22
essai Lilian Pestre de Almeida Aimé Césaire Une saison en Haïti Extrait de la publication

essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

essai

Lilian Pestre de Almeida

Aimé CésaireUne saison en Haïti

ISBN 978-2-923713-14-4

Aimé CésaireUne saison en Haïti

Extrait de la publication

Page 2: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 2 2010-02-08 16:21:07

Extrait de la publication

Page 3: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé CésaireUne saison en Haïti

Lilian Pestre de Almeida

Collection Essai

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 3 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 4: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Mise en page : Virginie TurcotteIllustration et maquette de couverture : Étienne BienvenuDépôt légal : 1e trimestre 2010© Éditions Mémoire d’encrier, 2010

Mémoire d’encrier 1260, rue Bélanger, bureau 201 Montréal, Québec, H2S 1H9 Tél. : (514) 989-1491 Télec. : (514) 928-9217 [email protected] www.memoiredencrier.com

Réalisation du fichier PDF : Éditions Prise de parole

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives CanadaAlmeida, Lilian Pestre de

Aimé Césaire : une saison en Haïti(Collection Essai)ISBN 978-2-923713-14-4 (Papier)

ISBN 978-2-89712-093-1 (PDF) ISBN 978-2-89712-094-8 (ePub)1. Césaire, Aimé - Critique et interprétation. 2. Haïti dans la littérature. I. Titre.PQ3949.C44Z52 2010 841'.912 C2010-940218-9

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 4 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 5: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé CésaireUne saison en Haïti

Lilian Pestre de Almeida

Collection Essai

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 5 2010-02-08 16:21:08

Page 6: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Dans la même collection :

Transpoétique. Éloge du nomadisme, Hédi Bouraoui

Archipels littéraires, Paola Ghinelli

L’Afrique fait son cinéma. Regards et perspectives sur le cinéma africain francophone, Françoise Naudillon, Janusz Przychodzen et Sathya Rao (dir.)

Frédéric Marcellin. Un Haïtien se penche sur son pays, Léon-François Hoffman

Théâtre et Vodou : pour un théâtre populaire, Franck Fouché

Rira bien... Humour et ironie dans les littératures et le cinéma francophones, Françoise Naudillon, Christiane Ndiaye et Sathya Rao (dir.)

La carte. Point de vue sur le monde, Rachel Bouvet, Hélène Guy et Éric Waddell (dir.)

Ainsi parla l'Oncle suivi de Revisiter l'Oncle, Jean Price-Mars

Les chiens s'entre-dévorent... Indiens, Blancs et Métis dans le Grand Nord canadien, Jean Morisset

Afrique. Paroles d'écrivains, Éloïse Brezault

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 6 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 7: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Du même auteur :

Aimé Césaire. Cahier d’un retour au pays natal, Paris, L’Harmattan, 2008, 189 p.

Le Québec : images et textes. Pour l'enseignement de la littérature et la culture québécoises, avec la collaboration de Daniel Chartier, Niterói, Necan-Uff et Curitiba, Abecan, 1992, 230 p.

O teatro negro de Aimé Césaire, Niterói, Uff / Ceuff, 1978, 200 p.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 7 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 8: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 8 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 9: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

À Maximilien Laroche

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 9 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 10: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 10 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 11: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Ce pays mord : bouche ouverte d’une gorge de feu convergence de crocs de feu.

Aimé Césaire

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 11 2010-02-08 16:21:08

Extrait de la publication

Page 12: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 12 2010-02-08 16:21:09

Extrait de la publication

Page 13: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

13

IntroductionCésaire et Haïti

Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante Haïti, pays qu’il connaîtra cinq ans plus tard, lors d’un séjour de six mois en 1944. Mais le Cahier est un palimpseste. Ce n’est pas une métaphore, le début du poème est ébauché dès 1936 par l’auteur, alors jeune normalien, qui passe les vacances d’été chez un ami yougoslave, Petar Guberina1. Par la fenêtre, en face de lui, il aperçoit une île à l’horizon, Martinska.

Aimé Césaire rêvera toute sa vie sur des cartes (géographi-ques et célestes) et, comme tout poète, il rêve sur des mots. La ressemblance des noms (Martinska/Martinique) et la différence des mers (une mer doublement intérieure, l’Adriatique dans la Méditerranée, en opposition à la mer furieuse et grande ouverte au large de son village de Basse-Pointe) le frappent. Édouard Glissant oppose souvent la mer qui concentre (la Méditerranée) à la mer qui diffracte (la mer des Caraïbes), mais le contraste est encore plus saisissant entre l’Adriatique et les côtes sauvages du nord-est de la Martinique.

Reste la situation particulière de celui qui regarde. Le jeune Césaire, à travers une fenêtre, voit une île à l’horizon, Saint-Martin. Or, en 1936, il n’a jamais vu son île ni d’en haut ni de l’extérieur. Car, à cette date, il n’est pas rentré dans son pays natal. Le voyage se

1 Petar Guberina signera la préface de l’édition définitive du Cahier chez Présence afri-caine en 1956.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 13 2010-02-08 16:21:09

Page 14: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

14

fait alors en imagination, s’identifiant au regard perçant d’un grand oiseau de proie qui descend lentement en vol plané sur les Antilles. Ce sera le début de son poème :

Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouée.

Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux…2

Cette identification (moi, oiseau de proie), marquant l’ouver-ture du poème, est un des thèmes secrets réapparaissant dans un moment de désespoir sous la forme du « corbeau tenace de la trahison » ou du « menfenil funèbre » jusqu’à son ascension éblouis-sante sous forme de la colombe qui « monte, monte, monte ».

Le Cahier d’un retour au pays natal, né d’une très longue et douloureuse parturition (le mot est de Senghor), est écrit et récrit au fil des années, lors des différentes éditions qui se succèdent (la revue Volontés, 1939 ; New York, Brentano’s, janvier 1947 ; Paris, Bordas, 1947). Le poème a tour-à-tour augmenté de taille, de 1939 à 1947 (Bordas), pour rétrécir ensuite légèrement en 1956, dans l’édition dite définitive (Présence africaine). Comparer le nombre de mots de chaque version donne une idée du nombre des ajouts : Volontés compte 7 384 mots ; Brentano’s en a presque 2 000 de plus : exactement 9 337 ; Bordas en compte 400 de plus que Bren-tano’s : 9 768 mots ; Présence africaine en a une centaine de moins par rapport à Bordas : 9 668 mots.

Le poème a connu de très nombreux changements (substitu-tions de mots, ajouts et coupures, interpolations et déplacements de séquences, division des strophes), incorporé des morceaux d’un autre texte, dédié à Breton (« En guise de manifeste littéraire »3), et subi à la toute dernière édition un processus d’occultation d’un certain nombre de thèmes. Mais, occultation n’est pas dispari-

2 Pour Cahier d’un retour au pays natal et tous les autres ouvrages de poésie de Césaire, nous travaillons avec l’édition établie par Daniel Maximin et Gilles Carpentier (Aimé Césaire, La poésie, Paris, Seuil, 1994). 3 « En guise de manifeste littéraire », Tropiques, nº 4, avril 1942, Paris, Jean Michel Place, 1978.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 14 2010-02-08 16:21:09

Page 15: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

15

tion. Des mots précis et mystérieux (marron, marronnage, hougan, onan...) peuvent disparaître, mais les thèmes qu’ils véhiculent ne disparaîtront pas pour autant.

Si l’on demandait à un lecteur de Césaire quelle est la place d’Haïti dans ce poème, la réponse immédiate serait : Haïti est présente dans deux séquences, celle de la strophe 424 où, pour la première fois, surgit le mot « négritude » et où un pays est nommé (« Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité »), et dans la séquence de la mort de Toussaint Louverture, le héros de l’Indépendance, « dans une petite cellule dans le Jura » (strophes 44-45, LP, p. 24). Cette réponse relève du simple constat : la présence du nom d’un pays mythique (Haïti) et l’évocation d’un héros historique, le seul à être nommé dans tout le poème.

Or, les choses ne sont pas si simples. Du point de vue diachro-nique, les matériaux de base sont établis pour cerner la place centrale d’Haïti dans la composition du poème, ceci avec des tableaux comparatifs des versions. Le lecteur y découvrira les changements, notamment entre Volontés, Bordas et Présence africaine. Dans la version de Brentano’s, les changements sont si radicaux qu’il est impossible de les représenter graphiquement en rapport aux autres versions, le tableau serait alors illisible. Comme un pied sur des couches de peinture et de lignes d’un chef-d’œuvre inconnu. D’où les trois tableaux : le premier comparant les versions Volontés, Bordas et Présence africaine ; le deuxième confrontant les versions de Brentano’s et de Présence africaine, et le troisième dévoilant la dislocation, dans la chaîne des strophes, de séquences entières dans l’édition de Brentano’s par rapport à l’édition définitive.

Il y a dans la vie de Césaire des événements dont on ne peut ignorer l’importance et qui se situent chronologiquement entre l’édition de Volontés et les deux éditions de 1947 (Brentano’s et Bordas). Ces événements sont le retour du jeune couple Césaire à la Martinique (en 1939) à la veille de la guerre, la fondation de la revue Tropiques en collaboration avec des amis, la rencontre du

4 Daniel Maximin et Gilles Carpentier, Aimé Césaire, La poésie, Paris, Seuil, 1994, p. 22. Dorénavant, lorsque cet ouvrage sera cité, il le sera dans le texte par la mention LP.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 15 2010-02-08 16:21:09

Page 16: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

16

poète André Breton et du peintre Wifredo Lam à Fort-de-France en 1941, et surtout le séjour de presque six mois en Haïti en 19445 sur l’invitation du Dr Mabille.

Césaire a avoué que c’est en Haïti qu’il s’est libéré de son bégaiement. Sa langue littéralement se délie dans le pays de Tous-saint Louverture. Il y rencontre les traces de survivances africaines qui ne sont pas médiatisées par des textes savants d’africanistes. Il plonge dans une culture qui recrée des réalités vivantes (le tambour, le hougan et le vaudou), enracinées dans un nouvel espace6. Il y découvre une culture vivace avec une peinture florissante, une langue créole qui unit toute la nation et qui a une fonction sociale et une histoire. C’est en Haïti que Césaire apprend que l’Amé-rique – toutes les Amériques, pas seulement la Méso-Amérique, celle des grands empires mayas et aztèques ou incas –, appartient à l’histoire. Il en sera bouleversé. Grâce à Haïti, baignant dans l’uni-vers mythique du vaudou, proche du merveilleux fantastique, le poète sera amené à repenser et son œuvre et le surréalisme.

Haïti sera pour Césaire un objet de fantasme et de fascination. Le poète ne pourra pas y retourner. Dès la fin des années 1950, de son propre aveu, Haïti est devenue un lieu interdit. François Duva-lier accède au pouvoir en 1957 et Duvalier fils ne part en exil qu’en 1986. Césaire nous disait dans une interview en 1980 : « Haïti est pour moi un pays très douloureux. Vous savez comme je l’aime, ce pays. J’ai écrit le Roi Christophe et Toussaint. Mais pour moi désor-mais il m’est impossible d’y aller : j’aurais l’air de cautionner, au nom de la négritude, le régime haïtien.7 »

5 Ralliée au gouvernement de Vichy en 1940, la Martinique signa avec les Alliés l’accord de juin 1943. Le nouveau gouverneur de l’île, gaulliste, le Dr Mabille, reprend contact avec les îles voisines. Césaire est chargé d’une tournée de conférences sur la littérature française en Haïti. Voir Ngal, Aimé Césaire un homme à la recherche d’une patrie, Paris, Présence africaine, 1975, p. 97. Sur la situation de la Martinique, le lecteur pourrait consulter : Patrick Chamoiseau, Chronique des sept misères, Paris, Gallimard, 1986, p. 46-48 ; C. Chauvet, « La Martinique au temps de l’amiral Robert (1939-1944) », dans Historial antillais, tome V. La Martinique du XXe siècle, France Antilles, hors série, janvier 2000 ; A. Nicolas, Histoire de la Martinique. De 1939 à 1971, L’Harmattan, tome 3 ; G. Phalente (dir.) Les Antilles et la Guyane, CM, Hachette, 1990.6 De très nombreux poèmes du recueil Moi, laminaire… font allusion à des cultes syn-crétiques d’Amérique (le vaudou haïtien, la santeria cubaine, le candomblé brésilien).7 Lilian Pestre de Almeida, « Deux entretiens avec Aimé Césaire », Africa. Revista do centro de Estudos Africanos da USP, nº 6, 1983, p. 136.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 16 2010-02-08 16:21:09

Page 17: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

17

À son retour d’Haïti en 1944, Césaire publie, dans la revue Tropiques, « Poésie et connaissance »8, réflexion percutante sur la poésie. Il y trace un panorama de l’évolution de la poésie française, de Baudelaire à Breton, il oppose connaissance poétique à connais-sance scientifique, dégage le rôle de l’amour et de l’humour, du mot, de l’image et du mythe dans la création pour aboutir à des propositions qui éclairent et résument sa conception de la poésie.

Les additions de 1947 vont dans le sens d’un approfondisse-ment de l’antillanité, bien que le mot ne soit pas employé. On ne peut cependant pas les attribuer seulement à la découverte d’Haïti, car certains ajouts font partie du fragment « En guise de manifeste littéraire », publié en avril 1942 dans Tropiques9 deux ans avant de fouler la terre d’Haïti. Césaire s’intéresse aux Amériques noires (l’univers des plantations), il commence à se documenter sur la Méso-Amérique et les mythes fondateurs du Nouveau Monde10. En réalité, il accumule des renseignements sur les Amériques en général. D’un autre poème de Tropiques, « En rupture de mer Morte »11, Césaire choisira une strophe qui sera incluse, plus tard, dans Brentano’s, évoquant les régions polaires et les animaux du gel.

Comparant les textes – Volontés de 1939, Tropiques de 1941 et 1942, Brentano’s et Bordas de 1947 –, on peut considérer comme écrites après 1944 et marquées par le séjour haïtien, plusieurs séquences indiquées ci-dessous selon l’ordre de leur apparition dans le Cahier (version de 1956). Cependant comme ces passages consti-tuent soit de nouveaux mouvements du poème, soit des ajouts considérables à des mouvements déjà existants, ils seront insérés

8 « Poésie et connaissance », Tropiques, nº 12, janvier 1945, Paris, Jean Michel Place, 1978, p. 157-170.9 « En guise de manifeste littéraire », Tropiques, op. cit.10 On n’a pas encore dégagé l’importance et la fréquence des lectures de Césaire sur l’ethnologie et l’anthropologie. On insiste le plus souvent sur ses lectures d’africanis-tes (Léo Frobenius, Marcel Griaule, Germaine Dieterlen, Dominique Zahan, Maurice Delafosse et Amadou Hampâté Bâ) ; il a lu également les américanistes travaillant sur l’Amérique des plantations (Jean-Price Mars, Alfred Métraux, Roger Bastide, Michel Lei-ris, Pierre Verger) et sur l’Amérique indienne (Jacques Soustelle ou Claude Lévi-Strauss).11 « En rupture de mer Morte », Tropiques, nº 3, octobre 1941, Paris, Jean Michel Place, 1978.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 17 2010-02-08 16:21:09

Page 18: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

18

dans leur contexte. Et comme il y a des séquences qui n’existent que dans les versions de 1947, dans Brentano’s ou dans Bordas, nous les citons à part, dans un deuxième temps, et nous verrons ainsi si elles sont antérieures ou postérieures au séjour haïtien.

Voici le relevé des séquences, écrites après le séjour en Haïti, présentes dans l’édition définitive. La parenthèse caractérise l’édi-tion où le passage entre pour la première fois dans le Cahier :

1. L’ouverture du poème ou la proposition initiale (Bordas, 1947)2. L’identification romantique du narrateur avec les parias de la terre et le rêve d’avoir le pouvoir du Nommo (Brentano’s, 1947)3. Le rêve d’un projet collectif (Présence africaine, 1956) 4. L’identification avec l’arbre et le Congo (Brentano’s, 1947)5. Le soleil malade revitalisé par le tam-tam (Brentano’s, 1947)6. L’aveu des fautes (Brentano’s, 1947)7. La tentative de reconquérir la sorcellerie et son échec (Bordas, 1947) 8. Une nouvelle strophe sur le bateau négrier (Présence afri-caine, 1956) 9. Le premier récit mythique du Cahier : la cosmogonie d’Éros (Brentano’s, 1947)10. Le dernier sursaut de colère et l’acceptation finale (Présence africaine, 1956)11. Le deuxième récit mythique du Cahier : les quatre direc-tions de l’horizon, des constellations, leurs animaux totems et leurs personnages mythiques (Bordas, 1947)12. Le Seigneur aux dents blanches recevant les bons nègres (Bordas, 1947).Aucun de ces passages ne cite directement Haïti, mais tous en

portent les traces.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 18 2010-02-08 16:21:09

Extrait de la publication

Page 19: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

19

Deux séquences, la cosmogonie rêvée (strophes 113-115, LP, p. 40-41) et l’horizon quadripartite avec les animaux et les person-nages symboliques (strophes 173-174, LP, p. 55-56), sont les récits mythiques les plus importants à l’intérieur du Cahier. On n’imagine pas aujourd’hui le poème sans ces séquences ; or, elles n’existaient simplement pas dans Volontés. Dans le premier passage se dévoile un récit cosmogonique né d’Éros et dans le second, une géogra-phie mythique, un espace fantastique où les directions de l’horizon sont polarisées selon deux axes opposés. Le souvenir du geste du paysan haïtien qui salue, à chaque moment de sa vie, les loas se tournant vers les « quatre directions sacrées » du Levant, du Sud, du Couchant et du Nord12 s’y reflète, magnifié, transfiguré. C’est en Haïti que Césaire a, pour la première fois, vu et compris l’existence humaine dans un univers mythique. Avant Haïti, sa connaissance de ce phénomène était puisée dans la lecture des anthropologues ou des ethnologues.

Un autre passage (strophes 61-65, LP, p. 27-29), rythmé par le refrain sauvage voum rooh ho, écrit également sous le signe du vaudou, est la tentative de reconquérir les pouvoirs de la sorcellerie et son échec. Derrière le sorcier ou le chaman primitif se profilent la figure crainte et respectée du hougan haïtien, et aussi, en fili-grane, l’ombre du personnage marginal du quimboiseur martini-quais ou guadeloupéen. La pauvre réalité quotidienne se transmue dans le texte poétique « où l’homme éclabousse l’objet de toutes ses richesses mobilisées13 ».

Alors que le contexte culturel du vaudou est assumé par des auteurs haïtiens (René Depestre, dans Un arc-en-ciel pour l’Oc-cident chrétien14, ou encore Jacques Roumain et Frankétienne),

12 Qu’on relise maints passages de Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. Un exemple : « Avant de semer le maïs, au lever du matin, devant l’œil rouge et vigilant du soleil, elle avait dit au Seigneur Jésus-Christ, tournée vers le levant, aux Anges de Guinée, tournée vers le sud, aux Morts, tournée vers le couchant, aux Saints, tournée vers le nord, elle leur avait dit, jetant les grains aux quatre directions sacrées : Jésus-Christ, les Anges, les Morts, les Saints : voici le maïs que je vous donne, donnez-moi en retour le courage de travailler et la satisfaction de récolter. » (Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée. Paris, Éditeurs Français réunis, 1946, p. 62).13 « Poésie et connaissance », Tropiques, op. cit., p. 170. 14 René Depestre, Un arc-en-ciel pour l’Occident chrétien, Paris, Présence africaine, 1967.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 19 2010-02-08 16:21:09

Extrait de la publication

Page 20: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

20

l’univers mythique de Césaire est formé par des mythologies diverses que « culbute le poète15 » dans sa création personnelle. Le zombi, le chien maraudeur, le hougan venus de l’aire antillaise rencontrent, dans son poème, l’Adam ou l’Onan bibliques, l’Œdipe grec, le charognard dévorant la mort ou le Dan africain, le Livre des morts égyptien ou les runes nordiques : toutes ces figures sont des images héréditaires collectives que l’atmosphère poétique du Cahier remet à jour « aux fins de déchiffrement16 » du monde et de soi-même. Elles renvoient à une « connaissance millénaire enfouie » réactivée par le poète : ce sont « les villes d’Ys de la connaissance17 ». Dans la mesure où ces images, ces figures et ces espaces sont enfouis, perdus, le texte qui les véhicule les occulte dans sa trame, il incombe au lecteur de partir à leur quête.

Parmi les autres passages indiqués comme écrits après le séjour en Haïti, deux sont à isoler, celui où le narrateur s’identifie aux parias de la terre et au Congo et la séquence du tam-tam revitali-sant le soleil, suivie de la revendication par le poète de sa laideur pahouine.

Le premier sera souvent l’objet d’une interprétation euphori-sante qui fausse le désespoir du narrateur lors de son retour au pays natal. Le poète finit par refuser le rêve narcissique de revenir en héros salvateur. Le contresens dans l’interprétation se répète et se perpétue à la lecture des morceaux choisis du Cahier.

Dans l’évocation du tam-tam (Césaire a vu battre l’Assotor en Haïti), le rythme, dans un crescendo, revitalise et recrée le soleil, source de chaleur et de lumière. Le sacré soleil vénérien du début du poème est transfiguré.

Reste le cas spectaculaire de la strophe initiale, la proposition d’un poème épique. Elle est publiée pour la première fois dans l’édi-tion Bordas, mais le thème central était annoncé par deux textes en prose publiés auparavant dans Tropiques.

15 « Poésie et connaissance », Tropiques, op. cit., p. 168.16 Ibid., p. 167.17 Ibid., p. 167.

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 20 2010-02-08 16:21:09

Extrait de la publication

Page 21: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Aimé Césaire. Une saison en Haïti_copie_2.indd 239 2010-02-08 16:21:39

Extrait de la publication

Page 22: essai Aimé Césaire… · 13 Introduction Césaire et Haïti Aimé Césaire, dès son premier poème Cahier d’un retour au pays natal, publié pour la première fois en 1939, chante

Chantre de la Négritude, Aimé Césaire est un maître de la poésie contemporaine, son œuvre est capitale. Né en Martinique le 26 juin 1913, il est décédé le 17 avril 2008.

Nègre fondamental, Aimé Césaire a deux patries, sa Martinique natale et la légendaire Haïti. Un séjour de six mois en 1944 au pays de Toussaint Louverture aura suffi à canaliser ses énergies cosmogoniques. Il vivra toute sa vie dans la sublime rencontre de cette terre, belle et magique, où la négritude se mit debout pour la première fois. Son œuvre, chant ample et poignant, est marquée par cette saison en Haïti. Cet essai rend hommage à Césaire, à sa passion d’Haïti et de son peuple. Magistrale leçon de vie que cette poésie tellurique qui nomme les terres pour qu’elles soient au bout de leur matin gages de lumière.

Lilian Pestre de Almeida, née en 1936, enseigne le français, la littérature française et les littératures francophones au Brésil, en France et au Québec. Elle est la traductrice d’Aimé Césaire, de Léon Gontran Damas, d’Édouard Glissant et d’Anne Hébert en portugais. Elle prépare l’édition critique et génétique du Cahier d’un retour au pays natal.Elle vit à Lisbonne.

ISBN 978-2-923713-14-4

Aimé CésaireUne saison en Haïti

Extrait de la publication