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Date : NOV/DEC 15 Pays : France Périodicité : Bimestriel Page de l'article : p.26-30 Journaliste : Alexandra Fau Page 1/5 LOOLOU 5106685400502 Tous droits réservés à l'éditeur ENQUETE LUMIÈRE-MATÉRIAU Lauren Collin, Sans titre, papier iquarelle sculpte. Page de droite : Matthias Contzen, Planet Lucky, mai brt.

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Lauren Collin, Sans titre, papier iquarelle sculpte.Page de droite : Matthias Contzen, Planet Lucky, mai brt.

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moa Dab e VLes créateurs ont longtemps perçu la lumière comme un additif venu réveiller des matériaux inertes.Désormais, ils s'en emparent pour l'intégrer à l'œuvre dès l'origine du processus de création. Elle anime,sublime, métamorphose la matière pour enfin s'émanciper, faire espace et agir sur la perception duspectateur. D'où provient cet attrait des artistes pour ce médium immatériel et impalpable, et quellesen sont les conséquences ? TEXTE D'ALEXANDRA PAU

vant de devenir un élément constitutif del'objet de création, la lumière s'est d'abordimposée comme un sujet . En témoignel'histoire de l'art pictural. Attentifs auxmoindres variations lumineuses, les impres-

sionnistes s'inspirent de son caractère changeant pourintroduire la notion de temporalité en peinture, àl'image de Claude Monet. Pour les peintresde la vie moderne, les becs à gazviennent compléter ou remplacerl'astre solaue en tant que sourcelumineuse, devenant vite unsujet de prédilection (VanGogh, Terrasse du cafe lesoir, 1888 ou Pierre Bon-nard, Dejeuner sous lalampe, 1898). Retour a lalumière naturelle L'œilcligne sous l ' e f fe t ducontre-jour. Il est éblouipar le jaune intense quinimbe l 'arrière-plan dupetit tableau de VuillardL'Élégante (1891), ou lescombinaisons colorées de laserie des Fenêtres de RobertDelaunay (1912). Pour Malc-vitch : « La lumiere est ce qu'ilfaut révéler, c'est le travail premieret principal de la peinture Les objets nesont que les endroits ou vibre la lumiere. » À lamême époque, Moholy-Nagy, l'un des chefs de filedu Bauhaus en Allemagne, s'exprimait ainsi : « Laplupart des œuvres visuelles du futur vont incom-ber au peintre de la lumière. [...] Il aura le savoirscientifique du physicien et le savoir-faire techno-logique de l'ingénieur, couples a son imagination,à son intuition créatrice et à l'intensité de ses emo-

tions. » (Extrait du catalogue de l'exposition « Sons& Lumières », éditions du Centre Pompidou, Paris,2004.) Les constructivistes se rêvent alors en ingé-nieurs dans l'hypothèse d'une réconciliation entrel'art et la technique.

De la perception spatialeDans les années 1960, les artistes du Light

Art de la côte Ouest américaineretrouvent cette inclinaison scien-

tifique. James Turrell manipulela lumière, comme d'autres

la couleur, « pour travail-ler sur le médium de laperception ». Explorer lamanière dont la lumièreagit sur celle-ci jusqu'àproduire des vis ionshallucinées et infléchirnotre relat ion à l'es-pace ouvre des pans derecherches inépuisables

pour les créateurs. Ainside la sculptnce américaine

Soo Sunny Park qui, avecson œuvre Unwoven Light

montrée cette année au centred'art Eléphant Paname dans le

cadre de l'exposition « Lumieres, ThePlay of Brillants », brouille la vision du

spectateur : les reflets aux murs des tesselles dePlexiglas sur lesquelles est projetée la lumiere semblenten effet faire partie de la sculpture. Ces jeux de per-ception sont facilités par l'usage d'un matériau trans-lucide. L'histoire est donc riche d'expérimentationsdans le domaine du verre et du Plexiglas qui permettentnotamment de difracter les rayons et de donner nais-sance à d'étonnants arcs-en-ciel.

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Ces matériaux transparents n'ont cependant pas lemonopole du mariage réussi avec le matériau lumière,et d'autres parviennent à questionner la perception spa-tiale. Sur un plateau désertique de l'Utah (Gréât BasmDesert), l'artiste américaine récemment disparue NancyHolt convoque l'immensité cosmique avec ses Sun tun-nels (1973-1976). Cylindres de béton orientés dansquatre directions sur les angles d'apparition des sols-tices, ils sont traverses par le soleil levant dix jours paran. La lumière y pénètre par effraction,comme dans les sculptures en marbrede Matthias Contzen : PlanetLucky (2015) laisse entrevoirson cœur irréguher né d'uneimprobable concrétion quivient contraster avec le finilisse de l'extérieur.

La lumière pour guideSi elle « traverse » lescréations a jourées dusculpteur allemand, lalumière « touche » lespièces de papier gaufréet découpe de la JaponaiseHitomi U c h i k u r a . Carmême lorsqu'elle fait partieintégrante de l'œuvre, l'actionde la lumière peut se résumer à sedéposer dessus. Diatomée (2009),de la jeune céramiste et plasticiennefrançaise Gislame Tnvidic, relève de ce pro-cédé : des épingles éclairées, plantées sur fond blanc, ydessinent des paysages montagneux. « Partagée entreombre et lumière, la ligne d'horizon frémit », écrit-elle. La matérialité de l'objet piquant et la douleurassociée au geste s'estompent dans l'ombre portée.Celle-ci grandit en fonction de l'intensité de l'éclairagequi apporte selon une dramaturgie ou une douceur.

Dans une même veine mimmaliste, la jeune artistefrançaise Lauren Collin réveille la matière à l'aide d'unscalpel et sculpte le papier : « Chaque entaille attrapela lumiere en fonction de sa forme et de son orien-tation. » Avec pour point de depart une simple idéede mouvement, son dessin restera indéterminé tout letemps de la création, et la lumière jouera un rôle pri-mordial dans son devenir : « Je me laisse guider parmon intuition. Le dessin va évoluer en fonction de masensibilité, et de la lumière ambiante donnant ainsi àl'œuvre un caractère unique. » La finesse d'exécutionrenvoie à la culture nippone qui fascine Lauren Collinpar son art de l'épure et de l'équilibre : « Dans /'Éloge

de l'Ombre [essai esthétique sur la culture japonaisedatant de 1933], Junichirô Tanizaki explique combienla subtilité de l'éclairage est essentielle afin de pouvoiradmirer une laque. Cet art n'étant pas fait pour êtreobserve dans un environnement trop illumine maîs aucontraire dans une légere obscurité afin de la mettreen valeur et pouvoir ainsi découvrir progressivementtoute sa profondeur. Je trouve cette philosophie trèspertinente et f en ai fait l'expérience avec mon travail

car c'est dans une semi-obscurité avec unelumiere rasante que le volume de mes

bas-reliefs ressort le plus. »

Faire le noir...ou le blancCertains œuvres se révèlentmême à la nuit tombée.Si de jour c'est le maté-riau-bois qui se trouvevalorise, les colonnesurbaines de Gilles Anselse métamorphosent enmilieu nocturne et c'estalors la lumiere pro-venan t de l ' in té r ieur

de ses pièces qui sembleen constituer le matériau

principal. « Sous l'effet del'éclairage, le bois disparaît

totalement la nuit, alors qu'ilest mis en avant à la lumiere du

jour », affirme l'ébéniste. Le noir favo-rise aussi l'éclosion des œuvres de Bastien

Carré qui, avec ses diodes et ses LED, transpose « lamagie d'un feu de camp dans un intérieur ». Lespoints lumineux scandent une structure filaire gracile(Avallena) qui défie la gravité. Les diodes semblent« flotter » dans l'espace comme des « feux de Bengaleou des mini-constellations ». Pour définir ses créa-tions, l'artiste a inventé un terme approprié, « lumi-graphies », car ses œuvres « ne sont pas seulementdes sculptures lumineuses maîs aussi des tableaux etdes mobiles où le point de lumière est utilisé commeune matière premiere ».

Chez Bastien Carré, la lumière se révèle dans l'obs-curité, maîs elle peut aussi exister dans le noir lui-même. Déjà dans Porte-fenêtre a Collioure (1914),Henri Matisse suggérait l'aveuglement d'un puissantcontre-jour et affirmait le pouvoir du noir commecouleur-lumière, bien avant Pierre Soulages. Pourtantlorsque le maître de l'outrenoir conçoit les vitraux del'abbaye de Conques en 1987, il choisit un verre opaqueblanc duquel il tire une infinité de nuances. Guillaume

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DGT, Light in Water, eau et LED.

Allemand s'inspire de ces modulations au sem du mono-chrome dans ses tableaux-reliefs sculptes en os. Pour cecréateur, « La lumière transcende la blancheur de l'os,révèle sa beauté et nous éloigne de l'aspect macabre. »

Nombre de ceux qui la considèrent comme unmatériau à part entière la font en effet interagir avecun autre matériau, palpable lui, maîs surtout blanc.Sans doute le fruit d'une émancipation progressive,car la lumière a longtemps eté intrinsèquement liéeà la couleur. Selon Anstote, De la couleur (323 av.J.-C.), « toute couleur est un mélange de ces trois éle-ments, la lumière, le médium a travers lequel on voitla lumiere, comme l'eau et l'air, et les couleurs quiconstituent le support sur lequel il se trouve que lalumière se réfléchit. » Une vision qui perdure encoreau XIXe siècle. Goethe lui donne des accents drama-tiques en affirmant que les tonalités sont « les acteset les souffrances de la lumiere ». Selon lui, le jaune,« tout proche de la lumière » et le bleu, « tout prochede l'ombre », sont les deux pôles opposés entre les-quels toutes les autres couleurs se laissent ordonner.

Le spectateur impliquéÀ partir des années 1960, les investigations autourde la lumière se sont déployées à grande échelle,notamment dans l'architecture. Le plasticien françaisNicolas Schoffer imagine même une « tour lumièrecybernétique » pour la Défense (projet qui ne vit

jamais le jour), version amplifiée de ses sculpturesen inox poli-miroir sur lesquelles viennent se reflé-ter les rayons lumineux. Plus modeste en taille maîstout aussi impressionnant, le mur d'eau illuminé deLED qu'ont conçu en 2011 les architectes DGT (DanDorell, Lina Ghotmeh et Tsuyoshi Tane). Les varia-tions lumineuses du clair au sombre ajoutent à lafascination du spectateur conquis par de telles expé-riences multisensonelles immersives.

Car c'est sans doute là que réside l'intérêt principalde la lumière-matériau : l'implication du regardeur.Lorsque pour la Nuit Blanche 2014, Matthias Cont-zen, accompagne de Philippine Leroy-Beaulieu, investitl'église parisienne Saint-Paul-Samt-Louis avec une ins-tallation commune, Planet (projet rendu possible par laFondation Loo&Lou), c'est ainsi qu'il envisage la rela-tion au spectateur : « Par son déplacement, il devientacteur, et plus encore, metteur en scene. [...} Sonombre portée sur la sculpture ]oue avec la lumière,qu'elle soit naturelle ou artificielle, et révèle l'œuvreautrement, selon une infinité de possibles. » Et c'estprécisément cette infinité de possibles que détermineet exploite toute personne se confrontant à l'œuvre. Àcette dernière, la lumière confère un caractère vibrantet engage celui qui l'observe dans une expérience sen-sible, émotionnelle, spirituelle sans cesse renouvelée.