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Eric DRAHI, Emmanuel BISOT, Anne LAZAREVITCH et le groupe « Règles de Métier » du Loiret. Le cas analysé : Monsieur G, 36 ans, nous consulte pour renouveler son traitement. Il vient d’arriver à T. Très vite, il parle de son passé d’alcoolisme, de sa sortie de prison. Il a quitté la région de Z, pour rompre avec son ancien milieu. Son traitement associe un anticonvulsivant, du disulfirame, un anxiolytique. Il dit être encore suivi à Z, par le Dr. E., qui lui renouvelait son traitement jusqu’à présent. Il est bénéficiaire de la CMU, est en ALD pour son ancien alcoolisme. Il est sans travail, mais loge dans un hôtel. Son état clinique est satisfaisant, ses résultats d’analyse biologique datent de 3 mois et ne montrent pas d’élévation des enzymes hépatiques. Son examen clinique est normal. Le médecin lui renouvelle son traitement pour 1 mois, en lui demandant d’informer son médecin de Z de son nouveau suivi médical. Il est revu par un remplaçant après une crise d’épilepsie qui a nécessité une hospitalisation de quelques heures. Il avait trouvé du travail comme serveur dans un restaurant de restauration rapide. Il dit que sa crise d’épilepsie est due à l’oubli de quelques jours de son traitement. Le médecin le revoit une semaine plus tard (c’est le moment de son renouvellement de traitement). Il dit qu’il a démissionné de son travail, qui lui plaisait beaucoup, après une dispute avec un autre serveur. Il est venu avec sa compagne. Ils devraient être expulsés de l’hôtel dans lequel ils logent. Sa femme est vendeuse dans une bijouterie, mais son employeur lui a demandé de démissionner après qu’un appel téléphonique anonyme lui ait relaté le passé de son compagnon. Si l’assistante sociale peut être utile dans cette situation, quelles informations communiquer, et comment ? Analyse du cas par les médecins. L’analyse des médecins du groupe est identique : le problème du logement paraît prioritaire. Les médecins généralistes orientent préférentiellement le patient vers un travailleur social. En effet, pour une personne ayant besoin de se soigner, être à la rue ou sans domicile fixe entraîne un risque de rupture de son traitement chez une personne dont la biographie est apparemment émaillée de ruptures successives. Les médecins n’analysent pas cette situation comme comportant une urgence médicale, mais comme étant une véritable urgence sociale. Pour les médecins, "L’urgence" se situe dans la relation de confiance à mettre en place . Toute relation thérapeutique, tout suivi nécessitent une relation de confiance, préalable aux soins d’une part, et à un travail de fond avec la personne pour avancer avec elle sur l’analyse de ses problèmes. La création d’un lien médecin-patient permettrait un travail approfondi nécessaire (aider le patient à prendre conscience de sa mise en danger, de l’utilité de son traitement...). Ce qu’il est urgent de faire, c’est de nouer un lien de confiance avec cette personne. En effet, le risque que le patient ne revienne pas existe. Il est néanmoins difficile de tisser une relation dans l’urgence ; du temps est nécessaire. Face à ce paradoxe, certains médecins font le choix de s'investir dans la relation en prenant en compte la demande du patient et de son ami, même si elle se situe sur un plan social, pour "amorcer" en quelque sorte l'instauration de la relation médicale. Au cours du débat, des médecins exposent l’idée d'une manipulation par le patient ; dans ce cadre, est-il alors possible de construire une relation de confiance avec ce dernier ? D’autres lui accordent un crédit de confiance systématique, comme dans toute relation médicale nouvelle. Il ne s’agit pas ici de juger ou de cataloguer la personne, mais de construire une cartographie des relations de cette personne, dans un analyse la plus neutre possible. Cette situation peut relever de la psychiatrie. L’urgence se situerait alors également auprès de l’amie du patient, dans un souci de protection. Analyse du cas par les travailleurs sociaux. Le travailleur social situe l’urgence au niveau du logement. L’analyse des travailleurs sociaux du groupe est univoque. Au travers de l’entretien, chacun cherche à connaître les raisons de ses ruptures consécutives, en vue d’un travail de prévention et d’accompagnement sur le long terme (orientation cure, post-cure, interrogations sur le traitement médical, vigilance par rapport au problème de dépression, a-t-il des projets, ....). Il n’est pas dans le jugement face à une éventuelle manipulation. Quoi qu’il en soit, la stratégie ne peut se limiter au court terme. Certains éléments de la situation peuvent mettre en évidence une problématique d'ordre psychiatrique que le travailleur social tentera de prendre en compte dans son analyse globale de la situation de la personne. Recommandations Pour le groupe de travail, la possibilité pour la personne de coordonner la circulation de l’information est centrale. Une information ne devrait pas être transmise sans l’accord de la personne. On se doit de privilégier la transmission d’information par la personne elle- même. Une des tâches des professionnels est d’analyser cette ressource chez la personne, afin d’adapter au mieux la décision. Mais ce n’est pas parce qu’une personne autorise un professionnel à transmettre une information que celle-ci doit être systématiquement communiquée. Une analyse de l’utilité de cette information pour les autres intervenants doit être réalisée. Les informations qui peuvent être échangées sont celles qui sont utiles à une prise de décision, la plus partagée possible, avec la priorité de définir et servir au plus près le projet propre de la personne et non pas forcément les projets professionnels des intervenants. Quand la personne ne peut coordonner les professionnels, l’usage idéal pourrait être de faire une réunion conjointe avec la personne. Ont participé à ce travail les assistantes sociales, et les médecins : ALEXANDRE-FAVRICHON Carole, ARCHAMBAULT Marie-Laure, BANLIN Catherine, BELVISO Brigitte, BERTHOMME Claire, BISOT Emmanuel, CHOFFAT Philippe, DELEPORTE Geneviève, DENUC Yves, DESCAMPS Annie, DRAHI Eric, EUGENE Gérard, FLUCHAIRE Laurence, GAUZAN Laurence, GONTIER Caroline, GUILLEMONT François, HUBERT Claudine, JUGE Jean-Yves, LAZAREVITCH Anne, MARQUET Philippe, MERCUSOT Claude, NAUZERAC Pascale, SCHIFFER Isabelle, TAVENNEC Annie.

Eric DRAHI, Emmanuel BISOT, Anne LAZAREVITCH et le ......Eric DRAHI, Emmanuel BISOT, Anne LAZAREVITCH et le groupe « Règles de Métier » du Loiret. Le cas analysé : Monsieur G,

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Page 1: Eric DRAHI, Emmanuel BISOT, Anne LAZAREVITCH et le ......Eric DRAHI, Emmanuel BISOT, Anne LAZAREVITCH et le groupe « Règles de Métier » du Loiret. Le cas analysé : Monsieur G,

Eric DRAHI, Emmanuel BISOT, Anne LAZAREVITCH et le groupe « Règles de Métier » du Loiret.

Le cas analysé : Monsieur G, 36 ans, nous consulte pour renouveler son traitement. Il vient d’arriver à T. Très vite, il parle de son passé d’alcoolisme, de sa sortie de prison. Il a quitté la région de Z, pour rompre avec son ancien milieu. Son traitement associe un anticonvulsivant, du disulfirame, un anxiolytique. Il dit être encore suivi à Z, par le Dr. E., qui lui renouvelait son traitement jusqu’à présent. Il est bénéficiaire de la CMU, est en ALD pour son ancien alcoolisme. Il est sans travail, mais loge dans un hôtel. Son état clinique est satisfaisant, ses résultats d’analyse biologique datent de 3 mois et ne montrent pas d’élévation des enzymes hépatiques. Son examen clinique est normal. Le médecin lui renouvelle son traitement pour 1 mois, en lui demandant d’informer son médecin de Z de son nouveau suivi médical. Il est revu par un remplaçant après une crise d’épilepsie qui a nécessité une hospitalisation de quelques heures. Il avait trouvé du travail comme serveur dans un restaurant de restauration rapide. Il dit que sa crise d’épilepsie est due à l’oubli de quelques jours de son traitement. Le médecin le revoit une semaine plus tard (c’est le moment de son renouvellement de traitement). Il dit qu’il a démissionné de son travail, qui lui plaisait beaucoup, après une dispute avec un autre serveur. Il est venu avec sa compagne. Ils devraient être expulsés de l’hôtel dans lequel ils logent. Sa femme est vendeuse dans une bijouterie, mais son employeur lui a demandé de démissionner après qu’un appel téléphonique anonyme lui ait relaté le passé de son compagnon. Si l’assistante sociale peut être utile dans cette situation, quelles informations communiquer, et comment ?

Analyse du cas par les médecins. L’analyse des médecins du groupe est identique : le problème du logement paraît prioritaire. Les médecins généralistes orientent préférentiellement le patient vers un travailleur social. En effet, pour une personne ayant besoin de se soigner, être à la rue ou sans domicile fixe entraîne un risque de rupture de son traitement chez une personne dont la biographie est apparemment émaillée de ruptures successives. Les médecins n’analysent pas cette situation comme comportant une urgence médicale, mais comme étant une véritable urgence sociale.

Pour les médecins, "L’urgence" se situe dans la relation de confiance à mettre en place. Toute relation thérapeutique, tout suivi nécessitent une relation de confiance, préalable aux soins d’une part, et à un travail de fond avec la personne pour avancer avec elle sur l’analyse de ses problèmes. La création d’un lien médecin-patient permettrait un travail approfondi nécessaire (aider le patient à prendre conscience de sa mise en danger, de l’utilité de son traitement...).

Ce qu’il est urgent de faire, c’est de nouer un lien de confiance avec cette personne. En effet, le risque que le patient ne revienne pas existe. Il est néanmoins difficile de tisser une relation dans l’urgence ; du temps est nécessaire. Face à ce paradoxe, certains médecins font le choix de s'investir dans la relation en prenant en compte la demande du patient et de son ami, même si elle se situe sur un plan social, pour "amorcer" en quelque sorte l'instauration de la relation médicale.

Au cours du débat, des médecins exposent l’idée d'une manipulation par le patient ; dans ce cadre, est-il alors possible de construire une relation de confiance avec ce dernier ? D’autres lui accordent un crédit de confiance systématique, comme dans toute relation médicale nouvelle. Il ne s’agit pas ici de juger ou de cataloguer la personne, mais de construire une cartographie des relations de cette personne, dans un analyse la plus neutre possible.

Cette situation peut relever de la psychiatrie. L’urgence se situerait alors également auprès de l’amie du patient, dans un souci de protection.

Analyse du cas par les travailleurs sociaux. Le travailleur social situe l’urgence au niveau du logement.

L’analyse des travailleurs sociaux du groupe est univoque. Au travers de l’entretien, chacun cherche à connaître les raisons de ses ruptures consécutives, en vue d’un travail de prévention et d’accompagnement sur le long terme (orientation cure, post-cure, interrogations sur le traitement médical, vigilance par rapport au problème de dépression, a-t-il des projets, ....). Il n’est pas dans le jugement face à une éventuelle manipulation. Quoi qu’il en soit, la stratégie ne peut se limiter au court terme.

Certains éléments de la situation peuvent mettre en évidence une problématique d'ordre psychiatrique que le travailleur social tentera de prendre en compte dans son analyse globale de la situation de la personne.

Recommandations

Pour le groupe de travail, la possibilité pour la personne de coordonner la circulation de l’information est centrale. Une information ne devrait pas être transmise sans l’accord de la personne. On se doit de privilégier la transmission d’information par la personne elle-même. Une des tâches des professionnels est d’analyser cette ressource chez la personne, afin d’adapter au mieux la décision.

Mais ce n’est pas parce qu’une personne autorise un professionnel à transmettre une information que celle-ci doit être systématiquement communiquée. Une analyse de l’utilité de cette information pour les autres intervenants doit être réalisée. Les informations qui peuvent être échangées sont celles qui sont utiles à une prise de décision, la plus partagée possible, avec la priorité de définir et servir au plus près le projet propre de la personne et non pas forcément les projets professionnels des intervenants.

Quand la personne ne peut coordonner les professionnels, l’usage idéal pourrait être de faire une réunion conjointe avec la personne.

Ont participé à ce travail les assistantes sociales, et les médecins : ALEXANDRE-FAVRICHON Carole, ARCHAMBAULT Marie-Laure, BANLIN Catherine, BELVISO Brigitte, BERTHOMME Claire, BISOT Emmanuel, CHOFFAT Philippe, DELEPORTE Geneviève, DENUC Yves, DESCAMPS Annie, DRAHI Eric, EUGENE Gérard, FLUCHAIRE Laurence, GAUZAN Laurence, GONTIER Caroline, GUILLEMONT François, HUBERT Claudine, JUGE Jean-Yves, LAZAREVITCH Anne, MARQUET Philippe, MERCUSOT Claude, NAUZERAC Pascale, SCHIFFER Isabelle, TAVENNEC Annie.