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INVOCATION. CRÉATEUR, maître et moteur de ce monde que tu protèges et as racheté, toi qui brilles dans la demeure éthérée de ton père, toi qui ouvres, à ceux qui combattent clignement pour ton nom, le royaume des cieux autrefois fermé par la faute de celle qui est vouée aux douleurs de l'enfantement ! toi, ô Christ ! qui as reconquis sur l'enfer le trône d'éternelle lumière, verse sur moi, homme simple et grossier, ce don des vers qu'eut jadis David, le chantre des psaumes, dont la voix, instruite à prédire l'avenir, dévoila, il y a tant de siècles, par ses accents prophétiques, les dogmes sacrés du temps futur si admirables à raconter, afin que je puisse, dans ce petit poème, célébrer les hauts faits du grand César avec quelque harmonie et le ton qu'exige un tel sujet! Je n'invoquerai point ici les nymphes, comme le faisaient autrefois dans leur folie les doctes de l'antiquité; je ne supplierai pas les muses; je n'irai pas, gravissant un rude sentier, fouler le seuil du temple de Phébus pour dérober son secours ou celui du puissant Apollon. Quand les anciens, jouets d'une vaine habileté, se livraient à de telles illusions, l'horrible et noir démon pesait sur leurs cœurs; je m'élèverai plutôt vers les demeures des astres lumineux pour que le vrai soleil de justice daigne accorder ses dons à mon humble prière. Non, je ne me flatte pas de parcourir dans mes vers, avec mon faible archet, le vaste cercle de ces hauts faits dont le récit pourrait fatiguer les plus grands maîtres, ni d'être assez heureux pour attirer les regards de César; mais enfin je tenterai d'en illustrer çà et là quelques-uns par mes chants. O Christ ! prête donc une oreille favorable à mes supplications ! fais que mes vers m'obtiennent la fin de mon misérable exil des bontés secourables de ce prince qui, du haut de son trône, élève les humbles, épargne les pécheurs, et tenant la place du brillant soleil, répand la lumière dans l'immensité ! Et toi, monarque qui tiens en tes puissantes mains le sceptre sublime du Christ, pieux roi Louis, César si fameux par tes mérites et ta piété, toi en qui la foi du Christ jette un si vif éclat, reçois avec bienveillance l'offrande que te présente Le Noir qui a tant d'audace que d'effleurer ton histoire dans ses vers ! je t'en conjure par cet amour qui toujours a rempli ton cœur pour le roi de l'éternité. César, puisse le Christ qui tonne du haut des cieux te récompenser d'avoir relevé ton serviteur dans sa chute, et t'assurer une place au sommet de la voûte éthérée! POEME D’ERMOLD LE NOIR, EN L'HONNEUR Du très Chrétien LOUIS, César- Auguste. CHANT PREMIER. Louis, Auguste César, tu surpasses les plus célèbres empereurs par les richesses et la gloire des armes mais plus encore par ton amour pour Dieu. Grand prince dans mon audace j'aspire à chanter tes louanges! Daigne le Tout-puissant, source de toute force m’en donner les moyens! Ces hauts faits du valeureux César, que dans son pieux amour le monde publie avec tant de raison, je vais tenter de les décrire peut-être serait-il plus sage de m'arrêter dans une telle entreprise et de m'en tenir à pleurer sur les funestes fautes dont je me suis rendu coupable. Homme simple et sans culture, j'ignore les secrets des muses et ne saurais produire des chants disposés suivant les règles de l’art; mais la bonté d'un roi que touche

Ernold Le Noir

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INVOCATION

INVOCATION.

Crateur, matre et moteur de ce monde que tu protges et as rachet, toi qui brilles dans la demeure thre de ton pre, toi qui ouvres, ceux qui combattent clignement pour ton nom, le royaume des cieux autrefois ferm par la faute de celle qui est voue aux douleurs de l'enfantement ! toi, Christ ! qui as reconquis sur l'enfer le trne d'ternelle lumire, verse sur moi, homme simple et grossier, ce don des vers qu'eut jadis David, le chantre des psaumes, dont la voix, instruite prdire l'avenir, dvoila, il y a tant de sicles, par ses accents prophtiques, les dogmes sacrs du temps futur si admirables raconter, afin que je puisse, dans ce petit pome, clbrer les hauts faits du grand Csar avec quelque harmonie et le ton qu'exige un tel sujet! Je n'invoquerai point ici les nymphes, comme le faisaient autrefois dans leur folie les doctes de l'antiquit; je ne supplierai pas les muses; je n'irai pas, gravissant un rude sentier, fouler le seuil du temple de Phbus pour drober son secours ou celui du puissant Apollon. Quand les anciens, jouets d'une vaine habilet, se livraient de telles illusions, l'horrible et noir dmon pesait sur leurs curs; je m'lverai plutt vers les demeures des astres lumineux pour que le vrai soleil de justice daigne accorder ses dons mon humble prire. Non, je ne me flatte pas de parcourir dans mes vers, avec mon faible archet, le vaste cercle de ces hauts faits dont le rcit pourrait fatiguer les plus grands matres, ni d'tre assez heureux pour attirer les regards de Csar; mais enfin je tenterai d'en illustrer et l quelques-uns par mes chants. O Christ ! prte donc une oreille favorable mes supplications ! fais que mes vers m'obtiennent la fin de mon misrable exil des bonts secourables de ce prince qui, du haut de son trne, lve les humbles, pargne les pcheurs, et tenant la place du brillant soleil, rpand la lumire dans l'immensit ! Et toi, monarque qui tiens en tes puissantes mains le sceptre sublime du Christ, pieux roi Louis, Csar si fameux par tes mrites et ta pit, toi en qui la foi du Christ jette un si vif clat, reois avec bienveillance l'offrande que te prsente Le Noir qui a tant d'audace que d'effleurer ton histoire dans ses vers ! je t'en conjure par cet amour qui toujours a rempli ton cur pour le roi de l'ternit. Csar, puisse le Christ qui tonne du haut des cieux te rcompenser d'avoir relev ton serviteur dans sa chute, et t'assurer une place au sommet de la vote thre!

POEME DERMOLD LE NOIR, EN L'HONNEUR Du trs Chrtien LOUIS, Csar-Auguste.CHANT PREMIER.

Louis, Auguste Csar, tu surpasses les plus clbres empereurs par les richesses et la gloire des armes mais plus encore par ton amour pour Dieu. Grand prince dans mon audace j'aspire chanter tes louanges! Daigne le Tout-puissant, source de toute force men donner les moyens! Ces hauts faits du valeureux Csar, que dans son pieux amour le monde publie avec tant de raison, je vais tenter de les dcrire peut-tre serait-il plus sage de m'arrter dans une telle entreprise et de m'en tenir pleurer sur les funestes fautes dont je me suis rendu coupable. Homme simple et sans culture, j'ignore les secrets des muses et ne saurais produire des chants disposs suivant les rgles de lart; mais la bont d'un roi que touche plus lintention que la valeur mme du prsent qu'on lui fait enhardit ma timidit qui balance. De plus et je l'avoue, mon exil me pousse dans la carrire; les dons prsenter me manquent, et j'offre le seul bien dont je dispose. Je n'irai point au reste raconter une une toutes les actions de Louis; je n'en ai ni la prtention ni le pouvoir, et mon talent serait trop au dessous d'une si grande tache. Non, quand Maron, Nason, Caton, Flaccus, Lucain, Homre, Tullius et Macer, Cicron ou Platon, Sedulius, Prudence, Juvencus ou Fortunat, et Prosper lui-mme vivraient encore, peine pourraient-ils les renfermer toutes dans leurs fameux crits, dussent-ils mme redoubler leurs clbres et mlodieux ouvrages; et moi cependant, misrable nocher, n'ayant qu'un grossier esquif qui fait eau de tous cts, je veux m'lancer dans le vaste ocan de cette mer immense! Que la main qui, pour sauver le fidle Pierre de la fureur des flots prts l'engloutir, souleva sa barque et lui prta de nouvelles forces, prenne piti de moi, me prserve de me perdre dans les gouffres de l'onde, et me pousse, magnifique Csar, vers le port de ta faveur. Allez donc mes vers, mettez dans tout leur jour les actions de Louis, et, dans le grand nombre, sache ma plume en choisir quelques-unes.

Dans le temps o le sceptre des Francs fleurissait dans les mains vigoureuses de Charles, que tout l'univers honore hautement du nom de pre, quand la France rpandait au loin et de tous cts les clats de son tonnerre, et remplissait le monde de la clbrit de son nom, le sage Charles, de l'avis de ses grands assembls, distribua entre ses enfants les insignes de la royaut. La France et obi un prince du mme nom de Charles, si le successeur dsign et recueilli l'hritage de son pre. Ce monarque donna le royaume d'Italie son bien-aim Ppin, et toi, Louis, il te confra la couronne d'Aquitaine. La renomme instruisit bientt l'univers de ce partage si gal, et Louis se rendit en triomphe dans les tats confis ses soins. Ce fut par un miracle que ses parents donnrent ce nom de Louis ce jeune prince qui devait tre si fameux par les armes, si puissant et si pieux. Ce nom de Louis, qui vient du mot Ludus, apprend en effet que c'est en se jouant qu'il a donn la paix ses sujets. Que si l'on prfre consulter la langue des Francs pour connatre l'tymologie de ce nom, on verra clairement qu'il est compos de Hlut, qui veut dire fameux, et de Wig, qui signifie Mars. Encore enfant, ce noble rejeton qu'animait le souffle divin, accrut son royaume par l'honneur, le courage et la bonne foi. Avant tout, il se hta d'enrichir de ses dons les temples des serviteurs du Christ, et rendit aux saintes glises les biens dont autrefois on les avait dotes. Ne rgnant sur les peuples que par la loi et la force de la pit, il rtablit l'ordre dans les tats soumis son sceptre, et leur donna une vie nouvelle. Par sa sage habilet, ce pieux roi dompta le caractre farouche des Gascons, et fit des agneaux de ces loups dvorants. Tournant ensuite ses armes rapides contre les Espagnols, lui-mme les chassa loin de leurs propres frontires. Combien de hautes montagnes et de chteaux forts il soumit, en courant, son empire, avec la faveur de Dieu ! Qui combattait pour lui ? je l'ignore; et quand je le saurais, ma plume grossire ne pourrait les rappeler tous. Je dirai cependant ceux dont la renomme a port rcemment les noms jusqu' mes stupides oreilles. Je laisse aux savants parler des autres.

Il tait une cit inhospitalire pour les escadrons Francs, et, de plus, associe aux intrts des Maures; les anciens Latins l'appelrent Barcelone, et Rome la polit en y introduisant ses murs. Toujours elle offrait un asile sr aux brigandages des Maures; toujours des ennemis arms la remplissaient, quiconque venait d'Espagne ou y retournait en secret, une fois entr dans cette ville, trouvait partout une entire sret. Habitue de tout temps tomber sur de petits corps de nos fantassins pendant leur retraite, elle triomphait de les dpouiller. Beaucoup de nos ducs l'assigrent longtemps et firent contre elle diverses tentatives guerrires; mais toujours le succs trompa leurs vux. Quoiqu'on dployt contre elle la force des armes, l'adresse, ou toute espce de machines, toujours fortifie comme elle l'tait de murs d'une immense paisseur et construits, de toute anciennet, du marbre le plus dur, elle repoussa loin d'elle les efforts de la guerre. Chaque anne, aussitt que le mois de juin lve vers le ciel les moissons blanchissantes, et que l'pi dj mr appelle le tranchant de la faucille, le Franc menace les murailles de cette ville, inonde les champs et les mtairies, arrache les fruits de la terre, et dpouille la campagne de ses dons, ou bien encore il ravage les vignobles au temps o le Maure a coutume de mettre au pressoir les doux prsents de Bacchus, art inconnu au Franc. Ainsi lorsque dans la saison d'automne d'paisses armes de grives ou d'autres oiseaux habitus se nourrir de raisins fondent du haut des airs sur les vignobles, elles arrachent et emportent les grappes, et les plus beaux raisins tombent sous les coups de leurs ongles et de leurs becs; en vain alors du haut de la montagne le triste et malheureux vigneron frappe des cymbales ou s'tudie pousser de grands cris; ce n'est pas pour lui une tche facile d'empcher ces cruels ennemis de s'avancer en troupe serre et de ravager les fruits dont ils se gorgent. De mme les Francs, aussitt que le temps arrive de recueillir les fruits de la terre, enlvent aux hameaux toutes leurs richesses; et cependant ni de si cruelles dvastations, ni d'autres malheurs divers, ni les coups presss des armes de nos ducs ne peuvent briser le dur cur du Maure. A peine les Francs agiles lui ont-ils ravi tant de biens, que de rapides vaisseaux lui en rapportent par mer d'aussi abondants. Longtemps le succs incertain se balana donc entre les deux partis, et la guerre se poussa des deux cts, dit-on, avec un acharnement gal.

Au printemps, lorsque la terre chauffe commence reverdir, que l'hiver fuit chass par la rose des astres, que l'anne se renouvelant rapporte aux fleurs les parfums qu'elles avaient perdus, et que l'herbe rajeunie ondoie remplie d'une sve nouvelle, nos rois agitent les intrts du royaume et rappellent les antiques lois; chacun d'eux ensuite se rend sur ses frontires pour les mettre l'abri de toute attaque. Alors le fils de Charles, suivant la vieille coutume des Francs, mande et rassemble autour de lui la foule distingue des hommes les plus minents dans la nation, les grands du royaume, dont les conseils dcident des mesures prendre pour le bien de l'tat. Les grands se prsentent en toute hte et obissent de plein gr; le faible vulgaire les suit, mais sans armes. Tous les puissants s'asseyent sur lordre qui leur en est donn; le roi monte sur le trne de ses aeux, et le reste de la tourbe dpose au dehors les dons accoutums qu'elle apporte au prince. L'assemble s'ouvre; le fils de Charles prend la parole et profre ces mots du fond de son cur:

Magnanimes grands, vous que Charles a prposs la garde des frontires de la patrie, et qui, par vos services, vous tes rendus si dignes de cette noble rcompense, le Tout-Puissant n'a daign nous lever au fate des honneurs qu'afin que nous pourvoyions aux besoins de nos peuples conformment aux anciennes lois. L'anne revient aprs avoir parcouru son cercle; voici le moment o les nations se poussent sur les nations, et courent aux armes avec une alternative de succs partags. La guerre est chose qui vous est bien connue; mais nous, nous l'ignorons dites donc votre avis, et quelle route il nous faut suivre.

Ainsi parle le roi. Contre cette ide s'lve Loup Sancio. Sancio, prince des Gascons, qui gouvernait sa propre nation, se sentait fort d'avoir t nourri la cour de Charles, et surpassait tous ses anctres en esprit et en fidlit. Roi, dit-il, de ta bouche dcoule l'inspiration de tout sage conseil; c'est toi de commander, nous d'obir. Si cependant cette affaire est livre notre discussion, mon avis est, je le jure, qu'on conserve une tranquille paix. Le duc Guillaume, de la cit de Toulouse, flchit le genou, baise les pieds du monarque, et s'exprime en ces termes: Lumire des Francs, roi, pre, honneur et bouclier de ton peuple, toi qui l'emportes sur tes anctres par ton mrite et ta science, illustre matre, chez qui le sublime courage et la sagesse coulent, avec une abondance gale, de la source paternelle ! monarque, prte, si je le mrite, une oreille favorable mes conseils, et que la bont, grand prince, exauce mes prires. Il est une nation d'une noire cruaut, celle qui tire son nom de Sara, et est dans l'habitude de ravager nos frontires. Courageuse, elle se confie dans la vitesse de ses chevaux et la force de ses armes. Je ne la connais que trop, et elle me connat bien aussi. Souvent j'ai observ ses remparts, ses camps, les lieux qu'elle habite et tout ce qui les environne. Je puis donc conduire les Francs contre elle par un chemin sr. A l'extrmit des frontires de ce peuple est en outre une ville funeste qui, par son union avec lui, est la cause de tant de maux. Si, par la bont de Dieu, et succombant sous tes efforts, elle est prise, la paix et la tranquillit seront assures tes peuples. Grand roi, dirige tes pas contre cette cit, porte les funrailles sous ses murs massifs, et Guillaume te servira de guide.

Le monarque souriant serre dans ses bras ce serviteur dvou, lui rend le baiser qu'il en reoit, et lui adresse cette amicale rponse:

Nous te remercions pour nous, brave duc, nous te remercions pour notre pre Charles. Toujours, sois-en sr, tes services recevront les honorables rcompenses qui leur sont dues. Les dtails que tu viens de donner, depuis longtemps j'ai pris soin de les tenir gravs dans le fond de mon cur, et maintenant j'aime les entendre publier hautement. Comme tu le demandes, je me rends tes conseils et souscris tes dsirs; toi, Franc, confie-toi en la promptitude de ma marche. J'en suis rduit, je l'avoue, Guillaume, n'avoir qu'une seule chose te dire; mais que ton me recueille avidement mes paroles. Si, comme je l'espre, Dieu m'accorde de vivre assez pour cela, et que lui-mme me protge dans ma route, cruelle Barcelone qui, dans ton orgueilleuse joie, te vantes de tant de guerres faites aux miens, je verrai tes murailles, j'en atteste ces deux ttes (car en disant ces mots il s'appuyait par hasard sur les paules de Guillaume); ou il faudra que la foule profane des Maures se lve contre moi, et que, pour sauver ses allis et elle-mme, elle en vienne tenter le sort du combat; ou toi, Barcelone, tu seras, bon gr mal gr, contrainte de m'ouvrir ces portes o il ne nous a pas encore t donn d'entrer, et rduite implorer mes ordres.

Il dit: les grands poussent des murmures confus d'approbation, et leur foule presse baise les pieds du puissant monarque. Ce prince alors interpelle Bigon, cher son cur, et fait entendre son oreille ces paroles si douces sa grande me. Va rapide Bigon, signifie ce que je vais te dire la foule de nos fidles, et que ta bouche leur rapporte nos propres paroles. Ds que le soleil montera dans le signe de la vierge, et que sa sur suivra son cours dans le cercle qui lui est assign, que nos troupes triomphantes et bien armes pressent de leurs bataillons les murs de la ville que nous avons nomme. Le docte Bigon excute sans tarder ce que lui prescrit son matre bienveillant, et court de tous cts porter avec clrit ses augustes commandements.

Cependant le jeune roi, brlant d'amour pour le Christ, leva pieusement pour les serviteurs de Dieu des murs dignes de les recevoir. La renomme publie en effet qu'il institua dans ses Etats de nombreuses congrgations de moines rguliers voues au trs Haut; que si quelqu'un dsire connatre tous ces saints tablissements, qu'il parcoure, je l'en conjure, le royaume d'Aquitaine; pour moi, dans cet essai, je n'en chanterai qu'un seul. Il est un lieu clbre par le culte de la religion que le premier roi de la race de Charles a lui-mme nomm Conques. Autrefois l'asile des btes fauves et des oiseaux mlodieux, il tait rest inconnu l'homme que rebutait son aspect sauvage. Aujourd'hui on y voit briller une troupe de pieux frres adorateurs du Christ, dont la clbrit s'tendit bientt au loin jusqu'aux deux. Le monastre qui les renferme, le religieux monarque l'a construit de ses dons, en a pos les fondements, l'a combl de biens et s'est fait un devoir de l'honorer spcialement. Il est situ dans une grande valle que baigne un fleuve bienfaisant et que couvrent des vignes, des pommiers et tout ce qui sert la nourriture de l'homme. C'est Louis qui a fait tailler le roc force de travail et de bras, et ouvrir le chemin qui a rendu ce lieu accessible. Un certain religieux, nomm Date, est, dit-on, le premier qui vint l'habiter. Pendant qu'il conservait encore sa mre et vivait avec elle sous le toit de ses pres jusqu'alors chapp la rage des ennemis, voil que tout coup les Maures rpandent un effroyable dsordre, et ravagent de fond en comble la contre du Rouergue. La mre de Date, les dbris de sa maison et tous ses meubles firent, dit-on, partie du riche butin de ces cruels ennemis. Ds que ceux-ci se sont retirs, chacun des fugitifs court l'envi revoir sa maison et visiter les pnates qui lui sont connus. Date, ds qu'il a la triste certitude que sa mre et sa maison ont t la proie des Maures, sent peser sur son cur mille penses diverses. Il quipe son coursier, se couvre de ses armes, runit les compagnons de son malheur, et se prpare poursuivre les ravisseurs. Le hasard, veut que le camp o les Maures se sont retirs avec leur butin soit fortifi par un rempart et des murailles de marbre. Le rapide Date, ses compagnons et tout le petit peuple y volent lenvi et se prparent en rompre les portes. Ainsi quand un pervier tendant ses ailes fond travers les nues, enlve un oiseau dans ses serres et s'enfuit vers l'aire dont la route lui est bien connue, c'est en vain que les compagnons de la victime poussent des cris, font retentir les airs de leurs voix lugubres et poursuivent le ravisseur; celui-ci, retir dans son nid, l'abri de tout danger, touffe sa proie dans ses serres, la tue et la retourne sur le ct qui lui plat pour la dvorer; de mme les Maures, dfendus par un rempart et matres de leur butin, ne craignent pas davantage l'attaque de Date, sa lance et ses menaces. Un d'eux l'interpelle du haut des murs et lui adresse, d'une voix moqueuse, ces cruelles paroles:

Sage Date, dis-nous donc, je t'en conjure, quelle cause amne toi et tes compagnons vers notre camp? Si tu veux nous donner sur-le-champ, en change du prsent que nous te ferons, le coursier sur lequel tu viens couvert de ton armure, ta mre ira te rejoindre saine et sauve, et nous te rendrons le reste des dpouilles qu'on a enleves ; si tu refuses, tes yeux seront tmoins de la mort de ta mre.

Date profre cette rponse affreuse redire: Fais donc prir ma mre, peu m'importe, car ce coursier que tu demandes, jamais je ne consentirai te le donner; il n'est pas fait, vil misrable, pour recevoir un frein de ta main. Sans plus diffrer, le Maure cruel fait monter la mre de Date sur le rempart et la dchire, sous les yeux mme de son fils, par d'horribles supplices. On raconte en effet que ce barbare lui coupa d'abord les mamelles avec le fer, puis lui trancha la tte, et dit Date: Tiens, voil ta mre.

L'infortun, furieux du meurtre de celle qui lui donna le jour, grince des dents, gmit et flotte incertain entre mille projets divers; mais, pour venger son trpas, aucune voie ne lui est ouverte, et la force lui manque: triste et l'esprit gar il fuit loin de ce funeste lieu. Abandonnant tout, et revtu d'armes plus sres pour son salut, il devient bientt un pieux habitant du dsert. D'autant plus dur pour lui-mme qu'il s'tait montr cruellement insensible autrefois la mort de sa mre, Christ ! il revient d'un pas plus ferme sous ton joug. Longtemps plein de mpris pour la vie criminelle du monde, il pratiqua, sur lui-mme et dans la solitude, de rudes mortifications. La renomme en arriva aux oreilles du pieux roi qui, sur-le-champ, appelle dans son palais le serviteur de Dieu; et le prince et l'homme du Seigneur, tous deux gaux en pit, passent alors toutes leurs journes dans des entretiens o tous deux s'entendent galement bien; alors aussi le monarque et Date jettent les fondements de Conques, et prparent des retraites futures pour de saints moines. C'est ainsi que dans le lieu o nagure des troupes redoutables d'animaux sauvages trouvaient un abri, s'lvent maintenant des moissons agrables Dieu.

Cependant les grands du roi et les phalanges du peuple, avertis, obissent l'envi aux ordres de Louis. Des bataillons de Francs arrivent de tous les points suivant l'antique usage, et une nombreuse arme entoure les murs de Barcelone. Avant tous les autres, accourt, le fils de Charles la tte d'une troupe brillante, et lui-mme guide les chefs qu'il a runis pour la destruction de cette ville. De son ct, le prince Guillaume plante ses tentes ; ainsi le font Hribert, Liuthard, Digon et Bron, Sancion, Libulf, Hildebert, Hisambart et plusieurs autres qu'il serait trop long de nommer. Le reste de la jeunesse guerrire, Francs, Gascons, Goths ou Aquitains, se rpand et bivouaque dans les champs. Le bruit de leurs armes s'lve jusqu'au ciel et leurs cris retentissent dans les airs. Dans la ville, au contraire, tout est terreur, larmes et gmissements. C'est quand l'toile de Vnus ramne avec elle les ombres de la nuit que tout se dispose contre toi, Barcelone; et bientt tes richesses seront la proie de l'ennemi. Aussitt en effet que la brillante aurore revient visiter les mortels, tous les comtes sont mands et se rendent sous la tente du monarque; tous s'assoient sur l'herbe, chacun selon son rang, et, l'oreille attentive, sollicitent les ordres de leur prince. Alors le fils de Charles fait, de ses sages lvres, descendre ces paroles:

Grands, que vos esprits accueillent mon avis. Si ce peuple honorait le vrai Dieu, tait agrable au Christ, et voulait recevoir la sainte eau du baptme, nous devrions faire avec lui une paix solide et l'observer fidlement, afin de le runir au Seigneur par les liens de la religion; mais il est toujours pour nous un objet d'excration, repousse la foi qui nous assure le salut, et suit les lois du dmon. La bont misricordieuse du matre du tonnerre livre donc en nos mains cette race impie et la voue nous servir comme esclave. Courons, Francs, renversons ses murs et ses forts, et que vos curs retrouvent leur ancienne valeur.

Ainsi lorsque sur lordre d'ole les vents rapides volent travers les campagnes, les forets et les ondes, et renversent nos toits domestiques, les moissons et les bois s'agitent en tremblant, l'oiseau du soleil peut peine se tenir sur ses serres recourbes, et le malheureux nautonier, cessant de se confier sa rame et sa voile de lin, la serre rapidement et s'abandonne aux flots incertains de la mer; de mme lordre de Louis toute l'arme des Francs court en foule et l pour prparer la ruine de Barcelone; on se prcipite dans les forts; la hache active fait de tous cts retentir ses coups, les pins sont abattus, le haut peuplier tombe ; l'un faonne des chelles, l'autre aiguise des pieux; celui-ci apporte en toute hte des engins pour l'attaque; celui-l trane des pierres; des nues de javelots et de traits arms de fer crvent sur la ville; le blier tonne contre les portes et la fronde frappe coups presss.

Cependant les bataillons pais de Maures rangs sur les tours se prparent dfendre leurs remparts. Un Maure nomm Zadun,[8] tait alors le chef de cette cit, laquelle son me ferme et courageuse dictait des lois. Il s'lance vers les murs; la foule frappe de terreur l'environne et le suit. Compagnons, s'crie-t-il, quel est ce bruit nouveau ? L'un des siens rpond sa question par ces mots qui ne lui annoncent que de cruels malheurs: Aujourd'hui ce n'est pas ce vaillant prince des Goths, que notre lance a cependant repouss tant de fois loin de ces murs, qui vient tenter le sort des combats; c'est Louis, l'illustre fils de Charles; lui-mme commande ses ducs et a revtu son armure. Si Cordoue ne nous secourt promptement dans cette extrmit, nous, le peuple et cette ville redoutable nous prirons.

Le chef voit du haut d'une tour les armes ennemies au pied mme des remparts, et du fond de son cur abattu sortent ces tristes paroles:

Courage, pressez-vous, compagnons, sauvons nos murailles de la rage de l'ennemi; peut-tre Cordoue nous enverra-t-elle quelque secours. Cependant une cruelle vrit qui m'afflige et me trouble, peuple ! assige mon esprit; elle va vous frapper d'tonnement, mais je dois vous la rvler. Cette nation redoutable qui, vous le voyez, vient assiger nos remparts, est courageuse, habitue manier les armes, dure aux fatigues et active dans les combats. Voici maintenant, je vous l'avouerai, ce qu'il y a de plus affreux vous apprendre; mais que je le taise ou le dise hautement, cela ne vous paratra pas moins funeste; tous ceux chez qui cette nation, clbre a port la guerre ont bon gr mal gr subi l'esclavage. Cet empire de Romulus, qui jadis fonda cette cit, elle l'a soumis son joug avec tous ses vastes Etats. Toujours elle a les armes la main; ds l'enfance elle se familiarise avec la guerre. Regardez, le jeune homme porte les lourds matriaux pour l'attaque, et le vieillard dirige tout par son exprience. Je frmis d'horreur en rappelant seulement le nom des Francs; car c'est de sa frocit que le Franc tire son nom. Mais pourquoi, citoyens, mon triste cur vous en dirait-il davantage ? Hlas! les maux qui nous menacent je ne les connais que trop bien; mais ils sont douloureux vous annoncer. Ces murs qu'il nous faut dfendre, ajoutons leur force par une garde constante et courageuse, et que la troupe qui veille aux portes se montre intelligente et digne de confiance.

Cependant la jeunesse des Francs, que suivent d'pais bataillons, foudroie les portes avec le blier; de toutes parts Mars fait entendre son tonnerre; les murs, entours d'un quadruple revtement de marbre, sont frapps coups redoubls, et les malheureux assigs sont percs d'une grle de traits. Alors le Maure Durzaz, du haut d'une tour leve, crie aux. Francs d'un ton railleur et avec l'accent d'un orgueilleux mpris: Nation trop cruelle, et qui tends tes ravages sur le vaste univers, pourquoi viens-tu battre de pieux remparts et inquiter des hommes justes ! Penses-tu donc renverser si promptement des murailles, travail des Romains, et qui comptent mille ans d'existence ? Barbare Franc, loigne-toi de nos yeux ; ta vue n'a rien d'agrable, et ton joug est odieux. A ces outrages, Childebert ne rpond point par des paroles mais il saisit son arc, court se placer en face de l'insolent discoureur, et, tenant dans ses mains son arme de corne, il la courbe avec effort; le trait part, vole, s'enfonce dans la noire tte du Maure, et la flche mortelle se plonge dans sa bouche insultante. Il tombe, quitte regret le haut de ses murs, et en mourant souille les Francs de son sang noir. Ceux-ci, le cur plein de joie, poussent de grands cris, et les malheureux Maures au contraire ne font entendre que gmissements plaintifs. Alors divers guerriers prcipitent d'autres Maures sur les sombres bords. Habiridar tombe sous les coups de Guillaume, et Uriz sous ceux de Liuthard; Zabirezun est perc par la lance et Uzacam par un javelot; la fronde frappe Corizan, et la flche rapide atteint Gozan. Les Francs ne pouvant combattre de plus prs, employaient tour tour les traits et les pierres, car l'adroit Zadun avait dfendu aux siens de hasarder une bataille et de quitter leurs remparts.

La lutte se prolongea ainsi pendant vingt jours avec des succs divers. Aucune machine n'est assez forte pour ouvrir un passage travers les murs, et l'ennemi ne donne dans aucune embuscade. Cependant le Franc ne cesse de poursuivre sa belliqueuse entreprise, et continue de faire gmir les portes sous les coups redoubls des poutres. Cependant aussi l'illustre fils du puissant Charles, tenant son sceptre dans ses mains et suivi d'une foule nombreuse, parcourt les rangs, exhorte les chefs, excite les soldats ; et, comme le faisait toujours son pre, les appelle aux armes. Croyez-moi bien, disait-il, vaillante jeunesse, et vous tous grands, croyez-moi bien, et que mes paroles restent graves dans vos mes. Si Dieu le permet, je ne veux revoir ni le palais paternel ni mon royaume avant que cette ville et ses habitants vaincus par les armes et la faim ne soient venus humblement reconnatre mes lois. Dans le mme instant aussi l'un des Maures, se tenant l'abri derrire les murs, et levant sa voix jusqu'aux deux, faisait entendre ces mots ironiques: Francs, quelle est votre folie! Pourquoi fatiguer nos murailles de vos coups ? Il n'est point d'artifice qui puisse vous rendre matres de cette cit. Les vivres ne nous manquent pas; la viande et le miel abondent dans la ville, et c'est vous que dsole la famine. Guillaume ne laisse pas ce discours sans rponse, et s'crie du ton du mpris: Maure orgueilleux, retiens bien, je te prie, mes paroles ; elles ne te seront pas douces et ne te plairont point; mais je les crois vraies. Regarde ce coursier si remarquable par ses taches de diverses couleurs, et sur lequel je menace vos remparts encore de trop loin; il tombera sous nos morsures, et, broy par nos dents, nous servira de nourriture, avant que nos cohortes quittent vos murs dont rentre nous est trop longtemps ferme; et cette guerre une fois commence ne finira jamais.

Le Maure frappe de ses noirs poings sa noire poitrine ; le malheureux dchire son noir visage de ses ongles recourbs; le cur glac de terreur il tombe sur la face et pousse des hurlements lamentables qui font retentir le ple. Ses compagnons, saisis d'tonnement, tremblent de la persvrance des Francs et de leurs terribles menaces, et dsertent les remparts. Zadun, furieux, court travers les flots d'un peuple immense, en criant: O fuyez-vous, citoyens ? Quelle route prenez-vous donc ? Zadun, les tiens alors te rapportent la rponse du Franc. Voici ce qu'a rsolu l'ennemi, disent-ils; coute-le avant tout. De sa dent cruelle il mangera ses chevaux plutt que de consentir jamais abandonner le pied de tes murailles. Infortuns citoyens, rpond le chef, je vous l'ai prdit depuis longtemps, telles sont les guerres que fait cette redoutable nation; maintenant, dites, quel parti vous semble le plus utile pour vous, et comment pourrai-je vous servir encore? Tu vois, rplique le peuple, des nues de Francs qui travaillent de tous cts briser les murs, et les tiens tombent dchirs par le fer. Cordoue ne t'envoie aucun des secours qu'elle t'a promis ; la guerre, la faim, la soif nous affligent de leur triple flau: quel moyen de salut nous reste-t-il donc, sinon de demander la paix aux Francs et de leur envoyer des dputs en toute hte ?

Zadun, frmissant de rage, dchire ses vtements, arrache ses noirs cheveux et se meurtrit les yeux. Il veut parler, le nom de Cordoue s'chappe plusieurs reprises de sa profane voix, et longtemps les sanglots lui coupent la parole, Maures! si prompts dans les combats, s'crie-t-il enfin, d'o vient ce funeste dcouragement ? Compagnons, montrez donc votre fermet accoutume ! S'il vous reste encore quelque amour pour moi, je ne vous demande qu'une faveur; accordez-moi cette seule grce et je serai satisfait. J'ai remarqu un endroit o les pais bataillons de l'ennemi laissent une place vide au pied de nos remparts et o il n'y a que peu de tentes dresses; c'est un pige sans doute, mais peut-tre pourrai-je me frayer un passage sans tre atteint et arriver toute course, chers compagnons, jusqu'aux lieux bien connus dont nous attendons du secours. Vous, cependant, mes frres, jadis inaccessibles toute crainte, donnez tous vos soins dfendre les portes jusqu' mon retour ici; qu'aucun vnement, je vous en conjure, ne vous fasse quitter vos fortes murailles et sortir en armes dans la plaine.

Tout en donnant encore aux siens une foule d'ordres, il quitte la ville, se glisse en se cachant, et plein de joie franchit un corps de Francs. Dj il marche plus tranquille la faveur du silence de la nuit; mais son malheureux coursier se met bientt hennir: ce bruit, les gardes donnent l'veil, des troupes sortent du camp, se dirigent vers le lieu d'o est parti le hennissement et poursuivent Zadun; troubl par la peur, il abandonne la route, retourne son coursier et se jette en aveugle au milieu de nos pais bataillons. L'infortun, le front charg d'ennuis, ne voit autour de lui que des phalanges ennemies et n'a plus aucun moyen de s'arracher de leurs mains. Il est bientt pris, charg de fers qu'il n'a que trop bien mrits, et tran tout tremblant la tente de Louis.

La renomme, dans son vol rapide, trouble toute la ville de ses cris, et sa bouche lui annonce que son roi est prisonnier. Pres, mres, jeunes gens se laissent entraner au dsespoir; le faible enfant et la jeune fille portent partout cette triste nouvelle. Du camp des Francs un bruit non moins clatant s'lve de toutes parts jusqu'au ciel, et les soldats se livrent de concert aux frmissements de la joie. Cependant les noires ombres de la nuit se dissipent, et la brillante aurore ramne le jour. Les Francs alors se prcipitent vers la tente du roi. Le fils de Charles leur parle d'un esprit calme, et adresse avec bont ces paroles ses fidles guerriers:

Zadun se htait de se rendre auprs des troupes espagnoles dans le dessein de solliciter des secours, des armes et tous les autres moyens de prolonger la guerre, fait prisonnier malgr sa rsistance, on le tient maintenant dans les chanes et dsarm en dehors de cette tente, et il n'a point encore paru devant nos yeux. Allez, Guillaume, faites-le placer dans un lieu d'o il puisse voir ses remparts, et qu'il ordonne sans tarder qu'on nous ouvre les portes de la ville. Cet ordre s'excute sur-le-champ; Zadun, attach avec des courroies, suit la main qui le trane; mais, par une ruse coupable, il lve de loin sa main tendue. Lui-mme, en effet, avant de se sparer des siens, leur avait dit: J'ignore si la fortune me sera funeste ou favorable ; mais si le sort veut que je tombe au milieu des phalanges de Francs, vous, comme je vous l'ai recommand, restez, je vous en conjure, enferms dans vos murailles. Maintenant, tendant les mains vers ces murs chris, il criait: Htez-vous, compagnons, d'ouvrir vos portes trop longtemps fermes. Mais en mme temps il courbait les doigts avec adresse et serrait les ongles contre la paume de la main; c'tait un jeu perfide: par ce signe, en effet, il exhortait les siens dfendre leurs remparts, tandis que, bien malgr lui, sa bouche criait: Ouvrez vos portes. Guillaume s'aperoit de la ruse, prompt comme l'clair, il frappe le captif de son poing, et ce n'est pas un jeu. Frmissant de rage, il renferme sa colre dans son me, admire le Maure et bien plus encore son artifice ingnieux, et lui dit: Crois-moi, Zadun, si l'amour et le respect pour mon roi ne me retenaient, ce jour serait le dernier de ta vie.

Cependant, tandis que Zadun est soigneusement gard par les Francs, ses compagnons se prparent dfendre leurs murs. La lune venait pour la seconde fois, dans sa marche rgulire, de terminer son cours ; Louis et ses Francs marchent alors vers ces remparts toujours ferms pour eux. D'normes machines font retentir leurs coups; de tous cts elles battent les fortifications; la guerre dploie une fureur laquelle jusqu'alors on n'a rien vu d'gal; des grles de flches volent sur la ville: la fronde, tordue avec violence, crase l'ennemi; le monarque lui-mme dirige l'attaque et anime les ducs. Les Maures infortuns n'osent ni descendre de leurs murs levs, ni mme, du sommet de leur tour, jeter les yeux sur le camp des Francs. Ainsi lorsqu'une troupe d'oiseaux aquatiques, inquite et tremblante, se plonge dans un petit fleuve, et que tout coup l'aigle qui les aperoit fond du haut de la nue et vole longtemps au dessus d'eux, les uns cachent leurs ttes dans les eaux et osent peine la relever dans l'air, celui-ci se tapit au milieu des joncs, et celui-l s'enfonce dans la vase; mais l'aigle les menace sans cesse de ses ailes, les glace d'effroi, les fatigue et enlve ceux qui se hasardent montrer la tte au dessus des flots: de mme Je glaive, la terreur et la mort poursuivent les Maures timides fuyant travers leur cit. Alors le pieux roi brandissant dans sa main son javelot, le lance violemment contre la ville; le trait rapide vole, fend l'air, frappe les murs et s'enfonce dans le marbre de toute la force qui l'a pouss. A cette vue les Maures, l'me trouble de crainte, regardent avec tonnement et le fer et bien plus encore le bras qui l'a lanc. Enfin, dj plus que vaincus par la guerre et la faim, ils se dcident, d'une voix unanime, rendre leur ville; les portes s'ouvrent, les asiles les plus cachs se montrent au grand jour. Barcelone, dompte par un long sige, subit la loi de Louis. Sans perdre un instant, les Francs vainqueurs se montrent tous les yeux dans cette cit dont ils souhaitaient tant la conqute, et commandent l'ennemi. Ce fut le jour du sabbat que les Francs obtinrent ce glorieux succs, et que la ville commena de s'ouvrir pour eux. Le lendemain, jour de fte, le roi Louis, empress d'acquitter les vux qu'il avait faits Dieu, entre triomphant dans cette cit, purifie les lieux o l'on adorait le dmon, et rend au Christ de pieuses actions de grces. Le monarque victorieux confie alors Barcelone une garnison sre, et, avec la faveur de Dieu, lui et son peuple retournent heureusement dans leurs demeures.

Cependant un immense butin, compos des dpouilles des Maures et d'offrandes des chefs Francs, est conduit pompeusement vers Charles; on y voit des armures, des cuirasses, de riches habits, des casques orns de crinires flottantes, un cheval parthe avec son harnois et son frein d'or. Zadun, tout tremblant, qui voudrait tant ne plus revoir les Francs, et ne marche que d'un pas tardif, accompagne ces dons regret. L'adroit Bigon se hte de devancer l'escorte, vole la cour de Charles, et est le premier annoncer les nouvelles de cet heureux succs. La renomme les rpand bientt dans toute la cour, et bientt aussi le bruit de ce triomphe arrive jusqu'aux oreilles de Csar. Bigon est appel, se prsente, baise les pieds du puissant empereur, reoit lordre de parler, et obit en ces termes:

Le roi Louis, ton fils, envoie des prsents l'auguste Charles son tendre pre. Ces dons, ce roi victorieux les a conquis sur les Maures par le glaive, le bouclier et la valeur de son bras. Il te remet le prince de la ville que ses armes ont soumise. Csar, Zadun est devant tes yeux, et la cit qui jadis a dtruit un si grand nombre de Francs, abattue, subjugue maintenant par la guerre, sollicite humblement les lois de notre monarque.

L'empereur Charles, levant alors les yeux, et les mains vers le ciel, dit d'une voix pleine de douceur: Puisse surtout la bont du trs Haut accompagner constamment cet enfant bien aim! Quant notre faveur, qu'il y compte jamais ! Rejeton digne de moi, comment pourrai-je rendre Dieu toutes les actions de grces que je lui dois pour le don qu'il m'a fait de toi, enfant justement clbre et que j'ai toujours chri, conservant dans mon cur la mmoire de ce qu'autrefois me prdit de toi le patriarche Paulin !

Ce savant prlat vint, dit-on, en effet, sur lordre du pieux monarque, le trouver dans son palais un jour qu'il tait dans la basilique occup, dans un respectueux recueillement, chanter les louanges du Christ; Charles, l'illustre fils de l'empereur, entre par hasard entour d'une foule de grands pour prier le Seigneur, et s'avance grands pas vers l'autel o le saint prtre remplissait ses augustes fonctions. Paulin demande quel est ce prince; un serviteur qui l'entend le lui dit, mais le prlat en apprenant que c'est Charles, le premier n du roi, garde le silence, et celui-ci poursuit sa route. Quelque temps aprs parat le hros Ppin suivi d'une foule de vaillants jeunes hommes; Paulin interroge avec empressement le mme serviteur, et celui-ci rpond de mme avec vrit. Le prlat, ds qu'il entend le nom du prince, se rappelle qu'il est son roi, incline sur-le-champ la tte, et Ppin sort bientt. Enfin Louis arrive le dernier, embrasse l'autel, se prosterne terre en suppliant, fond en larmes, et prie longtemps le Christ qui rgne dans les cieux de lui accorder sa secourable protection. Le saint vque, cette vue, se lve de son sige saisi d'un divin dsir d'adresser de pieuses paroles ce prince, vritable oint du Seigneur. Auparavant, au contraire, lorsque Ppin et Charles s'taient loigns, il tait rest sur son sige et n'avait pas prononc un seul mot. Le jeune Louis se prosterne avec respect aux pieds du pontife; Paulin relve ce pieux roi, lui cite des passages de psaumes pleins de diverses allusions prophtiques, et lui dit: En rcompense de votre pit, allez trouver le grand Charles. Adieu. Ds que l'homme de Dieu put arriver jusqu' l'oreille de Charles, il lui raconta toutes ces choses comme elles s'taient passes, ajoutant: Si Dieu veut qu'un prince de ton sang rgne sur les Francs, c'est Louis qui sera digne de s'asseoir sur ton trne. Ces paroles, le prudent Charles les rpta un petit nombre de serviteurs intimes qui avaient su lui plaire et mriter toute sa confiance.

Cependant l'empereur ordonne l'envoy de se rapprocher et lui demande tous les dtails de la victoire de Louis, comptent cette fameuse Barcelone a t subjugue, par quelle heureuse adresse on s'est empar de Zadun, et quels ducs celui-ci a fait succomber dans cette guerre cruelle. Le brave Bigon obit et raconte tous les faits avec une exacte vrit; le pieux empereur rcompense honorablement ses paroles et, plein de joie, lui tend la coupe dans laquelle il buvait alors par hasard. Bigon la saisit et avale tout d'un trait le vin qui la remplit. Csar congdie bientt ce zl serviteur, le comble de dons et d'honneurs, et lui remet de riches prsents pour son illustre fils, joyeux et charg de louanges et de bienfaits, Bigon se rend en toute hte auprs de son matre. Puisses-tu de mme, redoutable Csar, qui du haut de ton trne lances la foudre, permettre qu'un malheureux exil retourne joyeux dans le royaume du puissant Ppin ! Et toi, mon premier chant, finis par ce mot de joie, afin de t'accorder en tout avec tes trois frres!

CHANT SECOND.

Les Francs, grces la bont de Dieu, jouissaient de la paix sur tous les points de leur empire ; le Seigneur et leur pe avaient partout terrass leurs ennemis. Charles, cet empereur si respect de l'univers, accabl dj par la vieillesse, convoque dans son palais une nouvelle assemble. Assis sur un trne d'or autour duquel sont placs les premiers d'entre les comtes, il s'exprime en ces termes:

Grands que nous avons nourris et enrichis de nos bienfaits, coutez: nous vous dirons des choses vraies et suffisamment reconnues. Tant que chez nous la vigueur des forces de la jeunesse a second le courage, les armes et les fatigues violentes ont t nos jeux. Jamais alors, nous nous en glorifions, nous n'avons souffert, par une lche mollesse et une honteuse frayeur, qu'aucune nation ennemie insultt impunment les frontires des Francs. Mais dj notre sang se refroidit; la cruelle vieillesse nous engourdit, et l'ge a blanchi la chevelure qui flotte sur notre cou. Ce bras guerrier autrefois si renomm dans tout l'univers, mais o ne coule plus qu'un sang glac, tremble maintenant et peut peine se soutenir. Deux fils ns de nous ont t successivement enlevs de cette terre et reposent, hlas! dans le tombeau. Mais du moins il nous est rest celui qui depuis longtemps a toujours paru plus agrable au Seigneur; et le Christ ne vous a point abandonns, Francs ! puisqu'il vous a conserv ce prcieux rejeton de notre race! Toujours cet illustre enfant s'est plu obir nos ordres et proclamer hautement notre pouvoir; toujours, dans son amour pour Dieu, il a su rendre aux glises leurs droits; toujours il a sagement rgi les Etats que nous lui avons conte fis. Vous l'avez vu, il vient de nous envoyer un roi prisonnier, des armes, des captifs et de magnifiques trophes, tous dons conquis par la destruction des Maures. Que devons-nous donc faire ? Francs, dites votre avis avec un cur sincre, et nous nous empresserons de le suivre.

Alors ginhard, homme aim de Charles, renomm par la sagacit de son esprit et la bont de son cur, tombe aux pieds du monarque, baise ses pas illustres, et, savant dans l'art d'ouvrir de sages conseils, prend le premier la parole. Csar, dit-il, toi dont la gloire remplit la terre et les mers, et s'est leve jusqu'au ciel ! toi qui les tiens doivent de jouir du titre d'empereur! il ne nous appartient pas de rien ajouter la sagesse de tes propres desseins et en former de meilleurs est ce que le Christ n'a a daign accorder aucun mortel. Obis, je t'y engage, aux penses que Dieu dans sa misricorde inspire ton cur, et empresse-toi de les raliser. Grand prince, il te reste un fils, un fils bien cher ton cur, et que ses vertus rendent digne de succder tes vastes tats ! Tous, grands et petits, nous demandons qu'il en soit ainsi; l'Eglise le sollicite aussi, et le Christ lui-mme se montre favorable ce projet. Ce fils saura, sois-en sr, lorsque ta mort viendra nous affliger, maintenir par les armes et le talent les droits de ton empire.

Csar, plein de joie, approuve ce discours, prie humblement le Christ, et envoie son fils l'ordre de se rendre en toute hte auprs de lui. Alors, en effet, comme je l'ai dit plus haut, le clment Louis rgnait sur les Aquitains. Mais pourquoi tarder davantage le raconter ? Ce jeune roi arrive sans perdre un instant la cour de son pre, et dans Aix-la-Chapelle, clercs, peuple, grands, et surtout lauteur de ses jours, se livrent la joie. Charles alors rapporte mot pour mot cet enfant bien aim tout ce qui s'est pass, et lui parle en ces termes: Viens, fils si cher Dieu, ton pre et tout ce peuple soumis. Toi que le Seigneur a daign me conserver pour la consolation de ma vie, tu vois, mon ge s'avance rapidement; ma vieillesse va bientt succomber, et pour moi le temps de la mort s'approche grands pas. Les soins de l'empire que Dieu a daign me confier, quelque indigne que j'en fusse, occupent le premier rang dans mes penses. Ce n'est, crois-moi, ni la prvention ni la lgret ordinaire l'esprit humain, mais le seul amour de la vrit, qui dicte les paroles que je t'adresse. Le pays des Francs m'a vu natre, le Christ m'a combl d'honneurs, le Christ a permis que je possdasse les tats de mon pre. Je les ai conservs et rendus plus puissants; je me suis montr le pasteur et le dfenseur du troupeau du Christ; le premier des Francs j'ai obtenu le nom d'empereur, et transport aux Francs ce titre des enfants de Romulus. Il dit, et place sur la tte de son fils la couronne enrichie d'or et de pierres prcieuses, signes de l'autorit impriale. Mon fils, poursuit-il, reois ma couronne; c'est le Christ qui te la donne, et prends aussi, cher enfant, les honorables insignes de l'empire. Puisse le Dieu qui dans sa bont t'a permis d'arriver au faite des honneurs, t'accorder de russir toujours lui plaire !

Alors le pre et le fils, galement satisfaits de ce don clatant, reurent avec pit la divine nourriture du Seigneur.

O jour heureux et jamais clbre dans les sicles! Terre des Francs, tu possdas deux empereurs ! France, applaudis ! Et toi, magnifique Rome, applaudis aussi ! Tous les autres royaumes contemplent cet empire. Le sage Charles recommande longuement son fils d'aimer le Christ et d'honorer l'Eglise, le presse de ses bras, le couvre de baisers, lui permet de retourner dans ses propres tats, et lui dit le dernier adieu.

Peu de temps aprs, accabl par les ans et la vieillesse, Csar va rejoindre dans la tombe ses antiques aeux. On lui fait des funrailles dignes de son rang, et ses restes sont dposs dans la basilique que lui-mme a fait construire Aix-la-Chapelle. On envoie cependant un exprs annoncer au fils la mort de son pre. C'est le rapide Rampon qui part charg de cette mission ; il vole jour et nuit, traverse d'immenses pays et parvient enfin au chteau o habitait le jeune monarque.

Au-del du fleuve de la Loire est un lieu fertile et commode; entoure d'un ct pur des forts, de l'autre par des plaines, il est travers par les oncles paisibles du fleuve qui le vivifient; les poissons s'y plaisent, et il abonde en btes fauves. C'est l que le triomphant Louis a lev un magnifique palais. Demandes-tu quel il est, cher lecteur? son nom est Thedwat. L gouvernant avec pit les clercs et le peuple, Csar dispensait ses sages lois ses sujets soumis. Tout coup Rampon pntre dans ce lieu et jette le trouble dans toute la cour par la nouvelle de la triste mort du pieux Charles. Ds que le bruit en parvient aux oreilles du bon roi, il s'afflige, pleure et gmit sur son pre. Bigon accourt au milieu des officiers qui attendent les ordres du monarque; accoutum voir son matre avant tous les autres, il l'exhorte scher ses yeux et cesser ses pleurs. D'autres soins, dit-il, doivent maintenant t'occuper. Prince, tu le sais dans le fond de ton cur, le sort de ton pre est celui qui attend tout le genre humain; tous, il n'est que trop vrai, nous irons notre tour vers ces lieux d'o nul ne peut cependant revenir. Lve-toi, htons-nous de nous rendre tous dans la basilique; il est temps d'adresser Dieu nos vux et nos chants religieux. A la voix de ce fidle serviteur, Louis se lve et engage tous les siens venir avec lui offrir des prires au Seigneur. Cette nuit entire fut consacre au chant des psaumes et des hymnes, et le jour suivant se passa dans la clbration de messes solennelles.

Dj le ciel brillant voit se lever la troisime aurore, et le soleil remplit l'univers de l'clat de ses rayons, de tous les coins du royaume accourt la foule empresse des Francs; le peuple, ivre de joie, se prcipite tout entier au-devant de son roi; les grands de la cour de Charles, les premiers de l'tat et la cohorte amie des prtres viennent tous en grande hte; les chemins sont encombrs; les portiques des palais regorgent: on ne veut point tre renferm par le toit, on monte sur le fate des maisons: ni le fleuve, ni la sombre horreur des forts, ni les glaces de l'hiver, ni les torrents de pluie n'arrtent les plus timides; celui qui n'a pu trouver de bateau s'efforce, dans son impatience, d'tre le premier traverser la Loire la nage. Quelle immense multitude n'et-on pas vue, du haut d'une roche leve, s'lancer dans le fleuve faute de btiments pour la transporter ! Les habitants d'Orlans sourient aux efforts des nageurs, et du sommet de la tour la foule appelle de ses vux le bord dsir. Un mme amour enflamme tous les curs, et tous n'ont qu'un mme dsir, c'est de parvenir voir le visage de leur prince. Tous arrivent enfin; le pieux monarque les accueille tous aussi avec bienveillance, et chacun selon son rang. Csar entre bientt en triomphateur dans les murs d'Orlans, l brille l'tendard de la croix ; l reposent vos reliques, saint Aignan, l vous brillez d'un clat sacr, bienheureux Tiburce, qui le premier avez lev la fameuse cathdrale de cette ville; et vous, saint Maximin et saint Avite, si renomms par votre saintet. De l Louis hte sa marche vers les murs de Paris, o le martyr Etienne occupe le temple le plus lev; o, trs saint Germain, on honore tes prcieux restes; o brille Genevive, cette vierge consacre Dieu. Applaudis avec joie, Irmin, voici ce que tu as si souvent demand qui te ft accord; tu vas voir l'arrive de Csar, celui qui tonne au haut des cieux le permet; et toi, martyr Denis, ce prince n'a point pass devant ton temple sans y entrer pour solliciter de toi-mme ta secourable intervention! De l on prend le chemin direct, on traverse les tats des Francs, et le roi, aprs une route heureuse, entre dans Aix-la-Chapelle.

Muse, courage; c'est ici qu'il faut fatiguer Dieu des plus humbles prires pour qu'il nous accorde le don de l'loquence. Par o commencerai-je ? Chacune des choses qu'a faites ce hros a droit d'occuper le premier rang, et ses actions, pleines de bont, jettent toutes un grand clat. Aprs avoir enfin, par de sages mesures, pourvu la sret des frontires du royaume, et tout rgl jusqu'aux bornes de l'empire, le libral empereur se hte de dispenser les trsors amasss par ses aeux pour racheter les fautes de son pre et obtenir le repos de son me. Tout ce que le courage de ses anctres et Charles avaient entass, lui-mme il le distribue aux pauvres et aux glises. Il donne les vases d'or, les vtements et les nombreux manteaux, il rpand avec profusion d'innombrables talents de l'argent le plus pur; il sme des richesses de toute nature et des armes dont on ne saurait dire le nombre, et vous prodigue, infortuns, les dons qui vous sont rservs. Heureux Charles qui a laiss dans ce monde un fils soigneux d'aplanir son pre le chemin du ciel ! Sa pit ordonne d'ouvrir les antres des prisons, brise les fers des malheureux qu'on y a jets et rappelle les exils. Tout ce qu'il fait tient du merveilleux, tout devrait tre consign dans des chants dignes de mmoire: aussi sa renomme s'lve-t-elle aujourd'hui au dessus des astres.

Louis, sans perdre un instant, envoie dans tout l'univers des commissaires, tous hommes choisis, d'une vie probe, d'une fidlit prouve et que ne puissent faire flchir devant leurs devoirs ni les parents, ni les perfides caresses, ni la faveur et l'ingnieuse et corruptrice sduction du puissant. Ils ont ordre de parcourir rapidement les vastes tats des Francs, de rendre justice tous, de rformer les jugements iniques, et de dlivrer ceux que, sous le rgne de sort pre, l'argent ou la fraude avait accabls d'une dure servitude. Combien d'hommes et quels hommes victimes de droits cruels, de lois corrompues par l'or, et du pouvoir des richesses, ce grand monarque, par amour pour l'auteur de ses jours, arrache au malheur et rend l'honneur de jouir de la libert! Lui-mme leur accorde et confirme de sa propre main des chartes qui leur assurent toujours le paisible usage de leurs droits. Lorsque votre pre, me des combats, conqurait des royaumes par la force de ses armes, et donnait ses soins assidus la guerre, cette funeste oppression avait t sans cesse croissante de tous cts pendant un grand nombre d'annes ; et vous, Louis, peine sur le trne, vous avez enfin et sur-le-champ coup le mal dans sa racine.

Quels criminels efforts du dmon ce prince n'a-t-il pas encore djous dans toute la terre ! de combien de dons aussi n'a-t-il pas combl les adorateurs du Christ! Ces bienfaits, l'univers les clbre par des chants de triomphe ; partout la gloire en retentit, et le peuple les publie mieux que ne saurait le faire l'art des vers.

Ce hros dont la science remplit le monde de son clat toujours grandissant, ordonne, arme et nourrit l'empire confi ses mains. Vers ce temps, il invite quitter le palais de Rome et venir vers lui ce pre des Chrtiens auquel notre heureux sicle a donn le nom d'Etienne; le saint pontife obit par amour, se rend ses ordres redoutables avec plaisir, et s'empresse de visiter le royaume des Francs. De la ville de Reims o il avait prescrit d'avance tous les grands de se runir, l'empereur, plein d'une sainte joie, voit s'approcher le vicaire de Jsus-Christ. Des dputs courent en foule de toutes parts au devant de lui par l'ordre de Csar, et portent ses plus tendres vux au ministre du Seigneur. Bientt un messager qui devance le pontife romain accourt annoncer qu'il arrive et presse sa marche; Louis alors dispose, arrange, prpare et place lui-mme les clercs, le peuple et les grands; lui-mme rgle quelles personnes se tiendront sa droite ou occuperont sa gauche, et qui doit le prcder ou le suivre. Une foule de prtres marche droite sur une longue file et contemple pieusement son chef en chantant des psaumes ; de l'autre ct s'avancent l'lite des grands et les premiers de l'tat ; le peuple suit au dernier rang et ferme le cortge. Au milieu Csar resplendissant d'or et de pierreries se fait remarquer par ses vtements, et brille bien plus encore par sa pit. Le monarque et le pontife viennent de deux cts opposs l'un au devant de l'autre; celui-ci est puissant par sa dignit, celui-l est fort par sa bont. A peine ont-ils fix leurs regards l'un sur l'autre, que tous deux se prcipitent au devant de pieux embrassements. Le sage roi cependant flchit d'abord le genou et se prosterne trois et quatre fois aux pieds du pontife en l'honneur de Dieu et de saint Pierre. Etienne accueille le monarque avec humilit, et le relve de ses mains sacres, L'empereur et le pontife se baisent alors rciproquement sur les yeux, la bouche, la tte, la poitrine et le cou; alors aussi Etienne et Louis se tenant par la main et les doigts entrelacs s'acheminent vers les clatants difices de Reims. Ils entrent d'abord dans la basilique, adressent leurs prires au matre de la foudre et lui expriment, dans des chants religieux, leurs actions de grces et leurs hommages. Bientt aprs tous deux montent au palais o les attend un festin magnifique ; ils prennent place, et les serviteurs font couler l'eau sur leurs mains. Tous deux font honneur un repas digne d'eux, savourent les dons de Bacchus, et leurs bouches changent ces pieux discours: Saint pontife, dit Csar, pasteur du troupeau romain, vous qui, par succession apostolique, nourrissez de la parole divine les brebis de saint Pierre, quel motif a pu vous dterminer venir dans le pays des Francs: Rpondez, je vous en conjure. Le doux vque rplique avec tout le calme de l'me et en caressant toujours le roi de ses regards: La cause qui autrefois fit braver une reine du midi, par le seul dsir de voir un sage, les dangers d'un voyage travers des peuples divers, les neiges et les mers, est celle qui m'a conduit, Csar, dans les tats d'un prince qui m'offre ici des festins dignes de la magnificence de Salomon. Depuis longtemps, illustre monarque, la renomme m'a appris quels secours paternels vous prodiguez au peuple de Dieu, de quelle splendeur vos doctrines frappent le monde, et combien vous surpassez vos aeux par vos lumires et votre foi. Aucun obstacle ds lors n'a t assez fort pour briser ma ferme volont de venir admirer de mes propres yeux vos actions; aucun discours n'et pu me redire sur vous tout ce que m'apprennent mes propres regards, tmoins de votre bont. Je ne saurais donc que vous rpter les paroles que cette grande reine fit retentir aux oreilles de Salomon quand elle vit le roi, ses serviteurs, la richesse de ses vtements, ses chansons et ses divers palais. Heureux les serviteurs et les esclaves qui vous entourent et peuvent contempler sans cesse vos illustres actions ! heureux mille fois le peuple dont l'oreille peut recueillir vos instructions ! heureux les royaumes qui sont sous vos lois ! Que tout votre amour honore constamment le trs Haut, dont la bont paternelle vous a dispens tant de sagesse, et qui, matre d'accorder qui il lui plat l'avantage de succder au trne de ses aeux, a aim assez son peuple pour vous tablir sur lui. Voil ce que disait la reine de Saba au puissant Salomon, et ce que moi, humble mortel, j'ose vous adresser. Et cependant vous tes plus grand et plus puissant! Salomon ne connut que J'ombre de la vrit; c'est la vrit mme que vous honorez de votre culte. Il fut trs sage, sans doute; mais il cda trop aux douceurs de l'amour. Egalement sage, vous ne vivez que pour le chaste amour du Seigneur. Il ne rgna seulement que sur le petit peuple d'Isral, et vous, pieux monarque, vous tendez votre empire sur tous les royaumes de l'Europe. Pressons donc tous Dieu de nos ferventes prires pour qu'il vous conserve ses enfants pendant de longues annes.

Ces discours et beaucoup d'autres encore sont ceux que le saint prtre adresse l'illustre roi, et que Csar son tour fait entendre au pontife. Cependant les coupes circulent abondamment; Bacchus meut des curs tout disposs s'pancher, et le peuple pousse des cris unanimes de joie. Le repas termin, Csar et Etienne se lvent, quittent la table et se retirent dans l'intrieur du palais. Cette nuit, tous deux la passent comme il fallait s'y attendre, dans des soins et des mditations divers; le sommeil fuit des yeux de tous deux.

A peine le jour parat que l'empereur appelle auprs de lui Etienne, les grands et ceux qui forment son conseil; tous s'empressent de se rendre aux ordres du roi. Louis, couvert de ses vtements impriaux, se place sur un trne lev, roulant dans son esprit une foule de penses qu'il se dispose dvelopper; ses cts, sur un sige d'or, il reoit le pontife et semble l'associer au monarque qui le chrit, les grands s'asseyent chacun suivant son rang. Alors le pieux Csar, prenant le premier la parole, adresse au pape et ses fidles serviteurs ces admirables paroles:

coutez grands, et vous trs saint chef des prtres; Dieu tout-puissant a daign permettre dans sa misricorde que j'hritasse des tats et du haut rang de mon pre; ce n'est pas, je le sens, en raison de mes mrites, mais pour ceux de l'auteur de mes jours que le Christ, plein de bont, m'a accord de jouir de tant d'honneurs. Je vous supplie donc, vous mes fidles, et vous illustre pontife, de me prter, comme cela est juste, le secours de vos conseils. Mais vous, serviteurs qui veillez avec moi la conservation de cet empire, et vous bienheureux prlat, que ce secours soit tel que le clerc et l'homme de la dernire condition, le pauvre comme le plus riche, puissent, l'ombre de mon sceptre jouir galement des droits que leur ont transmis leurs pres; que la sainte rgle donne par les Pres de l'Eglise force le clerc ne pas s'carter de la bonne voie ; que les lois vnrables de nos critures maintiennent le peuple dans une douce union, et que lordre des moines, fidle aux prceptes de Benot, fleurisse chaque jour davantage, et se rende digne, par ses murs et la puret de sa vie, de participer aux festins des saints; que le riche excute la loi, que le pauvre lui soit soumis, et qu'il ne soit fait en rien acception des personnes; que les mauvaises uvres cessent de se racheter avec l'or et de prvaloir, et que les prsents corrupteurs soient repousss bien loin. Si toi et moi, bien aim pasteur, nous gouvernons avec justice le riche troupeau que le Seigneur a confi nos soins, si nous punissons les mdians, rcompensons les bons et faisons que les peuples suivent les lois de nos pres; alors la misricorde du trs Haut accordera, tant nous qu' ce peuple qui nous imitera, de jouir du bienheureux royaume des cieux, et sur cette terre elle nous conservera nos honneurs et dissipera au loin nos cruels ennemis. Soyons l'exemple des clercs et les guides des hommes mme des derniers rangs, et que chacun des deux pouvoirs suprmes enseigne aux siens la justice. Isral, ce peuple choisi par Dieu dans son amour, qui le Seigneur fraya un chemin sec travers les flots de la mer, pour qui pendant tant d'annes il fit pleuvoir dans le dsert la manne nourrissante, et jaillir l'eau de la roche amollie, dont il fut lui-mme larmure, le glaive, le bouclier et le conducteur, et qu'il fit entrer triomphant dans la terre promise, ce peuple, tant qu'il conserva les prceptes que Dieu lui avait donns, qu'il respecta la justice, montra de la sagesse, chrit d'un pieux amour ce mme Dieu, suivit ses ordres sacrs et rejeta ceux des dieux trangers, vit le Seigneur, par sa puissance divine, abattre devant lui les nations ennemies, lui accorder a toutes choses prospres, et repousser loin de lui l'adversit. Quel et t son bonheur si toujours il ft demeur fidle aux commandements de Dieu ! Il et rgn triomphant et toute ternit ! Mais ds qu'une fois il se laissa entraner l'imprudente soif des richesses, il abandonna les voies de la justice et de toute honntet, dserta le vrai Dieu, et adora bientt de vaines idoles. Aussi souffrit-il alors justement tant de maux qui l'affligrent. Mais le pre du monde qui habite les cieux, en envoyant sur son peuple des plaies et des flaux divers, le corrigea, l'instruisit et lui rendit ses anciens droits. Aussitt qu'Isral, accabl par le malheur, manifestait la volont de se souvenir du Seigneur, le compatissant distributeur de tous biens recevait son peuple en grce. Cette nation side connaissait le vrai Dieu, l'adorait et obissait le plus souvent aux ordres du trs Haut. Le reste de la foule des hommes suivait les commandements de Satan, ignorait son crateur et ne prtait l'oreille qu'aux inspirations du dmon. O douleur ! l'esprit de tnbres rgnait sur les trois quarts de l'univers, et y tenait le genre humain sous son sceptre ; prtres, rois, tous ngligeaient les lois solennelles du Seigneur et les saints sacrifices. Alors notre misricordieux crateur s'affligea sur nous, et envoya sur la terre le Verbe du salut dont la pieuse bont devait nous tirer de l'abme. Touch de nos maux, le Fils de Dieu lava de son propre sang les pchs du monde, lui donna d'admirables prceptes, brisa, par sa divinit toute-puissante, les portes de l'enfer, lui ravit ses lus et fit la guerre aux dmons. S'levant ensuite dans les rgions suprieures de l'air, il monta victorieux jusqu'au plus haut des cieux, et nous accorda la flicit de porter le titre d'adorateurs du Christ. Quiconque veut aujourd'hui jouir du nom de Chrtien doit donc s'efforcer de suivre la route par laquelle son matre s'est lev au ciel. Je le sais, grce la bont de Dieu, les Chrtiens remplissent aujourd'hui le monde, et partout rgne la foi de l'glise, maintenant le nom du Christ retentit dans tout l'univers, et ce n'est plus le temps o il fallait que les serviteurs de Dieu courussent la mort pour rendre tmoignage son nom; la tourbe des infidles qui rejette les prceptes du Seigneur fuit au loin disperse par la lance du Chrtien, ces Pres de l'Eglise et nos anctres, victimes autrefois d'une mort cruelle, brillent prsent dans la cour du trs Haut. Mais si nous n'avons plus les imiter dans leur mort, efforons-nous au moins de mriter, par la puret du cur, la justice et la foi, de partager leur triomphe; que, suivant le prcepte de Jean, chacun aime le frre qui est sous ses yeux, et se rende ainsi digne de voir en esprit le Christ; c'est lui qui dit Pierre; Simon, m'aimes-tu ou non ? Pierre lui rpondit par trois fois: Seigneur, tu sais combien je t'aime. Si, rpondit le Christ, tu m'aimes en effet, Pierre, je te le recommande, conduis mes brebis avec amour. Pontife, c'est donc nous de veiller sur ce peuple soumis dont le Seigneur nous a confi la conduite. Nous sommes, toi, le saint prtre, et moi le roi des serviteurs du Christ. Travaillons leur salut avec le secours de la loi, de la foi et des saintes instructions.

Csar ajouta ensuite ce peu de paroles que recueillit la pieuse oreille du saint pontife:

Vous qui rgissez le domaine de Pierre, et avez t choisi pour gouverner son troupeau, dites si vous jouissez pleinement de tous vos droits; s'il en tait autrement, je vous en conjure, parlez librement sur tous les points ; ce que vous demanderez, je le ferai volontiers, Les miens se sont toujours montrs les appuis de la dignit de Pierre, et, dans mon amour pour Dieu, illustre prlat, je saurai la protger aussi.

Alors le monarque appelle Hlisachar, son serviteur bien aim, et lui adresse ces ordres pieux: Ecoute et cours dresser des chartes o tu inscriras ce que je vais dire pour que cela demeure, car telle est ma volont ferme et fixe toujours. Nous entendons que dans tous les royaumes que, par la grce de Dieu, rgit notre sceptre, et dans toute l'tendue de l'empire, les droits de l'glise de Pierre et de son sige, qui ne doit jamais prir, conservent toute leur force, et que nul n'ose y porter atteinte. Cette glise, si grande par le zle de ses pasteurs, a, ds les premiers temps, tenu le rang le plus lev dans la chrtient; nous voulons qu'elle continue de l'occuper. Les honneurs de Pierre se sont accrus sous le rgne de notre pre Charles, qu'ils s'accroissent encore sous le ntre. Mais, pontife, c'est, nous le rptons, la condition que celui qui est assis sur le trne de Pierre se montrera fidle aux lois de la justice. Voil, saint prlat, pour quel motif nous vous avons press de vous rendre auprs de nous. C'est vous, maintenant, bienheureux vque, nous assister puissamment dans cette tche.

Le pontife alors levant les yeux et les mains au ciel, prie et adresse Dieu ces touchantes paroles:

Dieu qui tonnes du haut des cieux et as cr tous les empires, Jsus-Christ son fils, et toi Esprit saint, toi Pierre, illustre dpositaire des cls du ciel, qui enveloppes les fidles dans tes filets et les conduis aux royaumes d'en haut ; et vous habitants des cieux dont Rome conserve les saintes reliques, et qui elle rend, avec un zle continu, de pieux devoirs, je vous en conjure, conservez pendant de longues annes ce monarque pour le bonheur de son peuple, la gloire de ses tats et de l'glise ! Il surpasse ses anctres en science, en valeur et en foi; il veille tout ensemble aux besoins de l'glise et aux soins de son empire; il comble d'honneurs le sige de Saint-Pierre et se montre en mmo temps le pre et le pontife, le nourricier et le dfenseur des siens.A peine a-t-il achev que, ravi du respect dont on l'honore et des dons faits Saint-Pierre, il se prcipite dans les bras du bienveillant empereur et lui prodigue de tendres embrassements, ce pieux pontife ordonne ensuite tous, par un signe, dfaire silence, reprend la parole, et, de sa bouche sacre, fait entendre ces mots pleins de bont:

Csar, Rome t'envoie les prsents de Saint-Pierre; ils sont dignes de toi comme tu es digne d'eux, et c'est un honneur qui t'est d.

Il enjoint alors d'apporter la couronne d'or et de pierres prcieuses qui ceignit autrefois le front de l'empereur Constantin; il la prend dans ses mains, prononce sur elle des paroles de bndiction, et prie en levant vers le ciel et ses yeux et le riche diadme:

O toi, scrie-t-il, qui tiens le sceptre de la terre et gouvernes ce monde, toi qui as voulu que Rome ft la reine de l'univers, Christ! je t'en supplie, a entends ma voix et prte mes prires une oreille favorable ! Saint roi des rois, je t'en conjure, exauce mes vux, et qu'Andr, Pierre, Paul, Jean et Marie, illustre mre d'un Dieu de bont, les secondent; conserve longtemps Louis, ce sage empereur; que toutes les misres de cette vie fuient loin de lui; que tout lui soit prospre; carte l'infortune de ses pas, et qu'il soit heureux et puissant pendant de longues annes.

Il dit, s'empresse de se tourner vers l'empereur, lui impose ses mains sacres sur la tte, et ajoute: Que le trs Haut, qui a fcond la race d'Abraham, l'accorde de voir des enfants qui t'appellent du doux nom d'aeul; qu'il te donne une longue suite de descendants; qu'il en double et triple le nombre, afin que de ton sang s'lvent d'illustres rejetons qui rgnent sur les Francs et sur la puissante Rome aussi longtemps que le nom chrtien subsistera dans l'univers. Le pontife alors rpand sur Csar l'huile sainte, chante les hymnes adapts la circonstance, et place sur la tte de Louis le brillant diadme, en disant: Pierre se glorifie, prince charitable, de te faire ce prsent, parce que tu lui assures la jouissance de ses justes droits. Le saint vque voit alors l'impratrice Hermengarde, l'pouse et la compagne de Louis; il la relve, la tient par la main, la regarde longtemps, pose aussi la couronne sur son auguste tte, et la bnit en ces termes: Salut, femme aime de Dieu ! que le Seigneur t'accorde vie et sant prospre pendant de longues annes, et puisses-tu toujours tre l'honneur de la couche d'un poux qui te chrit !

Le chef de l'glise distribue ensuite avec profusion de nombreux cadeaux en or et en habits qu'il tient de la munificence de Rome; il en offre l'empereur, l'impratrice, leurs enfants brillants de beaut; et chacun des fidles serviteurs du monarque en reoit son tour et selon son rang.

Le sage Csar paie Etienne un ample tribut de reconnaissance, et donne l'ordre de le combler des plus riches prsents. On y distingue deux coupes brillantes d'or et de pierreries avec lesquelles le saint prtre doit s'abreuver des dons de Bacchus; viennent ensuite de nombreux et magnifiques coursiers tels qu'il en nat d'ordinaire dans le pays des Francs. L ce sont mille objets divers d'or massif; plus loin sont entasss les vases d'argent, les draps du plus beau rouge et les toiles d'une clatante blancheur. Que dirai-je de plus ? Le Romain reoit des dons qui surpassent cent fois ceux que lui-mme apporte de sa cit; tous cependant sont uniquement pour le pontife. Quant ses serviteurs, la pieuse munificence de Csar leur dispense des largesses proportionnes leur rang. Ce sont des manteaux d'toffes de couleur, des vtements propres la taille de chacun et coups d'aprs la mode si parfaite des Francs, et des chevaux de divers poils qui, relevant firement la tte, ne se laissent monter qu'avec peine.

Le prlat et les siens, charms des prsents qu'on leur a prodigus, se prparent bientt, avec la permission de Csar, reprendre la route de Rome. Alors des dputs, tous personnages distingus, ont ordre d'accompagner le saint prtre Etienne pour lui faire honneur, et de le reconduire jusque dans ses tats. Le pieux empereur, non moins satisfait, revient, avec son pouse et ses enfants, dans son palais de Compigne. La mort alors lui enlve le fidle Bigon. Le monarque n'apprend pas sans chagrin le trpas, d'un serviteur qui ne se spara qu' son grand regret d'un matre chri, et Csar, par amour pour le pre, partage entre les enfants et les biens et les honneurs que possdait Bigon.

Bientt cependant le bruit se rpand au loin dans l'univers que le religieux monarque veut rformer tous les abus sous lesquels ses tats gmissent affligs. Louis ordonne en effet que l'lite des clercs et des fidles prouvs, dont la vie lui est bien connue et mrite son auguste suffrage, aillent dans les villes, les monastres et les chteaux, remplir toutes les bienfaisantes volonts que leur dicte ce bon matre. Serviteurs dvous, leur dit-il, qui pouvez vous vanter d'avoir t levs par nous, et qui avez suc les excellents prceptes de Charles notre pre, montrez-vous attentifs nos ordres et gravez religieusement nos paroles dans vos curs. Vous allez avoir remplir une tche difficile, il est vrai, mais qui, si je m'en crois, est utile et digne de zls serviteurs du a Christ. Grce la bont du Tout-Puissant et aux heureux travaux de nos pres, les frontires de notre empire n'ont maintenant aucune insulte redouter; la renomme de la valeur des Francs a repouss loin de nous de froces ennemis, et nous gotons dans la joie les plaisirs d'une douce paix. Mais c'est parce que nous n'avons pas de guerres soutenir que nous croyons le moment favorable pour donner a nos sujets des lois dictes par une sage quit. Nous voulons avant tout rendre l'glise le lustre et la richesse qui ont lev jusqu'au ciel le nom de nos augustes anctres, et c'est un dessein arrt dans notre esprit; bientt nous enverrons dans tout l'univers des dlgus qui gouverneront les peuples d'aprs les rgles de la pit. Quant vous, partez sans perdre un instant; recueillez sur tout d'exacts renseignements, et parcourez scrupuleusement toutes les parties de notre empire, scrutez svrement les murs des chanoines, celles des religieux et des religieuses qui remplissent les saints monastres; recherchez quels sont leur vie, leur respect pour la dcence, leurs doctrines, leur conduite, leur pit et leur zle pour les devoirs de la religion; informez-vous si partout la bonne harmonie rgne entre le pasteur et le troupeau, si les brebis aiment leur berger, et si celui-ci chrit ses ouailles; sachez enfin si les prlats fournissent exactement et dans des lieux convenables, les enclos, les habitations, la boisson, le vtement et la nourriture aux curs, qui ne pourraient s'acquitter comme ils le doivent des fonctions de leur saint ministre, si ces secours ne leur taient assurs avec un soin religieux par leurs vques. Mais en mme temps, examinez bien quelles sont les ressources de chaque glise, si leurs terres sont bonnes ou peu fertiles. Tout ce que vous aurez dcouvert, confiez-le soigneusement votre mmoire; montrez-vous empresss de nous instruire de tout, et dites-nous bien quels ministres du Seigneur vivent dans l'abondance, la mdiocrit ou la gne, et quels manquent de tout, ce que nous souhaitons qui ne soit pas ; apprenez-nous aussi quels sont ceux qui demeurent fidles aux anciennes rgles traces par les saints Pres. Nous ne vous avons indiqu que bien sommairement les objets dont vous avez vous occuper, et c'est vous d'y ajouter et d'tendre vos informations.

Csar ordonne ensuite de faire venir devant lui, pour recevoir ses instructions, des dlgus choisis dans la classe des moines ; il les envoie visiter les saints monastres, et les invite s'assurer si dans tous on mne une pieuse vie.Dans ces temps tait un saint homme appel Benot, bien digne d'un tel nom, et qui, par ses exemples, avait su mettre un grand nombre de gens dans la voie du ciel. Il fut d'abord connu du roi dans les champs de la Gothie, et l'on n'a que peu de choses . dire de la vie qu'il menait alors; depuis il fut ajuste titre prpos comme pasteur et abb la direction du troupeau d'Aniane, et se montra pour ses brebis un doux conducteur. Le cur du pieux monarque brlait d'un ardent dsir de voir l'ordre des moines et leur sainte vie s'tendre chaque jour davantage; Benot seconda ce vu et fut lui-mme la rgle, l'exemple et le matre auxquels les monastres doivent l'avantage d'tre aujourd'hui agrables au Seigneur. Dans les pieuses murs de Benot rgnait une admirable bienveillance; il tait vraiment saint autant qu'il est permis d'en juger un simple mortel. Doux, aim de tous, affectueux, calme et modeste, toujours il portait la rgle religieuse grave dans son cur sacr. Ce n'est pas seulement aux moines, mais tous, qu'il tait utile, et, en toutes choses, il se montrait le pre de tous. Tant de vertus l'avaient rendu cher au pieux empereur. Aussi ce prince s'empressa-t-il de l'emmener avec lui dans le royaume des Francs; aussi encore distribua-t-il les disciples de ce saint homme dans tous les couvents pour servir de modles et de guides aux religieux, rformer tout ce qui pouvait se corriger, et lui transmettre par crit de fidles rapports sur les vices qu'ils ne sauraient draciner.

Cependant le pieux roi et le saint prtre Benot agitaient dans leur esprit des projets agrables au Seigneur. Bientt l'empereur, pouss par son zle religieux, prenant le premier la parole, adresse Benot ces mots pleins de son ordinaire bont: Tu sais, je n'en cloute pas, cher Benot, quelle fut ma bienveillance pour ton ordre, du premier moment o je le connus; aussi dsir-je, dans mon sincre amour pour Dieu, fonder, non loin de mon palais, un temple desservi par trois religieux, et qui soit vraiment ma proprit. Trois motifs ont fait natre cette envie dans mon cur, et je vais te les faire connatre. Tu vois d'abord de quel fardeau pesant la vaste tendue de l'empire surcharge mon esprit; l'immensit des affaires rend en vrit la tache trop rude. Dans ce couvent je pourrais au moins goter quelque repos, et offrir au Seigneur, dans ce secret asile, des prires que rien ne troublerait, et qui lui en seraient plus agrables. Une seconde raison me dtermine; tu l'avoueras, ton sjour dans mon palais contrarie tes propres vux, et tu penses qu'il ne convient pas des religieux d'intervenir dans les affaires civiles et de courir au-devant des fonctions de cour. Ce monastre une fois tabli, tu pourras surveiller les travaux de tes frres et consacrer tes soins pieux aux htes qui visiteront ce saint lieu; puis une fois retremp par la retraite, revenir dans mon palais et t'y montrer, comme l'ordinaire, le protecteur des religieux. Le grand avantage dont sera pour mes sujets et pour moi un tel tablissement auprs d'Aix-la-Chapelle, est la troisime considration qui me frappe. Si en effet la mort venait promptement dtruire la partie terrestre de mon tre, mes restes pourraient tre confis au tombeau dans ce monastre; l aussi ceux qui abjureraient la vie du sicle prendraient sur-le-champ celle des serviteurs du Christ ; et quiconque le souhaiterait y trouverait de salutaires instructions.

A peine le saint religieux a-t-il entendu ces mots qu'il se prcipite aux pieds du monarque qui l'honore de son amiti, loue le Seigneur, clbre la pieuse foi de Csar, et s'crie: De tout temps, magnanime empereur, j'ai souponn ce dsir de ton me. Puisse Dieu, le dispensateur de tout bien, te confirmer dans ce sage projet ! Ce monastre, construit par Louis et Benot, fut appel Inde, et prit le nom de la rivire qui coule devant ses portes. Trois milles seulement le sparent du palais imprial bti dans la ville d'Aix-la-Chapelle, dont la renomme a port le nom si loin. L'endroit o s'lve ce couvent tait autrefois un asile o se plaisaient les cerfs aux longs bois, les buffles et les chevreuils ; mais l'actif Louis en chassa bientt les animaux sauvages, y btit, avec le secours de l'art, un monument agrable au Seigneur, dont lui-mme posa les premiers fondements avec clrit, qu'il combla d'immenses richesses, et o, saint Benot, l'on voit aujourd'hui fleurir ta pieuse rgle. Benot est en effet le suprieur de cette maison, mais Louis en est tout la fois l'empereur et le vritable abb; souvent il la visite, en inspecte le saint troupeau, en rgle les dpenses et lui prodigue ses largesses.

Muse, que ta voix s'arrte ce second chant brle de se runir son an; et toi-mme dois te rjouir du rcit qui le termine.CHANT TROISIEME.

Aide de la protection du Tout-Puissant, la gloire des armes de Csar allait toujours croissant; toutes les nations jouissaient des douceurs d'une paix garantie par la foi, et les soins du grand Louis portaient la renomme des Francs au-del des mers, et llevaient jusqu'aux cieux. Cependant Csar, fidle aux anciennes coutumes, ordonne aux principaux gouverneurs des frontires de ses Etats et l'lite des ducs de se runir autour de lui. Tous, empresss d'obir, accourent au plaid indiqu, et font entendre des discours convenables leur haute dignit.

Parmi eux se distingue le noble Lambert issu de la race des Francs. Pouss par son zle, il arrive en toute hte de la province qu'il commande. C'est lui qu'est confie la garde de ces frontires qu'autrefois une nation ennemie, fendant la mer sur de frles esquifs, envahit par la ruse. Ce peuple, venu des extrmits de l'univers, tait les Brittons, que nous nommons Bretons en langue franque. Manquant de terres, battu par les vents et la tempte, il usurpe des champs, mais offre d'acquitter des tributs au Gaulois, matre de cette contre l'poque o parut cette horde vomie par les flots ennemis. Les Bretons avaient reu l'huile sainte du baptme; c'en fut assez pour qu'on leur permt de s'tendre dans le pays, et de cultiver paisiblement les terres o ils s'taient tablis. Mais peine ont-ils obtenu de jouir des douceurs du repos qu'ils allument d'horribles guerres, se disposent remplir les campagnes de nouveaux soldats, prsentent leurs htes la lance meurtrire pour tout tribut, leur offrent le combat pour tout gage de reconnaissance, et les payent de leur bont par une insultante hauteur.

Le Franc renversait alors de ses armes triomphantes des royaumes dont la soumission lui paraissait entraner une lutte plus pnible: aussi la conqute de cette contre fut-elle ajourne pendant un si grand nombre d'annes que les Bretons, se multipliant chaque jour davantage, couvrirent bientt tout le pays: aussi, encore enfls de trop d'orgueil, ils ne se contentrent plus du sol o ils taient venus mendier un asile, et portrent la dvastation jusque sur les tats des Francs. Malheureuse et aveugle nation! parce qu'elle est faite de misrables combats, elle se flatte de vaincre le Franc imptueux !

Csar cependant, attentif imiter les exemples de ses aeux, interroge Lambert, l'invite lui faire sur tout un exact rapport: Quel culte cette nation rend-elle au Seigneur? Quelle foi professe-t-elle? De quels honneurs jouissent parmi elle les glises du vrai Dieu? Quelles passions animent ce peuple ? Aime-t-il la justice et la paix ? Respecte-t-il la royaut ? Mrite-t-il notre bont? Nos frontires n'ont-elles surtout aucune insulte redouter de sa part? Illustre Franc, dit Louis, je t'en conjure, satisfais compltement toutes ces questions.

Lambert s'incline, embrasse les genoux de l'empereur, et rpond en ces termes que lui dicte son cur fidle: Cette nation trompeuse et superbe s'est montre jusqu'ici rebelle et sans bont. Dans sa perfidie, le Breton ne conserve du chrtien que le nom, les uvres, le culte, la foi, il n'en est point chez lui; les orphelins, les veuves, les glises n'ont rien attendre de sa charit. Chez ce peuple, le frre et la sur vivent dans une infme union; le frre enlve la femme de son frre; tous s'abandonnent l'inceste, et nul ne recule devant aucun crime. Ils habitent les bois, n'ont d'autres retraites que les cavernes, et mettent leur bonheur vivre de rapine comme les btes froces. La justice n'est parmi eux l'objet d'aucun culte, et ils ont repouss loin d'eux toute ide de juste et d'injuste. Murman est leur roi, si cependant on peut appeler roi celui dont la volont ne dcide de rien. Souvent ils ont os se montrer jusque sur nos frontires, mais ils n'ont jamais regagn les leurs sans tre punis de cette tmrit. Ainsi parle Lambert.

Le pacifique et pieux Csar, si clbre par tous les genres de mrite, lui rpond: Le rcit dont tu viens, Lambert, de frapper nos oreilles nous est bien pnible entendre, et nous parat au dessus de toute croyance. Quoi ! une nation errante jouit des terres de notre Empire sans acquitter aucun tribut, et pousse encore l'orgueil jusqu' fatiguer nos peuples par d'injustes guerres! A moins que la mer qui apporta ces hommes ne leur offre un refuge, c'est par les armes qu'il faut chtier leur crime; l'honneur et la justice le commandent. Mais avant tout qu'un envoy se rende en notre nom auprs de leur roi, et lui porte nos propres paroles. Ce roi a reu les saintes eaux du baptme, et c'est assez pour que nous croyions devoir l'avertir, par cette dmarche, du sort qui le menace.

L'empereur alors appelle Witchaire, homme probe, habile et d'une sagesse prouve, que le hasard avait amen l'assemble. Cours, Witchaire, dit Louis, porte au tyran de ce peuple nos ordres souverains ; rpte-les-lui dans les termes o nous allons te les dire et confier; dis-lui bien que l'effet suivra de prs la menace. Lui et les siens cultivent dans notre Empire de vastes terres o la mer les a jets comme de misrables exils condamns une vie errante. Cependant il nous refuse un juste tribut, veut en venir des combats, insulte les Francs, et porte contre eux ses armes. Depuis que, par la bont de Dieu et sur la demande de toute la nation, nous sommes mont sur le trne de notre pre et avons ceint la couronne impriale, nous avons support la conduite de ce roi, attendant toujours qu'il se montrt fidle, et vnt lui-mme solliciter nos lois. Mais depuis trop longtemps dj cet esprit perfide balance remplir son devoir, et, pour comble de tort, le voil qui prend les armes, et nous suscite des guerres criminelles. Il est temps, il est plus que temps que ce malheureux cesse d'abuser et les siens et lui-mme; qu'il se hte de venir humblement demander la paix aux Francs. S'il s'y refuse, vole, et reviens nous l'aire un rapport fidle et dtaill. Ainsi parle le pieux Csar.

Witchaire s'lance sur son cheval, et court excuter les ordres si sages de son matre. Ni ce roi des Bretons, ni le lieu o il a fix sa demeure ne lui sont inconnus ; prs de ses frontires mme Witchaire possdait une abbaye et des richesses vraiment royales qu'il tenait de la munificence de l'empereur. Non loin est un endroit qu'entourent d'un ct des forts, de l'autre un fleuve tranquille, et que dfendent des haies, des ravins et un vaste marais, au milieu est une riche habitation. De toutes parts les Bretons y accouraient en armes, et peut-tre alors tait-elle remplie de nombreux soldats. Ce lieu, Murman le prfrait tout autre, et y trouvait tout ce qui pouvait lui garantir un repos assur. Second par la fortune, l'agile Witchaire y arrive prcipitamment, et demande tre admis parler au roi.

Murman n'a pas plutt appris qu'un envoy du puissant Louis se prsente, que son audace l'abandonne. Cependant il veut connatre la cause d'un vnement si extraordinaire. Tous ses traits feignent l'esprance ; il dissimule sa terreur, affecte la joie, commande ceux qui l'accompagnent de se montrer gais, et ordonne enfin d'introduire Witchaire.

Salut, Murman, dit celui-ci; je t'apporte aussi le salut du pieux et pacifique, mais vaillant Csar.

Murman l'accueille bien, l'embrasse comme le veut l'usage, et lui rpond sur Je mme ton: Salut aussi toi Witchaire, puisse, je le dsire, le pacifique Auguste jouir constamment de la sant et de la vie, et gouverner son Empire pendant de longues annes !

Tous deux s'asseyent, et font loigner tous ceux qui les entourent. Alors commence entre eux un important entretien que chacun soutient de son ct. Witchaire prend la parole le premier pour dvelopper l'objet de sa mission, et Murman l'coute; mais la sincrit ne dirige ni son oreille ni son cur. L'empereur Louis, dit Witchaire, que l'univers proclame la gloire des Francs, l'honneur du nom chrtien, sans gal dans l'amour de la paix et la foi sa parole, sans rival non plus dans la guerre, le premier des princes par sa science et sa pit, m'envoie vers toi, Murman. Toi et les tiens vous cultivez dans son Empire de vastes terres o la mer vous a jets comme de misrables exils condamns une vie errante. Cependant tu lui refuses un juste tribut; tu veux en venir des combats; tu insultes les Francs, et prpares tes armes contre eux. Il est temps, plus que temps, infortun, que tu cesses d'abuser toi et les tiens; hte-toi donc de venir demander la paix. Je t'ai rpt les propres paroles de Csar ; j'en ajouterai quelques-unes, Murman, mais qui viennent de moi seul, et me sont dictes par mon attachement pour toi. Si tu excutes sans tarder, et sans que rien t'y contraigne, les ordres de mon prince, comme lui-mme t'y invite dans sa bont, si tu dsires conserver avec les Francs une paix ternelle, comme le rclament et le commandent mme ton propre intrt et celui des tiens, pars l'heure mme, cours recevoir les lois du pieux monarque, et acte quitte envers lui des tributs que tu dois lui seul et sur lesquels tu n'as aucun droit. Songe, je t'en conjure, ta patrie, tout ton peuple, songe tes enfants et la femme qui partage ton lit; pense surtout qu