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Abbé Emile Puech Les songes des fils de Šemihazah dans le Livre des Géants de Qumrân In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 144e année, N. 1, 2000. pp. 7-26. Citer ce document / Cite this document : Puech Emile. Les songes des fils de Šemihazah dans le Livre des Géants de Qumrân. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 144e année, N. 1, 2000. pp. 7-26. doi : 10.3406/crai.2000.16093 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2000_num_144_1_16093

Émile Puech (2000). «Les Songes Des Fils de Šemiḥazah Dans Le Livre Des Géants de Qumrân». CRSAIBA 144, 7-26

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Análisis de la leyenda de los gigantes

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Abbé Emile Puech

Les songes des fils de Šemihazah dans le Livre des Géants deQumrânIn: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 144e année, N. 1, 2000. pp. 7-26.

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Puech Emile. Les songes des fils de Šemihazah dans le Livre des Géants de Qumrân. In: Comptes rendus des séances del'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 144e année, N. 1, 2000. pp. 7-26.

doi : 10.3406/crai.2000.16093

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2000_num_144_1_16093

COMMUNICATION

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH DANS LE LIVBE DES GÉANTS DE QUMRÂN, PAR M. EMILE PUECH

Dans le volume XXXI de l'édition officielle des manuscrits de la mer Morte à la Clarendon Press d'Oxford, sont publiés les restes de vingt-et-un manuscrits arameens du lot primitivement confié à Jean Starcky1. Nous y avons regroupé principalement des compositions se rapportant à des Patriarches, tels les Testaments de Jacob, de Juda et de Joseph, un Apocryphe de Lévi, probablement distinct du Testament de Lévi araméen déjà partiellement connu2, le Testament de Qahat, le Testament ou les Visions de 'Amram, père de Maryam, Aaron et Moïse, soit treize manuscrits. Une autre série a trait à l'époque antédiluvienne : trois manuscrits se rapportent à la Naissance de Noé de préférence à un Livre de Noé, et quatre autres au Livre des Géants. Enfin, le Livre des Paroles de Michel rapporte une vision du patriarche Hénoch probablement au cours d'un voyage céleste.

1. Le Livre des Géants

Ce dernier livre a été identifié pour la première fois par J. T. Milik, le pilier de la première équipe internationale chargée du déchiffrement, lorsque, préparant son édition des manuscrits arameens des Livres d'Hénoch, également identifiés par lui, il demanda à Jean Starcky d'avoir accès à ses manuscrits arameens regroupés alors sous l'appellation Pseudo-Hénochabcd . Il récupérait ainsi dans son lot le Pseudo-Hénochf (4Q203, primitivement Sy 6) devenu 4QGéantsa, copié par la même main qu'un manuscrit

1. Qumrân Grotte 4, XXII. Textes arameens, première partie, (4Q529-4Q549), parÉ. Puech, Discoveries in the Judaean Désert XXXI, Oxford, 2001.

2. Voir É. Puech, « Fragments d'un apocryphe de Lévi et le personnage eschatologique. 4QTestLévi°''(?) et 4Q AJa », dans The Madrid Qumran Congress. Proceedings ofthe International Congress on the DeadSea Scrolb, Madrid 18-21 March, 1991, J. Trebolle Barrera et L. Vegas Montaner éd., Madrid, 1992, p. 449 sqq. Noter le doute dans la proposition « Testament » et la n. 48 ; et J. A. Fitzmyer, « The Aramaic Levi Document », dans The Provo International Conférence on the Dead Sea Scrolls. Tecknological Innovations, New Texts, and Reformulated Issues, D. W. Parry et E. Ulrich éd., Leyde, 1999, p. 453-464 et 457sq.

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qumranien d'Hénoch, 4QHénochc. Cela lui fournissait un premier argument pour avancer l'hypothèse d'un Pentateuque hénochite3, en deux volumes (Hénoch astronomique et les Livre des Veilleurs, Livre des Géants, Livre des Songes et VEpître d'Hénoch). Ce Pentateuque aurait subsisté sous cette forme jusqu'au IV* siècle, le livret des Paraboles aurait ensuite remplacé le Livre des Géants rejeté du corpus par les chrétiens, étant donné la popularité de ce dernier chez les manichéens1. En effet, le Livre des Géants compte au nombre de leurs sept livres canoniques. Mais qu'un même scribe ait copié le Livre d'Hénoch (4Q204 = Hénochc) et le Livre des Géants (4Q203) ne prouve pas, en soi, la séquence en question d'une part5 et, d'autre part, les fragments 2-3 de 4QHénoche (4Q206) n'appartiennent pas à un rouleau d'Hénoch comme le montre l'analyse paléographique. La copie 4QHénoche (4Q206 1 et 4) est, selon nous, plus ancienne que celle de ces deux fragments (4Q206 2-3). De plus, le texte de ces fragments (4Q206 2-3) ne recouvre pas précisément celui de 4Q Géants6 (4Q533) 4 pour en faire une copie d'un texte identique dans un Pentateuque hénochite6. Il vaut donc mieux abandonner cette proposition".

Cela dit, à J. T. Milik revient le mérite d'avoir identifié avec certitude l'existence An Livre des Géants parmi les fragments araméens de Qumrân. Identification opérée, écrit-il, grâce aux noms propres donnés aux fils des Veilleurs dans ces fragments araméens et dans les fragments rédigés en moyen-perse, sogdien, parthe, ouïgour et

3. Voir J. T. Milik, The Books of Enoch. Aramaic fragments of Qumran Cave 4, with the collaboration ofMatthew Black, Oxford, 1976, p. 57 sq. et 310. Pentateuque sans doute aussi attesté, à son avis, par les manuscrits 4QHénochcl et 4QHénoch'\

4. Id, ibid., p. 58 et 319 sq. L'auteur essaie de démontrer ou du moins de suggérer que la dernière des citations du premier livre d'Hénoch sur les Veilleurs dans la chronographie de Georges le Syncelle qui les avait empruntées aux chroniques de Panodorus et d'Annia- nus, proviennent du Livre des Géants. En fait, le Syncelle a pu bloquer sous un même entête des passages extraits du Livre des Veilleurs et du Livre des Géante qu'il avait connus par ailleurs par les œuvres d'historiens alexandrins. Cela suffit-il pour affirmer que des écrivains chrétiens d'Alexandrie avaient sous la main au IV siècle un codex portant ces deux livres à la suite ? Il est permis d'en douter.

5. F. Garcia Martînez, « The Book of Giants », dans Qumran and Apocafyptic. Studies on the Aramaic Textsfrom Qumran, Leyde, 1992, 97-115, p. 97 sq. et n. 3, 102, 113 sq., accepte sans réserve l'appartenance de ce document au corpus hénochite copié dans le même manuscrit : « a différent work, of Enochic character undoubtedly. » Mais Hénoch n'est manifestement pas au centre de cette composition ! (voir n. 20).

6. Voir É. Puech, op. cit. (n. 1), « 4Q530-4Q53.3. Introduction » et sous «; 4Q533 » fragment 4 où nous avons proposé de les distinguer sous le sigle 4Q206a fragments 1 et 2. On a affaire soit à un autre passage, soit à une recension différente.

7. Hypothèse qui n'a pas rencontré les faveurs des critiques, à l'exception de F. Garcia Martmez ; pour l'appartenance à un même rouleau hénochite, voir par exemple J. C. Greenfield, M. E. Stone, « The Enochic Pentateuch and the Date of the Similitudes », Harvard Theological Review 70, 1977, p. 51-65; M. A. Knibb, «The Date of the Parables of Enoch : A Critical Review », New Testament Studies 25, 1979, p. 345-359.

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH 9

copte du Livre des Géants manichéen8. Racontant avec quelques détails l'histoire des anges déchus rapportée dans le Livre des Veilleurs, le Livre des Géants ajoute aux noms des vingt décurions angéliques descendus sur la terre aux jours de Yared, père d'Hé- noch9, des noms de Géants qui n'étaient jusqu'alors désignés que par les termes génériques àegibbarayya « les forts / héros /Géants » et nephîlayyâ, forme araméenne de nephîlîm hébreu en Gn 6. De même que dans les années 1940, W. B. Henning n'avait pas eu de peine à reconnaître dans les fragments de manuscrits manichéens retrouvés

à Turfan et à Chotsko, les noms de EeuxaCaç et de ses deux fils, 'Ohya' et Hahyah, dans les formes iraniennes Sahmîzâd, Sâhm et

Pât-Sâhm d'un fragment sogdien ou Sâm, Sâhm et Narimân en moyen-perse (fragment j), et le nom de Baraq'el dans Virôgdâd (« donné par l'éclair ») et celui de son fils Mahawaï10, de même J. T. Milik, en corrigeant quelques lectures, put identifier ces mêmes noms 1) dans un manuscrit de la grotte 1 qu'il avait publié en 1955 : Mahawaï apparaît en 1Q23 27,2 (un autre fragment offre un recoupement avec le fragment 1 du Qawân11), 2) dans au moins un autre manuscrit des « petites grottes » publié par M. Baillet en 1962 : en 6Q8 1, il y a discussion entre 'Ohya' et Mahawaï, fils de Baraq'el/ Virôgdâd,12 et 3) dans des fragments de plusieurs manuscrits de la grotte 4: Baraq'el, Mahawaï, 'Ohyah, Hahyah, Semîhazah, entre autres en 4Q203 fragments 1-2 et 4 et 813. On verra plus loin que les fragments araméens font par deux fois (4Q203 7 et 4Q530 ii 21) de Mahawaï un messager auprès d'Hénoch, et de même le fragment manichéen Sundermann en moyen-perse.

8. Voir J. T. Milik, « Turfan et Qumran. Livre des Géants juif et manichéen », dans Tradition und Glaube. Dasfrùhe Christentum in seiner Umwelt. Festgabefur Karl GeorgKuhn zum 65. Geburtstag,. G. Jeremias, H.-W. Kuhn et H. Stegemann éd., Gcittingen, 1971, et Id., op. cit. (n. 3), p. 298 sqq.

9. Voir / Hénoch 6 :7-8, liste retrouvée à peu près intégralement dans un manuscrit en araméen de Qumrân.

10. Voir W. B. Henning, « The Book ofthe Giants », Bulletin ofthe School of Oriental and African Studies XI, 1943-1946, p. 52-74, spécialement p. 59 sq. et 70, (T ii S 20 I recto 1- 17} en sogdien, voir aussi P. O. Skjaervo, « Iranian Epie and the Manichean Book of Giants. Irano-Manichaica III »,Acta Orientalia Academiae Scientiarum Hungaricae 48/1-2, 1995, 187- 223, p. 199 : «... et ce qu'ils ont vu dans le ciel parmi les dieux, et aussi ce qu'ils ont vu dans l'enfer, leur patrie, et encore ce qu'ils ont vu sur la terre : tout cela, ils ont commencé à l'enseigner aux hommes. A Semîhazah deuxf ?) fils ont été enfantés par [...] L'un d'eux il nomma '( )hvâ qui s'appelle Sâhm le Géant en sogdien. Et puis un second fils lui naquit. Il le nomma 'Ahyâ, ou Pât-Sâhm en sogdien. Quant au reste des Géants, ils sont nés aux autres démons et Yaksas » du chapitre intitulé « La venue des deux cents Démons ».

11. Voir J. T. Milik, art. cit. (n. 8). p. 120 ; Id., op. cit. (n. 3), p. 302 ; W. B. Henning, art. cit. (n. 10), p. 57 et 61, fragment I (p. 2).

12. Voir M. Baillet dans Les « Petites Grottes* de Qumrân, par M. Baillet, J. T. Milik, R. de Vaux. Discoveries in the.Judaean Désert of Jordan III, Oxford, 1962 ; J. T. Milik, art. cit. (n. 8), p. 119; et Id., op. cit. (n. 3), p. 300 sq. (fragment qui rappelle le fragment c du Qawân en moyen-perse : W. B. Henning, art. cit. [n. 101, p. 56 sq. et 60), et p. 309 pour 6Q8 2.

13. Voir J. T. Milik, art. cit. (n. 8), p. 124, et Id., op. cit. (n. 3), p. 311 sqq.

10 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

2. Les manuscrits

Grâce à ces noms de Géants et à quelques recoupements avec les fragments du Qawân manichéen, Milik réussit à identifier correctement six copies. A 1Q Géants (1Q23), 6Q Géants (6Q8) et 4QGéantsa (4Q203), il ajouta 4QGéantsbc<i (4Q530, 4Q531 et 4Q532) auxquelles il joindrait même cinq autres copies mais trop mal conservées pour en être assuré : 1Q24, 2Q2614, 4QHénoche (4Q206) 2-3 et deux autres du lot Starcky (il s'agit très probablement de 4QGéantse (4Q533) où il voit un recoupement avec 4Q206 2-3)15.

Enfin, il envisageait d'y rattacher, d'une manière ou d'une autre, quatre à cinq manuscrits concernant un passage en rapport plus ou moins direct avec le Livre des Géants qui devait se situer vers la fin de l'ouvrage : il s'agirait des quatre manuscrits de la Naissance de Noé (4Q534 à 4Q536 et 1Q19) et 4Q186 (horoscope-physiognomoniëf6.

Ce premier essai d'identification doit, nous semble-t-il, être quelque peu modifié. On peut estimer à huit le nombre de copies du Livre des Géants : 1Q23, 2Q26, 4Q203, 4Q530 à 4Q533 (4QGéantsabcde) et 6Q8, probablement même à neuf, avec 4Q206a, peut-être même à onze puisque paraissent devoir s'y rattacher les manuscrits 1Q24 et 6Q14 où l'éditeur, M. Baillet, y a vu le thème du Déluge17. Quoi qu'il en soit de ce point, le Livre des Géants est aussi bien représenté, sinon mieux, à Qumrân que le Livre d'Hé- noch : connu par huit manuscrits : 4QHénocha g et 7QHénoch grec (= 7Q4+8+11 à 15)18, et quatre manuscrits à'Hénoch astronomique : 4QHénoch astronomique"1**119. La plus ancienne copie, 4Q530

14. Id., op. cit. (n. 3), p. 309 et 334 sq. ; voir W. B. Henning, art. cit. (n. 10), p. 57 et 60 : fragment j, 1. 34-39 en moyen-perse. Voir infra.

15. J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 237 sq. et 309. Mais il est difficile de savoir à quel autre manuscrit de Starcky il fait allusion pour une cinquième copie, alors qu'en « Turfan et Qumran » (art. cit. [n. 8], p. 126), il n'en mentionne que « quatre autres ».

16. J. T. Milik, art. cit. (n. 8), p. 126 ; Id., « Problèmes de la littérature hénochique à la lumière des fragments araméens de Qumrân «, Harvard Theological Review 64, 1971, 333- 378, p. 366 sq. ; Id., op. cit. (n. 3), p. 309 et 55-58.

17. M. Baillet, op. cit. (n. 12), p. 127 sq. La question de l'appartenance de papyrus4Q489 et de papyrus4Q490 au Livre des Géants peut se poser mais reste sans réponse claire ; voir Qumrân Grotte 4 III, par M. Baillet, Discoveries in the Judaean Désert of Jordan VII, Oxford, 1982, p. 10 sq. Pour un décompte différent, voir dernièrement L. T. Stuckenbruck, The Book ofGiants front Qumran, Tùbingen, 1997, p. 41. Les sigles et la numérotation des fragments de cette publication pirate ajoutent à la confusion.

18. Voir E. Muro, « The Greek Fragments of Enoch from Qumran Cave 7 (7Q4, 7Q8, 6 7Q12 - 7Q En gr - Enoch 103 :3-4, 7-8) », Revue de Qumrân 70, 1997, p. 304-312 ; É. Puech, « Sept fragments grecs de la Lettre d'Hénoch (1 Hén 100, 103 et 105) dans la grotte 7 de Qumrân (= 7QHéngr) », Revue de Qumrân 70, 1997, p. 313-323.

19. J. T. Milik, art. cit. (n. 8), p. 126, et Id., op. cit. (n. 3), p. 309, estime la popularité du Livre des Géants dans le milieu juif-essénien plus grande que celle d'autres écrits héno- chites, comparable à celle du livre des Jubilés et de plusieurs livres hébreux canonisés plus tard par les Pharisiens.

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH 11

(Géantsb) paraît dater vers 100 ou, au plus tard, du début du Ier siècle av. J.-C.20. Mais la composition nous paraît devoir se situer dans la première moitié du IIe siècle av. J.-C.21, elle est certainement antérieure à l'exil à Qumrân en 152 av. J.-C.

Malgré le nombre de copies et quelques très rares recoupements, retrouver la séquence du récit n'est pas tâche aisée. Le thème général de l'ouvrage est sans doute connu par les brèves indications de Genèse 6 et les quelques développements du Livre des Veilleurs (1 Hén. 6-16), an Livre des Songes (1 Hén. 86-88), de la Lettre d'Hénoch (1 Hén. 106) et de Jubilés 5 ou encore de lQApo- cryphe de la Genèse II, mais subsistent nombre de questions posées à l'éditeur de manuscrits très fragmentaires. Une fois l'identification des fragments et les joints matériels effectués22, la première question à résoudre est celle de leur ordre. L'éditeur dispose pour cela essentiellement de la forme des cassures et du contenu des fragments quand il est saisissable. Vient alors la recherche des séquences vraisemblables au moyen de joints à distance. Ainsi Milik réussit-il une fois encore à trouver l'organisation de la plupart des plus gros fragments de 4Q530 sur trois colonnes successives, même s'il a été possible d'améliorer leur déchiffrement et de mieux les raccorder". Avec des fragments plus nombreux, 4Q531 (Géants") a certes conservé des restes d'un plus grand nombre de colonnes, mais leur mise en ordre exige encore un patient travail qui, vu les délais imposés à la publication, n'a pu être mené à son terme24. Toutefois aucun recoupement n'a pu être relevé entre ces

20. Le plus grand nombre de copies date de l'époque hasraonéenne : 4Q530, 4Q532, 6Q8, 4Q533, 4Q531, 1Q24, 4Q206a, et quelques-unes de l'époque hérodienne ancienne : 4Q203, 1Q23 [hasmonéen tardif pour F. Garcia Martînez, art. cit. (n. 5), p. 100], 2Q26, et tardive : 6Q14. J. T. Milik, op. cit. (ri. 3), p. 183, estime le rouleau 4QHénr (du même scribe que 4QGéants") copié à partir d'un manuscrit du dernier quart du II" siècle. Cette conclusion tient à son hypothèse d'un pentateuque hénochite mais Hénoch n'est pas l'auteur du Livre des Géants, il intervient toujours à la troisième personne.

21. Sur ce point, voir É. Puech, Discoveries in the Judaean Désert XXXI : « 4Q530 à 4Q533. Introduction ».

22. Ainsi semblent joindre 1Q23 1 f 22 (f 6 ?), 9 f 14 {*■ 15 ?), 16 + 17, et 24 f 25, ligne 4, à lire ainsi : jkjtik "?[j>] ]l>û<aT [npin>, « <~de nouveafu ]grossirent> les eaux [su]r la terre[ », évoquant certainement le Déluge. Mais il n'y a pas de joint en 4Q203 2 et 3, et 1Q23 29 ne semble pas recouper 6Q8 1,4-5, ni 4Q206a 1 ne recoupe directement 4Q533 4 ; enfin 4Q203 7A-B i n'appartiennent pas à une même colonne, contrairement aux suggestions de J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 311, 312 sqq., 236 sqq., suivi par L. T. Stuckenbruck, «The Sequencing of Fragments Belonging To the Qumran Book ofGiants : An Inquiry into the Structure and Purpose of an Early Jewish Composition », Journal for the Study ofthe Pseu- depigrapha, 16, 1997, 3-24, p. 17 pour 4Q203 2 \- 3, et Id., The Book ofGiants from Qumran, Tùbingen, 1997, p. 69sqq.

23. Voir J. T. Milik, art. cit. (n. 8), p. 121-124, et Id., op. cit. (n. 3), p. 303-306, ainsi qu'il le reconnaît lui-même.

24. Plusieurs auteurs ont proposé des séquences en tenant compte de ces fragments et des fragments manichéens, mais des divergences importantes font douter du résultat. Voir dernièrement L. T. Stuckenbruck, op. cit. (n. 17), p. 11-24, et Id., art. cit. (n. 22), p. 3-24.

12 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

deux copies ; on ne peut donc rien attendre des autres manuscrits de la grotte 4 pour la restauration de la séquence fragmentaire de 4Q530 sur les songes, la plus longue qui nous soit parvenue, toutes versions du Livre des Géants confondues, mis à part le Midrash de Semhazaï et 'Aza'el, une légende juive du Moyen Âge sur la chute des anges25.

3. Les songes

Les diverses propositions de reconstruction du contenu du livre butent, entre autre, sur le nombre de songes des deux fils de Semîhazah auxquels semblent faire allusion plusieurs fragments : le Livre des Géants comprenait-il deux songes ou beaucoup plus ? Le Midrash ne connaît qu'une paire de songes. Le Géant 'Ohyah voit une grande pierre en forme de table (slhri) portant des signes d'écriture. Un ange descend du ciel et efface l'inscription sauf quatre mots. Son frère Hahyah voit un jardin (prds) planté d'arbres ; un ange descend du ciel, abat les arbres et ne laisse subsister qu'un arbre à trois branches. Et leur père Semîhazah leur explique le sens de ces deux songes.

Dans son étude, J. Reeves s'en tient aux deux songes du Midrash de Semhazaï et 'Aza'el et organise les fragments en conséquence. Il croit que c'est pour les expliquer que le Géant Mahawaï se rend auprès d'Hénoch le scribe lors d'un unique voyage auquel fait allusion, avec plus de détails que 4QGéantsb, un fragment manichéen en ouïgour qui parle du fils de Virôgdâd, et on sait que Baraq'el est le père de Mahawaï en 6Q8. Le fragment ouïgour renseigne seulement sur le rôle d'intermédiaire prêté au Géant Mahawaï comme on le voit aussi dans le fragment moyen-perse Sun- dermann, en 4Q203 7 ii, en 4Q530 ii 21 et en 6Q8, mais il ne dit rien sur sa mission.

La réponse d'Hénoch consignée sur deux tablettes26 est bien suggérée par 4Q207 7 ii puisqu'une de ces tablettes n'a pas été lue et la lettre-réponse d'Hénoch pourrait être la transcription de cette deuxième tablette. Mais rien n'indique que ce soit le déchiffrement par Hénoch d'un songe d'un des deux frères, tels que le Midrash les présente. 4Q530 ii, en sa lecture améliorée, montre que les songes d"Ohya' et d'Hahyah ne sont pas entièrement identiques à ceux dont fait mention le Midrash.

25. Pour ce Midrash hébreu de Moyen Âge, voir l'édition du texte et la traduction par J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 321-331.

26. J. C. Reeves, Jewish Lore in Manichaean Cosmogony. Studies in the Book ofGiants Traditions (Monographs of the Hebrew Union Collège, 14), Cincinnati, 1992, p. 105 sq.

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH 13

En effet, la mention, dans les fragments araméen et ouïgour27, du voyage céleste de Mahawaï volant comme un aigle, celle de la voix d'Hénoch qui l'interpelle et celle d'une réponse d'Hénoch sont- elles suffisantes pour identifier les deux récits et les ramener à la description d'une scène unique ? Milik avait proposé de les distinguer, en attribuant le fragment ouïgour à une autre rencontre suite à une première série de deux songes, et le passage araméen de 4QGéantsb (4Q530) à une deuxième série28. Cette distinction fait- elle davantage justice au texte en attribuant la mention des tablettes en 4QGéantsa (4Q203), fragments 7B i-ii29 et 8, à la première plutôt qu'à la deuxième série ? Telle est la question qui se pose. Pour essayer de voir plus clair dans cette affaire, on doit prendre en compte tous les fragments de manuscrits retrouvés.

Le manuscrit 4QGéantsa (= 4Q203) : . Fragment 7 A 3-7*:

'ta force[...] 4

vacat[] 5 Al [ors] 'Ohyah [dit] à Hahya[h, son frère...]

6(à) nous[ et en]chaîne 'Aza[z'e]l et fais[...] 7 les Géants, et le [s a]n[ges] épargneront tous [leurs] comfpagnons (?)...

• Fragment 7B i 3-4 et ii 2-4 : i '*...] des Veilleurs 4 [... par] sa [for] ce il nous a emprisonnés et il t'a vaincu31

27. W. B. Henning, art. cit. (n. 10), p. 65 : « 'page I)... fire was going to corne out. And [I sawj that the sun was at the point of rising, and that [his ?] centre without increasing (?) above was going to start rolling. Then came a voice from the air above. Calling me, it spoke thus : "Oh son of Virôgdâd, vours affairs are lamentable l ?}. More than this vou shall [not] see. Do not die now prematurely, but turn quickly back from hère. " And again, besides this (voice), I heard the voice of Enoch, the apostle, from the south, without, however, seeing him at ail. Speaking my name very lovingly, he called. And downwards from... then (page II)... * ...for the elosed door of the sun will open, the sun's Hght and heat will descend and set vours wings alight. You will burn and die ". said he. Having heard thèse words, I beat my wings and quickly flew down from the air. I looked back : Dawn had...., with the light of the sun it had corne to rise over the Kôgmàn rnountains. And again a voice came from above. Bringing the command of Enoch, the apostle, it said : " I call you, son of Virôgdâd,... I know... his direction... vou... vou... Now quicklv...people...also... ". »

28. J. T. Milik. art. cit. fn. 8), p. 123, et Id., op. cit. 'ri. 3), p. 314, mais voir p. 335. 29. Contra K. Beyer, Die ararruiischen Texte vom Toten Meer, Gottingen, 1984, p. 261 :

'G 3', et 263 'fi 7b\ qui attribue ces deux colonnes «l'un même fragment à des séquences tout à fait différentes.

30. Voir J. T. Milik, op. cit. 'n. 3), p. 312 sqq., suivi par F. Garcia Martînez, art. cit. fn. 5), p. 103. Le fragment 7 A 1-7 ne peut appartenir à la même colonne que 7B 1-5. L'éeartement des lignes dans une écriture calligraphique s'y oppose, la présence de deux ]'"no dans la même ligne renforcerait cette remarque. Le fragment doit appartenir à la colonne précédente. La lecture ~\0[Wi] est assurée à la I. 6, »rD«f7[D]i à la 1. 7 est très probable, et fpnyipn est possible. Voir le fragment manichéen Henning i i'l. 6-7 en moyen-perse où les anges protègent Hénoch i W. B. Henning, art. cit. n. 101, p. 62h

31. Pour la lecture rïrtrn. voir 4Q53Ï 22 3 : "jm Vn «fpra. En 7B i 2, comprendre sans doute : « 2\...] Alors les malades («'bn ?) répondirent »

2000 2

14 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ii 2

( ) à toi, Mahjawaï...] 3 les deux ( ) tablettes [...] 4 et la deuxième jusqu'à maintenant n'a pas été lu[e...

• Fragment 8 3-15 : Un beau fragment, appartenant probablement à la colonne suivante, fait connaître une partie de la seconde lettre d'Hénoch à Semîhazah et à ses compagnons32:

3 Copie de la seconde tablette de la l[ettre...] 4 dans l'autographe d'Hénoch, le scribe de discernement33,

[... (Raphaël ?), le Veilleur] 5 et le saint, à Semîhazah et à tous [ses] compagnons... disant: ]

6« Qu'il soit connu de vous qu[e tou]t[...] 7 et vos œuvres et celles de vos femmes [...,] 8 eux-mêmes [et leurs] fils et les femmes de [leurs fils...] 9 par votre luxure sur la terre. Et [la terre] sera contre vo[us...

et elle se plaint] 10 et vous accuse, ainsi que les œuvres de vos fils, [et sa voix est montée jusqu'aux portes du ciel, se plaignant et (vous) accu

sant de] 11 la corruption par laquelle vous l'avez corrompue. » vacat [... ]n jusqu'à la venue de Raphaël. Voici, [la] destruction

[viendra sur ceux qui...] 13 et ceux qui (vivent) dans les déserts et ceux qui (vivent) dans les mers. Et l'interprétation de [cette] affai[re( ?)...

retombera] 14 sur vous pour le pire. Et maintenant, déliez votre lien, ce qui [vous lie à la terre/aux femmes...^ 15 et priez, vacat

Cette seconde tablette, présentée comme une autographe même du scribe Hénoch, probablement dictée par l'archange Raphaël l'exécuteur du jugement divin (voir 1. 12 et 1 Hén. 22 :6 ; 10 :4 ; 12 :4-6,...), est transmise au chef des Veilleurs, Semîhazah, par le

32. Voir J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 314 sqq., et Id., art. cit. (n. 8), p. 125 sq., avec les restaurations de Milik aux 1. 9-10.

33. Milik a proposé de comprendre l'expression comme « the distinguished scribe - le scribe distingué », mais ce sens ne paraît pas très approprié. Si Hénoch est généralement qualifié de « scribe de vérité » {lHén. 12 :4 ; 15 :1), il est ici celui qui va interpréter les songes pour les Géants (4Q530 ii 14-15). Quoique proche de nos, la racine ens ne devrait pas être identique. Elle signifie plutôt « séparer, discerner, expliciter » et twis aura donc le sens de « discernement », sens qui convient à tous ces passages du Livre des Géants et à un emploi sur un ostacon d'Éléphantine : «rte *> vnscb rfr nrf7m ; voir aussi H. J. Polotsky, « Aramàisch prs und das " huzvaresch " », LeMuséon 45, 1932, p. 273-283.

34. F. Garcia Martinez, art. cit. (n. 5), p. 103, voit ici une allusion à l'enchaînement des Veilleurs. Mais il est bien plus vraisemblable qu'Hénoch leur conseille de se libérer du lien qui les lie aux femmes qu'ils ont épousées, et de se repentir en priant.

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH 15

messager Mahawaï. Le fragment parthe N de Henning35 fait allusion à un conflit à trois : 'Ohya' opposé à Léviathan (le dragon combattu par Ogia du Décret de Gélose™) et Rôfa'îl qui doit détruire 'Ohya'. On peut rapprocher le fragment manichéen Sundermann L (page I recto 1-13) en moyen-perse. • Fragment Sundermann L, I recto 1-1337 :

(Au sujet de) Mazendaran. l « Ne tarde pas ». De nouveau il dit : 2 «Ces deux tablettes, 5 emporte(-les) où c'est écrit. 4 Apporte d'abord à Narimân 5 le message. Pourquoi 6 courrez-vous aussi furieusement ? Je suis venu " maintenant et j'ai apporté ces 8 deux tablettes parce que je dois lire devant <J les Géants celle concernant Mazendaran'. 10 Sahmîzâd dit: «Lis " la lettre du scribe Hénoch », n [ ] ce qui du ri discours concerne Mazendaran.

Dans le manuscrit araméen 4Q203 8, après l'accusation vient la sentence : une destruction complète, probablement un déluge, aux pires conséquences pour les Géants, et même leur prière sera vaine (voir / Hén. 14 :3-7). Mais à quelle série de songes s'adresse l'interprétation de cette seconde tablette ? Si on accepte la séquence sur quatre colonnes des fragments 7A, 7B i-ii et 8 en 4Q203, la première tablette devrait concerner un premier enchaînement des Géants et la défaite du ou d'un chef des Veilleurs, peut-être 'Azaz'el (?). Quoi qu'il en soit, on ne peut en rester au cadre simplifié du Midrash de Semhazaï et 'Aza 'el.

En effet, dans la présentation des deux songes dans le Midrash, vient en premier 'Ohyah qui voit une grande pierre comme une tablette couverte d'écriture et un ange descendant des cieux, un couteau à la main, effaçant toutes les lignes à l'exception d'une seule avec quatre mots, puis, en second, Hahyah qui voit un jardin planté d'arbres de toutes sortes et un ange descendant des cieux, une hache à la main, coupant tous les arbres à l'exception d'un seul avec ses trois branches58. En cela le Midrash suit l'ordre et le contenu du fragment manichéen Henning j (1. 34-42) en moyen- perse. Toutefois, le contenu du premier songe a laissé des traces dans l'unique fragment araméen du manuscrit 2Q26 et celui du second en 4Q530 ii que recoupe le papyrus 6Q8 239.

35. Voir W. B. Henning, art. cit. (n. 10), p. 71 sq. 36. Liber de Ogia gigante qui post (lire ante.7) diluvium cum dracone. ab hereticis pugnasse

perhibetur apocryphus . Voir J. T. Milik, art. cit. (n. 8), p. 120, et Id., op. cit. (n. 3), p. 299. 37. Voir W. Sundermann, « Ein weiteres Fragment aus Manis Gigantenbuch », Orientalia

J. Duchesne-GidUemin emerito oblata, (Acta iranica 11/23, Hommages et opéra minora 9), Leyde, 1984, 491-505, p. 495 sqq., fragment reétudié par P. (). Skjaervo, art. cit. (n. 10), p. 200.

38. En 4Q530 ii 9-11, il s'agit de trois racines ou rejetionsj. 39. Voir E. Puech, « Les fragments 1 à 3 du Livre des Géants de la grotte 6 (pap6Q8) »,

Revue de Qumrân 74, 1999, p. 227-238, avec J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 309, J. C. Reeves, op. cit. (n. 26), p. 87 et 95, contra L. T. Stuckenbruck, op. cit. (n. 17), p. 202 sq., et Id., art. cit. (n. 22), p. 14 sqq. et 18, qui distingue ces deux passages, et K. Beyer, op. cit. (n. 29), p. 264 sq.

16 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

• Fragment manichéen Henning j (1. 33-42)40 : « (33)... sur la tablette (et) [donne-le] aux anges des cieux.

Une tablette il jeta..., une autre dans l'eau. Finalement... (37) dans un songe ('Ohya' ?) vit (une tablette avecj trois signes [dessus ?), [un présageant...], un, malédiction et fuite, et un... destruction. Narimân vit un jarfdin plein d'] (40) arbres en rangées. Deux cents... sortirent, les arbres... »

Comme 4Q530 ii 6-20 porte, à la suite, les songes des deux frères, Hahyah et 'Ohyah, et que le seul qui soit comparable, est le songe d'Hahyah sur le jardin planté d'arbres qui occupe la première place, il est plus que probable que cette copie araméenne, la plus ancienne connue, ait gardé la séquence originale dont elle est très proche dans le temps. S'il en est bien ainsi, le songe d"Ohyah sur la grande pierre ou tablette inscrite devait prendre place dans une autre série de songes, à l'origine d'une première entrevue avec Hénoch, le scribe de discernement, comme le rappelle ensuite explicitement 4Q530 ii-iii où cette seconde intervention d'Hénoch fait suite au voyage du messager Mahawaï après les deux songes sur le jardin et sur le jugement. De même, le fait que, dans le fragment manichéen Sundermann L en moyen-perse page I recto, Mahawaï rapporte à Narîmân (= Hahyah) le message d'Hénoch sur une tablette, semble signifier que Narîmân (Hahyahj avait eu lui aussi un autre songe'1, différent de celui d"Ohyah sur la pierre/tablette.

De son côté, 2Q2642, est à rapprocher de, et à comparer au fragment manichéen Henning j en moyen-perse, 1. 34- 3843, et au Midrash de Semhazaï et 'Aza 'el (§ 9) : • Le manuscrit 2Q26 1-4 :

1... et] ils lavèrent la tablette pour ef[facer... 2...] et les eaux recouvrirent la tablette [... 3..]. et ils retirèrent de l'eau la tablette sur laqu[elle étaient écrites des lignes d'écriture...

40. Voir W. B. Henning, art. cit. (n. 10), p. 57 et 60 et n. 7 : « (34)... over Taxtag/the board. To the angels... from heaven. Taxtag/the board to... Taxtag threw/the board was thrown into the water. Finally (?)... (37) in his sleep Taxtag ('Ohva' ?) saw (a tablet withj three signs, [one portending...], one woe and flight, and one... annihilation. Nariman saw a gar[den full of] (40) trees in rows. Two hundred... came out, the trees... » ; voir J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 334 sq., où l'auteur suggère avec raison une émendation à la 1. 37, voir aussi W. Sundermann, art. cit. (n. 37,, p. 492, et P. (). Skjaervo, art. cit. (n. 10), p. 201, que nous avons suivi dans la traduction.

41. Voir W. Sundermann,, art. cit. (n. 37), p. 495. 42. M. Baillet, op. cit. (n. 12), p. 90 sq. A la 1. 4, au lieu de ]•*»• -rb --m-[ de l'éditeur ou

de ]-"7D ]nb[]nn[ de J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 334, lire en toute certitude fx> son* eu rnn ]rt? juftro ]nh>{ ijprrafi. Le pronom suffixe féminin ]rfr doit reprendre KVrrno • lignefsj (d'éeriturej » qui est féminin et priD reprend et confirme par le fait même la lecture pi-if»1? de la 1. 1. À la 1. 2, jmnrifa est assuré. Noter qu'en 1Q23 31 2, on lit aussi le mot ]nrrf?[.

43. Voir supra, n. 39.

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH 17

4... et ils] les effacèrent toutes [, excepté une avec quatre mots... • Le Midrash de Semhazaï et Aza 'et f§ 9)44 :

Une nuit, pendant qu'ils dormaient, les deux fils de Semhazaï, Haya' et 'Ohayah, virent l'un et l'autre des songes. L'un d'eux fOhyah ?) vit une grande pierre couchée sur la terre pareille à une table, elle était entièrement recouverte de lignes (d'écriturej. Et un ange descendit du firmament avec un couteau dans sa main, il érasait et martelait toutes les lignes, sauf une portant quatre mots.

En 4Q530, après des discussions très animées entre Géants soulevées très certainement par la lecture de la première lettre d'Hé- noch, qui devait faire suite à une première paire de songes et à l'annonce de châtiments pour les uns et les autres, Veilleurs et Géants, le récit rebondit avec une autre paire de songes des deux mêmes frères, les fils de Semhazaï, l'envoi en mission de Mahawaï auprès d'Hénoch pour une deuxième fois et le début de l'interprétation d'Hénoch le scribe sur le premier songe :

. 4Q530 ii [= Frgs 2 ii + 6 + 7 i + 8 + 9 + 10 + 11 + 12(?)] Parallèle : 6Q8 3 + 2 (souligné)

marge supérieure

rh ~iq« i k{q}ï \m 'in» rrnpK]i vrnan ta i?[y\] kdps: ma bv 1

wwt> ob Krrri nos] bu f[i rinanm «ns« cmmm &nibi 2

ynbn pmn ra^n ymi -nibs ^ppi û]^n«i nrn tr-n: uwbv nm 3

]irrr» innpi {liapi jirraa jin*fô[ n»} lapi pnao iirrrrnn» rrui 4

rirrro» f?B vin 5

[»n] p r"^h?3 «m n;in -oVnp n» «raj n^nn "ow wb**n 6

]*poo mm ]']]: #n [ ni^n y»» tq "tds nn-^3 nin ran nraa] 7

jpirnp» ]a Tpsn pnan ]*lôpen (?)riav ta ki nrojj vu tai 8

p ~n; "i ]*ïïh ;i isj n"ifi[ «rn -mpip nn'pn ips] in vv pi] 9

taa p^"r «-iw r'd tan »"i[sy -ODn» h ir n"in «m inn; 7-001 10

pin (?)irn '1Î5 Kihâp -menen «ura p^i k*?i nta p t^piia t»] 11

vacat xnbn *]io 10 ir «1^130 h ami 113 h ]Tota maure] 12

44. Voir J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 325 et 328.

18 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

n7 mrf? imaa in3©n[ «7i n/«Q7n -ics n"nn pn7 7«o p«D] 13

W7 thdsti «dis -iso1? irnit»] ]nri ri «nfrn (?)7«ïî27 ~id«i «p7[n] 14

*]« «naa Dip in»i rrniK 'mn« «nn nï[2 ip«3 e«c «D7n 15

nm «2-i«7 wqv ]û7c «fi[] «i-oa p R*y?a 'a7nn n-m n» 16

n7 i^s^» »]7« ]'DD©a n7 ]<i«[d n«Q Din11 «ai «onpi lam11 |ionDi 17

]m TDK pi Trns intso (?)]i~i«i i^DKp «m Tnanq? ]7p ]H30] 18

7n «noni rn 73 7i?[ «an -put cr^ni unfnan Thp iiron «mi 19

«na: 73 i7nî[ tu vacat ]«D7n cjio n3 is yàvbv n 73] 20

l'on 72 mrfwn «">-q:[0) (?)*rTran ]nôpp7 nn«i tiq lipp w^smi 21

h n37 «n^m «nn«[ nn~i]«[ h '•m'?!? ]7m n7 tid«i iiponi] 22

naa «73 m «^a^n ip^is n5[7 ]«irr h n7 -ia«i n7p «nuoô rpip 23

raraf [ (?)]irrra von» nn tith ]n vœpï ;îtch5 ô[r] 24

marge inférieure Frg. 7 ii

marge supérieure

l ]°]n 1

c ]£[ nu> 2

[ ] «nna n3~i« rnra 3

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no n7 mm n37 t& nrra n7 ~in«i nprn -]"on[ "jntfn 6

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[73 H «'ID7n pn H «"1DS] 73V1 ]H «U1« '7-SH 731 1"7Ô7 8

[72 «ans -iso h no3m rnao ]7[2 ipim ynniaTDa w ]n 9

rinn(7) «'Qbn -fan nos )H«3 e«c ijpjfrnBs yn nip n rranj 10

h ]-T2 ]i3« mnp te© p -n ppa 72 (n7) tdki] il

45. Pour l'édition de ce passage, les justifications et le commentaire perpétuel, voir É. Puech, Discoveries in the Judaean Désert XXXI, op. cit., in loco.

LES SONGES DES FILS DE SEMIIJAZAH 19

Traduction de 4Q530) ii et iii 1-11 (// 6Q8 3+2 souligné)45 ii l au sujet de la mort de nos âmes, [et entrèrent tous ses compagnons, et ["O]hyah leur fit savoir ce que lui avait dit 2 Gilgamis et H[ô]babis hurla, et fut prononcé un [jujgement au sujet de son âme. Et le coupable maudit les princes 3 mais les Géants se réjouirent à ce/son sujet. Et il revint et \\fut maufdit et il porta plainjte à ce/son sujet. Ensuite, deux d'entre eux rêvèrent des songes 4 et s'enfuit d'eux le sommeil de leurs yeux et ils se lejvèrent {d'eux le sommeil de] leurs yeux, et ils se levèrent} [et] ils [oulvrirent leurs yeux 5 et ils vinrent auprès [ de Semhazaï, leur père. Et ensuite ] leurs songes <ils> racontèrent dans l'assemblée de [leurs]

compagnons,] 6 les Nephîlîn. [ EtHahyah dit : « Une chose extraordinaire, moi, dans ]mon songe j'ai vue cette nuit. [Voici: 7 Un grand jardin était planté de toutes sortes d'arbres et] il y avait des jardiniers et ils arrosaient 8 [chaque arbre dans ce jardin tous les jours/avec beaucoup de soin (?), et des raci]nes énormes sortirent de leur souche 9 [et d'un arbre sortirent ses trois rejetons.] Je [regard] ais jusqu'à ce que des langues de feu depuis 10 [les deux descendissent. Je regardais jusqu'à ce que ]le [so]l [fût recouvert] par toutes les eaux et (que) le feu incendiât tous 11 [les arbres de ce parc tout entier et il ne brûla pas l'arbre et ses rejetons sur ]la terre \ors[qu elle fut 12 dévastée par les flammes du feu et par les eaux d]u [Déluge.] » Ici finit le songe, vacat. " \Ensuite, Hahyah leur demanda la signification du/de son songe mais ]les Géants [ne] furent [pas] capables de lui expliquer 14 [le solng[e. Et il dit à 'Azaz'el(?)} : « Ce [son]ge, donne(-le) [à Hénoc]h, le scribe de discernement, de sorte qu'il puisse interpréter pour nous 15 le songe. » vacat Ensuite, son frère 'Ohyah [répjondit et dit devant les Géants : « Moi 16 aussi j'ai vu dans mon songe, cette nuit, une chose extraordinaire : " Voici, le Souverain des cieux descendit sur la terre 17 et des trônes furent disposés et le Saint, le Grand, s'assift, une centaine de cenjtaines le servait, mille milliers lui 18 [rendirent hommage,] t[ous, de]vant lui, se tenaient, et voici, des [livr]es furent ouverts et un jugement fut prononcé. Et le jugement du

20 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

19 [Grand dans un livre] fut [écjrit et d'une signature fut signé, car [le Grand règne] sur tout vivant et (toute) chair et sur 20 tous ceux qui] exercent [une domination. " » Ici finit le songe, \yacat Et voici que] prirent peur tous les Géants 21 [et les Nephîlîn, et ]ils convoquèrent Mahawaï et il vint à l'a[sse]mblée def ses compagnons,/ d[es Nephîlîn et/, ]les/des

Géants, et ils l'envoyèrent auprès d'Hénoch, 22 [et] ils[ délibérèrent et ils lui dirent : « Va [auprès de lui, étant donné que les] che[mins ]du lieu tu as identifiés puisque 23 une première fo[is] tu as entendu sa voix, et dis-lui qu'il te fasse connaître l'inter[pré]tation des songes et que tout soit apaisé 2i [avjee ceux qui le désirent vraiment ardemment, s'ils y ont introduit la ruse/trahison [ [entre eux ?)] vacat

iii\Si[...] 2 encore[... sur (?)] * la requête du délai des Géants [...Mahawaï ... et il s'éleva (?)] 4 comme des tourbillons et il vola avec ses mains {comme

(des) tour-} comme [un] aig[le vers l'est de la terre et il passa

par- dessus] 5 la terre habitée et il traversa les solitudes, le Grand-Désert,

[et ils 'en éloigna en direction du Paradis de Justice, ] 6 et Hénoch le vit, et il lui cria et lui dit : " Mahawaï, q[ue

t 'arrive- 1- il ? " Et Mahawaï lui répondit : " J'ai été envoyé] I ici et auprès de toi, une deuxième fois, pour que tu

[me/nous] sois [P] interprète des deux songes et nous/j'écoute-

rai/ons] 8 tes paroles, ainsi que tous les Nephîlîn de la terre, une fois que sera rapportée [l'interprétation des deux songes puisque

tout] 9 un chacun (l')ajur[é par] son [serme]nt. Et elle semfon[dée

su]r[ la science et la sagesse du scribe de discernement étant[ 10 donné que nous] connaîtrons de toi le[ur] interprétation. "

[ vacat Ensuite Hénoch interpréta les songes pour Mahawaï II et il (lui) dit : " Au sujet des jardiniers qui [sont] desfcen- dus] des cieux, [ce sont des Veilleurs qui descendirent du temps

de Yared, 12 mon père,...®

46. Comparer le fragment manichéen D en moyen-perse : « ...outside... and... left.... read the dream we hâve seen. Thereupon Enoch thus.... and the trees that came out, those are the Egregoroi, and the giants that came out of the women. And over... pulled out... over... » ; voir W. B. Henning, art. cit. (n. 10), p. 66 et Id., « Ein manichàisches Henoch- buch », Sitzungsberichte der preussischen Akademie des Wissenschaften, 1934, p. 27-35.

LES SONGES DES FILS DE SEMIHAZAH 21

En améliorant les raccords des fragments proposés par Milik, en y ajoutant quelques bribes de manuscrit et en poussant plus avant le déchiffrement à l'aide du microscope pour tenir compte de toutes les traces de traits de cette écriture semi-eursive très difficile à lire, il a été possible, semble-t-il, de retrouver un texte suivi très cohérent. Mais il restait encore le passage très mal conservé des 1. 6- 13 sur le songe d'Hahyah. Toutefois, bien que sans recoupement préservé, la restauration du songe sur le jardin planté d'arbres dans la copie de 4Q530 ii 7-12 a été possible grâce à des corrections et à un réarrangement des deux fragments ('3 - 2) du papyrus 6Q8 par des joints à distance. Cette restauration a été vérifiée par la réécriture du même texte dans les deux graphies en suivant la disposition des colonnes dans les deux manuscrits, comme nous l'avons montré ailleurs'7. Ainsi, une colonne de six lignes en 6Q8 et une colonne complète de 24 lignes en 4Q530 reprenaient forme et il était encore possible de comprendre assez bien un tiers des lignes de la colonne suivante, (jette longue séquence a son importance non seulement pour apprécier le contenu de cette paire de songes des fils de Semhazaï mais encore pour des renseignements sur le deuxième voyage céleste de Mahawaï explicitement mentionné et la réponse d'Hénoch, le scribe de discernement.

Dans la séquence de 4Q530 ii 6-20, le songe d"Ohyah qui vient en second n'est pas celui de la tablette plongée dans l'eau mais celui de la vision du Grand Souverain des cieux descendant sur terre, assis sur un trône, comparable à la scène de Daniel 7'8. Un jugement est rendu d'après les œuvres inscrites dans les livres et il est signé par Celui qui exerce le pouvoir sur tout être vivant et toute chair, sur tous ceux qui ont reçu une domination, les anges -Veilleurs compris.

Il est curieux de trouver à nouveau sur le fragment manichéen Sundermann L, p. I verso 1-13, en moyen-perse, la mention du songe d"Ohyah-Sâm concernant la vision des Souverains des cieux après un dialogue d"Ohyah avec les Géants et le rapport de Mahawaï auprès d' Atambis - probablement un Veilleur, adversaire d'Hénoch dans le manuscrit araméen19, proche de 4Q530 ii 1-3. Mais dans ce songe nocturne, le Souverain des cieux ne descen-

47. Voir É. Puech, art. cit. (n. 39). 48. Si bien que Milik émit l'hypothèse d'une dépendance de la théophanie de Dn 7 :9- 10 :

vocabulaire, formes, séquences et phrases identiques (art. cit. [n. 8], p. 122, et Id., op. cit. [n. 3], p. 305). Mais il y a aussi des différences importantes dans la description du trône, l'absence d'un fils d'homme et le nombre des adorateurs est plus grand en Dn 7 :10. Cette amplification suggérerait une dépendance inverse. On peut tout aussi bien avoir affaire à une dépendance d'une tradition commune, traitée différemment dans l'un et l'autre cas.

49. Voir W. Sundennann, art. cit. (n. 37*.. p. 495 et n. 19, connu aussi par le fragment Sundermann M 59(X) en moyen-perse. Ce devrait être un Géant comme fïôbabis. Mais au fragment M 5900, il est en compagnie des Géants et des Veilleurs. Voir aussi L. T. Stuc- kenbruck, , op. cit. (n. 17), p. 73, n. 43.

22 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

dant pas sur terre, c'est le Géant 'Ohyah qui monte au ciel où il voit des Souverains des cieux. Et il n'est dit mot, cette fois, du songe de son frère Hahyah sur le jardin. Devait-il suivre dans cette copie ? On ne peut que poser la question. • Fragment Sundermann L, p. I verso50 :

Sâm des Géants. ' Après cela, Sâm dit aux 2 Géants : « Venez, mangeons 3 et réjouissons-nous ! » A cause des soucis 4 ils ne mangèrent pas (mais) s'endormirent. Mahawai 5 alla auprès d'Atambis et lui raconta tout. 6 Mahawai revint. Sâm ' eut un songe. Il parvint jusqu'8 au ciel. De la terre... il prit une fièvre. 9 Toute l'eau fut avalée. De 10 l'eau sortit la colère / (le démon) Xesm. Les Gloires u devinrent invisibles. Devant (lui) 12 il vit les Souverains des cieux 13[...

On pourrait ou devrait peut-être rapprocher de ce passage les quelques mots de 4Q531 fragment 46. • 4Q53146,1. 1-251:

1 et moi, 'O[hyah...] 2 je suis monté et entré aux ci [eux... Mais, vu l'absence de contexte, rien ne prouve que ces lignes soient en rapport avec un songe d"Ohyah qui serait différent de celui rapporté en 4Q530 ii. En revanche, 4Q531 22 9-12 doit faire allusion à un premier songe d"Ohyah qu'il ne peut garder pour lui et auquel réagit Gilgames. Le contexte semble expliquer quelque peu la situation en 4Q530 ii 1 ss. . 4Q531 22 9-1252 :

9...]Et ainsi 'Ohyah lui dit : « Mon songe [m']a accablé. 10 [Et a fui de moi] le sommeil de mes yeux pour contempler la [visiojn. Voici, je sais qu'au sujet de 11 [la vision, je ne peux re]ster silencieux mais je ne peux hâter pour e[ux (?) le jugement de Vassembl\ée[... » 12 Ensuite Gijlgames dit : « Ton songe accomplit (?)... »

Dans ce cas, il apparaît que la recension du fragment manichéen Henning j en moyen-perse a apparemment simplifié le récit primitif en le raccourcissant et en le réduisant à une seule paire de songes, l'un attribué à 'Ohyah et l'autre à son frère Hahyah. C'est certainement le cas du Midrash à sa suite. Cela peut s'expliquer puisque ces deux songes, celui de la pierre / table - tablette inscrite et celui du jardin planté d'arbres, font

50. Voir W. Sundermann,, art. cit. (n. 37), p. 497 sq. et n. 37 sur la 1. 7 : « Difficilement : il fut échauffé » (wurde er erhitzt), et maintenant P. O. Skjaervo, art. cit. (n. 10), p. 200 : « Souverains » est au pluriel : hndym'n dyd p'dxsy'n f'Jy 'sm'n. Aux 1. 9-10 et 12, les verbes et 'y'pt, 'wb'rd et dyd peuvent être compris comme actifs ou passifs.

51. Voir É. Puech, Discoveries in the Judaean Désert XXXI, op. cit., inloco. 52. Voir Id., ibid.

LES SONGES DES FILS DE §EMIHAZAH 23

l'un et l'autre allusion au salut de Noé et de ses trois fils, que ce soit dans les quatre mots non effacés ou dans l'arbre et ses trois racines ou branches. Pour le motif de l'arbre aux trois branches symbolisant des personnes, on peut renvoyer au songe d'Abraham voyant un cèdre qu'on veut couper et un palmier qu'on veut laisser, symbolisant Abraham et Sara en lQApGn XIX 14- 21 (voir encore Éz 31 :1-14 et Dn 4 :l-25, 1QH XVI 5 ss [= VIII 4 ss] ; lQApGn XIII-XV ; PsSal. 14 :3-5f.

Toutefois, si la tablette de 2Q26 1-4 comme celle du fragment manichéen Henning j (1. 34-37) est en bois, puisque l'écriture peut s'effacer par trempage dans l'eau, le Midrash de Semhazaï et 'Aza 'et en a fait une grande table de pierre gravée dont un ange, descendant du ciel avec un couteau, érase l'écriture54. En conséquence, il n'y a plus d'eau et donc de Déluge, tout comme dans le cas du songe du jardin planté dont les arbres sont coupés par un ou des anges, il n'y a plus d'incendie ou de conflagration totale. Le Midrash a donc changé de registre. Dans le récit original, la tablette ou planchette symbolise la génération du Déluge qui est immergée dans l'eau, définitivement engloutie, effacée de la surface de la terre, et il en est de même pour le jardin planté d'arbres. Seuls seront sauvés ceux dont les noms n'auront pas été effacés,55 ou l'arbre aux trois branches qui aura été épargné par le feu ou la hache. Dans ce schéma originel, les destructions par l'eau et le feu font certainement allusion au Déluge en Gn 6 :5 à Gn 9 : 17 et à la destruction de Sodome et Gomorrhe par le feu en Gn 19 :24-28.56

En outre, le Midrash a opéré un autre raccourci drastique dans la séquence de ces événements : les deux fils de Semîhazaï se réveillent effrayés et se rendent chez leur père qui leur explique

53. Ce symbolisme pourrait être à l'origine des représentations de l'arbre stylisé aux trois branches sortant d'une souche dans les ruines de Chotsko et Bâzâklik, image importante des conceptions manichéennes de l'arbre sacré comme symbolisme de l'arbre de vie opposé à l'arbre de mort, voir J. G. Reeves, op. cit. (n. 26), p. 96-99, et peut-être aussi à l'origine de la désignation de Noé en Bereshit Rabba 26 :1 sur Gn 5 :32 présentant la naissance des trois fils de Noé à partir de l'image de l'arbre de Ps 1:1 et de Ps 92 :14, symbolisant le juste (Noé), id., p. 99-102. Voir déjà 4 Esdras 9:20-21 et sans doute Ben Sira 44 :17 où ïpbrm appliqué à Noé pourrait signifier * surgeon, ce qui fait pousser de nouvelles branches/racines ».

54. Il ne s'agit pas d'une simple transposition biffant une interprétation positive, comme l'écrit F. Garcia Martinez, art. cit. (n. 5), p. 101.

55. La lecture de la ligne 4 de 2Q26 (ci-dessus; ne permet plus de voir dans ce passage la mention d'une deuxième ou troisième tablette qui ferait allusion à l'arche de Noé, comme le supposait J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 335.

56. La destruction finale par le feu ou èxnûpwoiç sera reprise dans l'eschatologie essé- nienne, comme nous l'avons montré ailleurs, E. Puech, La croyance des Esséniens en la vie future : immortalité, résurrection, vie éternelle ? Histoire d'une croyance dans le judaïsme ancien, Paris, 1993. Ge passage connu à Qumrân a pu exercer une influence sur cette conception essénienne.

24 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

directement leurs songes37. Mais les fragments manichéens Hen- ning j en moyen- perse et en ouïgour connaissent encore les discussions dans l'assemblée des Géants et un voyage du Géant Mahawaï auprès d'Hénoch au paradis pour qu'il leur donne l'interprétation des songes. Sernîhazah n'y est pas encore l'interprète des songes de ses deux fils.

Différente est pour sa part la recension du fragment manichéen Sundermann L, en moyen- perse elle aussi, qui porte au recto la mention des deux tablettes de pierre [taxtag -i- wëmin) supposant une réponse aux deux songes de Sâm-'Ohyah et de Nariman- Hahyah et dont le verso a gardé traces de la discussion animée et d'un deuxième songe d"Ohyah-Sâm parvenu au ciel où il voit les Souverains des cieux, probablement là encore sur un trône en vue du jugement. Cette recension-ci paraît plus proche de l'original araméen du Livre des Géants où, après leur réveil, les deux fils vont trouver leur père (4Q530 ii 5 : restauration très probable) qui les envoie à l'assemblée des Géants où les deux exposent en détail leurs songes. L'assemblée, incompétente dans l'interprétation tout comme leur père Sernîhazah, après délibération, charge alors Mahawaï d'une deuxième mission auprès d'Hénoch au paradis dont il connaît le chemin, lequel lui fera connaître l'explication appropriée.

Autant qu'on puisse s'en assurer, le déchiffrement méticuleux et la mise en place des fragments araméens ont permis de retrouver une partie importante du Livre des Géants concernant la deuxième série des songes des deux fils de Semîhazah. Ces passages et quelques autres fragments à propos de deux tablettes nous renseignent sur l'existence, dans le récit original, d'une première série de songes dont le contenu n'a pas été retrouvé parmi les fragments araméens. Mais les recensions manichéennes qui sont passablement remaniées, abrégées et pas toujours unifiées, semblent faire allusion à deux autres songes de ces deux Géants dont l'un, attribué à 'Ohyah, porterait sur la tablette plongée dans l'eau que l'on retrouve dans la seule paire conservée dans le résumé drastique du Midrash de Semhazaï et 'Aza 'el, même si, dans cet écrit, la pierre n'est pas plongée dans l'eau pour être effacée.

Quoique abrégées et réélaborées, ces recensions manichéennes du Livre des Géants ont permis l'identification certaine de plusieurs copies araméennes parmi les fragments de la mer

57. Voir J. T. Milik, op. cit. (n. 3), p. 335, écrivant « ("Ohyah, moreover, adding yet ano- ther dream) » semble lire trois songes dans le Midrash !

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Morte, qui, à leur tour, pourraient et devraient relancer l'étude des fragments manichéens eux-mêmes, l'identification de Nari- man-Hayah paraissant acquise8. En définitive, la comparaison des fragments arameens et manichéens sur les songes a permis d'apprécier un peu mieux l'histoire rédactionnelle du Livre des Géants.

* * *

M. André CAQUOT présente les observations suivantes :

« On se réjouit d'entendre à nouveau parler des " documents de la mer Morte " bien des années après qu'A. Dupont- Sommer ait fait entrevoir à l'Académie les richesses historiques de cette découverte. La mauvaise conservation des manuscrits de la grotte 4, la plus riche, contrastant avec l'état excellent dans lequel étaient parvenus les grands rouleaux de la grotte 1, explique en partie les lenteurs de l'édition. M. Emile Puech est un des savants les plus efficaces parmi ceux qui ont charge d'éditer les manuscrits de la grotte 4. Sa grande perspicacité lui a déjà permis de reconstituer des parties de manuscrits en lambeaux, et même de reconnaître dans quelques mots ou phrases d'un manuscrit des éléments d'un texte qu'un manuscrit fait en partie connaître. Ce délicat exercice est rendu possible par une grande familiarité avec les manuscrits qoumrâniens et une connaissance très sûre de leur langue. De plus, son travail ne va jamais contre le bon sens.

L'étude que vient de présenter M. Emile Puech est un exemple de son savoir-faire : il replace dans un manuscrit (4Q530) les éléments utilisables d'un autre f6Q8). Il n'a pas omis de consulter attentivement les fragments polyglottes du livre manichéen des Géants flont M. J. T. Milik a établi les origines qoumrâniennes. M. Puech reconstitue ainsi un épisode, parmi les plus compréhensibles, du livre des Géants. Les rêves qu'ont eus les coryphées des Géants et dont ils font demander l'explication à Hénoch sont au nombre d'au moins trois, ceux du verger abattu par la tempête, du jugement et de la tablette où ne se lisent plus que trois noms. L'épisode concerne les prodromes du Déluge, mais le livre devait

58. Le jeune Mani a dû connaître le Livre (les Géants en araméen pendant sa formation chez les Elchasaïtes où. jeune, il fut endoctriné dans la tradition judéo-chrétienne originaire de Palestine ; voir A. Henrichs, L. Kœnen. « Ein grieehischer Vtani-Kodex »,Zeitschrifi fiir Papyrologie und Epigraphik 5. 1970, p. 97-216, et Kid.. « Der Kôlner Vlani-Kodex (P. Colon, inv. nr. 4780Ï IIEPI THZ rENNHT TOY ZQMATOY AYTOY. Édition der Seiten \.~2*>.ibUL 19. 1975. p. 1-85.

26 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

comporter aussi un récit se situant après le Déluge. C'est ce que supposent la référence du décret de Gélase au " Liber de Ogya gigante qui post diluvium cum dracone pugnasse perhibetur " et l'allusion d'un texte parthe (fragment N de W. B. Henning dans BSOAS 11, 1943, p. 72) à des combats destructeurs mettant en présence Oghya, Léviathan et Raphaël. »

MM. Antoine GuiLLAUMONT et Philippe CONTAMINE interviennent après cette communication.

LIVRES OFFERTS

M. Jean LECLANT a la parole pour un hommage :

« J'ai l'honneur et le grand plaisir de déposer sur le bureau de notre Compagnie le 4e et dernier fascicule pour l'année 1998 (novembre- décembre) des Comptes rendus des séances de l'Académie. Dans cette livraison de 317 pages - ce qui porte à 1 266 pages le volume global des quatre fascicules trimestriels de 1998 -, on trouvera cinq communications et huit notes d'information, l'intégralité des discours et palmarès de la séance publique annuelle du 27 novembre 1998, les analyses détaillées de 23 ouvrages offerts en hommage, sans oublier les allocutions prononcées à l'occasion des décès de nos regrettés confrères Jacques Monfrin, académicien ordinaire, et John Chadwick, associé étranger ; on pourra en outre consulter, en fin de volume, l'ensemble des diverses tables annuelles : tables alphabétique et analytique, table des livres offerts en hommage avec la liste des présentateurs, index thématique et table générale des matières pour l'ensemble des séances de 1998. Le fascicule est pourvu, comme à l'accoutumée, d'une riche illustration (plus de 60 plans, dessins au trait et photographies en noir et blanc, en couleurs aussi).

Au domaine des études classiques sont consacrés plusieurs exposés relevant de l'épigraphie, de l'archéologie et de l'histoire. - Notre confrère Henri Metzger informe l'Académie de la récente publication de la tombe de Kizilbel (Lycie du Nord-Est) dont l'iconographie peinte développe des thèmes empruntés à la mythologie grecque ou gréco- orientale, à l'instar de l'expédition lycienne de Bellérophon (fin du VT s.) ; une présentation