ELIE DURING« L’Acte et l’Idée 

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    LActe et lIde: Badiou et lart

    contemporain

    Elie During

    LACTE ET LIDE: BADIOU ET LART CONTEMPORAIN

    ELIE DURING (Universit de Paris Ouest-Nanterre)

    Version modifie dun texte paru dans Autour dAlain Badiou, I. Vodoz et F. Tarby(dir.), Paris, ditions Germina, 2011, p. 57-79.

    Mon intention nest pas de dire quel est l effet Badiou dans lart contemporain, pour

    reprendre un tour quaffectionnent les journalistes. En vrit, je nen sais rien. Ou plutt,je souponne que cet effet, sans tre tout fait nul, est encore trop diffus, tropindtermin pour tre soumis au jugement limage, peut-tre, de la rceptionpublique de ce fameux petit livre consacr ce dont Sarkozy est le nom. Jai tentmoi-mme, dans les colonnes du magazine art press, et indirectement au dtour de telentretien ou texte de catalogue [1], de faire entendre lintrt quil pouvait y avoir, pourdes gens de lart (artistes, commissaires ou critiques), de mettre leur nez dans Logiquesdes mondes, ou plus vraisemblablement dans le Second manifeste. Je lai fait sur lemode un peu facile de lenfonage de clou ou des pieds dans le plat, en tchantdanticiper, sans vraiment chercher laconjurer, la raction deffroi de certains lecteurs

    habitus des provocations plus convenues, dans le registre dune pornographiecalcule. Je suis bien entendu tout fait incapable de dire si cette intervention un peudcale par rapport au champ dopration habituel des ides dAlain Badiou a pu avoirle moindre effet sur ce lectorat lui-mme assez difficile cerner.

    Contemporain

    Remarquons en retour que leffet des artistes contemporains sur la philosophie deBadiou est lui aussi, premire vue, pratiquement inexistant. Le panthon badiousiense compose pour lessentiel des grandes figures du modernisme. Au-del de Mallarm,Brecht ou Beckett, on peut citer, pour la musique, Wagner, Schnberg, Webern et Berg ;

    pour la posie, Pessoa, Mandelstam et Celan. Du ct des arts dits plastiques, la listeparat plus clectique : ct de Malevitch, Kandinsky, Kupka, on trouve Picasso (oui,Picasso), et encore Pollock ou Rothko. Jen oublie certainement : la liste est longue,mais finie. Elle se stabiliserait probablement autour dune trentaine de noms propres. quelques dtails prs, elle est globalement cohrente. Et lon ne peut qutre frapp dufait qu lexception de Beckett, et peut-tre du cinma de Godard, il ny estpratiquement question daucun crivain ou artiste qui ait produit au-del des annes

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    1960. A fortiori, on ny compte aucune des figures majeures ou mme mineures de lartdit contemporain . Cette expression ne dsigne pas, comme on sait, les artistesdaujourdhui, ceux qui uvrent au moment o lon parle, mais un certain rgime delactivit artistique, de la production et de la circulation des uvres, dans le domainenotamment des arts visuels [2]. Badiou, pour sa part, parlerait sans doute plus volontiers

    de configuration que de rgime . Car si quelque chose existe dont artcontemporain est le nom ce qui reste tablir, le rel de cet art ne pourrafinalement tre avr qu partir des uvres elles-mmes, rassembles en squencesou configurations artistiques. Cest l une thse fondamentale de Badiou: quil sagissede peintures, de pices de thtre, de morceaux de posie ou de musique, mais aussibien dinstallations, de performances ou dactions, il faut toujours revenir au multiple desuvres, caractris par une certaine disposition de leurs effets. Cependant laconfiguration contemporaine de lart ne peut se soutenir uniquement de rapports desimultanit et dairs de famille ; elle doit se manifester concrtement comme uneconfiguration au second degr, une configuration de configurations lies les unes aux

    autres par une commune dcision, laffirmation dune nouvelle figure de lart. Quelensemble des uvres rassembles sous la catgorie art contemporain prsente defait peu de consistance, cest bien probable. La plupart des artistes et mme desconnaisseurs sont prts laccorder. Mais cette lucidit rsigne fait partie duproblme : plus personne aujourdhui ne semble srieusement dispos affirmer uneide de lart qui ait quelque puissance prescriptrice pour la pense.

    Badiou, on la compris, cherche la consistance du multiple artistique en de despartages catgoriels qui organisent le jugement ordinaire ou savant. Mais puisquonsinterroge sur une conjoncture dpoque, il vaut tout de mme la peine de se demanderselon quelle logique se constituent les classements spontans ou rflchis quiorganisent notre perception du champ artistique. En reprenant Thierry de Duve unecaractrisation commode, on pourrait dire que nous avons affaire en droit de l artcontemporain chaque fois quun artiste produit ou cre quelque chose souslinjonction un peu paradoxale de faire nimporte quoi, pourvu que cela puisse tre pos,affirm, soutenu comme de lart[3]. Je dis en droit , parce quen fait il existe bienentendu toutes sortes de conditions matrielles, institutionnelles, symboliques, pourquune uvre devienne visible dans le champ ou sur la scne de lart contemporain.Mais limportant est que la dfinition que je viens de donner tire toute son efficacit dece qui lui manque, savoir prcisment une ide dtermine de ce que doit tre lart. Eneffet, se soumettre limpratif purement formel catgorique , dit de Duve en

    suivant la grille kantienne de produire quelque chosenimporte quoi qui soit delart, ce nest pas laisser la libert souveraine de lartiste le soin de promouvoir uneide de lart, de prescrire ce que lart doit tre et par consquent ce quil est; cest aucontraire renoncer dire ce quest lart, cest attendre en somme du march ou de ladite scne de lart quelle reconnaisse par leffet hasardeux de son propre jeu ce quimrite dtre compt comme de lart .

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    Cest du moins ainsi que jinterprterais le rgime contemporain de lart, tel que leconstitue le discours critique : comme une perversion du schme moderniste expos parde Duve partir du cas exemplaire de Duchamp. Ce raccourci, notons-le, prsentelavantage de ne pas recourir la fable postmoderne de la fin des grands rcits . Ilpermet aussi de tenir distance linterprtation peut-tre trop charitable du nimporte

    quoi comme affirmation dun art sans qualit, promotion du quelconque sous la grandequivalence Art = Vie. Lindiscernabilit de lart et de la vie trop rapidement assimile une indiscernabilit entre art et politiqueest une proposition ruineuse pour lart si ellese confond avec une simple esthtisation du quotidien [4] ; maintenue dans sa formepure, comme stratgie de limprsentation, elle risque de conduire sa dissolution sousla forme dun activisme de lopration furtive ou dune mystique du dsuvrement, desorte que se repose tt ou tard la question de savoir comment instituer une scne delacte artistique qui maintienne lvidence de lart sans le faire basculer dans unhistrionisme gnralis.

    De cette affaire, Badiou retient lessentiel, savoir le primat de lacte artistique commepuissance absolue de commencement, concentr dans le prsent de soneffectuation [5]. Laffirmation du prsent comme mesure du rel, aux dpens de lasdimentation historique des formes et des codes lgus par la tradition, explique que legeste artistique privilgi soit celui de la rupture, insparable de linstitution du nouveau.La fonction du manifeste est dinscrire formellement ce geste, de dclarer lanouveaut [6]. Il est certes tentant, de ce point de vue, dassimiler lacte artistique unacte de langage, suivant un schme performatif qui semble saccorder naturellement la forme vide de limpratif catgorique. Badiou ne va pas jusque l. Mais il est clair quesi lacte peut smanciper de lobjet et sidentifier, la rigueur, de simples gestes, voire des attitudes , il faut que lart se soutienne constamment dnoncs qui lemanifestent dans le champ des productions culturelles. Quitte ce que ces noncsdeviennent des formes travailles pour elles-mmes (comme on lobserve avecFluxus, ou dans certains avatars de lart conceptuel); quitte aussi ce quils serduisent finalement un constatif au contenu absolument indtermin, ds lors que,charg de manifester le caractre absolu de la volont artistique, il sappliquevirtuellement tout ce quon voudra, l mme o luvre manque.

    Mais ceci est de lart est un nonc risqu, dont le succs nest nullement garanti ; ilconstitue par l mme une vritable aubaine pour ceux qui font mtier de discourir surlart, et den garantir la visibilit sur les scnes institues de la mdiation culturelle .

    Faut-il stonner, dans ces conditions, quun art ltat gazeux (selon lexpressiondYves Michaud), tendanciellement dmatrialis, cherche du ct du discours laconsistance qui lui manque du ct de ses objets ? Que la thorie, et mme laphilosophie, en vienne sintgrer la production artistique pour colmate[r] lesbrches, pallie[r] tant bien que mal, dans le concept pltreux, linsuffisance sinistre dusensible [7] ? De l le sentiment, priodiquement raviv par de confuses querelles ,quil existe un problme spcifique de lart contemporain, distinct du problme de lart

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    tout court, dont les audaces ont de tout temps choqu mme les bons esprits. Ceproblme, pour faire bref, serait celui dun art bavard, absorb dans laffirmation vide desa propre possibilit ou dans la mditation dsole de sa fin annonce.

    Autant le dire tout de suite : cette reconstruction schmatique nest pas dune grande

    aide lorsquil sagit dvaluer, singulirement, telle uvre ou telle configurationduvres. Pour juger sur pice, il faudra bien, le moment venu, dcintrer cette charpentedides et mobiliser dautres ressources. La maquette thorique que je viens deproposer na peut-tre quune seule vertu, celle de faire sentir, justement, que la seulemanire de sen sortir est de quitter le point de vue de survol qui nous donne lillusion depouvoir parler de lart contemporain indpendamment des configurations concrtes quildessine, comme sil sagissait dun simple effet de langage flottant sur le corps de laculture. De fait, le jugement de Badiou sur ltat contemporain de lart oscille souvententre deux registres bien diffrents, et cependant complmentaires : on pourrait dire quilse donne la fois comme une amplification stratgique de la doxa souponneuse des

    nostalgiques du modernisme, et comme une reconstruction originale, double dundiagnostic aigu, de la position instable dans laquelle sest install lart depuis unecinquantaine dannes. Si lart contemporain reste pour lessentiel un ensemble flou, vrai dire inconsistant, cest que les diverses tentatives qui ont cherch le constituer partir dune Ide de lart se sont toutes heurtes la difficult quil y a se dbarrasserde lhritage romantique. On verra ce que Badiou entend par l, mais formulons tout desuite cette hypothse : art contemporain nest peut-tre chez lui que le nomgnrique des fausses sorties du romantisme, une fois sold le compte des diffrentesrvolutions modernistes.

    Un Panthon personnel ?

    Revenons cependant au constat par lequel nous commencions : limpact quasiment nul,sur Badiou, des figures couramment associes lart contemporain. Ce constat nousoffre peut-tre une premire prise de rel. Lorsque Badiou voque la ncessit dun artformalis, dune nouvelle abstraction sensible, il nest jamais directement question duminimalisme, encore moins de lart conceptuel : en place de Dan Flavin, Sol LeWitt ouJohn Baldessari, viennent les noms de Malevitch ou de Mondrian, deux icnes dumodernisme. Lorsquil est question de la possibilit dun burlesque de notre temps, cenest pas aux avatars bouffons ou sordides de la performance contemporaine que songeBadiou, mais Chaplin ou Beckett. Sans mme parler des artistes contemporains qui

    nous sont, de fait, les plus contemporains, une figure brille par son absence : cest lesoleil noir de Duchamp. Parcourez Le Sicle : vous y trouverez Picasso, lexubrantgnie du modernisme pictural, mais quasiment pas un mot de lhomme des ready-mades et de tant donn. Faut-il y voir un symptme ? Et de quoi, au juste ?

    Il mest arriv dans un autre contexte de hasarder une ide : dans la gnalogie clivequi fait remonter lart contemporain aux deux figures fondatrices que sont Matisse etDuchamp, cest plutt du ct de Duchamp quil faudrait chercher les affinits

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    objectives de Badiou, quels que soient par ailleurs ses gots personnels [8]. Cestquil nous importe peu, au fond, de savoir quels sont les inclinations du philosophe enmatire de peinture, de musique, de posie ou de thtre. On peut certes sinterrogersur ce qui relve dun choix dlibr ou dune simple mconnaissance dans laconstitution dun Panthon tonnamment slectif et certains gards anachronique.

    Dans la lecture magistrale que Badiou donne du sicle vingtime, le centre de gravitartistique semble curieusement avoir gliss vers les annes 1910-1920. Badiou estfarouchement moderniste et en ce sens au moins anti- contemporain , pour ne pasdire mcontemporain . Mais il suffit de se reporter au rcent volume dit par Antoinede Baecque sur le cinma de Badiou pour se rendre compte que la crationcontemporaine, dans ce domaine comme dans dautres en fait je ne mtendrai passur le thtre, la posie, la musique, disciplines quil pratique divers titres , ne lui estnullement trangre, et quelle intervient mme de faon extrmement vive dansllaboration de sa rflexion, sans avoir pour cela y tre explicitement convoque.

    Encore une fois, les gots personnels de lauteur ne sont pas vraiment en cause. Dupoint de vue de lexposition dune question philosophique, ce qui compte est laconstellation que dessinent les uvres, et les ressources quelles offrent la pense.Or il est clair que parmi les grands noms de lart du sicle, Badiou privilgie commeailleurs les figures stellaires auxquelles peut tre reconnue, sans contestation possible,une valeur exemplaire. Installes dans une distance admirative, elles nouscommuniquent leur froide lumire. Mieux, elles nous apparaissent constammentdisponibles pour autant quelles font entendre, au cur de notre poque, un impratifqui ne se rduit pas la forme vide de luvrement, mais qui, par lentremise desuvres, dispose en quelque sorte des balises pour laction en exhibant lart comme lieude production active de vrits en exception de lordre des corps et des langages[9].

    Le problme de lart daujourdhui est que, dans le voisinage trouble quil entretient avecles produits de consommation courante issus des industries culturelles, il ne nousprpare pas beaucoup une telle ide. Que faire si, comme lcrit Badiou, lart estdouteux , si le prsent de lart nest que sa propre incertitude, sa fusion, ou saconfusion, dans lindistinct des productions du corps, ou du corps-capital ? Que faire si lart rpudie toute vrit, ou ne fait vrit que de labsence consommable de toutevrit [10] ? Dans ce cas, cest la philosophie de dfendre la puissance axiomatiquede lart, den rclamer, sil faut, le retour.

    Remarquons que, de ce point de vue, il importe tout aussi peu de savoir quels artistes,quelles uvres, se prtent le plus aisment une lecture badiousienne. On naura pasde mal montrer cela a t fait en dtail [11], que le coup du ready-madeduchampien rpond, point par point, la structure mise en place par la doctrine delvnement. La question plus intressante est de savoir pourquoi Badiou lui-mme, endpit de tout ce qui pourrait sembler le rapprocher de cette figure, se mfie deDuchamp, et en consquence na pas spontanment recours lui pour illustrer lespossibilits affirmatives de lart contemporain dont il souhaite hter la venue [12]. On y

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    reviendra en conclusion.

    Le Panthon artistique de Badiou nest pas constitu dartistes badiousiens , si lonentend par l des artistes dont luvre se prte plus naturellement que dautres lanalyse philosophique. Ainsi Duchamp vaut comme contre-preuve en relation

    Malvitch, tout comme Rimbaud en relation Mallarm. De manire gnrale, leproblme nest pas de savoir ce qui, de lart et de la philosophie, communiqueeffectivement en termes de contenus. Le problme est plutt de savoir sur quel modesopre la communication, quand elle a lieu. On sait les malentendus qui ontaccompagn, sous le nom d esthtique , les transactions louches entre les deuxdomaines. Badiou, pour sa part, entend confier la philosophie une tche nouvelle.Celle-ci a pour nom : inesthtique .

    Le style de la rquisition

    Mais avant dlucider ce point, il importe didentifier le mode dintervention que privilgie

    Badiou dans le domaine de la pense de lart. Ce mode est celui de la provocation, ouplus exactement de la rquisition. Cest ainsi quopre le recours aux figuresexemplaires. Elles sont autant de mises en demeure. Le lecteur qui, s il nest pas artiste,est au moins spectateur et auditeur, est somm de rpondre une exigence, unimpratif. Et cet impratif ne tombe pas du ciel, comme un dsastre obscur . Il estessentiel de reconnatre quil a dj t formul historiquement. Cest l que lePanthon moderniste prend tout son sens, au-del des inclinations subjectives deBadiou. La prescription se formule chez lui au nom des uvres elles-mmes en tantquelles ont eu lieu, en tant quelles existent. Non pas au nom dun patrimoine revisiter,dvnements commmorer incessamment parce quils constitueraient notre terreau

    culturel, mais au nom des configurations actives avec lesquelles, de fait, nous vivons avec lesquelles nous nous trouvons en quelque sorte de plain-pied.

    Cette position rompt avec tout historicisme. Le modernisme ne dsigne pas une poquervolue, mais une proposition toujours disponible. Il se veut entirement affirmatif. Pourles artistes contemporains, il est une mise en demeure de penser, de sentir, de crer la hauteur de limpratif port par quelques hautes figures, et cela toujourssingulirement, travers la disposition concrte des uvres.

    Cest bien en ce sens quil y a rquisition. Par ce terme il faut entendre la fois larequte faite chacun de penser hauteur du rel et le geste toujours un peu violent de

    lappropriation ou du prlvement forc sur une histoire collective, un systme derfrences, un langage aussi dont les artistes, mais plus souvent encore les historiens etles critiques dart, voudraient se rserver la jouissance. Il mest arriv plus dune fois demesurer leffarement suscit dans les rangs des spcialistes par les braconnages deBadiou du ct de Duchamp ou du cinma. Pour dcrire correctement les choses, ilfaudrait avoir le talent des chroniqueurs latins rendant compte des invasions gothiques.Le style de la rquisition ou de la mise en demeure est encore patent dans le texte la

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    fois solennel et comique (dans sa dimension parodique) intitul Manifeste delaffirmationnisme . Plusieurs versions ou esquisses en ont circul dans les annes2000 sous la forme de Quinze thses sur lart contemporain[13]. Lcriture estabrupte et prophtique, dans le style des avant-gardes. Voyez la douzime thse : lart non imprial , y lit-on, sera aussi solidement li quune dmonstration, aussi

    surprenant quune attaque de nuit, et aussi lev quune toile. On songe Marinetti,au Manifeste futuriste de 1916 qui vantait les beauts de lavion et de lautomobile, etqui souhaitait voir un jour le Danube couler 300 lheure en ligne droite Laspectquelque peu oraculaire de ces quinze thses confirme ce que nous disions linstant dustatut de la rfrence moderniste : cest bien au nom de lart qui est et qui vient quese formule chez Badiou la proposition en forme de rquisition adresse lart du temps.

    Sil y a donc un effet Badiou sur lart contemporain, il faut sattendre ce quil soit lui-mme de lordre de la prescription, et mme de la commande faite aux gens-de-lart dedgager et de mettre en circulation, pour commencer, une certaine ide de lart (pour

    parler comme le gnral de Gaulle), et pourquoi pas une certaine ide de lartcontemporain. Ide dun art possible, dun art qui doit venir et par consquent dun artqui vient, dun art qui est. Car le rel de lart nattend pas, pour tre effectif, que seseffets sensibles lattestent dans le monde ou les mondes de lart institu. Sa teneur derel, lart la tient de ce qui, dj, a eu lieu, des vnements auxquels sassocientquelques uns des noms propres voqus plus haut : de Malevitch Beckett en passantpar Kandinsky, Webern ou Murnau. Quant aux artistes eux-mmes, qui cette ide delart est naturellement destine, la rquisition consiste trs simplement leur demanderden hter la venue par des uvres de bonne et haute tenue, au lieu de mener sur lecorps malade du Capital une existence prcaire et parasitaire, au lieu de se complairedans la tideur des partages communautaires, dans la mise en scne pornographiqueou mystique de la finitude des corps souffrants et dsirants. On aura reconnu dans cetexercice de ventriloquie le style lapidaire du Manifeste de laffirmationnisme.

    Deleuze et Badiou, encore une fois

    Le style de la rquisition se distingue trs nettement dune autre modalit du nouage art-philosophie, beaucoup plus familire et accommodante aux acteurs de lartcontemporain : je veux parler de la modalit deleuzienne. On pourrait dire de Deleuzeque sa manire de se rapporter lart sapparente un hglianisme coud, en tout castrangement tordu. La philosophie vient y relever lart au point o celui-ci laisse

    chapper lIde ou une Ide. Comme on sait, le concept selon Deleuze est laffairepropre du philosophe : dans lart, il sagit seulement de les extraire pour en faire autrechose, sur un autre plan. Mais si lart na pas vocation produire pour son compte desconcepts, il ne cesse en revanche de produire des Ides. Deleuze y insiste selon un tourqui lui est propre : il y a des Ides en cinma, comme il y en a en peinture, en musique,en posie. Le problme est que ces Ides ont tendance schapper ou se voiler dansle moment mme de leur manifestation sensible, dans la composition de ces blocsdespace-temps qui constituent selon Deleuze le milieu naturel de toute cration. Lart

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    produit des Ides sensibles, des Ides esthtiques sous la forme de blocs despace -temps ; le rle de la philosophie est de suivre le mouvement de lIde jusquau bout,sans se laisser fasciner par le jeu des formes, afin de lui extorquer, par la bande enquelque sorte, des concepts que lart ne sait pas produire par lui-mme. Badiou a cecien commun avec Deleuze quil pense pouvoir aller tout droit de la philosophie

    lart[14]. Tout droit , cest--dire en spargnant les pnibles mdiations thoriquesou idologiques qui prennent lart pour objet ou sen font une spcialit : discourssavants, discours historico-critiques, etc. Cest prcisment l un des principes de larelation inesthtique de la philosophie lart, telle que la dfinit Badiou. Lart na pasbesoin dtre rflchi ou interprt; il nest pas en position dobjet. Il est immdiatementen position de sujet, comme producteur de vrits propres son ordre [15].

    Cest partir de l que les choses commencent diverger. Pour Deleuze en effet, ilsagit toujours dextraire des concepts, certes lests de percepts et daffects, mais desorte que le dtour par lart apparaisse finalement comme de la philosophie continue

    par dautres moyens. Lart, en somme, est une extension de la philosophie : les livressur Bacon ou le cinma sont comme des polders, des modules exprimentaux par lemoyen desquels la philosophie poursuit une activit semblable celle quelle avaitengage, un autre niveau, avec Lewis Carroll, Antonin Artaud, et pourquoi pasEmmanuel Kant. Extraire des concepts, et au besoin les extorquer des disciplines quinen demandaient pas tant, cela passe par toute une activit de montage ou deremontage. Mais au bout du compte, ce sont toujours les concepts du philosophe quimanifestent la vrit de lart.

    Ce travail dextraction et de raffinage a quelque chose de hglien en ceci au moinsque, pour Deleuze, il y a bien dans lart un contenu de vrit, une teneur quil

    appartient la philosophie de porter au jour, dans la lumire du concept. Que la vritfasse lobjet dune cration, que le concept soit machin , quil ne puisse sautoriserdaucune fonction transcendante au plan dopration dune pense de la stricteimmanence, cela ne change rien laffaire. Sans aller jusqu dire que la vrit de lartnest pleinement elle-mme que dans sa relve philosophique, lesthtique deleuziennese conoit tendanciellement comme disposition et exhaussement des vrits artistiquessur le plan dimmanence absolu de la philosophie.

    Cest pourquoi lcart avec le schme hglien est presque indiscernable : il seconcentre dans lopration mme de lextraction. Deleuze fabrique des concepts partir

    des ides ou des vrits de lart. Mais ces ides, ces vrits, ne sont pas comme chezHegel saisies en pleine pte, dans la manifestation sensible qui marque leur insuffisancefoncire et sert de faire-valoir aux figures suprieures de lEsprit ; ces ides, ces vrits,Deleuze les cueille au point o elles excdent la forme artistique, il les saisit au vol aumoment prcis o elles schappent, comme des papillons sextrayant de leurchrysalide. Cest un travail de prcision en mme temps quune opration de brigandagemene aux confins de lart, au point-limite du drayage des facults. Cette manire deprocder a t pingle par Rancire comme un avatar de lesthtique romantique .

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    Oui, sans doute. Mais limportant ici, cest que lesthtique est en position dembrayeur:elle est une condition du travail philosophique, non pas une fin en elle-mme, comme cefut tendanciellement le cas chez les penseurs du romantisme allemand ou chez ceuxdes philosophes qui, comme Schelling, ont song un temps dfinir la philosophiespculative tout entire comme science du Tout sous la forme ou la puissance de

    lart[16]. Si Deleuze rejoint certains gards lesthtique romantique quonenvisage celle-ci du point de vue dune esthtique du sensible pur, de la frappe sublimeou de la mise en tension explosive de la forme finie par la visitation de linfini , cesttoujours en tant quelle rend possible cette opration dextraction qui est le ressortfondamental de lactivit philosophique dans son rapport son dehors.

    Pour Badiou, les choses se passent de faon bien diffrente. Si la philosophie na pas produire des vrits qui lui seraient propres, si elle ne se pense que dans le rapport auxvrits produites partout ailleurs dans les domaines qui constituent ses conditions, ellena pas non plus vocation prendre en charge et accueillir ces vrits quelle ne

    produit pas. Encore moins sagit-il pour elle dextorquer lart ou la science lamatire de ses oprations, des cas du concept comme autant dinflexions ou depointes dintensification dune activit philosophique capable dintrioriser, en quelquesorte, le dehors sur lequel elle se branche. Pour Badiou, laffaire de la philosophie aveclart consiste avant tout prendre acte du fait quil y a, dans lart, de la vrit, desproductions locales de vrits. Cela, aprs tout, ne va nullement de soi. Il faut tcher dele comprendre rigoureusement, et rendre du mme coup pensable la coexistence de cesvrits avec tout le reste. Car tel est bien la tche qui attend le philosophe attentif auxconfigurations : il sagit, la fin, de penser lespace de compossibilit ou de dispersiondes vrits lies des conditions htrognes, didentifier et dvaluer le jeu de leursrapports dans lpoque. Comme on sen doute, le lien entre art et politique constitue unpoint particulirement sensible pour cette approche rsolument non-esthtique de lartqui a pour nom inesthtique . Cest lenjeu sous-jacent des deux Manifestes pour laphilosophie, dans un dialogue tendu avec le projet heideggerien dune suture de laphilosophie sa condition potique. Les diffrences se distribuent partir de l. Deleuzecherche extraire des concepts au point dchappement de lIde esthtique ; Badioudispose les appuis conceptuels qui rendent pensables les vrits de lart, dans leurrapport de voisinage avec les vrits non artistiques. Deleuze se focalise sur la figure delArtiste comme voyant, travers par un impens qui force penser, mais dont il nestpas capable de disposer pour lui-mme. Badiou sen tient pour lessentiel aux uvresqui constituent selon lui les vrais sujets de la vrit artistique, en dpit de la prolifration

    des noms propres : Les sujets dune vrit artistique sont les uvres qui lacomposent , cest la sixime thse du Manifeste, relaye par de nombreux autrespassages [17]..

    Deleuze dit aux artistes : Vous avez des Ides ? Moi aussi ! Ou plutt : Vous avezdes Ides mais vous ne le savez pas : elles vous chappent. Donnez les-moi et jen feraide jolis concepts. Les artistes et ceux qui parlent aujourdhui en leur nom ne se sont

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    pas fait prier: dans la rumeur thorique qui entoure lart contemporain, les conceptsdeleuziens circulent prsent comme une monnaie dchange. Mais sous la forme designifiants aisment manipulables ( corps sans organe , rhizome , singularitsnomades , espaces lisses , etc.), il se donnent le plus souvent comme des signesde reconnaissance ou des blasons. Deleuze et les artistes contemporains, cest un peu

    lhistoire du joueur de flte de Hamelin : sduction immdiate, intensification garantie. Popphilosophie dsigne parfois ce genre court-circuit. Sil fallait isoler laffect quicaractrise lintervention de Badiou dans le domaine de lart, je parlerais plus volontiersdeffroi et de sidration. Plutt pre Fouettard que joueur de flte, voici le message quiladresse aux artistes : Vous navez pas dIde, vous navez que des gestes et desformes, des corps et des langages. Tout cela donn dans llment de la culture, etdonc de la particularit. Cette disposition contemporaine, appelez-la postmodernismesi vous y tenez. Le problme est que vous navez pas dIde. Moi non plus, dailleurs :ce nest pas ma fonction den produire. Mais au moins je sais que je nen ai pas, je saispourquoi je nai pas les faire. Ou plutt si, jai une ide : une certaine ide de lIde. Et

    aussi, jai des principes, des axiomes. On connat la suite. Linjonction faite auxartistes peut alors se condenser en une formule frappante : Vous navez pas dIde ;vous avez tort. Ne vivez pas sans Ide !

    Mais en vrit, cest peine si Badiou sadresse aux artistes ; il faut bien reconnatreque deux, considrs individuellement, il nattend pas grand chose. Si son Panthonprend la forme dune constellation de noms propres, il ne sacralise jamais la figure delartiste. Lunit pertinente, rptons-le, ce sont les uvres, et plus exactement lesconfigurations dans lesquelles elles nous sont accessibles. Non pas luvre singulire,ni mme luvre dun artiste ou dun auteur (au sens o lon dit : sa vie, son uvre )mais la configuration, la constellation dun multiple duvres qui redcoupent le visibleet balisent lespace du pensable. quoi il convient dajouter que, en tout tat de cause,ce nest pas aux artistes eux-mmes, ni ceux qui parlent en leur nom en exposantlesthtique des uvres ou des crateurs, quil appartient de faire reconnatre que lartest capable de vrit, ni dexpliciter la manire dont nous pouvons penser sous conditiondune telle vrit. Cest l laffaire propre du philosophe, et il est clair que linjonction quilformule ( Ne vivez pas sans Ide ! ) sadresse en ralit tout le monde. Tant mieuxsi des artistes peuvent lentendre; si le philosophe devait prcher dans le dsert, il nenresterait pas moins que lart est capable de vrit il la suffisamment prouv , et cesttout ce dont il est question ici.

    Les trois fonctions de linesthtique

    Sidration plutt que sduction, rquisition plutt quextorsion : deux manires de nouerlart la philosophie, deux manires de reconduire lart sa propre vrit. Tout cela,cependant, ne nous dit pas encore de quelle vrit il est prcisment question chezBadiou, et de quel rel sautorise le geste de rquisition dans le cas particulier de lart.Pour le comprendre, il est utile de revenir de manire plus analytique au projetdenqute qui se formule sous le terme inesthtique . On peut en dcliner trois

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    fonctions principales.

    1) En premier lieu, une uvre dart, une configuration artistique, peuvent venirexemplifier le mcanisme des procdures gnriques en gnral, pour autant queces procdures font partie des conditions de la philosophie. Notons quil ny a ce

    niveau aucun propre de lart dont pourrait sautoriser une quelconque dfinition. Il ny apas de concept de lart en gnral. Il y a seulement des ides ternelles, capables dtreproduites, avres, dans des contextes particuliers qui dfinissent les conditions de laphilosophie. Badiou lexplique dans les premires pages de Logiques des mondes : leschevaux peints sur les murs de la grotte Chauvet, tout comme ceux de Picasso, avrentun cheval qui est ternellement disponible pour la pense la caballit du cheval, etceci indpendamment de la question de savoir si lart rupestre correspond lide quenous nous faisons aujourdhui dune production artistique. On se gardera donc dedduire de telles considrations une dfinition universelle de lopration artistique ouune caractrisation de lessence de lart: manifestation sensible de lIde, passage de

    linfini dans le sensible, etc. Ce qui compte ce niveau est que lart produise des vrits,en laissant de ct la question de savoir ce qui fait la particularit de ces vrits en tantque vrits artistiques. De fait, le passage o il est question des chevaux de la grotteChauvet se situe dans un mouvement argumentatif qui vise montrer que dans lesdiffrents domaines qui constituent les conditions de la philosophie (art, politique,amour, mathmatiques), il y a bien, en gnral, production de vrits ternelles.

    2) Selon un deuxime usage de la rfrence artistique, qui indique aussi une deuximeorientation de linesthtique, luvre dart est mobilise comme un relais permettant dedgager ou de reconstruire une configuration artistique plus large dans laquelle elletrouve place. Cest l un point essentiel et souvent mconnu de lapproche badiousienne

    de lart. Nous avons eu loccasion de le rappeler: la configuration artistique, plutt queluvre singulire ou la figure de lauteur, est lunit pertinente de cette chose que nousappelons art . Cestbien pourquoi le fait quil existe des chef-duvres ou de grandsartistes contemporains ne suffit nullement tablir la teneur ou la consistance de lartcontemporain dans son orientation gnrale. Lexistence indpendante de quelquesuvres dart na jamais une valeur exemplaire par elle-mme, mais seulement par lesraccords et les circulations quelle suggre au sein dun ensemble. Si une configurationnest strictement compose que duvres, elle ne se laisse pourtant saisir dans aucuneuvre en particulier ; elle est en elle-mme un multiple gnrique, quil importe de saisirdans son surgissement et sa distribution spatio-temporelle. Suscit par un vnement,

    ce multiple se prsente comme une squence identifiable par la cration dun nouveaudomaine formel, lequel comprend une virtualit infinie duvres possibles ou relles.Badiou sen explique trs clairement dans un entretien avec Fabien Tarby : Le mondede lart est un exemple fort de la prsence de la multiplicit dans les vrits[18] . Et ilajoute quil sagit l dune trange multiplicit , dont le fondement est bien difficile lucider[19] . La perspective, on le voit, est pleinement ontologique. Cette fois-ci, lartest autre chose quune simple illustration des conditions post-vnementielles de laction

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    et de la subjectivation. Sa singularit au sein des autres conditions de la philosophietient lquilibre particulier quelle introduit au sein du multiple des vrits : sa densitvnementielle, si lon peut dire, est intermdiaire entre la raret relative des grandessquences politiques et lomniprsence des squences amoureuses. Cependant, on voitbien aussi de quelle manire linesthtique se raccorde une question plus large qui

    traverse toutes les autres conditions de la philosophie, et singulirement la politique. Cequi est en jeu avec lart, cest la cration point par point dun corps (disons, la dimensiondapparatre dun sujet au sein dun monde[20]), en relation avec la trace dunvnement, capable de dterminer lorientation active dun corps. Que tout cela puissetre saisi dans la configuration particulire dun monde de lart (car il y a en vritdes mondes de lart), on pouvait sy attendre, mais lart justement nous le fait voir avecune clart ingale, qui tient son rgime propre dapparatre, la densitvnementielle qui caractrise son multiple. Voyez les analyses que Logiques demondes consacre lvnement Schnberg: lhistoire de la musique srielle permet desuivre, de Schnberg Boulez, et jusqu lexhaustion du srialisme (et aussi bien du

    sujet sriel lui-mme), le chemin par lequel saffirme la possibilit dun monde des sonsqui ne serait plus gouvern par le systme tonal. De la mme manire, le Sicle dcrit lesort des avant-gardes en insistant sur la place quy tiennent la proclamation, lesdclarations et les manifestes, qui sont un des modes dexistence privilgis de la trace vnementielle. Dans lart contemporain plus clairement encore quailleurs, lesvrits doivent tre activement cres et promues. Cest en ce sens que Badiou peutenvisager de trouver dans la cration artistique de nouveaux moyens, de nouvellesvoies pour la politique. Et cest dans cette perspective quil convient de lire, je crois, leManifeste de laffirmationnisme.

    3) Il y a enfin une dernire fonction de linesthtique, qui consiste isoler, de manireencore plus serre, une procdure gnrique propre la situation dun art dtermin,procdure quon pourra alors tenir pour reprsentative de la potique de cet art ou de laconfiguration artistique particulire sous laquelle on lenvisage. Je pense videmment la posie qui, dans son effectuation mallarmenne, apparat mieux quaucun autre artcomme une technique de la dposition de lobjet, capable dintroduire dans la languecette question trs singulire : que serait une exprience sans objet ? Ladsobjectivation de la prsence est lenjeu gnral. Il peut lui-mme se diffracter selondes voies et des stratgies diverses. la voie soustractive ouverte par Mallarm rpondainsi la dissmination rimbaldienne. Ces analyses sont bien connues. Je retiendraiseulement de cette troisime modalit de linesthtique le fait quelle autorise

    philosopher sous condition dun pote, mais aussi bien dun crivain ou dun artisteplasticien. Sous condition de Mallarm, de Beckett, de Rimbaud ; mais aussi, pourquoipas, sous condition de Duchamp ou de Cage, pourvu que les configurations auxquellesrenvoient ces noms fassent leur tour la preuve de leur tenue. Car sil est bien questionde vrits artistiques, on aura compris que lenjeu de linesthtique nest pas le contenu,la teneur de lart, que la philosophie aurait pour charge de dployer en vrit dans laforme du concept. Lenjeu vritable, cest la tenue. Autrement dit, la capacit des

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    uvres dune poque endurer, porter et transmettre londe de choc dunvnement artistique ; et plus gnralement, la capacit de vivre et de penser selon laconsistance de lIde. Ce qui compte alors, ce nest pas la forme en tant que telle, maisla disposition, la configuration de multiples artistiques rfrs des vnements qui fontcsure dans le monde de lart et de la culture. Des uvres, donc, ressaisies travers

    leurs effets, leurs contrecoups pour la pense, mais surtout envisages dans leurcapacit suggrer de nouvelles ressources formelles au-del de lart lui-mme, denouvelles connexions avec les processus rels et les propositions de la politique.

    De l se dduit peut-tre, sinon une quatrime fonction de linesthtique, du moins samotivation fondamentale. Lenqute mene sur lart comme condition de la philosophiedbouche en effet sur quelque chose comme une capture ou une captation despuissances de lart au profit dune intensification de lactivit philosophique. Sur ce pointBadiou rejoint finalement Deleuze, en dpit de tout ce qui spare leurs agencementsrespectifs. Le rapport de captation se traduit dailleurs par des effets dcriture du mme

    type que ceux quautorise la mthode deleuzienne du branchement et de lextraction. Onsen rend compte en prtant attention, par exemple, la manire dont les uvreslittraires et singulirement potiques se trouvent convoques dans le montage delcriture philosophique. Loin de toute sacralisation du texte comme tel, les citationsagissent comme des formules ou des embrayeurs. Il ne sagit que de savoir les placerau point appropri dans le cours dun dveloppement philosophique, de faon creuserun canal susceptible dapporter lordre conceptuel une eau ou une nergie venuedailleurs. Ce travail de captation et dincorporation est immanent la procdurephilosophique. Il passe souvent chez Badiou par des oprations de traduction (de laposie en prose, de lvocation potique en noncs dclaratifs, etc.), l o Deleuze aplus volontiers recours une espce de discours indirect libre ou de ventriloquie dont ilemprunte le principe aux crivains de son propre panthon (Proust, Kafka). Dans lesdeux cas cependant, lappropriation des puissances de lart suppose de maintenir uneclaire relation dextriorit. La philosophie na pas accueillir pieusement la rvlationporte par la parole potique, elle ne se contente pas de relayer la provocation de latouche picturale : elle reprend linitiative en convoquant pour ses seules fins les vritsde lart, quitte les dtourner, les reconstruire, les transposer.

    La maladie romantique

    Rcapitulons prsent les trois grandes fonctions de linesthtique. On verra que

    chacune porte, implicitement, une ide particulire de la puissance de lart.Linesthtique avre des procdures gnriques pour la production de vritsuniverselles (lart comme avnement de lIde); elle dploie les ressources dunelogique post-vnementielle de lapparatre (lart comme domaine des configurationsartistiques) ; enfin, elle extrait et identifie des oprations et procdures typiques, despotiques locales, dotes dune porte plus gnrale (lart comme rservoir doprationstransposables pour une intensification de lactivit philosophique, au prix dun travail decaptation et dincorporation). Il est clair quaucune de ces modalits, pas plus que leur

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    runion, ne suffit dfinir quelque chose comme une philosophie de lart dAlain Badiouau sens traditionnel de cette expression. Il se peut que lart soit tou t simplement unmauvais objet. Lart est bien prsent comme condition, mais cela nen fait pas lobjetdune philosophie de lart. Cest ainsi que je comprends la dfinition liminaire du PetitManuel dinesthtique : Contre la spculation esthtique, linesthtique dcrit les effets

    strictement intraphilosophiques produits par lexistence indpendante de quelquesuvres dart.

    Mais cet expos des enjeux serait incomplet si lon ne mentionnait pas une dimensionsecondaire de lenqute inesthtique : celle-ci permet en effet de formuler au passageun diagnostic critique, une valuation de ltat des configurations artistiques dans uneconjoncture ou un moment donn. Cest de ce point de vue quon peut tenter dedgager la teneur particulire de lart contemporain, ou pour mieux dire, la positionquenveloppent ses uvres les plus reprsentatives, eu gard au problme gnral dela vrit et aux conditions particulires de son effectuation. Car tel est bien lenjeu :

    valuer lart du point de vue de sa capacit prendre en charge une vrit en gnral,mais aussi soutenir activement sa promotion dans une conjoncture donne.

    Or ce que Badiou pointe dans lart contemporain, au-del du constat gnral dunedsaffection de la vrit propre au matrialisme dmocratique, cest pour lessentieldeux choses. Dune part, lpuisement dune squence vnementielle qui a reconfigurle paysage au dbut du XXe sicle, autour de la premire guerre mondiale. Cest lethme le plus apparent du Sicle. Mais dautre part et plus positivement, il faut lire dansla conjoncture politico-esthtique contemporaine lhistoire continue dun mal trs ancienqui a pour nom romantisme [21] . La maladie romantique se laisse identifier par dessymptmes vulgaires (promotion des subjectivits gniales et des corps souffrants,

    oscillation entre enthousiasme et nihilisme, etc.), mais aussi bien savants ( travers,notamment, la dfinition de lart comme descente de linfini dans la forme finie deluvre). cet gard, linesthtique se dfinit moins contre lesthtique en gnral quecontre le schme romantique qui a historiquement concid avec la reformulationphilosophique de lesthtique sous les espces spculatives dune philosophie de lart.Ce schme romantique, tel quil intervient chez Badiou, cest celui, commun auxdiffrentes thories du sublime, de lIde traversant le sensible pour le porter seslimites, au point de dchirement de lenveloppe dans laquelle sexhibe luvre. Ainsi laforme finie, tenue par le systme des contraintes qui gouvernent son apparatre, estcharge de tmoigner, par la tension pathtique qui lanime, dune puissance

    douverture et dillimitation qui lexcde infiniment.

    Contre cette tendance partout avre dans les esthtiques du sicle, confirmeaujourdhui par la thtralit gnralise dont participent les genres de linstallationou de la performance improvise, Badiou recommande une dite svre, une disciplinede lIde qui organiserait les formes de son transit ou de son passage autrement quesous les espces de lincorporation[22]. Contre lexpressivit romantique, il en appelle une ncessaire froideur. Il prne une rigueur impersonnelle apparente aux

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    mathmatiques. Cette austrit active est la condition d un nouvel art rgl [23] ,cest--dire formalis [24]. Un art capable de soutenir, dans lordre du fini, la puissancelibre par la rptition en droit infinie de lacte une fois excut [25].

    Le cas Duchamp : un symptme

    Quel est le tourment du sicle ? Cest quil entreprend den finir avec le romantisme delIdal, de se tenir dans labrupt de leffectivement-rel, mais quil le fait avec desmoyens subjectifs [] qui sont encore et toujours romantiques [26]. Le cas duDuchamp, dj voqu, illustre merveille cette zone dincertitude o Badiou situe lecontemporain de lart.

    Un double slogan rsume le projet duchampien de sarracher aux sductions de l artrtinien : peinture de prcision et beaut dindiffrence . Ce programme a tout pourplaire Badiou. Il laisse entrevoir la possibilit dun outre-passement du romantisme parles moyens dune analytique de lindiscernable ou de la sparation vanouissante

    ( inframince , dit Duchamp), effectue par diffrentes modalits de lacte commecoupure. Lacte est ce qui vient donner figure (sur un mode qui na rien du pathtique delinfigurable) lcart qui existe entre lIde et son apparatre. Et comme lexpliqueBadiou, tout luvre duchampien se donne comme le lieu dune exprimentation rglede la sparation de lIde[27]. Il ne sagit plus de lcart pathtique que marque linfini lgard de toute prsentation finie. Ce nest pas le passage sublime de lIde dans lesensible qui carte et rompt la forme finie : cest lIde saisie dans son cart, cest--diredans le mouvement dune visitation sans incorporation, touchant la surface de luvrecomme un oiseau frle la mer[28]. Ce frlement, cest ce quexplorent les diffrentesmodalits de linframince ou de lcart minimal ( intervalle inframince qui spare deux

    identiques ). Pouvait-on rver meilleure effectuation du projet dune relve de lart parlIde une Ide qui ne sincarne pas, qui ne fait justement que passer ?

    Mais Duchamp, comme le note aussitt Badiou, est une figure essentiellement duplice.Elle sarticule selon deux dimensions qui pivotent sans cesse lune sur lautre enchangeant leurs places. Duchamp est, dans le sicle, une figure charnire, et lacharnire est aussi importante chez lui que la coupure. Un regard attentif port sur sonuvre, sur le mode de dissmination de ses effets et de ses traces, rvle ct delanalytique de lindiscernable lomniprsence dun rotisme calcul, une pense desconnexions locales, des missions et propagations obliques dans lordre des corps etdes langages, tout cela dans un voisinage constant avec linforme et dans une attentiondistancie aux ressources offertes lacte artistique par les possibilits techniques dunereproductibilit indfinie (les ready-mades, comme on sait, indiquent aussi cela, mme sile fait-main y tient une place prpondrante). Ce Duchamp-l renoue avec lide dune

    jouissance certes trs cadre, trs intellectualise du sensible pur. Il opre lasurface de lart rtinien, surtoute son enveloppe, pour en tirer des effets dont la porte,le rapport la vrit, demeure lui-mme le plus souvent indcidable. De sorte quon aaffaire, en fin de compte, non pas une sortie hors du romantisme, mais une espce

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    de romantisme dgnr o lnergie des corps dsirants ( clibataires ) et lhumouratmosphrique relay par les jeux de mots idiots ou graveleux se conjuguent lapuissance darrt de la coupure et la discipline dsubjectivante de lindiscernable.

    Il y aurait, si lon veut, le Duchamp de Badiou et le Duchamp de Deleuze. Mais cette

    dualit est interne Duchamp lui-mme. Quant aux post-duchampiens, assums ounon, qui constituent aujourdhui le gros des bataillons des artistes contemporains, encroire le constat un peu dsol de Badiou dans le Manifeste, ils seraient domins parune espce de formalisme romantique dont lexpression tantt funbre et tantt ludique,tantt mystique et tantt pornographique, se traduirait partout par linstallationcharnelle de la finitude . Cela suffirait e tablir que le sicle na pas t en mesurede proposer une nouvelle figure de lart comme pense indpendante [29] . Je necrois pas quil faille tenir Duchamp pour le principal responsable de cet tat de lart. Lesvrais duchampiens, il y a en encore aujourdhui : voyez Gabriel Orozco ou TatianaTrouv, dans des registres bien diffrents. Loin des drives pompires ou formalistes, ils

    confirmeraient plutt le diagnostic que livrait Hegel en voquant la queue de comte duromantisme et la promesse quenveloppait ses yeux le passage de lhumour subjectif lhumour objectif[30]. Reste que lambigut du cas Duchamp a valeur de symptme.Elle tmoigne, de manire voile, de lensemble des tentatives menes au cours dusicle pour se dlivrer du romantisme, cette maladie infantile du modernisme dont lartcontemporain peine se gurir.

    Notes

    [1] Voir Le XXIe sicle na pas commenc (entretien avec AlainBadiou), art press, n310, mars 2005 ; La vrit doit avoir lieu :

    propos dAlain Badiou , art press, n324, juin 2006 ; Badiou :second manifeste , art press, n356, mai 2009.

    [2] Cest dire quun artiste peut tout fait tre contemporain de ce quise montre dans les muses, galeries et centres dits dartcontemporain , sans participer pour autant pleinement de ce rgimesingulier de cration. Il arrive mme quil occupe dans ce monde delart une place de choix tout en perptuant une pratique datelier quinest pas trs loigne du mode de production de lartisanat. Je penseici notamment Soulages, auquel Badiou a rcemment consacr uneconfrence intitule Pierre Soulages, un peintre affirmationniste ? ,sous la forme de neuf fragments (Centre Pompidou, 22 janvier2010).

    [3] Thierry de Duve,Au nom de lart, Paris, Minuit, 1989.

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    [4] On vitera de confondre ce thme de la transfiguration dubanal , popularis par Arthur Danto, avec lesthtique de la vieordinaire dveloppe par des artistes comme Allan Kaprow ou legroupe Fluxus. Sur ce thme, voir Barbara Formis, Esthtique de la vie

    ordinaire, Paris, PUF, 2010, et le compte-rendu que nous en avonsdonn dans la Nouvelle revue desthtique, n7, juillet 2011, p. 217-220.

    [5] Voir Alain Badiou, Le Sicle, Paris, Le Seuil, 2005, p. 189-193.

    [6]Ibid., p. 193.

    [7] Alain Badiou, Le devoir inesthtique , Magazine littraire,novembre 2002, p. 29.

    [8] La pense Matisse , art press, n326, aot-septembre 2006.

    [9] Pour le cadre gnral de cette doctrine des vrits, on se reporterapar exemple la prface de Logiques des mondes.

    [10] A. Badiou, Le devoir inesthtique , art. cit., p.29.

    [11] Barbara Formis, vnement et ready-made : le retard dusabotage , in B. Bessana et O. Feltham (dir.), crits autour de lapense dAlain Badiou, Paris, LHarmattan, 2007.

    [12] Je fais rfrence la confrence (encore indite) sur Duchampprononce le 9 mars 2006 lcole normale suprieure dans le cadredu sminaire Philosophie et art contemporain .

    [13] Troisime esquisse dun manifeste de laffirmationnisme , inCirconstances 2, Paris, ditions Lo Scheer, 2004, p. 81-106.

    [14] Lexpression intervient chez Deleuze au sujet du cinma : LeCerveau, cest lcran , in Deux Rgimes de fous, Paris, Minuit, 2003,p. 263-264.

    [15] Jai expos les tenants et les aboutissants de cette thse dansdeux articles : How much truth can art bear ? On Badiousinaesthetics, Polygraph, n17, Duke University Press, 2005 ;

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    Art , in A. J. Bartlett et J. Clemens (dir.),Alain Badiou : KeyConcepts, Chesholm, Acumen, 2010.

    [16] F.-W. Schelling, Philosophie de lart, Grenoble, Jrme Millon,

    1999, p. 59.[17] En ralit, le crateur sest absent de cette affaire questluvre. Ce nest pas lui le centre de gravit. [] Je suis mallarmensur ce point : le crateur est cause vanouissante. (Alain Badiou etFabien Tarby, La Philosophie et lvnement, Paris, Germina, 2010, p.87)

    [18]Ibid., p. 81.

    [19]Ibid., p. 82.

    [20] La constitution dune subjectivit nouvelle ne doit pas faireoublier, cependant, que le sujet constitu dans lart par lvnementartistique, cest prcisment le systmes des uvres ! (ibid., p. 84).

    [21] Sur ce thme, voir Le Sicle, op. cit., p. 216-218.

    [22] Lenjeu des pratiques artistiques relevant du genre performance est linvention de procdures capables de mettre enuvre un nouveau nouage de lacte et de lide, par del la mise enscne des corps tourments. Voir Un thtre de lopration (entretien avec Alain Badiou), in B. Blistne (dir.), Un thtre sansthtre, Barcelone, Macba, 2007.

    [23] Troisime esquisse dun manifeste de laffirmationnisme , inCirconstances 2, op. cit., p. 93.

    [24]Le Sicle, op. cit., p. 225.

    [25] Comment ne pas songer ici aux avatars de lart sriel et duminimalisme, ou encore la dialectique du Concept et de lIde (ou delacte) expose par Sol LeWitt dans ses propositions sur lartconceptuel ? (Voir Sentences on Conceptual Art ,Art-Language,vol. 1, n1, mai 1969). Badiou nen dit rien dans la section dcisive du

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    Sicle intitule Infini romantique, infini contemporain , mais il estvrai que ce passage nest pas trs prodigue en exemples. Retenons-enlide dune dialectique de linfini saccomplissant comme qualit,lorsque se concentre dans la forme de lacte lintensit du prsent.

    [26]Le Sicle, op. cit., p. 216.

    [27] Nous suivons ici, en lui empruntant quelques formules, laconfrence dj cite dAlain Badiou sur Duchamp (9 mars 2006, colenormale suprieure).

    [28]Ibid.

    [29] Troisime esquisse dun manifeste de laffirmationnisme , in

    Circonstances 2, op. cit., 2004, p. 88.

    [30] G. W. F. Hegel, Cours desthtique, t. II, Paris, Aubier, 1996(trad. J.-P. Lefebvre et V. von Schenck), p. 226. Le dchanement delhumour tmoigne pour Hegel dun point de cassure, ou du moins dunmoment critique dans le processus dautodissolution et dedsagrgation du romantisme. Lhumour objectif illustre ses yeux lapossibilit bienvenue dun art capable de sintimiserdans lobjet pourchapper lironie subjective autodestructrice.

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