Essais Semiotiques

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Ensayos semióticos de Christian Metz en Francés

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  • COLLECTION D'ESTHETIQUE Sous la direction de Mikel DUFRENNE

    29------------------------

    Djit paras :

    1. Mikel DUFRENNB. - Esthtique el philosophie, tome 1 (2 tirage). 2. P. A. MICHEJ.IS. - Eludes d'esth'tique. 3. Christian METZ. - Essais sur la signification au cinma, tome 1 (3$ tirage). 4. Jean LAUDE. - La peinture fram;aise (1905-1914) el [' Art Negre:l> (2 vol.)

    (puis). 5. Michel ZRAFFA. - Personne el personnage. Le romanesque des annes 1920

    aux annes 1950 (2C til'age). 6 .. Jean-Pierre MARTlNON. - Les mtamorpllOses da dsir el ['amure. Le texte

    d' Eros ou le corps perdu. 7. Jean-Fran~ois LYOTARD. - Discours, figure (21! tirage). 8. Pi erre SANSOT. - Potique de la ville (26 tinge). 9. J.,'Anne 1913 : Tomes l' et n. Les formes esthtiques de l'

  • Le per~u et le nornrn

    Les codes de nomination iconi'ques Quelle partie de l'image, quelle partie de la langue ?

    Lexique Reconnaltre l'objet Du mot au smeme Taxinomie culturelle des objets

    A propos de la nomination Dtermination par la pratique sociale

    Les trals pertinents de l'identification perceptive, Le schmatisme

    Exclusions et inclusions perceptives Languejperception : leur double relation, intercodique el mtacodique

    Le transit par les signifis La reprsentation comme mtalangage Transcoderjmtacoder : rapports des deux oprations Retour du signifiant

    Des objets aux actions Les bl'uits, Les objets sonores

    Abaissement idologique de la dimension sonore Sur un snbstantialisme sauvage Le son-off au cinma

    Smiologie et phnomnologie

    Le propre du monde est de renvoyer indfini-ment d'ohjef en objeto

    (M. DUFRENNE1 Phnomnologie de l'exprience esfhtiqlle.)

    Le spectateur de l'image prouve le besoin de reconnai-tre (d'identifier) les objets qui y sont reprsents, Lorsque l'image est figurative, qu'il s'agisse de la photographie, du tableau, du film, etc" eIle va au-devant de ce besoin et propose d'elle-meme des objets a reconnaitl'e ; il pent arriver cependant, meme avec des images fortement reprsentatives, que la demande du consommateur reste plus ou moins insatisfaite : l'occidental qui voi! un film ethnographique demeure souvent perplexe devant les objets qu'il y discerne, mais qu'il ne saurait nommer ni classer (ustensiles de cuisiue, armes de chasse ou de peche, etc,), Nommer, classer : ici commence notre probleme, celui des taxinomies culhirelles, par quollITauteteno.re'ussr-lfierr'Ia"taxinol1i!'ils"15jfi'cuIturels (objets de civilisation) qne la taxinomie cnlturelledes objets naturels, eomme daus les cIassements zoologiques ou botaniques, variables d'une socit a une autre, La phnomnologie a bien montr qne nons vivons dans un monde d'objets, que notre pereeption immdiate est une perception d'objets, etqne cette disposilion n'est pas snper-ficielle ni transitoire (d'autant, ajouterai-je, qu'elle est profon-dment rassurante et que e'est sans doute ,l'une des racines de son existenee meme), Mais eomment ne pas mettre en rapporls ce earactere si frappant de notre vcu conscienl avec la force plus souterraine des c1assifieations cu]turelles el socio-linguis-tiques?

  • 132 Le perc;u et le nomm

    Le cas des images non-figuratives (peinture moderne, films d' avant-garde , etc.) ne fait que confirmer les impressions initiales dont est sortie celle tude, ear il est remarquable que le spectatenr a tres souvent tendance a y rintroduire de force, par le regard qu'il leur consacre, les objets que I'auteur en a voulu absents : ainsi les formes vagues, eourbes, estompes vont-elles devenir nuages ou jeux d'eau, les dessins reetilignes rails de ehemin de fer, etc. ; il Y a beaucoup moins d'images non-figuratives a la reeption qu'jJ n'y en a a I'mission; et meme a I'mission, la lendanee a la reprsentation est parfois plus forte que ne le croient ceux qui dsirent consciemment I'viter (les contours libres qu'i1s nous proposent sont souvent d'involontaires variations autour d'objets a la forme connue) : il y a beaucoup moins d'images non-figuratives que d'images voulues telles.

    Les codes de nomination iconiques

    La philosophie, la psychologie de la perception et_!~obseJ:yatioriCoiii;anlenoiiQr"apprts~d:epnis=longtenrp:s:qu:e_J'identificaHoo'desoj)Jeissensibles et..1e.ur .. uomina!iouJingisJ!q.ll.e_.soJ).t

    tfiteifermeresi'~lllaJ)l!!lrl. L'organisation smantique des Ianges1turefies, dans certains de leurs secteurs lexicaux, vient recouvrir avec une marge variable de dcalage les confi-gurations et les dcoupages de la perception ; le monde .y:illlJ:.le et l'idiome ne sO..Q!"'p~_sl!!~Jt~.~!!ltiple~e.Lp,gf9.!!.!i_j;tj.eralionsstruCtliii!e.s,jiiJi n'Olit pasen

  • ~r34 Le per;u et le nornm

    LEXIQUE

    ,Du et de la langue, on s'en tiendra au lexique (notion qui 'sera~p!:cise plus loin). Il ne parait guere possible, pour l'ins-tant, d'tablir srieusement des corrlations un peu prcises ,entre la perception des objets dans une scit et les structures phonologiques ou grammaticales de la langue correspondan te. Cette difficult, qui ne sera peut-tre pas ternelle, se rattache a une autre, plus gnrale et bieu connue des linguistes : en dpit de certaines tentatives intressantes" on n'est jamais parvenu jusqu'ici a mettre en relation de fagon convaincante les systemes phonologiques ou syntaxiqes avec les structures sociales, et e'est a travers ces deux systemes que la langue conserve pour l'heure cette forte autonomie relative par rapport aux autres institutions ou se fonde l'existence mme de la lin-guistique en tant que discipline distincte de la sociologie (mais faisant partie des sciences sociales, puisque la langue est une institutioq) .... .Q,te,tou~, les secteurs internes de la langue, c'est au

    contraire;k}~~iquf:cgui apporte le matriel le plus important et le plusin.'ftJ:diiil:tmeut exploitable a tous ceux qui veulent fonder une socio-linguistique'; il est dair que les mots sont lis a la civilisation (et entre autres a celle de la vue) selon un circuit plus court et plus direct que ne le sont les phonemes ou les regles de grammaire. D'ailleurs, le lexique est la seule partie cc;!_el~ langue qui exerce immdiatement la fonction de"lI,oroillUs""

    tlQ~;lc'est-a-dire qJ)_!_~l1u~e~~le~?bjetsdu m?nde et leurdorie tie appellation ;'I~dillisionr~fentiel1e-;hui carac!rise le langage tout entier; n'apparaitde faon dil:ecte qne dans le lexiquc.

    Cette dissymtrie de situation se reflete bien dans les 'conceptions d'un smanticien comme A. J, Greimas' : des semes

    4. J e pense bien entendu a la fameuse hypothese de Sapir-Whorf , et aussi a des tClltatives isoles, comme ceHe d' Alf Sommerflt sur la langue et la civilisation d'une ethnie australienne, les Aranta (La langue el la socit. caracteres sociaux d'une langue de type archafque, Os10, 1938, Publicatiolls de l'Instituttet foz S~m~en.ugnende Kulturfo!skning), . " " ,5. La soclo-hngmshque actuelIe, qUl se sItue apres la hngUlstIque ,~nrative transformationnelle, essaie justement de dpasser ce stade purement 1cxical. Elle voudrait aussi dp~sser la ,distinct,ion chomskyenne entre comp-tence , et performance , qUl aboubt a reJeter dans la pure performance .d'importantes variations sociales dans l'usage d'nrie mme langue nationale. D'on, .a l'entrecroisement de ces deux perspectives, !'ide de construire ~des grammaires (syntaxiques ct/on phonologiques) propres. par cxemple au : negro-english , c'est-a-dire a l'anglais tel qu'U est parl par les Noirs d'Am-'l'iquc, ou a d'autres groupes socio-lingnistiques. Cf, les travaux de Labov et ,de l'cole variationniste .

    6. Voir tout le dbut (jusqu' la page 118) de Smantique structurale, p'aris, Larousse, 1966, et plus spcialement le chapitre intitu1 L'organisation de l'llnivers smantique , p. 102-118.

    Le per~u et le nornrn 135

    proprement dits, qui constituent le niveau smiologique (c'est-a-dire justement celui ou la langue s'articule sur le monde naturel ), iI distingue les dassemes dont l'ensemble forme le niveau smantique (niveau d'autonomie de l'orga-nisalion Iinguistique) ; et on voit en effet la diffrence entre des smantismes comme A une forme oblongue, Est {al en euir, Appartient ti la raee {line (= semes proprement dits, ou encore nuclaires ), a la limite aussi divers et particuliers que les objets perceptifs d'une culture, qu'ils dsignent et constituent a la fois -, et d'autre part des units de sens comme Humainj Non-humain, Objet matrieljNotion abstraite ou Animjlnanim (= classemes, ou semes contextuels ), qui ont une porte plus gnrale a l'intrieur du lexique, qui interviennent dans la nomi-nation d'objets sensibles nombreux et par ailleurs tres diffrents, les soumettant ainsi a une deuxieme c1assification (aux mailles bien plus larges que la premiere, opre par les nominations elles-mmes), et qui dbordent d'ailleurs le lexique pour la grammaire, ou i1s correspondent souveut a des marques for-melles (ainsi, pour HumainjNon-humain >, Qui? jQuoi? en fran\,ais, WhojWhieh en anglais, etc). Si les c1assemes, dans une langue, sont communs au lexique et a la grammaire, les semes nuclaires (que j'appellerai dsormais semes, tout court, puisque ce travail se limite a eux) son t propres au lexique et a lui seu!. Encore n'envisagerai-je pas tous les semes lexicaux, mais seulement ceux qui interviennent dans le lexique des objets visuels.

    RECONNAiTRE L' OBJET

    Sur l'autre versant, celui de l'image, les codes de nomina-tiolliconiq!lesn'engagent pas non plus l'ense'i.nbledii'm~t:,;el srnJQlqgique.,Qn.ne saurait rendr,.compte,ay~g xseuls, de tql!t le sen s (de tous le'; sens)deYimageJ:epr~sentative. Reconnaitre I'objet, ce n'est pas comprcndre l'image, meme si c'en esq~.g.~!:>11,.Jlne s'agit qJ~.gi!n!ljy-$llJ) dl'lsen~, celuigu'on appelle .. ril}rar( . .c;!l)..()t:iti()ll,011J:~I>rsenta~i.()f), 'et'pasdans sonentIer.'CarTapprhension ds rapports entr objets, ou du moins de leurs rapports les plus factuels, participe encore du sens littral maJs,te~t,p:isfl en charge par d'autres codes, notam-ment eeux {lu ~'mq!l'!age!dans le sens le plus gnraL.dn .. .mot (engloban t la coiPOiItr,[}lf:re-d'UnUa~:iili1ie'illiqu e) :

    cmprefil:l'r,,"~tti'n objet, dans la digese,apParait seulement quelques'minUts apres un a!ltre, Ol,lqu'au cql).tr:ii:'l j)ssollt ~i~famIiiirc6:prsenfs, ou que l'U!les.t.jl.. galj(;hil de.J'autre (ou tres lohi dcirriere, etc.), c'~s.!tlja autre chose qu'identifier

  • 136 Le pergu el le nomm

    visuellemeut chacun de ces objets. La reconnaissance doit donc e trecomprlseC"ommeuricoperon:qullEli.

  • 138 Le pergu et le nornm

    TAXINOMlE CULTURELLE DES OB,lETS

    Chaque smeme (unit spdfique du plan du signifi) dessine une dasse d'occurrences et non une occurrence singu-liere. Il existe des milliers de trains, meme dans la seule acception de convoi ferroviaire , et ils diffhent beaucoup les uns des autres par leur couleur, leur hauteur, le nombre de leurs wagons, etc. Mais la taxinoniie culturelle que porte en elle la langue a dcid de tenir ces variations pour irrelevantes, et de considrer qu'i! s'agit toujours d'un meme objet (= d'une meme classe d'objets); elle a dcid aussi que d'autres variations taient pertinentes et suffisaient pour changer d' objei , comme par exemple ceUes qui sparent le train >} de la micheline. Cest la. meme rpartition, si variable selon les socits, des traits pertinents et des traits irrelevants - en somme, le meme prn-cipe arbitraire de dnombrement des objets - qui prside aux classifications spontanes qu'opere la perception des objets correspondants dans la meme cnlture. La vue, elle aussi, est lgerement embarrasse tant que l'image ne lui permet pas de dcider s'l s'agit d'un train ou d'une micheline ; des qu'eUe a pu trancher, le spectateur de l'image a le sentiment d'avoir reconnu l'objet ; et i! est remarquable, alors, qu'une mau-vaise perception de la couleur de cette micheline (si c'en est une), ou de son exacte longueur, ou du mtal dont elle est faite, etc., n'entraine pas un embarras comparable, un embarras de meme niveau.

    Tout se passe comme si les traits qui ne participent pas au dcoupage des objets taient culturellement prouvs comme des sortes de qualits secondes, dterminati~nss~raj()llt~es ~t.

    ~q-\li)ldi~pepsJ:les al;intellection immdiate, !JlJ3Jit~sadjectives' plut9tqlle~llbsta.ntivel Et i! est vrai le plus sOll.vent que l'expres- ' silinguiStique de ces particularits visuelles passe par des adjectifs (= une longue micheline ), ou par certains dtermi-nants de plus grande taille mais syntaxiquement commutables avec des adjectifs, comme par exemple la proposition subor-donne relative (= une micheline qui allait tres vite ; cf. tres rapide >}). Au contraire, les qualits visueUes pertinentes, ceHes qui, par leurs groupements en paquets >}, dterminent la liste des objets a reconnaltre, s'expriment dans la langue par des substantifs. Comme on le sait depuis longtemps, la nomi-,nation des objets _ car il y a aussi celle des actions, sur laqueUe je reviendrai - procede par noms. Les grammaires tradition-nelles disaient que le substantif correspond a un objet, l'adjectif a une qualit , le verbe a une action. Simplement, les objets

    Le perc;u et le nomm 139

    ne sont que des ensembles de qualits considres comme dfi-nitoires, et ce qu'on appelle qualits recouvre seulemenl certaines qualits, dont le propre est de ne pas entrer dans les dfinitions des objets.

    Les objets optiquement identifiables sont done des cIasses d'occurrences, comme les smemes qui les nommel!oh.;",c:est ,;pQ~,rq)1qi" A.J. Greimas propose de les appeler '"fig)1re~ ,visll~W~s.>! (ce sont les units pertinentes), et d'en disfinguer ls''sigrles visuels qui seraient les occurrences singulieres' : chaque dessin d'nne maison, chaque photographie d'un arbre, etc. Mais le terme de sigile, dans la tradition linguistique, voque vraiment trop l'unit pertinente pour que l'on ait quelque chance de lui faire dsigner le contraire. Il me semble prfrable de ne pas adopter de terme spdal, et de parler simplemenl d'objets visuels reconnaissables, en les opposant aUx occurrences visuelles.

    A propos de la nomination

    On voit que le phnomene fondamental de la nominatioll est lui-meme fort mal nomm. Dans le mot nomination, le smeme de nom qui apparait est celui qui correspond a l'anglais name, et non a l'auglais IlOUIl; mais i1 dsigne de toute fa90n une unit lingnistique qui est de l'ordre du mo!. 01', c'est seulement au niveau de surface que la nomination procede par mols. Les correspondances vritables entre le monde visible el la langue s'tablissent au niveau des traits pertinents, units plns profondes et inapparentes, et le mot (le nom) qui dsigne l'objet optique ne constitue que la partie merge du systeme, la consquence manifeste du jeu des traits pertinents et de leur organisation intyrne : lorsqu'une plage iconique don-ne comporte tous les !rits dfinitoires requis pour qn'on y reconnaisse une ampoule (lectrique) et que 1'0n accede au smeme correspondant (= ampoule >) en tant qu'accessoire d'lectricit), ce dernier nous amene uu lexeme don! il eontribue a articuler le signifi (id ampoule dans toules ses accep-Hons -, qui forme d'ailleurs un mot a lui seul), et ce mot, a son tour, fonclionne comme une en tit a deux faces, qui a aussi un signifiant propre et peut done se prononcer : le spectateur

    9. CondHions d'une smiotique du monde naturel (op. cit., p. 6-7). Greimas parle de figures et de signes naturels ; le contexte montre qu'il entend par la perceptfs (e'est un peu comme quand les linguistes parlent des langues naturelles , par opposition aux langages formaliss et aux mtalangages, et sans penser le moins du monde que ces langues sont vraiment nalurelles), Dans roan texte, j'ai prfr viter le mot naturel .

  • 140 Le pert;u et le nornm

    de l'image s'criera C'est une ampoule . Dans le processus complet de la nomination, le mot aura done jou un role, mais seulement en fin de parcours.

    Le terme de nomination n'est pas propre a la linguistique el a la smiologie modernes. II vient de tres loin : du pass de la langue, et aussi de toute une tradition philosophique. Il porte en lui a J'tat condens une certaine conception du rapport entre la langue el le monde, une conceplion que critiquai! dja Saussure, ou le logicien Gilhert Ryle, ceHe du ralisme naIf . Pour celui-ci, il y aurait une sorte de liste des objets, prexistant a leur appellation, et les mots viendraient nommer ces objets apres coup et un par un. Aussi longtemps qu'on se limite au niveau de surface (celui du mot, ou meme du lexeme), on est invitablement attir vers des croyances de ce genre. Le mot, le lexeme (et sur J'autre face du probleme J'objet visuel une fois reconnu) ne sont que des produits terminaux, alors que le dcou-page du monde en objets (et de la langue en smemes) est un processus complexe de production culturelle au sein duquel le role central est dvolu aux traits pertinents : traits d'identifi-cation visuelle d'un cot (Eco), semes linguistiques de l'autre (Greimas).

    DTERMINATION PAR LA PRATIQUE SOCIALE

    Ce double dcoupage ne prexiste pas a l'activit sociale et aux caracteres de chaque civilisation. II est dtermin par eux, et en meme temps i! ,en fait partie. On sait que les Eskimos dis-posent d'une dizaine de lexemes diffrents (et donc de smemes diffrents) pourdsigner la neige, selon qu'elle est friable, dur-ce, glissante, amoncele, etc." Chacune de ces units consiste en un lexeme indcomposable, alors qne les langues de l'Europe occidentale sont obliges, pour dsigner les objets correspon-dants, de former un syntagme nominal qui combine chaque fois l'adjectif appropri (= poudreuse , etc.) avec un substantif qui est invariablement neige (ou snow, ou Schnee, ou nieve, etc.). Ainsi, nos cultures voient un objet unique avec des dtermina-tions variables la ou les Eskimos voient dix objets distincts. Un trai! sensible comme friable on durci (avec le seme qui lui correspond) est pos comme irrelevant dans nos langues -du moins lorsqu'i! s'agit de la nomination de la neige -, alors qu'il est pertinen t pour les Eskimos.

    Cette diffrence d'organisation lexicale est videmment en

    10. Cf. Adaro Schaff, Langage et raHt . dans ProbIemes du langage, numro spcial de Diogene. 1965, nO 51, p. 153-175.

    Le per\,u et le nomm 141

    rapport avec une diffrence dans la perception de la neige, qui est plns fine et plus diffrencie chez les Eskimos. Chaque socit lexicalise les distinctions qu'elle per\,oit le plus nettement, et en retour per\,oi! avec une particuliere nettet les distinctions qu'elle lexicalise. Ce serait une vaine querelle d'antriorit que de chercher a savoir si c'est au dpart la Iangue qui a inform la perception ou la perception qui a inform la langue. Eu fai!, I'une et J'autre ont t fa

  • 142 Le perC;u et le nornm

    riellement - le schma et la caricature : s'ils sont parfois plus parlants qu'une figuration dtaille, c'est paree qu'ils vitent le risque de noyer ces traits au mlieu des autres et d'en retarder ainsi le reprage ; au contraire, l'image fouille devient parfois image-fouillis.

    Les traits que retient le sehma - ou du moins le schma figuratif, car il y en a aussi d'autres (diagrammes, etc.) - corres-pondentexactement aux traits pertinents des codes de recon-naissance fort bien dcrits par Umberto Eco qui en cite divers exemples u. D'autres pourraient etre emprunts a la caricature: des bras levs au-dessus de la tete, une haute taille, et c'est assez pour que nous reconnaissions de Gaulle; des sourcils brous-sailleux un visage arrondi, et c'est le prsident Pompidou ; dans , , certains dessins comiques, ji suffi t qu'un personnage presente deux protubrances d'un cot et deux de l'autre, censes fi~urer les seins et les fesses, pour qu'on comprenne ~emme (11 est. inutile de dire ce qu'un tel choix des traits pertinents doit a une idologie a la fois misogyne et maternaliste, assez cara:t-ristique du monde ou nous vivons ; les codes sonl des machmes formelles, mais c'est justement comme telles qu'elles ont un contenu historque et social; dans cet exemple comme dans d'autres, l'opposition de la forme et du con ten u mene a une impasse).

    Ainsi le,. schmatisme dborde de beaucoup la schmatisa"

    ... ~~i~~~~~.~f~1t~~~I~~r:~~~~4tlf~~~g~(.s~~~~~f":~~~i~~ prefiihtdts}:Leprell1ier est1iiCrfareun prncipe ~ental, perceptif et socio-linguistique de porte tres gnral~, '}:UI rend possible la comprhension des schmas comme aUSSI bIen celle des images dtailles a fort degr d'iconicit et cel~e de.s sl.'ec-tacles de la vie relle. En dehors meme de toute schematIsatlOn, c'est paree que certains traits sensibles importent seuls a l'iden-

    13. In Smiologie des mcssages visuels , op. cit., partie de La struttura assente traduite daD s Communications 15. Par exemple, p. 16 : Nons sl~ctionnODs les aspects fondamentaux d perS(u d'apres des codes de reconnalS-sanee: quand, an jardin zoolo&ique, nous voyaDs de loin un, zebre,.les lments que nous reconnaissons immdlatement (et que notre romolre retIent) sont les rayures, et non la silhouette gui r~ssemble vaguement acepe. de l'ane on dn muleto ( ... ) Mais supposons qn'Il eXIste une eommunaut. afrI~alOe on les seuls

    uadrupedes connus soient le zebre et l'I~yene, et ou sOlent lll~onnus chevau~, lnes, mulets : pour reeonnaitre le zebre, 11 ne sera pas ne,essalre de p~rc~vOlr des rayures ( ... ), et pour dessiner un zebre, il sera plus ~mportant d mSlster sur la forme du museau et la longueur des pattes, pour dlshnguer le quad~-

    Me reprsent de l'hyene (qui a elle aussi des rayures : les rayures ne eonstl-fnent done pas un faeteur de diffrenciation). )}

    Le per~u et le nomm 143

    tification, .que des occurrences visuelles diffrant par tous leurs a.utres t;aIls p,euvent .etre per

  • 144 Le perc;u et le nomm

    rale et permanente, tient a la natnre foncierement classificatoire et arbitraire des nominations. Lrsque I'objet anquel on a a faire est l'antomobile (l'antomobile vue ou dite), la roue n'intervient que comme trait de reconnaissance, an meme titre que le volant par .exemple. Mais 1'0bjet auquel on a a faire, dans d'autres circonstances de la vie, peut etre la roue elle-meme (ainsi en cas de crevaison et de rparation) : c'est elle, alors, qni fonctionne comme objet reconnu, ou a reconnaltre, et qi comporte a son tour des traits de reconnaissance (= forme extrieure circnlaire, reprage d'un centre et d'une structure radiale, etc.).

    En somme, un seu) et meme lment mat'.;j~Lpgut oprer

  • 146 Le per~u et le nomm

    naissanee) au signifiant Iinguistif\l}~,~wi;s,lpn phonique, elle aussi relle ou mentale), e'est la ~'iwI~,11~I1'proprement dite ; lorsqu'i1 va du signifiant linguistique-u-signillant vis~.eJ'.c!:pmme dans les exemples pris a l'instant, on a affaire a une~fs1!:alis.aU:.f qui est l'inverse et l'insparable eorrlat de la nominat:m (e'est bien pourquoi ce dernier terme, dans un sens un peu plus large, peut sans neonvnient dsigner le phnomime d'ensemble nd-pendamment de son orientation dans ehatue eas). Le point eommun anx deux orientations, e'est que le passage dn linguis-tique an pereeptif, on vice versa, a lieu au niveau des deux signifis respeetifs, smeme et objet :

    , SIGNIFIANT LlNGUISTIQUE SIGNIFIANT VISUEL , ,

    (Formes, contours, etc.) , Emisson phonique du "rheme" I avec ses Ira'lts. pertinents I

    I I I

    Code perceptif I Code linguistique I

    I ,

    SIGNIFI LlNGU1STIQUE SIGNIFI VISUEL I Objet reconnaissab!e I TRANSIT INTERCOOIQUE Smeme dsignant fobje!

    OBSERVABLE

    Aussi longtemps qu'on le considere sous eet aspect, qni n'e.st pas le plus profond mas qui a sa ralit propre, le rapport entre lexique visuel et pereeption visuelle reste de l'ordre du transeo-dage ordinaire. Comme trait dfinitoire de ce dernier, je propose de retenir le fait du transit par les sgnifis. Le transeodage est une opration socio-smiologique fort eommune ; sa forme la plus typique est la traduetion : sous-eas de transcodage ou les deux codes sont des langues.

    Le transit par les signifis n'est pas une partieularit empi-rique ou un fait exeeptionnel ; il repose au eontraire sur une donne permanente et fondamentale : si les divers eodes en usage se distinguent les uns des autres - s'i1s son! plusiellrs, tout simplement-, e'est par la matiereet l'organisationinterne de leur signfiant (eodes visuels, eodes auditifs, etc.), ou bien par son organisation senle lorsque la mali"re est identique (exem-pIe: la pluralit des langues), et done de toute fa90n par I'orga-nisation de leur signifi (= forme dn eontenu ehez Hjelms-

    Le per;u et le nomm 147

    ley), puisqu'elle est le eorrlal direet ou ndireet" de eeHe du signifiant ; mais ce n'est pas par la matiere du siguifi (

  • 148 Le perru el le nomm

    autre bieu. Il y a aussi des mtalangages scientifiques (langages formaliss, notation mathmatique, chimique, etc.), mais c'est encore la laugue qui sert a les introduire, a les expliciter prala-blement, a dfinir leur champ de validit; el dans d'autres domaines, la langue elle-meme, une fois soumise a un travail spcifique qui la transforme en terminologie, c'est-a-dire en thorie, fournit direclement le mtalangage scientifiqne hors de toute notation spcialise, ou en n'en prenant une qu'a titre d'auxiliaire intermittente ; ce mtalangage consiste alors en un eorps d'noncs linguistiques, il se confond avee le discours meme de la scienee. Ainsi la voeation mtalangagiere de la langue, universelle au niveau non-scientifique, est encore tres affirme au niveau scientifique ; les deux ehoses vont de pair, e! les classifieations sociales courantes sont d'ailleurs des sciences a leur maniere : e'est le probleme de la pense sau-vage , si bien pos par Lvi-Strauss (et toute socit est une socit de sauvages, tout homme est l'indigime d'une culture).

    Si la langue est le principal mtalangage, c'est videmment paree qu'aueun autre code n'est li aussi troitement qu'elle a la eommunication sodale quotidienne ainsi qu'a une eertaine forme (abstraite, explicite) de la pense, qui n'est pas la seule mais qui est par nature la plus apparente aux oprations de mtalangage. Tous les smiologues ont not que la langue, par rapport aux autres eodes, occupe une position dissymtrique et priviJgie" en ce qui concerne l'extension quantitative de la matiere du signifi (le champ total des ehoses que l'on peut dire ) : la langue peut dire, meme si e'est parfois avec approl\i-mation, ce que disent tous les autres codes, alorsque l'inverse n'est vrai dans nulle mesure (iJ n'existe par exemple aucun degr d'approximation, fUt-il eonsidrable, a partir duquel on pourrait admettre qu'un chant de pipeau ou un jeu de couleurs es! capable de dire ee que di! une phrase meme tres simple, comme Le train est arriv

  • 150 Le per~u et le nomm

    cun peut fonctionner a l'occasion comme interprtant de l'autre, mais a titre toujours rversible. Dans la relation mtacd-dique, le transit par le signifi (ou s'exprime l'galit de statut des deux codes) n'est pas le principal. On sait depuis Hjelmslev" b" que le signifi du mtacode s'articule sur le total signifiant-signifi du eode-objet ; e'est la une autre sorte de transit, de type dissymtrique, qui engage, en plus des deux signifis, un signifiant et un seul (celui du code-objet). Quant au signifiant du mtacode, il eonstitue, dans cette strueture dcroche aujourd'hui bien connue, la partie qui dpasse, ceHe qui parle le code-objet tout entier ; ainsi, dans un expos oral, les missions phoniques de la langue frall(;aise me servent-elles a dcrirc les signifiants et les signifis dn code iconique :

    Signifi du Signifiant du code.objet codeobjet

    Signifi du mtacode Signifiant du mtacode I

    La relation intercodique simple pourrait au contraire etre reprsente de la fac;on suivante :

    I Signifiant du cade X Signifi du cade X Signifi du cade Y Signifiant du code Y I

    Senls les signifis assurent le contaet entre les deux codeso Les signifiants dpassent tous les deux, chacun peut tra-duire le signifi de l'autre ; la dissymtrie s'abolit.

    Ces rappels thoriques trouvent une illustration frappante \ dans le probleme qui nous occupe. Evoquant la taxinomie cultu-

    relle des objets visibles, A. J. Greimas considere que les traits

    16 bis. Chapitre 22 (

  • 152 Le per~u el le nomm

    pertinents du signifiant (du ct du code-objet) et ceux du signifi (du ct dn mtacode) 10rsque1'on envisage le classement culturel des objets comme une opration active de type mtaco-dique dont l'essentiel se joue a travers des units plus petites que l'objet-entier et que le smeme-entier, en de

  • 154 Le pert;u et le nomm

    pertinents de son sgnfiant acoustque qu correspondent a eeux du sgnifi linguistique, aux semes du smeme cIapotis . Quatre d'entre eux apparaissent assez vite, qui rsultent des commulations les plus proehes :

    - Ce bruil esl relativement faible (opposition avee vacarme , hurlement , fraeas , etc.).

    - Il est discontinu, alors qu'une rumeur , un sffie-ment , un bruit de fond ne l'esl paso

    - Il est acoustiquement d'ouble , ou en toul cas non-simple, si l'on entend par la que chacune de sesmissions se dcompose au moins en deux sons successifs : / - - / .... / - - / .... / - - / .... (A cel gard, les deux premiers phonemes du signi-fianl linguistique, c-l-apolis, peuvent etre considrs comme onomalopiques.) La commutation montre que d'autres bruits identifiables ne prsenlent pas ce caractere et que ehacune de leurs missions est simple ; ansi dtonation, on encore coup et choc dans leur acception auditive. Cest l'oppo-sition du FLOC el du TAC '"o

    - Ce bruit est ressenti comme liquide , ou comme pro-voqu par un liquide ; cf. au contraire froltement ou racle-menl dans leur smeme auditif, qui prseute le lrait solide, ou bien chuintement el siffiemenl , avec le lra! gazeux.

    Ces qualre lraits, et tous ceux du meme genre que foublie, sonl slrictemenl communs a la p,erception auditive et a la langue ; il n'y aurait aucun sens a se demander s'ils dfinissenl le clapotis comme bruit caractrstique ou le mol fran

  • 156 Le per9u et le nomm

    l'objet, et c'est pourquoi l'identification de ce dernier suffit a voquer le bruit, alors que I'nverse n'est pas vrai. Comprendre une donne perceptive, ce n'est pas en saisir exhaustivement tous les aspects, c'est etre capable de la classer, de la mettre dans une case" : de dsigner I'objet dont elle est une occurrence. Aussi les bruits sont-i1s classs beaucoup plus d'apres les objets qui les mettent que d'apres leurs partages propres.

    Mais cette situation n'a rien de naturel : d'un point de vue logique, le ;Yl'()])1J:isse])1eIjct est un objet, un objet acoustique, au meme titre que la tulipe est un objet optique. La langue en tient d'ailIeurs compte - ou du moins le lexique, a dfaut du discours -, puisqu'un grand nombre de bruits reconnaissables, ravals cependant au rang de caracteres, correspondent encore a des substantifs : c'est la une sorte de compromis, qui n'empeche pas les traits auditifs de participer plus faiblement que d'autres au principe dominant de reconnaissance des objets. D'ailIeurs, lorsqn'on veut nommer le concept meme d:objet sonore, il est ncessaire, comme je viens juste de le falre et comme le font souvent les tenants de la musiqne dite concrete, d'ajouter au mot objet l'pithete sonore, alors que nulle prcision n'est reqnise pour ce qne ron devrait logiquement appeler objet visuel : nous considrons comme vident qn'nn tendard est un objet (tout court), mais pour un hululument nous hsitons : c'est un infra-objet, un objet seulement sonore.

    SUR UN SUBSTANTIALISME SAUVAGE

    Il y a ainsi, profondment enracin dans notre culture (et sans doute dans d'autres, mais pas forcment dans toutes), une sorte de substantialisme sauvage qui distingue assez strictement les qualits premieres, d'apres lesqueUes se dtermine la liste des objets (= substances), et les qualits secondes qui corres-pondent a autant d'attributs susceptibles d'etre rapports a ces objets. Conception qui se reflete dans toute la tradition plliloso-pllique de l'Occident, a commencer par les notions de Descart,:s et de Spinoza que reprenait la phrase prcdente. Il est cl~lr galement que cette vision du monde a quelque cllose it falre avec la structure sujet-prdicat, partieulierement forte dans les langues indo-europennes.

    21. Dans le champ de la smiolo$"ie, eette iLe per~u el le nomm 157

    On peut penser que;cles,qualits;,premieres, .. sont chez nous d'ordre principalement visue! et tactile. Tactile parce que le toucher est traditionnellement le eritere meme de la matria-lit ". Visuel paree que les reprages ncessaires a la vie cou-ranteet aux techniques de productiou font appel a l'

  • 158 Le pert;u et le nornm

    bien il est andible, ou bien il n'existe pas ; quand il existe, il ne saurait elre situ a l'intrieur du rectangle ou en dehors, puisque le propre des sons ,est de diffuser plus ou moins dans tout 1'espace environnant : le son est a la fois dans l'cran, devant, derriere, autour, dans toute la salle du cinma M.

    Au contraire, lorsqu'on dit qu'un lment visue! du film est off, c'est qu'ill'est vraiment : on pent le rtablir par infrence a partir de ce qui est visible dans les limites du rectangle, mais on le voit pas; nn exemple bien connu serait cclui de l' amorce : on devine la prsence d'un personnage dont on aper

  • 160 Le per