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 Brice Deloose Classe de composition E-A B3 Cours de Sociologie: Analyse d’un essai d’ANNE PETIAU Jeunesse et musique populaire; le cas des musiques électroniques. Conservatoire Royal de Mons 2008-2009

Essai de sociologie - Jeunesse et musique populaire, le cas des musiques électroniques

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Discussion sur un essai d'Anne Petiaux parlant de la place des jeunes dans le mouvement techno de manière générale.

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Brice DelooseClasse de composition E-A B3

Cours de Sociologie:

Analyse d’un essai d’ANNE PETIAUJeunesse et musique populaire; le cas des musiques électroniques.

Conservatoire Royal de Mons2008-2009

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Préambule:

Pour ce travail j’analyserai les propos d’Anne Petiau. Comme je les trouve

 particulièrement judicieux, formulés clairement et assez exhaustifs je me suis permisde les replacer quasiment tels quels. Ils sont marqués en italique afin de bien faire ladistinction avec mon anlyse qui suit. Certains passages ont été éludés, mais aucunemodification des propos de l’auteur n’a été effectuée.

Cet essai sera mis en parallèle avec l’ouvrage “Techno rebelle” (un siècle demusiques électroniques) Ariel Kyrou éd. Denoël. Le parallèle ne sera pas explicitemais est contenu dans mes réactions aux propos de l’auteur. Cet ouvrage me fut aussid’une grande aide pour la réalisation de l’introduction.

Je me permettrai aussi d’apporter ma propre analyse du phenomène en tant qu’acteur (dj, compositeur et organisateur d’événements) de la scène électronique belge depuisquelques années. Il me semblait intéressant de confronter la vision scientifique, celledes propos receuillis suite à des entretiens avec la vision d’un jeune acteur dumouvement.

Introduction:

1)  Qu’entend-t-on par techno?

Le terme techno est souvent sujet à diverses interprétations. Pour certains ils’agit d’un courant musical assez large (souvent associé au terme “musiqueélectronique”).Pour d’autres il s’agit d’un genre bien spécifique de musique électronique néeaux états unis et plus particulièrement à Chicago et Détroit sous l’influence dela musique électronique allemande avec Kraftwerk dans les années 80.Dans la suite de travail le terme “techno” sera à prendre au permier sens c’està dire dans son acception large.

2)  Son histoire:

1948, l’ensemble de l’europe est sous le choc et doit mettre tout en oeuvre pour réparer les dégats de la guerre.Les gens veulent reconstruire sur des nouvelles bases. La volonté de rechercheet de neuf devient une fin en soi. Voilà comment dans les années 50 on trouvele courant de musique concrête en France. Musique théorique, science sonore,ce courant analyse la musicalité des sons. Son origine vient dans le constat par Pierre Schaeffer que les des critères musicaux employés jusque là (hauteur,durée, intensité, timbre) ne suffisent plus a décrire la multitude de sons perçusquotidiennement (avec l’évolution de l’industrialisation ).

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En parallèle à cela naît en Allemagne un courant de musique électronique(musique créée à partir de générateurs de son, d’oscillateurs électroniques etélectriques).Elle est entre autres basé sur les théories mathématiques de Fourier concernantla possibilité de décomposition de tout son en somme de sinusoïdes.

Elle prend aussi sa source dans une volonté de pureté (idéologie allemande) etva donc se tourner vers des générateurs de sons purs.

 Nous sommes toujours dans la période 1950-1980. Le terrain est trèsexpérimental et la musique électronique de l’époque est savante. Lessynthétiseurs ne disposent pas de claviers, la hauteur des notes est déterminée

 par des boutons rotatifs. Ceci aura une influence dans la vision des hauteurs,des gammes et des harmonies. Cet élément s’installe dans la logique sérielleallemande de l’époque et sa volonté de rupture avec l’harmonie.Citons pour cela Stockhaussen qui fût le “génie” allemand de l’époque.Père spirituel de Kraftwerk, il a transmis son amour pour les sons synthétiquesainsi qu’une rigueur et un caractère savant de la musique. Cependant ces

derniers dédient leur musique à un public plus large, plus jeune. AvecKraftwerk la musique électronique est rythmique, harmonique et dansante.Plus que tout avec des hits comme Autobahn (1974) ou Trans europe Express(1977) la musique électronique parcourt le globe et atterit aux USA.

Entre temps, les constructeurs de synthétiseurs ont créé de plus en plus demodèles, des nouvelles marques apparaissent et le prix des appareils adiminué. On a commencé à remplacer les batteurs des groupes de rock par des

 boites à rythmes (nettement moins chères) et les synthés sont apparus sur scène.

Voilà donc pour l’apparition des premiers éléments électroniques dans lamusique populaire. On peut noter aussi Keith Emerson de EmersonLake&Palmer qui se trouvait toujours son scène avec son énorme synthéMoog Modular ou Wendy Carlos en ’68 avec “Switched on bach” où sontreprises les partitas de Bach jouées sur un synthé Moog.

Arrivées les années 80 on assiste à l’hégémonie des boites à rythmes,séquenceurs et autres machines aux sonorités nouvelles et rigoureuementmétriques.Le son allemand est parvenu aux oreilles américaines. L’esprit afro-américain,celui du groove, du jazz et de la soul se mélange aux sons des boites à rythmes

et donne naissance à la “Techno”.Citons au passage les célèbres tr-909, tr-808 (boites à rythmes) et la tb-303(synthé de basses) de la marque Roland sans qui ce genre musical ne serait

 probablement pas ce qu’il est aujourd’hui.En effet les compositeurs s’échangent leur matériel, copient leurs “patternsrythmiques”, des successions d’accords, des lignes de basses types,… Voilàcomment un nouveau genre musical est né, une musique électroniquechaleureuse, dansante et groovy à souhait. Cette musique véhicule pleind’émotions et est souvent caractérisée de “deep”.Citons parmis les pères fondateurs Kevin Sauderson, Derrick carter, JuanAtkins et Derrick may. Ce dernier qualifie dailleurs sa musique de techno soul

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Analyse:

 Anne Petiau:

 Les musiques électroniques, ou techno, appartiennent à ce qu'on peut nommer lesmusiques populaires modernes. Cette dénomination cerne les contours de notre objet en opérant une double distinction, celle d'avec les musiques « savantes », appartenant 

à la culture légitime et enseignée dans des institutions, et celle d'avec les musiques folkloriques, transmises oralement de génération en génération et attachées à des

tradition culturelles. Ainsi, par musique populaire moderne on peut entendre lescourants musicaux qui se succèdent dans nos sociétés modernes, depuis l'apparition

du rock dans les années 50, puis avec la pop, le rap, etc., jusqu'aux musiquesélectroniques qui sont les plus récentes.

Je noterai ici un premier point. Ces dix dernières années on a pu remarquer une

augmentation de l’institutionalisation dans le mouvement techno. Jusqu’a présent laconaissance était l’objet d’un auto-apprentissage et d’une transmission orale.Cependant, récemment, des centres de formation sont apparus. Pour n’en citer quequelques uns : Pointblank au royaume-uni, la SAE Institute et (formation ElectronicMusic Producer) dans le monde entier, on peut noter le Trix music centrum à Anverset l’Academix à bruxelles où j’ai eu l’occasion d’enseigner. On peut aussi constater l’apparition de vidéos commerciales expliquant des procédés et des astuces typiques àla composition d’un style particulier.Il est par ailleurs étonnant de noter que parmis les élèves en composition E-A auconservatoire de Mons, la quasi totalité compose de la musique qui rentre dans

l’acception du terme techno.Cette institutionalisation serait-elle le début du dépérissement du mouvement? Cette problématique sera analysée plus loin dans ce travail.

 Je voudrais donc aborder aujourd'hui les musiques électroniques non dans leur 

 spécificité mais comme cas particulier des musiques populaires modernes. Or, si lescourants musicaux se succèdent ainsi de génération en génération, c'est qu'ils sont 

avant tout écoutés et portés par les jeunes. On peut dire que le rock a été la premièremusique populaire ainsi attachée à la jeunesse. Selon E. Morin, la jeunesse prend 

conscience d'elle-même comme classe d'âge particulière ayant son propre champ

imaginaire et ses propres modèles culturels dans les années 50. Après s'être investidans le cinéma, avec notamment James Dean, expression typique de l'adolescence, la

 jeunesse se fixe sur le rock, la musique et la danse. Je voudrais aujourd'hui m'arrêter 

 sur cette relation entre musique populaire et jeunesse, en essayant de répondre àcette interrogation : pourquoi chaque génération de jeunes est-elle ainsi attachée à

un courant musical ? Cela nous donnera en chemin l'occasion d'interroger desnotions importantes de notre discipline, celles de socialisation et 

d'institutionnalisation.  

On pourrait aller plus loin et affirmer qu’au sein même du mouvement techno certainssous-genres sont dédiés plus à des ados ou d’autres plutôt à de jeunes adultes par 

exemple. On peut faire le parallèle avec le rock (différence entre du “teenage rock” etdavid bowie). De manière générale on peut dire que la musique destinée aux plus

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 jeunes est souvent moins recherchée. Elle est plus dynamique, plus énergique et c’estsans doute en cela qu’elle plaît aux adolescents. Avec le temps la techno devient uneforme d’art et comme toute forme d’art et s’adresse aussi aux plus âgés mais avec unlangage différent, des émotions et couleurs qui ne sont pas celles présentes dans leshits techno qu’écoutent les adolescents.

 Problématique

 Avant d'essayer de comprendre pourquoi chaque génération voit l'apparition d'un

nouveau courant musical populaire, je voudrais saisir la nature de la relation entremusique populaire et jeunesse. Je pose comme hypothèse que l'on peut dégager deux

 grands idéaltypes de la participation des jeunes à la musique techno.

 Dans le premier, la musique est fonctionnelle, c'est-à-dire qu'elle découle del'événement dans lequel elle est inscrite. La musique populaire est fonctionnelle de

diverses manières : elle est le point nodal autour duquel s'expriment deseffervescences festives d'une part, elle est aussi un moyen de socialisation pour la

 jeunesse qui va expérimenter à travers elle un rapport au monde, l'engagement dansdes rôles sociaux et par là une construction de soi. Dans ce groupe d'enjeux, la

musique n'a pas de valeur en elle-même, ses qualités esthétiques passent au second  plan au regard des efficacités qu'elle porte.

Je me permettrais de nuancer ce propos. Certes la musique électronique, comme toutforme de musique est un moyen de socialisation. Mais ce courant subit une énormeévolution dans des directions variées allant de la Drum‘n‘Bass anglaise (influencée du

Dub Jamaïcain) à de la deep house de Détroit en passant par de l’électro allemandeacutelle, froide et chirurgicale.Ceci a pour conséquence que le terme “techno” au sens large n’est plus fédérateur comme il pouvait l’être il y a dix à quinze ans de cela.

 Néanmoins on consate de très forts réseaux, “underground” ou non, pour chacune dessous-catégories de ce mouvement.L’appartenance à un réseau est évidemment un facteur d’identification sociale. Eneffet chaque réseau, au-delà de sa passion commune pour un style musical, est doté deses propres pratiques sociales, vestimentaire et autres.On peut évidemment constater de nombreuses ressemblances dans les pratiques deréception de ces différents sous-genres. En effet la musique Techno est une musique

festive et de danse dans l’ensemble. Elle est donc souvent écoutée en groupe, endansant et en discouthèque.En celà on peut aisément la comparer aux musiques africaines par exemple. Leurs

 points communs sont les rythmes obstinés et leur capacité à faire rentrer l’auditeur dans une forme d’état de transe. Les dicothèques deviennent l’équivalent d’énormeséglises où le dj fait son office devant une foule en transe .Pour être tout à fait objectif, il faut souligner que cet état de transe recherché chez les

 jeunes “sorteurs” est bien souvent atteint grâce à l’utilisation de drogues.Les drogues ont une importance capitale dans l’évolution de cette musique. Leur consommation est liée aux genres musicaux et aux groupes sociaux,...Du LSD à la cocaïne (dont la consommation a dramaticalement augmenté ces

dernières années) en passant pas les amphétamines, ecstasy et autres, laconsommation d’un type de drogue est souvent lié à un certain type de public. Celui-

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ci écoute en général un genre musical donné. On peut citer par exemple une forteconsommation de marijuana et de LSD dans les raves et les soirées Goa, alors que le

 public Eléctro préfèrera les amphétamines ou l’ecstasy.Selon le type de substance, les drogues altèrent ou modifient l’écoute. En cela ellesont ouvert des portes à bien des compositeurs leur permettant “d’accéder” à d’autres

sphères musicales . On voit ici la filiation directe avec le mouvement hippie et descompositeurs comme Frank Zappa ou Jimmy Hendricks.

 Dans un second mode de participation au fait musical, la musique a là une valeur esthétique. Si dans le premier cas la musique est moyen du collectif, elle est ici

activité artistique. Une musique populaire porte alors aussi l'enjeu de la constitutiond'un « monde de l'art », au sens d'H.S. Becker. Des professions s'établissent, des

conventions musicales naissent et, parallèlement, la musique devient un but en soi.

Ceci est d’autant plus marquant ces dernières années avec l’explosion d’internet et ladémocratisation des “home-studio’s”. De plus en plus de jeunes veulent se mettre à

 produire de la Techno ou être dj’s. Les forums sur la composition, les tutoriels vidéoset autres moyens interactifs d’apprentissage se démultiplient de manère exponentielle.On constate un intérêt croissant pour les conaissances techniques et les astuces

 propres à la composition d’un genre particulier de musique électronique. Sans parler des gens qui consacrent leur vie à un site internet ou un blog (dédié d’une façonquelconque à ce mouvement électronique). La musique techno devient une musiquequi crée de l’emploi. Allant des producteurs aux dj’s en passant par le personnel des

 boites de nuit et les enseignants (je suis moi même enseignant en composition et en

mixage).Les notions de “beau” par rapport à la cohérence et la structure musicale apparaissentet un réel langage musical se développe.Il est cependant amusant de noter que jusqu’a présent rien de tout ceci n’a ététhéorisé. On a donc des groupes de gens qui développent leurs propres théories,

 basées sur leur seule pratique.Ces notions jusqu’à présent véhiculées oralement, faisant appel au sens commun et au“bon goût” à l’intérieur d’un sous-genre techno deviennent des règles. Ces règles sontmises par écrit, transmises par l’intérmédiaire des mêmes blogs et forums créés par d’autres membres de la communauté. Transmises aussi par les voies traditionelles del’ensignement: dans des livres, des écoles, des articles dans des magazines et plus

récemment les vidéos tutorielles.Ce qui différentie les sous-genres ce sont les timbres, les pratiques, les outilscompositionels et le tempo. Il est a souligner l’importance de ce dernier. Il prédomineet servira de “base de subdivision de genres”, subdivisions dans lesquelles les autrescritères définiront de légères nuances de styles. Ces nuances ne sont parfois audiblesque par un auditeur expérimenté.Il est à noter aussi que le dj techno cherche à mixer ses disques au tempo. Pour cefaire il accélère ou ralentit le disque qu’il va mettre pour le mettre au même tempoque le disque que le public entend. On comprendra aisément que dans un soucid’harmonie et de facilité le dj restera plutôt dans un genre musical (au temporelativement identique), ceci lui évitant de devoir changer de manière abusive la

vitesse de lecture de son disque et modifiant ainsi le timbre des voix et autresinstruments.

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 La musique populaire comme musique fonctionnelle

Une musique fonctionnelle est, selon la définition d'Ivo Supicic, une musique « qui àla fois s'inscrit dans le mouvement social et en découle en partie » (1). Pour le dire

autrement, une musique qui remplit une fonction sociale est celle dont la naturemusicale passe au second plan ; c'est des contextes dans lesquelles elle est prise, des

efficacités qu'elle opère, qu'elle tire sa raison d'être. Il me semble qu'on peut distinguer deux efficacités des musiques électroniques populaires pour les jeunes.

a) Les effervescences musicales juvéniles

 Les musiques populaires sont liées aux rassemblements musicaux juvéniles. Elles ont une dimension somatique et impliquent une réception collective. Si les formes festives

techno possèdent des caractéristiques propres, elle ne diffèrent pas fondamentalement du concert rock par exemple. On retiendra simplement que la nature musicale passe

ici au second plan, et que toute son importance réside dans son efficacité à êtremoyen du collectif, le collectif éphémère de la fête.

De toute évidence Anne Petiaux manque ici de discernement. Certes ces musiquessont festives et collectives mais la nature musicale n’en est pas pour autant reléguéeau second plan. Certes les boites de nuit contiennent une proportion de gens qui y sont

 juste pour faire la fête.Mais, d’une part, nombreux sont les jeunes qui se déplacent hors de leur ville oumême du pays pour aller voir tel ou tel artiste.D’autre part tout club qui se respecte et qui respecte sa clientelle a sa propre sélectionmusicale et un directeur artistique. Tout au plus on pourra entendre quelques sous-genres musicaux dans un club donné.Aujourd’hui certains dj’s sont élevés au rang de stars intenationales. Que cela soit

 justifié ou non, que ce ne soit que le pur produit de pratiques commerciales, il nes’agit pas moins d’un fait indéniable.De plus chaque sous-genre possède ses propres “stars” et il est habituel d’inviter unartiste internationnal pour toute soirée digne de ce nom. En ce qui concerne la

 belgique et plus particulièrement bruxelles, on pourrait même aller plus loin et prétendre qu’une soirée n’a quasiment plus aucun espoir d’être rentable ( entendre:attirer suffisemment de monde) si elle n’affiche pas un artiste venant de l’étranger.Les jeunes se déplacent pour entendre de l’exclusif, du neuf ou un artiste de renom.

b) La musique et la socialisation

 Au-delà de ces rassemblements où les jeunes viennent chercher une expériencecollective forte, il semble que les musiques populaires jouent également un rôle dans

leur processus de socialisation. Là encore, la nature musicale passe au second plan,

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on cherche à saisir une autre de ses efficacités. Mais auparavant, un détour par lesnotions de jeunesse et de socialisation est nécessaire.

 La jeunesse est perçue en sociologie comme une catégorie sociologique, c'est-à-direcomme un groupe social doté d'une certaine unité de représentation et d'attitude

tenant à l'âge. Mais il ne faut pas pour autant saisir la jeunesse comme une catégorie

homogène ; la jeunesse recouvre ainsi des réalités socialement diversifiés. P. Bourdieu définit la jeunesse comme un « hors-jeu » social. Il parle aussi de «l'indétermination » de la jeunesse, en ce sens que l'adolescence précède « l'entrée

dans la vie adulte », c'est-à-dire dans des jeux et des rôles socialement reconnus (3).Cet état d'indétermination se prolonge aujourd'hui au-delà de l'adolescence. L'entrée

dans la vie adulte peut être défini par le début de la vie professionnelle, le départ dela famille d'origine et le mariage. La prolongation de la scolarité, la précarité 

 professionnelle des jeunes actifs, la désynchronisation des étapes qui sanctionnent l'entrée dans la vie adulte, la prolongation de la vie chez les parents après les études,

le report de la vie en couple, tous ces facteurs témoignent d'une prolongation de la jeunesse dans nos sociétés contemporaines (4). On peut avancer que les jeunes qui

 s'investissent dans les courants musicaux populaires tel que celui des musiquesélectroniques s'inscrivent dans cette situation de prolongation de la jeunesse. Les

 personnes rencontrées lors de mes entretiens ont en moyenne entre 17 et 30 ans, sont  pour la plupart étudiants ou font des petits boulots, c'est-à-dire ne sont pas rentrés

dans un rôle professionnel bien établi et socialement reconnu. Comme on le verra plus loin, certains se sont professionnalisés au sein du milieu musical techno et sont 

donc quant à eux plus avancés dans leur processus d'entrée dans la vie adulte.

Un détour par la notion de socialisation est maintenant nécessaire. Si la socialisation

a été dans un premier temps conçue uniquement comme modelage - voireconditionnement - de l'enfant, qui devient à la fin de ce processus un individu

 socialisé ayant intégré les traits culturels fondamentaux de sa société, P. Berger et T. Luckmann, à la suite de G.H. Mead, envisagent la socialisation comme un processus

 jamais achevé au cours de la vie de l'individu, qui peut être défini comme « laconstruction d'une identité sociale dans et par l'interaction avec les autres ». Pour 

G.H Mead, la socialisation est une construction progressive de soi comme membred'une communauté. Celle-ci passe par la prise en charge de rôles sociaux, la

 participation à une communauté et à ses valeurs, et dans le même temps uneindividualisation du soi par appropriation subjective de ce monde social. P. Berger et 

T. Luckmann reprennent l'analyse de G.H. Mead en l'élargissant grâce à la notion de

« socialisation secondaire ». Ainsi, la « socialisation primaire » désigne la première socialisation dans l'enfance, où le moi se forme et où le monde social est intériorisé. La socialisation secondaire désigne quant à elle « l'intériorisation de sous-mondes

institutionnels spécialisés et l'acquisition de savoirs spécifiques directement ouindirectement enracinés dans la division du travail » (5). On voit que cette notion de

 socialisation secondaire est solidaire de la nature pluraliste des sociétés modernes,constituées d'un univers de connaissance partagé ainsi que de divers univers partiels

coexistants. Ainsi, on peut envisager l'investissement des jeunes dans le milieu des musiques

électroniques comme une étape importante dans leur processus de socialisation. Si,de par le phénomène de prolongation de le jeunesse, ces jeunes ne sont pas encore

entrés dans la vie adulte, ou ont franchi certaines étapes mais pas d'autres (par exemple, être en couple mais être en précarité professionnelle), ils vont trouver dans

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le milieu des musiques électroniques des valeurs auxquelles s'identifier, des rôles àexpérimenter, et à travers ces expérimentations vont construire leur propre identité.

 En d'autres terme, les milieux musicaux populaires peuvent être vus comme un premier investissement des jeunes dans un monde social particulier. G.H Mead insiste

 sur la nécessité pour l'individu d'avoir un rôle actif dans le groupe, un rôle « utile et 

reconnu », ce qui permet tant la reconnaissance par autrui de l'appartenance au groupe que l'affirmation du « je » comme ayant un rôle actif et spécifique.

En effet, de forts réseaux de jeunes se développent. Certains sont des “sorteurs” et seretrouvent chaque w-e pour partager une passion commune pour un genre musical.D’autres forment des collectifs de dj’s, de vj’s (video-jockey, une forme d’art née en

 partie du courant techno) et de compositeurs. Ils s’échangent simplement desrenseignements, des conseils et des astuces. Ceci se fait le plus souvent par le biais demyspace (www.myspace.com) , de blogs et de forums sur internet.Dans une succession logique ces dj’s et compositeurs cherchent à accomplir leur 

 personalité et à obtenir la reconaissance du reste de la communauté.

Pour arriver à leurs fins, ils particippent de manière active au mouvement. Ils produisent de la musique et cherchent à vendre leurs disques. Ils se rassemblent pour organiser des événements durant lesquels ils se produisent, ils créent eux-mêmed’autres sites et forums internet. Ils deviennent donc le medium d’un courant,reproduisant ce qu’ils ont connu et appris tout en y apportant leur touche personelle.Il est par ailleurs fréquent de rencontrer des jeunes qui sont déjà “professionnels de lamusique électronique” et qui sont toujours aux études ou qui n’ont pas d’emploi fixe.

 Néanmoins ils ont atteint un but, une forme d’accomplissement. Ce sont des personnes considérées comme actives, ayant le respect et la reconaissance de leur groupe socio-musical.

 Pour en revenir aux musiques électroniques, S. Queudrus a bien mis en valeur l'éventail des rôles existants au sein des free-parties : organisateurs, disc-jockey,

dealer, habitué, sont autant de rôles spécifiques à ce milieu que les jeunes peuvent expérimenter (6). Plus largement, l'accent est mis par les acteurs eux-mêmes sur la

dimension participative. Outre le fait que la rave tende à déconstruire l'espace spectaculaire, notamment par la disparition de l'espace scénique, favorisant ainsi la

 participation de chacun, il n'est pas rare de voir des jongleurs, des stands deboissons, des personnes réalisant des peintures à l'aérosol ou des fresques

décoratives, autant d'actions qui font que chacun se donne un rôle actif dans ce

milieu festif. D'autre part, le flou juridique dans lequel prenaient place les fêtestechno, jusqu'au nouveau décret du 3 mai 2002 qui interdit de tels rassemblements,

 permettait les pratiques amateurs et donc la participation active, l'engagement dans

des rôles sans passer par les déclarations ni l'obtention de statuts juridiques institués.

Il est étonnant de constater combien de jeunes particippent de manière active dans cemilieu sans être reconnus par l’Etat. En effet, les graphistes qui réalisent les flyerssont souvent des étudiants en graphisme ou des personnes ayant d’autres revenus, ilsne déclarent en général pas leurs prestations. Les organisateurs ne déclarent pastoujours leurs soirées. Les dj’s, quand ils ne jouent pas gratuitement pour un ami ou

 pour lui “rendre l’appareil” sont payés “au black” et ont généralement une autre

 profession. Les gens du bar, sauf boites de nuits avec personnel récurrent, sontsouvent des gens qui font cela pour arrondir leurs fins de mois et sont généralement

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 payés avec l’argent du bar. La liste est encore longue…Tout ceci permet une participation plus aisée des jeunes au courant. Ils ne doivent pasfaire de nombreuses démarches administratives, obtenir un statut d’indépendant,remplir des déclaration d’impôts complexes,…Il en resulte un côté plus amical, des relations de confiance, des liens plus forts entre

les différents intervenants de cette scène. De plus, comme les organisateurs, souventdes dj’s, font appel à leurs amis pour co-animer leurs événements, il est fréquent queles amis en question les rapellent quand ils ont besoin de dj’s pour leurs événements àeux. Ceci entraine la création de nouveaux réseaux et de rassemblements.Il est donc aussi fréquent de retrouver les mêmes habitués dans diverses soirées dontles organisateurs se conaissent (et ont un intérêt musical commun).Le côté illégal et la présence de drogues renforce les liens dans un groupe donné. Onrencontre donc souvent des groupes d’habitués plus que des habitués individuels.D’autre part le côté familial est accentué par divers paramètres. Dans un premier temps, les budgets serrés de nombreux organisateurs impliquent qu’ils font souventappel à des amis, des conaissances pour les taches graphiques, promotionelles,…

Les personnes qui ont particippé d’une manière quelconque à l’événement s’yrendent. Or on sait que la plupart des gens ne sortent pas seuls. Il s’y rendent doncavec leur groupe d’amis. Ces amis sont par conséquence souvent des amis encommun à diverses personnes impliquées dans l’organisation puisqu’il s’agit deconaissances de l’organisateur. Les groupes se croisent se mélangent et en formentd’autres. En bref, en prenant une part active dans la scène electronique on devient

 partie d’une forme de famille.

 L’expérimentation

 La notion d'expérimentation me semble aussi très importante. Le milieu techno offreun large éventail de pratiques festives, de la plus intégrée socialement à la plus

contestataire. Tout comme le rock ou encore le rap, les musiques électroniques sont constituées de tendances multiples, qui vont de pair avec des rapports divers au

monde social. La jeunesse peut aussi alors être vue comme une expérimentation d'unrapport au monde social (7). Notons bien que cet âge de la vie permet une

expérimentation sans la prise de risque que peut comporter une telle attitude lorsquel'on est entré dans l'âge adulte. Une fraction (celle de la techno clandestine des free-

 parties et des teknivals) est fortement liée à une critique sociale, avec par exemple lacritique de la marchandisation de la vie quotidienne et de l'art. La critique de l'ordre

 social et des valeurs établies peut ainsi être expérimenté ; certains expérimentent un

mode de vie déviant, tentant de vivre selon les valeurs attachées au milieu desmusiques électroniques. Je parle d'expérimentation car cette expérience est souvent de courte durée et débouche la plupart du temps sur la volonté d'accéder à des rôles

 sociaux reconnus, après avoir expérimenté la marginalité. En effet, la « carrière »d'un participant à un mouvement musical populaire est en général assez courte,

quelques années seulement. Cette expérimentation peut toutefois déboucher sur une « socialisation secondaire » ou se prolonger dans un mode de vie déviant (avec par 

exemple les travellers(8)). Ainsi, les musiques électroniques représentent pour les jeunes qui y adhèrent une

étape importante dans leur processus de socialisation, de par l'identification à un groupe et ses valeurs, ainsi que l'expérimentation de rôles sociaux.

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 Musique populaire et « monde de l'art »

 Dans tout ce que nous venons de voir, la musique n'a d'importance qu'en ce qu'elle

 permet : la communauté festive, la socialisation de par l'identification à un groupe et 

à ses valeurs, etc. Mais les musiques électroniques sont aussi envisagées dans leur dimension artistique, avec des acteurs qui font vivre ce milieu musical. On peut dégager deux aspects de la constitution des musiques électroniques comme monde de

l'art.

a)La professionnalisation et l'avènement d'un monde de l'art 

Comme on l'a évoqué plus haut, la « carrière » des participants au phénomène technon'excède jamais quelques années. On peut supposer que la sortie du milieu des

musiques électroniques correspond à l'entrée dans la vie adulte, telle qu'on la définit  précédemment. Pour certains, le milieu des musiques électroniques va être l'occasion

de se professionnaliser et ils vont ainsi pouvoir « durer » dans ce milieu. On abeaucoup parlé de « récupération » du phénomène techno. Ce terme désigne en fait 

l'intégration des pratiques festives et musicales techno dans les institutions existantes,intégration décriée par certains, d'où l'utilisation de ce terme de récupération. Ainsi,

les musiques électroniques sont accueillies dans les salles de concert, les festivals telsque les Transmusicales de Rennes ou le festival de Bourges on mis à leur programme

un plateau « électronique », mais aussi dans les industries de la musique (les majorsont créé des sous-labels spécialisés dans l'électronique, ou ont racheté des petits

labels spécialisés) et les circuits de distribution en place (distributeurs, mais aussimagasins de disques ; à la FNAC, les « musiques électroniques » possèdent leur 

rayon, aux côtés des autres genres musicaux). Au mot connoté de récupération, je préfère le terme d'institutionnalisation. En effet, parler de récupération induit que

cette intégration dans les institutions existantes est imposée de l'extérieur. Or, ce sont les acteurs mêmes de ce mouvement musical qui réalisent cette institutionnalisation,

de par leur volonté de se professionnaliser (9). D'autre part, le termed'institutionnalisation a une valeur heuristique car, outre qu'il désigne l'intégration

dans les institutions existantes, c'est son acception usuelle, il désigne aussi latypification des relations et des pratiques, l'invention d'une tradition, la définition de

rôles (10). L'origine de l'institutionnalisation réside, selon P. Berger et T. Luckmann,

dans l'accoutumance de l'action humaine. C'est-à-dire que toute action fréquemment répétée se fond dans un modèle. Ceci est bien sûr nécessaire puisque la réalité socialeest un monde partagé. Ces actions habituelles sont typifiées par les acteurs ; c'est ce

 processus de typification que désigne l'institutionnalisation. Une fois établit,l'institution typifie à son tour les acteurs et les actions. On peut saisir le milieu des

musiques électroniques comme l'institutionnalisation d'un monde social, avec unetypification des relations sociales, des formes d'action (c'est ce qu'on a vu avec la

définition de rôles spécifiques), d'un stock de connaissances propre (c'est-à-direconnaissance de normes, valeurs et émotions spécifiques). L'institution implique

l'historicité ; c'est bien ce qu'on voit avec les musiques électroniques qui produisent leur histoire.

 La typification des formes d'action concerne autant les relations inter-humaines queles pratiques musicales. La notion d'institutionnalisation renvoie alors à la

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constitution d'un « monde de l'art », au sens d'H.S. Becker (11). C'est-à-dire qu'il s'est constitué un milieu artistique des musiques électroniques, un « monde de l'art »

 particulier avec ses acteurs propres aux rôles bien définis et aux productionsmusicales propres. Outre les institutions existantes, il se développe une myriade de

labels d'édition musicale, de magasins de disques, de magazines spécialisés, de

critiques musicaux. Des Djs et compositeurs se professionnalisent, notamment enaccédant au statut d'intermittent du spectacle et en vivant de leurs cachets (dans lesentretiens, on repère bien cette aspiration à obtenir à statut d'artiste, qui valide la

reconnaissance sociale), ainsi que des organisateurs d'événements musicaux. C'est donc en s'appuyant sur la théorie des « mondes de l'art » de H.S Becker qu'on peut 

 saisir la professionnalisation qui s'opère dans le milieu des musiques électroniques.Cette avènement d'un monde de l'art correspond à la sortie de l'indétermination de la

 jeunesse et à l'entrée dans un milieu professionnel, et par là dans la vie adulte. On enrevient alors à la notion de socialisation. En effet, cette professionnalisation des

acteurs peut être saisie comme une « socialisation secondaire », par «l'intériorisation de sous-mondes institutionnels spécialisés [que sont ceux des divers

 sous-mondes musicaux et professionnels dans les musiques électroniques] et l'acquisition de savoirs spécifiques (directement ou indirectement enracinés dans la

division du travail ) » (12).

b) La musique comme objet esthétique

 Parallèlement à ces professions qui s'établissent, la musique est envisagée dans sadimension esthétique, c'est-à-dire qu'elle devient un but en elle-même. Les Djs et les

compositeurs l'abordent dans une perspective artistique, et l'usager est dans ce cadreun amateur, qui apprécie, juge la qualité musicale de ce qu'il entend. Comme le

 souligne H.S Becker, chaque monde de l'art recourt à des conventions. Il s'agit, outredes conventions sociales qui permettent les interactions, des conventions esthétiques.

 Le public amateur de musiques électroniques est un public averti, qui a développé descompétences propres à la perception de ce style musical. Ces conventions esthétiques

 sont également nécessaires aux musiciens. C'est en effet grâce à la définition de cescritères partagés que la création, comme l'appréciation, est possible. C'est 

notamment à partir de ces normes que l'artiste peut prétendre à une originalité. Lacréativité artistique est en effet à la fois un respect des normes esthétiques en vigueur,

qui fait que l'on peut reconnaître cette musique comme étant de la musique

électronique, ou plus précisément tel genre de musique électronique, et à la fois unécart par rapport à ces conventions, cet écart constituant précisément la créativité del'artiste, son originalité. Ces conventions peuvent aussi être appréhendées dans le

cadre théorique de l'institutionnalisation du monde des musiques électroniques, en cequ'elles sont des typifications des pratiques musicales.

On pourrait être tenté d'appréhender le paysage techno actuel comme scindé en eux,avec les free-parties et les teknivals qui illustreraient la musique comme moyen du

collectif tel que je l'ai décrit plus haut, et de l'autre côté la techno des clubs, desmajors, bref la techno qui s'est en partie intégrée dans les institutions existantes

comme constituant un « monde de l'art ». Mais à y regarder de plus près, le milieutechno des free-parties et des teknivals possède ses institutions propres, c'est-à-dire

 ses propres définitions de la musique techno, ses artistes, ses œuvres, ses magasins dedisques et ses labels. De plus, les frontières ne sont pas toujours étanches entre «

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musique électronique institutionnelle » et « musique électronique clandestine ». On peut plutôt considérer que le monde des musiques électroniques comprend plusieurs

 sous-mondes, avec chacun ses conventions, normes, rôles, traditions et pratiques propres. Chacun de ces sous-mondes forme un réseau de coopération, un milieu

 professionnel, mais aussi un système esthétique élaboré collectivement.

 La construction idéaltypique : une modélisation théorique

Ce sont des modèles théoriques qui sont présentés ici. Bien sûr, dans la réalité,comme le précise M. Weber en explicitant la méthode idéaltypique, on ne retrouve

 pas ces types purs. Il s'agit bien d'un outil, d'une élaboration théorique permettant demieux saisir la réalité en dégageant des grandes orientations. Ainsi, si on peut déjà

repérer dans les entretiens des parcours typiques, par exemple le passage d'une pratique de participant à une professionnalisation ou à une sortie du milieu des

musiques électroniques, la plupart des parcours sont beaucoup plus complexes. L'événement musical est un autre bon exemple de la complexité de la réalité au

regard de la modélisation théorique. Dans un premier temps, on peut distinguer desdispositifs spécifiques au regard de chaque modèle théorique. Ainsi, un événement 

exemplaire de la musique comme objet esthétique pourrait être le concert de Manu leMalin (13) et de l'orchestre philharmonique au Corum à Montpellier (printemps

2000), très significatif de cette volonté de réaliser une œuvre artistique. D'abord de par cette association avec l'orchestre philharmonique (la musique classique, symbole

de la culture musicale officielle), ensuite par rapport au lieu choisi - le Corum, où ont lieu les événements culturels officiels à Montpellier, et enfin de par la situation du

 public, installé dans une salle de concert, qui se constitue en amateur, qui vient pour apprécier et juger la valeur esthétique de ce qu'il entend. La rave ou la free-party

 peut parfois être exemplaire du modèle théorique comme moyen du collectif. En effet,on peut dire qu'on ne vient pas vraiment en fête techno pour écouter la musique mais

bien plutôt pour participer à cette fête. Et le dispositif de certaines fêtes rend comptede cette réalité, avec notamment l'absence de scène, la disparition visuelle du

musicien. Mais dans un second temps, on note qu'en réalité, les attitudes face auxmusiques électroniques sont souvent entrelacées, voire entrent en collision. Et 

l'événement musical est le lieu où s'entrecroisent ces implication et ces attitudesdiverses. D'autre part, une même personne peut cumuler des attentes diverses, telle

que celle de se perdre pour un temps dans un corps collectif et écouter en amateur 

une prestation musicale. Pour illustrer l'entrelacement des attitudes face auxmusiques électroniques, je cite un participant de free-party qui relate sa participationà une fête : « Ce qui m'a particulièrement impressionné, c'est la passivité des

danseurs face à une musique très moyenne, et leur capacité à gober tout ce qu'on leur  passait sans broncher. (...) Mais quelle déception que de voir des danseurs/moutons

 s'extasier mécaniquement et pousser des cris à chaque entrée de beat, si plate soit-elle, en sautillant comme des machines. » Et de regretter le « niveau artistique de la

 fête. » On voit combien peuvent s'entrelacer les attentes face à la musique, objet esthétique pour certains, support de la danse ou encore communauté d'identification

 pour d'autres.

A l’heure actuelle ces divers courants tendent à se mélanger. Il est fréquent derencontrer un artiste de la scène “underground” dans un club ou un festival tel que

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Dour ou Pukklepop (considérér comme institutionalisé) . Le public averti amateur demusique de danse aura souvent un intérêt accru pour de la musique plus pointue, plusexpérimentale, moins commerciale. Par ailleurs nombreux sont les artistes auxdiverses facettes musicales changeant de style musical en fonction du lieu de la

 prestation. Avec l’âge le public se fait de plus en plus critique et on constate un

déplacement des goûts musicaux. Effectivement il est rare de voire une personne de plus de 40 ans dans un club techno alors qu’il est fréquent d’en croiser à des concertsou festivals électroniques. Situation où les conditions de réception de la musique sontdifférentes: places assises, salles non fumeurs,… Par conséquent les artistes qui s’y

 produisent jouent de la musique moins dansante, plus “intellectuelle”.Rappelons que la techno provient de la musique électronique savante allemande. Dansun premier temps elle s’en est éloignée pour devenir populaire, accessible et dansante.Même si de tous temps il y a eu des compositeurs plus accessibles de d’autres plus“underground”, aujourd’hui on peut remarquer un fort mouvement qui retourne versune musique “savante”. Partant de cette musique rythmique, dansante jouée dans lesclubs, les compositeurs cherchent à innover, à surprendre.

Dans un sous-genre défini un compositeur va tenter de démontrer ses talents eninnovant, en étant plus pointu, moins accessible pour le tout public. Il s’en fait unefierté, comme une forme d’accomplissement artistique. Le fait de ne pas sonner “commercial” devient critère de qualité.Au sein de ce mouvement qu’il s’agisse de raves ou de clubs il y a bel et bien unedistinction importante, mais elle n’est pas d’ordre institutionnel, elle est d’ordreesthétique. Le public “underground”, expérimental, “intellectuel”, scientifique de lamusique déconsidère profondément la scène commerciale.On considère la musique commerciale comme mauvaise. Le terme a dailleurs uneconotation hautement péjorative. Pur produit de consommation, cette musique est

déconsidérée car elle n’implique pas une volonté de recherche. Elle se contente derépéter un schema connu et qui a fonctionné jusque là. Utilisant des rythmes et dessons communs, cette musique est toujours “accessible” et se vend grace aux énormesmatraquages commerciaux.La scène underground est donc aussi liée par une volonté d’authenticité musicale etd’innovation.

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 Conclusion

 Je noterai simplement pour conclure la généralisation possible de cette étude à

l'ensemble des relations entre jeunesse et musique populaire. Ainsi, si les musiques

 populaires sont portées et écoutées par les jeunes, c'est il me semble parce qu'ellesrépondent d'abord à ce besoin de se perdre pour un temps dans un corps collectif - ceque j'ai appelé les effervescences musicales juvéniles - et que, dans le contexte d'un

 prolongement de la jeunesse, elles fournissent un cadre d'expérimentation sociale, et représentent ainsi pour les jeunes une étape importante dans leur processus de

 socialisation. Enfin, elles offrent aussi l'opportunité pour quelque-uns de se professionnaliser, suscite la création de métiers, et offre ainsi l'opportunité à ceux qui

 se professionnalisent de « durer » dans le courant musical, de passer d'une pratique juvénile à l'engagement dans un monde professionnel. Je voudrais maintenant revenir 

à ma question initiale, c'est-à-dire pourquoi on voit un renouvellement des courantsmusicaux dans le temps, pourquoi est-il si nécessaire que chaque génération de

 jeunes s'investisse ainsi dans son propre courant musical. On a vu que le milieumusical techno pouvait être appréhendé comme institutionnalisation d'un monde

 social. Le renouvellement des courants musicaux doit alors à mon avis être cherché dans la nécessité de l'instituant. Les courants musicaux des générations précédentes

 sont déjà institués, c'est-à-dire qu'ils apparaissent comme des réalités objectives,contraignantes, où les rôles sociaux sont bien définis et sont occupés par des acteurs

en place. La production d'un nouveau monde social (instituant) permet par contred'être acteur, d'expérimenter des rapports au monde, d'avoir accès à des rôles.

En prenant part à un courant musical de manière active, le jeune crée son identité

sociale. Dans un besoin d’affirmation de sa personne il ne peut se contenter dereproduire des schémas déjà établis. Pour se créer lui-même il doit créer le monde quil’entoure et doit le faire à sa façon.On dit souvent qu’on se compose soi-même en composant. Notre action est le refletde notre personne. Notre identité exprimée au travers de nos actes.En prenant part au mouvement et en le modifiant, le jeune crée quelque chose.Quelque chose dont il peut être fier, quelque chose qui lui sert de référence ou desymbole d’accomplissement social.Il s’identifie à ses actes et ces derniers lui donnent une place dans un groupe social.Effectivement, il est habituel de se présenter ou de présenter quelqu’un en faisantsuivre sa “profession” directement après son nom, ou en disant qu’il est l’homme

derrière telle ou telle chose.Le jeune devient un homme quand il accède à des rôles et répond positivement à sesobligations. Il devient professionel et obtient ainsi sa place dans la société.

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 Anne [email protected]

(1) Ivo Supicic, « Les fonctions sociales de la musique », dans H. Vanhulst et M.

Haine (Ed.), Musique et société. Hommage à Robert Wangermée, Bruxelles, Ed. del'université de Bruxelles, 1988, pp. 173-182.(2) Richard Shusterman, L'art à l'état vif. La pensée pragmatiste et l'esthétique

 populaire, Paris, Minuit, 1991.(3) Pierre Bourdieu, « La ‘‘jeunesse'' n'est qu'un mot », Questions de sociologie, Paris,Minuit, 1984, p. 148 et Les règles de l'art, Paris, Seuil, 1992, pp. 19-71.(4) Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse, Paris, Armand Colin, 1997, p. 55 et pp.140-154.(5) Claude Dubar, La socialisation, Paris, Armand Colin, 2000, pp. 95-99, Peter Berger et Thomas Luckmann ; La construction sociale de la réalité, Paris, ArmandColin, 1996, pp. 146-189 et George Herbert Mead, L'esprit, le soi et la société, Paris,

PUF, 1963.(6) Sandy Queudrus, Un maquis techno. Modes d'engagement et pratiques socialesdans la free-party, Nantes, Ed. Mélanie Séteun, 2000.(7) Voir Étienne Racine, Le Phénomène techno, Clubs, raves, free parties, Paris,Imago, 2002, pp. 162-165(8) Groupes qui pratiquent le nomadisme. Ils se sont joint au mouvement techno etaux raves au début des années 90, lors des grands festivals britanniques.(9) C'est aussi l'analyse de Étienne Racine, op. cit. p. 135.(10) Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, op. cit.(11) Howard S. Becker, Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, 1988.

(12) Claude Dubar, La socialisation, Paris, Armand Colin, 2000, pp. 95-99, Peter Berger et Thomas Luckmann ; La construction sociale de la réalité, Paris, ArmandColin, 1996, pp. 146-189 et George Herbert Mead, L'esprit, le soi et la société, Paris,PUF, 1963.(13) DJ et compositeur de musiques électroniques.Ariel Kyrou , Techno rebelle (un siècle de musiques électroniques), Denoël 2002