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EST JAMAIS ANALYSÉ Repenser l’espace et le temps … · Repenser l’espace et le temps du travail intellectuel OPEN SPACE,BUREAUX PARTAGÉS OU TÉLÉTRAVAIL SONT VUS AVANT TOUT

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plus un élément toujours nécessaire ni suf-fisant du travail, en qualité et en quantité,ni de son contrôle.

Plus le travail est intellectuel, communi-cationnel, relationnel et informationnel,plus le produit de ce travail estimmatériel et non mesurable,et plus l’efficience de ce travailet son optimisation sont condi-tionnés par l’engagementautonome et nécessairementsubjectif des capacités cogni-tives des personnes. Ce travailcorrespond toujours à unedépense, moins physique sansdoute, mais psychoaffective. Contraire-ment au constantes de l’activité industriellede transformation matérielle, il n’est passynonyme de destruction de ressources.Les compétences ne se dégradent pas àl’usage (bien au contraire), comme s’usentdes aptitudes physiques, comme est incor-poré un produit intermédiaire ou commeest détruite la matière consommée (2).

Plus que la mise à disposition d’une« force de travail » pour un temps et dansun lieu donné, le travail intellectuel est acti-vation d’un engagement subjectif indivi-duel (3). Pour déboucher sur une produc-tion, cet engagement doit être interactif. Ilest nécessairement relationnel. Il est partieprenante d’une compétence collective quiimpose la proximité (au moins sociale etsymbolique) du collectif de travail, duclient/bénéficiaire du service, et qui exigeune organisation du temps qui permetl’échange et la coproduction.

Une gare de chemin de fer plutôt qu’unvillage. La présence sur le lieu de travailn’exclut plus aujourd’hui ni le présen-téisme contemplatif, ni l’absentéisme moral(4). Notre expérience de la gestion desgrands projets automobiles chez Renaultnous a montré combien la compétence col-lective nécessaire à la « manipulation desymboles », à la « mise en format », à l’in-formation d’informations… intègre néces-

sairement le travail en équipe et en trans-versal dans l’entreprise, et au-delà avec lesfournisseurs et des réseaux de partenairesexternes. Par différence avec les activitésindustrielles, l’engagement productif d’ex-

perts de tous niveaux pour laproduction immatérielle n’estpas d’abord affaire de lieux detravail. Certes, la présence surle lieu de travail mis à dispo-sition par l’employeur resteun moyen du contrôle hiérar-chique de la subordination.Certains open spaces d’entre-prises pourtant high tech,

affectant la « coolitude », parfois peuplésde la « génération Y », sont de toute évi-dence toujours pensés et vécus avec cettearrière-pensée (5).

Entre le travail individuel et la perfor-mance collective, il y a le filtre de l’organi-sation (6). Dans l’industrie, cette organisa-tion connaissait une traduction spatialelisible. On pouvait « montrer » une orga-nisation avec quelques schémas (dont le

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REPÈRES ANALYSE

> Xavier Baron

La production est de plus en plusimmatérielle et la part du travail quiy contribue ne cesse de « monter en

abstraction ». La figure de référence dusalariat n’est plus l’ouvrier mais unemployé plus ou moins expert, « manipu-lateur de symboles ». L’usine n’est plus lecœur d’entreprises qui se rêvent parfois« fab’less ». Les murs de l’entreprise ren-ferment essentiellement des bureaux, à lapériphérie des centres urbains. De fait, lesfonctionnalités techniques de l’espacedirectement nécessaires à ce travail (un pla-teau, un fauteuil ergonomique, un écran,une prise et une connexion wifi…) sont demoins en moins exigeantes en localisationet en surfaces, grâce aux technologies del’information et de la communication et àla généralisation des outils nomades. Pourautant, ce travail que l’on ne sait plus (se)représenter n’en est pas moins collectif etdélicat à mettre en œuvre. Avec la montéeen complexité des organisations et l’accé-lération des évolutions de leurs environ-nements, ce que la coordination ne peutplus faire, un management centré sur lacoopérativité doit l’assurer. Il s’agit deretrouver une pertinence aux « bureaux »comme ressource pour le développementdes apprentissages organisationnels etprofessionnels, en cohérence avec l’orga-

nisation, l’animation des collectifs et lespratiques sociales, avant que les Gri-bouilles du « desk sharing » (1) et appren-tis sorciers du télétravail ne contribuentencore à affaiblir le lien social au travail.

L’espace-tempsde la production immatérielle

Avec l’accroissement en importance dela production immatérielle, l’espace et letemps, qui étaient des constantes relative-ment stables et contraignantes de l’organi-sation du travail, deviennent des variableslargement modulables. L’espace du travailintellectuel n’est plus conditionné de lamême manière que l’espace du travailindustriel. Le travail peut se faire ailleurs(chez soi, dans les transports, chez leclient), quelquefois mieux et/ou dans demeilleures conditions, surtout de manièreplus « pertinente ». L’espace du bureau,mis à disposition par l’employeur, n’est

Repenser l’espace et le tempsdu travail intellectuel

OPEN SPACE, BUREAUX PARTAGÉS OU TÉLÉTRAVAIL SONT VUS AVANT TOUT COMME UN MOYEN DESERRER LES COÛTS. MAIS L’IMPACT DE CES CHOIX SUR LA PERFORMANCE N’EST JAMAIS ANALYSÉ.

> Xavier Baron est consultant, expert en gestion des res-sources humaines et professeur associé à l’Université deVersailles Saint Quentin en Yvelines. Ancien directeur depôle d’études à Entreprise et Personnel et responsableRH en entreprise (Renault, Snecma), il est l’auteur de nom-breux articles et travaux de recherche.www.xavierbaronconseilrh.com

L’espace etle temps du travail

sont devenusdes variableslargementmodulables.

> ((1) Le desk sharing est une application au bureau de la« bannette chaude » dans la marine, du travail posté dansl’industrie, ou du jeu des chaises musicales. Il consiste àattribuer à chaque unité un nombre de postes de travailinférieur au nombre de salariés y travaillant : par exemplehuit postes pour dix personnes. Ceux qui souhaitent tra-vailler dans les locaux de l’entreprise doivent réserver leurposte à l’avance ou naviguer pour y trouver une place libre.Mobilier, ordinateur et téléphone fixe sont interchan-geables. Les dossiers personnels sont stockés dans un cais-son que l’on récupère chaque fois que l’on vient au bureau.> (2) Christian Le Gall du Tertre, « Les Métamorphoses dutravail dans l’économie servicielle », Economie et mana-gement, n° 130, janvier 2009.> (3) Yann Moulier-Boutang, Le capitalisme cognitif : lanouvelle grande transformation, Éd. Amsterdam, 2007.> (4) Selon la formule de Jean-Emmanuel Ray, professeurde droit du travail à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, forgée àpropos des réflexions sur la réduction à 35 heures dutemps de travail des cadres. Il est intéressant de mettrecette « réduction » dont on a tant parlé en regard de ce quevient de chiffrer une étude réalisée par la société Olfeo(sécurité sur Internet). L’utilisation d’Internet à des fins per-sonnelles sur le temps de travail représenterait en moyennepar salarié 29,5 jours par an ! (AEF Info, dépêche n° 145227du 10 février 2011).> (5) Les arrières-pensées des « aménageurs » sont révé-lées par exemple dans l’ouvrage d’Alexandre des Isnardset Thomas Zuber L’Open space m’a tuer, Hachette Littéra-tures, 2008.> (6) Selon une formule de Philippe Zarifian.

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Le travail tertiaire a changé.Plus immatériel, détaché d’un lieugéographique, aidé par les outils nomade,il semble avoir moins besoin de l’espacephysique du bureau, que ce soit pourl’activité elle-même ou pour en assurer lacoordination. La tendance est à réduirelesmètres carrés... et les coûts.En réalité, la production, de plusen plus intellectuelle, exige des espacesde travail renouvelés, favorisant lacommunication et la collaboration.Ils restent essentiels à la coopérationet au lien social, conditions de lacompétence collectice.

Focus

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rythmes sociaux et personnels. L’on voitbien cependant que les heures de présencesur un site donné ne disent rien de la per-tinence, de l’innovation, de la qualité desproductions ou de la relation clients obte-nue à la faveur de l’activité. Elles n’endisent pas plus sur la qualité rélle du tra-vail vécue du point de vue de celui qui leréalise, transformant ce qui est unecontrainte pour obtenir un revenu en uneoccasion de se réaliser, ou non.

L’espace de travail est l’établi, le collec-tif la machine. Le siège ergonomique àcinq roulettes, la salle de réunion, le bureauet ses écrans sont « l’établi » du travailleurintellectuel. Ce n’est pas seulement un« poste » de travail. C’est un « espace fonc-tionnel élargi » intégrant les espaces col-lectifs (réunions), les espacesde circulation, de convivialitéet de rencontres. Des capacitésde calcul, de traitement, deconnexion et d’accès à l’infor-mation sont ses « outils », passeulement au sens d’uneextension de ses capacités phy-siques, mais d’un relais de sescapacités cognitives. Ses lienssociaux, faits de proximité avec des col-lègues et des réseaux internes et externesà l’entreprise (également alimentés demobilités et de déplacements), sont ses« procédures », très au-delà des « normestechniques rationnelles ». Sous conditionde coopération, exigeant un « actif deconfiance », le collectif de travail est sa« machine », celle qui démultiplie sa capa-cité individuelle et constitue même, selonYves Clot, un « opérateur de santé ».

Ce phénomène qui concerne les espacesde travail, n’est pas qu’additif. Un collec-tif de travail n’est pas une simple collec-tion d’individus. Il ne se construit pas seu-lement par l’accumulation. Un collectifn’est pas non plus un groupe d’individus,si possible homogènes. Des collectifs dequalité conditionnent la possibilité d’une

compétence collective qui fait la perfor-mance individuelle, qui « cale » la perti-nence de la contribution individuelle àl’œuvre collective. Ecoutons encore les pro-pos de Yves Clot, lors d’une conférence del’Observatoire des Cadres, le 22 juin 2011à Paris : « Le collectif, ce n’est pas le moule,le groupe homogène. Comment trouverdes collectifs basés sur l’hétérogène, baséssur l’idée que le conflit sur le travail n’estpas mortel ? Quand dans un milieu pro-fessionnel je ne peux plus dire à mon col-lègue « ce n’est pas du boulot ! », il n’existepas de collectif. Le collectif se définit parla controverse. Le collectif est délibérant,le collectif c’est la comparaison. Le collec-tif est au service de la singularité, la sin-gularisation de deuxième type qui fait ducollectif une ressource. Le collectif qui

compte, c’est celui qui laisse àdésirer, qui n’est pas achevé,à l’inverse de la collection. Lacapacité d’être seul est trèsimportante mais il faut un col-lectif, sinon on est isolé ».

En insistant sur cette défini-tion du collectif de travail, onexprime les éléments d’uncahier des charges pour les

espaces du travail et surtout, pour lesbesoins des collectifs de travail, très au-delàdes « postes » plus ou moins attribués indi-viduellement. Ceci étant, la difficulté resteentière s’agissant de forger des mots pour« parler » de ce travail (informationnel,relationnel…) qu’il est urgent de remettreau centre de nos analyses, au-delà de l’em-ploi. Des mots qui permettront de mieuxpenser son espace, justement parce qu’ilsne seront plus empruntés à une autre réa-lité, celle de la production « matérielle » etde sa compréhension « industrialiste ».L’on voit bien alors l’effort conceptuel àfaire pour penser efficacement ce travailque l’on ne sait plus ni mesurer, ni mêmeobserver aisément, ni se représenter effi-cacement(9). C’est bien en ce sens qu’ilconvient de parler de travail intellectuel ; >>

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fameux organigramme), dessins ou pho-tographies. Ceux qui étaient à leur postetravaillaient, souvent au rythme imposépar le processus et les équipements. Ceuxqui n’étaient pas là ne pouvaient pas tra-vailler, privés qu’ils étaient de coordina-tion, des matières et des outils. Dans l’éco-nomie du savoir, l’organisation est d’unetelle complexité et d’une telle évolutivitéque la représentation graphique (limitée àdeux dimensions) n’y suffit plus. Aux« silos » par métiers s’ajoutent des matricesà plusieurs dimensions, doublées de struc-tures transversales et par projets.

La seule présence au bureau ne suffitplus à garantir aujourd’hui une activitéproductive de valeur ajoutée, et encoremoins sa pertinence. Elle n’est pas plusl’assurance d’y rencontrer ses collègues,son chef ou (de plus en plus fréquemment)« ses chefs » qui peuvent fort bien « rési-der » dans un autre bâtiment ou à l’autrebout de la planète (7). Avec la montée enabstraction du travail, l’engagement et lacompétence requise suppo-sent même justement d’êtresouvent déployés ailleursqu’au bureau, au contact desclients par exemple. Lesbureaux seraient-il en passede disparaître en tant que res-source organisationnelle pro-ductive ? Non, mais ils chan-gent de registre ; moins demètres carrés dédiés individuellement par-fois, mais au profit de plus d’espace col-lectifs (de réunions notamment), de plusde proximité, de connectivité, de mobilitéet de qualité de lien social. Selon la formulede Richard Sennet (8), « aujourd’hui, leslieux de travail ressemblent davantage àdes gares de chemin de fer qu’à des vil-lages ». Au-delà de la simple métaphore,l’image indique qu’en aucun cas, les fonc-tionnalités de l’espace du travail, en chan-geant de forme et de nature en seraientréduites, bien au contraire. Nos amis che-minots savent qu’il n’est pas facile de faire

se croiser des trains (et des passagers),même quand ils arrivent à l’heure !

Un temps poreux,débordé et contourné.Le fait d’interrompre l’éclairage ou d’ins-taller un signal sonore à19h00, d’interdired’adresser des mails durant le week-end,voire de “fermer“ les accès d’un site avant7 heures le matin et après 20 heures le soir,sont des signaux de bonne volonté, maisqui relèvent d’un autre âge. La perfor-mance du travail intellectuel est de moinsen moins une affaire de temps en volume,toujours contraint en principe par le droitet les usages sociaux (les 35 heures et/oul’équilibre vie professionnelle-vie person-nelle). Nos travaux sur le temps de travaildes cadres ont montré que le temps régle-menté, « pendant lequel le salarié est à ladisposition de l’employeur et doit seconformer à ses directives sans pouvoirvaquer à des occupations personnelles »,n’a jamais été si simplement appliqué. Cetemps de l’horloge pointeuse est poreux, il

est de plus en plus déjà large-ment « débordé » pour despopulations de plus en plusimportantes. Il est courammentcontourné, au moins implicite-ment, par la mise à` dispositiond’outils informatiques, réseauxet nomades, tant de l’initiativedes salariés que sous la pres-sion d’objectifs toujours plus

exigeants et le plus souvent individualisés.Pour autant, le temps consacré au travail

reste un indicateur de volume, trop simplesans doute, mais toujours bien réel, d’en-gagement individuel et de dépense, aumoins relativement au temps personnel.Les observations sur les risques psychoso-ciaux indiquent clairement le poids destemporalités sur les déséquilibres des

REPÈRES ANALYSEREPENSER L’EXPACE ET LE TEMPS DU TRAVAIL INTELLECTUEL

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> (7) Emmanuelle Leon, « Le management à distance :résultat d’une étude exploratoire », Revue internationalesur le travail et la société, octobre 2005.> (8) Richard Sennett, « la culture du nouveau capitalisme», Albin Michel, 2006. Cité par Bernard Galambaud, AEFInfo le 05 juillet 2011.

La seule présenceau bureau

ne suffit plusà garantir une

activité productivede valeur ajoutée.

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Un collectifde travail

n’est pas unecollectiond’individushomogènes.

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nagement. Cette même étude précise quela moitié des salariés s’estiment très stres-sés au travail et 43 % de ceux-là considè-rent que ces aménagements accroissentleur niveau de stress. Il faut serendre à l’évidence, l’imagetoujours négative de cette solu-tion démontre que l’invention(technique) des espacesouverts n’en fait pas mécani-quement une innovation(sociale). Il faut bien prendreacte du décalage flagrant entreles attentes exprimées des sala-riés en France et la généralisation du choixde l’open space pour ses évidentes quali-tés (mesurables) de coût et de technique. Ily a de quoi déprimer les architectes d’in-térieur et autres fabricants de meublesinventifs, d’autant que, pour de tels pro-duits, on voit bien la supériorité des paysà bas coût et des outils informatiques en3D capables de les répéter à coût nul etdonc à l’infini, quels que soient le pays, lemétier et le nombre d’étages.

Ces foutus Français qui n’aiment pasl’open space… Le fait est qu’en Europe duNord et aux Etats-Unis, on n’observeraitpas ces réserves (10). En France elles sontrégulièrement exprimées par les parte-naires sociaux via des CHSCT désormaisbien armés par la jurisprudence ! Cetteméfiance, le plus souvent fataliste, est pro-bablement une des raisons de l’absenced’expérimentation et de diffusion de solu-tions de type Flex Office – bureaux nonaffectés- dont on peut connaître quelquesréalisations en Belgique (non francophone),aux Pays-Bas ou en Australie. On peut biensûr se plaindre rituellement de ces « fou-tus Français qui n’en veulent pas » –preuve d’un évident archaïsme culturel –,s’autorisant ainsi à passer sans délai àl’étape suivante : demain les bureaux par-tagés et après-demain le télétravail ! Il estvrai que le fantasme d’entreprises sanssalariés n’est pas nouveau. Outre la charge

de mépris (dans la bouche de personnesqui en général, elles, disposent toujoursd’un bureau personnel) que peut manifes-ter l’usage répété de l’imprécation, ce type

d’argument est vain. Qu’il yait des dimensions culturellesà prendre en compte est uneévidence. Sur la banquise il ya des pingouins, et en France,il y a des Français ! Dont acte.Cela ne fait du « bureau cel-lule » LA solution française.Cette option d’aménagement,à l’échelle du temps d’une

culture nationale, est presque aussi récenteque les « bureaux paysagers » (une inven-tion allemande). De même, l’argumenta-tion négative sur le bien-être et les risquespsychosociaux n’a pas grand sens (11). Parcontre, on peut reprendre l’équation entrele bien-être, censé expliquer la perfor-mance, mais en l’inversant, au profit d’unedéfinition de la performance qui légitimeles revendications de bien-être. Il n’y a eneffet pas plus ni moins de potentiel debien-être au travail, mécaniquement, dansun aménagement en open space que dansun aménagement en bureaux individuelscloisonnés. On peut y vivre mal dans lesdeux cas.

Comme il en va de tout outil de gestion,l’open space en soi n’est ni bon, ni mau-vais, ni meilleur, ni pire… Il faut poser laquestion à l’envers, en remarquant parexemple que les Français sont à la fois >>

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son abstraction exige des concepts pour enappréhender la réalité. C’est un des enjeuxd’un management dont la fonction reste derassembler et garantir les conditions d’unetransformation de ce travail en perfor-mance (toujours !). Il mérite l’attention desgestionnaires et des aménageurs soucieuxde ne pas avoir une guerre de retard.

Réduire les coûts par lagénéralisation des open space ?

L’option consistant à réduire les coûts,notamment ceux des espaces de travail estlégitime. L’argument d’une réduction dessurfaces dédiées individuellement, arith-métiquement possible en regard de tauxd’occupation moyens, en baisse régulière,est très insuffisant. De mêmeque « la poule est encore lemeilleur moyen que l’œuf atrouvé pour se reproduire », onpeut se demander, avec les uti-lisateurs de certains openspaces, si ce n’est pas parce queles bureaux sont devenus sipeu attractifs qu’ils sont sous-occupés, quand le salarié a enpartie l’initiative du choix du « meilleurlieu de travail » selon sa propre expérience.L’open space peut être une bonne solution.Il n’est d’ailleurs en rien nécessairementsynonyme de gains en surface. Gagner enmètres carrés n’impose pas l’open space. Onpeut aisément imaginer des bureaux cel-lules partagés. N’était-ce la vertu univer-selle de la paresse (managériale en l’oc-currence), la recherche d’optimisation desressources spatiales coûteuses n’imposepas la généralisation de cette option, surun mode évident, hégémonique et dansune version standardisée. C’est in fine unepuissante mode qui explique son succèsbien plus que ses vertus supposées. Lepropre de toute mode est d’économiser lapensée, fondant en même temps et à coupsûr la ringardise de demain !

D’un côté, il y a de moins en moins depostes de travail strictement équivalents

au fur et à mesure que croissent la com-plexité des organisations en même tempsque la demande d’une prise en compteindividualisée et personnalisée (de soi, desclients et des environnements). De l’autre,on observe la tendance actuelle à l’extrêmeuniformisation des espaces et du mobilierde bureau. On estime que les open spaceconcernent désormais de l’ordre de 60 %des salariés. Les programmes récents debureaux en open space et bench (« établi » :plan de travail d’un seul tenant pouvantaccueillir plusieurs postes) imposent unedésespérante répétition de plateaux uni-formes, évoquant une version ergono-mique à peine humanisée de la stabulationd’élevage d’où émergent seulement des

câbles et des prises, au mieuxégayés de cloisons amovibles,parfois translucides et colo-rées de vert pomme et fram-boise. C’est au moins para-doxal. Bien sûr, le fait que cesoit moins cher (9) est un argu-ment en soi, notammentlorsque l’on ne sait plusmesurer les gains (et les

pertes associées). Mais cela traduit surtoutles limites « intellectuelles » d’une offredont personne n’est vraiment satisfait, sanspouvoir clairement désigner « ce qui ne vapas dans cette offre », comme nous leconfiait récemment un directeur immobi-lier.

En regard du succès sans partage desespaces ouverts dans les entreprises, selonune récente étude TNS AOS Studley enFrance (décembre 2010), 7 % seulement dessalariés seraient satisfaits de ce type d’amé-

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> (9) Pierre Boisard, “ le nouvel âge du travail”, HachetteLittérature, 2009.> (9) Ce qui est vrai apparemment quand on ne prend encompte que ce qui est mesurable, dans la tradition « indus-trialiste » et financiarisée des économies d’échelle et descourbes d’apprentissage.> (10) Voir, par exemple, Etienne Maclouf, « Délocalisa-tions, réaménagements, activités quotidiennes - les pra-tiques de gestion des espaces de travail dans leurcontexte», Revue internationale sur le travail et la société,vol. 3, n° 2, 2005.

> (11) Voir nos articles : « Le bien être au travail est-il unecondition de la performance ? », AEF Info, 24 février 2011 ;« Et si la performance était source de bien-être ? », Expan-sion Management Review, n° 141, juin 2011.> (12) Voir Dominique Meda et Lucie Davoine, « Place etsens du travail en Europe, une singularité française »,Centre d’études de l’emploi, 2008, http://www.cee-recherche.fr/fr/doctrav/travail_europe_96_vf.pdf et notrearticle « Gestion prévisionnelle des emplois et compétences: sécuriser ou promouvoir les inégalités », Metis, juin 2008.> (13) Une moyenne qui intègre à la fois les absences dufait de la gestion des temps (congés, maladie, formation)et les déplacements ou le nomadisme, très variables selonles métiers. Ce serait évidemment encore beaucoup moinssi, à l’instar des « immobilisations productives » de typemachines, on intégrait les WE, les nuits… pendant lesquelsces « investissements » ne sont pas valorisés.

Gagneren mètres carrésn’impose pasl’open space

comme solution.Il y en a d’autres.

Beaucoup desalariés considèrent

que les espacesouverts

augmententle niveau de stress.

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parmi les plus attachés à la valeur travailet parmi les plus productifs au monde. Onpeut alors se demander si, par hasard, cene sont pas les open spaces standardisés(porteurs d’un bien-être « suffisant » pourdes salariés « banals »), qui ne seraient passuffisamment adaptés à ces hauts niveauxde productivité et d’attachement à la réa-lisation de soi au travail, souvent empê-chés, mais toujours revendiqués (12), quicaractériseraient la culture française.

Les espaces de bureau coûtent, maiscombien rapportent-ils ?

Les espaces de bureaux représentent de10 à 20 % du coût du travail global. C’està la fois énorme, lorsque l’on se rappelleque les taux d’inflation et de croissance res-tent bas, en même temps que les tensionssur les inégalités et le pouvoird’achat ne cessent de s’inten-sifier. Ce coût peut paraîtred’autant plus élevé que lesbureaux sont effectivement, etpour de bonnes raisons on l’avu, de plus en plus « sous-occupés » ; souvent de l’ordrede 60 % en moyenne dutemps de travail (13). Optimi-ser le coût de cette ressource est un objec-tif normal et nécessaire auquel nous nousassocions. Cela ne constitue cependantqu’un potentiel de gains limité, au regarddes enjeux de compétitivité créés par lesdifférentiels de coûts salariaux, sociaux (etenvironnementaux), y compris de tra-vailleurs très qualifiés, en Inde, en Chine(14) ou au Brésil. Cela conduit à poser laquestion des espaces du travail et de laconception des bureaux d’une manièresensiblement différente de celle que nousobservons. La non-mesurabilité de la pro-duction immatérielle est évidemment unedes raisons des difficultés d’investissementsur l’espace. On le comprend, mais celan’excuse pas les impasses de raisonnementdans la conduite des projets immobiliers,et tout particulièrement, la part dominante

que prend la logique de réduction descoûts apparents (15).

Des solutions légitimes, mais limitées.Certains en viennent à considérer lesbureaux comme des « vestiaires » luxueuxou comme des éléments d’une « renteindue ». Tel Gribouille qui se jette à l’eaupour éviter la pluie, il en est même quivoudraient promouvoir une « pseudo-modernité » marquée par la disparitionpure et simple du bureau lui-même.

La réduction des coûts telle que nousl’observons s’opère de plusieurs manières.En jouant sur la localisation, suscitant dece fait des déménagements fréquents, l’en-treprise peut profiter de coûts locatifs oude coûts de construction plus favorables.Le plus souvent ce sera en s’éloignant des

centres urbains au profit despériphéries, sans toutefois tou-jours tenir compte du prix dulitre d’essence. Pour autant, ilsemble bien que cet éloigne-ment soit régulièrement remisen cause pour les besoins decentralisation, provoquantainsi des mouvements debalancier. Cela se fait égale-

ment par la réduction du nombre demètres carrés associés à chaque situationprofessionnelle, open spaces et aménage-ments de type bench à l’appui.

Il semble là aussi que la réduction dunombre de mètres carrés alloués à chacunse traduise au bout du compte par desgains limités, soit malgré tout un besoinqui reste de l’ordre de 18 mètres carrés etplus, de surface brute locative par salariésédentaire (si on englobe les mètres carrésde surface commune : salles de réunions,hall, caféteria, etc…).

On peut enfin s’interroger sur l’engoue-ment récent pour le télétravail, parallèle-ment à la promotion de l’usage de tierslieux et l’extension des bureaux partagés.Pour réduire encore les mètres carrés, àl’instar d’une optimisation des parkings,en généralisant les bureaux partagés (nondédiés), le télétravail, voire, le travail àdomicile, il est théoriquement possible de« faire rentrer plus de monde » dans desespaces encore réduits. Là encore, deseffets significatifs sur la réduction des sur-faces supposent une diffusionde cette formule à hauteur deplusieurs dizaines de pour-cent (nous en sommes loinpour ce qui concerne le télé-travail) et une limitation descontreparties que pourraientrechercher les télétravailleurs.Au-delà, les effets de stigma-tisation (que l’on connaît déjàavec le travail à temps partiel), les enjeuxd’une généralisation du management à dis-tance, les risques restent largement à maî-triser 16). Enfin, nous ne sommes pasconvaincus par les arguments mis en avantpour les défendre (bilan carbone, réduc-tion des temps de transport, équilibre vieprofessionnelle-vie personnelle, réalisationde soi…), au moins en ce qui concerne lestravailleurs aux revenus modestes dispo-sant de logements peu adaptés.

Dans tous les cas, les gains attendus pardes déménagements, des réaménagementsou des formes d’« extra-localisation » dessalariés ne seront pas acquis ou démontréstant que les risques de pertes de perfor-mance collective ne seront pas identifiés etmaîtrisés (17). A défaut, bien des projets ris-quent d’ajouter à la naïveté de Gribouille,l’irresponsabilité de l’apprenti sorcier.

Des espaces pour un travail quia changé

Au moment où la réalité du mal-être etdes risques psychosociaux dans les entre-prises s’invite dans les médias et com-

mence à être mieux mesurée, on seraitpresque tenté d’oublier que c’est le travailqui produit de la valeur. Est-ce bien rai-sonnable ?

Penser des organisations agiles.Cela ne veut certainement pas dire qu’il

est légitime de s’arc-bouter en faveur dumaintien de bureaux individuels exigeantplus de 20 mètres carrés de surface brutelocative par personne (18). L’intellectualisa-tion et la « servicialisation » du travail, au

profit d’une production deplus en plus immatérielle, lagénéralisation des outilsnomades, l’accès toujours plusaisé à l’information, n’importequand et de n’importe où, laqualification croissante et lavolonté de participer soi-même à la qualité de sonpropre travail…, ouvrent au

contraire selon nous des perspectives nou-velles de productivité accrue. La décon-nexion relative du travail, et de sa perfor-mance, avec les espaces de l’entreprise etles horaires conventionnels, est une oppor-tunité pour penser des organisations inno-vantes et agiles, y compris des espacesouverts, modulables et flexibles.

Cela veut dire des organisations, pourpartie virtuelles sans doute, du manage-ment à distance parfois aussi, mais sansrenoncer à la proximité, à la solidarité, aulien et à la vie sociale comme conditions dela compétence collective. Bref, noussommes d’autant plus libres de penserl’aménagement des espaces tertiaires detravail qu’ils sont moins « contraints tech-niquement », mais à condition que cela soiten faveur d’une qualité de socialisationaccrue, avec des espaces sociaux dans les-

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Il faut mettre enbalance les gains

attendus de toutesces formules et lesrisques de pertede performance.Les espaces

de bureaureprésentent

entre 10 et 20 %du coût

du travail global.

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> (14) Dès aujourd’hui, la Chine forme plus d’ingénieurschaque année que l’Europe et les Etats-Unis réunis.> (15) Voir Xavier Baron et Christian Kostrubala, « Openspace : être ou ne pas être ensemble au bureau ? »,AEF.Info, 12 novembre 2009.

> (17) Etienne Maclouf, « Espaces de travail et manage-ment », Revue de gestion des ressources humaines, n° 81,juillet-septembre 2011.> (18) La « solution », souvent observée dans l’adminis-tration, consistant à mettre deux personnes par bureau cel-lule paraît de ce point de vue un mauvais compromis.

Page 5: EST JAMAIS ANALYSÉ Repenser l’espace et le temps … · Repenser l’espace et le temps du travail intellectuel OPEN SPACE,BUREAUX PARTAGÉS OU TÉLÉTRAVAIL SONT VUS AVANT TOUT

quels la fameuse machine à café est certai-nement devenue un outil de productionessentiel…

Une combinatoiremanagériale.Les openspaces et le télétravail, comme toute autresolution d’aménagement et d’organisation,peuvent être défendus àl’aune de leur potentiel théo-rique d’économie. Mais ceschoix doivent également êtreanalysés au regard de leurimpact social et de leur contri-bution à la performance dutravail individuel et collectif.

Un design refondé, au ser-vice du développement del’homme au travail, fait partie des pistes.Le télétravail aussi, à condition de ne pasl’entendre comme du « travail éloigné » niseulement comme une solution de « non-transport », mais comme la possibilitéofferte de faire son travail à partir des lieuxles plus pertinents.

Loin d’être seulement un argumentd’économie de mètres carrés, ou de réduc-tion des nuisances dues aux transports,l’usage en croissance de « tiers lieux »(dont des « télécentres ») fait bien partiedes nouvelles possibilités ouvertes par lesTIC (19). Le télétravail, à domicile ou auMcDo, en télécentres ou dans un « bureaude jardin », est bel et bien une composantede l’avenir du bureau. Cela ne se fera passans investir dans une réflexion sur lesorganisations et une évolution du mana-gement, que nous avons déjà engagée. Lecontrôle par les présences n’est plus l’en-jeu central. La coordination par les objec-tifs connaît des limites et le bien-être n’estdécidément pas en soi une condition suf-fisante de la performance. Le travail achangé. On sait de moins en moins coor-donner efficacement ce travail intellectuelqu’on n’arrive plus à se représenter. On nesait toujours pas mesurer (dénombrer) le

produit immatériel de ce travail qui exigedavantage de coopération. Celle-là n’a riend’aisé ni de naturel (20). La mise à disposi-tion d’espaces de travail, de qualité, faitpartie des conditions de son obtention.

Nous sommes face à la transformationd’une « économie tirée par l’industrie (et

ses modèles) en une économieimmatérielle désormais large-ment tirée par les services »(21).La coordination dans la subor-dination n’est plus suffisante.Le management et les organi-sations n’ont d’autre choix qued’apprendre à « faire coopé-rer », y compris à l’aide d’es-paces repensés et, surtout, ter-

ritorialisés, c’est-à-dire appropriés. Lesréponses aux questions que pose l’espacede travail ne sont pas seulement dansl’aménagement, pas plus dans sa « délo-calisation hors les murs de l’entreprise »,mais dans le management. Il n’y a pas debonne solution d’aménagement des openspaces sans traiter des enjeux de producti-vité du travail intellectuel, dans desespaces certes moins contraints et poten-tiellement plus divers, mais d’autant pluspertinents, attractifs, conviviaux, mobileset agiles, bref, des espaces « sociaux » et dequalité. n

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Le télétravail doitêtre pensé commela possibilité deréaliser sa tâcheà partir du lieule plus pertinent.

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> (19) Voir le travail de l’association ARA 21 pour la pro-motion des télécentres et de la marque Actipole 21 enFrance (http://www.actipole21.org/index.html).> (20) François Dupuy, « Lost in management », Seuil, 2011.> (21) Christian du Tertre, conférence « Le territoire, moteurde l’économie des services », Université ouverte des com-pétences, le 05 avril 2011.