156
1 Clientélisme et Action publique Sous la direction de Martine ARINO (UPVD Université de Perpignan Via Domitia) Numéro de la revue internationale francophone de sciences sociales « Esprit Critique »

Eric sabourin

Embed Size (px)

DESCRIPTION

artigo

Citation preview

  • 1

    Clientlisme et

    Action publique

    Sous la direction de

    Martine ARINO (UPVD Universit de Perpignan Via Domitia)

    Numro de la revue internationale francophone de sciences sociales Esprit Critique

  • 2

    Sommaire

    Paula Susana Boniolo la corruption territoriale. Domination et micro-rsistances dans le

    Conurbano Bonaerence

    Marie Peretti-Ndiaye Clientlisme, action publique territorialise et processus de

    minorisation. La place des allognes

    Issa Sory Clientlisme et construction de limage de Ougadougou .

    Martine Arino Donner, recevoir et rendre : les rgles de la circulation des biens pour des

    maux

    Antonio Robles Egea le patronage et le clientlisme politique en Andalousie

    Yamina Remichi Les zones grises du recrutement : une analyse des pratiques de slection

    des descendants de migrants dans le mairie de Pessac (France) et Nieuw West Amsterdam

    (Pays Bas)

    Eric Sabourin politiques de dveloppement rural territorial au Brsil : entre participation et

    clientlisme .

    Note de lecture, Fatima Qacha Alain Tarrius, Etrangers de passage. Poor to poor, peer to

    peer. LAube. Collection Monde en cours. 2015, pp 175 et Alain Tarrius, La mondialisation criminelle. LAube. Collection Monde en cours. 2015, pp 150.

  • 3

    EDITORIAL

    Martine ARINO

    Le clientlisme ici et ailleurs

    Les articles de ce numro proviennent : des Pays Bas, de lAndalousie, de France, dAfrique,

    de Corse, du Brsil, dArgentine. Il est question dun phnomne universel qui nest pas

    rserv aux pays en voie de dveloppement ou du pourtour Mditerranen. Lintrt de cette

    diversit gographique est de saisir les diffrents visages, les diffrentes variations en fonction

    des cultures, des socits, des conomies et du rle de lEtat. Si le clientlisme a une trs

    longue histoire, celle-ci ne sarrte pas aux socits contemporaines. Ce sont les historiens de

    la Rome antique qui ont t les premiers mettre au grand jour le rle du clientlisme pour le

    fonctionnement politique de lUrbs. Le lien de clientle archaque dsigne dans un premier

    temps, un type particulier de relation ingale qui unit un affranchi, le client , et son ancien

    matre, qui devient son patron .

    Par abus de langage, nous avons tendance confondre le clientlisme et la corruption. Deux

    articles tracent leur frontire.

    Corruption et clientlisme sont-ils synonymes ?

    Larticle de Paula Susana Boniolo, intitul la corruption territoriale. Domination et

    micro-rsistances dans le Conurbano Bonaerence dmontre que la corruption est une forme

    sociale du clientlisme o public et priv sont confondus. Si la corruption est punie par la loi,

    le clientlisme ne lest pas. La frontire entre les deux est confuse dans les pratiques sociales.

    Pour lapprhender, nous reprendrons la dfinition du clientlisme dveloppe dans les

    travaux de Briquet et Sawicki. () la notion de clientlisme sert dsigner des liens

    personnaliss, entre des individus appartenant des groupes sociaux disposant de ressources

    matrielles et symboliques de valeur trs ingale, reposant sur des changes durables de biens

    et de services, gnralement conus comme des obligations morales unissant un patron et

    les clients qui en dpendent. (Jean Louis Briquet, 1998, p.7)

    Loutil dintervention du clientlisme est laction publique, nous entendons par action

    publique, laction qui dpend de lespace o llu peut implmenter des dispositifs de

    politiques publiques.

  • 4

    Clientlisme, action publique territorialise et processus de minorisation. La place des

    allognes de Marie Peretti-Ndiaye interroge les formes de leadership politique face aux

    reconfigurations dmographiques et la dcentralisation en Corse.

    La dcentralisation et la dconcentration ont eu pour consquence de territorialiser lespace

    de laction publique, de privilgier un dcoupage territorial un dcoupage sectoriel de

    laction, de redfinir les moyens et les ressources des acteurs territoriaux dans leur espace de

    pouvoir. Espace de pouvoir car le territoire nest pas une donne neutre. Un territoire a des

    ressources : historiques, symboliques et conomiques.

    Il est apprhender comme une forme spcifique dorganisation, une construction sociale

    fonde essentiellement sur des jeux dacteurs qui sarticulent selon des logiques conomiques,

    sociales et politiques, souvent conflictuelles. De nombreux chercheurs soulignent la difficile

    coordination dinstitutions entretenant parfois des clivages conflictuels. La notion de

    territoire, qui ne peut tre dissocie de celle dacteurs en interrelation, renvoie donc la

    problmatique du sens de la gouvernance territoriale et de la mise en uvre de laction

    publique.

    Laction publique est utilise par le politique pour rechercher le soutien de mouvements et de

    groupes sociaux attachs certaines thmatiques. Ainsi, on voit apparatre des dispositifs

    propres aux territoires qui ont pour fonction de le mailler tout en lui donnant une image

    dutilit sociale. Cest larticle de Issa Sory Clientlisme et construction de limage de

    Ougadougou .

    Le fonctionnement du clientlisme

    Donner, recevoir et rendre : les rgles de la circulation des biens pour des maux

    de Martine Arino et le patronage et le clientlisme politique en Andalousie de Antonio

    Robles Egea permettent de comprendre le fonctionnement du clientlisme, cest--dire

    dapprhender le contexte socio-conomique dans lequel lchange social a lieu. Le double

    paradoxe du don, comme lcrivait M. Mauss entre volontaire et obligatoire, intress et

    dsintress, ne permet pas de rduire le clientlisme une simple instrumentalisation de type

    utilitariste. Le clientlisme peut revtir les habits dun traitement social des discriminations :

    Les zones grises du recrutement : une analyse des pratiques de slection des descendants de

    migrants dans le mairie de Pessac (France) et Nieuw West Amsterdam (Pays Bas) de

    Yamina Remichi.

  • 5

    Dans les diffrents articles de ce numro, il est illustr la complexit du phnomne

    clientlaire. Trois conditions sont requises dans cette relation sociale : premirement

    lingalit des ressources matrielles, relationnelles, financires, deuximement un contrat

    tacite dintrt commun et enfin un sentiment de solidarit mutuelle.

    La relation de clientle construit un territoire

    La relation de clientle produit la division sociale de lespace , laquelle se dfinit

    comme la distribution diffrentielle de populations constitues (groupes, catgories, collectifs)

    dans un territoire. Elle peut tre aussi bien un tat, quun processus renvoyant des

    phnomnes de concentration dun groupe dans une unit spatiale, dune spcialisation de ce

    groupe dans lunit spatiale par rapport un espace global.

    Cette diffrence de rpartition renvoie au couple homognit / htrognit.

    Cest le critre du pouvoir qui produit cette sparation, suivant lordre social qui organise les

    liens entre les agents et entre les rapports sociaux. Elle fait rfrence des politiques qui

    tendent dlibrment crer des sparations, des mises lcart, des territoires particuliers

    (enclaves). Le processus de sparation ou de concentration renvoie un rapport social

    manifestement asymtrique, un rapport dingalit et de domination.

    Elle soulve la question de la capacit des agents ngocier leur marge de manuvre,

    dvelopper des stratgies pour chapper ou accepter leur positionnement dans cette

    construction du territoire. Quelles sont alors les formes, les tentatives daction ou de

    rsistance ? Eric Sabourin y rpond dans politiques de dveloppement rural territorial au

    Brsil : entre participation et clientlisme . Il traite des innovations participatives en matire

    daction publique territorialise au centre ouest du Brsil.

    Cette partie sur la construction du territoire par le clientlisme ne pourrait pas se terminer sans

    faire rfrence aux travaux du Professeur Alain Tarrius. Une note de lecture de Fatima Qacha

    prsente les deux derniers ouvrages du sociologue ; Poor to poor, peer to peer. et La

    mondialisation criminelle.

    Sur ce, nous vous souhaitons une bonne lecture.

  • 6

    La corruption territoriale. Domination et micro-rsistances

    dans le Conurbano Bonaerense

    Paula Boniolo. Docteure en Sociologie de lcole Des Hautes tudes en Sciences Sociales (Paris). Docteure en

    Sciences Sociales de l'Universit de Buenos Aires

    Instituto de Investigaciones Gino Germani, Universidad de Buenos Aires.

    Chercheuse National de la Recherche Scientifique et Technique

    Professeure de Mthodologie de la Recherche, un diplme en sociologie, Universit de Buenos Aires.

    [email protected]

    Rsum

    Dans le cadre du dbat passionn sur les causes et consquences de la corruption en

    Argentine, il y a un grand absent: les gens. La majorit des recherches a adopt une

    perspective macrostructurale qui se centre sur la mesure du phnomne dans le secteur public.

    Notre recherche, en revanche, s'interroge sur la manire dont oprent les trames de corruption

    dans un quartier de la classe ouvrire du Conurbano Bonaerense. Dans ce but, elle reconstruit

    les expriences quotidiennes partir de situations caractrises par leur lien avec la corruption

    partir de rcits de vie de personnes rsidant dans le quartier.

    Nous avons dploy une stratgie multimodale qui repose sur la ralisation d'entretiens

    (trente) de personnes appartenant la classe ouvrire et d'informateurs clefs. Paralllement,

    nous avons ralis une observation participante en la compltant par l'analyse de documents,

    qui permettent d'aborder la complexit de la thmatique.

    Cette analyse a mis en exergue une territorialisation de la domination, qui s'exprime

    travers l'articulation du secteur tatique et du secteur priv, et ses consquences sur la vie

    quotidienne des travailleurs et sur le territoire. Au cours de la recherche nous avons observ

    une naturalisation des relations de pouvoir travers des mcanismes d'appropriation

    matrielle, des formes symboliques et idologiques qui soutiennent les pratiques lies la

    corruption; soulignant la manire travers laquelle la domination et ces micro-rsistances

    s'insrent dans le cadre de l'exprience biographique.

    Corruption, Territoire, Classe sociale, Expriences quotidiennes.

    La corruption comme problme en sciences sociales

  • 7

    Au cours des dernires annes, l'intrt pour les causes et les consquences de la

    corruption en Argentine est all crescendo, tant au niveau de l'universit que des organisations

    non-gouvernementales locales (ONG), des agences internationales, et des mdias. La majorit

    des recherches a adopt une perspective macrostructurale qui se centre sur la mesure du

    phnomne dans le secteur public et s'intresse aux opinions et aux reprsentations

    d'informateurs qualifis et de leaders d'opinions. Notre recherche, en revanche, s'interroge sur

    la manire dont oprent les trames de corruption dans un quartier de la classe ouvrire du

    Conurbano Bonaerense. Dans ce but, elle reconstruit les expriences quotidiennes partir de

    situations caractrises comme tant lies la corruption partir de rcits de vie de personnes

    rsidant dans le quartier.

    Les tudes qui analysent la corruption qui se dveloppe dans un systme conomique

    et politique tendent se centrer parfois exclusivement sur les ngociations et les arrangements

    dans le secteur public et les hautes sphres des gouvernements. Les donnes sur lesquelles

    elles s'appuient sont labores par des ONG, comme par exemple Transparency International,

    dont les classements reposent sur les reprsentations et les valuations d'analystes et

    d'informateurs qualifis qui rsident dans le pays ou ont un lien avec ce dernier. Dans ce cadre

    interprtatif, on met l'accent sur les abus du pouvoir public dans les transactions avec le

    secteur priv, au bnfice de fonctionnaires, ou de partis et associations qu'ils reprsentent.

    On laisse ainsi de ct la participation ncessaire du secteur priv.

    Le consensus entre conomistes, scientifiques et sociologues autour du changement

    dans la faon de percevoir le phnomne de la corruption a fait oublier les valuations

    critiques positives, laissant place des visions ngatives tant pour le fonctionnement de

    l'conomie, comme pour le systme dmocratique, qui se sont conjugues avec la

    prolifration des tudes sur la question. On a commenc penser la corruption comme un

    problme mondial et on a orient tous les efforts vers sa rsolution. La corruption a t pense

    comme un obstacle pour le dveloppement des pays (Elliot, 1997).

    Le dbat en Amrique latine sur le thme de la corruption a acquis une certaine

    importance au cours des annes 1990, avec la rsurgence des dmocraties ; l'tude de la

    corruption et de ses consquences prenant dans ce contexte un tour particulier. Avec le retour

    des dmocraties, la presse a pu exprimenter une plus grande libert, et centrer son regard sur

    l'tat et le pouvoir politique. Plusieurs auteurs se sont intresss l'tude de la corruption en

    Amrique Latine (Little y Posada-Carb, 1996; Tulchin y Espach, 2000; entre autres); alors

    que d'autres se sont spcialiss dans l'tude de diffrents pays comme: le Mexique (Lomnitz,

  • 8

    2000), l'Argentine (Calvo, 2002; Sautu, 2004; Quintela, 2005; Pereyra, 2010; Boniolo, 2013),

    entre autres.

    Dans le cas de l'Argentine, la dmocratie n'a pas pu garantir la disparition de

    comportements particularistes (Aureano y Ducatenzeiler, 2002:74), en partie, parce que la

    corruption a constitu un phnomne endmique dans la politique et la socit depuis l'poque

    coloniale, survivant diffrent gouvernements militaires et constitutionnels (Sautu, 2004).

    Nonobstant, c'est partir 1990, que la corruption a accapar l'opinion publique, s'affirmant

    comme le principal problme dans les mdias et le dbat politique national, en synchronie

    avec l'agenda international (Pereyra, 2010). Avec le discours des mdias, et un contexte

    critique vis--vis des institutions dmocratiques, le problme de la corruption s'est install

    dans les discours quotidien du tout chacun.

    Notre recherche tudie les expriences des travailleurs avec les pratiques qu'eux-

    mmes dfinissent comme lies la corruption. Nous avons dploy une stratgie

    multimodale qui repose sur la ralisation d'une trentaine d'entretiens semi-structurs de

    personnes appartenant la classe ouvrire et d'informateurs clefs. Paralllement, nous avons

    ralis une observation participante en passant une priode prolonge sur le terrain, la

    compltant par l'analyse de documents, et de photographies, qui permettent d'aborder en

    profondeur la complexit de la thmatique.

    La corruption territoriale comme trame de pratiques sociales

    Dans le cadre du dbat passionn sur les causes et consquences de la corruption dans

    notre pays, il y a un grand absent: les gens. L'universit, les moyens de communication, les

    groupes politiques dnoncent les prjudices qu'impliquent la corruption pour l'tat et la

    gouvernance; ils numrent les sommes qui sont payes en pot-de-vin dans le cadre des

    privatisations et les attributions faites des groupes ou des entreprises allis.

    Notre tude repose sur l'analyse de pratiques considres comme des formes de

    corruption des personnes rsidant dans un quartier ouvrier loign des centres et des milieux

    visibles de la socit argentine. Partant d'une analyse sociologique, elle s'interroge sur les

    relations sociales internes au quartier et sur les relations de ces habitants avec leur entourage;

    elle cherche connatre leurs expriences par rapport des pratiques qu'ils dfinissent eux-

    mmes comme tant lies la corruption. La reconstruction de cette trame de pratiques lies

  • 9

    la corruption est ralise partir de tmoignages biographiques. Le concept de trame est trs

    frquemment utilis en langue espagnole1.

    Dans le cas d'une trame de pratiques lies la corruption, le concept renvoie

    l'ensemble des pratiques sociales, o les entrelacs reconstruisent une image de la faon dont

    oprent les formes de corruption dans des contextes sociaux concrets. Cette trame est le

    produit des pratiques lies la corruption qui s'inscrivent dans les relations sociales, et sont

    lies des orientations et des faons de faire, conditionnes par une asymtrie de pouvoir, qui

    implique un ensemble d'acteurs et d'institutions qui, travers certains mcanismes, se

    disputent des ressources.

    Le cadre thorique-mthodologique de cette recherche s'appuie sur des thories qui

    soutiennent que les pratiques issues de la corruption sont des pratiques sociales qui se

    constituent dans le cadre d'interactions sociales. En tant que pratiques, elles sont orientes par

    des valeurs, des croyances et des visions du monde qui sont influences par la position que les

    personnes occupent au sein de la structure sociale. La faon dont les personnes dfinissent la

    corruption, c'est--dire sa catgorisation, est une construction sociale sdimente travers des

    expriences partage au cours du temps.

    Les tmoignages des personnes interviewes ont montr que ces derniers interprtent

    la corruption en le dfinissant partir d'une catgorisation plus large que celle employe par

    les tudes acadmiques et les ONGs internationales, qui la conoivent comme le mauvais

    usage ou l'abus du pouvoir public des fins prives. En premier lieu, les ouvriers du quartier

    largissent leur dfinition de ce qu'ils considrent comme des formes de corruption aux

    pratiques lies au secteur priv. En second lieu, la dfinition commune est tendue aux

    coutumes et pratiques, et avec elles aux formes de rsolution des problmes et aux modes

    d'action. C'est--dire que, de leur point de vue la corruption ne se limite pas ce que la loi

    considre comme illgale. Enfin, les ouvriers mettent l'accent sur les abus de pouvoir et

    d'autorit des personnes qui exercent une position de pouvoir. Dans la description des abus, ils

    dcrivent les mauvais traitements, les humiliations, le manque de reconnaissance, et toutes les

    formes de traitement qui accompagne les pratiques lies la corruption dans la vie

    quotidienne. La dfinition de la corruption est reste marque par l'obtention illgale et/ou

    illgitime, et dloyale de bnfices particuliers (conomiques et non conomiques), abusant

    gnralement d'une position de pouvoir et d'autorit, au dtriment de la socit un moment

    historico-social donn.

    1 Note de traduction. Le terme 'trame' en franais renvoie aux acceptions suivantes: 1. Ce qui se droule comme

    un fil. 2. Ce qui constitue le fond et la liaison d'une chose organise (Le Robert, 1996:2289).

  • 10

    Les pratiques que les personnes interviewes caractrisent comme tant lies la

    corruption sont rgulires, dans la mesure o elles se rptent dans le temps travers des

    changes de biens (montaires ou non) et de faveurs ou d'attentions Ces types d'changes

    s'insrent au sein de trames de sens et de modes d'actions, qui font parties de relations de

    pouvoir et de contextes politiques, sociaux et institutionnels qui configurent les conditions de

    possibilit de son existence. Ainsi on peu mettre en vidence la mise en uvre de situations

    asymtriques et des mcanismes qui rendent possible ces changes parce qu'ils sont lis des

    formes subtiles et explicites de domination-subordination. La domination s'exprime travers

    l'alternance entre l'usage de pressions coercitives et la recherche d'un consensus/d'une

    acception des personnes soumises.

    Dans cette tude la domination est dfinie comme une forme de discipline qui se

    ralise travers un cadre matriel, symbolique et idologique. La domination est difficilement

    totale, parce que son exercice implique des fissures, des espaces qui laissent place au

    dploiement de stratgies de micro-rsistance par les domins, qui s'expriment travers des

    discours, des gestes y des pratiques, visibles ou invisibles pour ceux qui occupent des

    positions d'autorit dans la vie quotidienne. La domination-subordination imbrique dans

    l'entrelacs des pratiques lies la corruption s'appuie sur des mcanismes construits

    socialement qui reproduisent l'ingalit sociale.

    La corruption prend des formes particulires selon la classe sociale des acteurs. Les

    conditions de base d'existence qui marquent l'appartenance une classe dfinissent la

    situation de domination/subordination dans laquelle ont lieu les changes dfinis par les

    acteurs sociaux comme tant lis la corruption. Ces expriences vcues de

    domination/subordination font partie de la culture de classe (Thompson, 1966; Williams,

    2001).

    Le territoire que nous avons choisi est, par beaucoup d'aspects, similaire d'autres

    lieux relgus en Argentine, parce qu'il a t profondment marqu par le chmage et en

    consquence, par la marginalit, situation qui s'est aggrave au cours des annes quatre-vingt-

    dix. Des quartiers comme celui-ci, dans lequel nous avons ralis notre travail de terrain,

    surgirent dans les annes cinquante suites aux transformations industrielles et la

    rcupration de terres, dans les annes quatre-vingt. Enfin, la configuration du quartier a

    termin de se transformer avec les ngociations qui ont eu lieu entre les entreprises prives

    d'urbanisation et les municipalits au cours des annes quatre-vingt-dix (Ros y Pirez, 2008).

    Le dveloppement des countries et les quartiers ferms furent sans aucun doute l'un

    des phnomnes les plus emblmatiques et radicaux des annes quatre-vingt-dix.

  • 11

    Emblmatique, les formes d'urbanisations prives se sont dveloppes dans un contexte

    d'augmentation des ingalits sociales notoire, dont la toile de fond est la reconfiguration de

    l'tat, avec la dsagrgation du public et la mercantilisation des services de base (ducation,

    sant et scurit) (Svampa, 2001).

    Le territoire que nous avons choisi se diffrencie d'autres territoires pauvres, parce

    qu'il est possible d'y mettre nu les mcanismes et modes de connexion travers lesquels la

    grande et la petite corruption s'articulent dans une trame complexe de relations sociales. Sa

    pertinence s'explique par le fait qu'il occupe une position stratgique, o se trouvent les

    principales industries automobiles (Ford et Volkswagen), papetires et frigorifiques lies

    l'exportation. Ce quartier pauvre est entour par des quartiers privs au niveau de vie parmi

    les plus levs du pays. Enfin, suite sa localisation dans une zone industrialises, au

    comportement de leurs voisins riches, et la faiblesse des infrastructures publiques, ce

    territoire connat de graves problmes de contamination de l'eau et du sol.

    Les cas analyss dans cet article portent sur la ralisation d'un rseau d'eau potable,

    comme premire approche la reconstruction d'un service public clef pour la reproduction de

    la vie humaine. En second lieu, nous nous centrons sur la reconstruction de trames de

    corruption dans le domaine du btiment, l'un des espaces centraux de l'insertion

    professionnelle des ouvriers du quartier. La troisime trame est lie l'une des industries clef

    du pays : l'industrie de la viande. L'usine est situe dans le quartier et est l'une des premires

    sur le march local par son volume de production et d'exportation. Dans le quatrime cas,

    nous analysons un programme de politique sociale destin aux chmeurs, qui a pour objectif

    d'organiser les ouvriers en coopratives. Enfin, nous reconstruisons la trame de pratiques lies

    la corruption et aux actes dlictueux impliquant la vente de drogue, compromettant la

    Justice et la Police. Dans cet article nous prsenterons les principaux apports partir de

    l'analyse intgrale des cas afin d'identifier les lments communs sous-tendant ces derniers.

    L'analyse des trames de la corruption, domination et micro-rsistances

    L'analyse comparative d'ensemble des cas de corruption dtects dans le cadre de notre

    travail de terrain nous a permis, tout d'abord, de construire, un profil des agents sociaux

    prsents par les personnes interviewes comme tant corrompues; ensuite, de dcrire les

    mcanismes typiques, explicites et subtils, qui se font jour au sein des trames de corruption, et

    troisimement, de ses consquences. Une fois dcrite la faon dont opre la corruption dans

    un quartier ouvrier, nous nous sommes arrts sur l'analyse des interprtations et sur le sens

  • 12

    que les pratiques avaient du point de vue des personnes interviewes. Nous situerons notre

    analyse dans un contexte de relations sociales de domination/subordination au sein desquelles

    s'insrent les trames de corruption; nous regarderons de mme les caractristiques et les

    circonstances partir desquelles mergent des micro-rsistances publiques (affiches) et

    occultes (dissimules et discrtes).

    Les acteurs sociaux impliqus

    Les protagonistes des trames de corruption sont en grande partie lis des acteurs

    sociaux avec lesquels les ouvriers maintiennent des relations quotidiennes. Les faits relats au

    cours du travail de terrain rfrent principalement des situations vcues par les personnes

    interviewes et ces derniers mettent gnralement un accent particulier sur la mention de

    personnes du secteur public ou priv, ainsi que sur les consquences et sentiments que ces

    comportements veillent en eux. Au cours des entretiens, il a ponctuellement t fait mention

    de fonctionnaires municipaux; de personnes qui ont pour responsabilit de contrler la

    ralisation de travaux publics ou qui occupent des charges politiques ou une tche excutive

    dans des programmes sociaux des quartiers. Plusieurs de ces fonctionnaires ont commenc

    comme militants de base, pour se convertir au cours des dcennies en rfrents politiques,

    puis accder travers un parti une charge dans l'administration de la municipalit avec un

    certain pouvoir de dcision.

    La carrire des fonctionnaires publics de la zone, commence, dans plusieurs cas, par

    une carrire de militant local. La relation de proximit qui s'est tablie par le pass leur

    permet de connatre le territoire et de mettre en place des relations particulires avec leurs

    voisins. Lorsque ces personnes abusent de leur position d'autorit, elles gnrent parmi leurs

    anciens voisins des sentiments contradictoires reposant sur l'affect pass et en mme temps

    sur des sentiments de colre et de frustration.

    Les acteurs en question, dans les rcits concernant les charges publics, occupent non

    seulement des charges Bureaucratique -administratives, ou avec un pouvoir de dcision

    politique, mais peuvent aussi faire partie des forces de scurit et la sphre de la Justice. La

    Police Bonaerense est hautement mise en question dans les rcits des personnes interviewes

    du quartier. Cette dernire est trs frquemment mentionne par les plus jeunes.

    Les acteurs privs identifis dans les rcits sont des patrons d'entreprises (de

    construction, frigorifiques, etc.). Dans le cas de l'usine frigorifique situe dans le quartier, son

    propritaire dirige son entreprise en s'auto-prsentant avec un air paternaliste. Il apparat

  • 13

    important de souligner que dans tous les cas qui concernent cette tude la relation qui s'tablit

    entre les propritaires de l'entreprise et les ouvriers suggre des caractristiques proches de

    celles que l'on pouvait trouver dans le cadre d'anciennes relations de patronages ruraux.

    Dans l'usine frigorifique les relations de patronage ont des caractristiques

    particulires qui contrastent avec les relations existant dans l'industrie automobile qui se situe

    aux alentours. La caractristique la plus vidente est la dimension que le patron donne sa

    relation avec ses employs. Ce dernier maintient un contact direct et frquent avec les

    ouvriers faisant des discours publics au cours d'assembles convoques par lui-mme; il s'agit

    d'un voisin qui rside dans les villes-villages privs qui se trouvent aux alentours de l'usine.

    Les mcanismes de la corruption

    Les pratiques lies la corruption comme interactions sociales se mettent en placent

    par le biais de mcanismes comme le pot-de-vin, la malversation et le dtournement de fonds

    publics, du lobby entrepreneurial, de favoritismes, de l'abus de pouvoir-autorit, de

    l'appropriation matrielle et de la cooptation de rfrents. Il est utile de rappeler que ces

    mcanismes ne sont pas exclusifs mais peuvent se combiner dans une trame de corruption.

    Le pot-de-vin2 constitue un moyen de paiement en change de l'obtention d'un

    avantage ou d'un bnfice. Ce mcanisme est utilis tant dans les changes pour de petites

    sommes, comme c'est le cas de la petite corruption, que dans le cas de personnes qui grent

    d'importants bnfices, comme dans le cas d'entreprises.

    L'un des mcanismes qui n'apparat pas dans la bibliographie sur la corruption est

    l'appropriation matrielle. Ces situations conceptualises comme une forme d'obtention d'un

    bnfice par des voies illgales et/ou illgitimes sont vcues par les personnes interviewes

    dans le cas de l'appropriation des heures travailles et non payes par les entreprises. Une

    situation qui se traduit par la peine et l'impuissance face ce qu'ils considrent comme une

    forme de corruption.

    La cooptation de rfrents et de jeunes est une autre situation qui est apparue dans les

    rcits. La cooptation est un mcanisme par lequel on slectionne une ou plusieurs personnes

    qui occupent un poste correspondant aux intrts contraires de ceux qui le ou les cooptent.

    Nous nous rfrons la cooptation de dlgus syndicaux qui dans les faits reprsentent les

    intrts des propritaires des entreprises. Autre cas qui pourrait tre pens comme une forme

    2 Le pot-de-vin se combine d'autres mcanismes. Par exemple, le lobby entrepreneurial est un mcanisme

    utilis par les entreprises pour obtenir des permis ou des subsides de l'tat, impliquant frquemment des pot-de-

    vin ou des faveurs politiques.

  • 14

    de cooptation: les jeunes recruts pour commettre des actes de dlinquance. Formellement, ils

    occupent des rles opposs, mais dans les faits le produit des vols et de la vente de la drogue

    est appropri par des personnes appartenant aux forces de scurit (police) ou par des

    fonctionnaires municipaux.

    La cooptation de dirigeants syndicaux de la part du patronat a pour rsultat de

    minimiser ou d'viter des conflits entre ouvriers et entrepreneurs. La cooptation de rfrents

    du quartier ou syndicaux, par l'tat ou les entreprises gnre une mfiance parmi les ouvriers

    et un certain scepticisme envers l'organisation collective.

    Le mcanisme de malversation et du dtournement pour un profit personnel s'appuie

    sur des fonds de l'tat ou d'entreprises prives. L'un des cas clefs travers lequel nous avons

    pu observer ce mcanisme est le cas de la trame de corruption lie la construction d'un

    rseau d'eau potable. D'un ct, les ventes ralises par le biais d'entreprises prives qui

    produisent les matriaux pour la ralisation de l'ouvrage font enfler les factures en vendant

    des prix trs levs les tuyaux, le ciment, le sable; de l'autre ct, l'tat paye des factures pour

    des matriaux qui selon les personnes interviewes qui les contrlent ne sont jamais arrivs

    destination.

    Les ressources qui sont mentionnes dans les rcits et les documents, peuvent tre

    divises en deux catgories: grandes ou petites. Les ressources ou bnfices les plus grands se

    trouvent au niveau des institutions, et se traduisent par l'attribution de licitations, ou de

    subsides de l'tat afin de favoriser par le biais des lobbys certains secteurs entrepreneuriaux.

    De mme, l'usage indu de biens de l'tat pour un bnfice personnel est une autre des

    pratiques communes qui apparat dans les rcits. Les ressources les plus petites sont lis aux

    changes entre des acteurs pour le paiement de commissions afin d'obtenir un travail, ou de

    petits changes de la vie quotidienne comme rapporter de la viande de l'usine frigorifique

    pour la vendre titre priv, ou la distribuer de manire discrtionnaire des uvres sociales

    ou au sein d'une mme famille.

    Ainsi, de la mme manire que le pot-de-vin est prsent dans toutes les trames de

    corruption l'abus de pouvoir-autorit est un comportement social qui oblige les personnes qui

    se trouvent en situation de subordination se soumettre aux pratiques lies la corruption

    comme part du jeu social. travers ce dernier, on impose des pratiques sociales, des usages et

    des coutumes dans la vie quotidienne qui servent de moyens pour l'obtention de biens et de

    services. En ce sens, il existe un abus de hirarchie pour tirer un profit personnel, mcanisme

    qui s'exprime travers les rcits des personnes interviewes, qui en dernire instance

    deviennent des victimes directes ou indirectes de ces actes de corruption.

  • 15

    Les faits relats jusqu'ici se rfrent principalement des situations vcues par les

    personnes interviewes et leurs proches. Ces rcits mettent en gnral un accent particulier sur

    les acteurs sociaux comme les entrepreneurs, les fonctionnaires municipaux et les

    syndicalistes et sur les consquences et les sentiments que ces pratiques rveillent en eux. Du

    point de vue des personnes interviewes, ceux qui se trouvent dans une position, peuvent, plus

    ou moins frquemment, solliciter un pot-de-vin pour distribuer des ressources ou favoriser des

    personnes dans la slection d'un poste ou l'obtention d'un plan social.

    Les consquences des trames de corruption.

    Les principales consquences des trames de corruption que nous avons pu identifier

    travers les cas tudis peuvent tre classes en deux grands types: territoriales et sociales.

    Bien qu'elles soient toutes les deux sociales nous avons prfr appel territoriales les cas

    dont les consquences affectent de manire indiffrencie toute la population et ont des

    consquences sur l'espace gographique, du fait de sa dtrioration ou parce que les travaux

    de prservation ou visant le mettre en valeur ne sont pas effectus, ou se font mal. La

    catgorie sociale a t rserve aux cas dont les consquences sont lies des situations

    professionnelles ou l'exercice conomico-professionnel, c'est--dire, aux situations qui

    affectent les sources de nourriture ou les activits spcifiques des personnes.

    Les consquences qui affectent les territoires ont t particulirement mises en

    vidence avec les pots-de-vin que les entreprises payent pour que les fonctionnaires publics ne

    contrlent pas la faon dont elles se dfont des dchets. L'impact des entreprises dans la

    contamination du ruisseau et du sol est considr par les personnes interviewes comme la

    consquence des trames de corruption ; elle est la consquence du dfaut de contrle de la

    Municipalit et l'irresponsabilit entrepreneuriale des industries que se trouvent dans les

    environs, l'image de l'usine frigorifique. Autres consquences de type territorial que nous

    avons pu identifier travers les entretiens sont lies aux travaux publics ou aux infrastructures

    en gnral.

    Les consquences qui ont un impact sur les conditions professionnelles s'expriment

    travers le cas de la cooptation de dlgus syndicaux qui vitent subrepticement les conflits et

    permettent une augmentation des profits de l'entreprise et l'assujettissement du droit du

    Travail, par le biais, par exemple, d'emploi non dclars, ou au moment de fortes priodes de

    productivit, de la ngation d'un droit prendre des vacances ou les jours fris. Aussi, les

    ouvriers ont soulign qu'aujourd'hui il est plus facile d'imposer une rotation de postes ou des

  • 16

    rythmes de travail plus importants sur les diffrentes machines ceux qui expriment

    publiquement un dsaccord par rapport la ngation de droit au moment de priodes de forte

    productivit. Ceci faisant que les personnes qui subissent un prjudice voient leurs droits

    affaiblis, gnrant ainsi une plus grande surveillance et un degr de contrle plus important

    dans les usines.

    Dans le cas o la corruption est lie des pratiques dlictueuses les consquences des

    pratiques, mentionnes prcdemment, telles que la perception de pots-de-vin par la police

    pour ne pas aller en prison ou vendre de la drogue, ou obtenir des bnfices dans la prison, se

    manifestent travers un sentiment de mfiance et d'inscurit. De mme, ces sentiments se

    trouvent aussi mentionns lorsque les personnes voquent les pratiques lies la corruption

    dans le monde du travail. Ces pratiques impliquent des entrepreneurs qui profitent de ce que

    peut signifier la perte d'un emploi ou les reprsailles sur leur lieu de travail. La peur est un

    sentiment qui apparat dans les entretiens lorsque les gens parlent de leur situation

    professionnelle.

    En accord avec Elias (1993:528) nous pouvons voir que la charge professionnelle,

    l'inquitude par rapport aux possibilits de continuit dans un travail, suscite de la peur, de la

    mme manire qu'une menace directe sur la vie. La peur de la faim et de la misre est une

    peur qui se trouve dans toutes les classes sociales, cependant, elle apparat de manire

    ponctuelle dans le cas des classes les plus pauvres, qui peroivent de manire plus aigu ce

    type de situation.

    Les trames de corruption gnrent des sentiments contradictoires, d'un ct,

    l'incertitude et la dissimulation de secrets sur la scne publique, de l'autre, la naturalisation de

    pratiques qui deviennent une faon d'agir au quotidien pour la survie de beaucoup de familles

    et de voisins du quartier. Au cours d'tudes prcdentes, on a pu observer comment certaines

    pratiques que les acteurs caractrisent comme tant lies la corruption peuvent tre

    considres comme quelque chose de naturel et d'invitable, et comme une stratgie qui

    permet la classe ouvrire d'obtenir un emploi, de la nourriture et des plans sociaux (Boniolo,

    2010). Cependant, bien que certaines personnes admettent participer de ce pratiques, agissant

    de manire rsoudre des situations de survie, il existe un sentiment de rejet par rapport une

    possible adjectivation de leur conduite.

    Le discours sur les pratiques lies la corruption connues et exprimentes par les

    ouvriers nous laisse penser que ce ses derniers se sentent comme attraps dans la toile de la

    corruption. Les ides que mentionne Elias (1993:528) par rapport la possibilit d'tre la

    merci des puissants et de connatre une perte d'autonomie apparaissent au cours des rcits

  • 17

    comme des peurs qui s'intriorisent et se renforcent. Cette sensation d'tre prisonnier de ce

    type de pratiques et de ne pouvoir s'en sortir sans souffrir certaines consquences sont vcues

    autant par les femmes que par les hommes.

    Les trames de corruption affectent sur le plan de la socit la prdictibilit des normes

    sociales qui s'inscrivent dans le cadre de la loi, mais en mme temps elles crent leurs propres

    normes parallles qui reposent sur des usages et des coutumes, la peur de certaines

    consquences et les bnfices qui sont offerts dans des situations o les ncessits se trouvent

    insatisfaites. Cela se reflte dans les dfinitions proposes par les membres de la classe

    ouvrire, lesquelles vont au-del du problme de la lgalit en prenant en compte la question

    de la lgitimit et de l'illgitimit. Cette dfinition oriente la pratique, de mme que

    l'exprience biographique modifie la dfinition de la corruption, par exemple lorsque des

    personnes valuent une situation et agissent de manire obtenir un travail, remettent un pot-

    de-vin de manire toucher une rmunration pour un accident professionnel, ou dnoncent

    publiquement des personnes qui sont perues comme corrompues.

    La corruption sur le plan territorial organise le mode d'obtention de ressources, permet

    d'changer des faveurs, de grer les ressources publiques et de rsoudre les problmes

    sociaux. En ce sens, la corruption participe d'un systme de domination qui combine des

    formes modernes et anciennes.

    Les trames de corruption dans leur ensemble s'inscrivent dans des processus plus

    profond de domination et de rsistance qui s'articulent avec la structure institutionnelle de

    l'tat et le commerce priv au niveau des entreprises. En outre, les pratiques lies la

    corruption donnent lieu de petites formes de rsistance dans la vie quotidienne, qui

    s'expriment travers des gestes, des attitudes et des rejets qui peuvent prendre en certaines

    occasions une dimension publique, ou en d'autres cas, prendre des formes moins visibles.

    Corruption, domination et micro-rsistances

    Notre approche conceptuelle pense les pratiques lies la corruption comme partie

    intgrante d'une trame de relations sociales, ancres dans un territoire. Ainsi, nous avons

    incorpor dans cette perspective le contexte des expriences quotidiennes rfrant aux

    changes entre les personnes que nous avions pu interviewer avec des acteurs sociaux en

    situation de pouvoir, d'autorit, et occupant un poste hirarchique; changes travers lesquels

    il est possible d'observer la prsence de formes de rsistance.

  • 18

    La corruption est lie la domination, conomique, symbolique et idologique, dans la

    mesure o elle apparat renforcer les mcanismes disciplinaires qui mettent en vidences les

    relations de pouvoir et laissent parfois percevoir les conflits de classe.

    Les formes de corruptions lies la domination matrielle, symbolique et idologique.

    Rappelons que nous faisons rfrence aux formes de corruptions lies la domination

    matrielle lorsque celles-ci s'apparentent aux formes qui permettent une appropriation

    matrielle de profits, en biens ou en argent par des personnes qui se trouvent en situation de

    pouvoir ou d'autorit au sein de la structure sociale.

    Scott (2000:141) signale que l'appropriation matrielle est dans une grande mesure

    un objectif de domination. Mais le processus mme d'appropriation implique invitablement

    des relations sociales systmatiques de subordination au sein desquelles les faibles reoivent

    tout type d'outrages. Cette situation, dans un second temps, est source de colre, de

    frustration, de toute la bile verse et contenue et qui alimente les discours privs. Les outrages

    sont une source d'nergie. () Ainsi la rsistance se manifeste non seulement travers

    l'appropriation matrielle, mais trouve aussi sa source dans un processus systmatique

    d'humiliation matrielle personnelle qui caractrise l'exploitation.

    Les formes de corruption lies la domination matrielle renvoient l'appropriation

    matrielle par des personnes qui se trouvent en situation de pouvoir. Par exemple, les heures

    travailles et non payes dans le secteur du btiment, et dont se sont appropris les

    propritaires. Une autre pratique est de devoir cder une partie de son salaire un

    intermdiaire qui ses entres au sein de la fonction publique dans le cadre du Programme

    Social.

    Les formes de corruption lies la dimension symbolique de la domination sont des

    pratiques qui reposent sur la soumission. Ces pratiques sont lies aux formes de slection o

    priment le favoritisme ou des formes de relations sociales qui accompagnent les pratiques

    lies la corruption de manire crer les conditions de possibilit de leur existence. Les

    pressions ou influences exerces en fonction de positions asymtriques de pouvoir

    s'expriment travers des mauvais traitements ou des contraintes, la mconnaissance des lois

    du Travail ou des rprimandes qui permettent aux pratiques lies la corruption de se mettre

    en place. Ces formes de corruption lies la domination symbolique se rfrent aux mauvais

    traitements, aux insultes, aux attaques la dignit des personnes qui accompagnent les

    pratiques lies la corruption. Le mpris et la colre qui apparaissent de manire rpte

  • 19

    travers les expressions des personnes interviewes et qui s'expriment travers des relations

    hirarchiques, donnent une certaine visibilit aux relations de pouvoir.

    Nous pouvons voir travers les rcits des personnes interviewes une extension de

    l'internationalisation de la surveillance au sein de l'usine dans la vie quotidienne. En ce sens,

    les ouvriers qui habitent dans le quartier ressentent une pression particulire du fait que les

    superviseurs de l'usine sont aussi leurs voisins, ce qui fait qu'ils ont l'impression d'tre

    observs jusque dans leur vie quotidienne. D'un autre ct, la possibilit de vivre sur un mme

    territoire leur permet aussi d'augmenter la possibilit de se runir et de s'organiser.

    Enfin, les formes de corruption lies la domination idologique impliquent une

    construction sociale et une naturalisation des pratiques de la vie quotidienne des personnes du

    quartier. Cependant, il y a quelques petits interstices travers lesquels se dveloppent des

    formes de micro-rsistances (publiques et dissimules) contre les pratiques lies la

    corruption et la domination. En ce sens, ils soutiennent dans leurs discours leurs pratiques

    comme une faon d'agir qui s'adapte face aux circonstances adverses au sein d'un systme

    structurel. Ainsi, la corruption permet de rcuprer d'anciennes images comme: graisser les

    rouages de la bureaucratie, ou faciliter la rsolution des conflits dans les usines ou faire en

    sorte que les habitants du quartier ralisent des tches administratives par le bais d'un

    intermdiaire qui a un lien avec la municipalit et d'autres sphres de l'tat, redonnant vie

    d'anciennes formes de construction de la politique en Argentine. Ces formes de corruption

    lies la domination idologique font rfrence dans les rcits la cooptation de leaders

    syndicaux et sociaux. De mme, apparaissent des arguments qui viennent lgitimer et soutenir

    la corruption en dfendant l'ide que la seule forme d'obtention d'un contrat est de payer un

    pot-de-vin, de mme que pour obtenir une autorisation ou viter un conflit avec le syndicat.

    Ce discours sous-tend que pour faire des affaires en Argentine une certaine une

    justification de la corruption existante, et d'y avoir recours pour obtenir des contrats, des

    autorisations, des subsides, et de fausser les marges de profits. De cette manire on appelle

    aux us et coutumes pour faire des affaires et mettre en place des programmes sociaux, ou

    trouver des solutions aux problmes lis au monde du travail qui reviennent sur les lois visant

    rglementer l'emploi et protger le personnel.

    Selon leur propre perspective, les ouvriers considrent les pratiques issues de la

    corruption comme moralement condamnables et portent prjudice l'galit des opportunits

    et au bien tre dans leur vie quotidienne. Cependant, au moment d'valuer les consquences

    de la corruption, qui s'inscrivent dans des relations de pouvoir, ils peuvent la concevoir

    comme une stratgie adaptative pour survivre.

  • 20

    Ces pratiques lies la corruption gnrent un sentiment de rejet et promeuvent des

    discours et des pratiques de micro-rsistances. Si ces micro-rsistances ne sont explicites

    qu'en de rares occasions, la plupart du temps, elles ont lieu en dehors de la scne publique et

    loin de toute forme de surveillance. Certaines de ces manifestations peuvent se retrouver dans

    les rumeurs, les blagues, et les pratiques dissimules qui correspondent aux formes que les

    ouvriers trouvent pour canaliser leur dsaccord face ce type de pratiques.

    Micro-rsistances publiques et affiches

    Dans le cas des formes de corruption lies la domination conomique nous pouvons

    constater que les micro-rsistances publiques ou affiches mentionnes se rfrent la mise

    en place de projets alternatifs aux emplois salaris dans les usines. De mme, d'autres formes

    de micro-rsistances cherchent organiser des commissions parallles aux syndicats

    'bureaucratiques'.

    D'autre part, l'occupation de terres, bien que constituant un phnomne qui s'observe

    depuis des dcennies en Argentine, apparat dans l'actualit lie des formes de micro-

    rsistances visant lutter contre les systmes de privatisation de la terre, la construction de

    quartiers ferms proximit de quartiers ouvriers, et qui s'opposent l'accumulation et la

    concentration d'initiatives immobilires prives.

    Les manifestations contre la contamination de l'eau et les dchets sont aussi lies aux

    dchets des entreprises o les employs travaillent, et au manque de contrles de la

    municipalit. Il s'agit clairement d'un conflit de classes. Dans les environs du quartier, nous

    pouvons constater que les countries et les quartiers ferms n'ont pas de problme d'accs

    l'eau potable. Potable signifie apte la consommation humaine. Les quartiers privs ont un

    accs l'eau qui leur permet de bnficier de piscines, d'arroser leurs jardins, alors que les

    quartiers ouvriers qui les entourent, comme nous avons pu le mentionner prcdemment,

    manquent d'eau potable et d'un systme de tout l'gout.

    Les micro-rsistances publiques et affiches lies la dimension symbolique sont

    associes aux graffitis sur les murs des quartiers ferms qui entourent le quartier ouvrier. Les

    adolescents et les habitants du quartier laissent leurs marques et montrent directement leur

    colre. Sur le mur du fond il est possible de lire Le quartier commande. Cette phrase

    condense travers un message une pratique de micro-rsistance : vous pouvez avoir de

    l'argent, vous enfermer, mais nous nous commandons. Elle peut tre lue comme un dfi

    public inscrit sur les murs, une affirmation de manire se rendre visible dans le quartier. Si

  • 21

    nous continuons de parcours les murs du quartier il est possible de trouver un autre graffiti qui

    fait allusion aux quartiers ferms Quartiers privs de lumire, d'eau, de travail, de sant,

    d'ducation. Le graffiti fait allusion la privatisation des services et des droits de bases des

    personnes qui vivent dans le quartier. Ainsi, l'usage de l'ironie est intressant parce qu'il laisse

    place un jeu de mots qui renvoie d'un ct au manque, et de l'autre, aux initiatives

    immobilires prives, ou countries au sein desquels on a privatis l'ducation, la sant, etc.

    Micro-rsistances dissimules

    Les micro-rsistances indirectes ou dissimules lies aux formes de corruption et la

    domination matrielle sont attaches aux mcanismes d'expropriation de diffrents biens par

    rapport l'emploi de chaque personne. Par exemple, lorsqu'une personne travaille dans une

    usine de brique (bloquera) celle-ci amne des briques son domicile pour les utiliser ou les

    vendre. Le terme expropriation a surgit au cours des entretiens comme un moyen de justifier

    ses actions. Si la loi voit dans ce type de pratique un simple vol, certaines des personnes

    interviewes les re-signifient comme formes de rcupration de ce que les patrons,

    fonctionnaires municipaux et entrepreneurs ont pu leur prendre. Les employs pensent que

    rsister leur patron, dans un sens large n'importe quelle autorit, implique de se r-

    approprier des petites choses, ce qui n'est pas peru comme un vol. D'autres formes de micro-

    rsistances contre la domination conomique sont les menaces anonymes l'encontre des

    patrons et des fonctionnaires.

    Les micro-rsistances symboliques dissimules s'expriment par le biais de discours, en

    dehors de la scne publique, qui traduisent l'indignation, la colre, et se font le relais de

    petites anecdotes de rbellion. Les rumeurs d'inversement du monde, des hirarchies,

    d'laboration de projets, chansons, sont cres et trouve une signification par le biais des

    subordonns. Ainsi, la capacit se runir apparat comme une forme de rsistance

    quotidienne dans un monde hostile. La cration d'espaces, de projets alternatifs, travers

    lesquelles se construisent de nouvelles formes de relations horizontales rend possible la

    circulation de discours et la prise de dcisions autonomes. Dans ces microcosmes se mettent

    en place un processus travers on apprend s'exprimer, dire ce que l'on pense, dfendre

    ses droits pour pouvoir lutter publiquement, travers d'autres formes de micro-corruption,

    contre la corruption.

    Un exemple de ces micro-rsistances symboliques se manifeste travers les textes de

    la musique populaire des quartiers du Conurbano. Dans les quartiers, la cumbia villera s'est

  • 22

    dveloppe comme un type de musique qui a russi caractriser les villas et les quartiers

    ouvriers en reprenant des aspects de la culture populaire et pntrer le circuit commercial du

    disque et des discothques (Mguez, 2006:37). La cumbia vhicule aussi d'importants

    lments de la culture des prisons. Dans cette perspective, la cumbia reprend dans ses

    chansons les textes issus de la protestation sociale, les consignes et les dnonciations touchant

    aux problmatiques de quartier et aux lutes populaires.

    travers les micro-rsistances idologiques, on dfait le discours qui sous-tend les

    pratiques lies la corruption et la domination. Au sein des espaces collectifs o se mettent

    en place ces formes de micro-rsistance idologique prime l'galit. Dans ce cadre on rflchit

    et on s'exprime sur l'illgitimit du paiement de pots-de-vin pour obtenir un emploi ou des

    aliments. Ainsi, on dfend les droits comme faisant partie de pratiques acqurir et des outils

    ncessaires pour ne pas avoir payer l'information ou des intermdiaires. L'information pour

    la ralisation de certaines tches administratives pour obtenir des plans sociaux ou certains

    subsides de l'tat est un lment clef, et c'est gnralement dans ces situations que l'on paie

    des pots-de-vin. L'assignation de postes de travail ou savoir quelles sont les tapes suivre de

    manire pouvoir toucher l'argent relative un accident du travail, son aussi des savoir

    pratiques pour lesquels, dans ces espaces, on tente de former les personnes de manire

    affronter les pratiques lies la corruption. Par ce biais, on apprend rclamer de manire

    orale et par crit, dnaturalisant les arguments qui sous-tendent la corruption, comme moyen

    de dpasser les manques et de subvenir aux ncessit, ou de rsoudre des problmes.

    Ces espaces auxquels nous avons pu avoir accs, aprs de nombreux efforts, sont des

    espaces de micro-rsistances contre les pratiques issues de la corruption, mais la transcendent

    aussi en questionnant les pratiques de domination. Un exemple est le Frente de lucha por

    cooperativas sin punteros , au sein duquel on tente de lutter contre les pratiques lies la

    corruption et le clientlisme politique.

    La mise en place de ce type d'espace permet aux personnes de s'organiser, tout en

    permettant de rflchir sur les conflits lis leur situation professionnelle, ou plus largement

    aux relations entre hommes et femmes. Dans ce cadre, on partage ses expriences, on affirme

    une certaine dignit et une reconnaissance sociale. Ces espaces fonctionnent comme un

    moyen de renforcer et de consolider un discours des subordonns travers lequel on construit

    des symboles, on prserve son identit, et on imagine des mondes nouveaux.

  • 23

    Rfrences bibliographiques:

    Aureano, Guillermo y Graciela Ducatenzeiler (2002) Corrupcin y democracia: algunas

    consideraciones a partir del caso argentino, en Revista Mexicana de Sociologa, Mxico

    D.F, Vol.64, N 1.

    Boniolo, Paula (2013) Las bases sociales y territoriales de la corrupcin, Buenos Aires,

    Ediciones Luxemburg.

    Boniolo, Paula (2010) La trama de corrupcin: un estudio en la clase media y la clase

    trabajadora de Buenos Aires, Revista Mexicana de Sociologa, Agosto-septiembre

    UNAM, Mxico DF.

    Calvo, Alicia (2002) El Estado capturado, en Encrucijadas U.B.A., N 19, Buenos

    Aires, Universidad de Buenos Aires.

    Elias, Norbert (1993) El proceso de la civilizacin- Investigaciones sociogenticas y

    psicogenticas, Buenos Aires, Fondo de Cultura Econmica.

    Elliot, Kimberly Ann (editor) (1997) Corruption and the Global Economy, Institute for

    International Economics, Washington DC, Estados Unidos.

    Le Robert (1996) Dictionnaire, Nouvelle dition remanie et amplifie, Paris, Le Grand

    Livre du Mois.

    Little, Walter and Eduardo, Posada-Carbo (eds.) (1996) Political Corruption in Europe

    and Latin America, London, Institute of Latin American Studies, University of London.

    Lomnitz Adler, Claudio (coord.) (2000) Vicios pblicos, virtudes privadas: la corrupcin

    en Mxico, Mxico D.F., CIESAS.

    Mguez, Daniel y Pablo Semn (2006) Entre santos, cumbias y piquetes. Las culturas

    populares en la Argentina reciente, Buenos Aires, editorial Biblos.

    Pereyra, Sebastin (2010) Critique de la politique, expertise et transparence la corruption

    en tant que probleme public en Aregntina (1989-2001), tesis mimeo, Paris, EHESS.

    Quintela, Roberto (2005) Crisis bancaria y corrupcin, Buenos Aires, Dunken.

    Ros, Daniel y Pedro, Pirez (2008) Urbanizaciones cerradas en reas inundables del

    municipio de Tigre: produccin de espacio urbano de alta calidad ambiental? Revista

    Eure, Santiago de Chile, Vol. XXXIV, N 101, pp. 99-119.

    Sautu Ruth (comp.) (2004) Catlogo de Prcticas Corruptas: Corrupcin, Confianza y

    Democracia, Buenos Aires, Editorial Lumire.

    Scott, James C. (2000) Los dominados y el arte de la resistencia. Discursos ocultos,

    Mxico DF, Ediciones ERA.

  • 24

    Svampa, Maristella (2001) Los que ganaron. La vida en los countries, Buenos Aires,

    Editorial Biblos.

    Thompson, Eduard Paul, (1989) La formacin de la clase obrera en Inglaterra, Tomo I,

    Barcelona, Editorial Crtica, pp.197-223.

    Tulchin, Joseph S. y Ralph H. Espach (2000) Introduction, en Joseph S. Tulchin y

    Ralph. H. Espach (eds.), Combating Corruption in Latin America, Washington D.C.,

    Woodrow Wilson Center Press.

    Williams Raymond (2001) Cultura y Sociedad, Buenos Aires, Ediciones Nueva Visin.

  • 25

    Clientlisme, action publique territorialise et processus de minorisation. La place des

    allognes.

    Marie Peretti-Ndiaye

    Docteure en sociologie.

    Membre associe au Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques, CADIS-UMR8039,

    EHESS-CNRS.

    ATER en sociologie l'Universit Paris-Est Crteil

    [email protected]

    Rsum

    Le clientlisme a longtemps constitu une composante majeure de l'exercice politique en

    Corse, en lien avec les flux d'migration. Les relations dont ce systme est porteur se sont

    reconfigures avec la territorialisation de l'action publique et l'inversion des flux migratoires,

    sans pour autant sembler s'affaiblir. Elles impliquent aujourd'hui des individus minoriss, en

    prise avec la prcarit induite notamment par le dveloppement de l'conomie touristique.

    Bas sur une recherche qualitative ralise entre 2004 et 2012 en Corse, cet article vise

    clairer comment les formes de leadership politique et les normes de dialogue induites par ces

    reconfigurations s'articulent aux processus de minorisation l'uvre dans la Corse

    contemporaine. Il a galement pour objectif d'esquisser les situations dans lesquelles cette

    articulation peut s'incarner sur le march du travail et dans l'espace public.

    Mots-cls : Corse, autochtonie, clientlisme, minorisation, territorialisation.

    Abstract

    Patronage has long been a major component of Corsican politics, linked to emigration

    patterns. The "territorialisation" of public policy and reverse migration have changed the

    relations within this system, seemingly without weakening them. Today they involve

    minorities affected by the precariousness resulting from the development of the tourist

    economy. Based on qualitative research carried out in Corsica between 2004 and 2012, this

    article aims to clarify the ways in which forms of political leadership and standards of

    dialogue inferred by these reconfigurations articulate with processes of creating minorities at

    work in contemporary Corsica. It also outlines the situations in which this interconnection can

    take form in the labour force and the public sphere

    Keywords: Corsica, indigenous revendication, clientelism, minorization, territorialisation.

  • 26

    La priode contemporaine est marque, en France, par des formes renouveles

    dinstitutionnalisation de laction publique lchelle du territoire. Le modle centralis et

    ascendant qui a longtemps caractris ltat franais a t mis mal dans la priode qui suivit

    la Seconde Guerre mondiale, jusqu' provoquer une "inversion du paradigme tatique" en

    Europe (Fazi, 2008, p. 437). Dsormais, "l'intgration par le haut se fait mal ou peu alors

    qu'elle s'opre de plus en plus par le bas" (Thoenig et Duran, 1996, p. 582). Employ pour

    caractriser limportance accrue du local en matire de prise de dcision (Douillet, 2003), le

    concept de territorialisation dsigne cette tendance initie ds laprs-guerre et renforce dans

    les annes quatre-vingt avec la dcentralisation et, dans les annes quatre-vingt-dix, avec les

    politiques de dveloppement territorial: le passage dun dcoupage principalement sectoriel

    un autre, plus territorial, de laction publique. Les enjeux de laction apparaissent dsormais

    plus complexes et le pouvoir politique, plus diffus.

    Trois volutions majeures en dcoulent. En premier lieu, les problmes publics sont

    aujourd'hui dfinis dans les territoires, ce qui bouleverse llaboration et la mise en uvre de

    laction publique, comme les principes auxquels cette action se rfre. Les revendications

    dautochtonie accompagnent parfois ces volutions. Le rapport la terre et sa "puissance

    dvocations sensorielles" (Levy, 2011, p. 10) embote alors le pas au redcoupage et au

    redploiement des ressources des acteurs territoriaux. De ce fait, laction publique a, en

    deuxime lieu, une influence sur lexercice du pouvoir et la conflictualit qui l'accompagne

    (Thoenig et Duran, 1996). En troisime lieu, le rle jou par les lus dans la dcision

    publique, apparat parfois flou. Anne-Ccile Douillet souligne ainsi que si ces lus ont une

    importance accrue concernant l'organisation territoriale et la rpartition des ressources, ils

    n'ont toutefois qu'une faible influence sur la "dfinition des principes et des contenus de

    l'action publique" (2003, p. 585). Ces dynamiques peuvent contribuer la privatisation ou la

    confiscation de certaines ressources des fins lectorales.

    La territorialisation de l'action publique peut ainsi favoriser les revendications d'autochtonie

    comme le clientlisme, entendu ici comme un processus d'change de biens ou de services

    contre l'affiliation partisane et/ou le vote, qui "transforme toujours des biens publics en

    avantages privs" (Crettiez et Fazi, 2003, p. 169) et comprend, outre la matrialit de

    l'change, des dimensions symboliques. La rfrence aux affects qui lient certains notables

    locaux leurs "affilis" est, ce propos, loquente. Ils s'expriment de manire

    particulirement forte lorsque ces derniers sont en difficult. Parmi les facteurs susceptibles

    de dvelopper la mcanique clientliste l'heure de la territorialisation, la "contractualisation

  • 27

    progressive" de la fonction publique territoriale (Perrin, 2009, p. 717) et la vulnrabilit des

    populations (Sanmarco, 2008) jouent un rle majeur.

    Ces diffrents lments prennent une acuit particulire dans le "laboratoire institutionnel"

    corse (Lefvbre, 2010). Plusieurs travaux montrent que dans l'le, la mcanique clientliste a

    longtemps t ancre dans la ralit rurale. Au sein des villages, elle a engag des familles

    entires, constituant un vritable ciment social. Avec le dveloppement massif de lmigration

    ou de lexode rural, elle sest transfre dans de nouveaux cadres tout en continuant nourrir

    le pouvoir de notables locaux (Briquet, 1997). Ces phnomnes ont t largement tudis, de

    manire plus ou moins fconde. Si certains prjugs culturalistes ont pu conduire envisager

    lle au prisme dune suppose "extriorit la rationalit lgale de ltat" (Briquet, 2001, p.

    104) propice aux grilles de lecture strotypes; dautres ont permis de mettre en lumire les

    liens entre "haute" et "basse" pratiques politiques dans les socits rurales (Ravis-Giordani,

    1976) ou encore la manire dont le systme clientlaire maille le territoire en tablissant des

    rapports vivaces bass sur des "changes durables de biens et de services" (Briquet, 1997, p.

    7), parfois jusqu travestir dans le langage de lamiti (Briquet, 1999) les dcalages entre

    idaux galitaires et prgnance des ingalits (Sennett, 2005).

    Des travaux plus rcents indiquent, quant eux, que l'conomie locale est devenue, depuis les

    annes quatre-vingt et les lois de dcentralisation, un enjeu pour les rseaux criminels (de

    Saint-Victor, 2013; Follorou, 2013). La place des membres de l'exogroup dans cette

    mcanique a, quant elle, t peu tudie. Elle ouvre, pourtant, de nouveaux espaces de

    questionnement concernant deux sujets distincts mais concomitants: la monte en puissance

    de la contestation nationaliste qui a donn lieu une succession de "statuts particuliers" aux

    prises avec les revendications d'autochtonie, et le bouleversement des flux migratoires avec

    lmergence dune conflictualit spcifique, lie au rcent poids lectoral de descendants de

    migrants ns dans lle. Alors quautrefois en Corse, le systme clientlaire entretenait des

    liens troits avec les flux dmigration (Sanmarco, 2008, p. 85), il sintresse aujourdhui aux

    descendants de migrants. C'est ce que montrent les quatre-vingt-seize entretiens et les

    observations ralises en Corse entre 2004 et 2012, dans le cadre d'une recherche doctorale,

    afin de saisir le racisme l'uvre dans l'le. Ces matriaux indiquent la centralit d'un

    fonctionnement clientlaire qui diffre par certains aspects de celui qui prvalait par le pass

    pour les groupes minoriss.

    Aprs avoir retrac les volutions qui ont remodel l'espace du politique en Corse, nous

    envisagerons plus prcisment la manire dont la territorialisation opre depuis plusieurs

    dcennies. Nous mettrons ainsi en exergue la plasticit du clientlisme corse et la manire

  • 28

    dont il s'impose aux individus les plus vulnrables. Nous caractriserons, dans un dernier

    temps, comment ces processus peuvent s'incarner sur le march du travail et dans l'accs

    l'espace public.

    I. L'espace du politique en Corse

    De la conqute franaise aux annes soixante

    Bien que la Corse soit devenue franaise durant la seconde moiti du XVIIIe sicle, les

    ralisations de ltat dans l'le sont, jusqu'aux annes soixante, dune ampleur modeste. Du

    dbut du XIXe sicle la mise en place de la Troisime Rpublique, le maintien de l'ordre

    semble la priorit. Au XIX sicle, la Corse est "trs mal intgre lensemble franais"

    (Sanguinetti, 2012, p. 61), particulirement, pendant la monarchie constitutionnelle et la

    Rpublique. De 1818 1912, l'le est sous le rgime des lois douanires, ce qui fragilise son

    conomie. Au dbut du XXe sicle, des hommes politiques corses rclament plus

    dinvestissements et dintervention publique. Durant lentre-deux-guerres, le dficit

    dmographique induit par la Premire Guerre mondiale vient renforcer ces critiques.

    Lmigration et le fonctionnariat, qui constituent les principales sources d'emplois, sont

    dcris. En 1924, le Partitu Corsu dAzione met des revendications dordre nationaliste en

    sappuyant sur les notions de peuple et de culture. Durant laprs-guerre, le parti communiste

    dnonce, quant lui, le clanisme en se rfrant au registre de la domination. Les valeurs

    voques sont celles de lintrt collectif; elles sont opposes aux rapports de clientle

    quentretiennent les clans au pouvoir. Le parti communiste rejette dans un mme temps les

    notions de culture et de peuple, trop lourdes de connotations fascistes. Ses succs lectoraux

    seront, en Corse, de courte dure. Ds les annes cinquante son poids lectoral diminue. Ces

    critiques ne dbouchent toutefois pas sur des mouvements contestataires organiss et influents

    tant que ltat offre aux Corses des dbouchs professionnels satisfaisants. Les emplois de

    militaire ou dinstituteur constituent jusqu'aux annes soixante une source d'emploi

    importante et favorisent la "gnralisation dun sentiment patriotique pro-franais en Corse"

    (Briquet, 1997, p. 214). Le sous-dveloppement de la Corse est, certes, invoqu par certains

    responsables rgionaux pour interpeller les pouvoirs publics mais sans relle porte.

    Dans les annes soixante, la perte des dernires colonies franaises et les politiques

    d'amnagement du territoire et de "modernisation" de l'conomie (Andreani, 2004)

    bouleversent cette configuration. Ltat ne souhaite plus seulement grer le sous-

  • 29

    dveloppement de la Corse par des transferts publics mais aussi dvelopper l'conomie

    insulaire, en crant, en 1957, la Socit dconomie mixte charge de valoriser lagriculture

    corse (SOMIVAC). Or, le renouveau agricole semble "profiter essentiellement aux migrants

    qui sinstallent en Corse dans la mme priode, parmi lesquels les rapatris dAfrique du Nord

    sont majoritaires" (Briquet, 1997, p. 219). Paralllement, les progrs de la scolarisation

    gnrent de nouvelles attentes en termes de promotion sociale auxquelles ltat ne peut

    rpondre de faon massive. Diplms au chmage, agriculteurs face la crise des modes de

    production traditionnels et exclus des projets damnagement, hteliers et commerants

    dpourvus face au dveloppement touristique et petits entrepreneurs sont confronts une

    nouvelle concurrence qui les met en danger. De cette inadquation entre ces attentes et loffre

    publique natront de nouvelles contestations.

    Contestation et violence

    Si, en dpit de ces faibles ralisations et de ces critiques, le systme politique corse est apparu

    trs intgr dans le systme tatique, c'est notamment grce la combinaison des quatre

    dimensions mises en exergue par Grard Lenclud: le bipartisme, "l'affiliation oblige", le

    clientlisme et "l'arbitraire" (Lenclud, 1986, p. 138-145). Un groupe de notables monopolisait

    le pouvoir local en instrumentalisant la mdiation avec ltat et les administrations publiques

    afin daccrotre son influence. Un ensemble de ressources ("emplois, subventions, services,

    canaux de lmigration, etc.") tait "monopolis par les acteurs politiques, lus et

    fonctionnaires" des fins lectorales (Briquet, 2001, p. 105). Les politiques damnagement

    et de "modernisation" mises en uvre ds les annes cinquante dans une perspective de

    "dveloppement rgional", avec notamment le Programme daction rgional de la Corse

    (1957) gnrent de nouveaux effets de concurrence qui suscitent des tensions (Briquet, 1997).

    A la fin des annes cinquante, de nouvelles contestations rgionalistes voient le jour. Elles se

    distinguent par leur influence sur le paysage politique corse, dune part, et, par les grilles de

    lecture et danalyse du politique quelles promeuvent, dautre part. La contestation qui a vu le

    jour dans les annes soixante et soixante-dix, autour de mouvements qui ont pour principal

    trait commun "daffirmer lexistence dun peuple corse dont ils ont la charge de dfendre les

    droits spcifiques et de prserver lidentit particulire" (Briquet, 1997, p. 7) a remodel une

    contestation sociale qui tait auparavant lapanage du parti communiste. De nouveaux acteurs

    contestataires mergent sous la bannire du rgionalisme puis du nationalisme. Leurs objectifs

    premiers sont essentiellement conomiques [1]. Par la suite, des revendications dordre plus

  • 30

    culturel se feront entendre, notamment au sein du Front rgionaliste Corse (cr en 1965) ou

    de lARC, lAction Rgionaliste Corse (1967). La lecture que ces groupes proposent de la

    situation en Corse sinspire largement des discours produits par les mouvements de lutte pour

    lindpendance nationale dans les anciennes colonies. Ils sattaquent la fois ltat franais,

    "colonisateur", et aux notables des clans, "relais du pouvoir colonial". Ils reprennent, par

    ailleurs, plusieurs critiques nonces par le Partitu Corsu dAzione durant lentre-deux-

    guerres. Cette contestation s'organise idologiquement dans les annes soixante autour de

    trois termes - le "clanisme", le "jacobinisme" et le "clientlisme"- qui deviennent rapidement

    incontournables pour analyser le sous-dveloppement et le sous-peuplement de lle. Les

    partis qui mergent dans les annes soixante-dix et quatre-vingt saccordent sur une lecture de

    lhistoire: ils accusent la France d'avoir "vid" la Corse de son potentiel conomique puis de

    son capital humain pour servir ses vises colonisatrices. Le vocabulaire employ trouve un

    cho croissant dans la socit corse. Il en est ainsi de lexpression "colonisation de

    peuplement" qui offre de nombreux Corses une catgorie pour comprendre les changements

    quils vivent.

    Ces mouvements altrent consquemment, ds les annes quatre-vingt l'influence des chefs de

    partis traditionnels en termes de ngociation publique (Briquet, 2001). cette mme priode,

    la contestation nationaliste se radicalise, avec un recours important la violence -

    particulirement entre 1982 et 1987 (Sanguinetti, 2012). Bien qu'ils reprsentent alors une

    part croissante de la socit insulaire, s'insrent progressivement dans plusieurs dispositifs de

    gestion du pouvoir local et voient plusieurs de leurs revendications prises en compte par le

    gouvernement socialiste (Briquet, 2001), ces mouvements se divisent et certains basculent de

    l'action politique la violence.

    Exprimentations

    De son ct, l'Etat franais apportera plusieurs rponses institutionnelles leurs

    revendications. Depuis le dbut des annes soixante-dix, de multiples changements

    institutionnels ont eu lieu dans lle. Dtache de la rgion Provence en 1970, la Corse

    acquiert, par dcret, le statut de circonscription d'action rgionale, une circonscription

    monodpartementale jusqu'en 1975, date de la cration de deux dpartements: la Haute-Corse

    et la Corse-du-Sud. La Dlgation lAmnagement du Territoire et lAction Rgionale

    (DATAR) semble entrevoir, dans cette rgion, des perspectives de dveloppement touristique

    intense. Comme le souligne Thierry Dominici, c'est alors "la priode au cours de laquelle

    llite 'dominante' dfinit, avec les technocrates, lhypothtique relance de la croissance,

  • 31

    imagine les projets conomiques les plus dmesurs" (Dominici, 2010, p. 368). Dans les

    prvisions de ce document, le nombre annuel de touristes passerait ainsi de 360 000 en 1968

    plus de deux millions en 1985. En 1976, la "continuit territoriale" est mise en place. Ce

    dispositif vise "rduire les contraintes de l'insularit". Il s'applique, ds le 1er janvier 1976,

    aux liaisons maritimes, et, trois ans plus tard, aux liaisons ariennes[2]. C'est dans les annes

    quatre-vingt que ce processus de territorialisation s'acclre, avec la cration, en 1982, de la

    Collectivit territoriale et, plus spcifiquement, l'adoption, le 5 fvrier 1982, du "statut

    particulier" par les dputs puis, le 16 juin 1982, du projet de loi sur les comptences de la

    rgion de Corse par le Conseil des Ministres.

    En 1982, soit quatre ans avant toutes les autres rgions mtropolitaines, la Corse devient une

    collectivit territoriale de plein exercice avec des comptences et des ressources propres.

    L'Assemble de Corse dtient le pouvoir excutif. Elle est lue au suffrage universel la

    proportionnelle intgrale. Gaston Deferre, qui a uvr pour ce "statut particulier", pensait

    pacifier la situation, en permettant aux acteurs contestataires de s'insrer dans l'espace

    politique local. Mais les enjeux autour du contrle de l'conomie locale nuisent cette

    pacification. La politique de dcentralisation cre, de manire fortuite, de nouvelles rivalits

    (Thoenig et Duran, 1996) et les mcanismes de subordination politique, trs fortement

    enracins dans l'le (Fazi, 2008), contrecarrent l'insertion des acteurs contestataires dans ces

    espaces. Leurs revendications seront cependant parmi les premiers points voqus par

    l'Assemble de Corse. Elle se penchera, ds 1983, sur la question du "sauvetage culturel": un

    texte adopt le 9 juillet 1983 prcise ainsi que la langue corse doit dsormais tre employe

    dans la toponymie, linformation audiovisuelle et certains actes de la vie publique. Cette

    assemble offrira galement, ces acteurs, un espace d'exercice professionnel. Trois membres

    d'Unit Naziunalista seront ainsi prsents dans la nouvelle Assemble de Corse, installe le

    24 aot 1984 et prside par Jean-Paul de Rocca Serra.

    C'est une arne idologiquement clive. Le 19 avril 1985, cette Assemble adopte le statut

    fiscal et le projet de zone franche par trente voix contre vingt-huit. Ces clivages atteindront

    leur apoge en 1988, lorsque la motion dpose lassemble de Corse par la Cuncolta

    Naziunalista et affirmant "lexistence dune communaut historique et culturelle regroupant

    les Corses dorigine et dadoption: le peuple corse" sera adopte. Ils trouveront leur pendant

    dans les dbats entre "libraux" et "communautariens" (Wieviorka, 2001) entourant,

    l'chelle nationale, cette notion. Le 31 octobre 1990, ce projet est adopt par le Conseil des

    Ministres. Larticle 1 a t modifi par le prsident lui-mme: aux mots de "peuple corse" est

    ajoute la mention "composante du peuple franais". Ce statut est galement adopt, les 21-22

  • 32

    et 23 novembre, en premire lecture, au sein de l'Assemble de Corse, puis, 12 avril 1991,

    lAssemble nationale. Le 9 mai 1991, son article premier sera censur par le Conseil

    Constitutionnel.

    Ce rejet nourrira, au cours des annes quatre-vingt-dix, le ressentiment de plusieurs lus.

    Deux nouveaux partis verront le jour la fin des annes quatre-vingt et au dbut des annes

    quatre-vingt-dix. Il sagit de lANC (Accolta Nazuinale Corsa, cre en octobre 1989, issue

    dune dissidence de la Cuncolta Naziunalista) et du MPA (Muvimentu Per

    lAutodeterminazione, cr en octobre 1990). Leurs dirigeants sont issus du FLNC. Leur

    dpart du Front prfigure le morcellement de la mouvance nationaliste qui suivra la scission

    du FLNC en 1990. En 1988, de premiers affrontements entre nationalistes ont lieu. Des

    proches du FLNC cherchent sattribuer le contrle des discothques dans la rgion de Calvi.

    Cette "guerre des botes" (Rossi et Santoni, 2000, p. 58) marque le dbut d'affrontements qui

    connatront leur apoge en 1995 et montre l'importance des enjeux lis lappropriation du

    tissu conomique local. Ces exactions sont fortement mdiatises. Au-del des enjeux

    conomiques, elles traduisent galement le passage d'une forme d'exercice du pouvoir une

    autre.

    Territorialisation, clientlisme et minorisation

    Le dclin dune lite politico-administrative?

    Bas sur une "vaste redistribution de richesses et un contrle pouss de lactivit conomique"

    (Lemasson, 2008, p. 50), l'tat providence qui se dveloppe durant l'aprs-guerre largit le

    spectre des circonstances qui ncessite l'aide de l'tat. Il suppose l'usage de normes

    standardises et une segmentation administrative favorisant "l'emprise techniciste d'expertises

    spcialises" (Thoenig et Duran, 1996, p. 591). Fruit des travaux dune "lite politico-

    administrative" (Bherer, 2011, p. 106), ces normes renforcent dans un mme temps leur

    pouvoir. A contrario, le tournant initi dans les annes soixante-dix et la territorialisation de

    l'action publique impliquent la monte en puissance de "normes communes de dialogue"

    (Bherer, 2011, p. 107) avec la socit civile, et l'mergence de nouvelles collusions d'intrts,

    concernant la rpartition plus ou moins juste des fruits de la collaboration (Rawls, 1993).

    Ces conflits peuvent s'incarner dans des situations diffrentes.

    Deux configurations typiques et interdpendantes peuvent illustrer ce point. La premire a

    trait aux liens entre fonctionnaires et collectivits territoriales. Les "nouveaux besoins

  • 33

    d'quipement des collectivits locales reprsentent, pour les fonctionnaires, une opportunit

    pour "mener bien les programmes publics de l'tat" (1996, p. 585). Les actions de la

    Direction Gnrale des Finances Publiques au service de l'Intercommunalit s'inscrivent dans

    cette optique. La seconde se rapporte aux rapports entre lus et tat et aux enjeux autour de la

    sensibilisation des fonctionnaires d'tat aux particularits du territoire. L'enjeu majeur est

    alors, pour les lus, d'obtenir des marges de manuvre leur permettant d'adapter les

    dispositifs tatiques.

    Dans ces deux situations, "hirarchie bureaucratique" et "leadership politique" peuvent

    s'affronter (Thoenig et Duran, 1996, p. 586). Ces nouveaux liens et ces affrontements tendent

    renforcer la sectorialisation de l'action publique et peuvent gnrer de nouvelles formes de

    concurrence, aussi bien entre lus locaux qu'entre administrations. Lors d'une confrence

    publique, l'eurodput Franois Alfonsi dnonce ainsi la diminution de la dotation faite la

    Corse alors seule "rgion de transition" voir sa dotation diminuer -, sur les conseils de la

    DATAR et en vertu d'un principe de "flexibilit" dtermin par la Commission pour la

    rpartition des fonds entre les rgions au sein des Etats-membres et li aux revendications des

    lus insulaires. Ici comme dans d'autres organisations, "la dcentralisation aboutit bien

    souvent la reconstruction de hirarchies d'autant plus puissantes qu'elles s'appuient

    exclusivement sur la logique de la rentabilit" (Courpasson, 2000, p. 19).

    Nouveaux enjeux, nouveaux affrontements

    Ces problmes de leadership peuvent prendre des formes diversifies. En Corse, l'implication

    en termes d'amnagement du territoire fut particulirement problmatique. Depuis 1982, le

    rle de l'tat comme celui des chelons locaux a cru, ce propos, "au dtriment de celui de la

    collectivit rgionale" (Fazi, 2013, p. 149), induisant une asymtrie dans la ngociation. Les

    implications conflictuelles de la loi du 22 janvier 2002, qui rforme le statut de la Corse et

    confre la Collectivit Territoriale de Corse la responsabilit du Plan dAmnagement et de

    Dveloppement Durable de la Corse (P.A.D.D.U.C.) s'inscrivent dans un tel contexte.

    Rsultant de l'article 12 de la loi du 22 janvier 2002, ce dernier a valeur de directive

    territoriale damnagement. Lors dun meeting ralis le 7 novembre 2008 Paris, des

    reprsentants du Partitu di a Nazione Corse (P.N.C.) ont dnonc un usage malveillant de cet

    "outil offert en 2002 la Corse pour traduire spatialement ses choix de socit" et dplor

    quaucune concertation des acteurs locaux nait t effectue en amont. Ralis par un cabinet

    de consultants extrieurs lle[3], sans concerter le Conseil conomique et culturel et alors

    que des lus de lAssemble territoriale taient dans lignorance, le document a soulev une

  • 34

    forte opposition. Au-del des dbats concernant le contournement de la loi littorale, les

    critiques qui lui ont t adresses traduisent un certain scepticisme quant lexistence dune

    dmocratie locale base sur la concertation. Le retrait du projet en pleine sance illustre, plus

    largement, les problmes que gnre certaines mesures de la dcentralisation en matire de

    leadership (Fazi, 2013, p. 157).

    Alors qu'auparavant, lamont mais aussi laval de la dcision taient, en France,

    relativement ngligs et considrs comme un aspect non problmatique et fortement contrl

    par les dcideurs publics" (Hassenteufel, 2010, p. 50), que le systme politique corse tait trs

    intgr dans le systme tatique (Lenclud, 1986) et reprsentait celui dont la lgitimit

    souffrait le moins de contestation" (Fazi, 2008, 438), aujourd'hui hirarchies bureaucratiques

    et leadership politique s'affrontent, dans des "luttes de lgitimit" (Courpasson, 2000, p. 167),

    en partie modeles par les revendications d'autochtonie.

    On assiste ainsi "une nouvelle phase de lethnicit", structure par lopposition entre

    "allognes" et "autochtones", "dont les termes antagonistes gardent la mme capacit

    motionnelle crer une opposition entre nous et eux, mais ont lavantage dtre moins

    spcifiques et donc plus faciles manipuler que les anciens rcits historiques" (Bayart, 2001,

    p. 181). Cette opposition se rfre des identits construites plus que primordiales,

    insparables des processus de territorialisation. Car lautochtonie traduit une exacerbation des

    rapports au local intimement lie la globalisation. La manire dont elle questionne les

    conceptions admises de lide dappartenance et de citoyennet doit tre prise au srieux. Elle

    traduit la difficult, pour les acteurs qui ont une exprience liminale des systmes politico-

    idologiques, se reconnatre dans les conceptions admises de la citoyennet. Comme

    l'indique l'intervention du P.N.C., l'opposition entre intriorit et extriorit peut, aujourd'hui

    en Corse, s'avrer plus dterminante que les supposes capacits d'expertise. C'est d'autant

    plus le cas qu'elle s'accompagne d