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En Piste! · fascinantes, de personnalités étonnantes, d’images surprenantes. Chacune de nos expositions déplie un petit morceau de la toile de l’immense chapiteau universel

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En Piste!Le cirque en images

Une exposition présentée au Dôme de Saumur

Œuvres de la Collection Jacob-WilliamChâlons-en-Champagne-Montréal

Chacun d’entre nous possède sa propre définition du cirque, totale ou imparfaite, souvent marquée par des souvenirs d’enfance, une rencontre émerveillée ou une simple retransmission télévisée. Fort de cette expérience, on pense tout savoir du cirque... Itinérant, fugace, coloré, bruyant, éblouissant, magique, le cirque n’en finit plus d’attirer les adjectifs et les superlatifs. Associé à une longue histoire de familles voyageuses il n’en apparaît que plus lointain pour les pauvres sédentaires que nous sommes.

Mais qu’est-ce en vérité que le cirque? C’est à la fois un lieu et un spectacle. C’est un monde singulier où les mots rêver, étonner, surprendre ou émerveiller suffisent à qualifier les émotions qu’il suscite. Mais c’est aussi un univers en perpétuel renouvellement, un territoire du spectacle vivant, souvent méconnu, qui puise ses origines à celles de l’humanité.

Le cirque, ça s’apprend. Le cirque, ça se discute. On l’interroge, on le presse, et il se livre. Le cirque, c’est une multitude d’histoires fascinantes, de personnalités étonnantes, d’images surprenantes.

Chacune de nos expositions déplie un petit morceau de la toile de l’immense chapiteau universel et révèle quelques secrets bien gardés. Le cirque c’est l’histoire d’hommes et de femmes qui, le temps d’un saut périlleux ou d’un équilibre sur une main, sont capables de vous faire oublier tout le reste.

Le cirque, c’est un art.

C’est la vie.

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Un fleuve pour paysage. De l’herbe, de la terre et de la poussière pour décor. Un cheval, un uniforme rouge, un tambour et un fifre pour arguments. Et une plume légère, blanche et frémissante pour métamorphoser le soldat en bateleur élégant. Le déséquilibre et le rétablissement pour séduire. Le cirque est fondamentalement un agrégat d’intentions. Et d’émotions. C’est une construction sensible, éprouvée par la richesse de ses fragments successifs et qui privilégie le principe de la mosaïque pour définir ses codes de représentation et construire ses spectacles. Le cirque est un genre neuf qui se nourrit de références, d’éclats et de différences. C’est son code génétique depuis bientôt 250 ans.

Imaginé par un officier de cavalerie, son premier «seigneur des chevaux», le cirque a donc balbutié ses premiers signes sur une berge de la Tamise, le 4 avril 1768. Philip Astley, le désormais fameux soldat, plante ses minces piquets de bois et tend sa pauvre corde à même la terre grasse ou poussiéreuse, une texture de sol qui conditionnera à la fois une bonne partie de son histoire et déclenchera quelques jolies épreuves poétiques, mêle cette matrice universelle d’un peu de sciure de bois fraîche et odorante, et ouvre, comme ça, sans plus de façon, avec simplicité et indépendance, une ère nouvelle pour l’industrie du spectacle vivant. Pourtant, la rudesse des premiers émois ne laisse pas présager d’une histoire à succès. Les badauds s’approchent, entourent l’écuyer debout sur son beau cheval, s’émerveillent de sa virtuosité, l’applaudissent, jettent sans doute un peu de monnaie à la fin de l’exhibition, mais il n’y a pas là de quoi révolutionner le monde du divertissement. L’attrait de la nouveauté contribue à rassembler régulièrement une petite foule de curieux, mais on peut supposer qu’à moins d’un basculement radical, cet homme vêtu de rouge, botté et chapeauté, n’a guère de chance de laisser son nom à la postérité. Et pourtant… C’est de ce goût pour l’aventure, éprouvé par un

jeune homme sans doute en mal de reconnaissance après ses vigoureux états de service sur le champ de bataille, que vont découler les premières esquisses d’une synthèse de métiers, une manière comme une autre de créer une communauté à nulle autre pareille où l’aristocratie sera incarnée par les cavaliers, où trapéziste rime avec contorsionniste, où les coulisses ont la chaleur de l’écurie, le parfum suave des îles et sont peuplées d’étranges silhouettes, à demi nues ou sanglées dans de stricts dolmans aux buffleteries sonores et rutilantes.

Astley n’a sans doute pas inventé le cirque,

au sens strict du terme, mais c’est lui qui lui a donné les moyens de résonner dans les sociétés occidentales de son temps et de se constituer un premier système de références structurelles pour exister, sinon résister, face au théâtre et au ballet, genres frères et pourtant peu enclins à partager une visibilité fragile et régulièrement remise en question, objet de luttes farouches et de plaintes renouvelées. Dans cette quête d’une place au soleil qu’il souhaite généreuse, le cirque va néanmoins être contraint d’abandonner quelques avantages: soumis aux lois sur les privilèges accordés à de rares salles anglaises et françaises qui régissent le droit à la parole sur scène, le cirque n’a d’autre choix que d’être muet. Il se fonde donc sur les jeux du corps, équestre et acrobatique, pour s’incarner. Pour répondre à un désir de transparence visuelle et organiser son public autrement, le cirque s’opère en rond. Il tourne. C’est à dire qu’il s’accomplit dans une aire de jeu circulaire autour de laquelle s’agrègent les spectateurs, la piste. Enfin, pour qu’il n’y ait pas de confusion avec ses rivaux, pendant ses premières années d’existence, le cirque oublie la narration appliquée à l’ensemble de la représentation et compose ses programmes à partir d’attractions, les numéros, ainsi nommés parce qu’ils régissent en creux l’organisation, l’ordre et le déroulement du spectacle, mais surtout parce qu’ils exercent, lorsqu’ils sont forts, un pouvoir… d’attraction. Séquences, segments, saynètes, entrées, numéros: le vocabulaire de la

Un peu d histoire...

fragmentation est explicite. Le cirque s’articule à partir de l’hétérogénéité de ses assemblages et ce qu’il perd en logique, il le gagne en dynamisme. En liberté aussi puisque les fameuses attractions sont interchangeables et que le spectateur puise là une bonne partie de son plaisir  : le passage incessant d’une émotion à une autre est l’un des atouts majeurs du cirque pour attirer son public. Et le renouveler aussi: c’est une autre intuition d’Astley, soucieux de modifier régulièrement la composition de ses programmes pour démultiplier une fréquentation toujours aléatoire. De cette volonté de mélanger les plaisirs va naître la compétition. De cette compétition va émerger la surenchère. De cette surenchère va se poser la question des limites. De ces limites, posées et inlassablement repoussées, va aboutir cette formulation reprise de la devise d’un concurrent parisien d’Astley, le célèbre Nicolet: «Toujours plus fort!»

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Philip Astley a tout compris. En moins d’une décennie, il franchit les étapes qui vont le faire passer d’aimable bateleur à entrepreneur de spectacles. Soldat courageux devenu homme d’affaires ambitieux, il abandonne assez vite les exercices équestres pour se consacrer au développement de son entreprise. Son fils John, considéré comme le plus bel homme de son temps, remarquable écuyer au demeurant, assure la relève. Il s’agit, déjà, d’un principe dynastique. Mais surtout, en assimilant très tôt la nécessité de construire une aire de jeu spécifique, Astley se fait architecte. Il agit empiriquement, mais son premier amphithéâtre à ciel ouvert où seuls les spectateurs sont protégés de la pluie et du vent par des tribunes de bois, s’il ne constitue pas un modèle pour l’avenir, fait preuve d’une belle efficacité. C’est le début d’un nouveau chapitre de l’architecture des salles de spectacle, progressivement dévolue à de sérieux professionnels qui vont s’en faire, deux siècles plus tard, une spécialité. Ainsi, bien que contraint par sa structure architecturale et son espace de représentation, le cirque se développe avec une rapidité confondante. Initié à Lambeth, à un jet de pierre de la cité de Londres en 1768, transplanté à Paris une première fois six ans plus tard, installé à Philadelphie en 1793, il ne lui aura fallu que 25 ans pour rayonner dans le monde occidental et s’imposer avec succès de l’Angleterre à la France, de la Russie à l’Amérique en passant par l’Italie, l’Allemagne ou les Pays-Bas. Forcément, cette dynamique ascendante modifie la perception du genre et entraîne de nouvelles mutations.

Intuitivement encore, Philip Astley crée quelques-uns des codes intangibles du cirque moderne  : il façonne à sa main son espace, décline l’intensité de ses représentations et impose l’évidence de ses choix. En traçant un cercle dans l’herbe oubliée d’une berge aujourd’hui transformée en quai, il inscrit son nom au panthéon des concepteurs d’espace. Bien sûr, il n’a pas inventé le cercle. Il n’a pas créé non plus la voltige équestre. Pas plus que l’acrobatie, le jonglage ou l’équilibre. Mais en affirmant sa filiation avec une figure géométrique multimillénaire, en s’appropriant cette distance d’un point à un autre, en recréant pour lui seul cette courbe pleine aux vertus magiques, il déclenche une révolution esthétique qui va foudroyer instantanément tous ceux qui se pressent autour du cercle. Sa piste est vaste, bien plus grande que toutes celles qui vont bientôt essaimer d’un bord du monde à l’autre. Il trace, intuitivement toujours, une aire d’environ 19 mètres de diamètre. Le bateleur s’est

fait arpenteur. Progressivement, il va réduire ce cratère presque plat et obtenir une piste idéale de 42 pieds. Treize mètres. Ou à peu près, jouant d’un écart de quelques dizaines de centimètres dans les cultures où le chiffre symbolique est paré de vertus ambivalentes ou contraires : 12.50 mètres avec une banquette de cinquante centimètres ou 13 mètres avec une banquette également de 50 centimètres. Ainsi, partout, l’honneur est sauf et la part de superstition légèrement édulcorée. Ces 42 pieds constituent une dimension désormais universelle. Mais, hasard, coïncidence ou anticipation, ces 42 pieds, c’est aussi le diamètre approximatif d’une scène élisabéthaine... Un plateau en éperon, au cœur d’une construction circulaire  : un presque-cirque, déjà, en Angleterre, un siècle plus tôt… Quoi qu’il en soit, c’est de ces 13 mètres, finalement déterminés en 1779, que vont dépendre le rayonnement et le développement du cirque moderne.

Fondamentalement, le cirque est un art en arbre. Une structure simple qui s’accorde bien à la métaphore végétale  : ses racines plongent loin, très loin parfois, dans le terreau symbolique de l’histoire des hommes. Profondément enfouies, à près de 5000 ans de distance, s’épanouissent les origines de l’acrobatie. Un peu plus haut, mais à peine, ce sont celles de la manipulation d’objets, issues de la chasse. Tout près encore, prolifèrent celles de la complicité avec le cheval, compagnon pour le labour et la guerre. Enfin, le rire, provoqué intentionnellement par un geste, une posture ou une mimique, n’a sans doute pas d’âge. Ces éléments, vitaux pour la constitution du vocabulaire circassien, se rassemblent à la base du tronc qui s’élève, savamment et très droit, à partir de 1768. Le parcours commence avec Philip Astley, Antonio Franconi, Charles Hughes et John Bill Ricketts : ce sont eux qui plantent le décor, cintrent le cercle et campent les rôles. C’est le début de l’histoire, le moment où toutes ces pratiques parfaitement autonomes et revendiquées comme telles de l’Antiquité à la Renaissance vont brusquement devenir des techniques et des disciplines de cirque. Des numéros. Pendant deux siècles exactement, le cirque moderne, en opposition sémantique au cirque antique, va se développer, se structurer et se renforcer, progresser sans vraiment se transformer. Et puis soudain, précisément deux cents ans plus tard, presque jour pour jour, bousculé par la révolution sociale, politique et culturelle de 1968, il va se métamorphoser. Du sommet du tronc vont s’épanouir des branches, courtes ou longues, fragiles ou puissantes, avec

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des feuilles, des fleurs et sans doute bientôt des fruits qui, en tombant au sol, en le fertilisant, vont peut-être à leur tour donner naissance à d’autres possibilités, d’autres formes, d’autres croisements, d’autres intensités… Cette arborescence, c’est l’illustration de la nouvelle diversité des formes, le développement d’autres manières de faire du cirque. Les racines nourrissent les branches, influencent leur dynamisme et mêlent les sources. Mais surtout, d’un et indivisible, le cirque s’est mué en foyers multiples.Né en Angleterre, développé en France, forme artistique universelle, sans frontières connues, le cirque n’a cessé d’évoluer et de se transformer. A l’aube du troisième millénaire et à la veille de son deux cent cinquantième anniversaire, le cirque a sans doute plus que jamais besoin de s’appuyer sur sa mémoire pour envisager de nouvelles mutations, garantes de sa créativité inépuisable. Depuis sa création, le cirque n’a cessé de générer une littérature et une iconographie importantes sur son histoire, ses formes et ses acteurs. C’est de cette matière d’une inépuisable richesse que peuvent naître de nouvelles propositions  : la mémoire féconde est sans doute le plus bel enjeu d’un site d’interprétation. C’est cette dimension, vivante et dynamique, que nous allons nous attacher à montrer.

Clown  ? C’est quoi un clown  ? Qu’est-ce que ça mange un clown  ? Arrête de faire le clown  ! Quel clown ! Pauvre clown ! Sale clown ! Maudit clown ! Clown alors ! Il y a depuis la naissance de cet étrange personnage une troublante synthèse d’expressions et de sentiments mêlés qui font du clown une créature imprévisible. Cette faculté d’adaptation à des univers très différents est un bon début pour comprendre ce qui fait d’un clown… un clown ! Le clown est un symbole de cirque. Il le résume presque à lui tout seul : son ironie cinglante mêlée à une franche bonhommie en font un personnage singulier, capable de faire rires petits et grands tout en conservant une part de mystère parfois inquiétante. La figure du clown s’est échappée du cirque depuis de nombreuses années. Tout le monde a un souvenir de clown. Parfois, à l’instar du cinéaste Federico Fellini, c’est un mauvais souvenir. Un vrai cauchemar. Dans ce cas précis, cette terrifiante réminiscence d’enfance trouvera un écho à la fois baroque et cinglant dans la carrière de l’un des plus grands réalisateurs du vingtième

siècle. Son film, le bien titré I Clowns, est à la fois un plaidoyer, un exutoire, un témoignage et un constat sans appel sur la décadence et la disparition programmée du clown. Le clown synthétise dans cette œuvre exceptionnelle tout ce que l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte peuvent exprimer en matière de doutes, d’hésitations et d’états d’âmes. Le clown et son cortège d’ambivalences se réinvente comme un catalyseur de talent, quelle que soit la finalité de l’œuvre : de Chaplin à Fellini, de Keaton à Söderstrom, de Bergman à Tati, les complicités sont infinies.

Des disciplines fondatrices et fondamentales du cirque moderne, le clown est sans doute celle qui a le plus fait bouger les lignes de son histoire. Sans doute est-il loin le temps où devenir clown était une manière de capitaliser sur les acquis d’une carrière, de s’appuyer sur une pratique équestre ou acrobatique et de faire, à l’heure d’une retraite imposée par un corps fatigué, le choix, important, de se transformer en clown ou en auguste. Une décision riche d’enjeux, un changement drastique d’apparence, mais qui offre aussi la possibilité de poursuivre une carrière, de la faire évoluer autrement, et de pouvoir surtout continuer à respirer l’odeur de la sciure et de se griser, encore, des applaudissements du public. De l’intuition de sa propre capacité à se fondre dans un jeu de rôles, basé sur des codes précis de comportement selon que l’on est blanc ou rouge, à une décision réfléchie de devenir clown dans un lent processus d’apprentissage et de compréhension du personnage, il y a évidemment quelques différences. Les deux modes d’appréhension ne sont pas contraires, ils posent simplement les méthodes d’acquisition et le parti éventuel à en tirer sur des lignes de forces plus parallèles que perpendiculaires. Surtout, les clés du caractère clownesque sont désormais à chercher dans le registre théâtral. Loin d’un renoncement à la tradition, il s’agit bien plutôt d’un retour aux sources, à une exploration des racines et des agrégats qui constituent le clown depuis ses origines, influencées notamment par des références purement et explicitement théâtrales. Des atellanes romaines aux farceurs médiévaux, des comédiens italiens aux jesters shakespeariens, le clown puise dans le répertoire de ces ancêtres les mécanismes du comique moderne.

Si l’étymologie va creuser du côté de l’anglais ancien et s’appuie sur une motte de glaise, clod, pour façonner un mot aux accents ronds et joyeux qui singularise un rôle de paysan au verbe

incompréhensible, un sabir des Cotswolds, une chaîne de collines du sud-ouest de l’Angleterre, et qui fait claquer ses sabots sur les planches en compagnie parfois d’un chien facétieux. William Shakespeare va offrir des lettres de noblesse à un personnage de théâtre un peu fruste et dont la vis comica est un prétexte à rompre l’unité théâtrale lorsqu’il semble utile au directeur de la salle de réveiller le public qui baille parfois aux tragédies mal ficelées… Shakespeare va insérer le clown dans la trame même de ses pièces et les inscrire sur la liste officielle de ses personnages, semant des clowns dans ses comédies comme dans ses tragédies. De La Nuit des Rois à Hamlet, les clowns sont des acteurs à part entière et relèvent avant tout d’une tradition théâtrale.

Clown

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Il s’agit là d’un emploi, semblable à celui de Scapin ou Scaramouche, un faisceau d’attitudes et d’aptitudes qui remplissent les arcanes d’un métier. Etre clown est un état, accepté et validé par la communauté des comédiens. Mais surtout, artisan du ressort comique, le clown possède un répertoire de gestes, de mimiques et de postures qui vont inévitablement enrichir tous ceux qui, à l’aube du XIXe siècle, vont commencer à se rendre populaires sur la piste des cirques.

C’est la fin de l’entracte. Alerté par de vigoureuses sonneries, le public, dispersé entre le bar et la ménagerie, regagne les gradins, à la fois excité par toutes les émotions déjà vécues, le cœur chaviré par le parfum lourd des bêtes enchaînées, mais aussi soucieux de ne pas rater le début de la seconde partie. La salle est vaguement éclairée. La piste, jusque-là vierge de toute scénographie, est occupée par une vaste ceinture de grilles qui épouse parfaitement sa forme circulaire. Silhouettes fantomatiques, les hautes parois d’acier ont quelque chose d’inquiétant, mais elles attisent aussi la curiosité des enfants. Et puis, brusquement, les lumières basculent. L’obscurité envahit les loges et les vomitoires, noie l’ensemble des places dans une pénombre à la fois inquiétante et complice. Le rideau pourpre frémit, dévoile d’étranges lueurs. On devine des corps en mouvement. Plusieurs. Soudain, tout cela n’a pris en réalité qu’une poignée de secondes, les projecteurs inondent la sciure et, passé le fugitif instant d’aveuglement, la foule découvre avec ravissement un groupe de tigres, de panthères ou de lions. Même si ce n’est plus tout-à-fait la même chose qu’au dix-neuvième siècle, l’effet de surprise fonctionne toujours. La présence des fauves, leur beauté et leur nonchalance feinte, leur proximité avec les premiers rangs surtout, ramène inévitablement aux origines du dressage, exutoire d’un vieux fond d’angoisse qui taraude tout un chacun depuis l’aube de l’humanité. Et questionne la raison d’être de ces bêtes, somptueux anachronisme à l’aube d’un millénaire qui se voudrait spirituel et plus soucieux d’éthique que tous ceux qui l’ont précédé. Le dompteur, qu’il soit à demi nu ou vêtu de blanc, sanglé dans un boléro pailleté ou paré d’une cuirasse romaine, ravive d’anciens mythes ou Orphée côtoie Circé, où Mowgli et Tarzan affrontent une fois encore les

vieux démons de la Jungle, qu’elle soit d’Afrique ou d’Asie, bien réelle ou totalement fantasmée. La partie se joue quotidiennement, observant un identique rituel, culminant avec la fuite du dernier lion, laissant la place au héros absolu qui, une fois encore, a vaincu les forces primitives et fait triompher la civilisation...

En défiant des fauves dans un espace restreint qui ne leur laisse aucune chance de fuite, le dompteur active un réseau d’émotions spécifiques avec lesquelles le cirque n’a pas encore vraiment composé. Peur, colère, angoisse, brutalité et violence marquent les premiers âges de l’affrontement entre un homme décidé et des fauves terrifiés. L’opposition nature/culture est brutale et sans équivoque. En s’entachant de références au sacré, la soumission des bêtes féroces est promise à un bel avenir dès lors qu’elle va s’affranchir des cages des ménageries foraines pour investir la piste du cirque et s’imposer comme l’un de ses symboles les plus spectaculaires. Henri Martin, Isaac Van Amburgh sont des précurseurs, guidés sans doute avant tout par l’appât du gain et l’attrait d’un peu de gloire, mais ils ne soupçonnaient sûrement pas l’importance de ces enjeux de puissance et de domination, écho biblique et judéo chrétien inscrit avec le sang de nombreuses victimes déchiquetées ou égorgées au répertoire d’un cirque avide de sensationnalisme qui se formalise au cours de la seconde moitié du 19ème siècle.

a pour but de promouvoir le patrimoine circassien et de valoriser l’imaginaire des arts de la piste en s’appuyant sur une collection de 17 000 œuvres du 16ème siècle à nos jours pour concevoir notamment des expositions thématiques à travers le monde et inspirer éditions et publications. Mais Résonances a surtout l’ambition de contribuer au développement des arts du cirque en soutenant des projets de création, en participant financièrement au quotidien d’un ou plusieurs étudiants en formation dans une école supérieure et en inscrivant ainsi le passé au service de l’avenir. Adosser le futur à l’histoire, permettre aux témoins anciens et fragiles d’un autre temps de

Betes...de cirque!

Fondee en 2015,l association Resonances

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soutenir la créativité contemporaine et de nourrir l’imaginaire des artistes est le cœur même de notre action. Au travers d’une vision sans frontières des arts du cirque, nous souhaitons participer et contribuer à l’élan créatif impulsé par les acrobates du monde, d’où qu’ils viennent et où qu’ils choisissent d’aller. Résonances a le désir et l’ambition d’accompagner le plus loin possible des parcours créatifs hors normes, mais si d’aventure une œuvre issue de la collection devient une source d’inspiration pour un geste, un costume, un agrès, une architecture ou un spectacle, la fête n’en sera que plus belle !

Riche de plus de plusieurs milliers d’œuvres et documents du XVIème siècle à nos jours, la Collection Jacob-William est sans doute l’un des plus beaux ensembles au monde sur le thème du cirque. Créée à l’initiative de Pascal Jacob et Christian William, elle offre aux chercheurs, aux amateurs et aux collectionneurs un champ d’investigations inédit et défriche sans cesse de nouveaux territoires pour contribuer à élargir et éclairer toujours davantage la perception des arts du cirque. Les œuvres sont régulièrement prêtées pour des expositions prestigieuses aux quatre coins de la planète. Le Victoria and Albert Museum de Londres, le Centre Pompidou-Musée National d’Art Moderne de Paris, le Centre Canadien d’Architecture de Montréal, le Musée d’Art et d’Histoire de Langres, le Cirque du Soleil, à Montréal, Moscou et Las Vegas, le Pavillon Canadien de l’exposition universelle de Shanghai, le Musée des Jacobins à Auch, le Musée Thomas Henry de Cherbourg, le Salon du Livre de jeunesse de Montreuil, le Centre National du Costume de Scène de Moulins et le Musée des Civilisations de Québec ont accueilli des œuvres de la Collection Jacob-William, mais également le cinéma pour le film Effroyables jardins et la mode à l’occasion d’un défilé pour la maison Kenzo. La mission de conservation et de diffusion des œuvres est assurée p Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne et par le la Tohu, Cité des arts du cirque de Montréal. La Collection Jacob-William est en perpétuel développement : comme le cirque…

Le principe fondateur de la collection est la résonnance. Constituée comme une collection généraliste, chacune des œuvres qui la structurent doit entrer en résonnance avec une ou plusieurs autres afin de créer une lecture transversale du patrimoine circassien, ses fondations, ses mutations et son développement actuel. C’est pour cela que la collection conserve aussi bien des documents du XVIe siècle que des œuvres contemporaines.

La force d’une collection réside dans sa diversité : c’est le principe d’un ensemble généraliste où les œuvres résonnent les unes par rapport aux autres. C’est à partir de ces innombrables et incessantes confrontations que s’évaluent et se multiplient les connaissances. Je crois fondamentalement à la notion d’écho d’une œuvre à l’autre  : le cirque s’est développé à l’échelle du monde et sûrement pas à celle d’un seul pays, d’une seule culture. Transversal et généraliste sont d’évidents synonymes. Ils reflètent avec acuité une préoccupation structurante du collectionneur  : comprendre. Comprendre comment s’établissent les liens entre les pratiques, qu’elles soient nées à l’aube de l’Humanité ou au cours du 19ème, voire du 20ème siècle. Comprendre l’enchaînement des gestes séculaires qui ont conduit à la codification d’un répertoire, puissant et universel.

Nous organisons des expositions à partir des 17 000 œuvres qui composent la collection : des prêts réguliers à des institutions prestigieuses (Musée national d’art moderne-Centre Georges Pompidou, Musée des civilisations de Québec, Fondation Getty, Musée d’art et d’histoire de Langres, Musée des Beaux-Arts de Cognac, Centre Canadien d’Architecture, Victoria and Albert Museum de Londres, Centre International pour la Ville et l’Architecture de Bruxelles, Musée Thomas Henry de Cherbourg, Musée des Jacobins d’Auch...) ont ainsi contribué à ancrer la collection dans une dynamique de partage à l’échelle du monde. Quel que soit le lieu, la taille de l’espace, nous créons un concept d’exposition sur mesure en fonction des désirs et des besoins de nos interlocuteurs. De

Une collectionpouraujourd hui...

Des oeuvres enresonnance.

Montrer, c estvivre.

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la médiathèque à la galerie, du musée au salon, nous inventons à chaque fois une autre manière de découvrir les œuvres… et le cirque !

Hier, une centaine d’œuvres investissaient les salons du Château de Breteuil, une sélection d’estampes ornait les murs d’une galerie au Québec, cent cinquante pièces exceptionnelles ont été présentées dans une scénographie originale au Mans en attendant d’orner les murs du Musée d’art et d’histoire de Salzbourg sans oublier la sélection d’affiches, d’objets précieux, de tableaux, de jouets et de costumes offerte de manière permanente dans les coursives de la Tohu à Montréal... Bientôt, le Metropolitan Museum de New York va consacrer une exposition dossier à l’un des tableaux de Georges Seurat qu’il présente dans ses salles de peinture française. A cette occasion, nous avons été sollicités pour prêter quelques œuvres destinées à contextualiser un tableau majeur de l’histoire du pointillisme.

une lampe spécialement créée en 1889 pour orner la façade du Cirque d’Amiens quittera le Québec pour retrouver symboliquement sa place au cœur de l’édifice restauré à l’identique de son état d’origine, avant qu’une bombe ne l’endommage en 1918. Protégée depuis plus de vingt ans par nos soins, exposée à la Tohu depuis dix ans, cet objet historique illustre bien notre devise  : « Acquérir pour préserver »… Nous restituerons cette lampe de verre et de métal, une pièce d’exception qui a «  vu  » Jules Verne, lorsque le célèbre écrivain a officiellement inauguré le cirque d’Amiens, l’année du centenaire de la Révolution française et du dévoilement de la Tour Eiffel…

A cette occasion, et pour célébrer les 250 ans de la fondation du cirque moderne, une grande exposition illustrera cette formidable aventure spectaculaire qui puise sa force aux origines de l’humanité et continue soir après soir d’émerveiller, de surprendre et d’étourdir des générations de spectateurs fascinés.

Une collectionqui s expose...

En 2018,

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