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LE 25 SEPTEMBRE
EN LIBRAIRIE
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Ancien analyste du
renseignement et direc-
teur du Centre Français
de Recherche sur le
Renseignement (CF2R),
Éric Denécé est un des
meilleurs spécialistes
français des questions de
de terrorisme, de rensei-
gnement et des opérations
spéciales. Ses nombreux
ouvrages sur ces sujets
lui ont valu d’être récom-
pensé du Prix 1996 de la
Fondation pour les Études
de Défense (FED) et du Prix
Akropolis 2009 (Institut des
Hautes Études de Sécurité
Intérieure).
Les bouleversements géopolitiques majeurs
survenus depuis la chute du mur de Berlin, puis
les attentats du 11 septembre 2001 ont profon-
dément accru le niveau d’incertitude de la vie
internationale et les menaces qui pèsent sur nos
sociétés. Logiquement, le rôle du renseignement
s’en est trouvé renforcé pour la sécurité des États.
En conséquence, dans la majorité des pays occi-
dentaux, les moyens attribués aux services ont
été considérablement renforcés, illustration du
rôle de plus en plus déterminant qu’ils jouent pour
détecter les menaces.
Un ouvrage fondamental
pour comprendre
le renseignement français
408 pages, 16,5 x 24, broché, 23€
Parution le 25 septembre 2012
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Comment la France se situe-t-elle dans cette évolution ? Quelle impor-
tance et quels moyens accorde-t-elle au renseignement ? Joue-t-elle encore
dans la cour des « grands » ou n’est-elle qu’un acteur de second rang ?
Que valent nos services secrets par rapport à ceux de nos alliés et de nos
adversaires ?
Cet ouvrage s’attache à une analyse
approfondie du renseignement français
et n’hésite pas à mettre l’accent
sur ses principales faiblesses.
Pourquoi le renseignement français est-il aussi négativement connoté ð
dans l’inconscient collectif français ?
Comment les présidents de la République successifs ont-ils utilisé ou ð
neutralisé les services ou les ont laissés livrés à eux-mêmes ?
Pourquoi son passé glorieux et ses succès les plus marquants demeu- ð
rent-ils méconnus ?
Comment les services ont-ils pu assurer leurs missions malgré des ð
budgets et des eff ectifs très largement sous-dimensionnés ?
Ce livre off re une vision sans concession de la place de nos services et du
renseignement français dans les institutions de la Ve République. Il dresse
aussi un panorama unique de nos capacités, des eff orts consentis et des
progrès réalisés au cours des deux dernières décennies. Enfi n, il met en
lumière l’absence dommageable de considération pour le renseignement
parmi les élites qui nous gouvernent, lesquelles rejettent toujours cette
discipline indispensable à notre stratégie politique et économique.
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Les 10 points négatifs
du renseignement français
Les Français n’ont pas la culture du renseignement, pas plus les militaires, 1.
les politiques que la société civile (presse, université, acteurs économiques,
etc.). Cette activité demeure très négativement connotée – ou totalement
fantasmée – dans notre inconscient collectif.
Le renseignement n’a jamais été reconnu en France comme une profession 2.
à part entière devant donner naissance à un corps dédié. Il est depuis
toujours confi é aux militaires et aux policiers, ce qui nous singularise par
rapport aux autres nations (États-Unis, Royaume-Uni, etc.).
Les politiques ignorent ce à quoi sert le renseignement et ce que font les 3.
diff érents services. Ils ne voient pas son utilité. Aucun président de la
Ve République n’a jamais accordé de considération au renseignement. Ils
se sont surtout attachés à les neutraliser.
Les dirigeants nommés à la tête des services sont, en quasi-totalité, des 4.
hommes non compétents, ce qui illustre le peu de considération et de
confi ance porté par les politiques à ces administrations particulières.
Les dirigeants politiques de la V5. e République, de droite comme de gauche,
ont tous manifesté une fâcheuse tendance à détourner les services de leur
vocation et à recourir à des réseaux parallèles pour eff ectuer des missions
qui devaient leur revenir.
La fascination pour l’action, entretenue aussi bien par les politiques que 6.
par les services eux-mêmes, nous a fait négliger l’art de la recherche du
renseignement et a provoqué quelques déboires célèbres.
Nos services, pour des raisons historiques, ont été très longtemps les 7.
agences les plus politisées du monde occidental. Rivalités et querelles
intestines ont toujours miné notre communauté du renseignement et
nuit à son effi cacité.
Notre pays et ses services furent profondément infi ltrés par le KGB pendant 8.
la Guerre froide et nos performances dans la lutte contre la menace sovié-
tique furent des plus médiocres.
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Les eff ectifs et les budgets des services français sont plusieurs fois 9.
inférieurs à ceux de nos partenaires britanniques et allemands – sans
parler des États-Unis –, ce qui handicape notre action et est indigne de
la France et de ses responsabilités mondiales.
Sous la pression des politiques, les services sont polarisés quasi exclu-10.
sivement sur la menace terroriste à court terme et les enlèvements
de Français dans le monde, missions qui mobilisent tous les moyens.
En conséquence nos capacités à détecter et à lutter contre les autres
menaces, en France ou dans le monde sont réduites, ce qui nous rend
vulnérables.
Les 5 points positifs
du renseignement français
La France dispose d’une des plus vieilles traditions du renseignement 1.
en Europe et ses services ont remporté de nombreux succès depuis
la création de l’État royal. Mais ce patrimoine remarquable demeure
méconnu.
Malgré leurs faibles moyens, leur sous-dimensionnement et le dédain 2.
du politique, nos services sont toujours parvenus à obtenir des résultats
plus qu’honorables, grâce à la qualité des hommes et des femmes qui
les composent, ce qui nous permet de fi gurer encore parmi les acteurs
de premier ordre en ce domaine.
Nous disposons d’un renseignement humain et d’une gamme de moyens 3.
techniques très diversifi és, couvrant quasiment le monde entier, qui garan-
tissent notre autonomie de décision lors des crises internationales.
Grâce à l’apparition du concept d’intelligence économique et à son 4.
succès dans les milieux économiques et académiques, le renseignement
est entré peu à peu dans la société civile, tant auprès des étudiants, des
enseignants, des cadres et des dirigeants d’entreprise.
Des réformes organisationnelles et institutionnelles importantes et des 5.
eff orts budgétaires réels ont eu lieu depuis deux décennies, signe d’une
évolution des mentalités politiques à l’égard des services.
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PLAN DE L’OUVRAGE
Première partie : Le gène manquant
Chap. 1 : Une activité infamante et perfi de
Chap. 2 : Le mépris du prince
Chap. 3 : L’illusion de la compétition pacifi que
Chap. 4 : Les architectes du fantasme
Chap. 5 : À quoi sert le renseignement ?
Deuxième partie : Talents gâchés
Chap. 6 : Patinages artistiques
Chap. 7 : La connaissance inutile
Chap. 8 : Ultima ratio regum
Chap. 9 : Aff aires réservées, aff aires confi squées
Chap. 10 : Les hommes du président
Chap. 11 : La profession négligée
Chap. 12 : Abus de pouvoir
Chap. 13 : Barbouzes et réseaux parallèles
Troisième partie : Des taupes modèles ?
Chap. 14 : Clercs obscurs
Chap. 15 : Succès et fausses leçons de la Seconde Guerre mondiale
Chap. 16 : Le champ des partisans
Chap. 17 : Le culte du maquis et de la rapière
Chap. 18 : Le piètre bilan de la guerre froide
Chap. 19 : L’enfer, c’est l’autre !
Quatrième partie : Des raisons d’espérer ?
Chap. 20 : La prise de conscience des nouveaux enjeux
Chap. 21 : Les réformes des années 1990
Chap. 22 : L’Éveil de l’académie
Chap. 23 : Sarkozy : une nouvelle ère ?
Chap. 24 : Le renforcement des moyens du renseignement technique
Chap. 25 : La remise a niveau de la DGSE
Cinquième partie : Tristes tropismes
Chap. 26 : L’envers du décor
Chap. 27 : La transformation ratée du renseignement intérieur
Chap. 28 : Le sous-dimensionnement des services
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PRÉSENTATION
« Nous avions si profondément infi ltré le renseignement français que
nous étions clairement capables de voir à quel point cette agence était
ineffi cace. Les Français avaient un réseau de nombreux agents à travers
le monde, y compris dans des villes comme New York et Londres, mais il
y avait peu de preuves que les espions français accomplissaient beaucoup
de choses. Sans aucun doute, le renseignement français a été le plus faible
et le plus inutile de tous les services secrets hostiles auxquels nous avons
été confrontés1. »
C’est ainsi que le général Oleg Kalouguine, ancien chef du contre-
espionnage extérieur du KGB (1973-1979), décrit le SDECE, le service de
renseignement extérieur français. Il ajoute : « Quoique je savais tout sur
un réseau impressionnant d’agents secrets [du KGB] en France, j’ai quand
même été surpris par le nombre d’agents haut placés dans les services
de renseignement et de contre-espionnage. »
Le colonel Igor Preline, un autre ancien offi cier du Premier directorat
(le renseignement extérieur du KGB), expliquait, à l’occasion de l’une de
ses conférences à Paris, en 2008, que pendant la Guerre froide, les services
soviétiques considéraient que la France était un pays « neutre », dans la
mesure où les offi ciers du KGB et du GRU (le renseignement militaire)
faisaient à peu près ce qu’ils voulaient dans notre pays, sans guère être
inquiétés par notre contre-espionnage. À Moscou, les services français
se virent d’ailleurs attribuer le sobriquet du « jardin d’enfants », ce qui
illustre la haute estime professionnelle dans laquelle les tenaient leurs
ennemis soviétiques.
1. Oleg Kalugin (with Fen Montaigne), Spymaster. My 32 years in Intelligence and Espionage against the
West, Smith Gryphon Publisher, London, 1994, p. 169. Traduction de l’auteur.
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John Le Carré n’en donne guère une meilleure image dans son roman
Les gens de Smiley (1979) : « Le poste de résident principal du Cirque à
Paris était bien connu pour être l’endroit où l’on exposait les offi ciers
voués à une prompte inhumation, n’off rant guère d’autres occasions
que des déjeuners interminables avec tout un assortiment de gens très
corrompus et très assommants, chefs de service de renseignement fran-
çais qui passaient plus de temps à s’espionner les uns les autres que leurs
ennemis supposés1. »
Ces jugements sévères de nos anciens adversaires et d’un romancier
britannique ancien offi cier de l’Intelligence Service interpellent et blessent
notre orgueil national. Les services secrets français sont-ils eff ectivement
aussi nuls que semblent le penser Kalouguine, Preline et Le Carré ?
C’est malheureusement également le point de vue de Constantin Melnik,
coordinateur des services pendant la guerre d’Algérie (1959-1962), dont
le jugement est particulièrement tranché : « Est-il utile de s’appesantir
outre mesure sur les services secrets français ? Ils sont les moins perfor-
mants du monde civilisé, à la disposition d’un pays qui – mis à part ses
agissements, d’ailleurs douteux, en Afrique – ne joue dans la Realpolitik
du XXe siècle fi nissant qu’un rôle découlant de l’idée qu’il se fait ou qu’on
se fait de lui2. »
Alexandre de Marenches, directeur du SDECE de 1970 à 1981, le concède
lui aussi à demi-mot à l’occasion d’un entretien avec l’historien britannique
John Kieger, au moment de la révélation de la trahison d’Anthony Blunt
(1979) – le quatrième des espions de Cambridge. À la question de Kieger
« Qu’auriez-vous fait si vous aviez découvert ce nid d’espions dans vos
services ? », Marenches aurait répondu : « J’aurais été très content d’avoir
des gens d’une capacité intellectuelle aussi importante3. » Selon Michel
Roussin, son ancien directeur de cabinet (1977-1981), la médiocrité des
services français n’a fait qu’empirer avec le temps : « Il est vrai que l’épo-
1. John Le Carré, Les Gens de Smiley, Seuil, 2001, p. 294.
2. Constantin Melnik, Les Espions, réalités et fantasmes, Ellipses, Paris, 2009, p. 264.
3. John Kieger, « Une perception britannique du renseignement français », in Amiral P. Lacoste (dir.),
Le Renseignement à la française, Economica, Paris, 1998, p. 598.
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que dynamique du SDECE sous la conduite d’Alexandre de Marenches
est bien révolue. […] L’actuelle DGSE […] a indéniablement perdu de son
effi cacité en raison de carences d’organisation1. »
Les services sont enfi n cloués au pilori par Claude Silberzahn, qui fut
directeur général de la DGSE de 1989 à 1993. Son jugement, en 2011, suite
au déclenchement des « révolutions » arabes, est sans appel : « Quelle a été,
dans les six mois, qui ont précédé les événements, l’analyse de la situa-
tion tunisienne par la DGSE et par la DCRI ? Comment le coordinateur
et le Conseil l’ont-ils portée, le cas échéant, à la connaissance du pouvoir
politique et défendu auprès de lui ? Comment le Sahel, zone rouge perma-
nente de la DGSE, a-t-il été laissé, semble-t-il, en déshérence par la DGSE ?
Comment et par qui ont été prises les décisions de libération des otages et
de son mode opératoire ? […] Jamais dans les dernières décennies, un bilan
aussi négatif n’a pu être dressé pour ce qui a trait au domaine d’action
des services spéciaux et de renseignement. […] Un bilan exécrable doit
donc être dressé à la charge du couple services spéciaux et services de
renseignement-pouvoir politique et une question doit être posée : est-ce
l’outil ou est-ce son usage qui est en cause2 ? ».
Ite, missa est. Comment ne pas être abasourdi par une telle salve de
critiques ? La cause semble entendue et les services condamnés par un
jury unanime. Mais une part de nous s’insurge devant le caractère caté-
gorique de la sentence. Tout est-il exact dans ce qu’affi rment nos anciens
adversaires ou ceux de nos compatriotes qui ont eu à diriger nos services ?
Nos agences de renseignement et de contre-espionnage sont-elles à ce
point médiocres ? Les Français sont-ils inaptes au renseignement ? N’y
a-t-il pas eu des succès et des réussites contredisant ces jugements ?
« Tout ce qui est excessif est insignifi ant », disait Talleyrand, d’autant
que « l’objectivité absolue est diffi cile dans un domaine opaque, voilé de
secret et suscitant des mythes, passions et mégalomanies à nulles autres
1. Michel Roussin, « Le parlement et les services secrets », Le Monde, 29 décembre 1999.
2. Claude Silberzahn, « Les fi ascos du renseignement français », Libération, 22 février 2011.
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pareilles » reconnaît Constantin Melnik1. Si les critiques qui précèdent
doivent être prises en considération, elles doivent aussi être accueillies
avec précaution quant à l’ampleur et aux raisons du phénomène.
Certes, il serait vain de nier que, dans notre pays, l’intérêt pour le
renseignement demeure une maladie rare et honteuse. Malgré une
tradition historique ancienne et les nombreux succès de nos services, le
renseignement souff re, en France, d’une image très défavorable et son
importance n’a jamais été reconnue à sa juste valeur par nos élites. La
profession reste fantasmée, mal perçue, peu prisée et peu enseignée ;
et les services sont mal utilisés, peu considérés, sous-dimensionnés et
rarement écoutés. Bien que la question du renseignement soit évoquée de
façon récurrente dans les textes offi ciels depuis le Livre blanc de 1994, elle
demeure peu traitée dans la réalité. Les autorités politiques et militaires
françaises ne s’y intéressent guère davantage que par le passé.
Or, négliger le renseignement est encore plus irresponsable au XXIe siècle
que pendant la Guerre froide. Les bouleversements géopolitiques majeurs
survenus depuis la chute du mur de Berlin ont profondément accru le
niveau d’incertitude de la vie internationale : multiplication des tensions
et des confl its régionaux, prolifération nucléaire, rivalités commerciales
accrues, etc. Chaque nouvelle crise est l’occasion de mettre en lumière à
quel point son acquisition – ou sa carence – peut avoir un impact déter-
minant sur la compréhension et la gestion des événements.
Mais c’est surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001 et le
développement du terrorisme islamiste, que le renseignement pèse un
poids encore plus déterminant pour la sécurité des États, car il est le
principal moyen de lutte contre les réseaux internationaux du nouveau
djihad. En conséquence, dans la majorité des pays occidentaux, les
moyens attribués aux services – intérieurs, extérieurs et militaires – ont
été considérablement renforcés, illustration de la considération nouvelle
que leur accordent les politiques.
1. C. Melnik, Les Espions, op. cit.
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Comment la France se situe-t-elle dans cette évolution ? Quelle impor-
tance et quels moyens accorde-t-elle au renseignement ? Quelles sont la
qualité et l’effi cacité de ses services ? Joue-t-elle dans la cour des « grands »
ou est-elle un acteur de second rang ? En bref, les services secrets français
sont-ils « nuls » ?
L’objet de ce livre est bien évidemment d’apporter une réponse négative
à cette question en forme de provocation, qui en interpellera plus d’un.
Car nous ne saurions accepter cette réputation de médiocrité de nos
services sans contester, ni réagir. Mais pour cela, il convient d’évaluer
la réalité de telles assertions, lesquelles ne seraient être totalement sans
fondement. C’est pourquoi la fi nalité de cet ouvrage est de dégager les
traits marquants de l’attitude française à l’égard du renseignement, d’en
expliquer les raisons et de s’interroger sur l’éventualité d’un déterminisme
historique défavorable.
En premier lieu (Le gène manquant) nous montrerons à quel point les
Français n’ont pas la culture du renseignement, ce qui s’observe aussi
bien chez les élites politiques et économiques, dans les armées, la police
et l’administration, que dans les médias et à l’université. Aucune classe
de la population ne s’y intéresse et la profession demeure peu cotée dans
l’inconscient collectif national. Le terreau ne semble donc guère favorable
à l’éclosion d’une vocation française.
Dans un second temps (Talents gâchés), nous expliquerons que si
les élites tolèrent, souvent à contrecœur, cette activité « infamante et
perfi de », elles ne savent pas à quoi sert le renseignement ni comment
l’utiliser afi n de mieux défendre et promouvoir les intérêts nationaux.
Elles sous-emploient les services, ne tiennent pas compte des informa-
tions qu’ils leur transmettent, quand elles ne les détournent pas de leur
fonction première au profi t d’intérêts particuliers ou s’en aff ranchissent
pour agir via d’autres canaux. Comment, dès lors, pourrions-nous disposer
d’un système performant quand les dirigeants négligent et méprisent ce
moyen d’action particulier ?
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Puis, dans un troisième volet (Des taupes modèles ?), nous considére-
rons les performances de nos services, en mettant en lumière les épisodes
glorieux et méconnus de notre histoire en la matière, ainsi que les spéci-
fi cités du « renseignement à la française », c’est-à-dire les imperfections
et les déformations professionnelles qui caractérisent nos manières de
faire. Car les dysfonctionnements ne sont pas tous liés à la mauvaise
utilisation des services par les politiques ; leur culture propre en est aussi
en partie responsable.
Dans une quatrième partie (Des raisons d’espérer ?), nous nous arrête-
rons sur les réformes qui se sont succédées au cours des deux dernières
décennies (1990-2010) pour adapter le renseignement français au nouveau
contexte international et à ses défi s. Car nous ne sommes pas restés sans
réagir. Des eff orts budgétaires ont été consentis et une évolution des
mentalités s’est esquissée grâce à l’apparition de l’intelligence écono-
mique et à la reconnaissance du renseignement comme objet d’étude
académique.
Enfi n, nous nous pencherons sur les eff ets réels de ces réformes (Tristes
tropismes), afi n d’évaluer si elles ont eu un impact sur la considération et
les moyens dont bénéfi cie la communauté française du renseignement,
comme sur son effi cacité ; et de mesurer si notre pays est capable de
surmonter ses réticences et ses blocages à l’égard de cette discipline…
Ou bien s’il faut donner raison au général Kalouguine.
Dans son « Épître préliminaire » à l’Illusion comique (1635), Corneille
écrivait : « Voici un étrange monstre […] ; le premier acte n’est qu’un
prologue, les trois suivants sont une comédie imparfaite, le dernier est
une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie. » Comédie
peut-être. Tragédie sans nul doute. Car l’histoire du renseignement fran-
çais est un drame : celui de l’incompréhension et de la défi ance des élites
nationales vis-à-vis de l’un des instruments essentiels du gouvernement.
Il importe d’en saisir les raisons conscientes et inconscientes, afi n de
modifi er cette situation dommageable aux conséquences néfastes et de
redonner à cette profession supérieurement utile toute la place qu’elle
mérite parmi les moyens d’action de l’État.
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CHAPITRE I
Une activité infamante et perfi de
L’espion, dont les vêtements criaient misère, était petit, trapu, avec des yeux bleus
dans un visage rond au teint blême, des cheveux blonds taillés en brosse et un
regard chafouin.
Il n’ inspirait aucune confi ance.
Somerset Maugham, Mr Ashenden agent secret (1928).
Le renseignement, c’est le cambouis de la guerre, le truc sale qui tache quand
on le touche.
Alexandre Jenni, L’Art français de la guerre (2011).
L’espion est de tous les temps. Certains considèrent même qu’il s’agit
là du plus vieux métier du monde. Depuis qu’il existe des confl its entre
les hommes, il y a toujours eu des démarches d’espionnage.Pourtant, les
activités de renseignement sont inégalement acceptées selon les sociétés.
Considérées comme nobles, légitimes et utiles dans le monde anglo-saxon,
elles sont, au contraire, perçues comme perfi des et indignes dans la culture
française, où la profession souff re d’une image extrêmement défavora-
ble. Le renseignement est connoté très négativement dans l’inconscient
collectif national, pour lequel il est synonyme de tromperie, de viol de la
vie privée et de coups tordus. L’idée perdure que cette activité est néces-
sairement malhonnête, manipulatrice et perverse ; et que les femmes et les
hommes qui l’exercent souff rent d’une pathologie particulière et aiment
à se débattre dans un monde de mensonges et de complots.
Alors que les pays anglo-saxons disposent d’agences spécialisées
reconnues comme indispensables à leur rayonnement et à leur sécurité,
la France semble affl igée de services de renseignement comme d’un mal
incurable dont elle a fi ni par s’accommoder, le jugeant parfois nécessaire,
à contrecœur. Pourquoi tant de sentiments hostiles ou d’images fausses
surgissent-ils en France lorsque l’on évoque le renseignement ? Pourquoi
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CHAPITRE 2
Le mépris du prince
Le Maréchal de Soubise se fait suivre par cent cuisiniers ; je me fais précéder
par cent espions.
Frédéric II de Prusse (1712-1786).
En eff et, sir Ethelred. En principe, je partirais de l’ idée que l’existence des agents
secrets ne devrait pas être tolérée, parce qu’ ils ont tendance à accroître les risques
immédiats des fl éaux contre lesquels on les emploie. Dire que l’espion confectionne
les renseignements qu’ il transmet est une simple banalité. Mais dans le domaine
de l’action politique et révolutionnaire, qui repose en partie sur la violence, l’espion
professionnel a tout loisir de fabriquer jusqu’aux faits même et peut ainsi répan-
dre un double fl éau : d’un côté l’ émulation, de l’autre la panique, la législation
improvisée, la haine irréfl échie.
Joseph Conrad, L’Agent secret (1907).
- Comment est-il ? Quelle sorte d’homme est-il ?
- C’est un agent. C’est un homme à utiliser, pas à connaître.
John Le Carré, Le Miroir aux espions (1965).
Depuis l’aff aire Dreyfus (1894), nos services de renseignement sont
victimes de la défi ance des hommes politiques. Personne n’a oublié
comment cette aff aire a déstabilisé en son temps la société française tout
entière. En conséquence, les dirigeants politiques ont toujours cherché
à verrouiller les services – par crainte de nouveaux scandales – plutôt
que de s’interroger sur la manière de mieux les utiliser et de les rendre
plus performants1.
Ainsi, une méfi ance profonde s’est durablement installée en France entre
les responsables politiques et le milieu du renseignement. Nos dirigeants
considèrent que ses représentants sont infréquentables et indignes de
confi ance et que les services sont des offi cines inutiles, ineffi caces, dont
les activités ternissent l’image du pays. La classe politique ne tolère leur
1. Christian Harbulot, Rémy Kauff er et Jean Pichot-Duclos, « Le renseignement et la République », Défense
nationale, mai 1996, pp.63-83.
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CHAPITRE 7
La connaissance inutile
La pire douleur qui soit en ce monde, c’est bien d’y voir clair et d’être sans
pouvoir.
Hérodote (Ve siècle avant J.-C.).
Il y a deux manières d’ ignorer les choses : la première, c’est de les ignorer ; la
seconde, c’est de les ignorer et de croire qu’on les sait. La seconde est pire que la
première.
Victor Hugo, Océan (Œuvre posthume).
On peut bien vous cogner aux faits, si vous n’avez pas l’outillage mental pour les
appréhender, vous n’en tirerez rien.
Pierre Daix, Tout mon temps (2001).
Si l’absence de directives gouvernementales était la seule faiblesse des
autorités de l’État à l’égard du renseignement, les services ne se porteraient
pas trop mal. Mais il y a plus grave. Les dirigeants politiques et militaires
n’accordent guère de considération aux informations que leur livrent les
services, ou ne s’en servent pas. Or, le renseignement ne trouve son utilité
que dans la mesure où le décideur en tient compte1.
Le fond du problème vient du fait que les politiques ne considèrent pas
le renseignement comme faisant partie de leur processus de décision,
d’autant, comme l’explique Michel Rocard, qu’ils « ne savent écouter ni
comprendre une technicité diff érente de la leur, surtout en politique étran-
gère. Ils ne sont donc pas réceptifs au renseignement2 », alors même qu’il
est absolument impératif de procéder à « l’ intégration institutionnelle
du renseignement extérieur dans le dispositif décisionnel de la nation3 ».
Surtout, ils ont systématiquement tendance à vouloir adapter l’information
à leurs propres hypothèses et sont toujours plus enclins à détourner
1. D. Porch, Histoire des services secrets français, Tome I, op. cit., p. 68.
2. Entretien avec Michel Rocard, Paris, 9 juin 2010.
3. Claude Silberzahn, Au cœur du secret, Fayard, Paris, 1995.
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CHAPITRE 8
Ultima ratio regum
Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre
Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre,
Du grand sophi de Perse, ou bien du grand mogor.
Corneille, L’Illusion comique, réplique du Matamore, Acte II, scène 2 (1635).
Les armes importent moins que le bras qui les tient ; le bras importe moins que
l’ intelligente volonté qui le guide.
André Gide, Th ésée (1946).
- Que faites-vous donc au juste ? Avait demandé un général de Gaulle, fort scepti-
que, en recevant, pour la première fois après son retour aux aff aires, le général
Grossin.
- Je devrais être à même, avait répondu Grossin, de faire tout ce que vous voudrez
bien m’ordonner pour servir le pays.
Constantin Melnik, 1 000 jours à Matignon (1988).
Si les présidents français ne se reposent pas sur les services pour être
informés ou pour conduire leur politique étrangère, et s’ils ne sont pas
convaincus de la qualité des renseignements que ceux-ci leur fournis-
sent, en revanche, ils n’hésitent pas à les utiliser pour agir. Ainsi, tous les
présidents de la Ve République ont privilégié l’aspect « service spécial »
du SDECE, puis de la DGSE. À leurs yeux, les services sont d’abord un
moyen d’action et non de connaissance.
Le penchant français pour l’Action a deux origines : il provient d’abord
d’un trait caractéristique de l’esprit national : le romantisme de l’ac-
tion impossible, de l’héroïsme grandiose, du panache. « Héroïsme aussi
superbe qu’ inutile1 » observe toutefois Constantin Melnik. Toujours est-il
que le Français a une propension naturelle aux actions clandestines
qui glorifi ent le combattant solitaire, dans des missions courtes, secrè-
tes et dangereuses, plus valorisantes que les tâches ingrates d’un vrai
travail de renseignement, caractérisé par la discrétion et la lenteur.
1. C. Melnik, Un espion dans le siècle, op. cit., p. 215.
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CHAPITRE 9
Aff aires réservées, aff aires confi squées
Shu désigne l’Art du roi, les techniques habiles, c’est-à-dire l’ensemble des tech-
niques que détient le roi, lui permettant de conserver son pouvoir, de prévenir
les complots contre lui, de diriger ses fonctionnaires et de bien diriger le pays. Ce
sont des recettes et des méthodes de gouvernement.
Xu Zhen Zhou, L’Art de la politique
chez les légistes chinois (IVe siècle avant J.-C.).
Une bien belle chose est le métier d’espion, quand on le fait pour son compte et
au profi t d’une passion. N’est-ce pas se donner les plaisirs du voleur en restant
honnête homme ?.
Honoré de Balzac, Ferragus, chef des Dévorants (1833).
Si les présidents ne s’intéressent guère au renseignement, se défi ent
souvent des services et ne les orientent guère, ils prennent cependant
garde à ce que personne d’autre qu’eux ne dirige ces administrations
très spéciales, pas même le Premier ministre. Les services apparaissent
comme l’un des attributs emblématiques du chef de l’État et il ne saurait
être question qu’il concède ce pouvoir extraordinaire à quiconque,
quand bien même il ne l’utilise pas. En gardant un contrôle étroit sur
les services, les présidents de la Ve République ont renforcé l’idée qu’ils
étaient des instruments au service de pouvoir, au lieu d’en faire profi ter
l’ensemble du gouvernement. Par ailleurs, jusqu’à l’élection de Nicolas
Sarkozy, aucun des chefs de l’exécutif ne s’est révélé favorable à l’instau-
ration d’un contrôle parlementaire des activités de renseignement, ne
souhaitant pas voir les élus de la représentation nationale s’ingérer dans
ce domaine réservé.
Si la Constitution de 1958 ne modifie pas l’autorité adminis-
trative du Premier ministre sur les services de renseignement,
la prééminence du Président de la République est affirmée.
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CHAPITRE 10
Les hommes du président
Si nous avions fait pour nous ce que nous avons fait pour le pays, quelles
fripouilles nous serions !
Camillo Benso, comte de Cavour (1810-1861).
Il est fort possible, songeait-il, que les patrons des services secrets, dans leur
bureau de Londres, la main sur les commandes de cette gigantesque machine,
mènent une vie exaltante. Ils déplaçaient leurs pions ici ou là, ils voyaient le
dessin tissé par les fi ls innombrables […], ils recomposaient le tableau à partir
des diff érentes pièces du puzzle, mais il faut bien avouer que, pour le menu fretin
comme lui, être des services secrets n’était pas une aff aire aussi aventureuse que
l’ imaginait le public.
Somerset Maugham, Mr Ashenden agent secret (1928).
Nous l’avons vu, dans notre pays, les services sont considérés en prio-
rité comme des sources potentielles de risque. Il convient donc de les
maîtriser en nommant à leur tête des hommes choisis selon « des critères
où la fi délité au chef de l’État l’emporte sur le professionnalisme » comme
le regrette le général Christian Quesnot. « Il s’agit là d’un particularisme
et d’un handicap national qui contrastent fortement avec les modalités en
usage dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne, dont nous devrions
nous inspirer même si l’environnement culturel est diff érent 1. » Selon
Constantin Melnik, aux yeux des politiques français, « Un brillant causeur
est toujours plus rassurant qu’un homme d’action et, pour faire carrière dans
ce métier-là, une conférence réussie, une conversation colorée, la servilité
souriante d’un garde-à-vous, un passé ayant su soigneusement éviter toute
prise de décision ont été de tout temps, les exemples pullulent, préféra-
bles à un palmarès riche de trop d’opérations clandestines réussies2 ».
1. Général Christian Quesnot, « Perception, utilité et usage de la fonction connaissance et anticipation
par le président de la république, chef des armées », Les Cahiers de Mars, n°198, décembre 2008, p. 31.
2. C. Melnik, 1 000 jours à Matignon, op. cit., p. 253.
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CHAPITRE 12
Abus de pouvoir
Il avait au ministère des agents très sûrs, chargés de recherches secrètes intéressant
la Défense nationale et qui précisément surveillaient alors des espions qu’une
puissance voisine et ennemie entretenait jusque dans les postes et télégraphes de
la république. M. Cérès leur donna l’ordre de suspendre leurs investigations et de
s’enquérir où, quand et comment M. le ministre de l’Intérieur voyait mademoi-
selle Lysiane. Les agents accomplirent fi dèlement leur mission et instruisirent le
ministre qu’ ils avaient plusieurs fois surpris M. le président du Conseil avec une
femme, mais que ce n’était pas mademoiselle Lysiane.
Anatole France, L’Île des pingouins (1907).
Il était spécialisé dans la récolte d’ informations outre-frontière, mais il savait
aussi s’ infi ltrer dans des sectes et mouvements contraires à l’ intérêt de l’État.
Umberto Eco, Le Cimetière de Prague (2011).
Si les politiques français recourent aux services davantage pour
l’action que pour le renseignement, ils ne rechignent pas non plus à les
utiliser à des fi ns personnelles, les détournant ainsi de leur vocation au
service exclusif de la République. Cela explique qu’ils soient davantage
perçus comme des organisations dévouées à l’équipe au pouvoir qu’à la
préservation des intérêts nationaux.
C’est au général de Gaulle – tout au moins aux gaullistes militants – que
l’on doit cette dérive du système et l’instrumentalisation des services
spéciaux, notamment du service Action. Les hommes du BCRA ont été
fort utiles au général afi n d’assurer son poids vis-à-vis des Alliés, à partir
de 1940, puis pour assurer sa prise de pouvoir en France, en 1944. Ils le
seront également pour préparer son retour au pouvoir, en 1958. L’homme du
18 juin et ses fi dèles se sont fait une spécialité du détournement à des fi ns
partisanes des services de renseignement et de sécurité de la République.
Car il y a bien eu une préparation clandestine du retour au pouvoir du
général de Gaulle, par le noyautage et la déstabilisation de l’appareil
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CHAPITRE 14
Clercs obscurs
À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je veux
m’en mêler. J’ai sans doute reçu du ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques
de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant
donne le nom de fourberies ; et je puis dire sans vanité qu’on a guère vu d’homme
qui fut plus habile ouvrier de ressorts et d’ intrigues, qui ait acquis plus de gloire que
moi dans ce noble métier : mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd’hui,
et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une aff aire qui m’arriva.
Molière, Les Fourberies de Scapin, Acte I, scène 2 (1671).
L’espionnage, semble-t-il, est dans tes goûts.
Goethe, Faust (1808).
Votre but sera de n’ être remarqué de personne. Vous arriverez auprès
d’un grand personnage. Là, il vous faudra plus d’adresse. Il s’agit de tromper tout
ce qui l’entoure ; car parmi ses secrétaires, parmi ses domestiques, il y a des gens
vendus à nos ennemis, et qui guettent nos agents au passage pour les intercepter.
Vous aurez une lettre de recommandation insignifi ante.
Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830).
Dire que le rôle du renseignement n’a jamais été reconnu à sa juste
valeur par les dirigeants de notre pays, quels que soient les régimes
ou les périodes de l’histoire considérés, est devenu un lieu commun.
Malheureusement, l’absence de reconnaissance des politiques a provo-
qué celle des historiens. Pourtant, tout au long de sa riche histoire,
la France n’a pas manqué de succès ni d’opérateurs qualifi és dans le
domaine du renseignement. De nombreux Français et Françaises ont
œuvré fort effi cacement dans l’ombre, au profi t de l’intérêt national.
Beaucoup ignorent la part prise en ce domaine par des personnalités
célèbres, s’étant activement engagées dans le renseignement, sans que
leurs contemporains le sachent ni parfois même que l’histoire leur en
rende grâce. Bien qu’ils aient laissé quelques traces de leurs activi-
tés dans la littérature française, celles-ci sont passées inaperçues.
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CHAPITRE 18
Le piètre bilan de la guerre froide
En 1917, j’avais reçu mission de me rendre en Russie pour faire obstacle à la
révolution bolchevique et maintenir ce pays dans la guerre.
Somerset Maugham, Mr Ashenden agent secret (1928).
La guerre Froide était terrible, raconte un ancien du KGB. Américains et Anglais
nous attrapaient par les couilles ou nous mordaient l’oreille. Les Français, eux,
étaient plus agréables. Ils s’avançaient, élégants, sur le ring et, après avoir porté
un coup souvent mal ajusté, se retiraient toujours aussi paisibles dans leur coin.
J’espère que je ne vous ai pas fait trop mal, disaient-ils avec une politesse toujours
exquise.
Constantin Melnik, Les Espions. Réalités et fantasmes (2008).
Et vous ne parvenez pas à identifi er et arrêter ces traîtres ?
– Nous n’avons pas intérêt, sinon eux, ils arrêteraient les nôtres. Les espions ne
se neutralisent pas en les tuant, mais en leur passant de fausses informations.
Et pour ce faire, ceux qui pratiquent le double jeu nous servent.
Umberto Eco, Le Cimetière de Prague (2011).
Dès le début de la Guerre froide, en raison des confl its liés à la décoloni-
sation de son empire dans lesquels la France est engagée, le SDECE ne put
consacrer qu’une partie de ses moyens à la recherche du renseignement sur
le Pacte de Varsovie. Le service français fut, en conséquence, rapidement
distancé par ses alliés américain et britannique dans sa connaissance des
services du camp communiste et ne participera que très marginalement
à la guerre secrète Est/Ouest. La DST, malgré sa qualité, ne connaîtra que
des succès mineurs en raison de ses trop faibles eff ectifs.
Dès l’automne 1945, le gouvernement et une partie de la classe politi-
que envisageaient sérieusement l’éventualité d’une guerre avec l’Union
soviétique et craignaient, dans cette perspective, le développement
de la subversion communiste interne. Face à cette menace, le SDECE
décida la mise en place de réseaux de renseignement et de résistance
sur le territoire national. Mais, lors de sa création, il ne possédait pas
de service Action, celui de la DGER ayant été dissous en juin 1945.
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CHAPITRE 19
L’enfer, c’est l’autre !
Ils n’étaient pas fi lés seulement par les agents du ministère des Postes ; ils l’ étaient
aussi par ceux du préfet de police et par ceux mêmes du ministère de l’Intérieur
qui se disputaient le soin de les protéger ; ils l’ étaient encore par ceux de plusieurs
agences royalistes, impérialistes et cléricales, par ceux de huit ou dix offi cines
de chantage, par quelques policiers amateurs, par une multitude de reporters et
par une foule de photographes.
Anatole France, L’Île des pingouins (1907).
Je sais que c’est bizarre d’employer ce mot à propos de collègues, John. Mais le
mensonge est pour eux une seconde nature. La moitié d’entre eux ne savent même
plus quand ils disent la vérité.
John Le Carré, Le Miroir aux espions (1965).
Depuis les querelles de personnes au sein de la France libre, à Londres,
et la lutte pour le contrôle de la DGSS, à Alger, les rivalités entre les servi-
ces ont toujours nui à la perception du renseignement par les élites et
l’opinion françaises, comme à leur effi cacité.
Durant des années, les directeurs des services n’ont cessé de se faire la
guerre. Les dirigeants du SDECE ont toujours rêvé de reconstituer, à leur
profi t, le système antérieur à la Seconde Guerre mondiale, en remettant
la main sur le contre-espionnage et en réduisant à nouveau la DST au
rôle de simple organe d’exécution sous la direction des militaires et des
magistrats. Dès la naissance de la DST, ils ont essayé de la disloquer et d’en
recueillir les dépouilles. Mais Wybot ne désarmera pas. « Trente ans de
succès de la DST, prouvant sa vitalité, l’effi cacité de son organisation, sa néces-
sité, n’y changeront rien1. » Au cours des années 1970 encore, Marenches
plaidera, en vain, auprès des autorités de l’État pour un rapprochement
DST/SDECE, car il envisageait secrètement d’absorber ce service.
1. Ph. Bernert, Roger Wybot et la bataille pour la DST, op. cit., p. 105.
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CHAPITRE 20
La prise de conscience des nouveaux enjeux
Savoir ce que l’on aff ronte est alarmant, mais l’ ignorer est terrible.
Victor Hugo, L’Homme qui rit (1869)
Ça n’est plus une guerre à coups de fusil, George, dit-elle en refermant les yeux.
C’est ça l’ennui. Tout est gris. Des demi-anges luttant contre des demi-démons.
Personne ne sait où se trouvent les lignes. Plus de bang-bang.
John Le Carré, Les Gens de Smiley (1979)
Tandis que la diplomatie est l’art du possible, le renseignement est la fabrique
de l’ impossible. Et notre vie devient de plus en plus impossible. Elle ne l’a jamais
autant été dans toute l’ histoire de l’humanité.
Ephraïm Halevy, Mémoires d’un homme de l’ombre (2006)
Les années 1990 ont été, pour les services de renseignement, une
période d’intenses bouleversements. La transformation qu’a connue le
monde au cours de cette décennie a été beaucoup plus marquée que celle
qui survint à la fi n du second confl it mondial. En eff et, avant même la fi n
des hostilités, un nouvel ennemi – le communisme soviétique – était très
clairement apparu1 et l’ensemble du dispositif mis en place pour lutter
contre le nazisme put être aussitôt redéployé contre Moscou. Rien de
semblable ne s’est produit lors de l’implosion de l’URSS. La disparition
d’une menace bien identifi ée, probable, a cédé le pas à une large diver-
sifi cation des enjeux touchant à notre sécurité et à une forte instabilité,
caractérisée par l’imbrication des facteurs politiques, économiques,
religieux et militaires.
La Guerre froide fut une guerre des opérations clandestines et pendant
près d’un demi-siècle, la rivalité Est-Ouest a structuré l’activité des servi-
ces de renseignement des États de l’OTAN et du Pacte de Varsovie. La
1. Dès l’été 1943, à Londres, le Post Hostilities Policy Comittee britannique prévoyait que l’Union soviétique
de Staline deviendrait l’ennemi n° 1 du Royaume Uni et de l’Occident.
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CHAPITRE 23
Sarkozy : une nouvelle ère ?
Si la dignité du renseignement est reconnue, il est alors naturel qu’ il soit traité
en véritable priorité de gouvernement.
Rémy Pautrat, revue Le Débat (n° 68, février 1992).
Mardi 17 janvier [2007] – Paris – Matignon […]. La discussion tombe sur la propo-
sition de plusieurs députés d’obliger les services secrets à rendre des comptes
au parlement. Nicolas Sarkozy qui pianote sur son portable depuis plus de 10
minutes relève la tête. “C’est une très bonne idée. Au moins on apprendra peut-
être quelque chose sur ce qu’ ils font. Parce que je ne sais pas, vous, Dominique,
Jean-Louis, vous avez été ministres de l’Intérieur, on ne sait jamais trop ce qu’ ils
fabriquent, c’est un mystère.” Jean-Louis Debré hoche la tête : “Et c’est peut-être
mieux comme ça, Nicolas.”
Bruno Le Maire, Des hommes d’État (2008).
Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le rensei-
gnement semble être l’objet d’un intérêt présidentiel. Déjà, lorsqu’il était
ministre de l’Intérieur (2002-2004 et 2005-2007), Nicolas Sarkozy avait
tenté de procéder à certaines réformes : fusion de la DST et des RG, mise
en place d’une commission parlementaire chargée du renseignement,
etc. Mais ses diff érends personnels avec le président Jacques Chirac ne
permirent pas leur aboutissement.
En 2007, aussitôt élu à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy
relança ces initiatives. Il les compléta par une dizaines d’autres réformes
qui furent menées à bien au cours des trois années suivant son arrivée
à l’Élysée :
– mise en place d’une délégation parlementaire pour le suivi des aff aires
de renseignement (2007) ;
– fusion de la DST et de la DCRG au sein d’un nouveau service, la
Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) (2008) ;
– création concomitante de la Sous-direction de l’information géné-
rale (SDIG) ;
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CHAPITRE 24
Le renforcement des moyens
du renseignement technique
Comme le secret est l’âme de la négociation, on a inventé l’art d’écrire avec des
chiff res ou avec des caractères inconnus pour dérober la connaissance de ce qu’on
écrit à ceux qui interceptent les lettres. Mais l’ industrie des hommes, qui s’est
raffi née par la nécessité et l’ intérêt, a trouvé des règles pour déchiff rer ces lettres
et pour pénétrer par ce moyen dans les secrets d’autrui. Cependant, quoiqu’ il y
ait des déchiff reurs célèbres et qui ont tiré de grandes utilités de cet art, on peut
assurer ici qu’ ils ne doivent leur considération qu’à la négligence de ceux qui
donnent de méchants chiff res et à celle des négociateurs et de leurs secrétaires
qui s’en servent mal.
François de Callières, De la manière de négocier avec les souverains (1717).
Tout l’art de la guerre est de deviner ce qui se cache de l’autre côté de la colline.
Arthur Wellesley, duc de Wellington (1769-1852).
Les confl its de l’après-Guerre froide ont mis en évidence l’importance
primordiale des satellites pour le renseignement, car ils permettent à la
fois l’observation, l’alerte avancée, l’interception des signaux, la recon-
naissance, la prévision météorologique, le positionnement et la naviga-
tion, le guidage et les télécommunications. Ils jouent également un rôle
important dans le suivi de la prolifération, la surveillance maritime et la
surveillance de l’Espace. Les moyens spatiaux permettent d’assurer une
couverture mondiale et d’obtenir du renseignement sur des zones qui ne
peuvent être accessibles par d’autres moyens. Ils se caractérisent aussi
par leur faible vulnérabilité, leur discrétion et surtout par leur capacité
à pouvoir observer tous les États, dans le respect du droit international,
c’est-à-dire sans violer leur souveraineté.
Au cours des années 1990, le domaine dans lequel les capacités de
renseignement françaises ont connu l’eff ort le plus signifi catif a été celui du
renseignement technique. Puis le Livre Blanc de 2008 a confi rmé la volonté
de renforcer les moyens d’observation spatiale, de reconnaissance
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CHAPITRE 25
La remise à niveau de la DGSE
Un négociateur éclairé et appliqué sert non seulement à découvrir les projets et les
cabales qui se forment contre les intérêts de son prince dans le pays où il négocie,
mais encore à les dissiper en lui donnant les avis nécessaires pour en empêcher
les suites. Il est aisé de faire échouer les plus grandes entreprises, lorsqu’on les
découvre dès leur naissance, et comme elles ont besoin de plusieurs ressorts pour
les faire mouvoir, il n’est presque pas possible de les cacher à un négociateur
attentif, qui se trouve dans les lieux où elles se forment.
François de Callières, De la manière de négocier avec les souverains (1717).
Je ne veux surtout pas que vous deveniez un espion, jeune Français. Espion, c’est
quand on se fait prendre. […] Les espions, ce sont des voyeurs, des voleurs, des
délinquants, vous, c’est diff érent, je vous propose d’être mon égal.
Heddi Kaddour, Waltenberg (2005).
Mes chers collègues, par choix et par dessein, les Français ne connaîtront jamais
les détails de votre courage, ni les détails de votre travail dans l’ombre. Vous servez
la France avec un patriotisme silencieux, vous ne recherchez ni les projecteurs,
ni les louanges. Et c’est ce qui fait votre honneur.
Erard Corbin de Mangoux, directeur de la DGSE,
discours prononcé à l’occasion du trentième anniversaire de la DGSE (2012).
Forte d’environ 4 900 hommes femmes1 et hommes, la DGSE est le plus
important des services français. Elle est reste loin derrière les « grands »
services européens que sont le BND allemand (près de 7 000 hommes)
et le GCHQ britannique (plus de 5 500 hommes), lequel ne s’occupe au
demeurant que des interceptions.
L’une des caractéristiques de la DGSE est d’être un « service intégré »,
c’est-à-dire qu’elle est à elle seule une petite communauté du renseignement
extérieur, cumulant les fonctions de recherche humaine, de recherche
technique, d’analyse et d’action. Autant de métiers qui relèvent, le plus
souvent, de services diff érents à l’étranger.
1. Au cours des deux dernières décennies, la DGSE s’est largement féminisée, la proportion de femmes
y est passé de 6 % à 25 % en 15 ans.
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CHAPITRE 26
L’envers du décor
Bonté divine Adrian, vous croyez que le renseignement n’est fait que de vérités
philosophiques inébranlables ? Est-ce que chaque prêtre doit prouver que le Christ
est né le jour de Noël ? […] On ne peut tout mettre en équations, Adrian. Nous ne
sommes pas des professeurs, nous sommes des fonctionnaires. Nous avons à faire
à des faits, à des gens, à des situations !
John Le Carré, Le Miroir aux espions (1965).
Nous sommes assis là à rédiger des télégrammes qui ne veulent rien dire. Nous
sommes pleins de notre petite importance sous prétexte que nous en savons un
peu plus que le premier venu sur les arachides ou sur ce qu’a raconté Mobutu
en privé, au cours d’un dîner. Vous ai-je jamais dit que, en entrant dans cette
baraque, c’était une vie excitante que je cherchais ?
Graham Greene, Le Facteur humain (1978).
La France dispose d’une réelle autonomie en matière de renseignement.
Elle est l’un des rares pays du monde à surveiller l’évolution de toutes les
zones de la planète et à s’être doté d’une panoplie complète de moyens de
renseignement, humains et techniques, civils et militaires. L’affi rmation
de l’importance du renseignement par le Livre Blanc de 2008 et par le chef
de l’État, ainsi que les moyens supplémentaires qui lui ont été accordés,
sont, pour les femmes et les hommes des services français, une immense
satisfaction. Tous se réjouissent que pour la première fois, les services
fassent l’objet d’un intérêt présidentiel et d’une priorité nationale.
Toutefois, la réalité est loin d’être parfaite et les modernisations condui-
tes doivent être relativisées. Les mesures annoncées dans le Livre Blanc sont
partielles et encore bien modestes. Pas plus que celles de 1992 et de 1994,
elles ne permettent de combler le retard accumulé par le renseignement
français depuis plusieurs décennies sur ses partenaires internationaux.
Si les eff orts entrepris sont louables, ils sont intervenus, avec beaucoup
de retard et une ampleur moindre qu’aux États-Unis et Royaume-Uni. Ne
nous y trompons pas : ils correspondent davantage à une remise à niveau
de nos services qu’à une nouvelle priorité accordée au renseignement.
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CHAPITRE 27
La transformation ratée
du renseignement intérieur
Il n’est pas de métier où l’échec laisse l’ homme plus complètement désemparé que
celui d’agent secret de la police. C’est comme voir le cheval qu’on monte tomber
mort, soudain, au milieu d’une plaine déserte et aride.
Joseph Conrad, L’Agent secret (1907).
Un bon agent des services d’ information est perdu quand il doit intervenir
sur quelque chose qui s’est déjà produit. Notre métier, c’est de faire que cela se
produise avant.
Umberto Eco, Le Cimetière de Prague (2011).
Si nul ne conteste qu’une réorganisation du renseignement intérieur
était nécessaire, la réforme de 2008 a remis en cause un système qui repo-
sait sur une logique éprouvée et a entraîné de nouveaux déséquilibres.
La création de la DCRI, qui concentre entre ses seules mains l’essentiel
des moyens les plus performants de la DST et de la DCRG, s’est eff ectuée
au détriment de l’information générale qu’assuraient auparavant les RG.
Surtout, la mise en œuvre de la réforme du renseignement intérieur a été
chaotique. Elle demeure imparfaite et inachevée, d’autant qu’elle a eu
lieu avant le rattachement de la Gendarmerie nationale au ministère de
l’Intérieur et la réorganisation de celui-ci.
Sur le principe, la fusion des deux services du ministère de l’Intérieur
recueillait l’assentiment de la majorité des spécialistes du domaine. Les
RG devaient apporter au nouvel ensemble leur réseau national – 4 000
fonctionnaires déployés dans tous les départements – et la DST sa puis-
sance d’analyse et ses moyens techniques. De cette union devait naître
« un FBI à la française ».
Fusion ? Le terme fait sourire tous les policiers concernés. La réforme
s’est eff ectuée au détriment des Renseignements généraux « C’est la DST
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CHAPITRE 28
Le sous-dimensionnement des services
Il arrive d’ordinaire dans les négociations ce qui arrive dans la guerre, que les
espions bien choisis contribuent plus que toutes choses au bon succès des gran-
des entreprises. Il n’y a rien de plus capable de renverser un dessein important
qu’un secret éventé bien à propos, et comme il n’y a point de dépenses mieux
employées ni plus nécessaires que celles qu’on y fait, c’est une faute inexcusable
à ceux qui sont en place de les négliger. Il vaudrait beaucoup mieux qu’un général
eût un régiment de moins dans son armée et qu’ il fût bien instruit de l’ état et du
nombre de l’armée ennemie et de tous ses mouvements ; et qu’un ambassadeur
retranchât de ses dépenses superfl ues pour employer ces fonds à découvrir ce
qui se passe dans le Conseil du pays où il se trouve. Cependant la plupart des
négociateurs dépensent beaucoup plus volontiers à entretenir un grand nombre
de chevaux et de valets inutiles qu’à gagner des gens capables de leur donner
des avis importants.
François de Callières, De la manière de négocier avec les souverains (1717).
C’est à cause d’eux que des gens de votre espèce se sont fait des idées fausses
sur la nature des fonds aff ectés au service secret. Il m’ incombe de corriger ce
malentendu en vous disant ce que n’est pas un service secret. Ce n’est pas une
institution philanthropique.
Joseph Conrad, L’Agent secret (1907).
Malgré les eff orts consentis au cours des années 1990 et relancés
depuis 2008, sur le plan des moyens et des eff ectifs, les services français
ne sont à la hauteur ni des besoins, ni des ambitions actuelles de suivi de
l’ensemble des zones géographiques et des crises de plus en plus nombreu-
ses1. En dépit de la qualité de son dispositif et surtout des hommes et des
femmes qui l’animent, la France est progressivement distancée par les
grandes nations du renseignement (Royaume-Uni, Russie, États-Unis)
qui investissent beaucoup plus qu’elle dans le développement de leurs
services. En conséquence, le fossé entre nos capacités et celles de nos
alliés ne cesse de se creuser, comme l’observe Michel Rocard, ancien
1. Assemblée nationale, Avis n° 280, op. cit., p. 34.
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