruyants» dans l’élaboration du Soi social (ceux-ci sont mes termes, pas les siens) est basée sur sa recherche sur la société québécoise en phase de transformation rapide lors de son séjour ici.

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Le triangle est aussi symbole du danger routier. Je ne suis pas certain de sa pertinence, mais j’avais cet espace à remplir.

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La méthode comparative – un outil d’analyse inspiré de la méthodologie linguistique. On peut décrire une langue comme un ensemble intégré aux niveaux phonétique et grammatical, ou on peut la décrire en comparant un seul trait à un autre trait semblable dans une autre langue, pour voir si les deux sont liés dans un sens phylogénétique. Ceci est la méthode comparative, en ethnologie popularisée par Radcliffe-Brown mais adoptée au 19e siècle par les évolutionnistes, qui tentait d’établir des grilles d’analyses en réunissant toutes les sociétés, par exemple, qui pratiquaient le mariage avec la cousine croisée matrilatérale pour voir si telles sociétés étaient situées dans des régions tropicales, ou dans des régions où se pratiquait la circoncision, ou si elles possédaient un système de filiation matrilatérale (le lien le plus probable, selon les théories de l’époque). Une corrélation significative signale que l’anthropologue peut parler de «lois» universelles: telle forme de mariage est liée à tel système de filiation, sans spécifier le mécanisme responsable. Cette approche aux données est passée de mode, en grande partie parce que les anthropologues contemporains sont plus aptes à ne pas considérer les sociétés individuelles comme isolées. Si on n’est pas certain de l’imperméabilité de frontières culturelles, qu’est-ce qu’on compare au juste? Le rapport n’est plus une loi structurelle, mais une coïncidence due à la diffusion.

Deux anthropologues biologiques – Anthony Di Fiore, NYU, et Bernard Chapais, U. de Montréal. Ils se ressemblent, ils sont anthropologues biologiques, et ils sont beaux. Si on se base sur une interprétation stricte de la méthode comparative, tous les anthropologues biologiques sont mâles, beaux et avec l a barbe

Selon cette logique, voici d’autres anthropologues biologiques:

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Société – mot qui brille par son absence et par sa qualité éphémère. Essentiellement, une société n’est pas un groupe, qui est constitué par les murs étanches qui le contiennent (par exemple, on peut qualifier de groupe un parti politique, car ses membres adhèrent à une position idéologique bien définie; ou des étudiants en salle de cours; ou un gang de rues, car ses membres s’unissent autour d’un petit ensemble de valeurs assez étanche). Une société est le signifié de «communauté», qui n’a pas toujours une manifestation empirique très cohérente. En principe, il y a autant de sociétés qu’il y a de définitions et de représentations de la communauté. La société est donc un référent partiel de la communauté, qui n’est qu’une représentation jamais partagée de façon homogène. Par exemple, le Canada, souvent appelé une société dans le discours populaire (politiciens, média, idéologues), se réfère à une superficie topographique, à un système formel de gouvernement et aux personnes qui sont légalement reconnues comme membres de ce gouvernement, en mesure qu’elles reconnaissent la légitimité du concept. Il ne se réfère aucunement aux valeurs, aux orientations, aux pratiques de vie, aux institutions, et aux cultures individuelles. Jadis, les anthropologues se concentraient sur des sociétés relativement homogènes et de petites tailles. Leurs frontières étaient relativement étanches (à différence des pays contemporains) , et leurs membres partageaient une définition assez précise du Nous et de l’Autre . Aujourd’hui, les grandes «sociétés» sont caractérisées par de clivages ethniques, de classe, de religion, et même de génération et d’orientation culturelle. Ces chercheurs ont donc normalisé la définition de la société dans la culture de la discipline. Une communauté et donc une société sont des entités toujours en évolution et en discussion.

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Quelques repères théoriques

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Évolutionnisme – ensemble de théories inspirées par le darwinisme de l’époque et parrainées par Edward Tylor à la fin du 19e siècle (qui a inspiré des écoles au 20e – Julian Steward, Leslie White, et même Marshall Sahlins). Propose l’unité psychique des humains (les différences sont culturelles, pas génétiques; la capacité innée de produire la culture est partout pareille, sauf que les circonstances vont canaliser cette qualité vers des manifestations particulières), que toutes les sociétés passent à travers des étapes où la technologie et la culture «mentale» interagissent pour définir une matrice dominante: la promiscuité, la sauvagerie, le barbarisme, et la civilisation.

Diffusionnisme – surtout lié à la pensée de Wilhelm Schmidt au début du 20e siècle, qui propose l’idée des «kulturekreiss», des «cercles (ou berceaux) de culture», où se développent des notions de monothéisme «primitif» (Schmidt était un prêtre catholique), qui sont à la base de l’évolution culturelle. La majorité des sociétés ne développent pas tels mécanismes et notions, et sont donc influencées par les peuples plus avancés. La diffusion est donc le mécanisme privilégié pour l’évolution humaine. Schmidt et ses théories sensibilisent les anthropologues au fait que les cultures ne vivent pas de façon isolée.

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Culturalisme américain – fortement influencées par les théories psychanalytiques de Sigmund Freud, Margaret Mead (ici) et Ruth Benedict proposent que la culture soit une manifestation des tensions et des conflits de la psyché individuelle, mais, à différence de Freud, elles ne croient pas que les traits psychiques soient universels. Les deux théoriciennes proposent que des rapports affectifs et sexuels soient primordiaux pour établir une matrice culturelle locale.

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Le marxisme a fortement influencé la théorisation anthropologique, car, à différence des autres théories du 19e siècle, il propose que les sociétés ne soient pas en équilibre, avec des institutions dont l’existence est interprétée (suivant une logique tautologique) comme preuve qu’elles ont comme «but» renforcer la solidarité sociale, comme si la société avait été construite sur un plan logique par un comité de la sûreté publique. Selon Marx, la culture (la «superstructure») n’est qu’un épiphénomène dont le but est de cacher et de reproduire des déséquilibres sociaux. Ceux-ci tracent leur origine à deux sources: 1) l’exploitation de classe, avec une ou plusieurs classes qui s’approprient du pouvoir politique et économique aux dépens d’une autre (souvent, les travailleurs ou les paysans), et 2) l’opposition, d’une part, entre cette culture essentiellement statique (d’où pourrait émerger, selon cette vision, la pulsion pour le changement, si la fonction primordiale de la culture est de cacher et de reproduire un écart de pouvoir?) et, d’autre part, les forces de production, dont la capacité productive augmente continuellement avec les développements technologiques et sociaux. Ceci mène à de révolutions culturelles périodiques, où on tente de réaligner la culture avec les nouvelles formations sociales attachées aux capacités productrices rehaussées. Le marxisme a fortement influencé des générations d’anthropologues, car il les a sensibilisés au pouvoir, à l’importance de la technologie, aux questions de contrôle de la technologie, et surtout à l’idée d’une matrice dont le dynamisme est dû à la présence de déséquilibres sociaux, économiques et politiques. On voit des traces dans l’œuvre de Leslie White, Julian Steward, Elman Service, Eric Wolfe, Sydney Mintz (États-Unis), les penseurs de l’École de Francfort (Adorno, Marcuse, Horkheimer, Fromm), des penseurs indépendants (qui n’acceptaient pas le concept marxiste de conscience de classe) tels que Antonio Gramsci et Georg Lukacs, le philosophe Walter Benjamin et dans les multiples tentatives (dès les années 1970s) de fusionner ce courant et le structuralisme de Claude Lévi-Strauss.

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Particularisme historique – associé avec Franz Boas, chercheur allemand émigré aux États-Unis au début du 20e siècle, il n’avait pas de théorie générale comme telle, mais soulignait l’importance de la recherche détaillée des particularités de chaque culture, surtout pour comprendre son évolution («histoire») comme une réponse aux conditions locales. Les sociétés ne sont pas, selon Boas, de manifestations de conditions et de dynamiques universelles. Surtout, elles ne sont pas des gradins individuels d’une échelle évolutive globale, dont les contours définissent un parcours universel et inévitable. http://web.centre.edu/goodrum/askconference/FranzBoas.jpg

Fonctionnalisme – commençant avec Émile Durkheim, considéré un «père fondateur» de l’anthropologie et de la sociologie contemporaine, il propose que certains éléments dans une société fonctionnent comme un engin qui favorise la solidarité sociale. P.e., sa recherche renommée sur le suicide démontre que le taux de suicide est lié à la religion (plus bas parmi les juifs et catholiques, qui favorisent des communautés plus interventionnistes; plus élevé parmi les protestants «individualistes»). La religion est donc une dimension de la culture censée augmenter l’intégration sociale de l’individu. Il est également connu pour le concept de «fait social», quand un phénomène social a une existence autonome indépendamment de la volonté individuelle.

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Structuro-fonctionnalisme – Radcliffe-Brown, au milieu du 20e siècle, s’inspire du fonctionnalisme pour mieux comprendre les systèmes de parenté et de mariage (surtout en Afrique). Il propose que la filiation agisse de structure intégratrice, dont la fonction est d’assurer la continuité et la survie de la société. Cette position est fréquemment associée aux Anglais, dont la tradition de science sociale a été influencée par le colonialisme. Naturellement, ils avaient peu d’expérience de sociétés acéphales et, donc, voulaient à tout prix identifier et gérer le «noyau» structurel qui stabilise la société.

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Le fonctionnalisme de Bronislaw Malinowski (Polonais d’origine, émigré au Royaume-Uni; interné sur les Îles Trobriandais comme «ennemi» à l’occasion de la 1 re Guerre mondiale et donc père involontaire de la recherche à longue durée) s’inspire aussi de Durkheim, mais place l’emphase sur les besoins de l’individu. La société «répond» à ces besoins en créant des institutions qui les satisfont. P.e., le mariage et la parenté sont organisés essentiellement pour satisfaire les besoins sexuels de telle façon que ces pulsions ne menacent pas la solidarité sociale. Renommé pour sa recherche sur le système d’échange Kula des Îles Trobriandais; les échanges sont régularisés dans un mégasystème qui assure la stabilité économique dans la région, mais les individus qui y participent ignorent les qualités homéostatiques de l’ensemble.

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L’écologie culturelle (parfois appelé le matérialisme culturel), surtout liée au nom de Julian Steward dans les années 1950+, et à Marvin Harris (à gauche) dans les années 1960s et 1970s, met l’emphase sur le rapport société – environnement. L’exemple mieux connu proposé par Harris est la vache sacrée de l’Inde, qui est un «vidangeur» assez efficace et donc ne rentre pas en compétition avec les humains pour de ressources. Les vaches sont donc laissées libres à circuler (elles ne sont pas sacrées, dans le vrai sens du mot), et fournissent du cuir et d’autres produits quand elles meurent. En contraste, les cochons de la Nouvelle-Guinée mangent les mêmes choses que les personnes, et donc sont consommés allègrement, car ils sont une ressource précieuse mais en compétition avec l’homme. Harris a également suggéré que le cannibalisme aztèque était lié à un manque de protéine dans la diète. Plusieurs ont critiqué cette position, qui semble être une forme de marxisme appauvrie et simpliste.

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Structuralisme – développé surtout par Claude Lévi-Strauss dans les années 1950-1970. Une des seules théories complète et intégrée de la pensée, qui prétend expliquer la culture comme un système logique basé sur l’échange. Surtout connu pour Les structures élémentaires de la parenté (1948, où il propose la notion de «l’atome de la parenté»), et Mythologiques (4 vols., 1964-1971, où il suggère que la dimension narrative des mythes ne soit qu’un moyen expéditif pour proposer de solutions à des contradictions de la vie sociale. Les mythes sont donc logiques, même si la structure narrative semble fantastique, car sa vraie logique est souvent cachée pour ne pas révéler que les contradictions sont en fait insurmontables et incontournables. Ses théories surtout sur la mythologie transforment l’anthropologie, car il est désormais possible à voir les détails d’une logique très complexe et rationnelle qui anime le choix d’images et de structures narratives apparemment bizarres (pour les observateurs occidentaux habitués à la rationalité rigide de l’offre et de la demande mercantile). Il renverse le problème du totémisme (pourquoi certains groupes choisissent-ils de se représenter par de signes largement tirés du monde animal?) en proposant que le but du totémisme ne soit pas d’unir le groupe, mais de s’assurer que chaque motif fasse partie d’un système, dont le but est de faciliter l’échange en fragmentant l’ensemble de la société en composants sémantiquement indépendant (un aigle est un aigle, un héron est un héron, mais les deux sont dans la même catégorie, des oiseux), mais dans un rapport de complémentarité sémiotique qui permet l’échange, que pour Lévi-Strauss est à la base de la vie sociale (les hommes du clan aigle prennent comme épouses des femmes du clan des hérons; les deux sont symboliquement des oiseaux et donc placés dans la même catégorie, mais ils s’opposent aux clans ours et carcajous, mammifères, mais mangeurs d’œufs, donc néanmoins liés à la catégorie aviaire; les permutations logiques sont autant vastes que les connaissances biologiques permettent).

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Structuralisme/2 – Lévi-Strauss démontra que les mythes possèdent une logique rigide en dépit des éléments fantastiques qui semblent les composer. Le mythe utilise un mécanisme précis pour métaphoriser un problème contradictoire et insoluble, ce qui le permet de proposer une solution à la contradiction, une solution qui est plausible uniquement dans le contexte de la logique mythique, mais qui ne peut être concrétisée. Un mythe est donc «bon à penser» le monde, mais ne le transforme pas. Typiquement, le mythe propose deux métaphores qui substituent les termes du problème. Le mythe développe une narration uniquement pour proposer d’autres métaphores qui substituent les images initiales, créant donc des chaines de signification, dont les composants se transforment en métonymies du problème initial. Éventuellement, le mythe arrive à des métaphores-substituts qui permettent l’introduction d’un troisième terme, le médiateur, dont les traits incorporent des éléments des deux séries de métaphores principales. Ces traits créent l’illusion que les métaphores finales – dont la signification originale remonte à la contradiction initiale, ne l’oublions pas – ne sont pas tant différentes l’une de l’autre, et donc il est possible de proposer des «solutions» à des problèmes autrement insolubles, même si telles solutions restent dans l’imaginaire.

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organisation sociale centralisée autonomie individuelle«règles» «liberté/autonomie»haut/pouvoir bas/impuissanceciel plainecime d’un arbre racines d’un arbre

pomme

Ici, le problème classique de l’ordre social versus l’individualité est métaphorisé par une parabole qui parle du haut et du bas, substituant des éléments qui affaiblissent la contradiction, suggérant que les deux termes initiales ne sont pas «vraiment» en opposition. L’homme qui mange la pomme reste humain, mais incorpore un peu de l’essence omnipuissante de Dieu, ce qui provoque le vrai Dieu à le chasser du Paradis terrestre.

Représentation ancienne du mythe d’Œdipe, un des premiers à être analysé par Lévi-Strauss. Ci-haut, le sphinx lance sa devinette notoire à Œdipe (Qui marche à quatre pattes le matin, deux l’après-midi, et trois le soir? Réponse: l’homme). Le sphinx, dévasté par la réponse exacte, se jette dans la mer; Thèbes la ville natale d’Œdipe est enfin libérée, mais notre héros finit mal, car il tue son père et épouse sa mère, sans connaitre leurs vraies identités. Sur le symbolisme de l’eau, du féminin et de Thèbes fondée par Cadmos le frère d’Europa, voir le PPT Les images du féminin.

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Il est difficile de catégoriser la pensée de Clifford Geertz, mais son influence sur l’anthropologie de la fin du siècle est irréfutable. Il met l’accent sur l’agir symbolique des individus; la culture n’est pas homogène, ni monolithique. Les personnes l’interprètent selon leurs buts stratégiques. Ces interprétations ne sont pas contraintes par le besoin d’être homogènes ou cohérents, ni limitées à des domaines particuliers, dont l’apparence logique et hermétique de «la» culture n’est qu’une illusion projetée sur les faits par l’anthropologue. P.e., un «jeu» simple comme un combat de coqs (à la Bali) engage des dimensions psychiques et surtout un combat symbolique pour le statut politique. Le tout passe par la métaphorisation du coq comme symbole du phallus. L’analyse du chevauchement de ces chaines de signification est la «thick description».

Le (de)constructivisme postmoderne – toujours plus difficile à décrire, au point d’être insaisissable (d’où l’image à gauche), car la discipline contemporaine est éclatée et sans cohésion théorique. Cependant, quelques noms brillent, surtout James Clifford, George Marcus et Johannes Fabian. Ils suggèrent que le savoir, qui inclut les théories anthropologiques, est une construction, autant que l’est la culture étudiée par les anthropologues. Donc, «la» culture est le résultat d’un rapport dialogique toujours en évolution entre l’acteur social et l’anthropologue, un rapport qui ne prend pas fin avec la publication du texte anthropologique «figé» par l’écriture. Naturellement, ceci mène à des questions de paternité et de la légitimité du texte – à qui appartiennent les connaissances, et quel est le rôle de l’anthropologue dans ce dialogue? Peut-il (ou elle) prétendre avoir «créé» les textes qu’il présente sous la rubrique d’anthropologie? L’anthropologue est-il simplement un traducteur qui déplace le savoir d’un contexte rhétorique «indigène» et «inculte» à un contexte «intellectuel» dont les traits sont cohérents avec les traditions humanistes de l’Occident? L’objectivité scientifique est-elle possible ou même souhaitable? Si l’anthropologue ne parle plus «pour» les autres, est-ce que ces derniers prennent la parole sans maitriser la langue et la culture de la science? Ironiquement, cette tentative de se rapprocher de l’Autre en lui donnant une voix plus explicite dans la construction du texte peut créer un rapport déséquilibré, car le «rapprochement» devient une forme de colonisation qui nie l’individualité de l’Autre.

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L’autre et le NousL’autre comparé au Nous (une image normalisée de la communauté qui est projetée dans l’imaginaire du Nous):

- pour plusieurs, incarne l’exotique (on souligne uniquement les traits qui établissent un contraste)

-est censé être irrationnel (dominé par la tradition ou par la culture) (concept d’autorisation – qui a le pouvoir de définir les normes, la rationalité, le bonheur, etc.)

- est donc une projection de notre imaginaire et de la façon qu’on prétend se voir

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Un autre qui se présente selon les attentes de «son» autre, dans une construction ritualisée qui est très ambigüe: est-il ironique? Veut-il s’isoler de «son» Autre un peu trop raciste en se cachant derrière un stéréotype? Être trop conforme est parfois une forme de résistance.

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Visions de l’Autre- Dans l’esprit ethnocentrique exploré par Lévi-

Strauss en Race et Histoire (1960), «nous» sommes censées incarner la rationalité, et

l’«Autre» serait donc dominé par la dimension organique ou naturelle (soit impuissant, soit

hyperpuissant); sa vie spirituelle est dominée de rites «incompréhensibles».

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Quand l’Autre ne peut plus constituer un «Nous»

«L’anthropologie n’est pas une science désintéressée comme l’astronomie, qui s’est développée sur la base de la contemplation d’évènements et de choses lointaines. Elle est plutôt le résultat d’un processus historique qui a assujetti la partie majoritaire de l’humanité à la partie minoritaire, durant lequel de millions d’êtres humains ont été pillés de leurs ressources, et leurs institutions et leurs croyances ont été détruites, pour ne pas mentionner qu’ils ont été tués sans hésitation, asservis, et infectés par des maladies pour lesquelles ils n’avaient aucune résistance. L’anthropologie est la fille de cette époque de violence: sa capacité d’évaluer objectivement les faits qui entourent la condition humaine est un miroir, sur le niveau épistémologique, d’une situation où une partie de l’humanité a traité l’autre comme un objet.» (original en anglais; Claude Lévi-Strauss. 1966. Anthropology: Its achievements and future. Current Anthropology 7:124–27).

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«In fact, colonialism has never finished.   It continues to exist as a cultural phenomenon.  A Japanese cultural studies scholar, Kumagome Takeshi, claimed in his article 'Japanese Colonial Memory and Modernity: Successive Layers of Violence' that even [if] there is no colonized, there are always colonizers (2001: 207-258).  Even [if] the era moved to a post-colonial phase, the hegemonic power of the West stays as strong as in colonialism era.» Atsuko Miyawaki; http://www.google.ca/imgres?imgurl=http://hemi.nyu.edu/cuaderno/politicalperformance2004/colonialism/atsukos%2520images/colonialism3.jpg&imgrefurl=http://hemi.nyu.edu/cuaderno/politicalperformance2004/colonialism/atsuko.html&usg=__j3RlTpUxOzLP_pcXJxBBtytw5r8=&h=606&w=621&sz=105&hl=en&start=20&um=1&itbs=1&tbnid=9gZKYdr09_iQaM:&tbnh=133&tbnw=136&prev=/images%3Fq%3Dcolonialism%26um%3D1%26hl%3Den%26sa%3DN%26rls%3Dcom.microsoft:en-US%26tbs%3Disch:1 (7-06-2010)

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Le visible et l’invisible

Enfin, il ne faut jamais oublier que les apparences parfois cachent certains aspects de la réalité.