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LE BEST-SELLER QUI A INSPIRÉ LE FILM ERIC LOMAX

ERIC LOMAX - secure.sogides.com · ERIC LOMAX ERIC LOMAX ISBN 978-2-7619-4027-6 O fficier dans l’armée britannique pendant la Seconde ... Correction: Caroline Hugny et Céline

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LE BEST-SELLER QUI A INSPIRÉ LE FILM

ERIC LOMAX

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ISBN 978-2-7619-4027-6

Officier dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, le lieutenant écossais Eric Lomax

est capturé par les Japonais en 1942, puis envoyé dans un camp de prisonniers en Thaïlande. Dans ce récit autobio-graphique, Lomax évoque les privations et les sévices qu’il a subis durant ses années de captivité, où on l’a contraint à participer à la construction du chemin de fer qui enjambe la rivière Kwaï. À l’issue de la guerre, des séquelles phy-siques et psychologiques minent l’existence du vétéran. Déterminée à l’aider à s’affranchir des chaînes du passé, Patricia Wallace, sa seconde femme, retrouve un jour la trace de l’officier japonais qui l’a torturé. La rencontre de son bourreau, plus de cinquante ans après les faits, per-mettra à Lomax d’affronter la part d’ombre qui le hante et d’emprunter le long chemin vers le pardon.

ERIC LOMAX (1919-2012), un ancien officier de l’armée britan-nique, a été fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mon-diale. The Railway Man, le seul livre qu’il a écrit, est le récit de son parcours avant, pendant et après la guerre.

THE WEINSTEIN COMPANY SCREEN AUSTRALIA en association avec SILVER REEL SCREEN QUEENSLAND CREATIVE SCOTLAND SCREEN NSW et LIONSGATE UK présentent une production de ANDY PATERSON PICTURES IN PARADISE TRINIFOLD PRODUCTION en association avec DAVIS FILMS et LATITUDE MEDIA un film de JONATHAN TEPLITZKYavec COLIN FIRTH NICOLE KIDMAN JEREMY IRVINE STELLAN SKARSGÅRD SAM REID TANROH ISHIDA et HIROYUKI SANADA « THE RAILWAY MAN » distribution des rôles NIKKI BARRETT supervision des effets spéciaux JAMES ROGERS supervision de la postproduction COLLEEN CLARKE producteurs adjoints OLIVER VEYSEY MICHELLE SAHAYAN

coproducteur écosse ANNALISE DAVIS directeur de production australie BARBARA GIBBS musique DAVID HIRSCHFELDER costumes LIZZY GARDINER montage MARTIN CONNOR conception visuelle STEVEN JONES-EVANS APDG direction de la photographie GARRY PHILLIPS ACS coproducteurs délégués SAMUEL HADIDA VICTOR HADIDA producteurs délégués DARIA JOVICIC ANAND TUCKERproducteurs délégués CLAUDIA BLUEMHUBER IAN HUTCHINSON ZYGI KAMASA NICK MANZI d’après le livre de ERIC LOMAX scénario FRANK COTTRELL BOYCE et ANDY PATERSON produit par ANDY PATERSON CHRIS BROWN BILL CURBISHLEY réalisé par JONATHAN TEPLITZKY

© 2013 RAILWAY MAN PTY LTD., RAILWAY MAN LIMITED, SCREEN QUEENSLAND PTY LIMITED, SCREEN NSW AND SCREEN AUSTRALIA

ARTWORK©2013 THE WEINSTEIN COMPANY. ALL RIGHTS RESERVED.

épine : 0,9142

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© Eric Lomax 1995

L’ouvrage original a été publié par Jonathan Cape Ltd (Grande-Bretagne) sous le titre The Railway Man.

Traduction française : © Éditions Hugo & Cie, 2014.

Pour le Québec© 2014, Les Éditions de l’Homme,division du Groupe Sogides inc., filiale de Québecor Média inc.(Montréal, Québec)

Tous droits réservés

Dépôt légal : 2014Bibliothèque et Archives nationales du QuébecISBN 978–7619–4027–6

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lomax, Eric

[Railway man. Français]

Les larmes du bourreau

Traduction de : The railway man.

ISBN 978-2-7619-4027-6

1. Lomax, Eric. 2. Guerre mondiale, 1939-1945 - Prisonniers et prisons des Japonais. 3. Guerre mondiale, 1939-1945 - Travail obligatoire. 4. Guerre mondiale, 1939-1945 - Récits personnels écossais. 5. Ligne de chemin de fer Birmanie-Siam - Histoire. 6. Guerre mondiale, 1939-1945 - Atrocités. 7. Prisonniers de guerre - Thaïlande - Biographies. 8. Prisonniers de guerre - Grande-Bretagne - Biographies. I. Titre. II. Titre : Railway man. Français.

D805.T5L6514 2014 940.54'7252 C2013-942702-3

Infographie : Chantal LandryCorrection : Caroline Hugny et Céline Vangheluwe

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC –www.sodec.gouv.qc.ca

L’Éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec pour son programme d’édition.

Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

Nous remercions le gouvernement du Canada de son soutien financier pour nos activités de traduction dans le cadre du Programme national de traduction pour l’édition du livre.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

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ERIC LOMAX

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Traduit de l’anglais par Simone Mouton di Giovani

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Ce livre doit beaucoup à la créativité et au talent de Neil Belton. Sa contribution au texte définitif a dépassé de loin celle du rapport habituel entre un auteur et son éditeur. La vérité m’oblige à dire que sans son aide, je ne serais jamais parvenu à donner une forme à tout ce à quoi j’ai tellement réfléchi au cours des cinquante der-nières années.

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J’étais mort et je suis vivant…Écris donc ce que tu as vu.

Apocalypse, I,18-19

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Chapitre 1

Dans l’entrée de ma maison de Berwick-upon-Tweed est accro-ché un tableau de l’artiste écossais Duncan Mackellar. Il représente un grand bâtiment de la gare St Enoch, à Glasgow, par un soir d’été poussiéreux des années 1880. Une femme d’une cinquantaine d’années, simplement vêtue de sombre et portant un parasol, se tient là, bouleversée, indifférente à toute présence. Derrière elle, la gare dresse ses hautes structures de métal et de verre souillé par la fumée. Du bord du quai, elle fixe un train qui s’efface au loin, de sorte que nous la percevons à travers les yeux d’un passager, avec le visage des êtres qui ont appris à enfermer leur douleur. On éprouve sa solitude soudaine, on l’imagine s’efforçant de retenir l’image de son enfant, dans ce train qui l’emporte au loin, vers un bateau, vers l’émigration, vers une guerre coloniale ? vers l’Inde, vers l’Afghanistan, vers la Côte-de-l’Or ?

Bien que conventionnelle, l’image n’en est pas moins poi-gnante et j’ai toujours aimé ce tableau ; de même que j’ai toujours été attiré par les gares – non seulement par les trains, mais aussi par l’ambivalence de ces lieux imprégnés des échos de voyages achevés et des sons mélancoliques qui accompagnent les départs. Le tableau de Mackellar traite du caractère inévitable de la sépara-tion et du prix émotionnel des voyages. Et, que je sache, nous n’avons jamais inventé un son plus évocateur d’adieux que le sifflet d’une locomotive, cette note haut perchée, comme un cri inhu-main, quand l’eau expulsée sous forme de vapeur rencontre sou-dain l’air froid.

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Je suis retourné une fois à St Enoch, dans les années soixante-dix, à l’endroit précis du quai où se situe la scène dépeinte par Mac-kellar : l’arrière du grand hangar, pareil à un énorme conservatoire victorien, semblait à peine avoir changé. La gare, qui devait être détruite quelques années plus tard comme tant d’autres de ces cathédrales de la vapeur, n’était pas encore tout à fait abandonnée et silencieuse. Cet âge est maintenant révolu, finalement, mais la réalité de la souffrance, et les conséquences de la souffrance, dont Mackellar a saisi quelque chose dans son tableau, n’ont pas disparu.

La passion des trains et du rail, m’a-t-on dit, est une maladie incurable. J’ai appris qu’il n’existe pas non plus de remède à la tor-ture. Ces deux tourments ont été intimement mêlés au cours de ma vie et cependant, par un hasard qui a combiné un peu de chance et je ne sais quelle grâce, j’ai survécu aux deux. Mais il m’a fallu près de cinquante ans pour surmonter les séquelles de la torture.

Je suis né en 1919, l’année où la Première Guerre mondiale a vraiment pris fin, celle où Alcock et Brown ont émergé de la pluie au-dessus de l’Atlantique et posé leur fragile bombardier dans une tourbière irlandaise. Je me rappelle avoir été in formé, dans mon très jeune âge, de cet exploit aéronautique d’une adresse géniale. Aussi, j’ai beaucoup pensé à ces deux intrépides pilotes en me promenant en bord de mer, à Joppa, à l’est d’Édim-bourg. « Joppa », l’ancienne Jaffa, est la ville biblique où Jonas se rendit alors qu’il fuyait la parole de Dieu et d’où il prit la mer. À Joppa, la mer n’était que le vaste estuaire de la Forth. Même si Fife, sur la rive opposée, n’était visible que par beau temps, j’ai découvert plus tôt que je ne l’aurais souhaité que, dans le monde dont il me fallut beaucoup de temps pour prendre la mesure réelle, il existait des mers plus redoutables, là-bas, derrière le brouillard et le vent.

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Mon père, John Lomax, était un homme calme, sérieux et dis-cipliné, qui décidait de toute chose pour sa femme et son fils et entendait avoir le dernier mot dans sa maison. Jusqu’à quatorze ans, il avait travaillé chez un prêteur sur gages de Stockport, dans les environs de la ville industrielle de Manchester. Puis en 1893, je ne sais trop comment, il était entré au service postal, une institu-tion pour laquelle il a travaillé jusqu’à sa retraite près d’un demi-siècle plus tard. Il y avait débuté comme télégraphiste. À l’époque, c’était la fonction réservée aux plus jeunes et un grade encore moins élevé que celui qu’il devait choisir pour moi quand j’attei-gnis seize ans. À l’époque de ma naissance, mon père était un fonctionnaire responsable et apprécié, à mi-chemin dans la hié-rarchie de son administration en tant que chef du personnel de la grande poste d’Édimbourg.

Il s’était installé dans cette ville d’administration et de services en 1909 mais toute sa vie, il est resté un enfant de la révolution industrielle, plein des souvenirs vivaces du charbon, de la fumée, du brouillard et de la puissance de la vapeur, des grands moulins industriels, des locomotives, et du grand canal destiné aux navires de Manchester. Il est difficile, aujourd’hui, d’expliquer à une jeu-nesse née dans des pays qui ont pratiquement oublié les industries lourdes, à quel point ces processus qui façonnaient nos vies étaient impressionnants. À mon père et, par la suite, à moi-même, ces grands monstres mécaniques n’inspiraient ni crainte ni désola-tion : il s’agissait de créations dignes de glorification, des créatures fabriquées par l’homme, aussi fascinantes que celles du monde naturel.

À l’époque où je commençais à remarquer ces choses, mon père faisait partie d’un cercle de lecture d’une quinzaine d’hommes et de femmes. Ils se rendaient mutuellement visite pour lire des essais sur des sujets tels que l’Édimbourg de Walter Scott ou les romans d’Arnold Bennett, que mon père dévorait car proches de la littérature de son enfance. Mon père était aussi correspondant

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régional du Journal of the Institution of Post Office Electrical Engineers (Journal des ingénieurs électriciens du service postal), pour lequel il rédigeait les nouvelles locales. Et comme tous ceux qui croyaient fermement au progrès et aux découvertes, il lisait H. G. Wells. Dans sa petite bibliothèque composée de ce type d’ouvrages, je me rappelle avoir vu l’Edinburgh Almanac des années trente, d’Oliver et Boyd, des livres de vulgarisation scientifique, et Lives of the Engi-neers (Les Vies des ingénieurs) de Samuel Smiles.

Je me souviens également de son exemplaire de The Story of Mankind (Histoire de l’humanité) de Hendrik Willem Van Loon, publié en 1931. L’auteur y décrivait, dans un style inspiré, l’histoire du progrès et de ses réalisations. Enfant, je me suis imprégné de cette narration de la créativité, où chaque avancée, chaque inven-tion apparaissaient comme autant de promesses d’un surcroît de vitesse, de facilité et de griserie. Un des événements les plus intenses de mon enfance fut une trouvaille inattendue : un tableau « secret » des grandes découvertes imprimé à l’intérieur de la jaquette du livre. J’étais convaincu qu’aucun de ses milliers de lec-teurs n’avait jamais songé à la retourner et que ce merveilleux arbre généalogique de l’ingéniosité humaine avait été élaboré à ma seule intention.

Mon premier souvenir extérieur à l’univers de l’enfance est celui d’un étrange rassemblement mécanique. Les promenades en bord de mer avec mon père nous menaient souvent jusqu’au termi-nus des tramways de Joppa, situé au point historique où la route de Londres à Édimbourg atteint l’estuaire de la Forth. J’étais encore tout petit quand, un jour, alors que nous venions de tourner au coin du salon de thé Di Rollo, nous avons trouvé la rue de Joppa bloquée par une barricade de tramways qui formaient une véri-table muraille de métal brun et blanc. C’étaient d’élégantes voi-tures à deux étages, avec des fenêtres aux délicats encadrements de bois ; tous ces trams étaient réversibles, les vitres des cabines de conduite formant un prisme à cinq faces. À chaque extrémité d’une

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plate-forme ouverte partait un escalier abrupt qui disparaissait mystérieusement dans l’étage supérieur. Ces trams attendaient la foule qui allait sortir d’un hippodrome pour la reconduire à Édimbourg. J’étais médusé par ce troupeau de machines : j’igno-rais qu’il y avait tant de tramways dans le monde !

En matière de véhicules se déplaçant sur des rails, Joppa était un paradis, ce qui est peut-être regrettable si l’on considère la fasci-nation qu’ils commencèrent à exercer sur moi. C’était le terminus de l’un des derniers réseaux de tramways à câbles au monde, dont les voitures étaient reliées à leur base par des filins d’acier qui glis-saient dans un chenal entre les rails et atteignaient jusqu’à huit kilomètres de long. Ces câbles étaient déroulés par d’énormes machines à vapeur réparties dans les stations sur le parcours des trams. Peu de temps après le choc du rassemblement de tramways, mon père m’emmena dans une tranchée huileuse sous le terminus de Joppa. C’était la fosse des câbles, où une grande roue dentée entraînée par un câble d’acier tirait la voiture en provenance de Portobello, la banlieue ouest la plus proche. Les trams se succé-daient à quelques minutes d’intervalle. Ils se détachaient du câble tirant les voitures vers l’est et, après avoir agrippé le câble tirant vers l’ouest, ils repartaient vers Édimbourg à la vitesse majestueuse de vingt kilomètres à l’heure.

Il y avait quelque chose d’infiniment rassurant dans la prévisi-bilité de ce système : dans toute la ville, les lourds tramways à étage décrivaient invariablement leurs larges périples, glissaient infailli-blement parmi les bicyclettes, les voitures à chevaux et les piétons comme pour imposer un schéma ordonné à la vie chaotique de la cité.

Peu de temps après que j’en eus fait la découverte, les véhicules à câbles, devenus obsolètes, cédèrent la place aux tramways élec-triques. Je devais avoir à peu près quatre ans quand, lors d’une promenade, ma mère me fit remarquer le premier tramway élec-trique qui se dirigeait vers Édimbourg. Environ un mois plus tard,

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la grande machine à vapeur de la gare locale des trams s’ébranla une dernière fois. Mon père m’annonça la nouvelle le lendemain et je sentis bien qu’il s’agissait pour lui d’un moment solennel, de la fin de quelque chose, et que cela le rendait triste.

Les enfants aimaient alors prendre les tramways, faire connais-sance avec leurs conducteurs – dont certains n’appréciaient pas tel-lement les petits garçons curieux – et découvrir que, comme leurs collègues des vieilles voitures à vapeur, ces nouveaux conducteurs avaient aussi leur personnalité ; car le rythme imperturbable des vieux trams câblés était une chose du passé et certains chauffeurs de ces véhicules électriques n’hésitaient pas à faire étinceler les rails en conduisant comme des démons. Un jour, à Portobello, l’un d’eux sortit des rails dans le tournant de King’s Road, enfonça le mur entourant la cour de la centrale électrique et finit sa course suspendu au-dessus de la ligne de chemin de fer qui alimentait la centrale en charbon. Quel spectacle que cette grande carcasse verte en équilibre dans un endroit si incongru ! C’était un indice que la communication bien réglée entre un lieu et un autre pouvait être interrompue de façon violente, que le monde pouvait être un endroit dangereux. Les trams électriques n’en étaient pas moins un progrès et en ces temps de discipline et de frugalité, toute avancée était accueillie avec plus d’acclamations que de plaintes. Les pro-grès techniques nous fascinaient comme ils ne fascinent plus per-sonne aujourd’hui. J’étais bien loin d’imaginer où cela me conduirait !

Ma mère n’était pas aussi enthousiasmée par les merveilles de la mécanique, ce qui n’a rien d’étonnant pour un être ayant grandi dans les Shetland, à deux cent cinquante kilomètres plus au nord que la côte septentrionale de l’Écosse. C’était une femme très douce, pleine de dignité et douée d’une intuition un peu vision-naire que j’ai toujours associée à son enfance dans une commu-nauté qui pratiquait encore un dialecte nordique. Elle était la cinquième d’une famille de huit enfants. Impossible d’imaginer

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un plus grand contraste qu’entre son éducation et celle de mon père. Dans sa famille, depuis des générations, les hommes par-taient en mer sur de minuscules bateaux. Son père, qui avait déve-loppé un commerce prospère de poisson, était descendu vers le sud et quand il mourut l’année qui précéda ma naissance, c’était un homme aisé qui vivait à Leith, le port d’Édimbourg.

L’univers des rêves et des traditions de ma mère était aussi très différent de celui de mon père. Elle évoquait des bordages isolés, la pêche au hareng, les feux de tourbe et le mugissement ininter-rompu de la mer ; elle décrivait des journées estivales qui duraient vingt-quatre heures, la moisson, les bancs d’œillets maritimes sur les plages de sable blanc ; et des vents déchaînés qui, pendant les mois d’hiver, arrachaient tout, sauf les formes de vie les plus résis-tantes et les plus tourmentées. Sa famille, les Sutherland, avait sa propre histoire émaillée de désastres : l’ancêtre John Sutherland avait été l’un des cent cinq pêcheurs noyés quand dix-huit bateaux s’étaient retournés dans une tempête de juillet 1832 ; et deux autres Sutherland avaient péri en mer en 1881, lors d’une autre tempête estivale dans les Shetland. Sa famille vivait dans une familiarité avec la mort que les gens des villes ne peuvent comprendre. Ma mère nourrissait le romantisme d’un être transplanté d’une rude communauté rurale, bien qu’elle ait su ne jamais devoir y retour-ner et, en fait, elle a probablement souffert du mal du pays pen-dant toute sa vie à Édimbourg.

Elle communiqua à son enfant le sens du mystère : une beauté intangible auréolait jusqu’aux noms de lieu des Shetland. Com-ment trouver ailleurs des îles appelées Vaila, Trondra, Balta et Unst ? Ma mère avait de modestes ambitions littéraires et écrivait ce qu’elle appelait des « essais » et des poèmes. Elle lisait beaucoup. Le réalisme sévère d’Arnold Bennett ne pouvait satisfaire les excès de son imagination marquée par les îles, et ses livres favoris étaient probablement ceux de Jessie Margaret Edmonston Saxby, le plus célèbre auteur des Shetland. Elle connaissait cet écrivain, âgée de

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plus de soixante-dix ans lors de ma naissance et toujours vivante la première année de la Seconde Guerre mondiale.

Ma mère m’était très attachée. Elle était sans doute très protec-trice, et un peu possessive. J’avais un caractère exigeant, j’adorais faire des listes, noter toutes sortes de choses, découper des articles de journaux ; ma mère acceptait et encourageait tout cela, veillant à ce que j’aie toujours mon stock de papier. Elle m’appelait le « peerie professor », ce qui signifiait le « petit » professeur, dans le dialecte des Shetland. Je l’aimais, mais le monde dans lequel j’étais né ne favo-risait sans doute guère l’identification avec sa nostalgie du passé ; quelque chose de plus dur me fit évoluer vers l’univers de mon père et, après tout, c’est exactement ce qu’on attendait des petits garçons dans les années vingt.

Un des effets durables de l’influence de ma mère fut la situa-tion de la maison dans laquelle je suis né, sur un terre-plein qui, surplombant Joppa, ménageait une vue magnifique sur l’estuaire de la Forth. Elle voulait, sans aucun doute, vivre sur un rivage d’où, la plupart du temps, aucune terre ne serait visible. À travers nos fenêtres, le regard portait sur la mer, généralement grise et froide. Ses vagues courtes et incessantes, dont le spectacle nous faisait fris-sonner jusqu’aux os, n’autorisaient jamais totalement la détente qui vient avec l’illusion de commander aux éléments.

J’ai grandi entouré d’une affection sévère, protégé par des parents à l’ancienne mode, sérieux, attachés à leur « fils unique ». L’expression évoquait une sorte de légère déveine, comme si les enfants uniques étaient un peu défavorisés, surve-nus par un pur coup de chance en dépit d’une faille dans le maté-riel génétique de la famille. Peut-être ma naissance a-t-elle été une surprise pour mes parents ? Quoi qu’il en soit, j’ai souvent pensé qu’il valait mieux que j’aie été le seul de mon espèce.

La vie de mon père était méticuleusement organisée et je le revois encore quittant la maison chaque matin pour prendre le tramway électrique n° 20 en direction de la place de Waterloo

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d’Édimbourg. Il était très pointilleux quant aux horaires et à la durée des transports. J’ai hérité de lui ce trait de caractère, ce besoin de savoir que je peux prévoir mes allées et venues avec exactitude.

Nous allions en vacances dans des endroits comme Aberdour dans le Fife et Glenfarg dans le Perthshire. Dans une voiture tirée par une des superbes locomotives Atlantic du North British Railway, ancienne compagnie des chemins de fer du Nord, nous traversions alors la grande arche du pont de la Forth dans un vacarme d’air froid et d’acier, les hautes tours des haubans se dres-sant au-dessus de nos têtes et l’eau, loin sous nos pieds, miroitant entre les traverses de métal. Une bien plus grande merveille que les pyramides, c’était le pont le plus extraordinaire du monde ! Pas un seul petit garçon écossais n’ignorait qu’il mesurait plus de mille six cents mètres de long, qu’il avait fallu huit millions de rivets pour l’assembler et vingt-neuf ouvriers employés à plein temps unique-ment pour le peindre.

J’étais encore très jeune quand nous sommes allés en vacances aux îles Shetland. Il s’agissait alors d’une véritable expédition : cinq heures de train pour atteindre Aberdeen, puis une traversée de nuit sur un bateau à vapeur vers Lerwick. Le vapeur, appelé le St Sunniva, faisait la fierté de la compagnie au nom retentissant de North Scotland and Orkney and Shetland Steam Navigation Company Limited – la Compagnie de navigation à vapeur de l’Écosse du Nord et des îles des Orcades et des Shetland. Un yacht de croisière rema-nié, c’était un vaisseau élégant et bien adapté à la navigation en mer du Nord.

Il semble que ma mère ait connu le mécanicien en chef, car une fois le navire en haute mer, je fus admis dans la salle des machines, dont on ne parvint à m’extraire qu’avec beaucoup de difficulté. Ce fut là une autre des révélations de mon enfance : l’en-chantement de l’huile chaude, les trépidations et l’énergie du métal, le tonnerre rythmé des pistons dans leurs cylindres, la vibration de l ’air surchauffé, l ’odeur du charbon brûlant,

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l’ingéniosité des mouvements des bielles allant et venant – s’il s’agissait là d’une machine, je voulais me retrouver près d’une machine le plus vite possible.

Nous avons passé un mois dans les Shetland. Je me rappelle être tombé à l’eau et avoir couru à moitié nu tout l’après-midi pen-dant que mon pantalon séchait au soleil sur un rocher, avoir joué sur une plage de Lerwick, sautant de l’une à l’autre des pierres plates qui affleuraient dans l’eau. L’une des pierres était un tesson de bouteille qui me déchira le bout de l’orteil ; mais tout n’en était pas moins parfait, du glacis transparent du sel sur notre peau chauffée par le soleil à l’odeur d’algues de la mer. Le point fort quasi cérémonieux de ces vacances fut la visite à l’oncle Archibald, qui n’était rien moins que le représentant du roi dans le canton de Shetland. Il habitait Lystina House, la meilleure adresse de l’île. Ma mère était extrêmement fière d’être la nièce du plus important notable local tandis que mon père et moi étions plus impression-nés par la magnifique collection de timbres de l’oncle Archie.

À cette époque déjà, ma soif de découvertes faillit m’être fatale. Avec mon père, nous avons accompagné des pêcheurs sur le lac Spiggie, dans le sud de l’île. D’une curiosité insatiable, j’ai retiré le bouchon de la coque du bateau et l’ai brandi en demandant : « Qu’est-ce que c’est ? » J’ai perçu un courant de colère et une préci-pitation soudaine dans le comportement des adultes. J’avais fait quelque chose de dangereux. Le rameur s’est dirigé vers la rive, le bateau s’enfonçant lentement sous nos pieds.

Peu après ces vacances aux Shetland en 1924, j’ai été inscrit à la Royal High School d’Édimbourg. Selon moi, le choix de cette école n’était pas dû à son histoire vieille de huit cents ans, mais à la liai-son porte à porte avec notre maison que permettait une ligne du nouveau tramway électrique.

L’école n’a rien fait pour encourager l’intérêt que, par la suite, j’ai porté aux techniques nouvelles. Même la physique n’y était pas

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enseignée correctement. Nos matières étaient les mathématiques, l’anglais, le latin, le grec et le français. L’école avait une tradition académique profondément enracinée et s’écartait difficilement de son obsession des classiques.

Je n’avais pas la sensation d’être un garçon particulièrement solitaire ; mais peut-être mes habitudes de fils unique me rendaient- elles plus distant, me donnaient-elles une mesure d’autonomie dont les autres n’éprouvaient pas le besoin, ou qui leur faisait sim-plement défaut. Je fuyais résolument les sports et les jeux de groupe, un non-conformisme considéré comme une excentricité à cette époque où l’esprit d’équipe apparaissait comme la clef de la virilité. J’ai participé à un match de football – un seul ; je crois que j’ai joué au rugby à peu près aussi souvent et au cricket, de temps à autre. En revanche, je me suis découvert un don exceptionnel pour la natation, en particulier pour les longues et pénibles épreuves d’endurance. Je n’ai jamais pu atteindre réellement mes propres limites ; je pouvais nager pendant des kilomètres sans faire la moindre pause. C’était une pratique solitaire et acharnée : j’aimais le rythme régulier de l’effort qui propulse à travers la masse d’eau, cet étrange anesthésique qu’on appelle l’endurance et qui permet de supporter la douleur des muscles fatigués. En dépit de mon individualisme, j’étais extrêmement fier de mon insigne du club de natation amateur de Portobello, bien que le brun et jaune de ses couleurs nous donnaient des allures de guêpes. Mes professeurs, et même certains de mes camarades de classe, n’en continuaient pas moins à faire pression pour que je me soumette et que ma forme évidente soit mise à profit dans les mêlées et les essais sur le terrain de rugby. J’offrais généralement de discuter la question sur un par-cours aquatique de deux ou trois kilomètres, ce qui, bizarrement, avait pour effet de mettre fin aux critiques.

Un certain relâchement de ma résistance aux activités de groupe eut une conséquence dont je me souviens parce que, rétrospective-ment, elle m’apparaît comme une préfiguration d’événements à

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LE BEST-SELLER QUI A INSPIRÉ LE FILM

ERIC LOMAX

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ISBN 978-2-7619-4027-6

Officier dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, le lieutenant écossais Eric Lomax

est capturé par les Japonais en 1942, puis envoyé dans un camp de prisonniers en Thaïlande. Dans ce récit autobio-graphique, Lomax évoque les privations et les sévices qu’il a subis durant ses années de captivité, où on l’a contraint à participer à la construction du chemin de fer qui enjambe la rivière Kwaï. À l’issue de la guerre, des séquelles phy-siques et psychologiques minent l’existence du vétéran. Déterminée à l’aider à s’affranchir des chaînes du passé, Patricia Wallace, sa seconde femme, retrouve un jour la trace de l’officier japonais qui l’a torturé. La rencontre de son bourreau, plus de cinquante ans après les faits, per-mettra à Lomax d’affronter la part d’ombre qui le hante et d’emprunter le long chemin vers le pardon.

ERIC LOMAX (1919-2012), un ancien officier de l’armée britan-nique, a été fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mon-diale. The Railway Man, le seul livre qu’il a écrit, est le récit de son parcours avant, pendant et après la guerre.

THE WEINSTEIN COMPANY SCREEN AUSTRALIA en association avec SILVER REEL SCREEN QUEENSLAND CREATIVE SCOTLAND SCREEN NSW et LIONSGATE UK présentent une production de ANDY PATERSON PICTURES IN PARADISE TRINIFOLD PRODUCTION en association avec DAVIS FILMS et LATITUDE MEDIA un film de JONATHAN TEPLITZKYavec COLIN FIRTH NICOLE KIDMAN JEREMY IRVINE STELLAN SKARSGÅRD SAM REID TANROH ISHIDA et HIROYUKI SANADA « THE RAILWAY MAN » distribution des rôles NIKKI BARRETT supervision des effets spéciaux JAMES ROGERS supervision de la postproduction COLLEEN CLARKE producteurs adjoints OLIVER VEYSEY MICHELLE SAHAYAN

coproducteur écosse ANNALISE DAVIS directeur de production australie BARBARA GIBBS musique DAVID HIRSCHFELDER costumes LIZZY GARDINER montage MARTIN CONNOR conception visuelle STEVEN JONES-EVANS APDG direction de la photographie GARRY PHILLIPS ACS coproducteurs délégués SAMUEL HADIDA VICTOR HADIDA producteurs délégués DARIA JOVICIC ANAND TUCKERproducteurs délégués CLAUDIA BLUEMHUBER IAN HUTCHINSON ZYGI KAMASA NICK MANZI d’après le livre de ERIC LOMAX scénario FRANK COTTRELL BOYCE et ANDY PATERSON produit par ANDY PATERSON CHRIS BROWN BILL CURBISHLEY réalisé par JONATHAN TEPLITZKY

© 2013 RAILWAY MAN PTY LTD., RAILWAY MAN LIMITED, SCREEN QUEENSLAND PTY LIMITED, SCREEN NSW AND SCREEN AUSTRALIA

ARTWORK©2013 THE WEINSTEIN COMPANY. ALL RIGHTS RESERVED.

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