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Selection d'archeveques diphysites au trone alexandrin (451-482): une designation artificielle et contrainte? Philippe Blaudeau Des decouvertes textuelles recentes - notamment permises par le fonds ethiopien - eclairent le processus de l'election au siege d'Alexandrie a une haute epoque. En fonction de l'enseignement delivre par les acres ethio- piens de Pierre d'Alexandrie, on peut retenir qu'avec le passage au mone- piscopat, dans la seconde moitie du IP s., la regie consista dans le choix dun des pretres de l'Eglise, designe et ordonne dans la cite par ses col- leges, en presence si besoin du cadavre de l'eveque precedent. 1 Articulee a 1 "L'evangeliste Marc entra dans Alexandrie la septieme annee du regne de Neron; il ordonna Ananias eveque, ainsi que douze pretres et sept diacres, et leur dit cette regie qu'apres que serait mort l'eveque d'Alexandrie, les pretres se reuniraient et poseraient leurs mains, dans la foi de notre Seigneur Jesus Christ, sur celui qu'ils auraient elu parmi eux et agissant ainsi ils l'ordonneraient pour (etre) leur eveque en presence du cadavre de l'eveque mort. Cette doctrine a demeure dans leur succession pour tous les eveques qu'ordonnaient les pretres, depuis Ananias jusqu'au bienheureux Pierre, pa- triarche qui racheta cinq cents prisonniers de la Marmeneqe (Marmarique), lui qui est le seizieme eveque d'Alexandrie...". Acta Petri Alexandria, codex EMML 1763, cf. "The Martyrdom of Saint Peter of Alexandria (EMML 1763, ff 79'-80"), ed. et trad. anglaise G. Haile, AB 98, 1980, 85-92. La presente traduction francaise est etablie d'apres la version italienne plus recente d'A. Bausi publiee par A. Camplani, Lettere episcopali, storiografia patriarcale e letteratura canonica a proposito del Codex Vero- nensisLX(58), Rivista di storia del cristianesimo, 3, 2006, 120. L'insistance sur cette regie originelle du choix des douze pretres et de la "participation" du defunt precede de YHistoria episcopatus Alexandrine (fin IV= s.), ouvrage que refletent les fragments de la collection canonique recemment identifies par Bausi. Voir A. Bausi, La collezione aksumita canonico-liturgica, Adamantius 12, 2006, 50, 55-56 et A. Camplani, A New History of the Patriarchate of Alexandria (3 rf to 4* Century), in Ninth International Congress of Coptic Studies (International Association for Coptic Studies, September 13-20, 2008), contribution qui m'a ete aimablement communique par l'auteur, a pa- raitre. On la retrouve evoquee ensuite par la Vita sancti Petri Alexandria (BHG 1502 a), Une passion grecque inedite de S. Pierre d'Alexandrie et sa traduction par Anastase le Bibliothecaire, ed. P. Devos, AB 83, 1965, § 18, 176, 34-37 et par Liberatus, Bre- viarium Causae Nestorianorum et Eutychianorum 20 (ACO II.5, 135 Schwartz). Elk Brought to you by | New York University Elmer Holmes Bobst Library Authenticated Download Date | 10/19/14 1:03 AM

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Selection d'archeveques diphysites au trone alexandrin (451-482): une designation artificielle et

contrainte?

Philippe Blaudeau

Des decouvertes textuelles recentes - notamment permises par le fonds ethiopien - eclairent le processus de l'election au siege d'Alexandrie a une haute epoque. En fonction de l'enseignement delivre par les acres ethio-piens de Pierre d'Alexandrie, on peut retenir qu'avec le passage au mone-piscopat, dans la seconde moitie du IP s., la regie consista dans le choix dun des pretres de l'Eglise, designe et ordonne dans la cite par ses col­leges, en presence si besoin du cadavre de l'eveque precedent.1 Articulee a

1 "L'evangeliste Marc entra dans Alexandrie la septieme annee du regne de Neron; il ordonna Ananias eveque, ainsi que douze pretres et sept diacres, et leur dit cette regie qu'apres que serait mort l'eveque d'Alexandrie, les pretres se reuniraient et poseraient leurs mains, dans la foi de notre Seigneur Jesus Christ, sur celui qu'ils auraient elu parmi eux et agissant ainsi ils l'ordonneraient pour (etre) leur eveque en presence du cadavre de l'eveque mort. Cette doctrine a demeure dans leur succession pour tous les eveques qu'ordonnaient les pretres, depuis Ananias jusqu'au bienheureux Pierre, pa-triarche qui racheta cinq cents prisonniers de la Marmeneqe (Marmarique), lui qui est le seizieme eveque d'Alexandrie...". Acta Petri Alexandria, codex EMML 1763, cf. "The Martyrdom of Saint Peter of Alexandria (EMML 1763, ff 79'-80"), ed. et trad. anglaise G. Haile, AB 98, 1980, 85-92. La presente traduction francaise est etablie d'apres la version italienne plus recente d'A. Bausi publiee par A. Camplani, Lettere episcopali, storiografia patriarcale e letteratura canonica a proposito del Codex Vero-nensisLX(58), Rivista di storia del cristianesimo, 3, 2006, 120. L'insistance sur cette regie originelle du choix des douze pretres et de la "participation" du defunt precede de YHistoria episcopatus Alexandrine (fin IV= s.), ouvrage que refletent les fragments de la collection canonique recemment identifies par Bausi. Voir A. Bausi, La collezione aksumita canonico-liturgica, Adamantius 12, 2006, 50, 55-56 et A. Camplani, A New History of the Patriarchate of Alexandria (3 r f to 4* Century), in Ninth International Congress of Coptic Studies (International Association for Coptic Studies, September 13-20, 2008), contribution qui m'a ete aimablement communique par l'auteur, a pa-raitre. On la retrouve evoquee ensuite par la Vita sancti Petri Alexandria (BHG 1502 a), Une passion grecque inedite de S. Pierre d'Alexandrie et sa traduction par Anastase le Bibliothecaire, ed. P. Devos, AB 83, 1965, § 18, 176, 34-37 et par Liberatus, Bre-viarium Causae Nestorianorum et Eutychianorum 20 (ACO II.5, 135 Schwartz). Elk

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l'etude des autres textes evoquant la tradition ancienne, l'analyse de la suite de ce meme passage atteste une evolution: elle laisse apparaitre que la par­ticipation des eveques a l'election est sans doute a placer apres que Deme-trios (189-232/233) eut commence a repandre l'institution episcopale dans la vallee du Nil2. A suivre les conclusions d'E. Wipszycka, il faut done considerer que l'introduction des chefs de communaute, recemment crees, dans le processus de decision, intervint des la promotion d'Heraklas (233) ou de Denys (247) comme l'indique saint Jerome.3 Toutefois, il resta de coutume de designer, avec la recommandation du predecesseur4 et l'assentiment populaire, l'un des presbytres alexandrins qualifie par ses moeurs et sa predication, jusqu'a ce que l'elevation d'Athanase, d'ailleurs contestee, ne modifie quelque peu l'usage puisqu'il n'etait que diacre.5 Son long episcopat de combat devait contribuer a accredits un peu plus en­core le proces ainsi reforme, face a la contestation melitienne, face aux installations ariennes surtout, celle dun Gregoire (339)6 ou d u n Georges de Cappadoce (357)7 tous deux etrangers au clerge local - au contraire de Lucius (373)8 - et consacres loin dAlexandrie puis imposes par la force.

a cependant du souffrir nombre ^exceptions, voir en dernier lieu E. Wipszycka, The Origins of the Monarchic Episcopate in Egypt, Adamantius, 12, 2006, 78.

2 "...Ensuite le bienheureux Pierre disposa [que], pour les eveques, [lordination] de lordonne advint [ ? de la part des eveques]", dans A. Camplani, Lettere (cit. note 1), 120.

3 E. Wipszycka, Origins (cit. note 1), 77 specialement. 4 Sur cette coutume a laquelle tend a sopposer le canon 23 du concile dAntioche

(legislation, traditionnellement datee de 341 mais a fixer plutot en fonction du concile preside par Eusebe de Cesaree en 327), cf. A. Martin, Athanase dAlexandrie et l'Eglise d'Egypte au IVe siecle (328-373), CEF 216, Rome, 1996, 326-327 et E. Wipszycka, Le istituzioni ecclesiastiche in Egitto dalla fine del III al inizio dell'VIII secolo, in L'Egitto cristiano: aspetti e problemi in eta tardo-antica, ed. A. Camplani, SEA 56, Rome 1997, 253.

5 Et age de trente ans tout au plus, cf. A. Martin, Athanase (cit. note 4), 328-335 spe­cialement.

6 Index des lettres festales 11 (Histoire "acephale" et index syriaque des lettres festales d'Athanase dAlexandrie, SC 317, 236-239 Martin). Gregoire est elu par le concile eu-sebien dAntioche (338-339), voir Socr. h.e. II 10 (SC 493, 40 Maraval). II avait etu-die a Alexandrie. Voir A. Martin, Athanase (cit. note 3), 404.

7 Index des lettres festales 29 (256-257 Martin), Histoire acephale 2,2 (144 Martin). Sur son ordination a Antioche des 350, cf. Soz. h.e. IV 8 (SC 418, 216 Sab-bah/Grillet/Festugiere) et en dernier lieu les remarques de P. Maraval dans Socr. h.e. II 14 (55 avec note 3, Maraval). II partageait avec Gregoire une origine cappado-cienne. Sur le personnage ainsi promu, voir encore A. Martin, Athanase (cit. note 3), 518-520.

8 Histoire acephale 4,7 (158 Martin); sur son parcours jusquau siege alexandrin et son intronisation, cf. A. Martin, Athanase (cit. note 3), 790-792.

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L'election d'archeveques diphysites au trone alexandrin (451-482) 91

Conservee face aux intrusions ariennes, la pratique specifique de l'election au siege alexandrin satisfait aux canons niceens et conforte l'union en forme de controle etroit qui caracterise le rapport entre la structure eccle-siale de l'Egypte et son unique chef. Tout autant que l'effort de controle progressivement montre par Mite urbaine, importance acquise du phe-nomene monastique marque a son tour le deroulement electif, tant du cote de la manifestation populaire signifiant sa preference, que du laureat dont l'experience ascetique est particulierement appreciee. Quant au lien de parente avec le defunt, il peut ajouter a la distinction de l'interesse et garantir ainsi le programme geo-ecclesial fixe, pourvu que le candidat ne contrevienne pas aux autres qualites requises. Ainsi un certain profil tend-il a se degager, a mesure egalement que l'appareil de gouvernement eccle-sial attache a l'archeveque, la curie en quelque sorte,9 se developpe et que des figures comme l'archipretre, l'archidiacre (ainsi de Dioscore)10 ou l'econome^sedistinguent.

Confortee par la longevite de figures parvenant a s'imposer et a ac-croitre leur autorite, qu'il s'agisse de Theophile (385-412),12 de Cyrille surtout (412-444), dont l'election fut pourtant contested3 la credibilite

9 Dont la composition est remarquablement mise en lumiere par E. Wipszycka, Les gens du patriarche alexandrin, in Alexandrie medievale 3, ed. Ch. Decobert, Etudes alexandrines 16, Le Caire, 2009, 93-109 specialement.

10 Liberatusbrev. 10 (ACO 11.5 113). 11 Peut-etre faut-il concevoir que cette fonction a pu etre repartie a loccasion entre deux

ou plusieurs responsables: cf. E. Wipszycka, Les gens du patriarche (cit. note 9), 20. 12 Theophile etait vraisemblablement diacre quand il fut retenu (Histoire acephale 5,14,

168 Martin) ou archidiacre peut-etre, Excerpta latina Barbari (dont la forme grecque originale pourrait remonter au VL s. (?), M G H AA 9, ed. Th. Mommsen, 1892, 297), voir la note d'A. Martin, Histoire acephale (cit. note 6), 212-213. Voir aussi F. Fatti, "Eretico, condanna Origene!" Conflitti di potere ad Alessandria nella tarda antichita, AnSE20,2003,396.

13 Deja clerc quand il assista au concile du Chene (403, d'apres sa lettre a Acace de Beree, ep. 33, 432 (ACO 1.1.7, § 4, 148), Cyrille n'etait cependant pas en charge du poste le plus eleve dans son grade lorsque survint la mort de son oncle. II dut affronter la concurrence de l'archidiacre Timothee. Aussi son election fut-elle soutenue - et non contrariee - par le comes Aegypti Abundantius comme le prouve le temoin armenien du texte de Socrate, preferable en l'espece: Socr. h.e. VII 7 (SC 506, 34 Maraval) ; voir les precisions dans l'apparat critique de G. Ch. Hansen, Sokrates Kirchengeschichte (GCS NF 1, 353) et T. Barnes, Armenica Veritas, JEH 48, 1997, 729. Considerer que le propos de Socrate est le produit de son hostilite a Cyrille et se revele par suite vrai-semblable en l'espece, comme le fait S. Wessel, Socrates' Narrative of Cyril of Alexan­dria's Episcopal Election, JThS 52, 2001, 103, c'est evacuer la difficulte du recit plu-tot que de la traiter. Sur cet episode, voir encore notre Puissance ecclesiale, puissance sociale: le siege alexandrin au prisme du Code theodosien et des Constitutions sirmon-diennes, in Le Code theodosien et l'histoire sociale de l'Antiquite tardive (Universite

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attachee au processus de designation ainsi precisee de Farcheveque alexan-drin, contribue a l'expression de son pouvoir, dont Dioscore fait un usage immediat sans doute un peu plus appuye que de coutume seulement, en remaniant la curie et en ecartant done de postes retribues certains familiers de Cyrille qui lui en conserveront une vive rancune.14 De meme chaque nouvel archeveque, normalement ordonne dans la cathedrale (eglise de Denys tout d'abord (?),15 Theonas16 puis Kaisareion17) cherche-t-il a s'assurer de la fidelite des tres nombreux eveques, jusqu'a cent-dix peut-etre, qui lui sont subordonnes, en nommant aux postes vacants - confor­m a n t ou non au souhait local - et en consacrant personnellement les individus retenus. Aussi, anticipee en quelque sorte des la premiere session par la defection de quatre eveques egyptiens18 - qui ne lui devaient sans doute pas leur ordination - la deposition de Farcheveque Dioscore a Chal-cedoine suscite un veritable traumatisme pour l'Eglise d'Egypte tout en­t i re , bien illustre par la celebre formule de treize autres suffragants: con-voques lors de la 4e session du concile, alors qu'ils se voient sommes de donner leur assentiment au Tome de Leon, ils s'ecrient en effet: "Nous mourrons, par vos pieds, ayez pitie de nous. Que nous mourrions ici et non la-bas. Qu'on nous donne un archeveque et nous souscrivons et tom-bons d'accord. Ayez pitie de ces cheveux blancs. Qu'on nous donne un archeveque. Anatole, Farcheveque tres cher a Dieu, sait quel est Fusage dans le diocese d'Egypte, que tous les eveques obeissent a Farcheveque d'Alexandrie. Nous ne desobeissons pas mais on nous tuera dans la pa-

de Neuchatel, Neuchatel, 15-17 fevrier 2007), ed. J.-J. Aubert et Ph. Blanchard, Uni-versite de Neuchatel, Recueil de travaux publies par la Faculte des Lettres et Sciences Humaines 55, Geneve, 2009, 99.

14 Ainsi du diacre Theodose et du pretre Athanase qui deposent des libelles centre lui devant le concile, lors de la session du 13 octobre 451, cf. ACO II.1.2, 15-17 et 20-22.

15 Uhypothese est lancee par A. Martin, Les premiers siecles du christianisme a Alexan­dria Essai de topographie religieuse (IIP - IV= siecles), REAug 30, 1984, 213.

16 J. Gascou, Les eglises d'Alexandrie: question de methode, Alexandrie medievale 1, ed. Ch. Decobert et J.-Y. Empereur, Etudes alexandrines 3, Le Caire 1998, 39.

17 Habituellement situe sur Templacement de l'ancien sanctuaire dedie au cuke imperial. Cf. A. Martin, Topographie (cit. note 15) 217-218. Pour une comprehension alterna­tive du monument precedent (des bains) - et done de sa localisation - qui aurait servi de substructure a l'edifice, cf. J. Gascou, Eglises (cit. note 16), 32-33.

18 Athanase de Busiris, Ausone de Sebennytos, Nestor de Phragon et Macaire de Cabasa. Ils soulignerent alors que Flavien, lors de la T session du synode constantinopolitain de novembre 448, avait bien expose la foi (ACO II . l . l , 116-117). Voir notre Alexan­drie et Constantinople (451-491). De l'histoire a la geo-ecclesiologie, BEFAR 327, Rome 2006, 142.

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trie."19 Cette expression ne revele pas seulement la specificite de la cons­truction ecclesiologique egyptienne. Elle manifeste l'immense deficit de credibilite et de legitimite qui menace tout substitut de Dioscore. Pire encore, a trop apparaitre comme ayant ete designe par un concile juge hostile, ce remplacant risque bien d'etre identifie aux precedents arche-veques ariens de sinistre memoire, a Alexandrie et par toute l'Egypte. Ren-due plus critique par cette redoutable evocation, la situation du nouvel elu promet d'etre compliquee encore par la degradation du rang reconnu au siege de saint Marc, telle quelle a ete enregistree lors du concile de 451, tant au plan doctrinal, puisque Yhoros peut etre considere comme peu conforme aux enseignements cyrilliens, qu'au plan hierarchique, eu egard a l'enonce du decret disciplinaire (28e canon).20 Face a un tel defi, faut-il done croire que les elevations de Proterius et de ses successeurs, Timothee Salophaciol et Jean Talaia, ne sont que mascarades entierement orchestrees et verrouillees par le pouvoir imperial? L'etude des differentes sources con-fessionnelles, au-dela des vigoureuses charges polemiques, ne confirme pas la simplicity de cette representation. Bien plutot, elle laisse entrevoir des initiatives plus soucieuses du respect de la tradition elective que ne le laisse supposer une trop rapide repartition narratologique des recits. Cette quete de legitimite alexandrine fait aussi apparaitre une evolution sensible des choix identitaires, que revele exemplairement la colere de Zenon a la nou-vellede la designation de Jean Talaia.

Election chalcedonienne et quete de legitimite alexandrine:

I. Proterius, ou la recherche d'une certaine delegation successorale

Chalcedonien, l'archidiacre carthaginois Liberatus, qui redige son Brevia-rium causae nestorianorum et eutychianorum avant 566, est l'auteur qui nous informe le plus precisement des conditions de designation de Prote­rius fin 451. Sans doute son recit, qui merite d'etre cite, emprunte-t-il aux archives alexandrines, peut-etre meme a ces annotations chronistiques

19 ACO II.1.2, 113. L'age avance qualleguent les protestataires nest pas un simple topos: voir E. Wipszycka, Istituzioni (cit. note 4), 247.

20 Pour une mise en evidence de ces consequences du concile chalcedonien particuliere-ment penibles aux Alexandras, voir Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 126-137.

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appelees ephemerides21 abritees par les archives ou a des formes plus elabo-rees de narration attestataire. La teneur du passage est la suivante: "Une fois done termine le grand et venerable concile de Chalcedoine ... on or-donna que Dioscore soit exile dans la cite de Gangres, et que les eveques et les clercs qui etaient venus avec lui revinssent a Alexandria des ordres imperiaux destines a l'augustal Theodore avaient precede Athanase eveque de Busiris, Nestorius de Phragon, Auxane de Sebennytos et Macarius de Cabasa qui avaient siege a Chalcedoine et anathematise Eutyches et sa croyance, souscrivant a la lettre de Leon et a la condamnation de Dioscore, afin qu'avec la volonte de tous les habitants, ils elisent l'archeveque a or-donner. Les nobles de la cite furent done rassembles pour qu'ils elisent celui qui etait digne du pontificat par la vie et la parole: e'est cela en effet qu'ordonnaient les decisions imperiales. Et comme bien des hesitations s'etaient prolongees, les habitants voulant absolument que Ton n'ordonne personne, de peur qu'ils ne parussent parricides, puisque Dioscore vivait evidemment, en derniere instance, la sentence de tous pencha pour Prote-rius, celui a qui en tout cas Dioscore avait confie l'Eglise et qu'il avait fait archipretre. Ordonne, le susdit Proterius fut done intronise, en presence des eveques signales, eux qui, comme il a ete dit, avaient souscrit au sy-node. Et une fois intronise, une division et une separation du peuple se produisit, par ce que Dioscore etait vivant et se trouvait en exil."22 La ri-chesse du propos, de meme que ses omissions et ses retenues, sont remar-quables: on releve en effet que pour eviter tout rappel facheux, la proce­dure se tient entierement a Alexandrie. Apparaissent nettement la qualite clericale,23 conforme, de l'elu, la participation au choix, attendue mais en l'espece contrainte, de Mite sociale et politique de la plebs fidelis et implication des quatre eveques deja signales, censes represents tout le college episcopal, tant en matiere de designation que de consecration. On remarque aussi la recommandation dont aurait fait l'objet l'archipretre au depart, toujours aleatoire, de l'archeveque vers le concile et l'unanimite des differents decideurs finalement obtenue. A ces traits qui soulignent la legi-timite de l'ordonne, Liberatus apporte un contrepoint significatif. Il in-

21 Sur celles-ci, cf. A. Campkni, in Athanase d'Alexandrie, Lettere festali, Anonyme, Indice delle lettere festali, Lettere cristiane del primo millenio 34, Milan 2003, 88.

22 Liberatus brev. 14 (ACO II.5, 123). Voir egalement la contributation de S. W. J. Keough, Episcopal Succession as Criterion of Communion dans ce meme volume.

23 Sa connaissance de l'apparcil ecclesial alexandrin se serait double dune aptitude a controler l'emploi de ses tres importantes ressources et du nombreux personnel qui devait les administrer. Une source copte le dit en effet econome (A Panegyric on Ma­carius Bishop of Tkow Attributed to Dioscorus of Alexandria (CSCO 416 Copt. 42, 93 Johnson), Leuven 1980. Voir encore E. Wipszycka, Les gens du patriarche (cit. note 9), 105-108 notamment.

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dique en effet que la population manifeste son opposition a la procedure et reprend meme l'accusation de parricide, ce qui denote une reelle capacite a evoquer les caracteristiques de la position adverse, alors que, depuis le pontificat de Leon, l'heresiologie romaine brandit au contraire cette incri­mination a l'encontre de Timothee Aelure.24 Sans doute cette indication, apparemment contre-productive, provient-elle dune prise de conscience aigue: connaisseur avise des usages alexandrins, Liberatus est pleinement au fait du grave ecart a la regie represent, en un moment ou le siege est tres serieusement fragilise, par l'absence de toute transmission de la charge du mort au vivant. II ne meconnait pas que la blessure symbolique ainsi constatee accuse le sentiment de trahison eprouve par un grand nombre, sentiment que recapitule la terrible incrimination. En outre le Carthagi-nois tait toute implication specifique du clerge dans l'election. Ce silence est singulierement pesant, surtout si Ton considere le grade diaconal de rhistoriographe et son interet pour ses confreres.25 II est a croire que ce groupe de ministres, pretres et diacres surtout, a refuse de se prononcer jusqu'a ce que, sous la pression des quatre eveques, sans doute accrue par le prefer augustal et ses obliges, l'archipretre et econome ait consent! a son elevation. Le souvenir de cette reserve qui confine a une assez forte de­fiance semble a l'origine du passage qui figure dans le panegyrique de Ma-caire de Tkow: dans celui-ci, Proterius, desireux de souscrire au Tome de Leon en toute hate, se voit refuser le calame par tous les secretaires (de Yepiscopium?) jusqu'a ce que l'un d'entre eux, Salophaciol (!) le lui procure enfin.26 Designe avec le vigoureux appui de l'autorite imperiale, Proterius est done accepte bien plus que plebiscite par son clerge, qui joint cepen-dant un courrier a la synodique que celui-ci adresse au pape Leon. Expri-mant une nette insatisfaction, la reaction du pontife aux trois lettres recues (la poste comportant egalement le courrier des ordinateurs) suggere que l'archeveque alexandrin n'a pas accepte d'emblee son Tome, au contraire de ses consecrateurs.27 Autrement dit, ayant conscience que la rupture symbolique intervene entre les deux sieges en 449 est dune singuliere

24 Voir notre Rome contre Alexandrie? Interpreta t ion pontifkale de l'enjeu monophy-site, Adamamius 12, 2006, 184-185 specialement.

25 Sur ce point, voir notre article Liberatus de Carthage ou l'historiographie comme service diaconal, Augustinianum 50, 2010, 543-565.

26 Panegyric on Macarius (CSCO 416 Copt. 42, 93 Johnson). 27 LeonaJul iendeCos .ep . 113, 11 mars 453, JW 489 (ACO II.4, 66,28-30): "Concer-

nant les moines d'Egypte, dans quelle mesure ils sont calmes et quelle est leur foi et au sujet de la paix de l'Eglise dAlexandrie, je desire savoir ce qui vous est rapporte (a ce propos) par des messagers veritables ; les ecrits que j'ai envoyes a leur eveque, a ses or­dinateurs ou aux clercs, j'ai voulu que tu les connaisses par les copies que je t'ai jointes" (sauf mention contraire, les traductions de l'epistolier pontifical sont notres).

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gravite et previent tout accord identifie a une capitulation de la christolo-gie alexandrine, ce n'est pas d'abord du cote de Rome que Proterius re­cherche une eventuelle confirmation prestigieuse de son elevation, quoi qu'en disent plusieurs sources miaphysites d'origine copte.28 II est probable en revanche qu'il signifie sans tarder son souci de donner a Marcien les gages attendus en souscrivant la foi du concile.29 Ce n'est que plus tard, devant le durcissement des positions, l'emeute populaire et la repression d'Etat, peut-etre adoucie par son intervention, que Proterius admet la lettre doctrinale de Leon, malgre l'imperfection et l'ambiguite de sa tra­duction grecque,30 La mort de Dioscore (sept. 454) lui donne une derniere occasion de chercher a conjurer la faute originelle associee a son election, celle de n'avoir pas eu l'agrement de son predecesseur. Si les indices sont tenus, Zacharie le Rheteur semble suggerer qu'une insertion du nom du defunt est operee dans le diptyque des morts,31 alors meme que deja peut-etre se repand le bruit, cote antichalcedonien, suivant lequel Dioscore s'est prononce en faveur de Timothee Aelure,32 Vaine, cette derniere tentative fait bientot place a l'oppression d'Etat, notamment scandee par l'edit du 1" aout 455, puis a un dechainement de violence dont Proterius est lui-meme la victime le 28 mars 457. La cremation de son corps puis la disper­sion de ses cendres previennent certes toute veneration de ses reliques,33

Elles ont aussi pour objectif de rompre absolument la chaine de succession de ceux qui admettent l'enseignement chalcedonien. Ce faisant, cependant elle facilite paradoxalement la tache de celui qui pourrait devenir le chef

28 Que ce soit le Panegyrique de Macaire de Tkow deja signale ou l'Histoire de Dioscore, patriarche d'Alexandrie ecrite par son diacre Theopiste, ed. et trad, francaise F. Nan, Journal asiatique, lOe ser. 1, 1903, 291, recits selon lesquels Proterius accepte sans de-lai la lettre dogmatique de Leon.

29 Ce dont fait a sa maniere memoire Jean de Nikiou dans sa Chronique, ed. H. Zoten-berg, in Notices et Extraits des Manuscrits de la Bibliotheque Nationale, 24, Paris, 1883, § 88, 476: "cet eveque avait d'abord ete archipretre a Alexandrie ; puis lorsquil eut signe le rescrit imperial, les chalcedoniens l'avaient nomme eveque".

30 Pour une presentation plus detaillee de ce raisonnement, cf. notre Alexandrie et Cons­tantinople (cit. note 18), 145-148.

31 Ce qui laisse accroire qu'une telle initiative a pu etre un temps prise par Proterius au moment de la venue de Jean le Decurion. Cf. Zach. rh. ( = Zach. schol.) h.e. Ill 11 (CSCO 87 Syr. 41, 114,6-9 Brooks): "et son nom avait ete place dans le diptyque ; mais que personne parmi ceux qui prennent soin de vituperer les choses qui ne sont pas faites avec l'attention de l'ordre (requise) ne fasse de critique".

32 Cf. Histoire de Dioscore, patriarche d'Alexandrie ecrite par son diacre Theopiste (cit. note 28), 255 ; voir aussi le Panegyrique de Macaire de Tkow (CSCO 416 Copt. 42, 94 Johnson), dont le passage est malheureusement corrompu.

33 Pour toutes les references utiles, voir notre Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 148-153.

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diphysite de l'Eglise d'Egypte, en le degageant de tout rapport memoriel par trop etroit avec l'infortune trepasse.

II. Timothee Salophaciol, ou la recherche de l'assentiment populaire

Un usage vraisemblable consiste a identifier Timothee Salophaciol avec le pretre et econome homonyme faisant partie du groupe d'eveques et de clercs proteriens qui se sont refugies a Constantinople apres le massacre de l'archeveque,34 Or, si dans leurs courriers largement diffuses par l'intermediaire du questionnaire imperial {codex encyclius), Proterius est presente comme une victime innocente, ou meme un veritable martyr,35 il ne semble guere que Timothee, une fois devenu archeveque, ait cherche a exalter son predecesseur en tant que nouvel Abel.

Car Salophaciol parait avoir medite les causes de la preemption d'illegitimite largement imputee a Proterius. Etroitement lie a lui certes, si l'on admet qu'il etait pretre attache a son service, s'il etait son econome surtout, il est repute pour des vertus ascetiques,36 volontiers cultivees par Aelure mais qui, en revanche, n'avaient guere distingue, semble-t-il, l'archeveque supplicie Proterius. Aussi lorsque Timothee le miaphysite est eloigne d'Alexandrie (mars 460) non sans que le sang de nombre de ses partisans soit abondamment verse,37 puis exile vers Gangres (juillet 460),38

Salophaciol apparait-il comme l'homme idoine. Le recit de Liberatus rela-tif a son election se fait cette fois singulierement bref et pointe principale-ment Implication de l'ordre imperial confie au due Stilas.39 Toutefois, la

34 Ainsi que le porte la mention de sa signature au bas de la supplique adressee par ces chalcedoniens d'Egypte a l'empereur (ACO II.5, 17,16).

35 Cf. la reponse des eveques de la province d'Europe, ACO II.5, 27,25. 36 Theod. lect. h.e. E 379 (GCS N.F. Ill, 106, 22 Hansen). 37 Zach. rh. h.e. IV 9 (126 Brooks), Vita Petri Iberi, ed. R. Raabe, in Petrus der Iberer.

Ein Charakterbild zur Kirchen- und Sittengeschichte des funften Jahrhunderts. Syri-sche Ubersetzung einer um das Jahr 500 verfassten griechischen Biographie, Leipzig, 1895, 69 ; Michel Le Syrien, Chronique de Michel le Syrien, Patriarche Jacobite d'Antioche (1166-1199), IX 1, Paris 1899-1910, Bruxelles 21963 (126-127 Chabot).

38 Voir Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 162. 39 Liberatus brev. 15-16 (ACO II.5, 124-125): "Et ces lettres ou relations de tous les

eveques (reunies) dans le corpus d'un seul codex sont appelees encycliques. Une fois cela fait, l'empereur Leon ecrivit au due d'Alexandrie Stilas pour que, de quelque ma-mere que ce soit, il chasse Timothee de l'episcopat et en intronise un autre par une de­cision du peuple qui vengerait le synode. Ayant recu cet ordre, Stilas fit ce qui lui avait ete commande, et relegua en exil Timothee Aelure sous severe garde a Cherson, et a la place de Proterius, Timothee surnomme Salafacialus ou le blanc fut etabli."

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correspondance pontificate, par le biais des reponses de Leon donnees a l'envoi groupe habituel en pareil cas, permet d'en savoir un peu plus. Au pape qui avait reclame quelques mois plus tot de l'empereur une interven­tion energique afin qu'un pasteur diphysite fut elu a Alexandrie,40 ses dif-ferents interlocuteurs egyptiens, represents par le pretre Daniel et le diacre Timothee, expriment l'assurance que c'est bien le choix du clerge, du peuple et de tous les fideles qui s'est manifeste. lis insistent sur le calme qui a entoure cette designation.41 Le nombre des consecrateurs (dix)42

40 Le pape Leon a l'empereur Leon, ep 169, 17 juin 460, JW 546, Coll. Avell. 51 (CSEL 85, 117,20-118,2 Giinther): "Decidez au sujet du chef catholique de cette cite ce qui plaise a Dieu: qu'il soit exempt de toute aspersion si frequente de l'impiete condam-nee, de peur que peut-etre, sous l'aspect de la cicatrice refermee, le cceur de la plaie ne croisse et que le peuple chretien qui a ete libere de la perversite heretique, grace a votre action (accomplie) ouvertement, soit de nouveau soumise aux poisons mortels" ; voir aussi la lettre de Leon a Gennade, eveque de Constantinople, ep 170, 17 juin 460, JW 547, Coll. Avell. 52, 119,26-120,5: "Et que pour les Alexandrins, un eveque catho­lique (issu) de leur clerge soit consacre, selon la coutume ancienne, par des Egyptiens orthodoxes car ce parricide ne sera pas autrement abandonne par ses defenseurs a moins que l'Eglise dAlexandrie qui doit etre restituee dans l'honneur de ses Peres et dans sa liberie, n'obtienne un guide tres sur pour guerir tout ce qui a ete mauvaise-ment accompli."

41 Cf. Leon a Timothee (Salophaciol), ep 171, 18 aout 460, JW 548, Coll. Avell. 53, 120,9-25. "Sous la splendeur de la sentence apostolique, il apparait manifestement que, pour ceux qui aiment Dieu, tout a concouru pour le bien, et que, par dispensa­tion de la piete divine, la ou sont enlevees les choses contraires, c'est la aussi que les choses prosperes sont donnees. Car ce qui a ete experimente par l'Eglise alexandrine demontre dans quelles peine et endurance des humbles elle a rassemble pour die les tresors de patience, parce que le Seigneur est tout pres de ceux qui sont d'un cceur tourmente et qu'il saluera les humbles d'esprit, une fois la foi de l'illustre prince glori-fiee, par lequel la droite du Seigneur a montre sa force, afin que l'opprobre de l'antichrist ne siegeat pas trop longtemps sur le trone des saints peres, lui dont l'impiete ne nuisit a personne plus q u a lui-meme parce que meme s'il determina cer­tains autres a l'association criminelle, il se souilla lui meme inexpiablement du sang. Aussi, au sujet de ce que, par l'instigation de la foi, le choix du clerge et du peuple et de tous les fideles a fait relativement a ta fraternite, je reponds que toute l'Eglise qui est avec moi se rejouit et que j'espere que la bonte de la piete divine confirmera cela par une grace demultipliee" ; de meme Leon aux eveques ordinateurs, ep 173, 18 aout 460, JW 550, Coll. Avell. 55, 123,4-15: "Je me rejouis d'avoir pris connaissance des lettres de votre fraternite que nos fils le pretre Daniel et le diacre Timothee m'ont ap­p o s e s , parce que la foi du glorieux et venerable empereur unie aux doctrines prophe-tiques et evangeliques est parvenue, comme il l'avait voulu, aux saints resultats qui plaisent a Dieu, de sorte qu'une fois que le tres cruel envahisseur de l'Eglise alexan­drine eut ete chasse, transfere dans des lieux plus eloignes, le choix (electio) de toute la cite a gagne un recteur digne de son gouvernement, en vue d'une consecration ou nulle intrigue ne vous a agite , aucune sedition ne vous a ebranles, aucune adversite ne

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conforte l'idee que l'episcopat ne manifeste pas une hostilite aussi sourde et massive que celle qui avait encercle Proterius et ses quatre ordinateurs. On releve en outre une insistance significative des courtiers que le pape souligne a son tour: l'amour reciproque qui unit le pasteur et son peuple.43

Plus qu'un topos electif, elk consume l'enonce d u n programme, comme si apres de nombreux tourments, la promotion de Salophaciol devait annon-cer par son deroulement meme la visee principale de son gouvernement, a savoir la recherche dun sentiment unanime.44 Pour gagner l'affection du peuple qu'il se voit confier en plus du controle des eglises de la cite, le nouvel archeveque reintroduit a son tour le nom de Dioscore dans les diptyques, avec quelques gages de succes cette fois. Car, dans son cas, cette initiative n'est plus grevee par la terrible hypotheque de s'etre substitue a lui. Des lors, les tablettes constituent egalement un remarquable moyen de pallier l'impossible iteration du rituel d'ordination le plus complet. C'est pourquoi malgre les objurgations de Leon, il y a lieu de croire que cette insertion n'est pas annulee tandis que le regne de l'empereur se prolonge. C'est egalement la raison pour laquelle Salophaciol renouvelle cette meme operation, quitte a s'en excuser ensuite aupres du pape Simplice,45 apres avoir ete retabli, non sans violences, durant Fete 477. Articules a une mo­deration que meme le miaphysite Zacharie, est amene a constater46 -meme s'il cherche a la ridiculiser - , a une pratique de la charite que

vous a mis en mouvemem, Ion ne doutat pas que le merite de la saintete etablie, au vu de tous, le preposait, lui dont tous desirait qu'il leur presidat."

42 D'apres l'adresse de Leon: Theophile, Jean, Athanase, Abraham, Daniel, Ioha, Paph-nuce, Musaeus, Panulius et Pierre eveques egyptiens, ibidem, 123, 2-3. Deux d'entre eux seulement se pretent au jeu de 1'identification des sieges. Cf. Alexandrie et Cons­tantinople (cit. note 18), 163.

43 Cf. Leon aux pretres et aux diacres de l'Eglise alexandrine ep 172, 18 aout 460, JW 549, Coll. Avell. 54, 121,25-122,4: "Aux fds tres aimes salut dans le Seigneur. Exul­tant, je me rejouis dans le Seigneur au sujet de la tres pieuse disposition que vous avez entre vous, tandis que, comme vos ecrits le manifestent, Ion voit que le pasteur aime son troupeau et que le troupeau aime son pasteur. Appliquez-vous done comme le dit l'apotre a garder l'unite de l'esprit dans le lien de la paix (Ep 4, 3), hatez-vous de par-venirau fruit devotre patience".

44 Liberatus brev. 16 (ACO II.5 126,5-11). 45 Simplice a Acace, ep 9, 8 mars 478, JW 578, Coll. Avell. 61, 139,10-15 (mention de

1'initiative, reprehensible aux yeux de Rome) ; a Acace, ep 11, 8 octobre 478, JW 580, Coll. Avell. 63, 142,18-20 (indication de sa r&ipiscence). Voir encore Zach. rh. h.e. IV 10; V 5 (127,25-26; 152,31-32 Brooks); Liberatus brev. 17 (ACO II.5 127,1) et nos remarques dans Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 164-165.

46 Zach. rh. h.e. IV 10; V 5 (127, 152,29-34 Brooks).

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l'appareil archiepiscopal rend consequente47 et a une defense de la gran­deur du siege de saint Marc face a Fenvahissante affirmation constantino-politaine,48 les choix de Salophaciol contraignent Aelure a renforcer sa revendication exclusive de legitimite: c'est ainsi qu'il ramene de Gangres (475) les reliques de Dioscore49 et restaure ce contact communicatif deve-nu un evident enjeu garantissant la validite sans partage de son autorite.

L'affection, sinon l'adhesion populaire dont jouit Salophaciol, ex-plique a n'en pas douter son repli sans dommage a Canope (475).50 Elle marque plus generalement un premier acquis de son entreprise pacifica-trice censee verifier les promesses de son election. Mais l'archeveque ne se contente pas de ce seul resultat: il vise a la perpetuation de la hierarchie chalcedonienne en Egypte - en cream eveques certains de ses proches comme l'y incite l'usage traditionnel. Cette intention suppose egalement de prevoir sa propre succession face au peril constant consume par la pre­sence active, quoique clandestine, de Pierre Monge. La crise antiochienne, l'elevation, a Constantinople, de Calandion au siege syrien accusent un peu plus l'urgence dune action en vue d'epargner a l'Eglise diphysite d'Alexandrie une telle extremite, ou de l'obliger a admettre un texte de compromis a la mode hierosolymite.51 Lancee dans ce but, la mission de Talaia et de Gennade d'Hermopolis (480/481), au-dela des ambiguites se rapportant a la conduite de l'econome,52 obtient de l'empereur le rescrit qui parait donner satisfaction a cette attente.53 Aussi peut-on considerer

47 Perceptible dans le surcroit de soin mis par Zacharie le Rheteur pour signifier combien celle d'Aelure, au moment de son deuxieme temps d'episcopat, l'emporte jusqu'a se manifester a l'endroit de Salophaciol lui-meme: Zach. rh. h.e. V 4 (151,7-11 Brooks).

48 Zach. rh. h.e. IV 10 (127,27-35 Brooks). 49 Zach. rh .h .e .V 4 (151, 4-7 Brooks). 50 Theod.lect. h.e. £ 4 0 9 ( 1 1 4 Hansen). 51 Sur les differents elements de ce contexte, voir notre Alexandrie et Constantinople

(cit. note 18), 191-198. 52 Cf. Gesta de nomine Acacii, Coll. Avell. 99, 448-449 (sans quallusion soit faite aux

contacts etablis entre Jean et le maitre des offices Illus); Liberatus brev.16 (ACO II.5, 125).

53 Cf. Felix a Zenon, ep 1, mars 483, JW 591, Be 20, Publizistische Sammlungen zum acacianischen Schisma, ABAW N.F. 10, 67,2-6 Schwartz: "Or, jusquici ce fait de-meure vrai que, tandis que la religion etait alarmee, vous promites au venerable Timo-thee, alors vivant, que s'il devait lui arriver quelque chose de conforme a la nature humaine, personne ne devait lui etre subsume si ce nest un pasteur (issu) du college des clercs catholiques et consacre par des catholiques, parce qu'en aucun cas, au su de votre serenite, aucune coutume, aucun rite, ne peut faire de ce premier dans la de-mence eutychienne (Pierre) le successes de l'eveque (antistes) orthodoxe"; Felix a Acace, ep 2, mars 483, JW 592, Be 21, ibidem, 71,6-12: "repondant (par rescrit) a Timothee le catholique de sainte memoire, alors a l'article de la mort, il (Zenon) avait

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que Salophaciol estime que les conditions ne sont pas routes reunies pour que la promorion de Jean Talaia, peur-erre un ancien moine tabennesiote, du couvent de Canope (?), pretre et econome en tout cas,54 puisse avoir lieu sans heurt, et ce malgre la conformite de son origine, la progressiva de son cursus ou les qualites dont il est dote. La conception defavorable du rapport de force confessionnel qui regne dans la cite, quoi qu'on en dise, tend done a conferer a la puissance etatique, puisqu'elle est requise pour la troisieme fois, un indispensable et cependant facheux role participatif dans le processus de designation de l'archeveque officiel.

III. Jean Talaia, ou la revendication dune autonomie federatrice?

A la mort de Salophaciol, et selon le voeu du defunt,55 Talaia est elu (entre fevrier et avril 482) sans difficult* particuliere, a telle enseigne que Zacha-rie le Rheteur se trouve dans l'incapacite d'alleguer quelque acte de vio­lence cette fois, ni d'ailleurs quelque violation du respect formel des dispo­sitions electives et sacramentelles. On peut penser peut-etre que la transmission de Yomophorion du cadavre de Salophaciol a Talaia avait meme conforte sa consecration.56 Cela expliquerait un peu plus pourquoi Monge eprouva le besoin, une fois reconnu officiellement eveque d'Alexandrie quelques semaines plus tard, de s'en prendre a la sepulture de Salophaciol, de la deplacer, depuis sa depositio archiepiscopale (tres proba-

present par un mouvement d'inspiration divine tant pour les plans de son pontificat que pour le clerge de la ville d'Alexandrie, en toute prevoyance, que devaient etre prises des precautions afin que, quand le Seigneur aurait ordonne que le susdit eveque quitte le sejour terrestre, seulement ne succedat au pontife defunt du corps des clercs catholiques qu'un disciple qui serait eprouve comme etant quelqu'un qui communiait avec les Eglises orthodoxes et ordonne par des catholiques". On remarquera la nuance apportee par le juriste Evagre: Tempereur decreta qu'apres la mort de Timothee, ce-lui-la devint eveque que le clerge et les autorites publiques auraient elu". Evagr. h.e. Ill 12 (Byzantine Text 1, 110,5-7, Bidez/Parmentier), trad. A.-J. Festugiere, Byzantion 45, 1975, 317,5-6.

54 La metanoi'a. Cf. notre Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 198-199. 55 Cf. De vitanda communione Acacii du pape Felix (sans doute l'ebauche d'un traite

repondant aux objections rapportees de Constantinople par l'ambassade menee par le maitre des offices Andromaque en 489), Publizistische Sammlungen (cit. note 53), 33,16-17: "L'empereur a laisse toute chose au choix de Timothee le catholique. II est done necessaire que s'ensuive ce que celui-ci a etabli et dit: qu'un catholique soit or­donne par des catholiques".

56 C f n o t e l .

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blement dans le martyrion de saint Marc)57 jusque dans une tombe de simple laic et d'en degrader ainsi la fonction memorise.58 Quant a la tranquillite apparente dans laquelle la consecration de Jean se serait te-nue59, Zacharie le Rheteur la rapporte au concours de l'augustal Theo-gnoste, seduit par les promesses corruptrices du simoniaque pretendu qu'aurait ete Talaia.60 Bien plus grave encore, l'accusation de parjure qui, sans tarder, est imputee a Jean par l'empereur, incrimination soutenue par Acace61, est associee dans l'esprit du souverain a l'inquietante familiarite de l'Alexandrin entretenue avec le maitre des offices d'alors Illus. Car, lors de sa venue a Constantinople, couvert des louanges imperiales, Jean aurait promis oralement de ne pas briguer la charge episcopale pour lui-meme.

57 Sur cette localisation, cf. Vita sancti Petri Alexandria (cit. note 1), § 13, 172,28-29: aspasa/menoj (sc. Petrus) tou agiou euaggelistou Ma/krou ton ta/fon kai twn pro autou ekei keime//nwn agi/wn episko/pwn .., Voir aussi l'komelie de S. Athanase des pa­pyrus de Turin, ed. et trad. L. Th. Lefort, Museon 71, 1958, 229 et J. Gascou, Les eglises d'Alexandrie: question de methode, Alexandrie medievale, 1, ed. Ch. Decobert et J.-Y. Empereur, Etudes alexandrines 3, Le Caire 1998, 38 ou encore id., Les ori-gines du cuke des saints Cyr et Jean, AB 125, 2007, 273.

58 Felix a Acace, ep. 6, 28 millet 484, JW 599, Ve 5, Publizistische Sammlungen (cit. note 53), 6 ; Theod. lect. h.e. E 425 et F 22b (118 Hansen); Liberatus brev. 17 (ACO II.5, 130); Evagr. h.e. Ill 17 (116 Bidez/Parmentier). Par ailleurs, renouvelant en cela une initiative deja prise par Aelure, les noms des titulaires chalcedoniens du siege alexandrin sont effaces des diptyques. Voir Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 208.

59 Tranquillite que le temoignage de Simplice accredite un peu plus: "Naguere nous avons recu, selon la coutume, une relation envoyee par le synode catholique d'Egypte et par tout le clerge de l'Eglise d'Alexandrie, qui nous apprenait que Timothee notre frere et co-eveque de sainte memoire, etait mort, et q u a sa place avait ete elu Jean, par le consentement unanime de tous les fideles. II semblait done qu'il ne nous restait plus autre chose a faire (p. 152) qua rendre grace a Dieu et a nous rejouir, afin que, sans scandale ni desordre, le prelat catholique qui avait succede au dtfunt dans son minis-tere, put etre affermi comme il le desirait par l'assentiment du siege apostolique" (Simplice a Acace, ep 18, 15 juillet 482, JW 587, Coll. Avell. 168, 151-152, la traduc­tion est d'E. Revillout, Le premier schisme de Constantinople. Acace et Pierre Monge, Revue des questions religieuses 22, 1877, 120-121).

60 Zach. rh. h.e. V 6 (154,32-155,2 Brooks); Evagr. h.e. Ill 12 (110, 8-10 Bi­dez/Parmentier) reprend avec reserve l'accusation de corruption, mais rejette l'abus de bienssacres.

61 Simplice a Acace, ep 18, 15 juillet 482, JW 587, Coll. Avell. 168, 152,4-10: "Mais voila que tandis que je traitais cette affaire, selon la coutume, on me remit des lettres du tres heureux prince, dans lesquelles il etait dit que Jean etait coupable d'un parjure qui n'etait pas inconnu a ta fraternite et le rendait indigne du sacerdoce. Aussitot je me suis arrete et j'ai meme revoque ma sentence concernant sa confirmation, de peur qu'on ne put me soupconner d'avoir fait hativement quelque chose contre un tel te­moignage" (trad. E. Revillout [cit. note 59], 121).

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Elec t ion d'archeveques diphysites au trone alexandrin (451-482) 103

De ne pas la briguer certes mais sans doute pas de la refuser.62 II pensait eviter ainsi d'apparaitre comme un autre Calandion, deja designe, au risque du discredit, par le pouvoir et l'Eglise de la capitale conjugues. Sans doute pensait-il que l'assurance de disposer de l'appui d'lllus - obtenue alors que celui-ci n'est pas encore devenu l'adversaire declare de Zenon63 -lui offrirait en temps voulu le moyen de s'emanciper de la protection im­perials de cette derniere, Jean n'avait en effet cesse de mesurer l'ambiguite, puisque sa garantie ne tenait guere Monge a distance. Ainsi le choix de la communaute diphysite d'Alexandrie, intervenu au debut du printemps 482, repondait-il exactement au vif desk eprouve par l'elu lui-meme: promouvoir une Eglise degagee, ad intra, du soupcon collabora-tionniste sans etre en rupture avec l'orthodoxie chalcedonienne.64 Les voies

62 Cf. Ch. Pietri, D'Alexandrie a Rome: Jean Talai'a, emule d'Athanase au V° siecle, in ALECANDRINA, hellenisme, judai'sme et christianisme a Alexandrie, melanges of­fer* a Claude Montdesert, Paris 1987, 288. Voir encore le De vitanda communione Acacii (cit. note 55), 33,17-30. "II est done faux de le (Pierre Monge) dire avoir ete place en depot, de sorte qu'il fut elu en remplacement de celui avec qui jamais il ne communia et dont il avait demande qu'il fut relegue plus loin. Si Jean avait jure de ne pas devenir eveque, comment m'as-tu signifie par ecrit qu'il etait digne que lui fussent confiees les tres grandes (choses) qui appartenaient au gouvernement de l'Eglise. Au dessus du presbyterat, qu'y a-t-il de plus grand en vue du gouvernement de l'Eglise que l'episcopat? S'il avait jure, pourquoi me signifier cela par ecrit? Et s'il a jure, pour-quoi m'exposer qu'il advint ce contre quoi il avait jure ou bien s'il a ete fait ce que tu as signifie par ecrit, pourquoi te mettre en colere? Pourquoi dis-tu qu'il s'est parjure alors qu'il s'est produit ce qu'il avait jure ne pas devenir alors que toi tu avais signifie par ecrit qu'il devait le devenir? II etait apocrisiaire, toutes choses lui revenaient, il avait lui-meme le soin de toute chose de l'Eglise, personne n'etait tenu parmi les clercs alexandrins pour preferable a lui, par l'honneur il etait pretre; que lui ajouter de plus en vue du gouvernement de l'Eglise? Que lui apporter davantage sinon l'episcopat? Tu as voulu qu'il soit eveque, lui dont tu as signifie par ecrit qu'il devait etre plus qu'il n'etait (car il restait rien d'autre sinon qu'il devint eveque)". Sur le raisonnement juri-dico-canonique ensuite developpe a Rome a propos de la violation de serment impu­r e a Jean et de la deposition qui s'en est suivie, cf. notre Quand les papes parlent d'exil: l'affirmation d'une conception pontificate de la peine d'eloignement durant la controverse chalcedonienne (449-523), in Exil et relegation: les tribulations du sage et du saint durant l'Antiquite romaine et chretienne (P'-VP s. ap. J-C). Actes du col-loque organise par le Centre Jean-Charles Picard, Universite de Paris XII Val-de-Marne (17-18 juin 2005), ed. Philippe Blaudeau, De l'archeologie a l'histoire, Paris 2008,282-287.

63 Zach. Rh. h.e. V 6. (154 Brooks); Liberatus brev. 16 (ACO II.5, 125). 64 On notera a cet egard l'interessante remarque de Jean de Nikiou, tout a la fois inami-

cale a l'endroit de Talai'a et cependant tres suggestive quant a ses desseins: Celui-ci (Jean Talai'a) s'etait empare du siege d'Ayes (Salophaciol) en corrompant les magistrats par des dons. II declarait avoir pris l'engagement solennel de ne point rechercher l'agrement de l'empereur Zenon pour sa nomination au gouvernement de l'Eglise (Chronique(ci t .note29) ,§88,482) .

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retenues pour transmettre les synodiques informant de son election, privi-legiant Rome et Antioche au detriment de Constantinople, resonnent alors comme un supplement d'audace. Quant a l'envoi de xenia a Illus, il con­fine a la provocation.65 Il n'est pas jusqu'a la fuite de Talaia, qui precede de peu l'arrivee du nouvel augustal Pergamius, l'intronisation officielle de Monge et sa reception de l'Henotique, qui ne consume comme l'ultime prolongement de l'ordination du chalcedonien.66 En choisissant l'exil vo-lontaire - dans l'espoir du retour triomphal - il entend inverser la distribu­tion des roles et faire revetir au miaphysite le costume du candidat devoue au pouvoir et soutenu par la force armee. Toutefois, bien que pleure, nous dit Theodore le Lecteur, par tous les eveques, le clerge, les moines et le peuple prets a le defendre,67 Talaia ne se retire pas dans la chora egyptienne mais rallie Antioche, puis Rome.68 S'il n'est pas sans se referer a un certain modele athanasien, un tel choix montre le mediocre enracinement de la cause chalcedonienne dans la vallee du Nil. En un sens, l'echec de Talaia, bientot confirme, revele l'incompletude de l'entreprise signifiee par son ordination: capable certes d'etre elu a Alexandrie au temps voulu, au grand jour et sans echauffouree notable, il ne peut s'enfouir le temps necessaire en amont de la ville. Bref, en passe de reussir a etre l'eveque de la cite alexandrine, au contraire de Proterius et plus assurement que Salophaciol,

65 Puisque Acace et Gennade, bien en cour, en sont prives (Liberatus brev. 16 [ACO II.5 125,32-33]); on sait que dans le cadre de la capitale, l'envoi de ces cadeaux honoraires apres election pouvait donner matiere a insatisfaction. Ainsi, selon une tradition cons-tantinopolitaine, le cubiculaire Chrysaphe, a moins que ce ne soit l'empereur Theo-dose lui-meme - sur ce point cf. P. Gray et G. Bevan, The Trial of Eutyches, ByzZ 101, 2008, 622-623 - prit-il ombrage des simples pains benits que lui fit parvenir Fla-vien en 446. Cf. Theophane, Chron., AM 5940 (BSGRT, 98 De Boor), et le frag­ment sans doute tire de l'Histoire euthymiaque - ecrite entre 550 et 750 - sur ce point, voir S. J. Shoemaker, Ancient Traditions of the Virgin Mary's Dormition and Assumption, Oxford Early Christian Studies, Oxford 2002, 68-69 - qui figure dans le Pandecte de Nicon (= PG 96, col. 747, note 58) et dans Nicephorus Callistus (h.e. XIV 47 [PG 146, col. 1221]). L'echo de cette meme affaire, repercute dans le recit d'Evagre (h.e. 11-2, 39), est cependant deforme. Voir encore P. Norton, Episcopal Elections 250-600. Hierarchy and Popular Will in Late Antiquity, Oxford Classical Monographs, Oxford 2007, 88. Cette pratique, qui marque l'ingerence du pouvoir imperial dans le processus de designation, semble s'etre etendue au contexte alexan-drin. Car Zach. Rh. h.e. V 4 (151 Brooks), s'emploie a son tour a bien faire comprendre que Timothee Aelure, apres sa reinstallation, ne fait pas acception de personne et envoie a l'empereur du moment, Basilisque, ainsi qu'aux principales figures auliques, de bien modestes xenia. Cf. aussi Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 615.

66 Sur l'ensemble de ces evenements, voir notre presentation historique dans Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 200-202.

67 Theod.lect. h.e. £ 4 2 4 ( 1 1 7 Hansen).

68 Voir Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 206-212.

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Elec t ion darcheveques diphysites au trone alexandrin (451-482) 105

il echoue a s'affirmer comme le patriarche consacre pour route l'Egypte,69

nonobsrant la presence acrive de plusieurs eveques, pas seulement des cites du delra les plus proches,70 er de quelques contingents monasriques, de la Meranoia par exemple, lors de sa promotion.

Avec la reconnaissance officielle de Pierre Monge, la hierarchie chalce-donienne s'interrompt un long moment. Tres habile dans sa gestion des tensions propres aux sensibilites miaphysites, Monge n'evite pas tout a fait la suspicion de connivence avec une Eglise imperiale jugee trop favorable au siege constantinopolitain. Ce soupcon se manifeste plus severement a l'occasion de la consecration de certains de ses successeurs. C'est le cas, a en croire la Chronographie de Theophane le Confesseur, lors de la promo­tion de Dioscore II (516?).71 Le reproche qui l'affecte ne concerne pas sa personne - il est meme distingue par son etroite parente avec Timothee Aelure - mais bien plutot la trop grande emprise des autorites representant l'Etat sur la procedure qui l'a designe, au point que le clerge - ou une partie principale de celui-ci - s'est estime floue. Une nouvelle ordination, seule valable a ses yeux, est meme reclamee, non dans la cathedrale, mais dans le complexe du martyrion de saint Marc semble-t-il/2 afin de mieux refonder sa legitimite dans la succession des eveques qui est censee remon-ter jusqu'a l'evangeliste. Encore faut-il relever que cette celebration ne calme qu'apparemment les mecontentements: lors de la synaxe qui suit, a l'eglise Saint-Jean/3 l'augustal Theodose est mis a mort. Une situation plus

69 La remarquable opposition a son egard de Gennade d'Hermopolis (cf. Liberatus brev. 17, 126,30-127,1) ajoute peut-etre a ce constat, meme si, en l'espece, die parait moti-vee plus encore par les raisons personnels signalees ci-dessus.

70 Puisque les election et ordination n o n t guere tarde apres le deces de Salophaciol et a meme pu faire l'objct dune mobilisation anticipatoire. Sur ce rapport de facilite entre proximite et participation, cf. E. Wipszycka, Istituzioni (cit. note 4), 253.

71 Chronographie (cit. note 65) AM 6009, 163. Voir aussi notre contribution Ordre religieux et ordre public: observations sur l'histoire de l'Eglise post-chalcedonienne d'apres le temoignage de Jean Malalas, in Recherches sur la chronique de Jean Mala-las, II, ed. S. Agusta-Boularot/J. Beaucamp/A.-M. Bernardi/E. Caire (Centre de re­cherche d'Histoire et de Civilisation de Byzance, Monographies 24, Paris 2006, 245-246.

72 On sait quune eglise lui etait associee. Cf. A. Martin, Topographie (cit. note 15), 216-217, note 34. Peut-etre la pression s'est-elle exercee tandis que le nouvel arche-veque entendait celebrer les obseques de son predecesseur?

73 Faut-il se risquer a localiser l'episode? Penser en raison de l'imprecision des termes (sis ton 'Icodnnnn) qu'il s'agit du martyrion conservant les reliques du Baptiste? L'idee est tentante en ce que le sanctuaire, particulierement frequente, etait lui aussi federates: Cyrille y fit savoir que la Concorde avec l'Eglise d'Antioche etait retablie (23 avril 433, cf. ACO 1.7, 173). Et des lors situer done la manifestation dans l'edifice construit sur une partie de Templacement du Serapeion? (A. Martin, Topographie [cit. note 15],

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conflictuelle encore intervient lorsqu'il s'agit de donner un successeur a Timothee IV (535). Liberatus decrit non sans complaisance mais avec precision le dec remen t qui advient alors parmi les miaphysites / 4 le seve-rien Theodose, elu et consacre comme en catimini dans Vepiscopium (a proximite du Kaisareion probablement) en presence des habituels commis de l'Etat auquel s'est joint le cubiculaire Calotychius, envoye expres de Theodora, est rejete tandis que l'incorrupticole Gaianas est choisi, fort d u n assentiment repandu dans les differentes couches sociales et eccle-siales. Ayant obtenu un soutien decisif, cette contre-ordination permet a l'archeveque des julianistes de se maintenir a la tete de l'Eglise alexandrine pendant plusieurs mois et oblige finalement a une intronisation manu militari de Theodose/5 Cet epilogue marque non pas seulement importance symbolique de sieger sur le trone de saint Marc, acte qui conclut ordinairement l'ensemble des ceremonies de consecration, mais il revele l'impasse dans laquelle se trouve le candidat du pouvoir. C'est seu­lement la convocation du miaphysite a Constantinople puis son long exil surtout qui valent a Theodose de beneficier dune legitimation aupres de la communaute non-chalcedonienne que son election avait absolument echoue a lui procurer/6 Comme si finalement, toute forme de connivence d u n impetrant avec l'autorite imperiale tendait a etre proscrite par l'usage

222); voir les observations mettant en cause cette indication topographique de J. Gas­con, Eglises (cit. note 16), 33-35 et la critique de celles-ci par A. Camplani, L'identita del patriarcato alessandrino, tra storia e rappresentazione storiografica, Adamantius, 12, 2006, 38-40.

74 Liberatus brev. 20, 134-135. 75 Liberatus, brev. 20, 135,9-22: "Ayant done le soutien de certains parmi le clerge, des

notables {possessor*) de la cite, des corporations, des soldats et des nobles, Gai'anus demeura dans l'episcopat 103 jours puis s'eloigna, chasse par les representants de l'Etat (iudicibus). Et apres deux mois, le cubiculaire Narses envoye par l'augusta Theodora, intronisa Theodose puis envoya Gai'anus en exil. On ignore ce qu'il advint de celui-ci, mene a Carthage la Grande et de la apparemment envoye en Sardaigne. Or, Theodose demeura sur le siege un an et quatre mois, peu de personnes prenant part a sa com­munion, la plupart communiait dans le nom de Gai'anus. La population se battit pour Gai'anus pendant de nombreux jours, die qui frappee par les militaire perdit la ma­jeure partie (de ses membres) mais un plus grand nombre de soldats encore tomba. Narses etait mis en echec non par les armes mais par l'union de la cite: des lieux les plus eleves des habitations les femmes jetaient sur les soldats tout ce qui leur passait sous la main. Et celui-ci obtint par le feu ce qu'il n'avait pu avoir par le fer, et la cite fut divisee par ce schisme jusqu'a aujourd'hui". Voir aussi Michel Le Syrien, Chron. 1X21, 193-194 Chabot.

76 Comme en atteste le propos prete au populaire et commente par Michel le Syrien: "comme le zele des Alexandras etait vehement, ils disaient: "Theodosius partage le sentiment de l'empereur, tandis que celui qui est exile est orthodoxe". Aucune de ces chosesn'etaitvraie" (Michel Le Syrien, Chronique, 1X21, 194.10-15B).

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L'election d'archeveques diphysites au trone alexandrin (451-482) 107

alexandrin. Comme si la memoire du martyre de Pierre, des exils d'Athanase et de la condamnation de Dioscore ajoutait aux exigences re-quises celle de savoir se tenir a distance de la volonte imperiale, sans con-tester par principe son pouvoir. Cette condition, discernee par Talaia, devait etre decisivement bafouee au contraire lorsque Justinien montra son intention d'imposer a nouveau un chef chalcedonien a Alexandrie. Volon-tiers ordonne a Constantinople et sans aucune participation du clerge alexandrin, ancien officier parfois/7 voire dote d'attributions militaires,78

sans etre lui-meme d'origine egyptienne (a l'exception de Paul de Taben-nese),79 le choix du nouveau patriarche diphysite conformerait par le pro­cessus de sa nomination meme l'elu a un serviteur de l'Etat,80 au risque d'accuser la transformation de son Eglise remanente en une simple com-munautemelkite.

77 A l'instar d'Apollinaire ordonne en 551 (cf. Apollinarius 2, PLRE III, 100) ou de Jean IV consacre en 570 (voir jean de Nikiou, Chronique, § 94, 522, et J. Maspero, His-toire des patriarches d'Alexandrie depuis la mort de l'empereur Anastase jusqu'a la re­conciliation des Eglises Jacobites [518-616]. Ouvrage revu et publie apres la mort de l'auteur par Adrian Fortescue et Gaston Wiet, preface Bernard Haussoulier, Paris 1923,256-285).

78 Ainsi de Paul le Tabennesiote surtout, sans doute pour preparer la mise en ceuvre de l'edit XIII; voir A. M. Demicheli, La politica religiosa di Giustiniano in Egitto, Aegyp-tus, 63, 1983, 235-238 et notre Alexandrie et Constantinople (cit. note 18), 439. Les attributions d'Apollinaire paraissent egalement comporter une capacite a dechainer la violence armee; e'est en tout cas ainsi que les sources d'origine copte se souviennent de son action brutale: cf. J. Maspero, Histoire des patriarches (cit. note 77), 162-164.

79 Sur ses origines, cf. Liberatus brev. 23, 138-139 et nos remarques dans L'historiographie comme service diaconal, (cit. note 25).

80 Conformement a une tendance que la legislation justinienne avait fortement accrue en confiant aux eveques des taches de surveillance et de controle en matiere administra­tive, civile et judiciaire. Cf. par exemple A. M. Demicheli, La politica religiosa di Giu­stiniano (cit. note 78), 248-250.

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