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8 actualités Actualités pharmaceutiques n° 480 Décembre 2008 Les découvertes en matière d’antibiothérapie se font plutôt rares depuis plus de dix ans, si bien que l’inquiétude grandit face aux résistances croissantes des germes, en particulier dans les infections nosocomiales. Un espoir renaît avec la mise en évidence, à l’Université de Swansea (Pays de Galles), d’un nouveau type d’antibiotiques issu des sécrétions d’asticots, qui semble efficace contre des bactéries multirésistantes. D epuis la découverte de la pénicilline par Alexan- der Fleming en 1928, de nouvelles classes d’antibioti- ques ont régulièrement vu le jour. Pourtant, depuis une ving- taine d’années, la recherche en matière d’antibiothérapie sem- ble en panne, si bien que les cliniciens se retrouvent parfois dans des situations d’impuis- sance face à une très forte croissance des résistances bactériennes. En France, on estime à plus de 750 000 le nombre d’infections noso- comiales survenant chaque année pour un coût supporté par l’Assurance maladie de 3 à 6 milliards d’euros. En par- ticulier, des staphylocoques multirésistants affectent de plus en plus de patients, causant des douleurs intenses, des amputa- tions et des décès. On estime ainsi à 9 000 le nombre de décès par an dus aux infections noso- comiales en France. Les asticots vivants, une méthode déjà reconnue L’équipe dirigée par le professeur Norman Ratcliffe de l’Université de Swansea, au Pays de Gal- les, travaillait depuis plusieurs années sur l’effet bactéricide des asticots de la mouche verte commune ( Lucilia sericata) 1 . Il faut reconnaître que l’utilisation d’asticots vivants pour traiter des plaies infectées est une méthode traditionnelle employée depuis longtemps. Il n’est pas rare de voir des blessures atteintes d’infections chroniques longues (18 mois) très difficiles à traiter en dépit de nombreux antibio- tiques de toutes classes, être réduites en quelques jours par l’application d’asticots vivants. Ces derniers permettent même, en dernier recours, d’éviter des amputations de membres pour prévenir une généralisation de l’infection, potentiellement létale. Il est postulé que ces asticots produisent des enzymes détrui- sant certains germes et alcalini- sent les plaies. Les chercheurs ont récemment purifié les sécrétions de ces asticots qu’ils ont nommées la Sératicin ® . L’intérêt principal de cette découverte est que ce nouvel antibiotique s’est révélé efficace sur pas moins de 12 souches de Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (MRSA) aussi bien que sur des germes dévastateurs responsa- bles d’infections nosocomiales comme Clostridium difficile et Escherichia coli. Un nouvel espoir à concrétiser Désormais, l’équipe de Norman Ratcliffe s’attache, d’un côté, à identifier la molécule active et ainsi à définir sa structure par spectrométrie de masse ou résonnance magnétique nucléaire et, d’un autre côté, à compren- dre par quel mécanisme Sérati- cin ® exerce les effets démontrés. L’étape suivante sera évidem- ment de confier aux chimistes le soin de développer un moyen de synthétiser cette molécule active pour la produire à grande échelle. En effet, les chercheurs estiment qu’ils doivent actuellement dispo- ser de 20 tasses d’asticots pour produire une goutte de Sérati- cin ® . Par ailleurs, la synthèse de dérivés pourrait peut-être permettre d’obtenir des composés présentant encore plus d’acti- vité ou moins d’ef- fets secondaires. C’est seulement à ce moment, une fois les essais pré- cliniques validés sur des cultures bac- tériennes in vitro et sur des modèles animaux, que de réels essais thérapeutiques pourront être réalisés chez des patients atteints de graves infec- tions. Parallèlement, les galénis- tes s’attèleront alors à mettre au point des formes adaptées, comme des crèmes ou pomma- des pour des infections cutanées, ou des formes orales ou injecta- bles pour des infections systémi- ques comme celles à Clostridium difficile. Une réponse aux nouveaux défis en infectiologie ? S’il semble trop tôt pour connaî- tre précisément la composition de la Sératicin ® , ces résultats n’en demeurent pas moins pro- metteurs pour relancer la recher- che en panne dans le domaine de l’infectiologie, et initier, pour- quoi pas, une nouvelle classe d’antibiotiques, permettant de répondre aux défis qui s’an- noncent dans la lutte contre les infections nosocomiales et les germes multirésistants. Sébastien Faure Maître de conférences des Universités, Faculté de pharmacie, Angers (49) [email protected] Recherche Enfin un nouvel antibiotique ? Référence 1. Bexfield A, Bond AE, Roberts EC, Dudley E, Nigam Y, Thomas S, Newton RP, Ratcliffe NA. The antibacterial activity against MRSA strains and other bacteria of a <500Da fraction from maggot excretions/ secretions of Lucilia sericata (Diptera: Calliphoridae). Microbes Infect 2008; 10(4): 325-33. Pour en savoir plus Programme national de lutte contre les infections nosocomiales 2005- 2008 : www.sante.gouv.fr/htm/actu/ infect_nosoco181104/prog.pdf Université de Swansea : www.swan.ac.uk/news_centre/ LatestNews/Headline,25710,en.php © BSIP/D ocstock/E m erg e ncy

Enfin un nouvel antibiotique ?

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8actualités

Actualités pharmaceutiques n° 480 Décembre 2008

Les découvertes

en matière

d’antibiothérapie se

font plutôt rares depuis

plus de dix ans, si

bien que l’inquiétude

grandit face aux

résistances croissantes

des germes,

en particulier

dans les infections

nosocomiales.

Un espoir renaît avec

la mise en évidence,

à l’Université de

Swansea (Pays de

Galles), d’un nouveau

type d’antibiotiques

issu des sécrétions

d’asticots, qui

semble efficace

contre des bactéries

multirésistantes.

Depuis la découverte de la pénicilline par Alexan-der Fleming en 1928, de

nouvelles classes d’antibioti-ques ont régulièrement vu le jour. Pourtant, depuis une ving-taine d’années, la recherche en matière d’antibiothérapie sem-ble en panne, si bien que les cliniciens se retrouvent parfois dans des situations d’impuis-sance face à une très forte croissance des résistances bactériennes. En France, on estime à plus de 750 000 le nombre d’infections noso-comiales survenant chaque année pour un coût supporté par l’Assurance maladie de 3 à 6 milliards d’euros. En par-

ticulier, des staphylocoques multirésistants affectent de plus en plus de patients, causant des douleurs intenses, des amputa-tions et des décès. On estime ainsi à 9 000 le nombre de décès par an dus aux infections noso-comiales en France.

Les asticots vivants, une méthode déjà reconnueL’équipe dirigée par le professeur Norman Ratcliffe de l’Université de Swansea, au Pays de Gal-les, travaillait depuis plusieurs années sur l’effet bactéricide des asticots de la mouche verte commune (Lucilia sericata)1. Il faut reconnaître que l’utilisation d’asticots vivants pour traiter des plaies infectées est une méthode traditionnelle employée depuis longtemps. Il n’est pas rare de voir des blessures atteintes d’infections chroniques longues (18 mois) très difficiles à traiter en dépit de nombreux antibio-tiques de toutes classes, être réduites en quelques jours par l’application d’asticots vivants. Ces derniers permettent même, en dernier recours, d’éviter des amputations de membres pour prévenir une généralisation de l’infection, potentiellement létale. Il est postulé que ces asticots

produisent des enzymes détrui-sant certains germes et alcalini-sent les plaies.Les chercheurs ont récemment purifié les sécrétions de ces asticots qu’ils ont nommées la Sératicin®. L’intérêt principal de cette découverte est que ce nouvel antibiotique s’est révélé efficace sur pas moins de 12 souches de Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (MRSA) aussi bien que sur des germes dévastateurs responsa-bles d’infections nosocomiales comme Clostridium difficile et Escherichia coli.

Un nouvel espoir à concrétiserDésormais, l’équipe de Norman Ratcliffe s’attache, d’un côté, à identifier la molécule active et ainsi à définir sa structure par spectrométrie de masse ou résonnance magnétique nucléaire et, d’un autre côté, à compren-dre par quel mécanisme Sérati-cin® exerce les effets démontrés. L’étape suivante sera évidem-ment de confier aux chimistes le soin de développer un moyen de synthétiser cette molécule active pour la produire à grande échelle. En effet, les chercheurs estiment qu’ils doivent actuellement dispo-ser de 20 tasses d’asticots pour produire une goutte de Sérati-cin®. Par ailleurs, la synthèse de

dérivés pourrait peut-être permettre d’obtenir des

composés présentant encore plus d’acti-vité ou moins d’ef-fets secondaires. C’est seulement à ce moment, une fois les essais pré- cliniques validés

sur des cultures bac-tériennes in vitro et

sur des modèles animaux, que de réels essais thérapeutiques pourront être réalisés chez des patients atteints de graves infec-tions. Parallèlement, les galénis-tes s’attèleront alors à mettre au point des formes adaptées, comme des crèmes ou pomma-des pour des infections cutanées, ou des formes orales ou injecta-bles pour des infections systémi-ques comme celles à Clostridium difficile.

Une réponse aux nouveaux défis en infectiologie ?S’il semble trop tôt pour connaî-tre précisément la composition de la Sératicin®, ces résultats n’en demeurent pas moins pro-metteurs pour relancer la recher-che en panne dans le domaine de l’infectiologie, et initier, pour-quoi pas, une nouvelle classe d’antibiotiques, permettant de répondre aux défis qui s’an-noncent dans la lutte contre les infections nosocomiales et les germes multirésistants. �

Sébastien Faure

Maître de conférences des Universités,

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

Recherche

Enfin un nouvel antibiotique ?

Référence1. Bexfield A, Bond AE, Roberts

EC, Dudley E, Nigam Y, Thomas S,

Newton RP, Ratcliffe NA.

The antibacterial activity against MRSA

strains and other bacteria of a <500Da

fraction from maggot excretions/

secretions of Lucilia sericata (Diptera:

Calliphoridae). Microbes Infect 2008;

10(4): 325-33.

Pour en savoir plusProgramme national de lutte contre

les infections nosocomiales 2005-

2008 : www.sante.gouv.fr/htm/actu/

infect_nosoco181104/prog.pdf

Université de Swansea :

www.swan.ac.uk/news_centre/

LatestNews/Headline,25710,en.php

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